Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2013] 2 R.C.F. 510

T-1613-08

 2011 CF 1067

Action réelle en matière d’amirauté contre le navire « Federal Ems » et action personnelle en matière d’amirauté contre les propriétaires, affréteurs et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Federal Ems », Canada Moon Shipping Co. Ltd. et Fednav International Ltd.

T. Co. Metals LLC (demanderesse)

c.

Le Navire « Federal Ems », les propriétaires, affréteurs et toutes les autres personnes ayant un droit sur le Navire « Federal Ems », Canada Moon Shipping Co. Ltd. et Fednav International Ltd. (défendeurs/intimés)

et

Companhia Siderurgica Paulista — COSIPA (tierce partie/appelante)

Répertorié : T. Co. Metals LLC c. Federal Ems (Navire)

Cour fédérale, juge Scott—Montréal, 9 juin; Ottawa, 12 septembre 2011.

Droit maritime — Transport de marchandises — Contrats — Pratique — Suspension d’instance — Appel d’une ordonnance par laquelle le protonotaire a rejeté la requête initiale en suspension de l’instance présentée par la tierce partie dans le contexte d’une action principale — La demanderesse, propriétaire d’une cargaison de rouleaux d’acier, a intenté une action contre certains des défendeurs/intimés, en raison des dommages subis par la cargaison pendant son transport maritime –– Au moment du chargement de la cargaison à bord du navire, deux connaissements ont été émis, chacun incorporant par référence une charte-partie — Le protonotaire a conclu, notamment, que la charte-partie constituait un « contrat de transport de marchandises par eau », comme le prévoit l’art. 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (la Loi), étant donné que la Loi n’exclut pas expressément les chartes-parties — Le protonotaire a eu raison de conclure que le contrat intervenu entre l’intimé (Fednav International Ltd.) et l’appelante (Companhia Siderurgica Paulista) se retrouvait principalement dans la charte-partie plutôt que dans les connaissements — L’expression « contrat de transport de marchandises par eau » n’est pas définie dans la Loi — Dans son sens ordinaire, l’expression pourrait appuyer la proposition que les chartes-parties tombent sous le coup de l’art. 46 de la Loi, étant donné qu’il existe une entente entre un affréteur et un armateur disposant par lequel l’affréteur loue un navire en vue de transporter des marchandises — L’appelante s’est fondée toutefois en partie sur une comparaison entre l’art. 46 de la Loi et l’art. 21 de la Convention des Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, 1978 (règles de Hambourg), qui ne sont toutefois pas encore en vigueur — La Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement (règles de La Haye-Visby) est annexée à la Loi, et est considérée comme faisant partie de celle-ci — L’économie de la loi, y compris le fait qu’elle incorpore les règles de La Haye-Visby, donne fortement à penser que l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’art. 46 n’est censée s’appliquer qu’aux chartes-parties lorsqu’il existe un connaissement ou document similaire émis en vertu de celles-ci — En l’espèce, bien qu’il existait des connaissements, ces documents ne régissaient pas les rapports entre les défendeurs (le transporteur) et l’appelante (le porteur des connaissements); les relations entre ces parties étaient régies par la charte-partie — Par conséquent, l’art. 46 ne s’appliquait pas dans ce cas-ci — Le protonotaire a commis une erreur en concluant que si le législateur avait voulu clairement exclure les chartes-parties de l’art. 46(1), il aurait inclus dans la Loi une disposition similaire à l’art. 2(3) des règles de Hambourg, qui exclut explicitement les chartes-parties — La Cour a évalué les facteurs relatifs à l’interprétation de l’art. 46 — Une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » fondée sur le sens ordinaire de cette expression à l’art. 46 conduit à conclure que les chartes-parties sont exclues principalement parce qu’elles sont soustraites de l’application des règles de La Haye-Visby; il n’est pas logique d’attribuer à une disposition transitoire (art. 46 de la Loi) un sens plus large et différent que celui que l’on attribue à la convention internationale qui la remplacera ultérieurement — L’effet cumulatif de ces facteurs penche en faveur d’une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’art. 46 de la Loi qui exclut les chartes-parties — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une ordonnance par laquelle le protonotaire a rejeté la requête initiale en suspension de l’instance présentée par la tierce partie dans le contexte d’une instance déjà introduite. Dans l’instance principale, la demanderesse, propriétaire d’une cargaison de rouleaux d’acier en bobine, a intenté une action contre, entre autres, les défendeurs/intimés Canada Moon Shipping Co. Ltd. (Canada Moon) et Fednav International Ltd. (Fednav), en raison de dommages subis par cette cargaison à la suite de son transport maritime par les défendeurs d’un port du Brésil au port de destination au Canada, à bord du navire Federal Ems (le navire), propriété de Canada Moon. La tierce partie appelante, Companhia Siderurgica Paulista (l’appelante), fabrique et exporte des produits d’acier, et a eu recours à Fednav (intimé) pour transporter ses produits. Au moment du chargement de la cargaison à bord du navire, deux connaissements furent émis, chacun incorporant par référence une charte-partie. La charte-partie, qui comprenait une clause d’arbitrage, a été signée par l’appelante, en qualité d’affréteur au voyage, et par l’intimé, en qualité d’armateur disposant. Il existait également un autre document, une lettre de garantie, visant à aplanir une divergence de points de vue qui aurait surgi entre les parties quant à la méthode de conditionnement de la cargaison elle-même à bord du navire. Après que les défendeurs eurent produit, de façon séparée, une mise en cause à l’encontre de l’appelante, celle-ci a déposé une requête visant à obtenir la suspension de la mise en cause des intimés, en faveur d’un arbitrage à New York, en raison de la présence de la clause d’arbitrage prévue dans la charte-partie.

Dans le cadre de la requête initiale de l’appelante, le protonotaire a conclu, notamment, que la charte-partie constituait un « contrat de transport de marchandises par eau », au sens de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, étant donné que la Loi n’excluait pas expressément les chartes-parties. De plus, puisque la Convention des Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, 1978 (règles de Hambourg) est jointe en annexe à la loi en question, le législateur n’aurait pas hésité à soustraire explicitement les chartes-parties à l’application de l’article 46, si telle avait été son intention. Par conséquent, la compétence de la Cour fédérale sur la mise en cause à l’égard de l’appelante n’était pas exclue.

La principale question était de savoir si la définition de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » au paragraphe 46(1) de la Loi englobe un contrat d’affrètement d’un navire sous forme de charte-partie.

Jugement : l’appel doit être accueilli.

Il fallait aborder les questions de ce qui constituait la source du contrat entre l’appelante et l’intimé, et si la lettre de garantie constituait une modification de la charte-partie. Le protonotaire a eu raison de conclure que le contrat intervenu entre l’intimé et l’appelante se retrouvait principalement dans la charte-partie, plutôt que dans les connaissements. Les connaissements n’avaient valeur que de preuve de réception des marchandises chargées à bord du navire, étant donné qu’ils demeuraient entre les mains de l’appelante, et n’ont jamais été transmis à quelqu’un d’autre. Le protonotaire était également justifié de conclure que la lettre de garantie constituait une modification de la charte-partie, plutôt qu’un accord distinct.

L’expression « contrat de transport de marchandises par eau » n’est pas définie dans la Loi. Le sens ordinaire de cette expression pourrait donc appuyer la proposition que les chartes-parties tombent sous le coup de l’article 46 de la Loi, étant donné qu’il existe une entente entre un affréteur et un armateur disposant, par lequel l’affréteur loue un navire en vue de transporter des marchandises. L’appelante s’est fondée en partie sur une comparaison de l’article 46 de la Loi et de l’article 21 des règles de Hambourg. Il y a toutefois lieu d’établir une distinction entre les annexes qui font partie du texte de loi, les annexes qui ne font pas partie du texte législatif et les annexes qui ne sont proposées qu’à des fins de commodité. Dans le premier cas, on considère l’annexe comme faisant partie intégrante du texte de loi, et l’annexe a le même effet que le reste de la loi. La Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement (règles de La Haye-Visby) est jointe à la Loi sous forme d’annexe. Alors que ces règles peuvent être considérées comme faisant partie de la Loi, étant donné qu’elles font partie de la première catégorie d’annexes, les règles de Hambourg ne sont pas encore en vigueur au Canada, de sorte que l’annexe peut être considérée comme faisant partie de la troisième catégorie susmentionnée. Les règles de Hambourg n’ont donc aucune existence sur le plan juridique. L’annexe dans laquelle se trouvent les règles de Hambourg ne fait pas partie de la Loi aux fins d’interprétation. L’économie de la loi, y compris le fait qu’elle incorpore les règles de La Haye-Visby, donne fortement à penser que l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 n’est censée s’appliquer qu’aux chartes-parties lorsqu’il existe un connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte-partie. En l’espèce, bien qu’il existait des connaissements, ces documents ne régissaient pas les rapports entre le transporteur (les défendeurs) et le porteur des connaissements (l’appelante); les relations entre ces parties étaient régies par la charte-partie, modifiée par la lettre de garantie. Par conséquent, l’article 46 ne s’appliquait pas.

Le protonotaire a commis une erreur en concluant que si l’intention avait été d’exclure expressément les chartes-parties du paragraphe 46(1) de la Loi, une disposition semblable à la disposition 3 de l’article 2 des règles de Hambourg, qui exclut expressément les chartes-parties, aurait été annexée à la Loi, particulièrement du fait que ces règles ne sont pas encore en vigueur au Canada. Ce raisonnement était erroné parce que, lorsque l’article 46 a été édicté par le législateur, celui-ci avait de toute évidence l’intention que cet article serve de disposition transitoire, sachant que les règles de Hambourg entreraient en vigueur ultérieurement et remplaceraient l’article 46. Il n’était donc pas nécessaire d’édicter une disposition semblable à la disposition 3 de l’article 2 pour exclure expressément les chartes-parties, étant donné que l’intention du législateur était de les exclure. De plus, le Canada état conscient de ses obligations internationales lorsque l’article 46 a été édicté, ce qui confirme qu’il convient d’interpréter l’article 46 de manière étroite et non d’une façon large qui irait à l’encontre de la reconnaissance du droit des parties à la charte-partie de choisir le tribunal devant lequel elles souhaitent porter leurs différends.

En conclusion, les facteurs relatifs à l’interprétation de l’article 46 ont été évalués. Il est clair que les règles de La Haye-Visby font partie de la Loi et sont en vigueur au Canada et qu’elles prévoient qu’elles ne s’appliquent pas aux chartes-parties, sauf dans les circonstances précises déjà évoquées. Qui plus est, bien qu’elles ne soient pas en vigueur, les règles de Hambourg étaient également présentes à l’esprit du législateur lorsqu’il a édicté la partie V de la Loi. Une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » fondée sur le sens ordinaire de cette expression à l’article 46 nous conduit à conclure que les chartes-parties sont exclues principalement parce qu’elles sont soustraites de l’application des règles de La Haye-Visby qui sont incorporées à la Loi, et également parce qu’il n’est pas logique d’attribuer à une disposition transitoire un sens plus large et différent que celui que l’on attribue à la convention internationale qui la remplacera ultérieurement, surtout lorsque cette convention est annexée à la Loi. Enfin, il est reconnu que les tribunaux peuvent consulter les traités internationaux pour interpréter les lois internes. La Cour a donc conclut que l’effet cumulatif de ces facteurs penche en faveur d’une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 de la Loi qui exclut les chartes-parties.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16.

 Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 41 « règles de Hambourg », « règles de La Haye-Visby », 43, 44, 45, 46.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 50(1) (mod., idem, art. 46).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 51 (mod., idem, art. 33; 2007-130, art. 3), 359.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 8.

Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, conclu à Hambourg le 31 mars 1978, qui constitue l’annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (règles de Hambourg), art. 2(3), 21, 22.

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles, 25 août 1924, et protocole conclu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979, qui constitue l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (règles de La Haye-Visby), art. Ia) « transporteur », b) « contrat de transport », V.

Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, qui constitue l’annexe de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.); Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459.

décisions examinées :

Mazda Canada Inc. c. Cougar Ace (Le), 2008 CAF 219, [2009] 2 R.C.F. 382; Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78, [2002] 4 R.C.S. 205; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3.

décisions citées :

Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450; Sucre Lantic Ltée c. Blue Tower Trading Corp., [1991] A.C.F. no 1309 (1re inst.) (QL); Thyssen Canada Ltd. c. Mariana (Le), [2000] 3 C.F. 398 (C.A.); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Daniels v. White and The Queen, [1968] R.C.S. 517, (1968), 2 D.L.R. (3d) 1, 64 W.W.R. 385; GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45.

DOCTRINE CITÉE

Bibliothèque du Parlement. Direction de la recherche parlementaire. Résumé législatif LS-377F. Projet de loi S-2 : Loi sur la responsabilité en matière maritime, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/37/1/s2-f.pdf>.

Canada. Chambre des communes. Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales. Témoignages, réunion no 7, 27 mars 2001, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=37&Ses=1&DocId=1040645&File=0&Language=F>.

Cooke, Julian et al. Voyage Charters, 3e éd. Londres : Informa, 2007.

État : 1978 – Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer – « Règles de Hambourg », en ligne : <http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/transport_goods/Hamburg_status.html>.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 4e éd. Cowansville, Qc : Yvon Blais, 2008.

Wilson, John F. Carriage of Goods by Sea, 6e éd. Harlow, Angleterre : Pearson/Longman, 2008.

  APPEL d’une ordonnance (2011 CF 291) par laquelle le protonotaire a rejeté la requête initiale en suspension de l’instance présentée par la tierce partie appelante dans le contexte d’une instance déjà introduite. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Paul Blanchard pour la demanderesse.

David G. Colford et Vanessa Arviset pour les défendeurs intimés.

Jean-Marie Fontaine et Daniel Grodinsky pour la tierce partie appelante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Stikeman Elliott LLP, Montréal, pour la demanderesse.

Brisset Bishop, Montréal, pour les défendeurs intimés.

Borden Ladner Gervais, LLP, Montréal, pour la tierce partie appelante.

  Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

Le juge Scott :

I.          NATURE DE L’AFFAIRE

[1]        La Cour est saisie d’un appel visant à faire annuler l’ordonnance en date du 10 mars 2011 par laquelle le protonotaire Richard Morneau (requête doc. no 62) a rejeté la requête en suspension de l’instance présentée par la tierce partie, Companhia Siderurgica Paulista (COSIPA).

[2]        Il existe une autre instance (T‑2020‑08 : T. Co. Metals LLC c. Le navire « Federal St. Laurent » et autres), à laquelle l’ordonnance du protonotaire Morneau s’appliquait avec les adaptations de circonstance. La tierce partie n’a pas présenté de requête semblable dans le dossier T‑2020‑08, mais elle demande que l’ordonnance prononcée dans la présente affaire s’applique avec les adaptations de circonstance à l’autre instance. Les défendeurs et la demanderesse sont d’accord.

[3]        La Cour ordonne que la présente ordonnance s’applique aussi au dossier T‑2020‑08.

[4]        Pour les motifs qui suivent, le présent appel est accueilli.

II.         LES FAITS

A.        Historique de l’instance principale introduite par T. Co. Metals LLC c. Le navire « Federal Ems » et autres

[5]        Comme les principales conclusions du protonotaire Morneau ne sont contestées ni par COSIPA (l’appelante), ni par Canada Moon Shipping Co. Ltd. et Fednav International Ltd. (les défendeurs) ou T. Co. Metals LLC (la demanderesse), la Cour juge bon de reproduire les paragraphes 4 à 17 des motifs de l’ordonnance du protonotaire (2011 CF 291) dans laquelle les faits à l’origine du litige sont exposés. Voici le texte de ces paragraphes :

Le 20 octobre 2008, la demanderesse T. Co. Metals LLC (T.Co) en tant que propriétaire d’une cargaison de 806 rouleaux d’acier en bobine (cold‑rolled steel coils) a entrepris dans le présent dossier contre, entre autres, les [défendeurs] Canada Moon et Fednav une action pour une somme en capital de 2 450 000 $ dollars canadiens en raison de dommages subis par cette cargaison par suite de son transport maritime par les [défendeurs] du port de Piaçaguera au Brésil au port ultimement de Toronto au Canada à bord du navire « Federal Ems » (le Navire), propriété de Canada Moon.

Quant à Cosipa, elle serait manufacturière et exportatrice de produits d’acier. Depuis à tout le moins 1996, elle aurait fait appel à Fednav, sous des conditions similaires, pour transporter ses produits du Brésil à des ports en Amérique du nord.

Au moment du chargement de la cargaison à bord du Navire le ou vers le 16 novembre 2004, deux connaissements (les Connaissements) furent émis par le capitaine dudit navire.

Chaque connaissement incorpore par référence dans les termes suivants une charte‑partie (charter party) : [traduction] « sous réserve des modalités, conditions, stipulations et exceptions stipulées à la charte‑partie datée du 28 juillet 2004 à Rio de Janeiro, y compris sa clause d’arbitrage ».

Ladite charte‑partie fut en fait signée le 22 juillet 2004. Ce fait ne pose pas problème en l’espèce.

Elle constitue en fait une charte‑partie au voyage (la Charte‑partie) et la Cour comprend qu’elle fut signée entre Cosipa en qualité d’affréteur à voyage (voyage charterer) et FedNav Ltd. en qualité d’armateur disposant (disponent owner). Il appert, du moins pour les fins de la présente requête, qu’en tout temps pertinent, FedNav Ltd. agissait en tant qu’agent entre autres de Fednav et, en conséquence, la Cour référera ici à Fednav pour désigner indistinctement l’un ou l’autre.

Notons ici que la Charte‑partie contient diverses clauses dont entre autres une clause d’arbitrage qui se retrouve à la clause 19 de celle‑ci. Cette clause est intitulée « Law and Arbitration » [« Lois et arbitrage »] et se lit comme suit (la Clause d’arbitrage 19) :

[traduction]

b) La présente charte‑partie est régie par le titre 9 du Code des États‑Unis et par le droit maritime des États‑Unis conformément auxquels elle doit être interprétée. En cas de litige découlant de la présente charte‑partie, la question en litige doit être soumise à trois personnes à New York, une personne nommée par chacune des parties aux présentes et la troisième choisie par les deux premières; leur décision majoritaire est définitive et, aux fins de l’exécution de la décision, cette décision constitue le jugement de la Cour. L’instance se déroulera conformément aux règles de la Society of Maritime Arbitrators, Inc.

Dans le cas où le montant total réclamé par l’une ou l’autre partie au différend n’excède pas le montant précisé à la case 25, l’arbitrage se déroulera conformément à la procédure d’arbitrage accélérée de la Society of Maritime Arbitrators Inc.

c)  Tout litige découlant de la présente charte‑partie sera renvoyé à l’arbitrage au lieu précisé à la case 25, sous réserve de la procédure qui y est applicable. La présente charte‑partie est régie par les lois des lieux indiqués à la case 25. [Je souligne.]

Cette même Charte‑partie contient également par ailleurs une clause qui vise à dégager les « owners », ici essentiellement Fednav, et à faire porter entre autres sur l’affréteur, ici Cosipa, les risques et responsabilités pour tout ce qui entoure le chargement et le bon état de la cargaison. Cette clause 5(a) se lit :

[traduction]

5.  Chargement/Déchargement

(a)   Frais/risques (voir les clauses 22 + 40)

La cargaison est mise en cale, chargée, arrimée et/ou fixée solidement, comptée, attachée et/ou stabilisée par les affréteurs et est sortie de cale et déchargée par les réceptionnaires, sans que les propriétaires du navire soient exposés à quelque risque, responsabilité ou frais de quelque sorte que ce soit. Les affréteurs fournissent et installent tous les accessoires d’arrimage nécessaires pour bien arrimer et protéger la cargaison à bord et les propriétaires permettent l’utilisation de tous les accessoires d’arrimage se trouvant à bord.

Un autre document dont il convient de faire état consiste en une lettre d’indemnité (Letter of Indemnity or LOI) datée à São Paulo au Brésil le 10 novembre 2004, soit après la signature de la Charte‑partie et quelques jours avant le chargement de la cargaison sur le Navire.

Cette LOI vise à aplanir une divergence de points de vue qui aurait surgi entre les parties quant à l’à‑propos d’emballer les rouleaux d’acier formant la cargaison dans une membrane de plastique; Cosipa croyant à cette méthode tandis que Fednav y résistait puisqu’elle considérait que cette pratique favorisait plutôt une condensation ou moisissure sur le métal.

Cette LOI se lit comme suit :

[traduction]

São Paulo, le 10 novembre 2004

Destinataire : Fednav Limited

Objet :         M/V FEDERAL EMS

                   22 740 t de produits d’acier

                   Piaçaguera/Philadelphie, Toronto et Hamilton

                   COSIPA/Fednav – Charte‑partie datée du 22 juillet et du 21 septembre 2004

Messieurs,

À la demande de la Companhia Siderurgica Paulista – COSIPA, en sa qualité d’affréteur, nous confirmons par la présente que la cargaison de produits d’acier chargée à bord du M/V Federal Ems à Piaçaguera, à destination de Philadelphie, Toronto et Hamilton a été emballée dans une membrane de plastique.

   À la condition que les propriétaires/commandant s’assurent du bon fonctionnement du système de ventilation du navire pendant toute la durée du voyage, les affréteurs confirment par la présente qu’ils dégagent le commandant, le navire, les propriétaires et les administrateurs de toute responsabilité, les exonérant à l’avance de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison d’une condensation de moisissure sous la membrane de plastique par suite de la ventilation réduite de la cargaison.

Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.

(signature)

________________________

João Carlos de S. Tranjan

Cia.Siderurgica Paulista – COSIPA

C’est fort entre autres de la clause 5(a) à la Charte‑partie et de la LOI que les [défendeurs] ont produit à la Cour le 26 novembre 2008 une défense, ainsi que de façon séparée, une mise en cause à l’encontre de Cosipa.

Dans cette mise en cause les défendeurs allèguent :

[traduction]

6.     La cargaison a été expédiée conformément à une charte‑partie au voyage, rédigée selon la formule Gencon, signée à Rio de Janeiro, au Brésil, le 22 juillet 2004 entre Fednav Limited, en sa qualité d’armateur disposant, et la tierce partie, en qualité d’affréteur.

7.     Aux termes de la clause 5 de la charte‑partie en question, la cargaison devait être mise en cale, chargée, arrimée et/ou stabilisée par la tierce partie et la cargaison a effectivement été chargée, arrimée et stabilisée par la tierce partie.

8.     Au moment du chargement, la tierce partie a emballé la cargaison dans une membrane de plastique et, dans une lettre datée du 10 novembre 2004 adressée à Fednav Limited et rédigée depuis São Paulo, au Brésil, la tierce partie a promis qu’à la condition que le système de ventilation du navire fonctionne bien pendant toute la durée du voyage, elle dégagerait le commandant, les propriétaires et les administrateurs du navire de toute responsabilité et les exonérerait à l’avance de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison d’une condensation de moisissure sous la membrane de plastique par suite de la ventilation réduite de la cargaison.

9.     En concluant la charte‑partie voyage et en recevant la lettre d’exonération de responsabilité susmentionnée, Fednav Limited agissait comme mandataire des défendeurs.

10.  Dans l’action principale, les défendeurs plaident qu’ils ne sont responsables envers la demanderesse d’aucun dommage résultant du chargement, de l’arrimage et de la manutention de la cargaison, étant donné que ces opérations n’ont pas été exécutées par eux et qu’elles devaient être exécutées par la tierce partie sans que les défendeurs encourent quelques risques, responsabilités ou frais que ce soit.

11.  Pour le cas où la Cour conclurait que ces moyens de défense ne peuvent être opposés à la demanderesse, notamment en qualité de porteur du connaissement, les défendeurs ont le droit à une contribution ou une indemnité de la tierce partie relativement à toute somme que la Cour pourrait les condamner à payer à la demanderesse au titre des dommages en question.

12.  En outre, advenant le cas où la Cour jugerait les défendeurs responsables envers la demanderesse des dommages résultant d’une condensation de moisissure sous la pellicule de plastique, les défendeurs ont également droit à une contribution ou une indemnité de la tierce partie relativement aux dommages en question.

Les [défendeurs] ont dû rechercher par ailleurs l’émission par cette Cour d’une lettre rogatoire pour parfaire la signification de leur mise en cause à Cosipa.

[6]        Le 20 octobre 2008, la demanderesse T. Co. Metals LLC a, en tant que propriétaire d’une cargaison de 806 rouleaux d’acier en bobine, intenté une action dans le présent dossier contre, entre autres, les défendeurs Canada Moon Shipping Co. Ltd. (Canada Moon) et Fednav International Ltd. (Fednav), pour une somme en capital de 2 450 000 $CAN en raison de dommages subis par cette cargaison par suite de son transport maritime par les défendeurs du port de Piaçaguera au Brésil au port de destination de Toronto, au Canada, à bord du navire Federal Ems (le navire), propriété de Canada Moon.

[7]        COSIPA fabrique et exporte des produits d’acier. Depuis à tout le moins 1996, elle a fait appel à Fednav, à des conditions similaires, pour transporter ses produits du Brésil à des ports en Amérique du Nord.

[8]        Au moment du chargement de la cargaison à bord du navire le ou vers le 16 novembre 2004, deux connaissements (les connaissements) ont été établis par le capitaine du navire en question.

[9]        Chaque connaissement incorpore par référence dans les termes suivants une charte‑partie : [traduction] « Sous réserve des modalités, conditions, stipulations et exceptions stipulées à la charte‑partie datée du 28 juillet 2004 à Rio de Janeiro, y compris sa clause d’arbitrage ».

[10]      La charte‑partie a en fait été signée le 22 juillet 2004. Ce fait ne pose pas problème en l’espèce.

[11]      Elle constitue en fait une charte‑partie au voyage (la charte‑partie) et la Cour comprend qu’elle a été signée par COSIPA, en qualité d’affréteur au voyage, et par Fednav Ltd., en qualité d’armateur disposant. Il appert, du moins aux fins de la présente requête, qu’au moment des faits, Fednav Ltd. agissait entre autres en tant que mandataire de Fednav et, en conséquence, la Cour emploiera l’appellation de Fednav pour désigner indistinctement l’un ou l’autre.

[12]      Notons ici que la charte‑partie contient diverses clauses, dont une clause d’arbitrage, la clause 19. Cette clause est intitulée [traduction] « Lois et arbitrage » (la clause d’arbitrage 19). En voici le texte :

[traduction]

19 […]

(b)  La présente charte‑partie est régie par le titre 9 du Code des États‑Unis et par le droit maritime des États‑Unis conformément auxquels elle doit être interprétée. En cas de litige découlant de la présente charte‑partie, la question en litige doit être soumise à trois personnes à New York, une personne nommée par chacune des parties aux présentes et la troisième choisie par les deux premières; leur décision majoritaire est définitive et, aux fins de l’exécution de la décision, cette décision constitue le jugement de la Cour. L’instance se déroulera conformément aux règles de la Society of Maritime Arbitrators, Inc.

Dans le cas où le montant total réclamé par l’une ou l’autre partie au différend n’excède pas le montant précisé à la case 25, l’arbitrage se déroulera conformément à la procédure d’arbitrage accélérée de la Society of Maritime Arbitrators Inc.

(c)  Tout litige découlant de la présente charte‑partie sera renvoyé à l’arbitrage au lieu précisé à la case 25, sous réserve de la procédure qui y est applicable. La présente charte‑partie est régie par les lois des lieux indiqués à la case 25. [Non souligné dans l’original.]

[13]      Cette même charte‑partie contient également une clause qui vise à dégager les propriétaires, ici essentiellement Fednav, et à faire porter entre autres sur l’affréteur, ici COSIPA, les risques et responsabilités pour tout ce qui entoure le chargement et le bon état de la cargaison. Cette clause, la clause 5(a), est ainsi libellée :

[traduction]

5.  Chargement/Déchargement

(a)  Frais/risques (voir les clauses 22 + 40)

La cargaison est mise en cale, chargée, arrimée et/ou fixée solidement, comptée, attachée et/ou stabilisée par les affréteurs et est sortie de cale et déchargée par les réceptionnaires, sans que les propriétaires du navire soient exposés à quelque risque, responsabilité ou frais de quelque sorte que ce soit. Les affréteurs fournissent et installent tous les accessoires d’arrimage nécessaires pour bien arrimer et protéger la cargaison à bord et les propriétaires permettent l’utilisation de tous les accessoires d’arrimage se trouvant à bord.

[14]      Un autre document dont il convient de faire état consiste en une lettre de garantie; il a été fait à São Paulo, au Brésil, le 10 novembre 2004, soit après la signature de la charte‑partie et quelques jours avant le chargement de la cargaison sur le navire.

[15]      Cette lettre de garantie vise à aplanir une divergence de points de vue qui aurait surgi entre les parties quant à l’à‑propos d’emballer les rouleaux d’acier formant la cargaison dans une membrane de plastique. COSIPA préconisait cette méthode tandis que Fednav était contre, parce qu’elle croyait que cette pratique favoriserait de la condensation de la moisissure sur le métal.

[16]      La lettre de garantie prévoit ce qui suit :

[traduction]

São Paulo, le 10 novembre 2004

Destinataire : Fednav Limited

Objet :  M/V FEDERAL EMS

            22 740 t de produits d’acier

            Piaçaguera/Philadelphie, Toronto et Hamilton

            COSIPA/Fednav – Charte‑partie datée du 22 juillet et du 21 septembre 2004

Messieurs,

À la demande de la Companhia Siderurgica Paulista – COSIPA, en sa qualité d’affréteur, nous confirmons par la présente que la cargaison de produits d’acier chargée à bord du M/V Federal Ems à Piaçaguera à destination de Philadelphie, Toronto et Hamilton a été emballée dans une membrane de plastique.

À la condition que les propriétaires/commandant s’assurent du bon fonctionnement du système de ventilation du navire pendant toute la durée du voyage, les affréteurs confirment par la présente qu’ils dégagent le commandant, le navire, les propriétaires et les administrateurs de toute responsabilité, les exonérant à l’avance de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison d’une condensation de moisissure sous la membrane de plastique par suite de la ventilation réduite de la cargaison.

Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.

(signature)

________________________

João Carlos de S. Tranjan

Cia.Siderurgica Paulista – COSIPA]

[17]      C’est fort entre autres de la clause 5(a) de la charte‑partie et de la lettre de garantie que les défendeurs ont, le 26 novembre 2008, déposé à la Cour une défense ainsi que, de façon séparée, une mise en cause à l’encontre de COSIPA.

[18]      Dans cette mise en cause les défendeurs allèguent :

[traduction]

6.      La cargaison a été expédiée conformément à une charte‑partie au voyage, rédigée selon la formule Gencon, signée à Rio de Janeiro, au Brésil, le 22 juillet 2004 entre Fednav Limited, en sa qualité d’armateur disposant, et la tierce partie, en qualité d’affréteur.

7.      Aux termes de la clause 5 de la charte‑partie en question, la cargaison devait être mise en cale, chargée, arrimée et/ou stabilisée par la tierce partie et la cargaison a effectivement été chargée, arrimée et stabilisée par la tierce partie.

8.      Au moment du chargement, la tierce partie a emballé la cargaison dans une membrane de plastique et, dans une lettre datée du 10 novembre 2004 adressée à Fednav Limited et rédigée depuis São Paulo, au Brésil, la tierce partie a promis qu’à la condition que le système de ventilation du navire fonctionne bien pendant toute la durée du voyage, elle dégagerait le commandant, les propriétaires et les administrateurs du navire de toute responsabilité et les exonérerait à l’avance de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison d’une condensation de moisissure sous la membrane de plastique par suite de la ventilation réduite de la cargaison.

9.       En concluant la charte‑partie voyage et en recevant la lettre d’exonération de responsabilité susmentionnée, Fednav Limited agissait comme mandataire des défendeurs.

10. Dans l’action principale, les défendeurs plaident qu’ils ne sont responsables envers la demanderesse d’aucun dommage résultant du chargement, de l’arrimage et de la manutention de la cargaison, étant donné que ces opérations n’ont pas été exécutées par eux et qu’elles devaient être exécutées par la tierce partie sans que les défendeurs encourent quelques risques, responsabilités ou frais que ce soit.

11. Pour le cas où la Cour conclurait que ces moyens de défense ne peuvent être opposés à la demanderesse, notamment en qualité de porteur du connaissement, les défendeurs ont le droit à une contribution ou une indemnité de la tierce partie relativement à toute somme que la Cour pourrait les condamner à payer à la demanderesse au titre des dommages en question.

12. En outre, advenant le cas où la Cour jugerait les défendeurs responsables envers la demanderesse des dommages résultant d’une condensation de moisissure sous la pellicule de plastique, les défendeurs ont également droit à une contribution ou une indemnité de la tierce partie relativement aux dommages en question.

 [19]     Les défendeurs ont dû demander à notre Cour de délivrer une lettre rogatoire pour pouvoir signifier leur mise en cause à COSIPA.

B.        Requête sous‑jacente à la décision contestée

[20]      Le 31 août 2009, COSIPA a déposé une requête visant à obtenir la suspension de la mise en cause de la défenderesse en faveur d’un arbitrage à New York en raison de la présence de la clause d’arbitrage prévue à la clause 19 de la charte‑partie. COSIPA avait également demandé, à titre subsidiaire, que la mise en cause dont elle faisait l’objet soit suspendue en faveur d’une instance devant les tribunaux brésiliens sur le fondement du principe du forum non conveniens.

C.        Requête actuelle et réparation demandée par COSIPA

[21]      La présente requête déposée par l’appelante conformément aux règles 51 [mod. par DORS/2004-283, art. 33; 2007-130, art. 3] et 359 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] constitue un appel de l’ordonnance par laquelle le protonotaire a rejeté la requête initiale en suspension de la mise en cause. Dans le présent appel, l’appelante sollicite une ordonnance de la Cour :

1) annulant l’ordonnance en date du 10 mars 2011 par laquelle le protonotaire Morneau a rejeté la requête en suspension de la tierce partie, COSIPA;

2) suspendant la présente mise en cause en faveur d’un arbitrage à New York en conformité avec les modalités de la charte‑partie applicable;

3) à titre subsidiaire, suspendant la présente mise en cause en faveur d’une instance devant un tribunal plus approprié, au Brésil, conformément aux principes du forum non conveniens;

4) à titre plus subsidiaire encore, la prorogation du délai imparti à COSIPA pour déposer une défense en réponse à la mise en cause;

5) adjugeant à la tierce partie les dépens de la requête instruite par le protonotaire ainsi que les dépens du présent appel;

6) appliquant, avec les adaptations de circonstance, le résultat du présent appel au dossier T‑2020‑08.

[22]      L’appelante souligne également que l’ordonnance réclamée en l’espèce porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la mise en cause, étant donné que la suspension de l’instance mettrait fin à la compétence de notre Cour pour statuer sur le fond de la mise en cause.

D.        Décision contestée du protonotaire Morneau

[23]      Dans les motifs de son ordonnance du 10 mars 2011, le protonotaire Morneau formule trois conclusions qui sont contestées dans le cadre du présent appel.

[24]      En premier lieu, le protonotaire s’est dit d’accord avec l’argument de COSIPA suivant lequel la lettre de garantie signée par COSIPA et Fednav devait être considérée comme une modification de la charte‑partie et non comme une entente distincte intervenue entre les parties, comme les défendeurs le soutenaient.

[25]      Dans sa décision, le protonotaire a expliqué que la lettre de garantie visait à rassurer Fednav (au paragraphe 24) et à résoudre la divergence d’opinions qui avait surgi entre les parties au sujet de l’opportunité d’emballer la cargaison de bobines d’acier dans une membrane de plastique, ajoutant que le fait que la lettre de garantie servait de modification de la charte‑partie était renforcé par la ligne d’objet figurent en‑tête de la lettre de garantie, où la charte‑partie était explicitement mentionnée.

[26]      Deuxièmement, le protonotaire Morneau a analysé le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime [L.C. 2001, ch. 6] (la Loi), souscrivant à la façon dont le défendeur caractérisait l’objet et les éléments clés de cette disposition. Plus précisément [au paragraphe 28], le protonotaire a accepté les arguments formulés par le défendeur à cet égard et a conclu que, pour que l’article 46 s’applique, il fallait démontrer :

[traduction]

a.    qu’il existe :

i)   un contrat de transport de marchandises par eau;

ii)  non assujetti aux règles de Hambourg, et

[…]

b.    le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada, ou

c.    le défendeur a un établissement ou une agence au Canada ou

d.    le contrat a été conclu au Canada. [Souligné dans l’original.]

[27]      Le principal point de discorde entre la demanderesse et le défendeur portait sur la question de savoir si la charte‑partie constituait un « contrat de transport de marchandises par eau » au sens de l’article 46. Le protonotaire a expliqué que, si tel était le cas, le paragraphe 46(1) pourrait s’appliquer au profit du défendeur et que la clause d’arbitrage 19 de la charte‑partie ne pourrait faire échec à la compétence de la Cour fédérale sur la mise en cause à l’égard de COSIPA (au paragraphe 29).

[28]      Sur cette question, le protonotaire a conclu qu’il ne pouvait retenir les arguments avancés par COSIPA. Celle‑ci avait dressé un parallèle entre l’article 46 de la Loi et l’article 21 des règles de Hambourg [Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, qui constitue l’annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime]. Tout en admettant que divers arrêts et auteurs confirmaient que ces deux dispositions étaient semblables, le protonotaire a expliqué que les règles de Hambourg disposaient expressément (au paragraphe 3 de l’article 2) qu’elles ne s’appliquaient pas aux chartes‑parties (aux paragraphes 35 et 36). Le protonotaire a expliqué que la Loi sur la responsabilité en matière maritime n’excluait pas expressément les chartes‑parties et que, étant donné que les règles de Hambourg sont jointes en annexe à la Loi en question, le législateur n’aurait pas hésité à soustraire explicitement les chartes‑parties à l’application de l’article 46 si telle avait été son intention (au paragraphe 37). De plus, les divers commentaires formulés par COSIPA au sujet des débats parlementaires entourant l’adoption de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ne permettaient pas de conclure que l’article 46 n’envisageait pas la possibilité de rapports entre un affréteur et un armateur disposant (au paragraphe 39).

[29]      Enfin, le protonotaire a examiné le moyen subsidiaire de COSIPA suivant lequel le Canada était un forum non conveniens. Pour statuer sur cette question, il faut tenir compte de l’arrêt Mazda Canada Inc c. Cougar Ace (Le), 2008 CAF 219, [2009] 2 R.C.F. 382 (Cougar Ace) de la Cour d’appel fédérale. Dans cet arrêt, la Cour a souligné qu’elle n’interviendrait qu’exceptionnellement dans le choix du for d’un demandeur (en l’espèce, les défendeurs), et ne le ferait que si ce choix « est nettement inapproprié par rapport à un autre tribunal manifestement supérieur » (au paragraphe 43). L’arrêt de la Cour d’appel fédérale reprend également les 10 facteurs mentionnés dans l’arrêt Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78, [2002] 4 R.C.S. 205 (Spar Aerospace), dont la Cour doit tenir compte pour trancher la question du forum non conveniens.

[30]      Le protonotaire Morneau a examiné chacun des facteurs de l’arrêt Spar Aerospace et a tiré les conclusions suivantes [aux paragraphes 45 à 69] :

1. le lieu de résidence des parties et des témoins ordinaires et experts → ce facteur est neutre ou, au mieux, le Brésil a un faible avantage;

2. la situation des éléments de preuve substantiels → ce facteur favorise le Canada;

3. le lieu de formation et d’exécution du contrat → ce facteur est neutre;

4. l’existence d’une autre action intentée à l’étranger entre les mêmes parties → ce facteur favorise le Canada;

5. la situation des biens appartenant aux défendeurs → ce facteur favorise le Brésil;

6. la loi applicable au litige → la loi applicable serait celle de New York; ce facteur est donc neutre;

7. l’avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi, le cas échéant → ce facteur favorise le Canada étant donné que deux des trois parties soutiennent la compétence de la Cour fédérale;

8. l’intérêt de la justice → ce facteur favorise le Canada;

9. l’intérêt des parties → ce facteur favorise le Canada;

10. la nécessité éventuelle d’une procédure en exemplification à l’étranger → ce facteur favorise le Brésil.

[31]      En résumé, le protonotaire a conclu que COSIPA n’avait pas réussi à démontrer que la Cour fédérale était nettement inappropriée et que le Brésil était un for manifestement supérieur.

III.        Questions en litige

[32]      Le présent appel soulève les trois questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas de l’appel de l’ordonnance du protonotaire?

2. La définition de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » au paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime englobe‑t‑elle un contrat d’affrètement d’un navire sous forme de charte‑partie?

3. Existe‑t‑il un forum plus approprié que la Cour fédérale pour trancher le différend opposant COSIPA aux défendeurs (intimés)?

IV.       DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[33]      Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

V.        PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES ET ANALYSE

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à l’appel de l’ordonnance du protonotaire?

Arguments de l’appelante

[34]      L’appelante affirme que l’ordonnance du protonotaire doit être examinée en reprenant l’affaire depuis le début, conformément à la norme énoncée dans l’arrêt Merck c. Apotex, ci‑après cité. Si la requête avait été accueillie, la mise en cause introduite devant la Cour fédérale aurait pris fin en faveur d’une instance à New York (arbitrage) ou au Brésil (tribunaux). Les questions soulevées par la requête en suspension sont donc déterminantes pour l’issue de la mise en cause.

Arguments des défendeurs

[35]      Les défendeurs soutiennent que l’interprétation de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et la question de savoir si notre Cour est un forum non conveniens sont des questions qui sont déterminantes en ce qui concerne l’issue des questions en litige et que le juge saisi de l’ordonnance du protonotaire devrait reprendre l’affaire depuis le début (observations écrites des défendeurs, au paragraphe 14).

[36]      Les défendeurs signalent que, n’eût été de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, ils n’auraient eu d’autre choix que de poursuivre l’appelante par voie d’arbitrage à New York (observations écrites des défendeurs, au paragraphe 15).

[37]      Les défendeurs affirment également, à titre subsidiaire, que, s’ils ne peuvent se prévaloir de l’article 46, l’entente relative au recours à l’arbitrage devrait être déclarée inopérante en vertu de l’article 8-1 du Code d’arbitrage commercial [qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17] en raison de la lettre de garantie (observations écrites des défendeurs, au paragraphe 16), laquelle, à leur avis, constitue une renonciation implicite à toute entente d’arbitrage advenant l’introduction de toute procédure par une personne ayant un droit sur la cargaison comme la demanderesse, ainsi qu’une renonciation explicite à tout droit de soulever une objection sur le fondement du principe du forum non conveniens.

Analyse

[38]      Ainsi qu’il a déjà été signalé dans un appel antérieur d’une ordonnance prononcée par le protonotaire Morneau dans la présente affaire (jugement rendu par le juge Yvon Pinard le 21 septembre 2010), le critère applicable aux appels d’une décision d’un protonotaire est celui qui est énoncé dans l’arrêt Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) [à la page 463] :

[…] le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début. [Renvoi omis.]

[39]      Le critère a été reformulé dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 19 :

[…] « Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »

(Voir également Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450.)

[40]      Si la suspension d’instance est accordée à la tierce partie COSIPA, la mise en cause introduite par COSIPA à l’égard des défendeurs ne pourra plus être jugée par la Cour fédérale. Or, il s’agit certainement d’une question ayant une influence déterminante sur l’issue de la mise en cause, soit la question de savoir si les défendeurs ont le droit à une contribution ou à une indemnité de COSIPA.

[41]      On pourrait également soutenir qu’une suspension d’instance priverait les défendeurs d’éléments de preuve dont ils ont besoin pour contester l’action principale, en ce sens que leur défense serait incomplète si COSIPA n’est pas présente pour défendre son utilisation de la membrane de plastique (observations écrites des défendeurs, au paragraphe 29). Il s’agit également d’une question ayant une influence déterminante sur l’issue de l’action principale et, en conséquence, la Cour estime qu’il convient de reprendre l’affaire depuis le début.

2.         La définition de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » au paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime englobe‑t‑elle un contrat d’affrètement d’un navire sous forme de charte‑partie?

Arguments de l’appelante

1)         Source du contrat

[42]      L’appelante affirme que même si un connaissement est établi, la charte‑partie demeure le contrat de transport applicable et que la Cour devrait par conséquent renvoyer l’affaire à l’arbitrage (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 106 à 114). Au cours du transport des marchandises en cause, l’appelante (le chargeur et l’affréteur au voyage) a reçu de Fednav des connaissements qui ne valaient que comme preuve de réception des marchandises chargées à bord du navire, étant donné que les documents demeuraient entre les mains de l’appelante. La charte‑partie est demeurée en tout temps le contrat exécutoire applicable en ce qui concerne le transport des marchandises.

2)         Lettre de garantie

[43]      L’appelante réfute catégoriquement l’argument des défendeurs selon lequel la lettre de garantie constitue un contrat distinct de la charte‑partie (observations écrites de l’appelante, au paragraphe 115 à 131). L’appelante soutient qu’il s’agit d’une question relevant de la compétence de l’arbitre, mais qu’il est manifeste que la lettre de garantie constitue une modification de la charte‑partie. L’objet de la lettre de garantie confirme cette hypothèse, tout comme le fait que la lettre de garantie reprend des stipulations qui se trouvent déjà dans la charte‑partie. M. Eduardo Vieira Munhoz, représentant de l’appelante, croyait comprendre que la lettre de garantie était une modification de la charte‑partie. M. Munhoz n’a toutefois pas été contre‑interrogé à ce sujet. Enfin, l’appelante soutient qu’elle n’a jamais reçu de contrepartie en vertu de la lettre de garantie et qu’en conséquence aucun contrat distinct n’a été créé. Suivant l’appelante, étant donné que la lettre de garantie constituait une modification de la charte‑partie, elle ne peut avoir d’incidence sur le renvoi de l’affaire à l’arbitrage sur lequel les parties se sont entendues dans leur charte‑partie initiale.

3)         Interprétation législative

[44]      Le principal argument de l’appelante est que les chartes‑parties comme la charte‑partie au voyage utilisée dans le cas qui nous occupe sont soustraites à l’application de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, étant donné que, pour rédiger l’article 46, le législateur s’est inspiré des règles de Hambourg, qui excluent expressément les chartes‑parties. En outre, le fait qu’un connaissement a été établi au nom du commandant du navire ne change rien à l’analyse de l’action de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (observations écrites de l’appelante, au paragraphe 50).

[45]      L’appelante avance plusieurs arguments à l’appui de cette prétention.

• En premier lieu, l’appelante affirme que le protonotaire a commis une erreur dans son interprétation de la Loi sur la responsabilité en matière maritime suivant les principes d’interprétation des lois définis dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Hypothèques Trustco Canada], au paragraphe 10, et dans l’arrêt Celgene Corp c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3 (Celgene Corp.), au paragraphe 21. Plus précisément, elle soutient que le protonotaire n’a pas tenu compte de la définition dans la Loi de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau », qu’il a mal interprété l’objet de la Loi en considérant qu’elle s’applique aussi à des dispositions d’affrètement complexes au lieu de conclure que la Loi vise à protéger les chargeurs et les consignataires, et qu’il a mal interprété la volonté du législateur en ce qui concerne l’exclusion des chartes‑parties (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 51 à 53).

• L’appelante soutient en outre que l’exclusion des chartes‑parties de l’application de la Loi est conforme à l’économie de la Loi (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 54 à 65), l’objet de l’article 46 de la Loi (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 66 à 77), ainsi qu’à l’intention du législateur de protéger les chargeurs et les réceptionnaires canadiens en vertu des connaissements, puisqu’il s’agit essentiellement de contrats d’adhésion (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 78 à 101). L’appelante affirme par ailleurs que l’article 46 doit être interprété en tenant compte des obligations internationales du Canada (observations écrites de l’appelante, aux paragraphes 102 à 105).

4)         Économie de la Loi

[46]      L’appelante soutient essentiellement que la Loi doit être interprétée à la lumière des définitions que l’on trouve dans la Loi elle‑même et dans ses annexes. Les règles de Hambourg sont jointes à la Loi sous forme d’annexe et elles excluent expressément les chartes‑parties (paragraphe 3 de l’article 2). Compte tenu des similitudes qui existent entre le libellé et l’objet de l’article 21 des règles de Hambourg et ceux de l’article 46 de la Loi, ces dispositions devraient, selon l’appelante, être interprétées de façon similaire. Les règles de La Haye‑Visby [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, qui constitue l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime] sont également jointes à la Loi à titre d’annexe, et la définition qu’elles donnent du « contrat de transport » [à l’article I] exclut également les chartes‑parties, de sorte que si l’on interprète correctement l’expression « contrat de transport » que l’on trouve dans la Loi en respectant l’esprit et l’économie de la Loi, les chartes‑parties sont, suivant l’appelante, exclues de ce genre de contrat.

5)         Objet de l’article 46

[47]      L’appelante soutient que l’article 46 visait à incorporer des dispositions offrant une similitude frappante avec celles que l’on trouve dans les règles de Hambourg. L’article 46 visait à incorporer de façon anticipée une partie des règles de Hambourg et l’article deviendra en grande partie inutile une fois que les règles de Hambourg entreront en vigueur. L’appelante cite plusieurs universitaires et extraits de débats parlementaires démontrant que l’article 46 de la Loi s’inspire effectivement des articles 21 et 22 des règles de Hambourg. L’appelante soutient qu’il est illogique d’attribuer à l’article 46, qui n’est qu’une disposition transitoire, une portée plus large que celle qu’aura la convention internationale (les règles de Hambourg, une fois qu’elles entreront en vigueur) qui le remplacera.

6)         Intention du législateur

[48]      L’appelante affirme que l’intention déclarée du législateur était d’avantager les chargeurs et les réceptionnaires et non les propriétaires de navires et les compagnies d’affrètement comme Fednav et Canada Moon. L’appelante cite divers articles, ouvrages et déclarations faites devant des comités parlementaires à l’appui de cet argument. Il existe une distinction entre un connaissement (le contrat de transport de marchandises) et une charte‑partie (qui est un contrat d’affrètement d’un navire ou de ses services) et cette distinction s’explique par la dynamique de négociation différente pour ces deux instruments. Alors que le connaissement est souvent considéré comme un contrat d’adhésion laissant peu de place à la négociation entre les parties contractantes, les chartes‑parties sont des contrats négociés dans des conditions où la concurrence joue librement et dans lequel le poids respectif des parties négociatrices a une incidence directe sur les dispositions qui se retrouvent finalement dans le contrat. Il est donc illogique d’appliquer l’article 46 aux chartes‑parties qui, contrairement aux connaissements, ne sont pas assujetties à une réglementation visant à protéger les parties plus faibles.

7)         Obligations internationales du Canada

[49]      L’appelante affirme que tout doute quant à l’applicabilité de l’article 46 devrait être résolu en faveur de l’exécution de la cause d’arbitrage de la [traduction] « charte‑partie Gencon (formule normalisée) », comme le confirme l’acceptation par le Canada de l’arbitrage commercial international comme mode de règlement des différends (étant donné que la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16] donne force de loi à la Convention de New York de 1958 (Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères [qui constitue l’annexe de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères]) et que le Code d’arbitrage commercial en fait autant en ce qui concerne la Loi type de la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international) sur l’arbitrage commercial international).

Arguments des défendeurs

1)         Source du contrat

[50]      Les défendeurs admettent que la charte‑partie est le contrat de transport qui a été conclu entre Fednav et l’appelante COSIPA. Ils soutiennent toutefois que ce n’est pas le cas en ce qui concerne la défenderesse Canada Moon et l’appelante. Les défendeurs maintiennent que, dans ce dernier cas, les rapports contractuels sont régis par le connaissement, et ce, même si ce dernier incorpore les modalités de la charte‑partie. Ils affirment qu’advenant le cas où la Cour conclurait que l’article 46 ne s’applique pas aux chartes‑parties, Canada Moon aurait quand même un recours en vertu de l’article 46 parce qu’elle est partie à un contrat de transport constaté par un connaissement. Les défendeurs affirment que le protonotaire Morneau n’a pas tenu dûment compte de cette distinction.

2)         Lettre de garantie

[51]      Les défendeurs affirment également que la lettre de garantie constitue un accord distinct qui vaut renonciation implicite à toute entente d’arbitrage ainsi que renonciation explicite à tout droit de formuler une objection sur le fondement du principe du forum non conveniens. Hormis les déclarations intéressées du représentant de l’appelante, il n’existe aucun élément de preuve permettant de penser que la lettre de garantie constitue une modification de la charte‑partie. Suivant les défendeurs, le libellé de la lettre de garantie ne confère à Fednav aucun autre droit que ceux que Fednav possède déjà en vertu de la charte‑partie. La lettre de garantie a été reformulée par l’appelante pour inclure un libellé reprenant les dispositions de la clause 5(a) de la charte‑partie sans toutefois intégrer les dispositions relatives à la compétence, au choix des lois applicables ou à l’arbitrage que l’on trouve dans la charte‑partie.

3)         Interprétation législative

[52]      Appliquant le critère — que le protonotaire Morneau a repris dans son ordonnance — relatif à l’applicabilité de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, les défendeurs déclarent ce qui suit :

[traduction]

a)  il existe :

i)   un « contrat de transport de marchandises par eau », étant donné qu’il s’agit d’une expression englobante et que si le législateur avait voulu en restreindre la portée, il l’aurait fait;

ii)  les règles de Hambourg ne s’appliquent pas à ce contrat, étant donné que les règles de Hambourg n’ont jamais été promulguées au Canada;

iii) le contrat prévoit que les réclamations doivent être jugées ailleurs qu’au Canada, étant donné que les connaissements incorporent par renvoi une entente sur le renvoi à l’arbitrage des différends à New York et que la charte‑partie fait aussi état d’une telle entente;

b) le port de déchargement prévu au contrat se trouve au Canada (Toronto) et la cargaison a effectivement été déchargée au Canada;

c)    ni le volet c) ni le volet d) du critère ne s’appliquent en l’espèce.

[53]      Contrairement à ce que prétend l’appelante, les défendeurs affirment qu’une simple lecture de l’article 46 démontre que l’une ou l’autre partie au contrat de transport de marchandises par eau peut invoquer les droits conférés par cet article et qu’il n’y a pas d’ambiguïté ou de manque de clarté quant au sens de cette disposition qui justifierait le recours à des moyens extérieurs pour saisir le sens des mots employés à l’article 46.

[54]      Les défendeurs soutiennent que l’expression « contrat de transport de marchandises » à l’article 46 ne fait l’objet d’aucune restriction quant à sa portée. Ils affirment également que l’appelante préconise une méthode d’interprétation restrictive de cet article qui fait fi de l’article 12 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21] et de la mise en garde de Ruth Sullivan suivant laquelle la liberté de contracter doit être contrebalancée par d’autres valeurs que le législateur cherche à protéger, à savoir le droit des chargeurs et des réceptionnaires d’ester en justice devant les tribunaux canadiens.

[55]      Les défendeurs affirment en outre qu’il n’existe pas de restriction quant à la nature de l’intérêt que doit posséder une personne en vertu de l’article 46 pour être considérée comme un « réclamant ». Suivant les défendeurs, l’appelante soutient essentiellement que le législateur avait l’intention d’étendre les droits conférés à l’article 46 aux personnes ayant un droit sur la cargaison mais non au transporteur. Les défendeurs soutiennent que rien ne permet de penser que le transporteur ne dispose pas d’un droit de poursuite. De plus, le sens de la loi ne doit pas être interprété à la lumière du sens que les personnes qui ont participé aux audiences du Sénat voulaient lui donner, mais en fonction de ce que les représentants dûment élus du Parlement ont finalement décidé. Les défendeurs soutiennent que l’affirmation suivant laquelle les personnes ayant un intérêt dans la cargaison ne peuvent exercer que les droits qui sont conférés à l’article 46 lorsqu’ils sont porteurs d’un connaissement est erronée et injustifiée.

[56]      Suivant les défendeurs, le législateur voulait de toute évidence traiter des droits des plaideurs dont les réclamations découlaient d’un contrat de transport de marchandises indépendamment de l’instrument utilisé pour constater le contrat. Ils ajoutent que l’appelante méconnaît divers aspects de la charte‑partie, y compris le fait qu’elle peut être de la nature d’un contrat de transport de marchandises par eau, et ce, qu’un connaissement soit ou non établi (Sucre Lantic Ltée c. Blue Tower Trading Corp., [1991] A.C.F. no 1309 (1re inst.) (QL); Thyssen Canada Ltd. c. Mariana (Le), [2000] 3 C.F. 398 (C.A.)).

[57]      Les défendeurs affirment également, en ce qui concerne l’argument de l’appelante relatif aux obligations internationales du Canada, que le législateur fédéral entendait de toute évidence rendre inapplicables certaines des dispositions des conventions internationales relatives à l’arbitrage. Selon les défendeurs, le Canada ne fait pas exception à cet égard, étant donné que plusieurs pays ont légiféré pour restreindre la possibilité d’exclure leur compétence. Rien dans la convention n’empêche les États de légiférer pour rendre des ententes d’arbitrage inapplicables ou pour en restreindre l’exécution. En tout état de cause, la présomption suivant laquelle la loi est conforme aux obligations internationales est une présomption réfutable.

Analyse

[58]      Il y a lieu d’aborder les questions suivantes :

• En premier lieu, l’appelante a‑t‑elle raison d’affirmer que le contrat de transport conclu entre l’appelante et les défendeurs correspond toujours à la charte‑partie étant donné que, même si des connaissements ont été établis, ils ne peuvent servir de contrats de transport mais servent simplement de preuves de réception, puisqu’ils n’ont jamais quitté les mains de l’appelante (l’affréteur)?

• Deuxièmement, l’appelante a‑t‑elle raison d’affirmer que la lettre de garantie constitue une modification de la charte‑partie?

• Enfin, l’expression « contrat de transport de marchandises » à l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime exclut‑elle les chartes‑parties?

Quelle est la source du contrat conclu entre l’appelante et les défendeurs?

[59]      Le protonotaire Morneau a conclu que le contrat intervenu entre Fednav et COSIPA se retrouvait principalement dans la charte‑partie plutôt que dans les connaissements. C’est également l’interprétation préconisée par l’appelante. La Cour souscrit à cette conclusion pour les motifs qui suivent :

• Les défendeurs admettent que la source du contrat de transport des marchandises entre COSIPA et Fednav est la charte‑partie, mais ils affirment que le connaissement régit le contrat de transport de marchandises conclu entre COSIPA et Canada Moon. La Cour n’est pas d’accord avec cette affirmation et souscrit à la thèse de l’appelante suivant laquelle les connaissements n’avaient valeur que de preuve de réception des marchandises chargées à bord du navire, étant donné qu’ils demeuraient entre les mains de COSIPA et n’ont jamais été transmis à quelqu’un d’autre. À cet égard, il est intéressant de lire ce qu’explique le professeur John F. Wilson dans son ouvrage Carriage of Goods by Sea, 6e éd. (Harlow, Angleterre : Pearson/Longman, 2008), aux pages 6 et 7, au sujet des situations dans lesquelles les chartes‑parties et les connaissements sont utilisés de façon simultanée :

[traduction] Ainsi, les affréteurs qui expédient leurs propres marchandises à bord d’un navire affrété souhaitent à tout le moins une confirmation de la quantité de marchandises chargées à bord et de l’état dans lequel elles ont été expédiées. Les connaissements remis à l’affréteur en pareil cas servent uniquement à confirmer la réception de la cargaison expédiée et d’éventuels titres documentaires advenant le cas où l’affréteur déciderait de vendre des marchandises alors qu’elles sont encore en transit. Mais les connaissements ne servent pas de preuve des modalités du contrat de transport conclu entre le propriétaire du navire et l’affréteur étant donné que cette relation est régie uniquement par les conditions de la charte‑partie. Les règles de La Haye ou de La Haye‑Visby ne s’appliquent pas non plus au contrat de transport lorsque le connaissement demeure entre les mains de l’affréteur, et ce, malgré le fait que ces règles s’appliquent dès que la cargaison est vendue et que le connaissement est cédé à un tiers.

• La défenderesse Fednav affirme elle‑même avoir agi comme mandataire du propriétaire du navire, Canada Moon (affidavit de Dong Li, dossier de requête de l’appelante, onglet 6, page 5, paragraphe 16, renvoyant à la lettre de garantie).

• Mais surtout, les défendeurs admettent que les connaissements intégraient par renvoi la charte‑partie rédigée selon la formule Gencon. Ainsi, la charte‑partie demeurerait le contrat applicable en ce qui concerne le transport des marchandises entre les défendeurs (Fednav et Canada Moon) et l’appelante.

La lettre de garantie constitue‑t‑elle une modification de la charte‑partie?

[60]      Le protonotaire Morneau s’est dit d’accord avec l’appelante pour considérer que la lettre de garantie constituait une modification de la charte‑partie plutôt qu’un accord distinct. La Cour accepte cette conclusion étant donné qu’ainsi que le protonotaire [au paragraphe 14] et l’appelante l’ont fait remarquer à juste titre, la lettre de garantie constitue manifestement une modification de la charte‑partie compte tenu de la mention figurant en objet :

[traduction]

Objet : […] COSIPA/Fednav – Charte‑partie datée du 22 juillet et du 21 septembre 2004.

[61]      De plus, bien que les défendeurs soutiennent que la lettre de garantie constituait une renonciation implicite à tout accord d’arbitrage de même qu’une renonciation explicite à tout droit de soulever une objection sur le fondement du principe forum non conveniens, il n’y a rien dans les négociations échangées par courriel au sujet de la lettre de garantie (affidavit de M. Munhoz, à l’annexe D) qui appuie cet argument. Force est de constater qu’il existe des déclarations contradictoires et des déclarations intéressées faites par M. Munhoz (COSIPA) et M. Li (Fednav) au sujet de l’intention de leurs sociétés respectives lors de la rédaction de la lettre de garantie.

[62]      Le représentant des défendeurs, M. Dong Li, affirme que la lettre de garantie avait pour objet, non pas de modifier la charte‑partie, laquelle protège suffisamment les [traduction] « propriétaires » ou les [traduction] « armateurs disposants » (clause 5(a)), mais de se protéger contre les demandes d’indemnité dirigées contre les(le) [traduction] « capitaine/navire/propriétaires/gestionnaires » et/ou toute personne ayant un droit sur la cargaison (comme la demanderesse) par suite de l’utilisation d’une membrane de plastique (affidavit de Dong Li, au paragraphe 19).

[63]      La clause 5(a) est ainsi libellée :

[traduction]

5.  Chargement/Déchargement

(a)  Frais/risques (voir les clauses 22 + 40)

La cargaison est mise en cale, chargée, arrimée et/ou fixée solidement, comptée, attachée et/ou stabilisée par les affréteurs et est sortie de cale et déchargée par les réceptionnaires, sans que les propriétaires du navire soient exposés à quelque risque, responsabilité ou frais de quelque sorte que ce soit. Les affréteurs fournissent et installent tous les accessoires d’arrimage nécessaires pour bien arrimer et protéger la cargaison à bord et les propriétaires permettent l’utilisation de tous les accessoires d’arrimage se trouvant à bord.

[64]      La clause 45E) prévoit toutefois ce qui suit :

[traduction]

Les propriétaires garantissent que les membranes de plastique avec lesquelles les affréteurs/chargeurs emballent la cargaison au port d’embarquement pour les protéger au cours du transport ne seront retirées qu’au moment du déchargement de la cargaison à leur port de déchargement respectif.

Les propriétaires sont entièrement responsables de toute pénalité, frais et dépenses supplémentaires auxquels les affréteurs peuvent être exposés en cas de défaut par les propriétaires de respecter cette condition.

[65]      La Cour ne souscrit pas à l’argument des défendeurs, étant donné que la lettre de garantie complète la protection déjà offerte au propriétaire par la clause 5(a) de la charte‑partie en plus de compléter la clause 45E), qui oblige les propriétaires à ne pas enlever les membranes de plastique installées par les affréteurs avant que la cargaison ne soit déchargée. Il ressort des courriels échangés que COSIPA s’est rendue compte qu’elle était responsable des problèmes de moisissure pouvant découler de l’utilisation des membranes de plastique de sorte que la lettre de garantie ne peut être considérée que comme un avantage supplémentaire pour les défendeurs, déclarant en des termes encore plus clairs et dans le cadre de la charte‑partie convenue par les parties, que COSIPA était responsable de l’utilisation des membranes de plastique. À l’annexe D de l’affidavit de M. Munhoz se trouve un courriel d’un membre du département affrètements qui indique ce qui suit :

[traduction]

4. Dès lors que la charte‑partie déclare clairement (à la clause 45.E) que « [l]es propriétaires garantissent que les membranes de plastique avec lesquelles les affréteurs/chargeurs emballent la cargaison au port d’embarquement pour les protéger au cours du transport ne seront retirées qu’au moment du déchargement de la cargaison à leur port de déchargement respectif » , nous estimons que nous sommes responsables de tout problème éventuel causé à la cargaison à cause de la moisissure se formant sous les membranes de plastique en raison de la condensation.

[66]      Vu l’analyse qui précède, la Cour conclut que l’argument de l’appelante suivant lequel la lettre de garantie constitue une modification de la charte‑partie est bien fondé.

Interprétation législative de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46

[67]      Les principes fondamentaux d’interprétation des lois ont été analysés dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité (au paragraphe 10) :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[68]      Récemment, dans l’arrêt Celgene Corp., précité, la Cour suprême a réitéré les principes d’interprétation législatifs dégagés dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada en déclarant, au paragraphe 21 : « S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi. »

Le sens ordinaire

[69]      Ainsi que le protonotaire Morneau l’a fait observer, l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » n’est pas définie dans la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Ruth Sullivan signale que l’expression [traduction] « sens ordinaire » n’est pas employée de façon constante : elle est parfois assimilée au sens que l’on trouve dans les dictionnaires, au sens littéral ou encore au sens qui s’en dégage en situant les mots dans leur contexte immédiat (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008), à la page 25). L’auteure ajoute (aux pages 25 et 26) :

[traduction] La plupart du temps […] on associe le sens ordinaire à la première impression du lecteur, c’est‑à‑dire au sens qui lui vient spontanément à l’esprit lorsqu’il lit les termes dans leur contexte immédiat […]

[70]      Un des sens que les dictionnaires donnent du mot « transport » (carriage) est [traduction] « le transport de marchandises » (the conveying of goods). Ainsi, dans son sens ordinaire, l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » semblerait viser un contrat ou une entente qui prévoit le transport de marchandises par eau, à bord d’un navire par exemple, ce qui confirme que les chartes‑parties tombent sous le coup de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, étant donné qu’il existe une entente entre un affréteur et un armateur disposant par lequel l’affréteur loue un navire en vue de transporter des marchandises ou, comme le précise les auteurs Julian Cooke et autres (Julian Cooke et al., Voyage Charters, 3e éd. (Londres : Informa, 2007), à la page 3) :

[traduction] Les chartes‑parties au voyage sont des contrats d’affrètement aux termes desquels le propriétaire s’engage à effectuer un ou plusieurs voyages déterminés en contrepartie du paiement du fret et, le cas échéant, des frais de surestarie […]

[71]      Le protonotaire Morneau affirme dans son ordonnance — et les défendeurs sont du même avis — qu’il n’y a aucune exclusion expresse des chartes‑parties à l’article 46.

[72]      Le sens ordinaire de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » pourrait donc appuyer la proposition que les chartes‑parties tombent sous le coup de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime.

Économie de la Loi

[73]      L’appelante se fonde toutefois en partie sur une comparaison entre l’article 46 de la Loi et l’article 21 des règles de Hambourg qui sont incorporées à la Loi sous forme d’annexe. Il est évident que les annexes des lois sont considérées comme faisant partie intégrante de la Loi et qu’on peut les examiner et les invoquer pour interpréter la Loi (Ruth Sullivan, précité, à la page 403).

[74]      Il a toutefois lieu d’établir une distinction entre les annexes qui font partie du texte de loi, les annexes qui ne font pas partie du texte législatif et les annexes qui ne sont proposées qu’à des fins de commodité. Dans le premier cas, on considère l’annexe comme faisant partie intégrante du texte de loi et l’annexe a le même effet que le reste de la loi. Dans le troisième cas, l’annexe ne fait pas partie du texte législatif et son effet légal est [traduction] « exactement le même que si les éléments visés par l’annexe ne s’y trouvaient pas » (Ruth Sullivan, précité, aux pages 403 à 406).

[75]      Ainsi, les règles de La Haye‑Visby qui, aux termes de l’article 43 [de la Loi] (qui dispose que ces règles ont force de loi au Canada) font partie de la première catégorie d’annexes, peuvent donc être considérées comme faisant partie de la Loi. Les règles de Hambourg ne sont toutefois pas encore en vigueur au Canada — en fait, le Canada n’a pas encore signé la Convention de 1978 (Convention des Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, 1978) (voir http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/transport_goods/Hamburg_status.html [État : 1978 – Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer – « Règles de Hambourg »]), de sorte que l’annexe peut être considérée comme faisant partie de la troisième catégorie susmentionnée. Les règles de Hambourg n’ont donc aucune existence sur le plan juridique. Elles donnent toutefois une idée de la teneur de la loi à venir si jamais elle est promulguée. L’annexe dans laquelle se trouvent les règles de Hambourg ne fait pas partie de la Loi aux fins d’interprétation. L’article 46 a été édicté et son libellé s’inspire largement de l’article 21 des règles de Hambourg. La Cour ne peut invoquer les autres dispositions des règles de Hambourg qui ne font pas partie de la Loi pour interpréter l’article 46, pas plus qu’elle ne peut ignorer le fait que le libellé de l’article 46 s’inspire directement de l’article 21 des règles de Hambourg.

[76]      Les règles de La Haye‑Visby et les règles de Hambourg excluent toutes les deux les chartes‑parties et elles ne prévoient une exception que dans le cas des connaissements délivrés à des tiers en vertu d’une charte‑partie (c.‑à‑d. à des personnes autres que les deux parties contractantes qui ont signé la charte‑partie) (voir William Tetley, Marine Cargo Claims, 4e éd. (Cowansville (Qc) : Yvon Blais, 2008), à la page 25). Ce n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que les connaissements sont demeurés entre les mains de COSIPA, l’affréteur, et qu’ils n’ont jamais été transmis à d’autres personnes. Ainsi, comme nous l’avons déjà précisé, les connaissements n’avaient comme valeur que celle de preuve de réception.

[77]      Les règles de La Haye‑Visby (annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime) disposent :

Article I

[…]

b) « contrat de transport » s’applique uniquement au contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par eau, il s’applique également au connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte‑partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement;

[…]

Article V

[…]

Aucune disposition des présentes règles ne s’applique aux chartes‑parties, mais si des connaissements sont émis dans le cas d’un navire sous l’empire d’une charte‑partie, ils sont soumis aux termes des présentes règles. [Non souligné dans l’original.]

[78]      Les règles de Hambourg (annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime) disposent :

Article 2

[…]

3. Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas aux contrats d’affrètement. Toutefois, lorsqu’un connaissement est émis en vertu d’un contrat d’affrètement, il est soumis aux dispositions de la présente Convention pour autant qu’il régit les relations entre le transporteur et le porteur du connaissement, si ce dernier n’est pas l’affréteur. [Non souligné dans l’original.]

[79]      Ainsi que le professeur William Tetley le fait remarquer dans son ouvrage Marine Cargo Claims, 4e éd. (à la page 91) :

[traduction] Les règles de Hambourg n’ajoutent pas grand‑chose aux règles de La Haye‑Visby en ce qui concerne les chartes‑parties. Le paragraphe 3 de l’article 2 des règles de Hambourg correspond essentiellement à l’article 5 et à l’article I b) des règles de La Haye‑Visby, mais il est peut‑être un peu plus clair. [Renvoi omis.]

[80]      L’article 46 précise également qu’il vise les contrats non assujettis aux règles de Hambourg sans toutefois exclure les règles de La Haye‑Visby. Nous sommes d’avis que l’économie de la Loi, y compris le fait qu’elle incorpore les règles de La Haye‑Visby, donne fortement à penser que l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 n’est censée s’appliquer qu’aux chartes‑parties lorsqu’il existe (règles de la Haye-Visby, paragraphe b) de l’article I) :

Article I

[…]

b) […] [un] connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte‑partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement;

[81]      En l’espèce, bien qu’il existe des connaissements, comme nous l’avons déjà précisé, ces documents ne régissent pas les rapports entre le transporteur (les défendeurs) et le porteur des connaissements (COSIPA); les relations entre ces parties sont régies par la charte‑partie, modifiée par la lettre de garantie. Suivant cette interprétation, l’article 46 ne s’applique pas.

Objet de la Loi

[82]      L’objet de la Loi sur la responsabilité en matière maritime est de codifier les régimes de responsabilité existants compte tenu du fait qu’avant que cette loi ne soit adoptée, il existait plusieurs instruments régissant la responsabilité en matière maritime (Résumé législatif LS-377F Projet de loi S‑2 : Loi sur la responsabilité en matière maritime, 5 février 2001 [à la page 1]; [voir aussi] recueil des sources de l’appelante) :

Le projet de loi S‑2 refondrait les régimes de responsabilité existants en matière maritime (accidents mortels; limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes; responsabilité civile lors du transport de marchandises par eau; responsabilité civile et indemnisation pour les dommages dus à la pollution) en une seule loi qui comprendrait aussi deux nouveaux régimes : le régime de responsabilité civile des propriétaires de navires envers les passagers et le régime de partage de la responsabilité applicable à tous les délits régis par le droit maritime canadien. En outre, le projet de loi validerait rétroactivement certains règlements pris sous le régime de la Loi sur la Société canadienne des ports et d’autres pris sous le régime de la Loi sur le pilotage. Les dispositions de validation sont de nature strictement administrative et sont sans rapport avec les régimes de responsabilité civile prévus dans le projet de loi. [Souligné dans l’original.]

[83]      Suivant le résumé législatif préparé par la Bibliothèque du Parlement [aux pages 10 à 12], l’article 46 visait ce qui suit :

E. Partie 5 – Responsabilité en matière de transport de marchandises par eau (articles 41–46)

La Loi sur le transport de marchandises par eau s’applique à toutes les activités entre le Canada et les autres pays adhérant aux règles de La Haye‑Visby qui font partie de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles le 25 août 1924, et de ses Protocoles de 1968 et 1979. La Loi s’applique également, mais avec certaines adaptations, au transport intérieur de marchandises par eau. Elle prévoit aussi le remplacement éventuel des règles de La Haye‑Visby par celles de Hambourg qui font partie de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, conclue à Hambourg le 31 mars 1978. Les deux conventions s’appliquent aux créances maritimes pour les marchandises perdues ou endommagées et elles ont pour éléments clés le fondement de la responsabilité, la limitation de la responsabilité et les moyens de défense des propriétaires de navires. Selon la documentation du ministère, comme les règles de La Haye‑Visby, à la différence des règles de Hambourg, ne renferment aucune clause de juridiction, certains problèmes se sont présentés lorsque des clauses de juridiction étrangère incluses dans des connaissements ont empêché le règlement ou l’arbitrage d’un litige au Canada. Une modification s’impose donc pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipule que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger.

La partie 5 du projet de loi S‑17 réédicterait les dispositions actuelles de la Loi sur le transport de marchandises par eau visant l’application au Canada des règles de La Haye‑Visby (qui figurent à l’annexe 3 du projet de loi) et la mise en œuvre éventuelle des règles de Hambourg (figurant à l’annexe 4 du projet de loi). Les règles de Hambourg n’auraient force de loi qu’à la date fixée par décret pour l’entrée en vigueur de l’article 45 du projet de loi (paragraphe 131(2)); après cette date, selon le paragraphe 43(4) du projet de loi, les règles La Haye‑Visby ne s’appliqueraient plus. Toutefois, une nouvelle disposition, qui ne se trouve pas dans les règles de La Haye‑Visby, serait adoptée pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipulerait que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger. Selon le paragraphe 46(1), si un contrat de transport de marchandises par eau non assujetti aux règles de Hambourg stipulait qu’une créance découlant du contrat devait être soumise à une cour de justice ou à l’arbitrage dans un lieu situé à l’étranger, le réclamant pourrait néanmoins intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent pour connaître de la créance si le contrat prévoyait le renvoi de celle‑ci au Canada. La disposition s’appliquerait si le port de chargement ou de déchargement prévu au contrat ou effectif était situé au Canada; si la partie contre laquelle la créance était présentée avait au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence; ou si le contrat avait été passé au Canada. Le paragraphe 46(2) prévoit que, malgré le paragraphe 46(1), les parties à un contrat visé à ce dernier paragraphe pourraient désigner d’un commun accord, postérieurement à la créance née d’un contrat, le lieu où le réclamant pourrait intenter une procédure judiciaire ou arbitrale. [Souligné dans l’original.]

[84]      Ce n’est de toute évidence pas le cas en l’espèce, étant donné que c’est dans la charte‑partie, un contrat négocié librement par les parties, que l’on trouve le mécanisme de renvoi à un tribunal étranger.

[85]      L’argument des défendeurs suivant lequel la disposition transitoire que constitue l’article 46 devrait recevoir une interprétation plus large que les règles qu’il remplacera éventuellement n’est pas logique et elle diminue le poids que la Cour attribue à la thèse qu’ils défendent en se fondant sur l’article 12 de la Loi d’interprétation.

[86]      Les défendeurs soutiennent que la Cour devrait tenir compte du fait que la Loi d’interprétation souligne que les textes de loi sont censés apporter une solution de droit. Voici le texte de l’article 12 de la Loi d’interprétation :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Principe et interprétation

[87]      Comme l’article 46 est une disposition transitoire qui s’applique jusqu’à ce que les règles de Hambourg soient adoptées, il est difficile de souscrire à une interprétation aussi large suivant laquelle cette disposition transitoire conférera davantage de droits que ceux que conféreront les règles de Hambourg.

[88]      Compte tenu de cette interprétation réparatrice, l’objet de la disposition en cause —confirmer la compétence du Canada sur les chargeurs et les réceptionnaires — doit être pris en compte et être évalué à la lumière de l’intention du législateur.

Intention du législateur

[89]      Ainsi que l’appelante le précise bien dans ses observations, l’intention qu’avait le législateur en adoptant l’article 46 était d’introduire une disposition attributive de compétence semblable à celle que l’on trouve à l’article 21 des règles de Hambourg. La transcription des témoignages livrés devant le Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales (27 mars 2001) ainsi que le résumé législatif du projet de loi S‑2 : Loi sur la responsabilité en matière maritime appuient amplement cet argument, mais ils permettent également de constater que l’intention précise du législateur était d’intégrer à la Loi sur la responsabilité en matière maritime et aux règles de La Haye‑Visby une clause de juridiction des règles de Hambourg « souhaitable » :

[Chambre des communes. Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales. Témoignages, réunion no 7, 27 mars 2001, en ligne, à 1205], observations de M. James Gould, président de l’Association canadienne de droit maritime, [voir aussi] recueil des sources invoquées de l’appelante, onglet 30, à la page 26 :

Compte tenu du sujet à l’étude ce matin, j’aimerais porter mon attention sur la clause de juridiction, soit l’article 46, qui figure à la partie 5 du projet de loi S‑2. Je n’aborderai pas les autres dispositions, mais j’accepterai volontiers de les commenter, si vous le désirez. Je me contenterai de dire que nous appuyons l’ensemble du projet de loi.

L’ACDM est favorable à l’adoption de la clause de juridiction énoncée à l’article 46 du projet de loi S‑2. Elle reflète, dans une certaine mesure, les dispositions des articles 21 et 22 des règles de Hambourg qui, comme vous le savez, ont été annexées à notre Loi sur le transport des marchandises par eau. Elles n’ont toutefois pas encore été promulguées.

[…]

Par ailleurs, et peut‑être plus important encore, le CMI, est en train de revoir les questions relatives au transport de marchandises par mer. Il s’entend pour dire que les dispositions des articles 21 et 22 des règles de Hambourg devraient être incluses dans une nouvelle convention sur le transport de marchandises par mer.

Résumé législatif LS-377F, section E [à la page 10]; [voir aussi] recueil des sources citées de l’appelante, onglet 32 :

Toutefois, une nouvelle disposition, qui ne se trouve pas dans les règles de La Haye‑Visby, serait adoptée pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipulerait que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger. Selon le paragraphe 46(1), si un contrat de transport de marchandises par eau non assujetti aux règles de Hambourg stipulait qu’une créance découlant du contrat devait être soumise à une cour de justice ou à l’arbitrage dans un lieu situé à l’étranger, le réclamant pourrait néanmoins intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent pour connaître de la créance si le contrat prévoyait le renvoi de celle‑ci au Canada. La disposition s’appliquerait si le port de chargement ou de déchargement prévu au contrat ou effectif était situé au Canada; si la partie contre laquelle la créance était présentée avait au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence; ou si le contrat avait été passé au Canada. Le paragraphe 46(2) prévoit que, malgré le paragraphe 46(1), les parties à un contrat visé à ce dernier paragraphe pourraient désigner d’un commun accord, postérieurement à la créance née d’un contrat, le lieu où le réclamant pourrait intenter une procédure judiciaire ou arbitrale. [Souligné dans l’original.]

[90]      Bien que, comme l’appelante le soutient, l’intention du législateur était de permettre une transition vers les règles de Hambourg, les règles en question ne sont pas encore en vigueur (pas plus que ne l’est l’article 45). Il est donc raisonnable de considérer que l’intention du législateur était de n’ajouter que l’article 46 à la Loi et aux règles de La Haye‑Visby.

[91]      Comme nous l’avons déjà fait remarquer, les règles de La Haye‑Visby ne visent par ailleurs pas les chartes‑parties, à moins qu’un connaissement ait été établi pour réglementer les rapports entre le transporteur et le détenteur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que le connaissement est demeuré en tout temps entre les mains de l’affréteur.

[92]      Cela dit, le protonotaire a conclu (au paragraphe 37) :

[…] si le législateur avait voulu clairement exclure les chartes‑parties du paragraphe 46(1), il aurait inclus à la MLA, à une époque ou une autre, une disposition similaire à l’article 2(3) des règles de Hambourg, d’autant plus que ces règles ne sont toujours pas en vigueur au Canada.

[93]      La Cour ne souscrit pas à ce raisonnement parce que, lorsque l’article 46 a été édicté par le législateur, celui‑ci avait de toute évidence l’intention que cet article serve de disposition transitoire, sachant que les règles de Hambourg entreraient éventuellement en vigueur et remplaceraient l’article 46. Il n’était donc pas nécessaire d’édicter une disposition semblable au paragraphe 3 de l’article 2 pour exclure expressément les chartes‑parties, étant donné que l’intention du législateur était de les exclure. Les règles de La Haye‑Visby, au paragraphe b) de l’article I qui définit le contrat de transport, soustrait les chartes‑parties à l’application de ces règles. Il aurait donc été superflu d’ajouter une disposition semblable au paragraphe 3 de l’article 2.

Obligations internationales

[94]      La Cour suprême du Canada a jugé à de nombreuses reprises que le législateur fédéral et les législatures provinciales sont présumés édicter des lois qui sont conformes au droit international et aux obligations internationales du Canada dans leur ensemble. À différentes occasions, la Cour suprême a déclaré qu’il est raisonnable de la part d’un tribunal d’examiner la loi nationale dans le contexte d’un accord international afin d’obtenir les éclaircissements voulus (National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371; voir également Daniels v. White and The Queen, [1968] R.C.S. 517; GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, [2005] 2 R.C.S. 401, au paragraphe 41; et R c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, aux paragraphes 175 et 176).

[95]      L’appelante affirme que tout doute devrait être résolu de manière à confirmer l’appui que le Canada accorde aux conventions internationales en matière d’arbitrage conformément à la Convention de New York de 1958 (texte disponible à l’adresse suivante : http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/arbitration/NYConvention.html).

[96]      La Cour conclut que le Canada était conscient de ses obligations internationales lorsque l’article 46 a été édicté, ce qui confirme qu’il convient d’interpréter l’article 46 de manière étroite et non d’une façon large qui irait à l’encontre de la reconnaissance du droit des parties à la charte‑partie de choisir le tribunal devant lequel elles souhaitent porter leurs différends.

VI        CONCLUSION

[97]      En conclusion, la Cour évalue comme suit les facteurs relatifs à l’interprétation de l’article 46. Il est clair que les règles de La Haye‑Visby font partie de la Loi et sont en vigueur au Canada et qu’elles prévoient qu’elles ne s’appliquent pas aux chartes‑parties sauf dans les circonstances précises déjà évoquées. Qui plus est, bien qu’elles ne soient pas en vigueur, les règles de Hambourg, qui excluent les chartes‑parties, étaient également présentes à l’esprit du législateur lorsqu’il a édicté la partie V de la Loi. Une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » fondée sur le sens ordinaire de cette expression à l’article 46 nous conduit à conclure que les chartes‑parties sont exclues principalement parce qu’elles sont soustraites de l’application des règles de La Haye‑Visby qui sont incorporées à la Loi et également parce qu’il n’est pas logique d’attribuer à une disposition transitoire un sens plus large et différend que celui que l’on attribue à la convention internationale qui la remplacera éventuellement, surtout lorsque cette convention est annexée à la Loi. Enfin, il est reconnu que les tribunaux peuvent consulter les traités internationaux pour interpréter les lois internes. La Cour conclut que l’effet cumulatif de ces facteurs penche en faveur d’une interprétation de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 de la Loi qui exclut les chartes‑parties.

[98]      Ayant conclu que les défendeurs ne peuvent se prévaloir du droit conféré à l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, la Cour estime que la question de savoir si le Brésil constitue un forum plus approprié est sans objet.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. L’appel est accueilli.

2. L’ordonnance rendue par le protonotaire R. Morneau le 10 mars 2011 est annulée.

3. La mise en cause des défendeurs (intimés) dans les actions T‑1613‑08 et T‑2020‑08 est suspendue en attendant la conclusion de l’arbitrage se déroulant à New York conformément à la clause 19b) de la charte‑partie rédigée selon la formule Gencon.

4. Un seul mémoire de dépens est accepté : les défendeurs (intimés) sont condamnés à des dépens de 10 990 $.

ANNEXE

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 50(1) (mod., idem, art. 46)]

50. (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

Suspension d’instance

Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 

PARTIE 5

RESPONSABILITÉ EN MATIÈRE DE TRANSPORT DE MARCHANDISES PAR EAU

Définitions et disposition interprétative

41. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

Définitions

« règles de Hambourg » Les règles figurant à l’annexe 4 et faisant partie de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, conclue à Hambourg le 31 mars 1978.

« règles de Hambourg »

Hamburg Rules

« règles de La HayeVisby » Les règles figurant à l’annexe 3 et faisant partie de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles le 25 août 1924, du protocole de Bruxelles conclu le 23 février 1968 et du protocole supplémentaire de Bruxelles conclu le 21 décembre 1979.

[…]

Règles de La Haye‑Visby

« règles de La Haye‑Visby »

Hague‑Visby Rules

43. (1) Les règles de La Haye‑Visby ont force de loi au Canada à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article X de ces règles.

Force de loi

(2) Les règles de La Haye‑Visby s’appliquent également aux contrats de transport de marchandises par eau d’un lieu au Canada à un autre lieu au Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada, à moins qu’ils ne soient pas assortis d’un connaissement et qu’ils stipulent que les règles ne s’appliquent pas.

Application étendue

(3) Pour l’application du présent article, « État contractant », à l’article X des règles de La Haye‑Visby, vise, outre le Canada, tout État qui, n’étant pas lui‑même un État contractant, donne force de loi à ces règles, qu’il donne ou non force de loi au protocole supplémentaire de Bruxelles conclu le 21 décembre 1979.

Définition de « État contractant »

(4) Ne sont pas assujettis aux règles de La Haye‑Visby les contrats conclus après l’entrée en vigueur de l’article 45.

Règles de Hambourg

Remplacement par les règles de Hambourg

44. Avant le 1er janvier 2005, et par la suite tous les cinq ans, le ministre examine la possibilité de remplacer les règles de La Haye‑Visby par celles de Hambourg et fait déposer un rapport sur ses conclusions devant chaque chambre du Parlement.

[L’article 45 n’est pas encore en vigueur.]

Rapport au Parlement

45. (1) Les règles de Hambourg ont force de loi au Canada à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article 2 de ces règles.

Force de loi

(2) Les règles de Hambourg s’appliquent également aux contrats de transport de marchandises par eau d’un lieu au Canada à un autre lieu au Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada, à moins qu’ils stipulent que les règles ne s’appliquent pas.

Application étendue

(3) Pour l’application du présent article, « État contractant », à l’article 2 des règles de Hambourg, vise, outre le Canada, tout État qui, n’étant pas lui‑même un État contractant de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, donne force de loi à ces règles.

Définition de « État contractant »

(4) Pour l’application du présent article, la mention de « mer » dans les règles de Hambourg vaut mention de « eau ».

Mention de « mer »

(5) Pour l’application du présent article, le paragraphe 3 de l’article 14 des règles de Hambourg s’applique aux documents visés à leur article 18.

Procédure intentée au Canada

Signature

46. (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

a) le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada;

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

Créances non assujetties aux règles de Hambourg

(2) Malgré le paragraphe (1), les parties à un contrat visé à ce paragraphe peuvent d’un commun accord désigner, postérieurement à la créance née du contrat, le lieu où le réclamant peut intenter une procédure judiciaire ou arbitrale.

Accord

Convention des Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, 1978 (règles de Hambourg), annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime

Article 2

Champ d’application

[…]

3. Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas aux contrats d’affrètement. Toutefois, lorsqu’un connaissement est émis en vertu d’un contrat d’affrètement, il est soumis aux dispositions de la présente Convention pour autant qu’il régit les relations entre le transporteur et le porteur du connaissement, si ce dernier n’est pas l’affréteur.

[…]

Article 21

Compétence

1. Dans tout litige relatif au transport de marchandises en vertu de la présente Convention, le demandeur peut, à son choix, intenter une action devant un tribunal qui est compétent au regard de la loi de l’État dans lequel ce tribunal est situé et dans le ressort duquel se trouve l’un des lieux ou ports ci‑après :

a) l’établissement principal du défendeur ou, à défaut, sa résidence habituelle;

b) le lieu où le contrat a été conclu, à condition que le défendeur y ait un établissement, une succursale ou une agence par l’intermédiaire duquel le contrat a été conclu;

c) le port de chargement ou le port de déchargement;

d) tout autre lieu désigné à cette fin dans le contrat de transport par mer.

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissements (règles de La Haye‑Visby), annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime

Article I

Définitions

Dans les présentes règles, les mots suivants sont employés dans le sens précis indiqué ci‑dessous :

a) « transporteur » comprend le propriétaire du navire ou l’affréteur, partie à un contrat de transport avec un chargeur;

b) « contrat de transport » s’applique uniquement au contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par eau, il s’applique également au connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte‑partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement;

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17 

Article 8.

Convention d’arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal

1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.