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T-20-03

2004 CF 1577

James Richardson International Limited (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine et La Commission canadienne des grains (défenderesses)

Répertorié: James Richardson International Ltd. c. Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Mactavish--Winnipeg, 14 octobre; Ottawa, 10 novembre 2004.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Décisions de la Commission canadienne des grains (CCG) concernant un chargement de grain durant un lock-out au port de Vancouver -- La CCG a refusé que ses inspecteurs franchissent les lignes de piquetage parce qu'elle craignait pour leur sécurité -- La demanderesse a procédé elle-même au déchargement des wagons, à la pesée et à l'échantillonnage -- La CCG a décidé que la demanderesse avait enfreint la Loi sur les grains du Canada -- Une suspension de licence d'un jour a été imposée -- Il a été ordonné une vérification («pesée de contrôle») des stocks de grain dès la fin du conflit de travail ou avant, selon l'appréciation du chef de la pesée -- Question de savoir si la CCG a outrepassé sa compétence en refusant de faire l'inspection et l'échantillonnage -- Question de savoir si l'équité procédurale a été niée en refusant l'exemption statutaire -- Question de savoir si la conduite d'une enquête est une condition préalable pour conclure que la demanderesse a enfreint la Loi -- Question de savoir si la CCG a fait preuve de parti pris -- Question de savoir si le chef de la pesée a refusé d'exercer sa compétence -- Question de savoir s'il y a eu un manque d'indépendance institutionnelle -- Un juge de la Cour fédérale a autorisé la contestation de plusieurs décisions dans une même demande -- Caractère suffisant de la divulgation -- Dans ses motifs de l'ordonnance, la CCG a fait référence à des faits qui n'avaient pas été communiqués à la demanderesse -- La CCG n'avait pas le pouvoir légal de déléguer au chef de la pesée celui de rendre une ordonnance concernant le moment où il serait interdit à la demanderesse de faire entrer et sortir du grain à l'installation terminale -- La sécurité des inspecteurs était une considération pertinente puisque la CCG avait l'obligation, en vertu du Code canadien du travail, de protéger ses employés au travail -- Examen de la jurisprudence de la C.S.C. sur la question de savoir si le cumul de fonctions soulève une crainte de partialité de la part du tribunal -- La question de savoir si la demanderesse a enfreint la Loi est renvoyée à un tribunal de la CCG différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

Pratique -- Modification des délais -- Contrôle judiciaire de décisions de la Commission canadienne du grain (CCG) durant un lock-out au port de Vancouver -- Question préliminaire: quant aux refus d'inspection et d'exemption de la CCG, la demande a été présentée hors délai -- Objection correctement soulevée à l'audience, plutôt que dans le cadre d'une requête préliminaire en radiation -- La question est de savoir si le fait qu'un juge (à qui l'affaire a été confiée par le greffe) ait autorisé l'examen de plusieurs décisions dans une seule demande de contrôle judiciaire empêche la Cour de rendre une décision sur la partie de la demande non considérée comme hors délai -- La question du délai de présentation n'avait pas été soulevée devant le juge qui a accordé l'autorisation -- Il est clair qu'une ordonnance en application de la règle 302 des Règles de la Cour fédérale (1998) peut être refusée si elle permet que le délai prévu par la loi soit prolongé -- Bien qu'impliquant un processus continu les refus d'inspection et d'exemption étaient des décisions bien distinctes -- Les quatre exigences pour une prorogation de délai doivent être satisfaites -- La demanderesse n'a pas rempli le premier critère: avoir toujours l'intention de poursuivre la demande.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de certaines décisions rendues par la Commission canadienne du grain (CCG) concernant un chargement de grain durant un lock-out au port de Vancouver.

La British Columbia Terminal Elevators Operators' Association, dont James Richardson International Limited (la demanderesse) est membre, a mis en lock-out ses employés syndiqués au moment où la demanderesse avait 121 wagons de grain, prêts pour le déchargement. La CCG, se disant préoccupée par la sécurité de ses employés, a refusé que ses inspecteurs franchissent la ligne de piquetage. La demanderesse a utilisé des travailleurs de remplacement pour décharger le grain et elle a elle-même prélevé des échantillons de grain et enregistré le poids du grain en employant des méthodes et du matériel autorisés par la CCG. Cela n'a pas été réalisé sous la surveillance de la CCG, une exigence de la Loi sur les grains du Canada. La CCG a décidé que la demanderesse avait enfreint la Loi et elle lui a imposé une suspension de licence d'un jour. Elle a de plus ordonné à la demanderesse d'effectuer une vérification («pesée de contrôle») de ses stocks de grain dès la fin du conflit de travail ou même avant, selon l'appréciation du chef de la pesée de la CCG.

Les questions en litige étaient: 1) La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en refusant de procéder à l'inspection et au prélèvement d'un échantillon, obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur les grains du Canada? 2) A-t-elle agi en violation de son obligation d'équité procédurale en refusant de dispenser, par ordonnance, la demanderesse des exigences prévues par la Loi? 3) A-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse avait enfreint la Loi et agi sans compétence en ne respectant pas la condition préalable à l'établissement de l'ordonnance? 4) A-t-elle fait preuve de parti pris ou a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées? 5) Le chef de la pesée a-t-il refusé d'exercer sa compétence? 6) Les décisions contestées ont-elles révélé un parti pris et un manque d'indépendance?

Deux questions préliminaires ont été examinées. 1) Les défenderesses ont soutenu que, en ce qui a trait aux refus d'inspection et d'exemption, la présente demande avait été présentée bien au-delà du délai de 30 jours établi par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. 2) Aussi, à l'égard de ces refus, la présente demande était théorique.

Jugement: la demande doit être accueillie en partie; la question de savoir si la demanderesse a enfreint la Loi est renvoyée à d'autres commissaires pour qu'ils statuent à nouveau sur celle-ci.

Bien que la CCG n'ait soulevé la question du délai de présentation que peu de temps avant l'audience, la demanderesse savait bien que, en ce qui concerne les deux premières décisions de la CCG, la demande de contrôle judiciaire avait été présentée hors délai. De plus, un argument relatif au délai de présentation devrait normalement être abordé à l'audition de la demande de contrôle judiciaire, et non dans le cadre d'une requête préliminaire en radiation. Mais le juge Noël ayant accordé l'autorisation de traiter l'ensemble des décisions contestées dans une seule demande de contrôle judiciaire, la question était de savoir si cette décision empêchait la Cour de décider qu'une partie de la demande ne pouvait pas être considérée car elle était hors délai. Apparemment, la question du délai de présentation n'avait pas été soulevée devant le juge Noël. La jurisprudence établissait clairement qu'une ordonnance en application de la règle 302 peut être refusée si elle permet au demandeur de prolonger le délai prévu par la loi. La question était alors de savoir si la nature continue du processus devrait relever la demanderesse de son obligation de présenter la demande dans le délai prévu. Même si la présente affaire impliquait un processus continu, de sorte que l'audition commune de la contestation des décisions permettait l'utilisation efficace des ressources judiciaires, les refus d'inspection et d'exemption étaient deux décisions bien distinctes et il fallait appliquer le critère habituel. La demanderesse devait établir que l'ensemble des quatre exigences pour obtenir une prorogation de délai énoncées dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly avaient été satisfaites. La demanderesse n'a pas rempli le premier critère, le dossier ne révélant pas qu'elle avait toujours l'intention de poursuivre la demande, il était inutile d'examiner les autres éléments du critère et la demande de prorogation de délai devait être rejetée. Il était inutile de discuter des arguments des défenderesses concernant le caractère théorique.

Quant à la question de fond qui est de savoir si la CCG a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait enfreint la Loi sur les grains du Canada, cette dernière a admis avoir déchargé 121 wagons sans qu'une pesée et une inspection officielles n'aient été réalisées, contrairement à l'article 70 de la Loi. La demanderesse a cependant soutenu qu'elle avait été forcée de procéder ainsi en raison du défaut de la Commission de remplir les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi. Cet argument constituait une contestation incidente des refus d'inspection et d'exemption et, puisque la demande de contrôle judiciaire se rattachant à ces décisions avait été déclarée hors délai, cette question n'a pas été discutée davantage.

La demanderesse a fait valoir que la CCG n'avait pas compétence pour décider qu'elle avait enfreint la Loi sans d'abord avoir reçu le rapport d'inspection prévu à l'article 90 ou effectué une enquête au titre de l'article 91. Avant l'ordonnance contestée, l'avocate de la CCG avait écrit au vice-président de la demanderesse pour l'informer d'une violation de l'article 70 et, en vertu de l'article 93, accordant à la demanderesse une semaine pour lui permettre de présenter les motifs expliquant pourquoi sa licence ne devrait pas être suspendue. La demanderesse a été avisée que des accusations criminelles pourraient même être portées. L'avocate de la demanderesse a répondu que du fait que CCG avait manqué à son devoir, la demanderesse n'avait pas eu d'autre choix que de décharger la cargaison pour éviter sa détérioration. La CCG a fourni à la demanderesse des copies des observations faites par de hauts fonctionnaires de la Commission au sujet de la situation, une chronologie des événements préparée par le directeur régional, région du Pacifique, à la CCG, lequel avait lui-même assisté à la scène et observé la situation depuis la ligne de piquetage. La demanderesse s'est ensuite vue accorder un nouveau délai d'une semaine pour réagir à ces renseignements et il lui a été demandé son opinion sur la sanction appropriée. On l'a également avisée de son droit de demander une audience publique en vertu du paragraphe 98(2). La demanderesse n'a jamais demandé d'audience publique. Les parties se sont entendues pour dire que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte, puisque la question de savoir si l'enquête était une condition préalable impliquait l'interprétation de la Loi sur les grains du Canada de même que l'examen de la compétence de la CCG. Cependant, la question préliminaire consistait à savoir si la CCG avait, en fait, effectué une enquête avant de rendre son ordonnance. L'article 91 ne prévoit pas un processus d'enquête quelconque et la correspondance entre les avocates démontre que la CCG avait vraiment fait enquête. L'argument de la condition préalable n'avait pas à être considéré davantage.

Quant à la question de savoir si la partie de la sanction imposée relative à la pesée de contrôle était autorisée par la Loi, la demanderesse a souligné l'alinéa 93(1)a) (qui limite à 30 jours la période durant laquelle on peut interdire à un titulaire de licence de recevoir ou de retirer du grain) et elle a laissé entendre que l'ordonnance avait pour effet de l'empêcher d'exercer ses activités pendant une période de temps indéterminée. Le lock-out s'est terminé le 14 décembre 2002, la pesée de contrôle a commencé le 8 janvier 2003 et s'est terminée le 7 février 2003, de sorte que la demanderesse a été dans l'impossibilité d'exercer ses activités pendant environ 90 jours. Mais le délai pouvait être attribuable en grande partie à la demanderesse, laquelle avait mis ses employés en lock-out. Le temps pris par la pesée de contrôle n'a pas dépassé le maximum prévu par l'alinéa 93(1)a).

Quant à l'équité procédurale, la demanderesse s'est plainte de ne pas avoir eu une divulgation complète du dossier à l'encontre duquel elle devait opposer une défense. Elle a ajouté que, bien qu'il ait appartenu à la CCG d'établir la perpétration d'une infraction, celle-ci était partie du principe qu'une infraction avait été commise, exigeant de l'expéditeur du grain de démontrer pourquoi sa licence ne devrait pas être suspendue. Cependant, il a toujours existé une preuve prima facie que la demanderesse avait enfreint la Loi. Le litige était de savoir si l'infraction qu'elle avait commise était justifiée en raison du défaut de la CCG d'exécuter convenablement ses obligations prévues par la Loi. Comment la demanderesse pouvait-elle se plaindre qu'on n'ait pas respecté les règles de l'équité procédurale à son égard alors qu'elle avait renoncé au droit de demander une audience publique? Ce qui était plus problématique, c'était la question de la suffisance de la divulgation. La CCG avait avisé la demanderesse qu'elle pouvait «consulter» ses «hauts fonctionnaires» dont les recommandations ne seraient pas communiquées à la demanderesse. La CCG a laissé entendre que, compte tenu du cadre de réglementation, elle n'avait aucune obligation de communiquer à la demanderesse les renseignements fournis par les hauts fonctionnaires. Dans ses motifs d'ordonnance, la CCG a fait état de faits qui ne se trouvaient pas dans les documents fournis à la demanderesse. Le contenu de l'obligation d'équité procédurale est variable et bien que les droits en cause en l'espèce aient été purement économiques, la décision de la CCG revêtait une grande importance pour la demanderesse. La CCG a manqué à son obligation d'équité procédurale en obtenant de ses hauts fonctionnaires des renseignements additionnels quant aux faits de cette affaire sans les divulguer à la demanderesse. Vu le dossier, il était impossible de savoir dans quelle mesure ces renseignements pouvaient avoir influencé la décision de la CCG. Cette ordonnance ne pouvait certainement pas être maintenue et elle devait être annulée. Cela dit, il en était autrement concernant l'intervention des avocats. L'équité procédurale n'exige pas automatiquement la divulgation des avis juridiques.

La demanderesse a soutenu que la décision du chef de la pesée de ne pas procéder à la pesée de contrôle avant la fin du conflit de travail était illégitime, faisant valoir que la CCG n'avait pas le pouvoir légal de déléguer cette décision. L'ordonnance de pesée de contrôle en application de l'alinéa 93(1)a) doit préciser quand elle aura lieu et elle doit être rendue par la Commission, laquelle est composée de trois commissaires. La CCG avait ordonné que la pesée soit entreprise [traduction] «dans les meilleurs délais après le règlement du présent conflit de travail [], ou plus tôt, selon l'appréciation du chef de la pesée». (Non souligné dans l'original.) Bien que la Commission soit habilitée à déléguer, par règlement administratif, certaines de ses fonctions, cela ne s'étend pas au pouvoir de prendre des ordonnances. La CCG visait à donner au chef de la pesée le pouvoir de décider quand il serait interdit à la demanderesse de faire entrer et sortir du grain à l'installation terminale. C'était une décision que seuls les commissaires pouvaient prendre.

Une autre question en litige consistait à savoir si le chef de la pesée avait fait erreur en refusant de procéder à la pesée de contrôle jusqu'au règlement du conflit de travail. La question était celle de savoir si les préoccupations à l'égard de la sécurité des employés de la CCG constituaient une considération non pertinente dans la décision concernant le moment où la pesée de contrôle serait effectuée. Ce n'était pas le cas puisque, en vertu du Code canadien du travail, la CCG, en tant qu'employeur fédéral, avait l'obligation, en vertu de la loi, de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés au travail.

Comme cette affaire devait être renvoyée à la CCG pour qu'elle statue à nouveau sur celle-ci, il fallait examiner les arguments de la demanderesse concernant l'indépendance institutionnelle. La Cour suprême du Canada a, à maintes reprises au cours des dernières années, traité de la question du degré d'indépendance et d'impartialité institutionnelles auquel sont assujettis les tribunaux administratifs exerçant des fonctions quasi judiciaires et il était possible de dégager certains principes de ces décisions. Il est maintenant établi que les tribunaux ne sont pas tenus au même degré d'indépendance et d'impartialité institutionnelles que celui qu'on exige des cours. Le fait qu'un tribunal administratif puisse exercer plusieurs fonctions ne soulève pas en soi une crainte raisonnable de partialité. Ce genre d'arrangement est souvent nécessaire pour permettre à un organisme de remplir efficacement son rôle. Une telle flexibilité peut être appropriée dans le cas d'un système d'octroi de permis mettant en cause des intérêts purement économiques, le type de régime en cause dans la présente affaire. Le régime législatif établi en vertu de la Loi sur les grains du Canada prévoit expressément que la CCG exerce de multiples fonctions, dont la délivrance des licences, la conduite d'enquêtes et la prise de décisions. Cela commande de ne pas conclure à l'existence d'un parti pris institutionnel et les observations de la demanderesse sur cette question, appuyées d'aucune jurisprudence, ont été rejetées.

Par contre, la réception par les commissaires de l'information au sujet de ce qui s'était produit à l'installation terminale de la demanderesse à Vancouver, laquelle n'avait pas été communiquée à la demanderesse, créait une crainte raisonnable de partialité de la part de ces commissaires qui ont rendu l'ordonnance contestée.

La question de savoir si la demanderesse était en droit de procéder au déchargement du grain dans les circonstances demeure une question non résolue, la question de la violation alléguée de la Loi sur les grains du Canada devait donc être renvoyée à la Commission pour qu'elle statue à nouveau sur celle-ci. Compte tenu de la conclusion de la Cour quant à la crainte raisonnable de partialité, il serait préférable que d'autres commissaires statuent à nouveau sur l'affaire et il convient de noter que la Loi prévoit la nomination de commissaires adjoints.

lois et règlements cités

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 124 (mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 5).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), ch. G-10, art. 3 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 37, art. 2), 13, 14(1)c),(3) (mod., idem, art. 4), 30(1) (mod. par L.C. 1994, ch. 45, art. 7), 45(2) (mod., idem, art. 10), 70, 90 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 127; 1994, ch. 45, art. 29), 91 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 128; 1994, ch. 45, art. 25), 93 (mod. par L.C. 1994, ch. 45, art. 30; 1998, ch. 22, art. 25), 98.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 302.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Hamilton-Wentworth (municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 33 C.E.L.R. (N.S.) 200; 187 F.T.R. 287; [2000] A.C.F. no 440 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809; (2004), 238 D.L.R. (4th) 1; 12 Admin. L.R. (4th) 171; 33 C.C.E.L. (3d) 1; 47 C.P.C. (5th) 203; 19 C.R. (6th) 203; 319 N.R. 322; 187 O.A.C. 1; 2004 CSC 31; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; (2001), 204 D.L.R. (4th) 33; [2001] 10 W.W.R. 1; 93 B.C.L.R. (3d) 1; 34 Admin. L.R. (3d) 1; 274 N.R. 116; 2001 CSC 52; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; (2003), 227 D.L.R. (4th) 193; [2004] 1 W.W.R. 1; 3 Admin. L.R. (4th) 163; 109 C.R.R. (2d) 65; 306 N.R. 34; 2003 CSC 36; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115.

décisions distinctes:

Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476; (1999), 19 C.C.P.B. 179; 236 N.R. 317 (C.A.); Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada), [1993] 3 C.F. 557; (1993), 65 F.T.R. 127 (1re inst.); Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Commission canadienne des grains), 2004 CF 1307; [2004] A.C.F. no 1568 (QL).

décisions citées:

Lavoie c. Canada (Service correctionnel) (2000), 196 F.T.R. 96 (C.F. 1re inst.); 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 93 N.R. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire de certaines décisions de la Commission canadienne du grain. Demande accueillie en partie; la question de savoir si la demanderesse a enfreint la Loi sur les grains du Canada est renvoyée à d'autres commissaires pour qu'ils statuent à nouveau sur celle-ci.

ont comparu:

E. Beth Eva pour la demanderesse.

Brian H. Hay pour les défenderesses.

avocats inscrits au dossier:

Fillmore Riley LLP, Winnipeg, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défenderesses.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Mactavish: James Richardson International Limited (JRI) oeuvre dans la manutention, le nettoyage et l'expédition du grain. Elle exerce également d'autres activités telles que l'exploitation d'un silo terminal au port de Vancouver.

[2]La Commission canadienne des grains (CCG) est l'organisme fédéral chargé de fixer et de faire respecter les normes de qualité pour le grain canadien. L'un de ses principaux objectifs vise à offrir à l'industrie céréalière une inspection et un classement du grain qui soient justes et équitables, afin d'en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur.

[3]JRI est l'un des cinq membres de la British Columbia Terminal Elevators Operators' Association (BCTEOA). Le 25 août 2002, les membres de la BCTEOA ont mis en lock-out leurs employés syndiqués. Au début du lock-out, JRI avait dans ses installations terminales 121 wagons remplis de grain, prêts pour le déchargement.

[4]Dans la semaine du 2 septembre 2002, JRI a avisé la CCG qu'elle entendait décharger ce grain les 10 et 11 septembre. JRI a demandé à la CCG de procéder à l'inspection pendant le déchargement, comme l'exige la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), ch. G-10 (la Loi). À défaut de réalisation de cette inspection, JRI a demandé à être dispensée des exigences d'inspection et de classement du grain prévues par la Loi.

[5]La CCG a refusé que ses inspecteurs franchissent la ligne de piquetage dressée aux installations terminales de JRI à Vancouver pour procéder à une inspection, parce qu'elle se disait préoccupée par la sécurité de ses employés. La CCG a également refusé de dispenser JRI de l'exigence d'inspection.

[6]Au lieu de demander une injonction forçant la CCG à exécuter l'inspection, JRI est allée de l'avant et a procédé au déchargement du grain le 10 septembre 2002, en faisant appel à une main-d'oeuvre non syndiquée. JRI s'est efforcée de prélever des échantillons de grain et d'enregistrer le poids du grain en employant des méthodes et du matériel autorisés par la CCG. Les opérations de pesée et d'échantillonnage du grain n'ont toutefois pas été réalisées sous la surveillance d'un inspecteur de la CCG, comme l'exige la Loi sur les grains du Canada.

[7]La CCG a ensuite ordonné à JRI de fournir les motifs expliquant pourquoi elle ne devrait pas être reconnue coupable d'avoir enfreint la Loi. À la suite d'un échange de correspondance, la CCG a conclu que JRI avait enfreint la Loi et elle lui a imposé une suspension de licence d'un jour comme sanction. La CCG a de plus ordonné à JRI d'effectuer une «pesée de contrôle», ou une vérification, de ses stocks de grain, et ce, dès la fin du conflit de travail ou avant, selon l'appréciation du chef de la pesée de la CCG.

[8]JRI demande maintenant le contrôle judiciaire des diverses décisions prises par la CCG concernant ce chargement de grain particulier. Par ordonnance du juge Noël, JRI a obtenu l'autorisation de présenter une seule demande pour ces décisions, parce qu'elles constituent un ensemble de décisions interdépendantes prises dans un processus continu lié au même objet.

Questions en litige

[9]JRI a soulevé les six questions suivantes dans le cadre de la présente demande:

1. La CCG a-t-elle agi sans compétence ou outrepassé sa compétence, ou encore commis une erreur de droit, en refusant de procéder à l'inspection officielle et au prélèvement d'un échantillon officiel à la demande de JRI, obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 30(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 45, art. 7] de la Loi sur les grains du Canada? (Refus de l'inspection)

2. La CCG a-t-elle agi sans compétence, contrairement à la loi ou en violation de son obligation d'équité procédurale, en refusant de dispenser, par ordonnance, l'installation terminale des exigences d'inspection et de pesée officielles prévues par la Loi? (Refus de l'exemption)

3. En rendant l'ordonnance par laquelle elle tranche que JRI a enfreint la Loi sur les grains du Canada et en imposant une sanction, la CCG a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à pareille violation et agi sans compétence en ne respectant pas la condition préalable à l'établissement de l'ordonnance et en imposant par la suite une sanction non autorisée par la Loi? (Ordonnance du 8 novembre)

4. En établissant cette ordonnance, la CCG a-t-elle manqué à son obligation d'agir équitablement envers JRI, a-t-elle fait preuve de parti pris et manqué d'impartialité, a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, sur des questions et des faits non pertinents ou sur des faits et des éléments de preuve contradictoires, ou encore tranché en l'absence de faits ou d'éléments de preuve, et a-t-elle commis une erreur de droit ou agi de façon contraire à la loi?

5. En refusant de procéder à la pesée de contrôle du grain conformément à l'ordonnance ou en la retardant indûment, le chef de la pesée de la CCG a-t-il agi sans compétence, outrepassé sa compétence ou encore refusé de l'exercer, a-t-il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, a-t-il commis une erreur de droit ou agi de façon contraire à la loi et a-t-il manqué à son obligation d'agir équitablement envers JRI? (Refus de la pesée de contrôle)

6. La CCG a-t-elle fait preuve de parti pris et manqué d'indépendance et d'impartialité en refusant d'accorder l'exemption, de procéder à l'inspection et à la pesée de contrôle et en rendant l'ordonnance du 8 novembre?

Les questions préliminaires

[10]Avant d'étudier les questions soulevées par JRI, il faut régler deux questions préliminaires. Premièrement, les défenderesses soutiennent que, en ce qui a trait aux refus d'inspection et d'exemption, la présente demande de contrôle judiciaire a été présentée bien au-delà de la période de 30 jours prévue par le paragraphe 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. idem, art. 14)]. Elles affirment que la Cour devrait donc refuser d'entendre ces aspects de la demande.

[11]Deuxièmement, les défenderesses soutiennent que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique, dans la mesure où elle se rapporte aux refus d'inspection et d'exemption.

Délai de présentation de la demande en ce qui a trait aux refus d'inspection et d'exemption

[12]Les décisions contestées ont été prises les 9 et 10 septembre 2002. La demande de contrôle judiciaire n'a pas été présentée avant le 9 décembre 2002, soit à peu près trois mois après la communication des décisions à JRI.

[13]JRI savait bien que sa demande de contrôle judiciaire était hors délai, en ce qui concerne les deux premières décisions de la CCG. D'ailleurs, JRI a expressément sollicité dans sa demande une ordonnance de prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire des refus d'inspection et d'exemption, en cas de besoin.

[14]La CCG n'a soulevé la question du délai de présentation en temps opportun de la demande en ce qui a trait aux refus d'inspection et d'exemption que peu de temps avant que la demande soit mise au rôle. Toutefois, comme l'a souligné la juge Dawson dans Hamilton-Wentworth (municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 33 C.E.L.R. (N.S) 200; [2000] A.C.F. no 440 (C.F. 1re inst.), habituellement, une question visant le délai de présentation d'une demande de contrôle judiciaire devrait être débattue à l'audition de la demande, plutôt que dans le cadre d'une requête préliminaire en radiation.

[15]Rien ne donne à penser que JRI n'a pas eu suffisamment de temps pour préparer cette question ou qu'elle a subi un préjudice quelconque en raison du fait que la CCG n'a soulevé la question que tard dans la journée. Par conséquent, je suis prête à examiner la proposition suivant laquelle cet aspect de la demande de JRI est tardif.

[16]La question est donc de savoir si la décision du juge Noël de permettre que les diverses décisions de la CCG en cause en l'espèce soient traitées dans une même demande de contrôle judiciaire m'empêche d'examiner le délai de présentation de la demande de JRI en ce qui a trait aux refus d'inspection et d'exemption.

[17]À cet égard, il est utile de passer en revue le déroulement de la procédure dans la présente affaire. Dans sa première demande, JRI sollicitait le contrôle judiciaire de cinq décisions distinctes de la CCG (l'une de celles-ci n'est plus en cause). Le greffe de la Cour n'a pas voulu accepter la demande pour dépôt, parce qu'elle visait plusieurs décisions, contrairement à la règle 302 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106]. JRI a reformulé sa demande qu'elle désignait désormais comme une demande de contrôle judiciaire de l'ordonnance du 8 novembre et d'une série d'actions ou d'inactions de la part de la CCG.

[18]Cette fois-ci, le greffe a accepté la demande pour dépôt mais, étant donné que JRI essayait encore de contester plusieurs décisions dans une même demande, le dossier a été immédiatement confié au juge Noël pour qu'il donne des instructions.

[19]Le juge Noël a ordonné au greffe d'informer l'avocate de JRI que, à moins que des motifs valables ne soient fournis à la Cour pour justifier le contrôle judiciaire de plusieurs décisions dans une même demande, celle-ci serait rejetée. Le juge Noël a de plus précisé qu'une copie de ses instructions devait être signifiée à la CCG si l'avis de demande lui avait déjà été signifié.

[20]L'avis de demande de JRI n'avait pas encore été signifié à la CCG à ce moment-là et il ne semble pas qu'une copie des instructions du juge Noël lui ait déjà été signifiée. Le 6 janvier 2003, après réception des observations de JRI, le juge Noël a ordonné que JRI soit autorisée à contester plusieurs décisions de la CCG dans une même demande de contrôle judiciaire.

[21]JRI reconnaît que la question du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire n'a pas été abordée dans les observations déposées en réponse aux instructions du juge Noël. D'ailleurs, à la lecture du dossier, il apparaît que la question du délai n'a aucunement été soulevée devant le juge Noël. En outre, la CCG n'a jamais eu la possibilité de soulever la question avant l'ordonnance du 6 janvier 2003 rendue par le juge Noël. Par conséquent, je suis d'avis qu'il m'est permis d'examiner la question de savoir si une prorogation du délai de présentation de la demande doit à bon droit être accordée.

[22]Comme la jurisprudence l'a clairement établi, une ordonnance en application de la règle 302 des Règles de la Cour fédérale (1998) peut être refusée si elle permet au demandeur de prolonger le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (voir Lavoie c. Canada (Service correctionnel) (2000), 196 F.T.R. 96 (C.F. 1re inst.). La question est alors de savoir si la nature continue du processus en cause en l'espèce doit être prise en compte pour relever JRI de son obligation de demander le contrôle judiciaire dans le délai prévu.

[23]JRI a cité plusieurs décisions dans lesquelles la nature continue du processus en cause a été invoquée pour accorder une prorogation du délai de présentation d'une demande de contrôle judiciaire. À mon avis, on peut facilement établir une distinction entre chacune de ces décisions et la présente affaire.

[24]Dans Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.), la Cour n'a pas eu à se pencher sur des décisions ou des ordonnances distinctes comme c'est le cas en l'espèce avec les refus d'inspection et d'exemption. La demande de contrôle judiciaire visait plutôt les actes posés par un ministre dans la mise en oeuvre d'une décision. La Cour a estimé que le manquement reproché au ministre quant à son obligation d'origine législative était, dans ce cas, d'une nature continue, parce qu'il survenait de nouveau à chaque année fiscale. Par conséquent, la demande n'était pas tardive.

[25]Dans Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada), [1993] 3 C.F. 557 (1re inst.), le juge Gibson a conclu que les événements en cause s'apparentaient plus à un processus continu qu'à des décisions ou ordonnances particulières. Dans la présente affaire, les refus d'inspection et d'exemption représentent deux décisions particulières et bien distinctes de la part de la CCG.

[26]La décision de la juge Dawson dans l'affaire Hamilton-Wentworth citée précédemment visait une requête en radiation d'une demande de contrôle judiciaire. En raison du contexte dans lequel la question a été soulevée, la juge Dawson n'a rendu aucune décision sur le fond quant à savoir si l'affaire portait sur un processus continu. Elle a seulement tranché que l'argument de la demanderesse n'était pas à ce point dénué de toute chance de succès que la radiation de la demande de contrôle judiciaire était justifiée.

[27]Finalement, dans Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Commission canadienne des grains), 2004 CF 1307; [2004] A.C.F. no 1568 (QL), la situation était entièrement différente de celle en l'espèce. En outre, dans cette affaire, la CCG ne s'est pas opposée à la prorogation accordée.

[28]Les faits ayant donné lieu aux diverses décisions en cause dans la présente affaire découlent d'un processus continu et se rapportent au même objet. Conséquemment, l'audition commune de ces questions permettait l'utilisation efficace des ressources judiciaires. Toutefois, les refus d'inspection et d'exemption représentent deux décisions particulières et bien distinctes de la part de la CCG. En conséquence, je suis d'avis que, pour trancher si le délai doit être prorogé pour permettre à JRI de contester ces décisions, il faut appliquer le critère habituel.

[29]Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399, la Cour d'appel fédérale a établi un critère en quatre volets auxquels il doit être satisfait pour obtenir une prorogation de délai. Ainsi, le demandeur doit démontrer:

1) qu'il a toujours eu l'intention de poursuivre la demande;

2) qu'il existe une explication raisonnable justifiant le retard;

3) que le défendeur ne subit aucun préjudice en raison du retard;

4) que la demande est bien fondée.

Il incombe à JRI d'établir ces quatre éléments pour qu'une prorogation de délai lui soit accordée.

[30]La première question consiste donc à décider si JRI a sans cesse démontré l'intention de poursuivre sa demande. À cet égard, l'examen du dossier révèle que, dans les semaines qui ont immédiatement suivi les refus d'inspection et d'exemption, la communication entre JRI et la CCG à propos du chargement de grain était continue, et ce, tant entre les membres du personnel oeuvrant au plan opérationnel de chacune des deux organisations qu'entre les avocats internes de celles-ci dont les discussions portaient sur le processus de justification.

[31]Même si cette correspondance fait bel et bien état d'un désaccord permanent entre les parties quant aux actions posées par l'une et l'autre relativement au déchargement du grain, le dossier ne révèle pas que JRI a toujours eu l'intention de poursuivre sa demande.

[32]Le critère de l'arrêt Hennelly est conjonctif, c'est-à-dire que le demandeur doit être en mesure de satisfaire aux quatre éléments qui le composent. Compte tenu du fait que j'ai conclu que JRI n'a pas réussi à établir qu'elle avait l'intention ferme de poursuivre la demande, il est inutile d'examiner les autres éléments du critère. Par conséquent, la demande de prorogation de délai présentée par JRI est rejetée.

[33]Partant de la conclusion que JRI n'a pas droit à une prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire à l'égard des refus d'inspection et d'exemption, il est inutile de discuter des arguments de la CCG concernant le caractère théorique de ces deux décisions.

Les questions de fond

[34]J'aborde maintenant les questions de fond soulevées par JRI. Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée au sujet de la question du délai de présentation de la demande, il n'est pas nécessaire d'analyser les deux premières questions. La troisième question qui se rapporte à l'ordonnance du 8 novembre comporte plusieurs volets.

[35]Comme premier argument, JRI allègue que la CCG a commis une erreur de droit en concluant qu'elle avait enfreint les dispositions de la Loi sur les grains du Canada concernant la pesée et l'inspection, alors que la violation alléguée était le résultat direct du défaut de la CCG d'exécuter les obligations de pesée et d'inspection qui lui incombent en vertu de la loi. Deuxièmement, JRI soutient que la CCG a commis une erreur de droit en passant outre à une condition préalable essentielle d'origine législative avant de rendre sa décision du 8 novembre 2002. Finalement, JRI prétend que, après avoir conclu qu'elle avait enfreint la Loi sur les grains du Canada, la CCG a commis une erreur de droit en lui imposant une sanction non autorisée par la Loi.

[36]Chacun de ces arguments sera étudié à tour de rôle.

La CCG a-t-elle commis une erreur en concluant que JRI a enfreint la Loi sur les grains du Canada?

[37]JRI admet avoir déchargé, le 10 septembre 2002, le grain des 121 wagons qui se trouvaient dans ses installations. Elle admet également que le grain n'a pas fait l'objet d'une inspection et d'une pesée officielles sous la surveillance de la CCG, comme l'exige l'article 70 de la Loi sur les grains du Canada. Elle cherche maintenant à justifier sa conduite en alléguant qu'elle a été forcée de procéder ainsi en raison du défaut de la CCG de fournir les services de pesée et d'inspection, une obligation qui lui incombe en vertu de la loi.

[38]À mon avis, il s'agit là essentiellement d'une contestation incidente des ordonnances rendues par la CCG les 9 et 10 septembre, à savoir les refus d'inspection et d'exemption. Ayant déjà statué que la demande de contrôle judiciaire s'y rattachant était hors délai, je refuse de m'attarder davantage à ces décisions.

La CCG a-t-elle commis une erreur de droit en concluant dans l'ordonnance rendue le 8 novembre 2002 que JRI avait enfreint la Loi, sans d'abord avoir satisfait à une condition d'origine législative préalable à l'établissement de pareille ordonnance?

[39]Le 8 novembre 2002, la CCG a conclu que JRI avait enfreint l'article 70 de la Loi en stockant du grain dans son installation sans qu'il ait été d'abord procédé à l'inspection et à la pesée officielles.

[40]L'ordonnance du 8 novembre de la CCG a été rendue sur le fondement de l'article 93 [mod. par L.C. 1994, ch. 45, art. 30; 1998, ch. 22, art. 25] de la Loi sur les grains du Canada, lequel prévoit ce qui suit:

93. (1) Si elle a des motifs raisonnables de croire à la perpétration d'une infraction à la présente loi par le titulaire d'une licence, soit d'exploitation d'une installation, soit de négociant en grains, ou à l'existence d'un des états visés par les alinéas 90(1)b), c), d) ou e), la Commission peut, par ordonnance, sur réception du rapport d'inspection prévu à l'article 90 ou au cours d'une enquête effectuée au titre de l'article 91:

a) exiger que le titulaire de licence ou toute autre personne habilitée par elle à cet effet, effectue une pesée de contrôle des grains, produits céréaliers ou criblures qui se trouvent dans l'installation et interdire, à cette fin, pour une période maximale de trente jours fixée par l'ordonnance, toute entrée et sortie de telles marchandises;

b) dans le cas d'un état mentionné aux alinéas 90(1)b), c) ou d):

(i) exiger qu'il soit remédié à la situation selon les modalités qu'elle ordonne,

(ii) exiger que les grains, produits céréaliers ou criblures se trouvant dans l'installation et mentionnés dans l'ordonnance soient stockés, ou qu'il en soit disposé, de la manière qu'elle juge équitable,

(iii) interdire, pour une période maximale de trente jours fixée par l'ordonnance, tout usage particulier de l'installation ou de son équipement;

c) suspendre, à son appréciation, qu'elle exerce ou non les pouvoirs que lui confèrent les alinéas a) et b), la licence en cause pour une période maximale de trente jours fixée par l'ordonnance.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission ne peut prendre l'arrêté visé au paragraphe (1) que si elle a donné au titulaire de la licence ou à son représentant toute occasion d'être entendu.

(3) Lorsqu'à son avis l'intérêt public l'exige, la Commission peut prendre un arrêté en application du paragraphe (1) sans que le titulaire ait eu l'occasion de se faire entendre. Elle doit toutefois lui en donner ensuite l'occasion dans les meilleurs délais.

[41]JRI avance que la CCG n'avait pas compétence pour décider qu'elle avait enfreint la Loi parce qu'elle ne pouvait rendre pareille ordonnance sans d'abord avoir reçu le rapport d'inspection prévu à l'article 90 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 127; 1994, ch. 45, art. 29] ou effectué une enquête au titre de l'article 91 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 128; 1994, ch. 45, art. 25] de la Loi.

[42]L'article 91 confère à la CCG compétence pour enquêter sur diverses questions se rapportant au transport et à la livraison du grain. Je n'entends pas JRI dire que la CCG n'avait pas la compétence nécessaire pour enquêter sur l'allégation de violation de la Loi sur les grains du Canada. JRI fait plutôt valoir que, comme la CCG n'a pas fait enquête, elle n'avait pas compétence pour rendre l'ordonnance du 8 novembre.

Analyse

[43]Pour discuter de l'argument de JRI, il est nécessaire d'avoir une certaine compréhension du processus qui a conduit à l'ordonnance du 8 novembre. Ce processus a été enclenché par une lettre en date du 11 septembre 2002 que Valerie Gilroy, avocate et secrétaire générale à la CCG, a fait parvenir à Nicholas Fox. M. Fox est vice-président aux opérations de l'installation terminale à JRI.

[44]Dans cette lettre, Mme Gilroy avisait M. Fox que la CCG avait été informée que JRI avait reçu du grain les 10 et 11 septembre 2002 à son installation terminale de Vancouver, sans qu'elle fasse procéder à la pesée et l'inspection officielles et sans autorisation, contrairement aux dispositions de l'article 70 de la Loi sur les grains du Canada. En vertu de l'article 93 de la Loi, la CCG a accordé à JRI un délai d'une semaine pour lui permettre de présenter les motifs expliquant pourquoi sa licence ne devrait pas être suspendue pour un certain temps. La CCG a également informé JRI que d'autres sanctions, notamment au plan pénal, pourraient lui être imposées.

[45]En réponse à la lettre de Mme Gilroy, JRI a fait parvenir une lettre en date du 17 septembre 2002 et signée par Marla Altman, avocate adjointe de cette société. Dans cette lettre, Mme Altman énonçait la position de JRI voulant qu'elle n'ait pas eu le choix de décharger le grain pour éviter toute détérioration de la qualité, devant le refus de la CCG de procéder à la pesée et à l'inspection du grain comme la loi le lui impose.

[46]Le 19 septembre 2002, Mme Gilroy a accusé réception de la lettre de Mme Altman et elle l'a avisée que la CCG avait l'intention de se pencher sur la question avant la fin de la semaine suivante. Mme Gilroy a ensuite déclaré ce qui suit:

[traduction] Dans les affaires de ce genre, la CCG a l'habitude d'examiner seulement les observations écrites du titulaire de licence, avec les résultats de sa propre enquête, et non d'entendre les présentations orales du titulaire de licence. Si vous avez d'autres renseignements ou observations à lui soumettre, la CCG acceptera et prendra en compte les documents écrits additionnels reçus au plus tard le 25 septembre 2002.

[47]Le 23 septembre 2002, Mme Altman a de nouveau écrit à Mme Gilroy pour lui signaler d'autres observations au nom de JRI. Mme Altman a également soulevé un certain nombre de questions quant à l'équité du processus suivi, un sujet que nous aborderons d'ailleurs plus en détail plus loin dans les présents motifs.

[48]Deux jours plus tard, Mme Gilroy a répondu à la lettre du 23 septembre de Mme Altman. Elle a commenté ses observations au sujet de l'équité du processus et elle a en outre mentionné ce qui suit:

[traduction] En ce qui a trait au rassemblement des faits dans la présente enquête, la Commission a demandé à plusieurs hauts fonctionnaires de se pencher sur votre lettre en date du 17 septembre 2002, ainsi que sur votre dernière lettre, et des observations ont été fournies (voir les copies jointes).

[49]Mme Gilroy avait joint à sa lettre une série de notes de service et de courriels provenant de divers membres du personnel de la CCG qui échangeaient de l'information concernant l'affaire. L'un de ces documents était une chronologie préparée par Ken Nash, directeur régional, région du Pacifique, à la CCG. M. Nash est directement intervenu dans les événements qui ont eu lieu à l'installation terminale de JRI en septembre 2002. Plus particulièrement, M. Nash avait participé aux discussions qui ont eu cours avec le personnel de JRI concernant la demande d'inspection puis la demande d'exemption. En outre, M. Nash était présent à l'installation terminale de JRI les 10 et 11 septembre 2002 et il avait donc observé la situation depuis la ligne de piquetage.

[50]Des documents préparés par Gordon Mandigo, chef de la pesée à la CCG, et Norm Woodbeck, inspecteur en chef des grains intérimaire, ont également été fournis à JRI.

[51]JRI s'est ensuite vu accorder un nouveau délai d'une semaine pour réagir à ces nouveaux renseignements et il lui a été expressément demandé d'aborder la question de la sanction, particulièrement par rapport à ce qui est prévu à l'article 93 de la Loi.

[52]Dans la même lettre, Mme Gilroy a avisé JRI qu'il lui était loisible de demander une audience publique en vertu du paragraphe 98(2) de la Loi. Cette disposition est rédigée comme suit:

98. [. . .]

(2) La Commission tient une audience publique pour entendre toute personne qui le souhaite et dont l'intérêt est en jeu, dans les cas suivants:

a) la présente loi exige que toute personne ait la possibilité d'être entendue au sujet de la délivrance, du refus de délivrance, de la suspension ou de la révocation d'une licence ou au sujet de toute enquête visée à l'alinéa 91(1)h);

b) le demandeur ou le titulaire de la licence, ou la personne visée par la plainte, demande la tenue d'une audience publique.

[53]Le 10 octobre 2002, Mme Altman a de nouveau écrit à Mme Gilroy pour lui communiquer d'autres observations concernant ce qui s'était passé les 10 et 11 septembre. Mme Altman a également formulé de brèves observations relativement à ce qui, de l'avis de JRI, constituerait une sanction appropriée.

[54]Il importe de noter que Mme Altman n'a à aucun moment demandé la tenue d'une audience publique à l'égard de cette affaire.

[55]Mme Gilroy a ensuite fait parvenir à JRI une lettre en date du 8 novembre 2002, accompagnée d'une copie de l'ordonnance de la CCG rendue le même jour.

[56]Les parties conviennent que la question de savoir si l'enquête est une condition préalable pour conclure qu'un titulaire de licence a enfreint la loi implique l'interprétation de la Loi sur les grains du Canada et l'examen de la compétence de la CCG. Par conséquent, elles s'entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à l'égard de cette question est celle de la décision correcte.

[57]En l'absence d'un rapport d'inspection ou de la conduite d'une enquête, on pourrait se demander si la CCG avait compétence pour conclure qu'un titulaire de licence avait enfreint la Loi sur les grains du Canada. Pareille question implique en effet l'interprétation de la loi et un examen de la compétence de la CCG. Avant d'entreprendre cette analyse, il importe toutefois de trancher une question de fait préliminaire, à savoir si la CCG a réellement effectué une enquête avant de rendre l'ordonnance du 8 novembre.

[58]L'article 91 ne prévoit pas un processus quelconque à suivre pour mener une enquête. Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis que la correspondance entre Mme Gilroy et M. Fox d'une part et entre Mme Gilroy et Mme Altman d'autre part, dans la période allant du 11 septembre au 8 novembre 2002, démontre que la CCG a fait enquête sur la conduite de JRI avant de rendre la décision par laquelle elle a tranché, en date du 8 novembre 2002, que JRI a enfreint les dispositions de l'article 70 de la Loi sur les grains du Canada.

[59]Après avoir conclu qu'une enquête a bel et bien eu lieu, j'estime qu'il n'est donc pas nécessaire de décider si la conduite d'une enquête est une condition préalable pour que la CCG puisse conclure à la violation de la loi.

[60]En tranchant qu'une enquête a bel et bien été effectuée, je ne tire ici aucune conclusion quant à l'équité du processus d'enquête suivi. Cette question sera abordée plus loin dans les présents motifs.

Dans l'ordonnance rendue le 8 novembre 2002, la CCG a-t-elle commis une erreur de droit en imposant une sanction non autorisée par la Loi sur les grains du Canada?

[61]Nul ne conteste que JRI a déchargé le grain contenu dans les 121 wagons sans qu'il ait été procédé à la pesée et à l'inspection officielles sous la surveillance de la CCG. D'ailleurs, JRI ne conteste pas l'imposition par la CCG d'une sanction suspendant sa licence pour une journée.

[62]JRI conteste toutefois l'ordonnance de la CCG lui enjoignant de procéder à une «pesée de contrôle». Dans une «pesée de contrôle», tout le grain entreposé dans l'installation terminale d'un titulaire de licence est pesé et inspecté. Il s'agit essentiellement d'une vérification des stocks du titulaire de licence.

[63]Le paragraphe contesté de l'ordonnance du 8 novembre prévoit ce qui suit:

[traduction] Exige qu'une pesée de contrôle des grains, produits céréaliers ou criblures qui se trouvent dans l'installation terminale du titulaire de licence, située à Vancouver, en Colombie-Britannique, et exploitée par JRI [] soit entreprise dans les meilleurs délais après le règlement du présent conflit de travail et avant la reprise des activités à l'installation terminale, ou plus tôt, selon l'appréciation du chef de la pesée [] et interdit, à cette fin, toute entrée et sortie de telles marchandises pour la période nécessaire à l'exécution de la pesée de contrôle, laquelle sera déterminée par le chef de la pesée.

[64]L'argument de JRI est fondé sur le libellé de l'alinéa 93(1)a) de la Loi sur les grains du Canada, qui, pour plus de commodité, est de nouveau reproduit ci-dessous:

93. (1) Si elle a des motifs raisonnables de croire à la perpétration d'une infraction à la présente loi par le titulaire d'une licence, soit d'exploitation d'une installation, soit de négociant en grains, ou à l'existence d'un des états visés par les alinéas 90(1)b), c), d) ou e), la Commission peut, par ordonnance, sur réception du rapport d'inspection prévu à l'article 90 ou au cours d'une enquête effectuée au titre de l'article 91:

a) exiger que le titulaire de licence ou toute autre personne habilitée par elle à cet effet, effectue une pesée de contrôle des grains, produits céréaliers ou criblures qui se trouvent dans l'installation et interdire, à cette fin, pour une période maximale de trente jours fixée par l'ordonnance, toute entrée et sortie de telles marchandises;

[65]JRI reconnaît qu'il est nécessaire d'interdire l'entrée et la sortie du grain à l'installation terminale durant une pesée de contrôle, afin de permettre que cette opération se déroule avec efficacité. Elle fait toutefois remarquer que l'alinéa 93(1)a) limite à au plus 30 jours la période durant laquelle il peut être interdit au titulaire de licence de recevoir ou de retirer du grain. En l'espèce, JRI allègue que, au moment où elle a été rendue, l'ordonnance du 8 novembre avait pour effet de l'empêcher d'exercer ses activités pendant une période de temps indéterminée.

[66]Selon la suite des événements, le lock-out s'est poursuivi jusqu'au 14 décembre 2002. La pesée de contrôle a commencé le 8 janvier 2003 et s'est terminée le 7 février 2003. JRI dit que, par conséquent, il lui a été impossible d'exercer ses activités pendant environ 90 jours, ce qui dépasse nettement la période de 30 jours prévue par la loi.

[67]JRI soutient également que l'ordonnance du 8 novembre a eu en réalité l'effet de suspendre sa licence d'exploitation de l'installation terminale pendant 90 jours, bien que l'alinéa 93(1)c) limite la durée de la suspension ordonnée par la CCG à une période maximale de 30 jours.

[68]Je ne souscris pas aux arguments de JRI à cet égard. Même si JRI a été dans l'impossibilité d'exercer ses activités pendant environ 90 jours à la fin de 2002 et au début de 2003, cette situation était, en grande partie, attribuable au seul fait qu'elle avait mis ses employés en lock-out. La seule période durant laquelle JRI s'est vu empêcher d'exercer ses activités en raison des mesures prises par la CCG est la période allant du 8 janvier au 7 février 2003, soit lorsque la pesée de contrôle a été effectuée. Cette période ne dépasse pas le maximum prévu à l'alinéa 93(1)a) de la Loi sur les grains du Canada.

[69]Par conséquent, JRI n'a pas réussi à me convaincre que la CCG a commis une erreur dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 8 novembre en imposant une sanction non autorisée par la Loi sur les grains du Canada.

[70]La question suivante est donc de savoir si JRI a été privée d'une procédure équitable en ce qui concerne l'ordonnance du 8 novembre de la CCG.

La CCG a-t-elle manqué à son obligation d'agir équitablement envers JRI?

[71]JRI soutient qu'elle s'est vu refuser la divulgation complète du dossier à l'encontre duquel elle devait opposer une défense et, en conséquence, qu'elle n'a pas eu la possibilité d'être entendue avant que la CCG ne rende l'ordonnance du 8 novembre.

[72]Les parties sont d'avis que les questions touchant l'équité procédurale doivent être analysées suivant la norme de la décision correcte et je souscris à cette opinion.

[73]JRI allègue premièrement que la CCG a fait erreur en exigeant d'elle qu'elle justifie pourquoi sa licence ne devrait pas être suspendue en vertu de l'article 93 de la Loi sur les grains du Canada. Selon JRI, bien qu'il ait appartenu à la CCG d'établir la perpétration d'une infraction, celle-ci est partie du principe qu'une infraction avait été commise, déplaçant ainsi le fardeau de la preuve et forçant JRI à justifier sa conduite.

[74]Je ne suis pas convaincue que cet argument devrait être accepté. La question de savoir si JRI a déchargé le grain, les 10 et 11 septembre 2002, sans d'abord avoir fait procéder à une inspection et une pesée officielles, comme l'exige la loi, n'a jamais été contestée. Ainsi, il a toujours existé une preuve prima facie que JRI a enfreint la Loi. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si JRI était justifiée de procéder au déchargement en raison du défaut de la CCG d'exécuter convenablement ses obligations prévues par la Loi.

[75]La question qui s'ensuit consiste donc à se demander si JRI a eu la possibilité de se défendre pleinement. À cet égard, JRI soutient que, comme les faits étaient contestés, la CCG avait l'obligation de tenir une audience afin que les questions relatives à la crédibilité puissent être convenablement tranchées. Je ne souscris pas à cet argument. Le 25 septembre 2002, Valerie Gilroy a informé JRI qu'elle avait le droit de demander une audience publique en vertu de l'article 98 de la Loi. À défaut de s'être prévalue de ce droit, JRI ne peut maintenant faire valoir que la CCG n'a pas respecté les règles de l'équité procédurale à cet égard.

[76]La question de savoir si la divulgation faite pas la CCG était suffisante se révèle plus problématique. Tel qu'il a été mentionné précédemment, il a eu échange de correspondance entre Mme Gilroy et M. Fox puis entre Mme Gilroy et Mme Altman en septembre et octobre 2002. Le 25 septembre 2002, Mme Gilroy a écrit à Mme Altman pour lui fournir des copies d'une série de notes de service et de courriels provenant de personnes désignées comme étant des hauts fonctionnaires de la CCG. L'une de ces personnes était Ken Nash qui, il faut se le rappeler, était directeur régional pour la région du Pacifique. M. Nash est directement intervenu dans les événements qui ont eu lieu à l'installation terminale de JRI en septembre 2002 et il a rédigé une chronologie suivant sa version des événements.

[77]Dans la même lettre, Mme Gilroy a réagi aux réserves de Mme Altman à l'égard de l'équité du processus, en mentionnant ce qui suit:

[traduction] La Commission n'a pas établi de règles normalisées pour régler les différends, les réclamations, les plaintes et les infractions d'une grande diversité qui relèvent de sa compétence. Elle adapte plutôt la procédure aux circonstances particulières de la situation, en ayant pour objectif de limiter les retards et les frais, mais en tenant compte de son obligation d'agir équitablement. Toutefois, en règle générale, la Commission n'entend pas la preuve ou l'argumentation.

Mme Gilroy poursuit alors en disant:

[traduction] Certes, la Commission peut consulter ses avocats et aussi ses hauts fonctionnaires dont les recommandations ne sont pas communiquées aux parties à un litige ou, comme dans la présente affaire, à un titulaire de licence faisant l'objet d'allégations de violation de la Loi. [Non souligné dans l'original.]

[78]Il faut rappeler que la CCG avait communiqué à JRI des documents renfermant les renseignements fournis par diverses personnes qu'elle désignait comme des «hauts fonctionnaires». Au moins un de ces hauts fonctionnaires, à savoir M. Nash, était intervenu directement dans les événements qui ont en fin de compte donné lieu à l'ordonnance du 8 novembre.

[79]La CCG a ensuite avisé JRI qu'elle pouvait «consulter» ses «hauts fonctionnaires» et que leurs recommandations ne lui seraient pas communiquées. D'ailleurs, le dossier ne fait état d'aucune autre communication envoyée par la CCG à JRI, avant la délivrance de l'ordonnance du 8 novembre.

[80]JRI allègue que la CCG a manqué à son obligation d'agir équitablement envers elle en consultant, semble-t-il, des témoins, sans lui révéler la teneur de ces discussions et lui donner la possibilité de réagir.

[81]La CCG soutient qu'il n'est pas du tout certain que les commissaires aient obtenu d'autres renseignements des hauts fonctionnaires avant la délivrance de l'ordonnance du 8 novembre. Quoi qu'il en soit, à son avis, elle n'avait aucune obligation de communiquer ces renseignements à JRI compte tenu de la nature du cadre de réglementation en cause.

[82]Il y a visiblement une distinction à faire entre recevoir des recommandations et recueillir de l'information factuelle ou des éléments de preuve. Ceci dit, il est troublant de constater que la CCG avait pu consulter un haut fonctionnaire qui est intervenu directement dans les événements en cause, sans divulguer à JRI tout nouveau renseignement qu'elle pouvait ainsi avoir obtenu.

[83]Même si aucun document renfermant des renseignements additionnels fournis par M. Nash ou tout autre haut fonctionnaire de la CCG n'a été présenté à la Cour dans la présente demande, rien n'indique dans la lettre de Mme Gilroy que tous les renseignements que la CCG recevraient de ses hauts fonctionnaires seraient communiqués par écrit seulement.

[84]Les doutes entourant l'équité du processus de divulgation s'accentuent lorsqu'on examine les motifs de l'ordonnance du 8 novembre rendue par la CCG. Dans ses motifs, la CCG fait état de faits qui n'apparaissaient pas dans les documents fournis à JRI. À titre d'exemple, à la page 3 de ses motifs, la CCG mentionne que la décision de ne pas franchir la ligne de piquetage à l'installation terminale de JRI a été prise [traduction] «sans intention de prendre parti dans le conflit» et qu'elle n'était pas motivée par [traduction] «des raisons de solidarité, ou toute autre raison». Aucune preuve à l'appui de ces conclusions n'a été communiquée à JRI. Au contraire, dans la chronologie fournie à JRI, M. Nash a déclaré avoir communiqué avec le syndicat parce que, a-t-il affirmé, [traduction] «nous voulions maintenir de bonnes relations avec nos employés et leur syndicat et il était logique de continuer à communiquer».

[85]Si l'on suppose que la CCG n'a pas tiré cette conclusion de fait sans en avoir la preuve, il appert qu'elle peut avoir reçu de ses hauts fonctionnaires des renseignements additionnels qui n'ont pas été communiqués à JRI et auxquels cette dernière n'a pas eu la possibilité de réagir.

[86]Le contenu de l'obligation d'équité procédurale est variable et dépend entre autres de la nature des droits visés (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Comme la Cour suprême du Canada l'a souligné dans Baker, plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer le contenu de l'obligation d'équité procédurale dans un cas particulier, notamment la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l'organisme, l'importance de la décision pour les personnes visées, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et les choix de procédure que l'organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive.

[87]La présente affaire intéresse le cadre réglementaire établi par la Loi sur les grains du Canada. Cette loi a pour but de fixer et de faire respecter des normes de qualité pour le grain canadien et de régir la manutention des grains afin d'en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur (voir l'article 13 de la Loi).

[88]Même si les droits visés en l'espèce sont purement économiques, la décision de la CCG revêtait une importance considérable pour JRI. L'entreprise a été exposée à une mesure punitive qui nuisait à sa capacité d'exercer ses activités de façon continue. Cette situation donne à penser qu'un degré élevé d'équité procédurale est nécessaire en pareils cas.

[89]De plus, les dispositions de la Loi sur les grains du Canada conduisent à la même conclusion. Le paragraphe 93(2) de la Loi prévoit que, avant de rendre une décision à l'endroit d'un titulaire de licence, la CCG doit donner à ce dernier toute occasion d'être entendu.

[90]Je suis d'avis que, en l'espèce, la CCG a manqué à son obligation d'équité procédurale envers JRI en obtenant apparemment de ses hauts fonctionnaires des renseignements additionnels quant aux faits d'un cas particulier, des renseignements qui n'ont pas été divulgués à JRI. Compte tenu de l'état du dossier, il n'est pas possible de discerner quels renseignements ont ainsi été obtenus ni dans quelle mesure ils peuvent avoir influencé la décision de la Commission. Par conséquent, je suis convaincue que l'ordonnance du 8 novembre ne peut certainement pas être maintenue et qu'elle doit être annulée.

[91]Je devrais souligner que je n'accepte pas les arguments de JRI dans la mesure où ils se rapportent à l'intervention des avocats de la CCG. La Cour suprême du Canada a établi très clairement que l'équité procédurale n'exige pas automatiquement la divulgation des avis juridiques (voir Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809). En outre, JRI n'a pas réussi à me persuader que Mme Gilroy ou Mme Altman agissaient vraiment en qualité de procureures et que toutes les communications de celles-ci avec la CCG auraient dû par conséquent être divulguées.

[92]Les prochaines questions à examiner découlent de la décision du chef de la pesée de retarder l'exécution de la pesée de contrôle jusqu'à la fin du conflit de travail.

La décision du chef de la pesée de ne pas procéder à la pesée de contrôle avant la fin du conflit de travail

[93]JRI soutient que la décision du chef de la pesée de ne pas procéder à la pesée de contrôle avant la fin du conflit de travail était illégitime. Elle présente plusieurs arguments à l'appui de sa position à cet égard.

[94]Puisque, tel qu'il a été décidé, l'ordonnance du 8 novembre doit être annulée, il n'est peut-être pas absolument nécessaire d'examiner cette question. Toutefois, pour éviter que d'autres erreurs soient commises lorsque la CCG traitera l'affaire, j'ai cru bon d'examiner les arguments de JRI.

[95]Comme premier argument, JRI fait valoir que la Commission ne pouvait déléguer au chef de la pesée le pouvoir de décider à quel moment la pesée de contrôle serait effectuée, parce que la délégation de ce pouvoir n'est pas autorisée par la Loi.

[96]La CCG n'a présenté aucun argument sur ce point.

[97]L'ordonnance de pesée de contrôle en application de l'alinéa 93(1)a) de la Loi sur les grains du Canada doit préciser à quel moment il y sera procédé. Les ordonnances fondées sur l'article 93 sont rendues par «la Commission». L'article 3 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 37, art. 2] prescrit que «la Commission» est composée de trois commissaires.

[98]En l'espèce, la Commission a ordonné que la pesée de contrôle soit entreprise [traduction] «dans les meilleurs délais après le règlement du présent conflit de travail [], ou plus tôt, selon l'appréciation du chef de la pesée». (Non souligné dans l'original.)

[99]La question consiste alors à se demander si la décision établissant le moment où la pesée de contrôle devait avoir lieu était un élément qui pouvait être délégué par les commissaires à un autre fonctionnaire de la CCG.

[100]Le paragraphe 14(3) [mod., idem, art. 4] de la Loi habilite la Commission à déléguer, par règlement administratif, les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés au titre de la Loi, avec cependant des exceptions qui y sont précisées. Le pouvoir de prendre des ordonnances est l'un des pouvoirs de la Commission qui ne peut être délégué.

[101]À mon avis, en accordant au chef de la pesée le pouvoir discrétionnaire de décider si la pesée de contrôle pouvait être effectuée avant le règlement du conflit de travail au port de Vancouver, la Commission visait à lui donner le pouvoir de décider quand il serait interdit à JRI de faire entrer et sortir du grain à l'installation terminale. Sous le régime de la Loi, seuls les commissaires peuvent décider de cette question.

[102]JRI allègue également que le chef de la pesée a fait erreur en refusant de procéder à la pesée de contrôle durant le conflit de travail.

[103]L'analyse du dossier révèle que les représentants de JRI et M. Mandigo, registraire et chef de la pesée à la CCG, ont communiqué de façon continue en vue d'établir le moment où la pesée de contrôle aurait lieu. Le 26 novembre 2002, M. Mandigo a informé M. Fox qu'il était d'avis que, tant que les piquets de grève étaient présents, il était impossible pour la CCG et pour JRI de garantir la sécurité des employés de la CCG. M. Mandigo a conclu en disant: [traduction] «Nous allons surveiller continuellement la situation à Vancouver avec l'aide de notre bureau local. Si la situation vient à changer, notamment par le retrait des piquets de grève, nous serons en meilleure position pour envisager de procéder à la pesée de contrôle.»

[104]Même si la CCG a choisi de ne présenter aucune preuve à la Cour sur la présente question, nul ne conteste que le motif invoqué par la CCG pour justifier le refus d'exécuter la pesée de contrôle avant la fin du conflit de travail concernait la préoccupation qu'elle avait à l'égard de la sécurité de ses employés.

[105]Même si un désaccord fondamental quant à la situation qui régnait sur la ligne de piquetage durant le lock-out les divise, les parties conviennent cependant que la question de savoir s'il était en fait possible d'accéder à l'installation terminale de JRI en toute sécurité durant le lock-out n'a pas été soulevée devant la Cour.

[106]La question n'est donc pas de savoir s'il était en fait possible de franchir la ligne de piquetage en toute sécurité, mais plutôt celle de savoir si les préoccupations de M. Mandigo à l'égard de la sécurité des employés de la CCG constituaient une considération non pertinente ou extrinsèque dans sa décision concernant le moment où la pesée de contrôle serait effectuée.

[107]Je ne suis pas persuadée que tel était le cas. En tant qu'employeur fédéral, la CCG avait l'obligation, en vertu de la loi, de veiller à la santé et à la sécurité de chacun de ses employés au travail (voir l'article 124 [mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 5] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2). Par conséquent, JRI n'a pas réussi à me convaincre que la CCG a fait erreur sous ce rapport.

[108]Compte tenu du fait que l'affaire sera renvoyée à la CCG pour qu'elle statue à nouveau sur celle-ci, il est également nécessaire d'examiner les arguments de JRI concernant l'indépendance et l'impartialité institution-nelles de la CCG. Cette question est examinée ci-dessous.

La CCG a-t-elle fait preuve de parti pris et manqué d'indépendance et d'impartialité?

[109]JRI soutient que, dans la présente affaire, la CCG a agi en qualité d'enquêteur, de poursuivant et de juge. Elle avance en outre que les deux commissaires qui ont rendu l'ordonnance du 8 novembre siégeaient en réalité en appel de leurs propres décisions de refuser de mener l'inspection le 10 septembre 2002 et de refuser d'accorder à JRI une exemption de l'exigence d'inspection.

[110]Selon JRI, lorsqu'elle a rendu l'ordonnance du 8 novembre, la CCG exerçait des fonctions décisionnelles ou judiciaires. En conséquence, les exigences en matière d'impartialité devraient être semblables à celles que les juges doivent respecter. JRI affirme que, à moins que la loi ne l'y autorise expressément, un décideur ne peut cumuler les fonctions d'enquête, de poursuite et de décision ni siéger en appel de ses propres décisions.

[111]JRI soutient également que, compte tenu du cumul des fonctions exercées, il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de la CCG en tant qu'institution. En outre, elle dit qu'il existe également une crainte raisonnable de partialité de la part de chacun des commissaires parce qu'ils ont apparemment reçu des observations des hauts fonctionnaires et des avocats de la CCG, sans la présence de JRI, et que la teneur de ces observations ne lui a pas été dévoilée.

[112]Dans ses arguments, JRI soulève des questions relativement à la structure institutionnelle de la CCG et à l'incidence de cette structure sur son impartialité, ainsi que relativement à la manière dont elle a traité le dossier.

[113]J'aborderai en premier lieu les arguments concernant les questions liées à la structure et, en second lieu, ceux qui se rapportent à la question de savoir si les actions posées par chacun des commissaires dans le dossier soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

La CCG est-elle institutionnellement impartiale?

[114]Selon JRI, la nature des fonctions exercées par la CCG dans le dossier justifie un degré d'impartialité qui s'apparente à celui qu'on exige des juges. JRI soutient en outre qu'un tribunal administratif, tel que celui de la CCG, ne peut cumuler les fonctions d'enquête, de poursuite et de décision, à moins qu'il y soit expressément autorisé par la loi habilitante. JRI ne cite aucune décision à l'appui de ses arguments à cet égard et elle n'a présenté que de brèves observations sur ce point à l'audience.

[115]La Cour suprême du Canada a eu l'occasion, à maintes reprises au cours des dernières années, de se pencher sur la question du degré d'indépendance et d'impartialité institutionnelles auquel sont assujettis les tribunaux administratifs exerçant des fonctions quasi judiciaires (voir, par exemple, Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; et Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301).

[116]Certains principes peuvent être dégagés de ces décisions. En particulier, il est maintenant bien établi que les tribunaux administratifs, même ceux qui statuent sur des questions touchant les droits de la personne de nature quasi constitutionnelle, ne sont pas tenus au même degré d'indépendance et d'impartialité institutionnelles que celui qu'on exige des cours.

[117]En outre, le fait qu'un tribunal administratif puisse exercer plusieurs fonctions ne soulève pas en soi une crainte raisonnable de partialité. À cet égard, les propos suivants de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bell Canada sont révélateurs [au paragraphe 40]:

[. . .] ce cumul de fonctions différentes au sein d'un seul organisme administratif n'est pas inhabituel et n'engendre pas en soi une crainte raisonnable de partialité (voir Régie des permis d'alcool, précité, par. 46-48, le juge Gonthier; Newfoundland Telephone, précité, p. 635, le juge Cory; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301). Comme la juge en chef McLachlin l'a fait remarquer dans Ocean Port, précité, par. 41, «[l]e cumul de fonctions d'enquête, de poursuite et de décision au sein d'un organisme est souvent nécessaire pour permettre à un [organisme] administratif de remplir efficacement son rôle».

[118]Si l'on tient compte de la décision Ocean Port elle-même, il importe de noter que la juge en chef McLachlin poursuit en disant [au paragraphe 41]: «Sans trancher la question, je ferais observer qu'une telle flexibilité peut être appropriée dans le cas d'un système d'octroi de permis mettant en cause des intérêts purement économiques». Bien entendu, c'est précisément le type de régime en cause dans la présente affaire.

[119]En outre, comme la Cour suprême l'a fait remarquer dans Ocean Port: «en l'absence de contrainte constitutionnelle, il est toujours loisible au législateur d'autoriser un cumul de fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l'impartialité» (au paragraphe 42). Aucun argument constitutionnel n'a été soulevé dans la présente affaire.

[120]Il est donc nécessaire de tenir compte du régime législatif établi en vertu de la Loi sur les grains du Canada.

[121]L'article 3 de la Loi prévoit la constitution de la CCG en précisant qu'elle est composée de trois commissaires. L'alinéa 14(1)c) habilite la CCG à mener des enquêtes ou à tenir des audiences en ce qui concerne les questions qui relèvent de sa compétence.

[122]La CCG peut délivrer des licences aux exploitants de silo terminal (paragraphe 45(2) [mod. par L.C. 1994, ch. 45, art. 10]) et accorder des exemptions à l'exigence d'inspection (article 70).

[123]Les mécanismes de contrôle sous le régime de la Loi sont énoncés à la partie VI. L'article 91 habilite la CCG à enquêter sur certaines questions dont le classement par grades et la pesée du grain, ainsi que sur toute autre question survenant dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Tel qu'il a déjà été mentionné, si elle a des motifs raisonnables de croire à la perpétration d'une infraction par un titulaire de licence, la CCG peut, en vertu de l'article 93, rendre certaines ordonnances, y compris des ordonnances visant à suspendre la licence d'exploitation d'une installation, ainsi que des ordonnances exigeant l'exécution d'une pesée de contrôle.

[124]Par conséquent, le régime législatif en cause ici prévoit expressément que la CCG exerce de multiples fonctions, dont la délivrance des licences, la conduite d'enquêtes et la prise de décisions. L'existence de ce régime législatif commande de ne pas conclure à l'existence d'un parti pris ou d'un manque d'impartialité institutionnelle, quel qu'en soit le type.

[125]Comme je l'ai mentionné précédemment, les arguments de JRI sur cette question se limitaient ni plus ni moins à la simple affirmation que la structure institutionnelle de la CCG soulève une crainte raisonnable de partialité et aucune jurisprudence n'a été citée à l'appui de cette position. JRI n'a pas réussi à me persuader que, en l'espèce, la CCG n'a pas fait preuve de suffisamment d'impartialité institutionnelle. Par conséquent, cet aspect de l'argumentation de JRI est rejeté.

[126]Il reste maintenant la prétention selon laquelle la conduite des commissaires qui a donné lieu à l'ordonnance du 8 novembre soulève une crainte raisonnable de partialité. Cette question est examinée dans les paragraphes qui suivent.

Les actions posées par les commissaires de la CCG qui ont rendu l'ordonnance du 8 novembre ont-elles soulevé une crainte raisonnable de partialité?

[127]JRI soutient que, en consultant des hauts fonctionnaires ayant eu directement connaissance des événements à l'origine du litige, la CCG s'est livrée à des communications ex parte avec un ou plusieurs témoins. Ces communications soulèvent donc une crainte raisonnable de partialité de la part des commissaires eux-mêmes.

[128]Le critère quant à savoir s'il existe une crainte raisonnable de partialité dans une situation donnée est bien connu. Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, la Cour suprême du Canada a défini [à la page 394] le critère applicable comme étant la question qui consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique».

[129]J'ai déjà conclu qu'il était bien possible que la CCG ait reçu de ses hauts fonctionnaires de l'information au sujet de ce qui s'est produit à l'installation terminale de JRI au port de Vancouver en septembre 2002. Comme cette information n'a pas été communiquée à JRI, il s'en est suivi un déni d'équité procédurale. À mon avis, ces circonstances seraient suffisantes pour créer dans l'esprit d'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, une crainte raisonnable de partialité de la part des commissaires de la CCG qui ont rendu l'ordonnance du 8 novembre.

Renvoi de l'affaire à la CCG

[130]Puisqu'il a été décidé que l'ordonnance du 8 novembre de la CCG doit être annulée, il faut se demander quelle doit être la suite.

[131]JRI a déjà purgé sa suspension de licence et la pesée de contrôle a été effectuée. Toutefois, la question de savoir si JRI était en droit de procéder au déchargement du grain compte tenu du refus de la CCG de faire une inspection ou de la dispenser de l'exigence d'inspection demeure une question non résolue entre les parties. Par conséquent, la question de la violation alléguée de la Loi sur les grains du Canada est renvoyée à la CCG pour qu'elle statue à nouveau sur celle-ci.

[132]Compte tenu du fait que j'ai conclu qu'il y avait eu manquement à l'équité procédurale dans la manière dont cette affaire a été traitée et que les actions posées par les commissaires qui sont intervenus dans le dossier constituaient une crainte raisonnable de partialité, il serait certainement préférable, dans la mesure du possible, que d'autres commissaires statuent à nouveau sur l'affaire.

[133]La CCG se compose de trois commissaires. La Loi sur les grains du Canada prévoit également la nomination de commissaires adjoints. Seuls deux commissaires ont signé l'ordonnance du 8 novembre. Les parties ne m'ont pas fait part de préoccupations concernant le quorum. L'affaire est donc renvoyée aux commissaires de la CCG, à l'exclusion de ceux qui ont rendu l'ordonnance du 8 novembre, pour qu'ils statuent à nouveau sur l'affaire.

[134]Les parties pourront présenter d'autres observations le cas advenant que des problèmes se posent dans la mise en application de la présente ordonnance.

ORDONNANCE

La Cour ordonne:

1. La demande de prorogation de délai visant à permettre à JRI de déposer sa demande concernant les refus d'inspection et d'exemption est rejetée.

2. L'ordonnance de la CCG en date du 8 novembre est annulée.

3. La question de la violation alléguée de la Loi sur les grains du Canada est renvoyée aux commissaires de la CCG, à l'exclusion de ceux qui ont rendu l'ordonnance du 8 novembre, pour qu'ils statuent à nouveau sur cette question.

4. Les parties pourront présenter d'autres observations le cas advenant que des problèmes se posent dans la mise en application de la présente ordonnance.

5. Chaque partie disposera de deux semaines pour signifier et déposer ses observations concernant les dépens. Les parties disposeront ensuite d'une semaine supplémentaire pour signifier et déposer toute observation en réponse.

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