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A-603-03

2004 CAF 421

Adil Charkaoui (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (intimés)

Répertorié: Charkaoui (Re) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juge en chef Richard, juges Décary et Létourneau, J.C.A.--Ottawa, 8 novembre et 10 décembre 2004.

         Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Appel d'une décision de la Cour fédérale qui a rejeté la demande d'inconstitutionnalité des art. 33 et 77 à 85 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) -- L'appelant est soupçonné d'être membre d'une organisation terroriste -- Il a été arrêté et détenu en vertu de l'art. 82 de la LIPR -- Les ministres intimés ont déposé un certificat de sécurité à la Cour fédérale, attestant que l'appelant est interdit de territoire pour des raisons de sécurité en vertu des art. 33, 34 et 77 de la LIPR -- Les ministres ont demandé au juge désigné de trancher le caractère raisonnable du certificat -- Le statut de résident permanent est révocable pour raisons d'interdiction de territoire en vertu des art. 33 à 46 de la LIPR -- La norme des «motifs raisonnables» requiert plus que des soupçons et plus qu'une croyance subjective de la part de celui qui les invoque -- Il doit exister une possibilité réelle et sérieuse que les faits préjudiciables prévus aux art. 34 à 37 se produisent -- La détention d'un résident permanent en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité n'est pas une mesure injustifiée lorsqu'il y a preuve d'un danger pour la sécurité nationale.

         Compétence de la Cour fédérale -- Question de savoir si le juge désigné a compétence pour examiner les questions constitutionnelles soulevées dans un examen judiciaire en vertu des art. 76 à 85 de la LIPR -- La jurisprudence rendue sous l'ancienne Loi sur l'immigration a été examinée -- Les art. 3(3)d) et 78c) ne modifient pas la compétence du juge désigné et n'attribuent aucune compétence nouvelle -- Le «juge désigné» n'est pas un juge de second rang investi de moins de pouvoirs qu'un juge non désigné -- L'expertise générale en tant que juge est rehaussée plutôt que diminuée par la spécialisation en tant que juge désigné -- Le Parlement a voulu que ce soit la Cour, à son plus haut niveau hiérarchique, qui soit saisie de questions reliées à la sécurité nationale -- Une décision concernant la constitutionnalité de la LIPR porte sur la juridiction de la Cour et non pas sur le caractère raisonnable du certificat -- Il s'agit d'un acte judiciaire distinct et divisible et donc susceptible d'appel -- La Cour a compétence, aussi, pour entendre les contestations constitutionnelles de dispositions législatives dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire -- Le juge désigné avait compétence pour trancher les questions constitutionnelles qui lui étaient soumises et il n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en le faisant dans le cadre d'une requête.

         Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- L'appelant a fait valoir que les art. 77 et 78 de la LIPR portaient atteinte aux droits garantis par la Charte quant au droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial -- L'impact cumulatif de nombreux facteurs a été considéré -- La procédure par laquelle un juge désigné examine le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité ne contrevient pas à l'art. 7 de la Charte -- Le droit individuel à la liberté et à la sécurité de la personne ne peut s'exercer qu'à l'intérieur d'un cadre institutionnel ou d'un ordre social qui commande le respect et que l'on respecte -- Les notions de «motifs raisonnables» et de «danger pour la sécurité du Canada» ne sont pas des notions imprécises et de portée excessive -- Les dispositions relatives à la détention préventive de l'appelant, en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité, rencontrent les exigences de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits.

         Juges et tribunaux -- La compétence du juge désigné et la procédure appropriée en vertu des art. 76 à 85 de la LIPR -- Sous l'ancienne Loi sur l'immigration, le juge délégué se voyait confier deux mandats spécifiques: celui d'examiner le caractère raisonnable de l'attestation et celui d'ordonner la mise en liberté -- L'art. 80 de la LIPR confie au juge désigné un troisième mandat, celui de décider de la «légalité» de la décision du ministre relativement à la demande de protection qui aurait été déposée en vertu de l'art. 112(1) -- Le fait de limiter le rôle du juge à la vérification du caractère raisonnable du certificat de sécurité n'est pas nouveau -- Le processus de révision judiciaire des décisions gouvernementales ou de celles des organismes fédéraux qui se limite à une vérification de la légalité de ces décisions ne compromet pas l'indépendance et l'impartialité du tribunal -- Le juge désigné joue un rôle pro-actif pour assurer l'équité -- Il revient au juge désigné et non pas aux ministres de trancher quant à la nécessité de ne pas divulguer des renseignements à la personne visée par le certificat -- Par conséquent, le rôle de la magistrature comme interprète du droit et défenseur de la Constitution demeure inchangé -- L'indépendance judiciaire de l'influence du gouvernement ainsi que de l'influence d'autres sources, notamment l'opinion publique, est un droit constitutionnel de toute personne au Canada -- L'avocat a l'obligation stricte de fournir tous les renseignements qui sont en sa possession, favorables et défavorables.

        Il s'agissait d'un appel d'une décision de la Cour fédérale qui a rejeté une demande d'inconstitutionnalité des articles 33 et 77 à 85 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L'appelant, un résident permanent du Canada depuis 1995, a été mis sous arrêt et en détention en mai 2003, suite à un certificat de sécurité déposé à la Cour fédérale selon l'article 77 de cette même loi. Le certificat de sécurité signé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que par le solliciteur général du Canada attestait que l'appelant était interdit de territoire pour des raisons de sécurité au sens des articles 33, 34 et 77 de la LIPR. Ils avaient des motifs raisonnables de croire que l'appelant était membre de l'organisation terroriste d'Oussama ben Laden et qu'il se livrait à des activités terroristes. Par dépôt du certificat de sécurité à la Cour fédérale, les intimés ont demandé à un juge désigné de tenir une audience afin de décider du caractère raisonnable du certificat. Le juge désigné a conclu que la demande dont il était saisi de tenir une audience en l'absence de l'autre partie (ex parte) et en privé (in camera) était justifiée par des questions de sécurité nationale. Tel que requis par les alinéas 78g) et h) de la LIPR, il a transmis à l'appelant des renseignements dont la divulgation ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. L'appelant a eu l'occasion de faire entendre des témoins et de déposer des preuves par affidavit. En raison des fluctuations possibles en matière de sécurité nationale et de la découverte de nouveaux renseignements, le juge désigné a adopté une politique de communication continue de la preuve et des renseignements à l'appelant. Les deux principales questions en litiges étaient de savoir 1) si le juge désigné avait compétence pour examiner les questions constitutionnelles soulevées dans le cadre d'un examen judiciaire prévu aux articles 76 à 85 de la LIPR et 2) si les articles 77 et 78 de la LIPR portent atteinte aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) quant au droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, notamment par le fait que le juge désigné doit trancher le «caractère raisonnable» du certificat de sécurité émis par les ministres et non le fond de l'affaire.

        Arrêt: l'appel doit être rejeté.

        Les juges Décary et Létourneau, J.C.A.: 1) En ce qui a trait à la première question, la jurisprudence rendue sous l'ancienne Loi sur l'immigration a établi que le juge désigné n'avait pas compétence pour trancher des questions constitutionnelles dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du certificat (alors dit attestation), mais qu'il avait cette compétence dans le cadre du contrôle des motifs de la détention. La situation a évolué dans le cadre de la LIPR. Le juge désigné en l'espèce a rappelé à juste titre qu'à défaut d'attribution expresse de compétence, le législateur peut, par la fonction du tribunal judiciaire en cause et par la structure, les pouvoirs et les mécanismes dont l'a doté le Parlement, avoir implicitement conféré la compétence d'accorder le redressement recherché en vertu de la Charte. Il a conclu que la LIPR reconnaît implicitement au juge désigné la compétence que ne lui reconnaissait pas l'ancienne Loi. Il s'est principalement appuyé, pour en arriver à cette conclusion, sur l'alinéa 3(3)d) de la LIPR, qui prévoit que «l'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet [. . .] d'assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés», ainsi que sur le texte anglais de l'alinéa 78c) de la LIPR qui prescrit que le juge «shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit». Mais ces dispositions ne modifient pas la compétence du juge désigné pour les fins des présentes. L'alinéa 3(3)d) est une clause de style et n'attribue aucune compétence nouvelle. Le texte anglais de l'alinéa 78c) ne confère lui non plus aucune compétence nouvelle. Il signifie tout simplement que le juge désigné entend l'affaire, ce qui comprend les questions ancillaires de preuve et de procédure, sans formalisme et de façon expéditive, et il confirme que l'article 78 vise la procédure et non la compétence.

        Le concept de «juge désigné» a été déformé par la jurisprudence. Le but recherché par le législateur n'était pas de faire du «juge désigné» un juge de second rang investi de moins de pouvoirs qu'un juge non désigné, mais d'assurer la présence de juges suffisamment avertis pour entendre les affaires relatives à la sécurité nationale. C'est une valeur ajoutée, pour un juge de la Cour fédérale, que d'être un juge désigné et son expertise générale en tant que juge est rehaussée plutôt que diminuée par sa spécialisation en tant que juge désigné. D'ailleurs, l'expression «juge désigné» est trompeuse dans la mesure où elle masque le fait que c'est d'un représentant du juge en chef dont il s'agit et que c'est la Cour, et non le juge, qui rend la décision. Le Parlement a ainsi voulu que ce soit la Cour, à son plus haut niveau hiérarchique par surcroît, qui soit saisie de questions reliées à la sécurité nationale. Depuis que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, a reconnu le droit d'en appeler dans le cadre d'une révocation de citoyenneté, la Cour d'appel fédérale a reconnu le droit d'en appeler d'autres types de décisions rendues dans le cadre d'un renvoi. Si l'on accepte que le juge désigné puisse, dans l'exercice des pouvoirs conférés par les articles 80 et 83 de la LIPR, rendre des décisions susceptibles d'appel, sa compétence de les rendre ne devrait plus être remise en question. Une décision portant sur la constitutionnalité de la LIPR porte sur la juridiction de la Cour et non pas sur le caractère raisonnable du certificat. Elle constitue un acte judiciaire distinct et divisible et elle est, en conséquence, susceptible d'appel. En ce qui a trait aux changements législatifs, sous l'ancienne Loi, le juge délégué se voyait confier deux mandats spécifiques: celui d'examiner le caractère raisonnable de l'attestation et celui d'ordonner, dans les circonstances décrites au paragraphe 40.1(9), la mise en liberté. L'article 80 de la LIPR confie au juge désigné un troisième mandat, celui de décider de la «légalité» de la décision du ministre relativement à la demande de protection qui aurait été déposée en vertu de l'article 112(1). Qui dit légalité dit questions de droit, notamment les questions constitutionnelles. Si un juge désigné a maintenant, de manière expresse, compétence pour trancher des questions constitutionnelles dans l'exercice d'un des trois mandats que lui confère la LIPR, il n'est pas déraisonnable de penser que le législateur a implicitement voulu qu'il ait également cette compétence dans l'exercice des deux autres.

        Quant à la question de savoir si le juge désigné peut trancher des questions constitutionnelles par voie de requête plutôt que par voie d'action ou de demande de contrôle judiciaire, on a fait remarquer que le contrôle des motifs de la détention se fait dans le contexte général de la demande d'examen judiciaire du caractère raisonnable du certificat que les ministres ont l'obligation de déposer en Cour fédérale aux termes du paragraphe 77(1). La Cour est donc saisie de l'affaire non pas par la personne intéressée, mais par les ministres. Il s'agit d'une procédure sui generis. Par conséquent, elle est régie par les règles applicables aux actions: règle169 des Règles de la Cour fédérale (1998). La Cour a compétence, aussi, pour entendre les contestations constitutionnelles de dispositions législatives dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire. Ce serait aller à l'encontre de la justice que de forcer des justiciables à entreprendre des procédures parallèles découlant d'une seule décision. En contestant sa détention, l'appelant ne faisait que se défendre en plaidant que des dispositions de la LIPR sont inconstitutionnelles. Cette défense, en toute logique, devrait pouvoir être plaidée par requête dans le cadre de la procédure originale, sans qu'il soit nécessaire d'instituer une procédure parallèle ni d'ouvrir un nouveau dossier. Cette requête est une procédure autonome et distincte qui échappe, de par sa nature et ses effets, aux règles de procédure établies pour la procédure originale ainsi que pour la présentation de simples requêtes. C'est, en quelque sorte, un mini-procès à l'intérieur d'un procès, lequel peut prendre, comme en l'espèce, la forme d'une simple requête. Le juge désigné avait compétence pour trancher les questions constitutionnelles qui lui étaient soumises et il n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en le faisant dans le cadre d'une requête.

        2) L'appelant a invoqué l'effet cumulatif d'un certain nombre de facteurs, lesquels le priveraient du droit à une audience juste et équitable devant un tribunal impartial et indépendant.

        Premièrement, l'appelant a affirmé que la décision qui a conduit à son interdiction de territoire a été prise par le pouvoir exécutif et non par un juge. Il n'y a rien d'illégal, encore moins d'anormal, à ce qu'une décision d'intérêt public soit prise par un ministre du gouvernement, chargé de l'application de la loi en vertu de laquelle cette décision a été prise. À titre de législateurs ou de membres de l'exécutif, ce sont les parlementaires élus, représentants de la population, qui sont investis du pouvoir de gérer et d'administrer l'intérêt et la sécurité publiques. Le fait que le législateur attribue aux ministres la compétence de prendre une décision concernant l'interdiction de territoire d'un résident permanent pour raison de sécurité et qu'il assujettisse cette décision au contrôle d'un juge désigné ne brime pas l'indépendance du judiciaire. Cette doléance de l'appelant était sans mérite, sans fondement et, par conséquent, sans impact.

        Deuxièmement, on a affirmé que le rôle du juge se limite indûment et injustement à la vérification du caractère raisonnable du certificat de sécurité alors qu'il devrait en apprécier le bien-fondé. Cette approche du législateur n'est pas nouvelle et n'affiche rien de dérogatoire: tout le processus de révision judiciaire des décisions gouvernementales ou de celles des organismes fédéraux se limite à une vérification de la légalité de ces décisions, c'est-à-dire à une vérification de leur conformité avec la loi. Si la décision n'a pas été prise en conformité avec la loi, elle doit être retournée pour qu'une nouvelle décision soit prise qui, cette fois, se conformera aux prescriptions impératives de la loi. Ce processus ne compromet pas l'indépendance et l'impartialité du tribunal. En discutant du fardeau et de la norme de preuve applicables à l'exercice des pouvoirs d'interdiction de territoire, d'arrestation et de maintien en détention, le juge désigné indiquait que la preuve n'avait pas à établir avec certitude, ou hors de tout doute raisonnable, l'existence des faits qui lui avaient été soumis. L'alinéa 78j) de la LIPR confère au juge désigné le pouvoir de recevoir et d'admettre des preuves et, en conséquence, d'en apprécier la véracité, la fiabilité et la crédibilité. C'est ce qu'en l'espèce le juge désigné a compris de la fonction qui lui était assignée, c'est ce qu'il a dit et décrit clairement et c'est précisément l'exercice auquel il s'est livré. L'inconstitution-nalité alléguée par l'appelant à ce titre n'avait ni assise factuelle, ni fondement juridique.

        L'appelant a également fait valoir que la décision du juge désigné avait été prise à partir de preuves secrètes auxquelles il n'avait pas eu accès, qu'il n'avait pas obtenu de résumé de l'information qui ne lui avait pas été dévoilée et qu'il n'existait aucun moyen pour lui de tester la validité et la crédibilité de cette information et, donc, de la réfuter. Ces trois facteurs, qui ont été traités ensemble, ont suscité l'interrogation: le processus dérogatoire, mis en place par le Parlement pour déterminer si sont justifiées l'interdiction de territoire d'un résident permanent par le pouvoir exécutif, son arrestation et sa détention, respecte-t-il les principes de justice fondamentale? Bien que certains éléments de preuve non communiqués à l'appelant puissent contribuer à la prise de décision par le juge désigné, généralement, la preuve sera constituée de divers éléments qui, pour la plupart auront été communiqués ou remis à la personne visée par le certificat de sécurité, soit intégralement, soit sous forme de résumé lui permettant ainsi d'en connaître suffisamment la teneur, la nature et la portée. Durant tout le processus, le juge désigné joue un rôle pro-actif destiné à en assurer l'équité. Dans l'exercice de ce rôle, le juge a le pouvoir d'ordonner que des documents soient remis en n'y oblitérant que les passages qui, par exemple, peuvent révéler l'identité d'une source et en compromettre la sécurité ou mettre en péril la sécurité nationale. Bien qu'il soit plus difficile pour l'appelant de tester la validité et la crédibilité de l'information qui ne lui est pas dévoilée, le fait est qu'il est assisté dans cette tâche par le juge désigné à qui incombe la lourde responsabilité de maintenir l'équilibre entre les parties et, partant, le respect des principes de justice fondamentale. Dans l'arrêt Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la Cour d'appel fédérale a décidé que tant et aussi longtemps que le contrôle judiciaire permet à l'appelant de demander à un juge de la Cour fédérale de décider si le maintien de la confidentialité des renseignements est bien fondé, le processus de la LIPR devra lui aussi être jugé conforme aux principes de justice fondamentale. Dans le cas présent, l'appelant a eu cette opportunité puisque la demande d'examen des renseignements à protéger a été portée devant un juge de la Cour fédérale par suite du dépôt du certificat de sécurité conformément à l'article 77 de la LIPR. Il a prétendu que les décisions dans les affaires Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (qui a confirmé la validité constitutionnelle de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration) et Sogi n'ont pas d'application aux faits de la présente cause parce qu'il est un résident permanent alors que, dans ces deux décisions, il s'agissait d'étrangers demandant un statut de réfugié. La réponse à cet argument était double. Premièrement, le statut de résident permanent est révocable pour raisons d'interdiction de territoire tel que prévu aux articles 33 à 46 de la LIPR. Un résident permanent n'a pas de droit absolu de demeurer au Canada et ce statut, à lui seul, ne saurait lui permettre d'accéder à des informations pouvant compromettre la sécurité nationale. Deuxièmement, le droit d'accès à une information pouvant porter atteinte à la sécurité nationale, par une personne que l'on croit, pour des motifs raisonnables, s'être livrée, se livrer ou vouloir se livrer à des activités terroristes ne dépend pas du statut juridique de cette personne. Accepter la position de l'appelant que la sécurité nationale ne saurait justifier de dérogations aux règles du débat contradictoire, c'est voir dans la Constitution canadienne un abandon par la collectivité de son droit à la survie au nom d'un absolutisme aveugle des droits individuels qu'elle enchâsse. Le droit individuel à la liberté et à la sécurité de la personne ne peut s'exercer qu'à l'intérieur d'un cadre institutionnel ou d'un ordre social qui commande le respect et que l'on respecte. Les arguments de l'appelant fondés sur ces facteurs n'avaient pas un impact cumulatif permettant à la Cour de conclure à l'inconstitutionnalité du processus mis en place par le législateur.

        Un autre facteur invoqué par l'appelant était celui que la norme de preuve retenue par le législateur pour justifier l'émission d'un certificat de sécurité est trop minimale puisqu'il suffit d'avoir des motifs raisonnables de croire que les gestes décrits à l'article 34 sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Le critère des «motifs raisonnables» est généralement la norme retenue pour l'introduction de poursuites pour des gestes répréhensibles ainsi que pour l'exercice de pouvoirs préventifs ou d'enquête. Cette norme requiert plus que des soupçons et plus qu'une simple croyance subjective de la part de celui qui les invoque. L'existence des motifs raisonnables doit être établie objectivement, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances et avec les mêmes faits, en arriverait à la même croyance. La norme «des motifs raisonnables» appliquée aux faits délictuels passés ou en cours de réalisation n'est pas, selon la jurisprudence, une norme trop minimale ou trop faible. Elle est suffisante. Le juge désigné a eu raison de conclure qu'il doit s'agir d'une possibilité sérieuse que les faits puissent survenir et que cette possibilité sérieuse doit s'apprécier à partir d'éléments de preuve fiables et fondés. En l'espèce, il doit exister une possibilité réelle et sérieuse que les faits préjudiciables prévus aux articles 34 à 37 se produisent. La notion de «possibilité» étant ainsi définie et balisée, et son existence devant s'apprécier à partir de motifs raisonnables, la norme législative retenue pour une intervention préventive visant à protéger la sécurité nationale n'est pas abusive ni en violation des principes de justice fondamentale. En ce qui concerne l'argument selon lequel les notions de «motifs raisonnables» et de «danger pour la sécurité du Canada» sont des notions imprécises et de portée excessive, la Cour suprême du Canada a qualifié la norme des motifs raisonnables «d'importante mesure protectrice» et en a déterminé les paramètres.

        Quant à la notion de «danger pour la sécurité du Canada», la Cour suprême du Canada a conclu qu'elle n'était pas imprécise au point d'être inconstitutionnelle, qu'elle était difficile à définir et qu'il fallait interpréter l'expression d'une manière large et équitable et en conformité avec les normes internationales. La décision quant au caractère raisonnable du certificat de sécurité émis par les ministres est la résultante d'une décision judiciaire prise par un juge impartial et indépendant, au terme d'un processus qui rencontre les normes minimales de justice fondamentale. L'argument de l'appelant fondé sur les conséquences de l'interdiction de territoire et l'absence de droit d'appel de la décision judiciaire n'a pas d'impact sur la légalité du processus entourant le dépôt du certificat et son examen en Cour fédérale.

        La détention d'un résident permanent en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité émis contre lui n'est pas une mesure injustifiée lorsqu'il y a preuve d'un danger pour la sécurité nationale ou qu'il se soustraira aux procédures entreprises contre lui. La protection de la sécurité nationale n'est pas un caprice. Elle est une nécessité afin de protéger l'ordre social qui permet l'épanouissement et l'exercice de ces droits individuels que confère la Constitution. Cette nécessité de protéger la sécurité nationale peut justifier des dérogations au système ou au processus qui a normalement cours. Le processus mis en place pour l'examen de renseignements protégés rencontre les exigences minimales des principes de justice fondamentale.

        En ce qui concerne les autres questions connexes soulevées dans le cadre du présent appel, les dispositions relatives à la détention préventive de l'appelant, en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité, rencontrent les exigences de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits. Les motifs autorisant la détention sont sérieux et limités. Ils ont un lien étroit et direct avec les objectifs de la LIPR, l'obligation d'assurer la protection de la sécurité nationale et le droit du Parlement canadien de contrôler l'accès et le séjour au Canada de résidents permanents. Il y avait également la question de savoir si l'absence de droit d'appel ou de contrôle judiciaire des décisions quant au caractère raisonnable du certificat porte atteinte à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est acquis en jurisprudence que le droit d'appel est un droit conféré statutairement et qu'il n'existe pas en l'absence d'une disposition législative l'octroyant. Au plan constitutionnel, la compétence du législateur de consentir ou non un droit d'appel dans les matières relatives à l'immigration ne saurait être mise en doute. Enfin, l'argument de l'appelant selon lequel la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 77 et suivants de la LIPR contrevient aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civis et politiques, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales était sans aucun mérite. Sur les plans de l'égalité devant les tribunaux, de l'équité procédurale, de l'indépendance judiciaire ainsi que de l'impartialité des tribunaux, la Charte n'est en reste avec aucun des trois instruments internationaux mentionnés. Elle confère des droits et des garanties, à toutes fins pratiques, identiques. La procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 77 et suivants s'y conforme. Il en va donc de même pour les trois instruments internationaux.

        Le juge en chef Richard: Le Canada a un intérêt à la fois légitime et impérieux à protéger la sécurité nationale. La tâche du droit consiste à trouver des manières d'assurer la sécurité nationale sans porter indûment atteinte aux libertés individuelles. Afin de relever ce défi, le législateur a inséré des dispositions dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui exigent l'examen judiciaire du caractère raisonnable du certificat émis par les ministres et la protection des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Bien que la décision initiale quant à la retenue de renseignements confidentiels soit prise par les ministres, cette décision relève par la suite de la compétence du juge désigné, notamment la décision quant à savoir quels renseignements doivent figurer dans le résumé donné à la personne visée par le certificat de sécurité. Il revient au juge désigné et non pas aux ministres de trancher quant à la nécessité de ne pas divulguer des renseignements à la personne visée par le certificat. Par conséquent, le rôle de la magistrature comme interprète du droit et défenseur de la Constitution demeure inchangé. L'indépendance judiciaire de l'influence du gouvernement ainsi que d'autres sources, notamment l'opinion publique, est un droit constitutionnel de toute personne au Canada. En veillant à ce que les décisions concernant la retenue d'éléments de preuve et de renseignements soient prises par le juge désigné et non par les ministres, la Loi s'efforce de protéger les droits de la personne visée par le certificat tout en assurant le maintien de la sécurité nationale.

        Il est également important d'insister sur la tâche de l'avocat comparaissant au nom des ministres dans des procédures ex parte en vertu de l'article 78 de la Loi. L'avocat a l'obligation de présenter ses arguments au juge avec la bonne foi la plus absolue. Aucun renseignement pertinent ne peut être retenu. Le principe de la divulgation complète et fidèle dans les procédures ex parte est un principe de justice fondamental qui a été reconnu par la Cour suprême. L'avocat a l'obligation stricte de fournir tous les renseignements qui sont en sa possession, favorables et défavorables, qu'il croit ou non à leur pertinence. Il revient alors au juge désigné de décider si l'élément de preuve est pertinent.

lois et règlements cités

An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1689, 1 Will. & Mary, Sess. 2, ch. 2 (R.-U.).

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 9, 10, 11e), 15.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; ch. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16), 495 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 75), 506, 507(4), 512 (mod., idem, art. 82; L.C. 1997, ch. 18, art. 58), 524(1), 525(5), 679(6), 778.

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, art. 6(1), 13.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1, 2.

Déclaration universelle des droits de l'homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948, art. 10.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18(1), (3).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.4 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 33, 34, 35, 36, 37, 58(1)a), 76 «juge» (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), «renseignements», 77 (mod., idem), 78, 79 (mod., idem), 80, 81, 82, 83, 84, 85, 101(2)b), 112, 113d)(i),(ii), 115(2)a),b), 121(2).

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Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 900 à 920.

Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), règles 61, 69.

Special Immigration Appeals Commission Act 1997 (R.-U.), 1997, ch. 68, art. 6.

Special Immigration Appeals Commission (Procedure) Rules 2003, S.I. 2003/1034, art. 34, 35, 36.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; (2003), 231 D.L.R. (4th) 385; 4 Admin. L.R. (4th) 1; 28 C.C.E.L. (3d) 1; 310 N.R. 22; 2003 CSC 54; Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404; (1999), 68 C.R.R. (2d) 48; 157 F.T.R. 161; 3 Imm. L.R. (3d) 26; 242 N.R. 173 (C.A.); Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 341; (1999), 70 C.R.R. (2d) 133; 12 Imm. L.R. (3d) 12; 250 N.R. 385 (C.A.); Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] 3 W.L.R. 877 (H.L.); Kiareldeen v. Ashcroft, 273 F.3d 542 (3rd Cir. 2001); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

décisions examinées:

Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 451; (2003), 236 D.L.R. (4th) 91; 315 N.R. 1; 2003 CAF 407; Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528; (2003), 237 F.T.R. 143; 2003 CF 882; Baroud (Re) (1995), 98 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.); Suresh c. Canada (1996), 34 C.R.R. (2d) 337; 105 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 616; (1998), 149 F.T.R. 49; 47 Imm. L.R. (2d) 68 (1re inst.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 192; (1998), 55 C.R.R. (2d) 157; 47 Imm. L.R. (2d) 1; 229 N.R. 240 (C.A.); Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518; (1982), 139 D.L.R. (3d) 1; [1983] 1 C.N.L.R. 12; 44 N.R. 616; [1983] R.D.J. 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657; (2002), 224 D.L.R. (4th) 158; 26 Imm. L.R. (3d) 1; 305 N.R. 238; 2002 CAF 518; Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.); Zündel (Re), 2004 CAF 394; [2004] A.C.F. no 1982 (QL); Canada (Procureur général) c. Ribic (2003), 185 C.C.C. (3d) 129; 320 N.R. 275 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée; Chahal c. Royaune-Uni (1996), 23 E.H.R.R. 413; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; (2002), 219 D.L.R. (4th) 385; 49 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (4th) 289; 7 C.R. (6th) 88; 99 C.R.R. (2d) 324; 295 N.R. 353; 2002 CSC 75; Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 36 Imm. L.R. (3d) 1; 322 N.R. 2 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] S.C.C.A. no 354 (QL); Kiareldeen v. Reno, 71 F. Supp.2d 402 (D.N.J.1999); Kiareldeen v. Reno, 92 F. Supp.2d 403 (D.N.J. 2000); Ahani c. Canada (1996), 37 C.R.R. (2d) 181; 201 N.R. 233 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] 2 R.C.S. v; Terminiello v. Chicago, 337 U.S. 1 (1949); Maaouia c. France (39652/98), [2000] CEDH 453 (5 octobre 2000).

décisions citées:

R. c. Hynes, [2001] 3 R.C.S. 623; (2001), 208 Nfld. & P.E.I.R. 181; 206 D.L.R. (4th) 483; 159 C.C.C. (3d) 359; 47 C.R. (5th) 278; 88 C.R.R. (2d) 222; 278 N.R. 299; 2001 CSC 82; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 1 C.F. 828; (1997), 142 D.L.R. (4th) 270; 208 N.R. 21 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 1; 286 N.R. 358; 2002 CAF 20; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fast, 2002 CAF 292; [2002] A.C.F. no 1036 (QL); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; 2002 CSC 1; R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193; (2004), 235 D.L.R. (4th) 244; 180 C.C.C. (3d) 476; 17 C.R. (6th) 1; 316 N.R. 52; 184 O.A.C. 1; 2004 CSC 5; R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241; (1990), 53 C.C.C. (3d) 316; 75 C.R. (3d) 1; 47 C.R.R. 210; 105 N.R. 81; 37 O.A.C. 161; R. c. G. (B.), [1999] 2 R.C.S. 475; (1999), 174 D.L.R. (4th) 301; 135 C.C.C. (3d) 303; 24 C.R. (5th) 266; 63 C.R.R. (2d) 272; 240 N.R. 260; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; (1991), 64 C.C.C. (3d) 513; 5 C.R.R. (2d) 31; 5 M.P.L.R. (2d) 113; 128 N.R. 1; 39 Q.A.C. 241.

doctrine citée

Canada. Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport: La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1. Ottawa: Approvisionnements et Services Canada, 1981.

Nations Unies. Comité des droits de l'homme. Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Communication No. 1051/2002, NU CCPR, 80e session, 2004.

APPEL à l'encontre de la décision de la Cour fédérale ([2004] 3 R.C.F. 32; (2003), 253 F.T.R. 22; 38 Imm. L.R. (3d) 56; 2003 CF 1419) qui a rejeté une demande d'inconstitutionnalité des articles 33 et 77 à 85 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés faite par l'appelant. Appel rejeté.

ont comparu:

Johanne Doyon pour l'appelant.

Daniel Latulippe, J. Daniel Roussy et J. C. Luc Cadieux pour les intimés.

avocats inscrits au dossier:

Doyon, Morin, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Les juges Décary et Létourneau, J.C.A.: Par une décision élaborée de 77 pages, rendue le 5 décembre 2003, le juge Simon Noël de la Cour fédérale, siégeant à titre de juge désigné, rejetait la demande d'inconstitutionnalité des articles 33 et 77 à 85 [art. 77 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 79 (mod., idem)] de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) faite par l'appelant [[2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.)]. C'est cette décision qui fait maintenant l'objet du présent appel.*

La législation

[2]Nous reproduisons les dispositions législatives pertinentes à l'analyse du présent appel [art. 76 «juge» (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194)]:

33. Les faits--actes ou omissions--mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants:

a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;

b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

    Examen à la demande du ministre et du

solliciteur général

76. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section.

«juge» Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette juridiction désigné par celui-ci.

«renseignements» Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

a) le juge entend l'affaire;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.

79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).

(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

    Détention

82. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent lancer un mandat pour l'arrestation et la mise en détention du résident permanent visé au certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

(2) L'étranger nommé au certificat est mis en détention sans nécessité de mandat.

83. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l'article 78 s'appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.

(2) Tant qu'il n'est pas statué sur le certificat, l'intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.

(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

84. (1) Le ministre peut, sur demande, mettre le résident permanent ou l'étranger en liberté s'il veut quitter le Canada.

(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

85. Les articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6.

Les questions en litige

[3]Devant le juge désigné, l'appelant a soulevé une pléthore de questions constitutionnelles, en fait pas moins de 40 questions. Il a allégué une violation:

a) des articles 7, 9, 10, 15 et de l'alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (Charte);

b) de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, maintenant la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]];

c) des articles 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III (Déclaration canadienne);

d) des règles de common law;

e) du Bill of Rights du Royaume-Uni de 1689, dont le titre est An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1 Will. & Mary, Sess. 2, ch. 2 (R.-U.);

f) du paragraphe 14(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (Pacte); et

g) de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 [Ré AG 217 A (III), Doc. off. AGNU, 10 décembre 1948] (Déclaration universelle).

[4]Comme le dit si bien le proverbe, «Qui trop embrasse mal étreint». La position de l'appelant devant le juge désigné, qui a dû demander des précisions quant aux questions constitutionnelles, s'y est caractérisée par des énonciations vertueuses de principes de portée générale, au «focus» diffus, souvent sans égard aux impacts qu'elle engendre, aux faits de l'espèce, et sans véritable effort de conciliation des intérêts individuels et collectifs divergents. Alors que l'appelant reproche principalement au juge désigné d'avoir trop mis l'accent sur la sécurité nationale et ainsi d'avoir indûment privilégié les intérêts de la collectivité, il n'est pas exagéré de dire que la position de l'appelant ignore complètement la question de la sécurité nationale. Aussi, par exemple, l'appelant revendique-t-il, dans les procédures relatives au certificat de sécurité émis contre lui, un droit d'accès à toute l'information pertinente, y compris celle pouvant porter préjudice à la sécurité nationale, de même que le droit d'être présent et de participer en tout temps aux audiences qui le concernent, même lorsqu'y sont discutés des éléments de preuve mettant en cause la sécurité nationale à l'égard de laquelle on croit qu'il est une menace. De là ses multiples attaques constitutionnelles visant plusieurs articles de la LIPR tant à partir d'instruments nationaux qu'internationaux protégeant et promouvant les droits de la personne.

[5]L'appelant a essentiellement repris devant nous les arguments qu'il a soulevés devant le juge désigné, se contentant souvent dans son mémoire des faits et du droit de faire un renvoi à ses prétentions faites devant le juge désigné.

[6]Dans un effort de synthèse, les intimés, à l'instar du juge désigné, ont regroupé la position de l'appelant ainsi que la leur autour des huit questions suivantes que, sauf une, nous avons l'intention d'analyser afin de disposer du présent appel:

1) Le juge désigné a-t-il compétence pour examiner les questions constitutionnelles soulevées dans le cadre de la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 à 85 de la LIPR?

2) Est-ce que les articles 77 et 78 de la LIPR portent atteinte aux droits garantis par la Charte quant au droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, notamment par le fait que le juge désigné doit trancher le «caractère raisonnable» du certificat de sécurité émis par les ministres et non le fond de l'affaire?

3) Est-ce que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 et suivants de la LIPR porte atteinte au statut de résident permanent de l'appelant et assure-t-elle un traitement égal à tous les résidents permanents déclarés inadmissibles pour raisons de sécurité?

4) Est-ce que les dispositions de la LIPR prévoyant la détention de la personne en cause pendant l'examen judiciaire du certificat de sécurité sont conformes à la Charte et à la Déclaration canadienne?

5) Est-ce que les termes «motifs raisonnables de croire» et «danger pour la sécurité du Canada» utilisés à l'article 33 et au paragraphe 34(1) de la LIPR sont imprécis ou de portée excessive ou discriminatoire?

6) Est-ce que le caractère public du certificat de sécurité des ministres déposé en Cour fédérale porte atteinte à la Charte dans la mesure où il empêcherait un retour sans risque de la personne dans son pays d'origine?

7) Est-ce que l'absence de droit d'appel ou de contrôle judiciaire des décisions quant au caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi (article 112 de la LIPR) porte atteinte à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867? et

8) Est-ce que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 à 85 de la LIPR respecte les obligations internationales du Canada, notamment eu égard à l'alinéa 3(3)f) de la LIPR et au Pacte?

[7]À l'audience, la procureure de l'appelant a indiqué qu'elle abandonnait le motif d'appel que l'on retrouve à la question 6. Celui-ci concerne l'atteinte à la vie et à la sécurité de l'appelant résultant, selon ce qui est allégué, du fait que le certificat de sécurité est rendu public par son dépôt à la Cour fédérale. Nous ne traiterons donc pas de ce motif.

[8]En passant ainsi d'une pléthore à une synthèse des questions constitutionnelles en litige, nous croyons qu'aucun aspect des prétentions de l'appelant n'a été omis. De fait, l'audition devant notre Cour a porté sur ces points ainsi regroupés.

Les faits et la procédure

[9]L'appelant, M. Adil Charkaoui, est un résident permanent du Canada depuis 1995, en attente de sa citoyenneté canadienne. Le 21 mai 2003, il est mis sous arrêt et en détention. Le mandat d'arrêt est émis en vertu de l'article 82 de la LIPR, suite à un certificat de sécurité déposé à la Cour fédérale le même jour selon l'article 77 de cette même Loi.

[10]Le certificat de sécurité est signé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que par le solliciteur général du Canada. Il atteste que l'appelant est interdit de territoire pour des raisons de sécurité au sens des articles 33, 34 et 77 de la LIPR.

[11]L'appelant est détenu depuis cette date. Le mérite de sa détention a été révisé à trois reprises tel que l'exige le principe de révision continue contenu à l'article 83 de la LIPR: sur le caractère continu de la révision, voir Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 451 (C.A.F.).

[12]Faisant trêve de détails, il suffit de dire que les intimés ont des motifs raisonnables de croire que l'appelant est membre de l'organisation terroriste d'Oussama ben Laden et qu'il se livre, s'est livré ou se livrera à des activités terroristes. Par dépôt du certificat de sécurité à la Cour fédérale, les ministres ont demandé à un juge désigné de cette Cour de tenir une audience afin de décider du caractère raisonnable du certificat. Les articles 76 à 81 de la LIPR décrivent le cheminement du processus judiciaire qui s'ensuit ainsi que les pouvoirs et devoirs du juge désigné.

[13]Après révision du matériel fourni par les ministres, le juge désigné a conclu que la demande dont il était saisi de tenir une audience en l'absence de l'autre partie (ex parte) et en privé (in camera) était justifiée par des questions de sécurité nationale. L'audience fut donc tenue en l'absence de l'appelant et de ses avocats conformément aux alinéas 78d) et e) de la LIPR.

[14]Suite à cette audience, plus précisément le 26 mai 2003, tel que requis par les alinéas 78g) et h) de la LIPR, le juge désigné a transmis à l'appelant des renseignements dont la divulgation ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui.

[15]Une nouvelle audience fut tenue au début de juillet 2003, à laquelle l'appelant fit entendre des témoins et déposa des preuves par affidavit. Quelques jours plus tard, une nouvelle audience eut lieu en l'absence de l'appelant et de ses avocats. Il va sans dire que ceux-ci se sont objectés à chacune de ces audiences tenues en leur absence.

[16]Dans une ordonnance du 15 juillet 2003 [[2004] 1 R.C.F. (C.F.)], le juge désigné a fait part à l'appelant de ses préoccupations découlant de l'examen des renseignements qu'il avait reçus, et ce, afin de lui permettre d'y répondre. À ce jour, l'appelant n'a pas daigné le faire. Plus précisément, le juge désigné aurait aimé recevoir de l'appelant des éclaircissements sur ses contacts avec certains individus et des informations sur sa vie au Maroc de 1992 à 1995 ainsi qu'au Canada de 1995 à 2000, y compris ses voyages. Enfin, il invitait l'appelant à fournir des précisions sur son voyage au Pakistan de février à juillet 1998.

[17]En raison des fluctuations possibles en matière de sécurité nationale et de la découverte de nouveaux renseignements, le juge désigné a adopté une politique de communication continue de la preuve et des renseignements à l'appelant. C'est pourquoi, le 17 juillet 2003, il a permis que des renseignements jusqu'alors protégés soient remis à l'appelant. Ceux-ci informaient ce dernier que M. Abou Zubaida, qualifié de proche collaborateur d'Oussama ben Laden, l'avait reconnu sur une photographie et désigné comme une personne qu'il avait vue en Afghanistan en 1993 et en 1997-1998.

[18]Le 14 août 2003, d'autres renseignements protégés furent transmis à l'appelant avec l'autorisation du juge désigné. Tout d'abord, la photographie que M. Abou Zubaida a visionnée pour fins d'identification fut remise à l'appelant le 17 juillet 2003. Ensuite, on l'informa que M. Ahmed Ressam l'avait aussi reconnu sur deux photos, tout en ajoutant qu'il l'avait rencontré en Afghanistan à l'été 1998 alors que tous les deux s'entraînaient dans le même camp. M. Ressam a identifié l'appelant sous le nom de Zubeir Al-Maghrebi, exactement comme l'avait fait M. Abou Zubaida, un mois auparavant, à la vue de la photographie de l'appelant.

[19]La demande de déclaration d'inconstitutionnalité de l'appelant est d'abord apparue dans le contexte d'une demande pour sa remise en liberté faite le 2 juillet 2003: voir le Dossier d'appel, vol. 5, à la page 913. Un avis de questions constitutionnelles conformément à la règle 69 des Règles de la Cour fédérale, [DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2) ] fut signé le 17 septembre 2003 et signifié aux parties concernées. La portée du débat constitutionnel s'en trouvait quelque peu élargie puisqu'on ajoutait les articles 33, 84 et 85 [de la LIPR] à la liste de ceux déjà indiqués, soit 77 à 83: voir le Dossier d'appel, vol. 6, aux pages 1169 à 1174.

[20]C'est donc dans le contexte particulier d'une requête portant sur la détention qu'une demande élargie de déclaration d'inconstitutionnalité du processus de détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité fut soumise au juge désigné.

Analyse de la décision et des questions en litige

1.     Le juge désigné a-t-il compétence pour examiner les questions constitutionnelles soulevées dans le cadre de la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 à 85 de la LIPR?

La compétence du juge désigné et la procédure appropriée

[21]Les intimés soutiennent que le juge désigné en vertu de l'article 76 de la LIPR pour contrôler les motifs de la détention n'a pas compétence pour décider de la validité constitutionnelle de certaines des dispositions de cette Loi. Ils s'appuient sur la jurisprudence établie eu égard à l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle qu'amendée, (l'ancienne Loi) et plaident que cette jurisprudence survit aux changements apportés par la LIPR. Ils soutiennent, de manière ancillaire, que si le juge désigné avait compétence, il ne l'a pas exercée dans le cadre de la procédure appropriée. Ils nous demandent d'annuler la décision attaquée et d'ordonner que l'affaire soit entendue de nouveau par un autre juge dans le cadre d'un dossier distinct qui prendrait la forme d'une action en déclaration d'inconstitutionnalité.

[22]Il sera utile, pour mieux comprendre la comparaison avec l'ancienne Loi, d'en reproduire les extraits pertinents [art. 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31)]:

40.1 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, s'ils sont d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu'une personne qui n'est ni citoyen canadien ni résident permanent appartiendrait à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f) g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii), signer et remettre une attestation à cet effet à un agent d'immigration, un agent principal ou un arbitre.

    [. . .]

(3) En cas de remise de l'attestation prévue au paragraphe (1), le ministre est tenu:

a) d'une part, d'en transmettre sans délai un double à la Cour fédérale pour qu'il soit décidé si l'attestation doit être annulée;

b) d'autre part, dans les trois jours suivant la remise, d'envoyer un avis à l'intéressé l'informant de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à la Cour fédérale, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion.

(4) Lorsque la Cour fédérale est saisie de l'attestation, le juge en chef de celle-ci ou le juge de celle-ci qu'il délègue pour l'application du présent article:

a) examine dans les sept jours, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance et recueille les autre éléments de preuve ou d'information présentés par ces derniers ou en leur nom; il peut en outre, à la demande du ministre ou du solliciteur général, recueillir tout ou partie de ces éléments en l'absence de l'intéressé et du conseiller la représentant, lorsque, à son avis, leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

b) fournit à l'intéressé un résumé des informations dont il dispose, à l'exception de celles dont la communication pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, afin de permettre à celui-ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation;

c) donne à l'intéressé la possibilité d'être entendu;

d) décide si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition, et, dans le cas contraire, annule l'attestation;

e) avise le ministre, le solliciteur général et l'intéressé de la décision rendue aux termes de l'alinéa d).

[. . .]

(6) La décision visée à l'alinéa (4)d) ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal.

(7) Toute attestation qui n'est pas annulée en application de l'alinéa (4)d) établit de façon concluante le fait que la personne qui y est nommée appartient à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) et l'intéressé doit, par dérogation aux articles 23 ou 103 mais sous réserve du paragraphe (7.1), continuer d'être retenu jusqu'à son renvoi du Canada.

(7.1) Le ministre peut ordonner la mise en liberté de la personne nommée dans l'attestation afin de lui permettre de quitter le Canada, que la décision visée à l'alinéa (4)d) ait ou non été rendue.

(8) La personne retenue en vertu du paragraphe (7) peut, si elle n'est pas renvoyée du Canada dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi, demander au juge en chef de la Cour fédérale ou au juge de cette cour qu'il délègue pour l'application du présent article de rendre l'ordonnance visée au paragraphe (9).

(9) Sur présentation de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué ordonne, aux conditions qu'il estime indiquées, que l'intéressé soit mis en liberté s'il estime que:

a) d'une part, il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable;

b) d'autre part, sa mise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

a) la compétence

[23]La jurisprudence rendue sous l'ancienne Loi établit que le juge désigné (alors dit juge délégué) n'avait pas compétence pour trancher des questions constitutionnelles dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du certificat (alors dit attestation), mais qu'il avait cette compétence dans le cadre du contrôle des motifs de la détention.

[24]Dans Baroud (Re) (1995), 98 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23, le juge Denault, qui était le juge délégué, a conclu que son seul rôle consistait non pas à

[. . .] décider si le ministre et le solliciteur général ont bien évalué la preuve qui leur a été soumise, mais plutôt, conformément à l'alinéa 40.1(4)d), à décider si l'attestation de sécurité est raisonnable à la lumière des éléments de preuve et d'information dont je dispose.

Il ajoutait:

J'ai l'obligation d'appliquer la loi pertinente et, dans le contexte de la présente audience, il ne m'appartient pas de décider si la disposition en cause est contraire aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Il notait [à la note 7], sur ce dernier point, que

L'intimé a intenté une action devant la présente Cour pour contester la constitutionnalité, l'applicabilité et la force opérante de l'article 40.1 de la Loi.

[25]Dans Suresh c. Canada (1996), 34 C.R.R. (2d) 337 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen, qui n'était pas le juge délégué, était saisi d'une requête visant à reconnaître au juge délégué la compétence de considérer des arguments relatifs à la constitutionnalité de l'ancienne Loi. Il a rejeté la requête et conclu comme suit, aux paragraphes 13 et 14:

S'il reconnaît les principes énoncés dans les affaires susmentionnées, l'argument du requérant s'appuie sur l'hypothèse que le juge délégué est un tribunal compétent pour trancher les questions relatives à la Charte. Si le juge délégué n'est pas compétent pour trancher ces questions, l'absence de droit d'appel n'a pas d'importance. Selon moi, l'absence de droit d'appel trouve sa prémisse dans l'hypothèse que le juge délégué n'est pas compétent à cet égard. C'est là une autre indication que le Parlement avait l'intention que le juge délégué détermine uniquement le caractère raisonnable de l'attestation en fonction des éléments de preuve dont il dispose. Les questions relatives aux infractions à la Charte exigent une norme de preuve beaucoup plus élevée et sont incompatibles avec la simple évaluation du caractère raisonnable d'une décision.

En résumé, la formulation limpide de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration est incompatible avec un examen approfondi en vertu de la Charte, et je conclus que le juge délégué chargé de l'examen d'une attestation n'est pas compétent pour entendre les arguments et pour accorder des réparations en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[26]Dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 616 (1re inst.), le juge Rothstein (tel était alors son titre), siégeant alors en première instance, qui n'était pas le juge délégué, était saisi, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire instituée parallèlement à la demande d'examen de l'attestation, d'une demande de mesures provisoires visant la remise en liberté du demandeur. Le juge note, au paragraphe 7 de ses motifs, que c'est en raison de l'absence de compétence du juge délégué que le demandeur se dit obligé d'introduire une demande de contrôle judiciaire distincte, afin que puissent être examinées les questions constitutionnelles. Ayant rejeté la demande de mesures provisoires au motif que la balance des inconvénients penchait en faveur des ministres, le juge Rothstein s'est abstenu de trancher les questions de compétence et de procédure dont il était saisi. Il a cependant émis l'opinion qui suit, au paragraphe 9, en remarque incidente:

D'emblée, il m'aurait semblé que la contestation d'une loi au motif qu'elle est inconstitutionnelle doit être introduite sous la forme d'une action, comme on l'a fait dans Ahani (précité). Toutefois, dans la présente affaire, le demandeur s'attaque aussi à la constitutionnalité de l'attestation des ministres. Je note aussi les remarques incidentes du juge Bastarache dans la décision récente de la Cour suprême du Canada, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] A.C.S. no 31 (QL), dans laquelle il parle d'un avis de requête visant l'obtention d'une injonction autonome. Alors que cette question de procédure exige une analyse approfondie, les plaidoiries dans la présente affaire en ont fort peu traité. Les parties n'ont pas abordé la pertinence de Canadian Liberty Net (précité), s'il en est. Étant donné que j'ai décidé de rejeter la demande de mesures provisoires au motif que la balance des inconvénients est en faveur des ministres, une analyse aussi détaillée est inutile. Je vais considérer que la procédure adoptée pour demander les mesures provisoires à cette Cour est appropriée.

Il refusait par ailleurs de décider si, dans l'hypothèse où la question de la validité constitutionnelle devait nécessairement être introduite devant la Cour fédérale sous forme d'action, il pouvait ordonner, en vertu de l'article 18.4 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], que la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi puisse être instruite comme s'il s'agissait d'une action.

[27]Notre Cour s'est penchée, dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 192 (C.A.) (un appel non relié à la décision du juge Cullen), sur la question de savoir si le juge délégué, dans le cadre du contrôle des motifs de la détention, avait compétence pour trancher des questions constitutionnelles. Le juge délégué, en application du paragraphe 40.1(9) de l'ancienne Loi, avait ordonné la remise en liberté de Suresh à certaines conditions. La question précise dont était saisie la Cour d'appel était «d'examiner si un juge délégué [. . .] a compétence pour entendre les questions constitutionnelles découlant d'une ordonnance que lui-même a rendue en application du paragraphe 40.1(9)» (au paragraphe 1). Suresh prétendait que certaines conditions imposées par le juge délégué portaient atteinte à la liberté d'expression et d'association protégée par la Charte.

[28]Le juge McDonald, au nom de la Cour, s'est dit, au paragraphe 9:

[. . .] convaincu que la Loi ne comporte aucune disposition déniant au juge délégué la compétence pour connaître des questions constitutionnelles relatives à une demande fondée sur le paragraphe 40.1(8).

et ajoutait que

quoi qu'il en soit, les précédents cités par l'appelant [Baroud, Suresh et Singh] comme posant que le juge délégué ne peut connaître des questions constitutionnelles portent sur des faits n'ayant aucun rapport avec les faits de la cause en instance.

[29]S'employant ensuite à distinguer dans les faits les affaires Baroud et Suresh, le juge McDonald souligne que dans l'affaire Suresh, au paragraphe 11:

[. . .] l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi n[`]habilitait [le juge] qu'à examiner si l'attestation était raisonnable, il ne pouvait donc connaître des questions constitutionnelles.

Il ajoutait, aux paragraphes 12 et 13:

J'estime qu'un facteur primordial qui présidait à la décision du juge Cullen dans Suresh était que le paragraphe 40.1(6) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.) ch. 29, art. 4] de la Loi prévoit que la décision rendue sous le régime de l'alinéa 40.1(4)d) est sans appel. Rien de tel n'est prévu à l'égard de la décision rendue en application du paragraphe 40.1(8) de la Loi. Qui plus est, il y avait dans Suresh comme dans Baroud remise en question de toute une disposition de la Loi (par exemple les divisions 19(1)e)(iv)(C) et 19(1)f)(iii)(B) dans Suresh), alors qu'en l'espèce, est seule en cause la constitutionnalité des conditions de l'ordonnance rendue par le juge délégué. On peut donc distinguer l'affaire en instance des causes citées, en ce qu'elles se rapportaient à une autre disposition de la Loi qui exclut le droit d'appel et qu'elles portaient sur des points litigieux entièrement différents.

Je conclus donc que le juge délégué en application du paragraphe 40.1(8) de la Loi a compétence pour connaître des arguments tirés de la Charte sur la constitutionnalité des conditions de l'ordonnance rendue sous le régime du paragraphe 40.1(9). De fait, il est tenu d'en considérer la constitutionnalité. À la différence de la procédure visée au paragraphe 40.1(4), il dispose au départ du moyen de redressement, savoir la juste formulation des conditions de remise en liberté selon les circonstances. [Note en bas de page omise.]

[30]Notre Cour a donc conclu, dans Suresh, en remarque incidente, que le juge délégué avait compétence pour trancher des questions constitutionnelles dans le cadre de son contrôle des motifs de la détention, mais elle fondait cette conclusion, en grande partie, sur le fait que la décision du juge délégué à cet égard était susceptible d'appel.

[31]Qu'en est-il en vertu de la LIPR?

[32]Notre Cour a décidé, dans Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451 (C.A.F.), que la décision du juge désigné relativement au contrôle des motifs de la détention n'était pas susceptible d'appel en vertu de la LIPR. Il s'ensuit que la remarque incidente du juge McDonald, dans Suresh, ne peut plus asseoir la compétence du juge désigné. Il faut chercher ailleurs la solution.

[33]Le juge désigné en l'espèce (le juge Simon Noël) rappelle à juste titre qu'à défaut d'attribution expresse de compétence, le législateur peut, par la fonction du tribunal judiciaire en cause et par la structure, les pouvoirs et les mécanismes dont l'a doté le Parlement, avoir implicitement conféré la compétence d'accorder le redressement recherché en vertu de la Charte (voir R. c. Hynes, [2001] 3 R.C.S. 623, à la page 641).

[34]Le juge Noël a conclu que la LIPR reconnaît implicitement au juge désigné la compétence que ne lui reconnaissait pas l'ancienne Loi. Il s'appuie principalement, pour en arriver à cette conclusion, sur l'alinéa 3(3)d) de la LIPR, qui prévoit que «L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet [. . .] d'assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte», ainsi que sur le texte anglais de l'alinéa 78c) de la LIPR qui prescrit que le juge «shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit».

[35]Avec égards, nous ne croyons pas que ces dispositions modifient la compétence du juge désigné pour les fins qui nous concernent ici. L'alinéa 3(3)d) est une clause de style qui vaut à l'égard de toutes les personnes qui sont appelées par la LIPR à rendre des décisions, qu'il s'agisse de l'agent de visa, de la Section de l'immigration, de la Section de la protection des réfugiés, du ministre, du juge désigné, du juge siégeant en contrôle judiciaire ou de la Cour d'appel fédérale. Cet alinéa n'attribue aucune compétence nouvelle.

[36]Le texte anglais de l'alinéa 78c) ne confère lui non plus aucune compétence nouvelle. Il vise la forme de l'audition, et rien de plus. Le texte français est clair. Quant au texte anglais, nous reconnaissons que l'emploi des mots «determination», dans la phrase liminaire de l'article 78, et «matter» dans l'alinéa 78a), pour rendre le mot «affaire» employé à chaque occasion dans le texte français, ainsi que l'emploi des mots «all matters», dans le texte anglais de l'alinéa 78c), qui n'ont pas d'équivalent dans le texte français, ne sont pas des plus heureux, mais leur sens, à notre avis, ne fait aucun doute: le juge désigné entend l'affaire--ce qui comprend les questions ancillaires de preuve et de procédure--sans formalisme et de façon expéditive.

[37]Nous notons aussi que le texte anglais de l'alinéa c) emploie le mot «deal», qui est rendu par «procède» dans le texte français, ce qui confirme, selon nous, que l'article 78 vise la procédure et non la compétence. C'est plus loin, aux articles 80 et 83, qu'est établie la compétence du juge désigné.

[38]Finalement, le type de procédure informelle qu'envisage l'alinéa 78c) est incompatible avec le type de procédure qui permet à une Cour de trancher des questions constitutionnelles.

[39]Nous en arrivons cependant à la même conclusion que le juge Noël, mais par un cheminement quelque peu différent. Nos motifs sont reliés au concept de juge désigné, à la reconnaissance récente de la compétence d'un juge désigné de rendre certaines décisions susceptibles d'appel et à des changements législatifs.

[40]Un mot, d'abord, sur le concept de «juge désigné» que le juge Noël a bien fait de dépoussiérer. Ce concept nous paraît avoir été déformé par la jurisprudence, principalement pour cette croyance erronée--sur laquelle nous reviendrons--que sa décision ultime étant dite non susceptible d'appel, le juge désigné ne pouvait avoir d'autres pouvoirs décisionnels que ceux intimement associés au mandat restreint qui lui était confié en tant que juge désigné. Quand on remonte à l'origine du concept comme l'a fait le juge Noël aux paragraphes 35 et 36 de ses motifs, on constate que le but recherché par le législateur n'était pas de faire du «juge désigné» un juge de second rang investi de moins de pouvoirs qu'un juge non désigné, mais d'assurer la présence de juges suffisamment avertis pour entendre les affaires relatives à la sécurité nationale. La spécialisation du juge désigné a fait en sorte, au fil des ans, que son expertise en tant que juge généraliste a été mise en veilleuse, ce qui est une erreur: c'est une valeur ajoutée, pour un juge de la Cour fédérale, que d'être un juge désigné et son expertise générale en tant que juge est rehaussée plutôt que diminuée par sa spécialisation en tant que juge désigné. Ainsi que le rappelle le juge Noël aux paragraphes 37 et 39 de ses motifs,

Il est important de souligner que la procédure de désignation établie dans ces dispositions n'a pas pour but de limiter les pouvoirs du juge. En effet, le juge désigné exerce ses fonctions ordinaires de juge puîné. Ce ne sont que les circonstances dans lesquelles il exerce ses fonctions qui sont exceptionnelles, en ce sens qu'elles ont trait à la sécurité nationale.

    [. . .]

En somme, le juge désigné possède toute la compétence d'un juge de la Cour fédérale et possède également une compétence qui lui est spécifiquement accordée en vertu de l'article 76 et suivants de la LIPR. Lorsqu'il entend des dossiers d'immigration, le juge désigné ne perd donc pas son statut de juge de la Cour fédérale; il conserve tous ses pouvoirs et possède de surcroît ceux qui découlent du fait d'être un juge désigné.

[41]D'ailleurs, l'expression «juge désigné» est trompeuse dans la mesure où elle masque le fait que c'est d'un représentant du juge en chef dont il s'agit (voir l'article 76) et le fait qu'en définitive, c'est la Cour, et non le juge, qui rend la décision. Ainsi que le dit le paragraphe 77(1), les ministres déposent le certificat à la Cour fédérale «pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80» («refer it to the Federal Court, which shall make a determination under section 80») (notre soulignement). Le Parlement a ainsi voulu que ce soit la Cour, à son plus haut niveau hiérarchique par surcroît, qui soit saisie de questions reliées à la sécurité nationale.

[42]En redonnant au juge désigné ses lettres de noblesse, le juge Noël et nous-mêmes ne faisons que revenir à ces propos du juge Dickson [tel était alors son titre], dans Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518, à la page 527, une affaire où la Cour suprême du Canada avait fait volte-face et évacué du vocabulaire juridique le concept de «persona designata»:

[. . .] je déclare que chaque fois qu'une loi confère un pouvoir à un juge ou à un fonctionnaire d'une cour visée à l'art. 96 [de l'AANB], il doit être considéré comme un pouvoir qui peut être exercé par ce juge ou ce fonctionnaire en sa qualité officielle de représentant de la cour, à moins d'une disposition expresse en sens contraire.

[43]Un mot, ensuite, sur le pouvoir maintenant reconnu d'un juge désigné de rendre certaines décisions qui sont susceptibles d'appel. Une des prémisses des juges Denault, Cullen et McDonald, J.C.A. dans les affaires précitées était qu'un juge délégué ne pouvait rendre que la décision ultime qu'il avait le mandat spécifique de rendre, soit celle portant sur le caractère raisonnable de l'attestation. Il était en effet courant, à cette époque, de restreindre la compétence du juge délégué et de dire que, puisque sa décision en ce qui a trait à l'attestation était sans appel, il ne pouvait rendre aucune autre décision qui serait, elle, susceptible d'appel.

[44]Cette façon de voir s'expliquait vraisembla-blement par l'analogie qui était faite avec la jurisprudence portant sur les affaires de révocation de citoyenneté. En effet, en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, la Cour fédérale était appelée à décider s'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels lors de l'admission d'une personne au Canada, et la décision de la Cour, selon le paragraphe 18(3), était définitive et non susceptible d'appel. En vertu des Règles 900 et suivantes des Règles de la Cour fédérale qui étaient alors en vigueur [C.R.C., ch. 663] et qui prescrivaient une procédure particulière relativement aux appels en matière de citoyenneté, la pratique de la Cour était de désigner un juge, dit juge du renvoi, pour entendre l'appel.

[45]Cette interprétation restrictive de la compétence du juge de renvoi s'est avérée, avec le temps, erronée. C'est l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, en 1997, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, qui a donné le coup d'envoi d'une interprétation plus réaliste du paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté. Une requête en suspension des procédures avait été présentée à un juge autre que le juge du renvoi. La requête fut accueillie et les procédures furent suspendues. Le ministre a porté la décision en appel devant la Cour d'appel fédérale [[1997] 1 C.F. 828], mais les procureurs de Tobiass ont demandé l'annulation de l'appel pour défaut de compétence. À leur avis, le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté mettait la décision suspendant les procédures à l'abri de tout appel. La Cour d'appel, à la majorité, a rejeté la requête et reconnu sa compétence. La Cour suprême du Canada a confirmé l'existence du droit d'appel en ces termes, aux paragraphes 51, 57, 58 et 66:

Cette conclusion découle du libellé de l'art. 18. Le paragraphe 18(1) renvoie à un genre très particulier de décision: il s'agit de décider si une personne a acquis, conservé ou répudié la citoyenneté ou a été réintégrée dans celle-ci par des moyens frauduleux. Cependant, la suspension des procédures est ordonnée pour des motifs qui n'ont absolument rien à voir avec l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté ni avec la réintégration dans celle-ci. En effet, la décision d'ordonner (ou de ne pas ordonner) la suspension des procédures diffère du genre de décision que la cour est appelée à rendre sous le régime du par. 18(1).

    [. . .]

Cependant, que le par. 18(1) soit interprété de façon stricte de manière à viser seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, ou de façon plus libérale afin d'englober les jugements interlocutoires se rapportant à cette décision qui sont rendus dans le cadre d'une audience visée par le par. 18(1), il est manifeste qu'il ne comprend pas une ordonnance accordant ou refusant la suspension des procédures.

Contrairement aux jugements interlocutoires, la suspension des procédures ne sera pas prononcée afin de trancher plus efficacement la question ultime de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux. L'ordonnance qui suspend les procédures n'est donc pas liée à cette décision ultime.

    [. . .]

Le pouvoir d'ordonner la suspension des procédures ne découle pas nécessairement du pouvoir de décider si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux prévu au par. 18(1). Au contraire, c'est un pouvoir qui non seulement a pour origine une disposition législative différente (l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale) mais n'a pas de rapport avec le pouvoir visé au par. 18(1). Pour reprendre les termes du juge en chef Lamer dans l'arrêt Hinse, c'est un «acte judiciaire distinct et divisible» (p. 626).

[46]Depuis Tobiass, notre Cour a reconnu le droit d'en appeler d'autres types de décisions rendues dans le cadre d'un renvoi. Ainsi, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657 (C.A.), la Cour a décidé, aux paragraphes 35 et 37 qu'un jugement relatif à la possibilité de procéder par jugement sommaire était susceptible d'appel:

Or, lorsque l'on regarde le but et l'objectif des paragraphes 18(1) et 18(3), il m'apparaît que la décision qui n'est pas susceptible d'appel est la décision rendue par le juge saisi de toute l'affaire qui détermine, à la lumière de tous les faits, s'il y a eu ou non manoeuvre dolosive. En l'espèce, la décision prise par la juge des requêtes n'est pas une décision rendue sur l'affaire dont est saisi le juge de renvoi, à savoir une décision sur l'existence ou non d'une manoeuvre dolosive.

    [. . .]

Je suis également d'avis qu'une décision sur la portée et les critères d'application de la procédure de jugement sommaire s'apparente à une décision ordonnant une suspension d'instance qui, elle, n'est pas couverte par l'interdiction d'appel prévue au paragraphe 18(3): voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 57. Les deux décisions sont de nature procédurale. L'une, la suspension d'instance, vise à mettre un terme aux procédures, l'autre, la procédure de jugement sommaire, vise soit à y mettre un terme, soit à en abréger la durée en mettant un terme à une partie. Mais en aucun temps, la décision sur le bien-fondé de recourir à l'un ou l'autre de ces véhicules procéduraux ne touche ou ne porte atteinte à la question dont la Section de première instance est saisie en vertu du paragraphe 18(1), soit la détermination que l'intimé a ou non obtenu par fraude ou fausses représentations son entrée au Canada.

[47]Le juge Marc Noël, dans Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.), a décidé qu'une décision portant sur la partialité d'un juge n'était pas visée par le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté et était susceptible d'appel. (Voir, aussi, les décisions du juge Stone, J.C.A., dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 1 (C.A.F.) et du juge Isaac, J.C.A. [tel était alors son titre], dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fast, 2002 CAF 292; [2002] A.C.F. no 1036 (QL), qui s'interrogent sur la portée du paragraphe 18(3).) Cette Cour, dans Zündel (Re), 2004 CAF 394; [2004] A.C.F. no 1982 (QL), vient de décider qu'une décision portant sur la partialité d'un juge n'était pas visée par le paragraphe 80(3) de la LIPR.

[48]Si l'on accepte que le juge désigné puisse, dans l'exercice des pouvoirs conférés par les articles 80 et 83 de la LIPR, rendre des décisions susceptibles d'appel, sa compétence de les rendre ne devrait donc plus être remise en question. Or, il nous semble évident qu'une décision portant sur la constitutionnalité de la LIPR porte sur la juridiction de la Cour et non pas sur le caractère raisonnable du certificat, qu'elle constitue un acte judiciaire distinct et divisible, pour reprendre les mots de la Cour cités dans Tobiass et qu'elle est, en conséquence, susceptible d'appel.

[49]Un mot, enfin, sur les changements législatifs. Sous l'ancienne Loi, le juge délégué se voyait confier deux mandats spécifiques: celui d'examiner le caractère raisonnable de l'attestation et celui d'ordonner, dans les circonstances décrites au paragraphe 40.1(9), la mise en liberté. La LIPR confie au juge désigné un troisième mandat, celui de décider de la «légalité» de la décision du ministre relativement à la demande de protection qui aurait été déposée en vertu du paragraphe 112(1). Ce mandat additionnel se retrouve à l'article 80, ce même article qui confie au juge désigné le mandat d'examiner le caractère raisonnable du certificat. Qui dit légalité dit questions de droit, et selon l'enseignement récent de la Cour suprême du Canada, qui dit questions de droit suppose questions constitutionnelles (Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) v. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) v. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 40):

Lorsque la loi habilitante confère expressément le pouvoir de trancher des questions de droit, l'on peut s'en tenir à son libellé. L'attribution expresse du pouvoir d'examiner ou de trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative est présumée conférer également le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition.

[50]Si un juge désigné a maintenant, de manière expresse, compétence pour trancher des questions constitutionnelles dans l'exercice d'un des trois mandats que lui confère la LIPR, il n'est pas déraisonnable de penser que le législateur a implicitement voulu qu'il ait également cette compétence dans l'exercice des deux autres.

b)     la procédure

[51]Il reste à déterminer si le juge désigné peut trancher des questions constitutionnelles par voie de requête plutôt que par voie d'action ou de demande de contrôle judiciaire.

[52]Le juge Noël a pris bien soin, en l'espèce, de dissocier la requête visant la constitutionnalité de la LIPR de l'examen judiciaire du contrôle des motifs de la détention. Il a tenu une audience distincte, autonome, formelle, selon les règles de procédure généralement applicables. Le débat devant lui, ainsi que les motifs qu'il a prononcés, ont fait abstraction des faits précis de l'affaire Charkaoui. Ce sont des questions de droit qui ont été plaidées et décidées sur la base d'un dossier que les parties jugeaient complet. C'est par choix, et non par manque de moyens procéduraux, que les ministres n'ont déposé aucune preuve relative à la justification en vertu de l'article 1 de la Charte.

[53]En ce qui a trait à la procédure suivie, il faut se rappeler que le contrôle des motifs de la détention se fait dans le contexte général de la demande d'examen judiciaire du caractère raisonnable du certificat que les ministres ont l'obligation de déposer en Cour fédérale aux termes du paragraphe 77(1). La Cour est donc saisie de l'affaire non pas par la personne intéressée, mais par les ministres. Il s'agit d'une procédure sui generis. Elle ne constitue aucune des procédures introductives d'instance prévues à la règle 61 des Règles de la Cour fédérale (1998): elle n'est ni action, ni demande de contrôle judiciaire, ni appel. En ce cas, nous dit la règle 169, cette procédure est régie par les règles applicables aux actions dans la mesure, bien sûr, où ces règles sont compatibles avec celles prévues à l'article 78 de la LIPR. La règle 169 donne, en exemple, les renvois visés à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Elle aurait pu donner, comme autre exemple, les demandes faites en vertu des articles 76 et suivants de la LIPR.

[54]Le débat a longtemps fait rage, en cette Cour, sur la question de savoir quelle était la procédure appropriée pour contester la constitutionnalité d'une loi. La décision du juge Rothstein, dans Singh, en est une illustration. S'il était acquis qu'une action était un véhicule approprié, il ne l'était pas qu'une demande de contrôle judiciaire puisse l'être aussi, ce qui forçait les procureurs, comme dans Singh, à faire preuve d'imagination. Le débat a été tranché dans Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.) et dans Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.): la Cour a compétence, aussi, pour entendre les contestations constitutionnelles de dispositions législatives dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire.

[55]Nous faisons référence à ce débat et à la solution ultime qu'il a connue pour illustrer à quel point est révolue, en cette Cour, cette ère procédurière qui faisait le dam des justiciables, des plaideurs et des juges. Bien que prononcés dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire, nous croyons que les propos suivants du juge Robertson, J.C.A., au paragraphe 6 de ses motifs dans Moktari, s'appliquent aussi au cadre d'une action, donc, par le jeu de la règle 169, au cadre de l'examen judiciaire prévu dans la LIPR:

Nous nous empressons d'ajouter que les modifications apportées en 1992 à la Loi sur la Cour fédérale visaient à modifier en profondeur les règles de droit régissant le contrôle judiciaire devant cette Cour, mais il est également évident que si des procédures parallèles découlant d'une seule décision pouvaient être engagées, il serait plus difficile pour cette Cour de rendre justice avec célérité et d'une façon efficace. La confusion qui règne au sujet de la question de savoir si un jugement déclaratoire peut être demandé dans une procédure de contrôle judiciaire a amené certains plaideurs à présenter une demande de contrôle judiciaire devant cette Cour, puis à intenter une action, par exemple devant la cour supérieure d'une province, afin de contester la constitutionnalité des dispositions législatives applicables: les subtilités de la situation sont énoncées d'une façon exhaustive dans la décision Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 206 (C.A.). À notre avis, le droit de solliciter et d'obtenir un jugement déclaratoire dans une procédure de contrôle judiciaire est autant une question d'interprétation de la loi qu'une question de nécessité pratique, en particulier dans le domaine du droit de l'immigration. Il suffit de mentionner les milliers de demandes de contrôle judiciaire que la Section de première instance de cette Cour traite au cours d'une année donnée pour se rendre compte que l'introduction de procédures parallèles mais inutiles peut uniquement aller à l'encontre de la justice.

[56]Sont pertinents, aussi, ces propos du juge Gonthier dans Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board), aux paragraphes 28 et 29, même s'ils sont prononcés dans le contexte du débat entourant la compétence des tribunaux administratifs de trancher des questions constitutionnelles:

Premièrement--ce qui est le plus important--, la Constitution est, aux termes du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, «la loi suprême du Canada» et «elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». L'invalidité d'une disposition législative incompatible avec la Charte découle non pas d'une déclaration d'inconstitutionnalité par une cour de justice, mais plutôt de l'application du par. 52(1). Donc, en principe, une telle disposition est invalide dès son adoption, et l'obtention d'un jugement déclaratoire à cet effet n'est qu'un moyen parmi d'autres de protéger ceux et celles qui en souffrent préjudice. En ce sens, la question de la constitutionnalité est inhérente à tout texte législatif en raison du par. 52(1). Les tribunaux judiciaires ne doivent pas appliquer des règles de droit invalides, et il en va de même pour tout niveau ou organe de gouvernement, y compris un organisme administratif de l'État. De toute évidence, un fonctionnaire ne saurait être tenu de s'interroger et de se prononcer sur la constitutionnalité de chaque disposition qu'il est appelé à appliquer. Toutefois, s'il est investi du pouvoir d'examiner les questions de droit liées à une disposition, ce pouvoir englobe habituellement celui d'évaluer la constitutionnalité de cette disposition. Cela s'explique par le fait que la compatibilité d'une disposition avec la Constitution est une question de droit découlant de l'application de cette disposition. À vrai dire, il n'y a pas de question de droit plus fondamentale puisqu'elle permet de déterminer si, dans les faits, la disposition est valide et, par conséquent, si elle doit être interprétée et appliquée, ou s'il y a lieu de ne pas en tenir compte.

Il découle, en pratique, de ce principe de la suprématie de la Constitution que les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles: voir Douglas College, précité [Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570], p. 603-604. Pour reprendre les propos du juge La Forest, «il ne peut y avoir une Constitution pour les arbitres et une autre pour les tribunaux» (Douglas College, précité, p. 597).

[57]Paraphrasant les propos des juges Robertson et Gonthier, nous disons que c'est aller à l'encontre de la justice que de forcer des justiciables à entreprendre des procédures parallèles découlant d'une seule décision, a fortiori lorsque ces procédures parallèles seraient introduites devant la même Cour. Tel est le principe qui, désormais, doit nous guider lorsque, comme en l'espèce, une partie, les intimés, soutient que l'autre partie, l'appelant, aurait dû entreprendre une procédure parallèle devant la Cour fédérale.

[58]Il nous paraît évident, ici, que la prétention des intimés doit être rejetée. Ce sont les ministres qui ont institué la procédure introductive d'instance, soit la demande d'examen judiciaire, et l'appelant, lorsqu'il conteste sa détention, ne fait que se défendre en plaidant que des dispositions de la LIPR sont inconstitutionnelles. Cette défense, en toute logique, devrait pouvoir être plaidée par requête dans le cadre de la procédure originale, sans qu'il soit nécessaire d'instituer une procédure parallèle ni d'ouvrir un nouveau dossier.

[59]Cette requête, même si elle est présentée dans le cadre de la procédure originale, est une procédure autonome et distincte qui échappe, de par sa nature et ses effets, aux règles de procédure établies pour la procédure originale ainsi qu'aux règles de procédure établies pour la présentation de simples requêtes. Il ne saurait évidemment être question de décider sans formalisme de la constitutionnalité de lois et les parties autant que le juge ont le droit d'exiger que s'appliquent les règles ordinaires de preuve et d'audience. C'est, en quelque sorte, un mini-procès à l'intérieur d'un procès, ce mini-procès pût-il prendre, comme en l'espèce, la forme d'une simple requête.

[60]Les parties auraient pu procéder autrement et devant un autre juge. Comme la procédure qu'elles ont retenue d'un commun accord n'a causé aucun préjudice à qui que ce soit, qu'elle a permis aux parties de faire toute la preuve qu'elles jugaient nécessaire et qu'elle a permis de résoudre sur le fond et en toute équité le litige qui était soumis, l'intérêt de la justice exige que cette Cour respecte le choix des parties. Il serait carrément ridicule, dans les circonstances, d'annuler la décision rendue et d'ordonner que le même débat soit repris devant la même Cour et, éventuellement, devant cette Cour d'appel fédérale pour le simple motif qu'un nouveau dossier eût dû être ouvert et une procédure parallèle, suivie.

[61]Les intimés proposent, essentiellement, que la procédure soit celle suivie dans Ahani et dans Baroud: pendant que le juge désigné se penche de façon informelle et expéditive sur le caractère raisonnable du certificat et sur les motifs de détention, un autre juge de la Cour se penche, dans le cadre d'une action, sur les questions constitutionnelles que soulève la personne intéressée. Cette façon de procéder demeure possible, mais elle n'est elle-même pas parfaite. Elle entraîne un dédoublement des procédures et ne permet pas nécessairement une économie de temps réelle puisque, comme il est arrivé dans Ahani, l'exécution de la mesure de renvoi a été suspendue par le ministre jusqu'à ce que jugement final soit rendu sur les questions constitutionnelles. La procédure suivie en l'espèce, sous réserve bien sûr de l'acquiescement des parties et du juge, a réduit la paperasse et les coûts, facilité l'audition des arguments de nature constitutionnelle puisque le juge n'a pas eu besoin d'être éclairé sur le fondement factuel de l'affaire non plus que sur les exigences propres à des dossiers de sécurité nationale, et laissé la Cour d'appel fédérale décider elle-même s'il y avait lieu de suspendre le contrôle des motifs de la détention pendant l'appel, ce qu'elle a accepté de faire en l'espèce mais qu'elle aurait pu ne pas accepter.

[62]Nous en arrivons ainsi à la conclusion que le juge désigné avait compétence pour trancher les questions constitutionnelles qui lui étaient soumises et qu'il n'a pas commis d'erreur susceptible de révision, dans les circonstances, en le faisant dans le cadre d'une requête.

2.     Est-ce que les articles 77 et 78 de la LIPR portent atteinte aux droits garantis par la Charte quant au droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, notamment par le fait que le juge désigné doit trancher le «caractère raisonnable» du certificat de sécurité émis par les ministres et non le fond de l'affaire?

[63]Cette question soulevée par l'appelant mérite une attention particulière. Il se plaint de l'ensemble du processus mis en place par le législateur pour déterminer s'il constitue un danger pour la sécurité nationale et si sa détention est justifiée dans les circonstances. Il invoque l'effet cumulatif des facteurs suivants, lesquels, selon lui, le prive du droit à une audience juste et équitable devant un tribunal impartial et indépendant:

a) la décision qui conduit à son interdiction de territoire est prise par le pouvoir exécutif et non par un juge;

b) le rôle du juge se limite indûment et injustement à la vérification du caractère raisonnable du certificat de sécurité alors qu'il devrait en apprécier le bien-fondé;

c) la décision du juge désigné se prend à partir de preuves secrètes auxquelles il n'a pas accès;

d) il n'obtient pas de résumé de l'information qui ne lui est pas dévoilée;

e) il n'existe aucun moyen pour lui de tester la validité et la crédibilité de cette information et, donc, il lui est difficile, voire impossible, de la réfuter;

f) la norme de preuve retenue par le législateur pour justifier l'émission d'un certificat de sécurité est trop minimale puisqu'il suffit d'avoir des motifs raisonnables de croire que les gestes décrits à l'article 34 sont survenus, surviennent ou peuvent survenir alors que cette norme aurait dû être plus astreignante et exiger que les gestes soient prouvés selon la norme de la prépondérance de la preuve;

g) aux termes de l'alinéa 78j), le juge désigné peut admettre et fonder sa décision sur toute preuve qu'il estime utile, même si elle est inadmissible en justice;

h) les notions de «motifs raisonnables» et de «danger pour la sécurité du Canada» sont des notions imprécises et de portée excessive;

i) la décision du juge désigné est lourde de conséquences pour un résident permanent comme l'appelant qui sera expulsé du territoire, alors que cette décision est finale et sans appel; et

j) l'appelant est privé du droit à une remise en liberté sous cautionnement.

Facteurs à considérer et leur impact cumulatif

[64]Il convient d'analyser chacune des allégations relatives à ces facteurs et leur impact cumulatif.

a)     la décision qui conduit à l'interdiction de territoire est prise par le pouvoir exécutif et non par un juge

[65]Il est indéniable que la décision initiale d'interdiction de territoire est prise par le pouvoir exécutif, comme d'ailleurs des milliers d'autres décisions prises par les ministres du gouvernement, mais elle est sujette à intervention du pouvoir judiciaire comme c'est aussi souvent le cas pour les décisions d'organismes fédéraux ou une multitude de décisions ministérielles ou gouvernementales. Il n'y a donc rien d'illégal, encore moins d'anormal, à ce qu'une décision d'intérêt public soit prise par un ministre du gouvernement, chargé de l'application de la loi en vertu de laquelle cette décision est prise.

[66]En fait, à titre de législateurs ou de membres de l'exécutif, ce sont les parlementaires élus, représentants de la population, qui sont investis du pouvoir de gérer et d'administrer l'intérêt et la sécurité publiques. La raison en est bien simple comme l'a énoncé lord Hoffmann dans l'affaire Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] 3 W.L.R. 877 (H.L.), à la page 895, cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphe 33 et repris par notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Ribic (2003), 185 C.C.C. (3d) 129, au paragraphe 18, permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada rejetée le 22 octobre 2003. Parlant des événements du 11 septembre à New York et à Washington, lord Hoffmann écrit [à la page 897]:

[traduction] Ces événements nous rappellent que, en matière de sécurité nationale, le prix de l'erreur peut être très élevé. Cette constatation fait selon moi ressortir la nécessité pour le pouvoir judiciaire de respecter les décisions des ministres du gouvernement sur la question de savoir si l'appui apporté à des activités terroristes menées à l'étranger menace la sécurité nationale. Non seulement le pouvoir exécutif a accès à des sources d'information et d'expertise particulières en la matière, mais ces décisions, susceptibles d'avoir de graves répercussions sur la collectivité, doivent avoir une légitimité qui ne peut exister que si elles sont confiées à des personnes responsables devant la collectivité dans le cadre du processus démocratique. Pour que la population accepte les conséquences de ces décisions, elles doivent être prises par des personnes que la population a choisies et qu'elle peut écarter.

[67]À l'instar du juge désigné, nous ne voyons pas «en quoi le fait que le législateur attribue aux ministres la compétence de prendre une décision concernant l'interdiction de territoire d'un résident permanent pour raison de sécurité et qu'il assujettisse cette décision au contrôle d'un juge désigné brime l'indépendance du judiciaire»: voir la décision du juge désigné, paragraphe 115.

[68]Cette doléance de l'appelant nous apparaît absolument sans mérite, sans fondement et, par conséquent, sans impact.

b)     le rôle du juge se limite indûment et injustement à la vérification du caractère raisonnable du certificat de sécurité alors qu'il devrait en apprécier le bien-fondé

[69]Encore une fois, cette approche du législateur n'est pas nouvelle et n'affiche rien de dérogatoire: tout le processus de révision judiciaire des décisions gouvernementales ou de celles des organismes fédéraux se limite à une vérification de la légalité de ces décisions, c'est-à-dire à une vérification de leur conformité avec la loi. Il n'emporte pas une analyse du mérite ou de l'opportunité de ces décisions ainsi que le pouvoir pour le tribunal de rendre la décision qu'il estime être la meilleure. Si la décision a été prise en conformité avec la loi, le tribunal est tenu de la respecter même s'il préfère qu'elle eut été autre. Dans le cas contraire, il doit la retourner pour qu'une nouvelle décision soit prise qui, cette fois, se conformera aux prescriptions impératives de la loi. Nous ne pouvons voir en quoi ce processus compromet l'indépendance et l'impartialité du tribunal.

[70]Le Parlement a choisi pour une question d'opportunité, de responsabilité et d'imputabilité de ne pas confier au juge désigné la fonction et le pouvoir de juger du mérite même d'un certificat de sécurité. Compte tenu des propos de lord Hoffmann dans l'affaire Rehman, nous ne doutons ni de la légalité ni de la sagesse de ce choix.

[71]La procureure de l'appelant a aussi soutenu que ce rôle limité du juge désigné était inconstitutionnel en s'inspirant des affaires Rehman, et Chahal c. Royaume-Uni (1996), 23 E.H.R.R. 413. Son argument consiste à dire qu'en Angleterre, contrairement au pouvoir dont dispose ici le juge désigné, la Commission d'appel de l'immigration peut réviser, en fait et en droit, la décision du Secrétaire d'État que, dans l'intérêt de la sécurité nationale, l'expulsion d'une personne soupçonnée d'activités terroristes servirait le bien public. Ce pouvoir fut octroyé suite à la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Chahal où la Cour jugea que le système qui avait été mis en place par le droit interne britannique n'accordait pas, à une personne dont les droits reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221. Convention européenne des Droits de l'Homme (Convention), avaient été violés par un représentant de l'État, un recours effectif pour les faire valoir et reconnaître, tel que l'exige l'article 13 de la Convention. La procureure de l'appelant soutient que le juge désigné n'a pas le pouvoir d'apprécier la véracité des faits qui lui sont soumis et que c'est la conclusion à laquelle il en est lui-même venu. Elle cite à l'appui de sa prétention la phrase que nous avons soulignée dans les quatre lignes suivantes que l'on retrouve au début du paragraphe 128 de la décision:

Ces normes n'exigent pas que le juge désigné recherche la preuve de l'existence des faits mais plutôt qu'il analyse l'ensemble de la preuve en se demandant si celle-ci permet d'avoir une croyance raisonnable qu'il existe des motifs justifiant l'interdiction de territoire, le mandat d'arrestation et le maintien de la détention. [Nous soulignons.]

[72]L'interprétation que l'appelant fait de cette phrase est à la fois incorrecte et injuste pour le juge désigné qui s'est évertué à bien cerner et définir son rôle.

[73]Tout d'abord, ce passage du juge désigné, que l'appelant isole de son contexte, se situe dans le cadre de la discussion du fardeau et de la norme de preuve applicables à l'exercice des trois pouvoirs ci-haut mentionnés, soit l'interdiction de territoire, l'arrestation et le maintien en détention. Lorsque lu et replacé dans son contexte comme il se doit, il devient évident que, par ces termes, le juge désigné indique que la preuve n'a pas à établir avec certitude, ou hors de tout doute raisonnable, l'existence de ces faits. Cette phrase qui suit celle sur laquelle l'appelant repose son argument le démontre bien:

Bien que les normes ne soient pas la prépondérance de la preuve, il doit tout de même exister à la lumière d'éléments fiables et fondés, une possibilité sérieuse que ces faits existent.

[74]Mais une preuve encore plus probante de l'absence de mérite de cette prétention de l'appelant se retrouve au paragraphe 118 de la décision où le juge désigné donne une définition de son rôle, ignorée par l'appelant:

Pour bien remplir son rôle, le juge désigné doit avoir une très bonne connaissance du dossier. Cette connaissance lui permet de distinguer les renseignements qui peuvent être communiqués de ceux qui ne peuvent l'être. Il doit faire un résumé excluant les renseignements protégés, résumé qui permettra à la personne concernée d'être suffisamment informée lors des audiences et lors de l'examen des renseignements qui ont lieu en son absence et en l'absence de ses représentants. Le juge désigné «doit tout de même être curieux, préoccupé par ce qui est avancé et être d'un scepticisme ayant comme objectif de faire un examen critique des faits. Il doit vérifier les sources tant humaines, techniques que documentaires, leur fiabilité et la véracité de ce qu'elles peuvent rapporter. Dans la mesure du possible, l'information doit provenir de plus d'une source et ne doit pas être sujette à une interprétation imprécise. De plus, le juge désigné peut interroger les témoins pouvant apporter un éclairage sur l'information et les documents protégés. Il peut, le cas échéant, questionner leur interprétation des faits et vérifier s'il n'y a pas d'autres possibilités d'interprétation pouvant jouer en faveur de l'intimé. En un mot, le juge désigné doit tester sérieusement la documentation et l'information protégées. C'est un rôle exigeant qui doit être assumé pleinement étant donné les enjeux». [Nous soulignons.]

L'alinéa 78j) de la LIPR confère au juge désigné le pouvoir de recevoir et d'admettre des preuves et, en conséquence, d'en apprécier la véracité, la fiabilité et la crédibilité. C'est ce qu'en l'espèce le juge désigné a compris de la fonction qui lui était assignée, c'est ce qu'il a dit et décrit clairement et c'est précisément l'exercice auquel il s'est livré. Nous sommes satisfaits que l'inconstitutionnalité alléguée par l'appelant à ce titre n'a ni assise factuelle, ni fondement juridique.

c)     la décision du juge désigné se prend à partir de preuves secrètes auxquelles l'appelant n'a pas accès

d)     l'appelant n'obtient pas de résumé de l'information qui ne lui est pas dévoilée

e)     il n'existe aucun moyen pour l'appelant de tester la validité et la crédibilité de cette information et, donc, il lui est difficile, voire impossible, de la réfuter

[75]Ces trois facteurs sont reliés et, afin d'éviter des répétitions tout aussi ennuyeuses qu'inutiles, nous les traiterons ensemble. Ils se situent, de fait, au coeur de cette problématique particulière que soulève la nécessité de protéger la sécurité nationale tout en respectant les principes de justice fondamentale lorsqu'une atteinte est portée à la vie ou à la sécurité d'une personne. Ils introduisent une dérogation importante au processus contradictoire normalement suivi en matière pénale et civile. Ils suscitent, à juste titre dans le présent contexte, l'interrogation suivante: le processus dérogatoire, mis en place par le Parlement pour déterminer si sont justifiées l'interdiction de territoire d'un résident permanent par le pouvoir exécutif, son arrestation et sa détention, respecte-t-il les principes de justice fondamentale?

[76]Avant d'examiner les prétentions de l'appelant sur cette question, il y a lieu d'apporter certains bémols aux facteurs tel qu'énoncés.

[77]Il est vrai que certains éléments de preuve non communiqués à l'appelant peuvent contribuer à la prise de décision par le juge désigné et, peut-être même dans certains cas extrêmes, ce qui n'est pas la situation ici, servir seuls de fondement à celle-ci. Mais généralement la preuve sera constituée de divers éléments qui, pour la plupart auront été communiqués ou remis à la personne visée par le certificat de sécurité, soit intégralement, soit sous forme de résumé lui permettant ainsi d'en connaître suffisamment la teneur, la nature et la portée.

[78]Il est également vrai que l'appelant n'obtient pas de résumé de la preuve ou des éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale. Mais cette vérité ne doit pas être prise dans l'absolu et encore moins dans l'abstrait. Elle se manifeste dans un cadre procédural comprenant plusieurs étapes et plusieurs garanties. En d'autres termes, l'absence de résumé doit être replacée et mesurée dans son contexte, particulièrement celui de l'examen judiciaire par un juge désigné.

[79]En effet, au delà des garanties que le juge désigné mentionne et discute aux paragraphes 97 et suivants de sa décision, rappelons que l'obligation qu'il a de communiquer la preuve est continue puisque l'appelant a le droit, en vertu de l'alinéa 78h), d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat de sécurité. De plus, comme le mentionne le juge désigné citant l'extrait suivant de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 47, celle imposée au gouvernement doit être assumée avec impartialité et honnêteté et elle requiert que les éléments défavorables à la position gouvernementale soient divulgués:

Comme je l'ai mentionné précédemment, l'institution fédérale qui présente des arguments en l'absence de l'autre partie devant le tribunal de révision est tenue d'agir avec la bonne foi la plus absolue et d'exposer les faits de manière complète, franche et impartiale, y compris ceux qui pourraient lui être défavorables.

[80]En outre, durant tout le processus, le juge désigné joue un rôle pro-actif destiné à en assurer l'équité. Au paragraphe 101 de sa décision, il écrit:

Pour qu'il puisse effectuer cette difficile tâche, le juge désigné a accès à tous les renseignements, sans exception, utilisés par les ministres pour en arriver à leurs décisions [. . .]

Le juge désigné préside les audiences et entend les témoins présentés par les ministres. Au besoin, il interroge lui-même ces témoins. Il examine soigneusement la documentation pour déterminer quels renseignements sont liés à la sécurité et lesquels ne le sont pas. Pour ce faire, il examine entre autres les sources des renseignements, la façon dont ces renseignements ont été obtenus, la fiabilité des sources et la méthode utilisée, ainsi que la possibilité de corroborer ces renseignements par d'autres moyens lorsque cela est possible. Il tient compte du fait que les renseignements ont été obtenus sous le sceau du secret, soit d'une source canadienne ou d'une source étrangère, ou que ces renseignements font déjà partie du domaine public. Il s'enquiert auprès des représentants des Ministres de la qualité de l'enquête et s'interroge quant à la possibilité que des événements puissent être interprétés différemment. Il décide quels renseignements peuvent être dévoilés à la personne concernée et fournit un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Ce résumé doit suffisamment informer la personne concernée des circonstances qui ont donné lieu à la signature du certificat et au lancement du mandat d'arrestation et de la détention. [Nous soulignons.]

[81]Dans l'exercice de son rôle et afin de maximiser la communication de l'information ainsi que le respect des principes de justice fondamentale, le juge a le pouvoir d'ordonner que des documents soient remis en n'y oblitérant que les passages qui, par exemple, peuvent révéler l'identité d'une source et en compromettre la sécurité ou mettre en péril la sécurité nationale. Des documents peuvent être scindés à des fins de remise à la personne impliquée dans la procédure. Le juge peut ordonner que toute ou une partie de l'information soit incluse dans le résumé remis à cette personne et le ministre a toujours le loisir de retirer cette information des procédures afin d'en préserver la confidentialité: voir Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 36 Imm. L.R. (3d) 1 (C.A.F.), au paragraphe 53; permission d'appeler à la Cour suprême du Canada rejetée le 18 novembre 2004, [2004] S.C.C.A. no 354.

[82]Enfin, s'il est indéniable qu'il est plus difficile pour l'appelant de tester la validité et la crédibilité de l'information qui ne lui est pas dévoilée, le fait est qu'il est assisté dans cette tâche par le juge désigné à qui incombe la lourde responsabilité de maintenir l'équilibre entre les parties et, partant, le respect des principes de justice fondamentale. Il ne faut pas également perdre de vue que l'appelant a le droit de témoigner et de faire entendre des témoins pour réfuter les allégations et les preuves qui pèsent contre lui.

[83]Ces remarques préliminaires nous amènent à l'étude des prétentions de l'appelant relatives au non-respect des principes de justice fondamentale.

[84]Tel que mentionné au tout début des présents motifs, l'appelant prétend que la protection de la sécurité nationale ne justifie aucune dérogation au processus normal qui a cours devant les tribunaux. Son mémoire des faits et du droit contient un certain nombre d'extraits de décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme et de cours européennes. Ces décisions sont intervenues dans le cadre de procès criminels, civils ou disciplinaires. Nous n'en reprendrons que quatre pour illustrer nos commentaires. On les trouve aux paragraphes 54, 57, 61 et 62 du mémoire:

Voisine c. France, 8 février 2000, paragraphe 30, Cour Européenne des droits de l'Homme

Le droit à une procédure contradictoire au sens de l'article 6§1, tel qu'interprété par la jurisprudence, «implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision».

Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, paragraphe 24, Cour Européenne des droits de l'Homme

La notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour une partie à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter.

Kostovski no. 10/1988/154/208, 25 octobre 1989, paragraphe 41, Cour Européenne des droits de l'Homme

Les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l'accusé en audience publique en vue d'un débat contradictoire.

Delta no. 26/1989/186/246, 20 novembre 1990, paragraphe 36, Cour Européenne des droits de l'Homme

Les éléments de preuve doivent normalement être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. [Nous soulignons.]

On peut voir de ces extraits, par l'utilisation des mots «en principe» ou «normalement», que l'obligation de communiquer la preuve n'est pas érigée en principe absolu. Elle s'applique aux situations normales. Or, la menace terroriste ou à la sécurité nationale ne représente ni ne reflète une situation de normalité, du moins pas dans notre pays. Ces décisions auxquelles l'appelant nous réfère ne lui sont donc pas d'un grand secours, d'autant plus que nous ne sommes pas dans le cadre d'un procès, la procédure relative à la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité ne débouchant ni sur une condamnation civile, ni sur une déclaration de culpabilité au pénal. Elles ne font, en fait, que poser la question en rapport avec les situations anormales sans y répondre, tout en indiquant qu'il y a place et matière à dérogation.

[85]L'appelant a aussi invoqué à sa rescousse la décision Kiareldeen v. Ashcroft, 273 F.3d 542 (3rd Cir. 2001). La lecture de cette décision révèle que, dans le cadre d'une procédure d'expulsion de l'appelant pour des activités terroristes, notamment son implication dans l'attentat à la bombe du World Trade Center en 1993, une Cour de district du New Jersey, saisie d'une demande d'habeas corpus, a conclu que les autorités américaines n'avaient pas fourni une preuve suffisante justifiant le renvoi hors du pays [sub nom. Kiareldeen v. Reno, 71 F. Supp. 2d 402 (D.N.J. 1999)]. Une partie importante de la preuve consistait en des résumés d'information confidentielle provenant du Bureau Fédéral d'Investigation (FBI), ce dernier ayant refusé de remettre l'information elle-même. La Cour de district énonça d'une manière catégorique que le fait pour le gouvernement de s'en remettre à des preuves secrètes violait les normes d'équité procédurale (due process). De plus, elle reprocha au gouvernement de ne pas croire en la suffisance de sa preuve puisqu'il n'avait pas porté d'accusation criminelle. Elle se dit d'avis que la disposition législative, qui niait aux étrangers faisant face à des mesures d'expulsion le droit d'accès à l'information concernant la sécurité nationale, était inconstitutionnelle dans les circonstances où elle fut appliquée en l'espèce. Le gouvernement fut alors condamné à payer les dépens ainsi que les frais de l'avocat de l'appelant.

[86]Le gouvernement s'inscrivit en appel de la décision au mérite de la Cour de district sur l'habeas corpus et obtint un sursis d'exécution. Quelque temps plus tard, il se désista de cet appel, mais il en logea un autre à l'encontre de la condamnation aux dépens et aux frais de l'avocat [sub nom. Kiareldeen v. Reno, 92 F. Supp. 2d 403 (D.N.J. 2000)]. C'est de cette condamnation seulement dont la Cour d'appel pour le troisième circuit était saisie et elle prit grand soin de préciser qu'elle ne se prononçait pas sur le mérite de la décision de la Cour de district, laissant ainsi cette question ouverte pour une détermination future: voir les pages 6 et 12 de la décision.

[87]Pour adjuger sur la question des dépens et des frais, la Cour d'appel devait déterminer si le gouvernement était justifié d'entamer des procédures d'expulsion de l'appelant. Elle accueillit l'appel. Tout d'abord, elle jugea que M. Kiareldeen avait eu suffisamment d'information pour se défendre à l'encontre des procédures prises contre lui, la preuve en étant qu'il avait triomphé devant la Cour de district qui avait ordonné sa remise en liberté.

[88]Ensuite, elle rejeta l'argument de M. Kiareldeen que son droit à l'équité procédurale avait été violé du fait que des preuves de ouï-dire avaient été admises alors qu'il n'avait pas été établi que les personnes à l'origine du ouï-dire ne pouvaient être assignées à témoigner. À la page 549, la Cour écrit: [traduction] «il y a une réponse fort simple à cet argument: le ouï-dire est admis dans les procédures d'expulsion».

[89]Discutant de la confidentialité de l'information et du refus de la communiquer ainsi que du reproche fait au gouvernement de n'avoir voulu porter des accusations criminelles, la Cour d'appel écrit aux pages 552 et 553:

[traduction] Il est normal et rassurant que le FBI se refuse à compromettre la sécurité nationale en révélant ses sources. Il est même quelque peu troublant qu'un tribunal se permette de reprocher au FBI de refuser de mettre en péril les opérations clandestines qu'il mène à l'encontre de terroristes.

La Cour de district a également reproché au gouvernement son manque apparent de volonté de porter, en plus, des accusations criminelles contre Kiareldeen. Elle a affirmé que «le gouvernement lui-même ne considère pas ses propres allégations suffisamment sérieuses pour intenter des procédures criminelles».

Cette affirmation témoigne d'une vision simpliste et tout-à-fait mal informée des méthodes qu'emploie le Justice Department pour enquêter sur des personnes qu'il soupçonne de se livrer à des activités terroristes sur notre territoire et pour traiter de leur cas. Cette affirmation ignore complètement les décisions souvent complexes qui doivent être prises lorsqu'il s'agit de rendre accessibles au public, par le biais de leur divulgation dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires, des informations confidentielles obtenues dans la lutte contre le terrorisme. Cette critique suppose que le gouvernement ne peut se servir des informations qu'il détient sur un individu dans une procédure civile, telle une procédure de déportation, que s'il a également l'intention de s'en servir contre ce même individu dans des procédures criminelles. Un tel asservissement du Pouvoir Exécutif ne trouve appui ni dans la jurisprudence ni dans la législation. [Nous soulignons.]

Compte tenu de ces propos de la Cour d'appel, nous ne croyons pas que la décision de la Cour de district sur laquelle l'appelant s'appuie a cette autorité morale qu'il lui attribue.

[90]Notre Cour dans l'affaire Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 C.R.R. (2d) 181 (C.A.F.), permission d'appeler à la Cour suprême du Canada rejetée, [1997] 2 R.C.S. v, a confirmé la validité constitutionnelle de l'article 40.1 de l'ancienne Loi sur l'immigration. Ces dispositions ont été reprises quasi-intégralement, en faisant les adaptations nécessaires, dans la LIPR. Ces dernières ont, elles aussi, subi et passé avec succès le test de la constitutionnalité eu égard à l'article 7 de la Charte.

[91]En effet, dans l'affaire Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), l'appelant, en provenance de l'Inde, fit une demande de statut de réfugié. Devant la Commission du statut de réfugié, l'appelant fut déclaré inadmissible au motif qu'il était membre d'une organisation terroriste. Certaines informations pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ne furent pas dévoilées à l'appelant. Il attaqua la décision en alléguant que la procédure suivie violait les principes de justice fondamentale garantis par l'article 7 de la Charte.

[92]Prenant pour acquis sans le décider que l'article 7 de la Charte s'appliquait et comparant les nouvelles dispositions avec les anciennes, notre collègue, le juge Rothstein, conclut que la procédure de la Loi nouvelle était sensiblement la même et que les principes dégagés dans l'affaire Ahani, s'appliquaient. En conséquence, le processus de la LIPR rencontrait les normes de justice fondamentale.

[93]L'appelant prétend que les décisions dans Ahani et Sogi, n'ont pas d'application aux faits de la présente cause parce que l'appelant est un résident permanent alors que, dans les deux décisions précédentes, il s'agissait d'étrangers demandant un statut de réfugié. Il ajoute que dans l'affaire Ahani, l'application et la portée du droit international n'avaient pas été soulevées alors que maintenant le paragraphe 3(3)f) de la LIPR oblige que l'on se conforme aux instruments internationaux que le Canada a signés:

3. [. . .]

(3) L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet:

    [. . .]

d) d'assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d'une part, d'égalité et de protection contre la discrimination et, d'autre part, d'égalité du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada;

    [. . .]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.

Enfin, toujours en rapport avec l'affaire Ahani, il soutient que le cadre juridique était distinct et bien différent sous l'ancienne loi alors que la décision n'équivalait pas à une mesure de renvoi et qu'il existait une procédure de contrôle judiciaire.

[94]À l'exception du fait que l'appelant est un résident permanent, les autres différences qu'il indique ont, à notre avis, été considérées et rejetées soit explicitement, soit implicitement par le juge MacKay de la Cour fédérale et notre Cour qui a confirmé sa décision: voir Sogi, aux paragraphes 16 à 19, 24 et 39. Il ne faut pas perdre de vue, ici, la question en litige. Il n'est pas inapproprié de la répéter: la procédure par laquelle un juge désigné de la Cour fédérale examine le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité contrevient-elle à l'article 7 de la Charte du fait qu'elle permet que des informations confidentielles, qui ne sont pas communiquées à l'appelant pour des raisons de sécurité nationale, puissent être vues, analysées et considérées par le juge dans sa prise de décision?

[95]Dans l'affaire Sogi, le problème était encore plus épineux puisqu'il s'agissait de déterminer la validité de ce même processus lorsque la décision quant à la confidentialité de l'information est prise par un membre de la Commission de protection du statut de réfugié. Notre Cour a statué que cette façon de procéder rencontrait les principes de justice fondamentale en autant qu'un plaignant pouvait faire déterminer par un juge de la Cour fédérale le mérite ou démérite de garder confidentielle l'information pouvant porter atteinte à la sécurité nationale. Aux paragraphes 24 et 25, le juge Rothstein, J.C.A. exprime en ces termes l'opinion de la Cour:

Dans Ahani, il a été décidé que le processus de l'ancienne Loi selon lequel un juge de la Cour fédérale devait prendre la décision initiale et la seule décision concernant la non-divulgation était conforme aux principes de justice fondamentale. Tant et aussi longtemps que le contrôle judiciaire permet à l'appelant de demander à un juge de la Cour fédérale de décider si le maintien de la confidentialité des renseignements est bien fondé, le processus de la LIPR devra lui aussi être jugé conforme aux principes de justice fondamentale.

La question est de savoir si l'appelant a cette possibilité.

Dans le cas présent, l'appelant a eu cette opportunité puisque la demande d'examen des renseignements à protéger a été portée devant un juge de la Cour fédérale par suite du dépôt du certificat de sécurité conformément à l'article 77 de la LIPR.

[96]Reste la question du fait que l'appelant possède le statut de résident permanent et, donc, qu'il n'est pas un étranger cherchant à obtenir droit d'entrée au Canada. Bien humblement soumis, la réponse à cet argument est double.

[97]Premièrement, le statut de résident permanent est révocable pour raisons d'interdiction de territoire tel que prévu aux articles 33 à 46 de la LIPR. Un résident permanent n'a pas de droit absolu de demeurer au Canada et ce statut, à lui seul, ne saurait lui permettre d'accéder à des informations pouvant compromettre la sécurité nationale. Que ce droit n'est pas absolu et peut être révoqué sans que cette révocation n'enfreigne la Constitution a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 733 et 734:

La distinction entre citoyens et non-citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont le droit «de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir», que garantit le par. 6(1).

Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer.

En cela, son statut n'est pas différent de celui de la personne qui est refoulée aux frontières ou qui demande asile politique et obtient un statut de résidence temporaire.

[98]Deuxièmement, le droit d'accès à une information pouvant porter atteinte à la sécurité nationale, par une personne que l'on croit, pour des motifs raisonnables, s'être livrée, se livrer ou vouloir se livrer à des activités terroristes ne dépend pas du statut juridique de cette personne. Dans l'affaire Ribic, M. Ribic était un citoyen canadien faisant face à des accusations criminelles. Si le droit d'accès aux renseignements confidentiels pouvant porter atteinte à la sécurité nationale lui avait été consenti plutôt que refusé comme ce fut le cas, l'atteinte à la sécurité nationale n'eut pas, pour autant, été inexistante, moins réelle et moins sérieuse parce qu'il était citoyen canadien. En d'autres termes, que le chapeau qu'une personne porte en soit un de citoyen canadien, de résident permanent, de résident temporaire ou de simple visiteur, son interdiction d'accès à de l'information pouvant mettre ou mettant en péril la sécurité nationale dépend de ses faits et gestes ainsi que de la nécessité pour l'État de se prémunir et de se protéger contre des attaques ou des atteintes à sa sécurité ou à celle des individus qui le composent, quel que soit leur statut juridique ou social.

[99]L'appelant nous renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193 où la Cour a réaffirmé le droit d'un accusé dans un procès criminel de contre-interroger un témoin à charge de la poursuite. Encore là, il s'agit d'une affirmation de principe dans une affaire criminelle qui, comme nous l'avons vu dans l'affaire Ribic, doit être nuancée lorsque la sécurité nationale est mise en cause. Quoi qu'il en soit, la Cour suprême a reconnu dans l'affaire Ruby, aux paragraphes 39, 40 et 44, que la notion d'équité procédurale et les règles de justice naturelle font partie des principes de justice fondamentale, mais que les paramètres de l'équité dépendent du contexte de l'affaire en question. Aussi, l'exclusion d'une partie pendant l'audition de certains arguments de l'État fut-elle reconnue comme une dérogation exceptionnelle, mais permise, à la règle générale qui veut que le droit d'une partie à une audience équitable emporte le droit de prendre connaissance de la preuve de la partie adverse afin de pouvoir répondre à tout élément préjudiciable à sa cause.

[100]Accepter la position de l'appelant que la sécurité nationale ne saurait justifier de dérogations aux règles du débat contradictoire, c'est voir dans la Constitution canadienne un abandon par la collectivité de son droit à la survie au nom d'un absolutisme aveugle des droits individuels qu'elle enchâsse. Nous ne discernons aucune intention législative en ce sens, bien au contraire. Nous faisons nôtres les propos de la Cour d'appel pour le troisième circuit dans l'affaire Kiareldeen v. Ashcroft, à la page 556:

[traduction] Il est peu de besoins plus pressants pour une nation que celui d'assurer sa propre sécurité. Il est bon de se rappeler que la liberté telle que nous la connaissons a été supprimée en de nombreux pays. Les protections constitutionnelles, de quelque nature qu'elles soient, ne signifient pas grand'chose si la société n'a pas la capacité et la volonté de se défendre contre ceux qui l'agressent.

Le droit individuel à la liberté et à la sécurité de la personne ne peut s'exercer qu'à l'intérieur d'un cadre institutionnel ou d'un ordre social qui commande le respect et que l'on respecte. Il n'a plus beaucoup de signification et de portée lorsque, collectivement, la société mandatée d'en assurer la protection a perdu son propre droit à la liberté et à la sécurité en raison d'activités terroristes qu'elle a été impuissante à prévenir ou à éradiquer à cause de ce droit individuel qu'elle devait et voulait protéger. Le choix qui s'offre, disait le juge Jackson dans l'affaire Terminiello v. Chicago, 337 U.S. 1 (1949), à la page 37, [traduction] «n'est pas un choix entre l'ordre ou la liberté. C'est un choix entre la liberté avec ordre et l'anarchie sans l'une ni l'autre».

[101]Le Parlement canadien a soupesé les intérêts en jeu, ceux du justiciable et ceux de la collectivité. Il en est arrivé à faire un choix qui reconnaît le droit à la sécurité collective tout en prescrivant une procédure où un juge, jouissant de l'indépendance et de l'impartialité requises, décide si la divulgation de renseignements ou d'éléments de preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. Les arguments de l'appelant fondés sur les facteurs c), d) et e) n'ont pas, à notre avis, un impact cumulatif permettant de conclure à l'inconstitutionnalité du processus mis en place par le législateur.

f)     la norme de preuve retenue par le législateur pour justifier l'émission d'un certificat de sécurité est trop minimale puisqu'il suffit d'avoir des motifs raisonnables de croire que les gestes décrits à l'article 34 sont survenus, surviennent ou peuvent survenir alors que cette norme aurait dû être plus astreignante et exiger que les gestes soient prouvés selon la norme de la prépondérance de la preuve

[102]Le critère des «motifs raisonnables» est généralement la norme retenue pour l'introduction de poursuites pour des gestes répréhensibles ainsi que pour l'exercice de pouvoirs préventifs ou d'enquête. Ainsi, à titre d'exemples, le pouvoir d'arrestation d'un individu par un policier, la demande d'obtention d'un mandat de perquisition et la délivrance du mandat par le juge de paix ont pour fondement les motifs raisonnables (voir les articles 487 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; ch. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16], 495 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 75], 507(4), 512 [mod. idem, art. 82; L.C. 1997, ch. 18, art. 58] 524(1), 525(5) et 679(6) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]). Pour ce qui est de l'aspect préventif, le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une personne est sur le point de commettre un acte criminel ou de violer sa promesse de comparaître de sorte qu'il est dans l'intérêt public de procéder à son arrestation. Il en va de même pour la dénonciation qui reproche à un individu la commission d'un acte criminel ou d'une infraction (articles 506 et 778 du Code criminel).

[103]La norme des «motifs raisonnables» requiert plus que des soupçons. Elle exige aussi plus qu'une simple croyance subjective de la part de celui qui les invoque. L'existence des motifs raisonnables doit être établie objectivement, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait cru à l'existence de motifs raisonnables, dans le cas d'une arrestation, de procéder à l'arrestation: R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, à la page 250.

[104]Cette norme des «motifs raisonnables» a été qualifiée «d'importante mesure protectrice» en l'absence de laquelle «même la société la plus démocratique ne pourrait que trop facilement devenir la proie des abus et des excès d'un État policier»: à la page 249. Mais, écrit la Cour suprême du Canada, «la société a besoin également de protection contre le crime. Ce besoin commande l'établissement d'un équilibre raisonnable entre le droit des particuliers à la liberté et la nécessité de protéger la société contre le crime. C'est pourquoi il suffit que la police établisse l'existence de motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation»: aux pages 249 et 250.

[105]En l'espèce, pour fonder l'interdiction de territoire, le ministre doit, aux termes de l'article 33 de la LIPR, avoir des motifs raisonnables de croire que les actes ou omissions mentionnés aux articles 34 à 37 sont survenus, sont en train de survenir ou, et il s'agit là de l'aspect préventif, peuvent survenir. Il faut donc qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances et avec les mêmes faits en arrive à la même croyance. La norme «des motifs raisonnables» appliquée aux faits délictuels passés ou en cours de réalisation n'est donc pas, selon la jurisprudence, une norme trop minimale ou trop faible. Elle est suffisante.

[106]Pour ce qui est de l'aspect préventif, soit des faits qui peuvent survenir, la norme peut, à première vue, sembler trop faible et, par conséquent, inadéquate pour protéger les droits individuels puisqu'elle est jumelée à une possibilité, et non à une probabilité, que les faits surviennent. S'il est vrai que la survenance des faits est énoncée en terme de possibilité, le juge désigné a eu raison de conclure qu'il doit s'agir d'une possibilité sérieuse que ces faits puissent survenir et que cette possibilité sérieuse doit s'apprécier à partir d'éléments de preuve fiables et fondés: voir le paragraphe 128 de sa décision.

[107]En fait, la situation ici s'apparente à celle que l'on retrouve dans l'affaire Suresh où la Cour suprême du Canada devait analyser le concept de «danger pour la sécurité du Canada». Au paragraphe 88 de la décision, la Cour conclut qu'il «doit exister une possibilité réelle et sérieuse d'un effet préjudiciable au Canada». En l'espèce, nous sommes d'avis qu'il doit exister une possibilité réelle et sérieuse que les faits préjudiciables prévus aux articles 34 à 37 se produisent. La notion de «possibilité» étant ainsi définie et balisée, et son existence devant s'apprécier à partir de motifs raisonnables, nous ne croyons pas que la norme législative retenue pour une intervention préventive visant à protéger la sécurité nationale est abusive et en violation des principes de justice fondamentale.

g)     aux termes de l'alinéa 78j), le juge désigné peut admettre et fonder sa décision sur toute preuve qu'il estime utile, même si elle est inadmissible en justice

[108]Cet argument de l'appelant fait sans doute référence principalement, quoique non exclusivement, à l'admissibilité de preuves de ouï-dire. En soi, il n'y a pas, dans ce contexte, matière à objection, étant entendu que le juge désigné, rompu à ce genre de preuve, a le pouvoir et le devoir d'en apprécier la crédibilité et la valeur probante. Notons également que cette possibilité de produire des preuves inadmissibles en justice s'offre aussi au requérant et qu'il existe sur ce point égalité des armes et de traitement. Ce facteur nous apparaît de faible incidence sur l'équité procédurale si tant est qu'il en ait une et que celle-ci soit essentiellement et exclusivement préjudiciable à l'appelant.

h)     les notions de «motifs raisonnables» et de «danger pour la sécurité du Canada» sont des notions imprécises et de portée excessive

[109]L'argument de l'appelant sur ce point est sans mérite. Tel que déjà mentionné, la Cour suprême du Canada a déjà qualifié la norme des motifs raisonnables «d'importante mesure protectrice» et en a déterminé les paramètres. Quant à la notion de «danger pour la sécurité du Canada», elle a conclu qu'elle n'était pas imprécise au point d'être inconstitutionnelle, qu'elle était difficile à définir et qu'il fallait interpréter l'expression d'une manière large et équitable et en conformité avec les normes internationales: voir Suresh, aux paragraphes 82, 83 et 85.

i)     la décision du juge désigné est lourde de conséquences pour un résident permanent comme l'appelant qui sera expulsé du territoire, alors que cette décision est finale et sans appel

[110]L'interdiction de territoire prévue et autorisée par la LIPR, qui débouche sur une expulsion du pays, peut s'avérer lourde de conséquences pour la personne à qui elle s'applique. Mais la validité du processus qui y conduit ne se mesure pas uniquement par l'importance de la conséquence qui en résulte. Le fait est que la décision quant au caractère raisonnable du certificat de sécurité émis par les ministres est la résultante d'une décision judiciaire prise par un juge impartial et indépendant, au terme d'un processus qui rencontre les normes minimales de justice fondamentale. L'absence d'un ou de multiples droits d'appel n'affecte pas la validité constitutionnelle du processus mis en place par le législateur.

[111]En outre, les ministres demeurent libres de donner ou ne pas donner suite à l'interdiction de territoire. De fait, ils peuvent se raviser si le résident permanent les convainc que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national: voir le paragraphe 34(2) de la LIPR.

[112]De même, le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut être saisi d'une demande de protection en vertu de l'article 112 de la LIPR et la légalité de la décision du ministre relative à cette demande de protection est aussi révisable par un juge désigné: voir l'article 80 de la LIPR.

[113]Il existe donc des soupapes et des mécanismes permettant d'assurer une détermination judiciaire, indépendante et équitable des faits et du droit à la base de l'interdiction de territoire et du rejet d'une demande de protection. L'argument de l'appelant fondé sur les conséquences de l'interdiction de territoire et l'absence de droit d'appel de la décision judiciaire n'a pas d'impact sur la légalité du processus entourant le dépôt du certificat et son examen en Cour fédérale.

j)     l'appelant est privé du droit à une remise en liberté sous cautionnement

[114]En vertu du paragraphe 83(3) de la LIPR, le juge désigné doit ordonner le maintien en détention du résident permanent qui continue de constituer un danger pour la sécurité nationale ou d'autrui pour les faits et gestes préjudiciables à la sécurité prévus à l'article 34. Il doit aussi demeurer en détention si le juge désigné est satisfait que le résident permanent se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Il n'y a dans cette mesure préventive rien de surprenant compte tenu de la gravité des gestes reprochés ou anticipés.

[115]La procureure de l'appelant se plaint de l'inéquité de cette détention obligatoire alors que, dit-elle, la Section de l'immigration doit, lorsqu'il existe des motifs de détention, prendre en considération l'existence de solutions de rechange à la détention et la possibilité d'y recourir. Elle se fonde sur l'alinéa 58(1)a) de la LIPR que l'on retrouve dans la section 6 ainsi que sur l'alinéa 244b) et les articles 246 et 248 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, 11 juin 2002 (Règlement), lesquels ont été adoptés pour l'application de la section 6 de la LIPR relative à la détention et à la mise en liberté.

[116]Il n'est pas nécessaire de reproduire ces articles pour la compréhension du débat. Ils réfèrent d'une part, au danger que la personne arrêtée et détenue constitue pour le public et ils identifient les facteurs à prendre en considération aux fins de déterminer s'il s'agit d'une telle personne.

[117]Le moins que l'on puisse dire, c'est que le texte de ces articles manque de rigueur. Les termes «danger to the public» ont été tantôt rendus en français par «danger pour le public», tantôt par «danger pour la sécurité publique». L'article 246 du Règlement, qui se veut une énumération des facteurs à prendre en considération pour l'application de la notion de danger public, réfère à un certain nombre d'articles de la LIPR: alinéa 101(2)b), sous-alinéas 113d)(i) ou (ii), alinéas 115(2)a) ou b) et paragraphe 121(2). Pour la plupart, ces articles traitent de criminalité sérieuse et de criminalité organisée dans le contexte du danger public qu'elles posent. On serait donc porté à croire, sinon justifié de le faire, que tous ces articles envisagent la menace habituelle que pose au public la criminalité traditionnelle. Mais voilà: l'article 246 du Règlement et le sous-alinéa 113d)(ii) et l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, toujours dans le contexte de l'application de la notion de danger public, requièrent de prendre en considération le danger pour la sécurité du Canada. Or, l'article 34 de la LIPR, qui sert de fondement à la détention mandatoire du paragraphe 83(3) parce que le détenu constitue un danger pour la sécurité nationale ou d'autrui (donc du public), prévoit à l'alinéa d) qu'une personne peut être interdite de territoire si elle constitue un danger pour la sécurité du Canada et, en vertu du paragraphe 2, admise si sa présence au Canada ne porte pas préjudice à l'intérêt national.

[118]En somme, il y a dans ces articles un chevauchement et un enchevêtrement des notions de danger public, danger pour la sécurité publique, danger pour la sécurité du Canada, danger pour la sécurité nationale, préjudice à l'intérêt national et danger pour la sécurité d'autrui: un véritable tableau d'art abstrait où chacun finit par y voir ou y découvrir ce qu'il veut.

[119]Dans ce contexte, la prétention de la procureure de l'appelant que la Section de l'immigration peut recourir à des solutions de rechange à la détention pour une personne qui constitue un danger pour la sécurité du Canada, comme dans le cas de l'alinéa 34d), alors que le juge désigné, lui, ne le peut pas, n'est certes pas déraisonnable. L'article 85 de la LIPR, de fait, énonce que les articles 82 à 84, dont le paragraphe 83(3) qui rend la détention mandatoire, l'emportent sur toute disposition incompatible de la section 6 et, partant, du Règlement qui en découle.

[120]Mais cela ne veut pas dire pour autant que le processus qui a cours devant le juge désigné relatif à la détermination du caractère raisonnable du certificat est inconstitutionnel. Encore faut-il établir une discrimi-nation selon l'article 15 de la Charte, ce qui n'a pas été fait dans l'instance. En outre, la différence de traitement s'explique par le fait que la Section de l'immigration est confrontée à de multiples situations ou circonstances, généralement variables en gravité, où elle doit décider d'un maintien en détention ou d'une remise en liberté, avec ou sans condition. Par contre, la situation est nécessairement sérieuse lorsque, en vertu de l'article 77, deux ministres du gouvernement enclenchent le processus d'interdiction de territoire au moyen d'un certificat de sécurité, de grande criminalité, de criminalité organisée ou d'atteinte aux droits humains ou internationaux et en saisissent la Cour fédérale. Il n'est donc pas déraisonnable pour le législateur d'adopter des mesures différentes qui prennent en compte des réalités et des finalités distinctes. Enfin, l'absence de discrétion du juge désigné lorsqu'il y a danger pour la sécurité nationale ou d'autrui peut se justifier par la nature des activités envisagées à l'article 34 de la LIPR, dont notamment les activités terroristes.

[121]Quoi qu'il en soit, la détention d'un résident permanent en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité émis contre lui n'est pas une mesure injustifiée lorsqu'il y a preuve d'un danger pour la sécurité nationale ou qu'il se soustraira aux procédures entreprises contre lui.

[122]Pour conclure sur cette deuxième question soulevée en appel, la protection de la sécurité nationale n'est pas un caprice. Elle est une nécessité afin de protéger l'ordre social qui permet l'épanouissement et l'exercice de ces droits individuels que confère la Constitution et que nous chérissons à juste titre. Nous sommes satisfaits que cette nécessité de protéger la sécurité nationale peut justifier des dérogations au système ou au processus qui a normalement cours. Nous sommes également satisfaits que le processus mis en place pour l'examen de renseignements protégés, par lequel le juge en chef de la Cour fédérale, ou un juge qu'il désigne, examine le refus d'accès à ces renseignements, rencontre les exigences minimales des principes de justice fondamentale.

[123]La procureure de l'appelant a suggéré lors de l'audition de l'appel que le processus devrait prévoir le recours à un procureur spécial, possédant un droit d'accès aux renseignements protégés, pour soit aider le juge désigné à exercer ses fonctions, soit assister le procureur de la personne qui ne peut accéder à ces renseignements. Ce procureur spécial serait en mesure de contre-interroger les témoins et ainsi de mieux tester la fiabilité et la crédibilité de la preuve soumise. Nous avons compris qu'elle exprimait devant nous un souhait de réforme. Nous notons que dans l'affaire Ribic, après entente entre les parties et avec le consentement du procureur général du Canada, un procureur spécial fut désigné et eut accès aux renseignements protégés. Il a ainsi assisté l'avocat de M. Ribic, participé aux audiences privées et à huis clos à sa place et posé aux témoins les questions que ce dernier voulait voir élucidées.

[124]Il est indubitable que le système, tel qu'il existe, rend la tâche particulièrement difficile pour le juge désigné qui doit, en l'absence d'un requérant et de ses avocats, se préoccuper des intérêts de ce dernier afin d'accorder un traitement équitable aux parties devant lui. Rien n'empêche les autorités exécutives ou législatives d'octroyer plus que les garanties minimales requises par la Charte pour satisfaire aux principes de justice fondamentale. Comme le dit le juge Bastarache, «La Charte établit des normes minimales auxquelles la common law et le droit écrit doivent se conformer. Elle ne les empêche pas d'offrir une protection additionnelle»: R. c. G. (B.), [1999] 2 R.C.S. 475, au paragraphe 83; voir aussi R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, à la page 142 où le juge en chef Lamer rappelle que la Constitution ne garantit pas toujours la situation «idéale».

[125]C'est ainsi, par exemple, que le législateur britannique a, à l'article 6 de sa loi intitulée Special Immigration Appeals Commission Act 1997 [(R.-U.), 1997, ch. 68], prévu la possibilité que soit nommée par le procureur général une personne pour représenter les intérêts d'un appelant dans des procédures devant la Commission d'appel de l'immigration lorsque lui et ses avocats en sont exclus. Le paragraphe 6(4) prévoit que la personne ainsi nommée, choisie parmi des avocats spécialisés en matière d'immigration, conseillers de la Reine et détenant la cote de sécurité nécessaire, n'est pas redevable à celui ou à celle dont elle représente les intérêts. Mais une fois que cet avocat spécialement nommé a pris connaissance de la preuve ou des renseignements gardés confidentiels, il ne peut plus librement entrer en contact avec l'appelant ou son procureur. Il ne peut le faire qu'en conformité avec les directives du Secrétaire d'État, de façon à éviter que, même par inadvertance, des informations confidentielles ne soient révélées: voir les articles 34 à 36, Special Immigration Appeals Commission (Procedure) Rules 2003 [S.I. 2003/1034].

[126]Nous avons brièvement fait mention de cette procédure qui existe en Angleterre pour deux raisons: premièrement, pour en souligner l'existence et, deuxièmement, pour faire ressortir que sa mise en place implique des coûts et qu'elle nécessite une analyse et un choix quant au rôle que doit pouvoir jouer la personne spécialement nommée. Il nous apparaît évident que l'opportunité de se doter d'un tel mécanisme et sa mise en place, avec ses tenants et aboutissants, relèvent plus du pouvoir législatif ou réglementaire que du pouvoir judiciaire. D'ailleurs, dans le rapport de la Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada [Deuxième rapport: La liberté et la sécurité devant la loi] (la Commission MacDonald), auquel le juge désigné réfère au paragraphe 35 de sa décision, la Commission avait examiné la question et n'avait pas jugé à l'époque que cette procédure était opportune dans notre système. Au volume I, page 586, paragraphe 104, la Commission écrit:

Dans notre système, l'audition devant le juge serait une procédure unilatérale [. . .] On a prétendu qu'il faudrait conférer à la procédure un caractère plus accusatoire en prévoyant la nomination d'un officier qui aurait qualité d'intervenant bénévole. Cet officier signalerait au juge, au besoin, les faiblesses ou les lacunes des demandes. Cette proposition a beaucoup de mérite et nous l'avons examinée avec soin, mais nous avons conclu que, somme toute, un tel mécanisme ne convient pas. L'antagonisme que cette procédure engendrerait pourrait être plutôt artificiel et risquerait de compliquer outre mesure le processus d'approbation des demandes. De plus, nous estimons qu'un juge d'expérience n'a pas besoin d'une procédure accusatoire pour peser tous les aspects d'une demande.

Le législateur a choisi de suivre cette recommandation de la Commission MacDonald qui rencontre les garan-ties minimales des principes de justice fondamentale. C'est à lui, et non à nous, qu'il revient de la reconsidérer, s'il y a lieu.

[127]Il y a maintenant lieu de considérer la troisième question soulevée par l'appel.

3.     Est-ce que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 et suivants de la LIPR porte atteinte au statut de résident permanent de l'appelant et assure-t-elle un traitement égal à tous les résidents permanents déclarés inadmissibles pour raisons de sécurité?

[128]Nous avons déjà répondu en partie à cette question lorsque nous avons procédé à l'analyse des facteurs sous la question no 2. Il suffit de réitérer que le statut de résident permanent est constitutionnellement révocable et, qu'à cet égard, les motifs de révocation sont les mêmes pour tous les résidents permanents: voir Chiarelli. Nous avons aussi conclu que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 et suivants de la LIPR ne porte pas atteinte à ce statut.

[129]Quant à la question de l'égalité de traitement des résidents permanents déclarés inadmissibles pour des raisons de sécurité, il n'y a au dossier, outre les allégations, aucune preuve de discrimination au sens de l'article 15 de la Charte.

4.     Est-ce que les dispositions de la LIPR prévoyant la détention de la personne en cause pendant l'examen judiciaire du certificat de sécurité sont conformes à la Charte et à la Déclaration canadienne?

[130]Nous sommes satisfaits que les dispositions relatives à la détention préventive de l'appelant, en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité, rencontrent les exigences de la Charte et de la Déclaration canadienne. Les motifs autorisant la détention sont sérieux et limités. Ils ont un lien étroit et direct avec les objectifs de la LIPR, l'obligation d'assurer la protection de la sécurité nationale et le droit du Parlement canadien de contrôler l'accès et le séjour au Canada de résidents permanents.

[131]En outre, le mécanisme de révision continue de la détention que le législateur a prévu permet que le droit à la liberté de l'appelant soit sous constante surveillance et protection judiciaire afin d'empêcher qu'il ne soit illégalement ou injustement brimé.

[132]Enfin, tel que précédemment mentionné, la détention d'un résident permanent faisant l'objet d'un certificat de sécurité n'est pas une mesure injustifiée et inconstitutionnelle lorsque la preuve révèle qu'il pourrait constituer un danger pour la sécurité nationale ou d'autrui ou qu'il pourrait contrecarrer le cours de la justice en se soustrayant aux procédures prises contre lui.

5.     Est-ce que les termes «motifs raisonnables de croire» et «danger pour la sécurité du Canada» utilisés à l'article 33 et au paragraphe 34(1) de la LIPR sont imprécis ou de portée excessive ou discriminatoire?

[133]Nous avons déjà répondu par la négative à cette question aux paragraphes 102 à 107.

6.     Est-ce que le caractère public du certificat de sécurité des ministres déposé en Cour fédérale porte atteinte à la Charte dans la mesure où il empêcherait un retour sans risque de la personne dans son pays d'origine?

[134]Ce motif d'appel a été abandonné par l'appelant.

7.     Est-ce que l'absence de droit d'appel ou de contrôle judiciaire des décisions quant au caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi (article 112 de la LIPR) porte atteinte à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867?

[135]Nous n'avons pas eu besoin d'entendre les intimés sur cette question. Il est acquis en jurisprudence que le droit d'appel est un droit conféré statutairement et qu'il n'existe pas en l'absence d'une disposition législative l'octroyant. Au plan constitutionnel, la compétence du législateur de consentir ou non un droit d'appel dans les matières relatives à l'immigration ne saurait être mise en doute.

[136]Quant à l'élément «préjudice» qui semble sous-tendre ce grief, il ne faut pas oublier que l'absence de droit d'appel ou de contrôle judiciaire existe pour les deux parties à la procédure: tant l'appelant que les intimés peuvent s'en réjouir ou le déplorer selon la décision rendue.

8.     Est-ce que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 76 à 85 de la LIPR respecte les obligations internationales du Canada, notamment eu égard à l'alinéa 3(3)f) de la LIPR et au Pacte?

[137]L'alinéa 3(3)f) de la LIPR requiert que l'interprétation et la mise en oeuvre de celle-ci se conforment aux instruments internationaux sur les droits de l'homme que le Canada a signés. L'appelant se réclame des dispositions du Pacte, de la Déclaration universelle et de la Convention Européenne des droits de l'Homme et allègue que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 77 et suivants de la LIPR y contrevient. Cet argument de l'appelant est sans aucun mérite.

[138]Il convient de mentionner que la Déclaration universelle, qui est une résolution de l'assemblée générale des Nations Unies, si elle joue un rôle important au niveau du droit international coutumier, n'a pas de force obligatoire. Par contre, tel que déjà mentionné, le Canada est signataire du Pacte, instrument qui, en quelque sorte, est venu préciser les grands principes énoncés dans la Déclaration universelle. Quant à la Convention, son rôle est ici, au plan domestique, limité. Mais dans la mesure où ses dispositions sont similaires à celles du Pacte et de notre Charte, l'interprétation qui en est faite par les tribunaux européens nous offre une perspective additionnelle et certes pertinente.

[139]Globalement, les dispositions du Pacte prévoient le droit à l'égalité devant les tribunaux et le droit à une audition équitable et publique par un tribunal compétent, indépendant et impartial (article 14). On retrouve aux articles 12 et 13 le droit à la libre circulation sur le territoire par la personne qui s'y trouve légalement ainsi que le droit pour un étranger que l'on veut expulser de s'opposer et de faire valoir des motifs à l'encontre de la mesure d'expulsion. Mais les dispositions du Pacte permettent aussi des dérogations en cas d'un danger public exceptionnel ou de menace à la sécurité nationale, dérogations qu'il n'est pas nécessaire ici d'analyser en l'absence d'une preuve de violation des articles 13 et 14.

[140]De fait, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, dans sa Communication No. 1051/2002 [Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques], a confirmé la conformité de la procédure d'examen judiciaire de l'article 77 de la LIPR avec les dispositions du Pacte. Au paragraphe 10.5, le Comité livre les observations suivantes relativement à une demande de M. Ahani qui avait, sans succès, contesté devant la Cour fédérale la procédure d'examen judiciaire:

Pour ce qui est des allégations de violation des articles 6, 7, 13 et 14 relatives à l'expulsion de l'auteur et à la procédure à l'issue de laquelle il a été expulsé, le Comité relève tout d'abord que, à l'audience visant à établir le caractère raisonnable de l'attestation de danger pour la sécurité, la Cour fédérale a donné à l'auteur un résumé l'informant suffisamment des accusations portées contre lui. Le Comité note que la Cour fédérale avait conscience qu'elle avait la «lourde responsabilité» de faire en sorte dans cette procédure que l'auteur connaisse dûment les faits qui lui étaient reprochés et puisse y répondre et que l'auteur a effectivement pu défendre sa cause et interroger des témoins. Étant donné les questions de sécurité nationale qui étaient en jeu, le Comité n'est pas convaincu que cette procédure ait été injuste à l'égard de l'auteur. De plus, rappelant le rôle limité qui est le sien dans l'appréciation des faits et des éléments de preuve, le Comité ne discerne pas dans les documents dont il est saisi le moindre élément donnant à penser qu'il y ait eu mauvaise foi, abus d'autorité ou tout autre élément arbitraire qui entacherait l'appréciation faite par la Cour fédérale de l'attestation certifiant que l'auteur était impliqué dans une organisation terroriste. Le Comité note aussi que le Pacte ne prévoit pas, de droit, une possibilité de recours contre toutes les décisions prises par un tribunal, au-delà des affaires criminelles. Il n'a donc pas à déterminer si l'arrestation de l'auteur et la procédure relative à l'attestation relèvent du champ d'application de l'article 13 (en tant que décision en vertu de laquelle un étranger légalement présent sur le territoire est expulsé) ou de l'article 14 (en tant que décision portant sur des droits et obligations de caractère civil), vu qu'en tout état de cause l'auteur n'a pas montré qu'il y a eu violation des dispositions de ces articles dans la conduite par la Cour fédérale de l'audience consacrée à déterminer le caractère «raisonnable» de l'attestation. [Nous soulignons.]

[141]L'article 10 de la Déclaration universelle et l'article 6, paragraphe 1 de la Convention confèrent des droits similaires à ceux de l'article 14 du Pacte.

[142]Sur les plans de l'égalité devant les tribunaux, de l'équité procédurale, de l'indépendance judiciaire ainsi que de l'impartialité des tribunaux, notre Charte n'est en reste avec aucun de ces trois instruments internationaux. Elle confère des droits et des garanties, à toutes fins pratiques, identiques. Nous avons déjà indiqué que la procédure d'examen judiciaire prévue aux articles 77 et suivants s'y conformait. Il en va donc de même pour les trois instruments internationaux.

[143]De plus, la Cour Européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt du 5 octobre 2000, Maaouia c. France (39652/98), [2000] CEDH 453 a statué que l'article 6 de la Convention ne s'applique pas aux mesures d'interdiction de territoire. Il s'agit d'une «mesure de prévention spécifique en matière de police des étrangers» qui est souvent prise par l'autorité administrative: voir le paragraphe 39 de la décision. De dire la Cour au paragraphe 40, «les décisions relatives à l'entrée, au séjour ou à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil du requérant ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention».

Conclusion

[144]Le juge désigné avait compétence pour entendre et décider les questions constitutionnelles soulevées par l'appelant dans le cadre des mesures d'interdiction de territoire prises contre ce dernier. Mais l'appelant n'a pu démontrer que la procédure d'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité émis contre lui et du contrôle des motifs de la détention ainsi que la procédure d'examen de renseignements à protéger prévues aux articles 76 et suivants de la LIPR, ne rencontrent pas les exigences de la Charte et des trois instruments internationaux auxquels il s'est référé. En conséquence, nous sommes d'avis de confirmer les conclusions du juge désigné et de rejeter l'appel avec dépens.

    * * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[145]Le juge en chef Richard: Je souscris aux motifs très détaillés et à la conclusion de mes collègues, les juges Décary et Létourneau. Le présent appel soulève d'importantes questions concernant le rôle des cours de justice en matière de sécurité nationale ainsi que le rôle de l'avocat représentant le gouvernement dans de telles affaires.

[146]L'un des objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est d'assurer la sécurité de la société canadienne. Elle comprend des dispositions d'interdiction de territoire pour les criminels, les personnes qui constituent une menace à la sécurité et les personnes qui ont violé les droits de la personne.

[147]Mes collègues ont analysé en détail les dispositions de la Loi qui concernent l'interdiction de territoire fondée sur ces motifs et l'exigence relative à l'examen judiciaire du certificat émis par les ministres attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée.

[148]Je désire souligner l'importance du rôle de la magistrature ainsi que du rôle de l'avocat comparaissant au nom des ministres dans de telles procédures.

[149]Le Canada a un intérêt à la fois légitime et impérieux à protéger la sécurité nationale. Le gouvernement doit relever le défi qui consiste à atteindre le mieux possible un équilibre entre les préceptes de la sécurité nationale et les droits civils. La tâche du droit consiste à trouver des manières d'assurer la sécurité nationale sans porter indûment atteinte aux libertés individuelles. Afin de relever ce défi, le législateur a inséré des dispositions dans la Loi qui exigent l'examen judiciaire du caractère raisonnable du certificat émis par les ministres et la protection des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[150]Bien que la décision initiale quant à la retenue de renseignements confidentiels soit prise par les ministres, cette décision relève par la suite de la compétence du juge désigné, notamment la décision quant à savoir quels renseignements doivent figurer dans le résumé donné à la personne visée par le certificat de sécurité. Le juge désigné doit donner à cette personne la possibilité d'être entendue. Si, de l'avis motivé du juge désigné, la retenue des renseignements confidentiels n'est pas justifiée, le juge peut ordonner que les documents soient divulgués.

[151]Il revient donc au juge désigné et non pas aux ministres de trancher quant à la nécessité de ne pas divulguer des renseignements à la personne visée par le certificat. Par conséquent, le rôle de la magistrature comme interprète du droit et défenseur de la Constitution demeure inchangé.

[152]L'indépendance judiciaire de l'influence du gouvernement ainsi que de l'influence provenant d'autres sources, notamment l'opinion publique, est un droit constitutionnel de toute personne au Canada. C'est le droit de savoir que l'ensemble des questions juridiques soumises aux tribunaux seront tranchées avec impartialité et en conformité avec le droit, sans qu'aucune influence ou intervention étrangère ne soit exercée. En veillant à ce que les décisions concernant la retenue d'éléments de preuve et de renseignements sont prises par le juge désigné et non par les ministres, la Loi s'efforce de protéger les droits de la personne visée par le certificat tout en assurant le maintien de la sécurité nationale.

[153]Je désire également insister sur la tâche de l'avocat comparaissant au nom des ministres dans des procédures ex parte en vertu de l'article 78 de la Loi. Je suis d'accord avec mes collègues que l'avocat a l'obligation de présenter ses arguments au juge avec la bonne foi la plus absolue. Aucun renseignement pertinent ne peut être retenu. Le principe de la divulgation complète et fidèle dans les procédures ex parte est un principe de justice fondamental qui a été reconnu par la Cour suprême: Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27.

[154]L'application de ce principe aux procédures prévues à l'article 78 de la Loi impose à l'avocat des ministres l'obligation de soumettre au juge désigné non seulement les éléments de preuve protégés qui servent à incriminer la personne visée par le certificat de sécurité, mais également tout renseignement qui pourrait servir à disculper cette personne. L'avocat a l'obligation stricte de fournir tous les renseignements qui sont en sa possession, favorables et défavorables, qu'il croit ou non à leur pertinence. Il revient alors au juge désigné de décider si l'élément de preuve est pertinent.

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