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[1995] 1 C.F 603

A-184-92

Sa Majesté la Reine du chef de la province du Manitoba (requérante)

c.

Office national des transports du Canada (intimé)

Répertorié : Manitoba c. Canada (Office national des transports) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Stone et Desjardins, J.C.A.—Winnipeg, 14 novembre; Ottawa, 22 novembre 1994.

Transports — Appel d’une injonction ordonnant la cessation de l’exploitation, sans licence, d’un service ambulancier aérien offert au public — L’appelante n’a pas été officiellement avisée avant le prononcé de l’injonction, mais elle était au courant de l’existence de l’enquête — Bien qu’il existe un droit général à l’équité procédurale, il faut examiner le cadre législatif pour voir si ce droit a été modifié — L’art. 35(4) de la Loi sur les transports nationaux autorise l’Office à prononcer une injonction sans accorder d’abord l’occasion d’être entendu — Différence des paragraphes précédents qui exigent une forme d’audience — Suppression implicite de la nécessité d’une audience — Le tribunal peut légitimement prendre acte du fait que la Loi prévoit la possibilité de réviser une ordonnance ou de la porter en appel si le pouvoir de la rendre a été exercé de façon irrégulière lorsque la Loi exclut l’équité procédurale dans certaines circonstances.

Droit aérien — La province du Manitoba exploite un service ambulancier aérien public pour lequel elle n’est pas titulaire d’une licence, en violation de la Loi sur les transports nationaux — Cette exploitation cause des difficultés économiques à un transporteur aérien qui est titulaire d’une licence — L’Office national des transports a prononcé une injonction — L’art. 35(4) autorise l’Office à prononcer une injonction sans accorder d’abord à l’intéressé l’occasion d’être entendu.

Il s’agit de l’appel d’une injonction par laquelle l’Office national des transports a ordonné la cessation de l’exploitation d’un service ambulancier aérien offert au public exploité par la Commission des services de santé du Manitoba pour lequel elle n’était pas titulaire d’une licence. Les paragraphes 35(1), (2) et (3) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux permettent à l’Office d’« enquêter sur une plainte, l’entendre et en décider » lorsqu’elle porte sur des licences ou des permis ou sur la sécurité. En vertu du paragraphe 35(4), il peut ordonner à une personne d’accomplir un acte ou de s’en abstenir lorsque l’accomplissement ou l’abstention sont prévus par une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer. L’article 71 subordonne l’exploitation d’un service intérieur à la détention d’une licence. Par « service intérieur », il faut entendre tout service aérien qui est offert au public pour le transport de passagers ou de marchandises. Une enquête a été ouverte à la suite d’une demande de renseignements faite par l’exploitant d’un service ambulancier aérien privé qui voulait savoir si l’Office avait délivré une licence à l’appelant pour l’exploitation de son service ambulancier aérien. Bien que l’Office n’ait pas avisé officiellement l’appelante qu’il était sur le point de prononcer l’injonction, la GRC a, au cours de l’enquête, parlé avec des représentants du service ambulancier aérien et avec le bureau du procureur général du Manitoba. Dans le rapport à l’intention des cadres qui s’en est suivi, on concluait que le transporteur exploitait un service ambulancier aérien pour lequel il n’était pas titulaire d’une licence en violation de la Loi, et une injonction a été prononcée.

L’appelante prétendait qu’elle avait le droit d’être entendue avant que l’Office ne prononce l’injonction. La question en litige était celle de savoir si l’Office était tenue envers l’appelante à un devoir d’équité procédurale dans le processus qui a conduit au prononcé de l’injonction et, dans l’affirmative, s’il s’est acquitté de ce devoir.

Arrêt : l’appel devrait être rejeté.

Bien qu’il existe un droit général à l’équité procédurale, le cadre légal doit être examiné pour voir s’il modifie ce droit. Contrairement à ce qui est prévu aux trois paragraphes qui le précèdent et qui exige une forme d’audience avant le prononcé d’une ordonnance, aucune disposition n’est prévue au paragraphe 35(4) en ce qui concerne la possibilité pour la personne visée par l’injonction d’être entendue. Bien que ce paragraphe ne supprime pas expressément la nécessité d’une audience, il le fait de façon implicite. Le paragraphe 35(4) permettait à l’Office de prononcer l’injonction sans accorder d’abord à l’appelante la possibilité d’être entendue.

L’appelante a effectivement eu l’occasion d’être entendue avant le prononcé de l’injonction lorsqu’elle a été mise au courant que l’enquête était en cours. Rien ne permet de penser que l’appelante n’était pas en mesure de communiquer avec l’Office au sujet de cette enquête ou qu’elle ne pouvait pas faire valoir son point de vue à cet égard si elle se donnait la peine de le faire. Lorsqu’une loi exclut l’équité procédurale dans des circonstances déterminées, le tribunal peut légitimement prendre acte du fait que la même loi prévoit la possibilité qu’une ordonnance prononcée ex parte soit revue par l’Office (article 41), révisée ou annulée par le gouverneur général (article 64) ou portée en appel devant notre Cour (article 65), si le pouvoir de la rendre a été exercé de façon négligente ou abusive.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 32, 35(1),(2),(3),(4), 41, 64, 65(1),(3), 67(1) « service intérieur », 71, 72(1),(2), 103(1)a ).

Règles générales de l’Office national des transports, DORS/88-23, art. 2 « demande » (mod. par DORS/91-547, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14 010; 106 N.R. 17.

APPEL d’une injonction prononcée par l’Office national des transports pour faire cesser l’exploitation d’un service ambulancier aérien offert au public exploité sans licence par la Commission des services de la santé de la province du Manitoba. Appel rejeté.

AVOCATS :

W. Glenn McFetridge et Marjorie A. Webb pour la requérante.

Richard Makuch pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général de la province du Manitoba, Winnipeg, pour la requérante.

Direction générale des services juridiques de l’Office national des transports, Hull (Québec), pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Par son arrêté no 1991-A-562 du 6 décembre 1991, l’intimé (l’Office) a sommé l’appelante[1] « de cesser l’exploitation d’un service ambulancier aérien offert au public pour lequel elle n’est pas licenciée »[2]. Ce service était exploité sous le nom de « Lifeflight » à partir de Winnipeg.

La seule question en litige est celle de savoir si l’Office était tenue à un devoir d’équité procédurale envers l’appelante au cours du processus qui a conduit au prononcé de l’injonction et, dans l’affirmative, si elle s’est acquittée de son devoir.

Pour trancher cette question, il faut tenir compte tant du contexte factuel que du contexte législatif dans lequel l’arrêté a été pris. En octobre 1991, M. Dave Sawatsky est entré en communication avec l’Office pour savoir si celui-ci avait délivré une licence à l’appelante relativement à son service ambulancier aérien. L’Office a décidé de sa propre initiative de faire enquête sur la question[3]. Cette enquête s’est soldée par la présentation au président et aux membres de l’Office d’un rapport à l’intention des cadres daté du 25 novembre 1991. Il ressort de ce rapport et des inscriptions faites dans les notes conservées par la Direction des enquêtes régionales de l’Office que l’enquête portait à la fois sur la demande de renseignements de M. Sawatsky et sur le dépôt éventuel d’accusations contre l’appelante pour violation de la Loi de 1987 sur les transports nationaux , L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28 (la Loi).

Dès le 5 décembre 1991, le rapport à l’intention des cadres était parvenu aux membres de l’Office. D’entrée de jeu, les auteurs du rapport précisent qu’ils se réfèrent aux [traduction] « paragraphes 35(4), 71(1) et 71(2) » de la Loi. Ils ajoutent que, par suite de l’enquête, ils ont [traduction] « constaté que le transporteur a exercé ses activités et continue à les exercer en violation de la Loi de 1987 sur les transports nationaux ». Les énoncés supplémentaires que l’on trouve dans le rapport se rapportent à la présente instance :

[traduction] L’Office a déjà déterminé que les « services ambulanciers aériens » sont « offerts au public » et qu’à ce titre, ils nécessitent une licence aux termes du paragraphe 72(1), pour les activités exercées dans le sud du Canada et aux termes du paragraphe 72(2) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux pour les activités exercées à destination, en provenance ou à l’intérieur de la zone désignée.

La Commission des services de santé de la province du Manitoba exploite depuis quelques années un service ambulancier aérien dans la province du Manitoba, notamment à l’intérieur de la zone désignée. Ce service est désigné sous le nom de Lifeflight. On utilise des aéronefs du groupe C à partir d’une base située à Winnipeg (Manitoba) pour le transport de patients nécessitant des services ambulanciers en raison d’une maladie, d’une blessure ou d’une incapacité. Lifeflight exploite ce service sans être titulaire d’une licence en vertu de la Loi de 1987 sur les transports nationaux et sans avoir demandé une telle licence.

La Direction des enquêtes régionales de l’Office national des transports a ouvert une enquête sur Lifeflight par suite d’une plainte portée par M. David Sawatsky de Thompson, au Manitoba, qui est le propriétaire et l’exploitant de la Northern Air Rescue Inc, un transporteur titulaire d’une licence. À l’époque de sa première plainte, M. Sawatsky était très contrarié, parce qu’il venait de recevoir une injonction du gouvernement du Manitoba au sujet de son service ambulancier aérien licencié. Par suite de cet arrêté, Santé et Bien-être social Canada a refusé d’utiliser les services de la Northern Air Rescue et M. Sawatsky risquait de perdre son entreprise.

L’enquête a révélé que Lifeflight exploite effectivement au Manitoba un service ambulancier aérien offert au public pour lequel elle n’est pas titulaire d’une licence et que … l’un de ses principaux clients est le ministère fédéral de la Santé et du Bien-être social, à qui elle demande 3,60 $ le mille pour transporter les patients des hôpitaux fédéraux.

Par suite de cette enquête, l’affaire a été déférée à la G.R.C. pour qu’elle intente des poursuites. Le ministère de la Justice est présentement saisi de l’affaire et l’on s’attend à ce que des accusations soient portées sous peu. Sauf erreur, la G.R.C. a, au cours de l’enquête, parlé avec des représentants de Lifeflight et avec le bureau du procureur général du Manitoba pour connaître leur point de vue. La G.R.C. n’a pas été dissuadée de porter des accusations par suite de ces conversations.

Lifeflight exploite toujours sans licence un service de transport offert au public. Cette situation cause des difficultés économiques à Northern Air Rescue, qui est le seul service ambulancier aérien de la région qui soit titulaire d’une licence. On considère que cette situation pourrait être corrigée par le prononcé d’une injonction par l’Office.

Ce rapport laissait trois choix à l’Office. En premier lieu, l’Office pouvait [traduction] « déterminer que le service offert par Lifeflight est un service « offert au public » qui nécessite une licence et prononcer une injonction »; le deuxième choix offert à l’Office était d’enjoindre à l’appelante d’[traduction] « expliquer les raisons pour lesquelles une injonction ne devrait pas être prononcée », une mesure qui a été qualifiée dans le rapport de [traduction ] « mesure plus prudente qui serait la solution préférée si le personnel n’avait pas déjà ouvert une enquête »; le troisième choix de l’Office consistait à décider qu’aucune licence n’était nécessaire. Le personnel de l’Office a recommandé le premier choix et ce choix a été entériné le 5 décembre 1991[4].

L’arrêté examiné en l’espèce a été pris le 6 décembre 1991. Il contenait notamment les attendus suivants :

ET ATTENDU que l’Office national des transports (ci-après appelé l’Office) a déterminé que les services ambulanciers aériens offerts au public nécessitent une licence aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.), pour exploiter dans le sud du Canada et sous le paragraphe 72(2) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux pour exploiter à destination, en provenance ou à l’intérieur de la zone désignée;

ET ATTENDU que l’Office a été avisé que Lifeflight exploitait un service ambulancier aérien sans licence;

ET ATTENDU que l’Office a fait une enquête sur l’affaire et a confirmé qu’en effet, Lifeflight exploite un service ambulancier aérien offert au public pour lequel elle n’est pas licenciée;

ET ATTENDU que l’enquête a été soumise à la Gendarmerie Royale

ET ATTENDU que Lifeflight exploite toujours sans détenir une licence un service ambulancier aérien offert au public, causant ainsi des difficultés économiques pour Northern Air Rescue Inc. qui est la seule licenciée de service ambulancier aérien dans la région;

Il semble donc que l’enquête de l’Office a effectivement révélé que l’appelante exploitait son service ambulancier aérien Lifeflight, que ce service était offert au public et que l’appelante ne détenait pas de licence fédérale pour exploiter ce service. Pour ces motifs, l’Office a estimé que l’exploitation de ce service contrevenait à l’article 71 de la Loi.

Il n’est pas contesté entre les parties qu’il résulte du rapprochement de l’article 35 de la Loi et des interdictions contenues à l’article 71, ainsi que de la définition de l’expression « service intérieur » contenue au paragraphe 67(1) de la Loi, que l’article 35 de la Loi confère à l’Office le pouvoir de prononcer une injonction. Voici le texte de ces diverses dispositions :

35. (1) L’Office peut enquêter sur une plainte, l’entendre et en décider lorsqu’elle porte sur une question relevant d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

(2) De sa propre initiative ou sur plainte, l’Office peut faire enquête sur toute question relative à une licence ou à un permis qu’il a délivré, y compris sa suspension ou son annulation, tenir des audiences à cet égard et trancher cette question.

(3) L’Office peut, sur plainte ou de sa propre initiative, enquêter sur une question de sécurité, l’entendre et en décider lorsqu’elle relève d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

(4) L’Office peut ordonner à quiconque d’accomplir un acte ou de s’en abstenir lorsque l’accomplissement ou l’abstention sont prévus par une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

67. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« service intérieur » Service aérien offert au public pour le transport des passagers, des marchandises, ou des deux, soit à l’intérieur du Canada, soit entre un point qui y est situé et un point qui lui est extérieur, sans pour autant faire partie d’un autre pays.

71. (1) L’exploitation d’un service intérieur est subordonnée à la détention d’une licence intérieure, d’un document d’aviation canadien et de la police d’assurance responsabilité réglementaire à l’égard du service.

(2) L’exploitation d’un service aérien, par aéronefs à voilure fixe, à l’intérieur, à destination ou en provenance de tout point de la zone désignée, est subordonnée à la détention de la licence intérieure visée au paragraphe 72(2) à l’égard du point en cause, d’un document d’aviation canadien et de la police d’assurance responsabilité réglementaire à l’égard du service.

Aux termes de l’alinéa 103(1)a) de la Loi, « commet une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou mise en accusation quiconque … enfreint sciemment les articles 71 ».

Le pouvoir de délivrer une licence pour l’exploitation d’un « service intérieur » est conféré par les paragraphes 72(1) et (2) de la Loi, dont voici le libellé :

72. (1) L’Office, sur demande et paiement des droits indiqués, délivre une licence intérieure au demandeur d’une licence non visée au paragraphe (2) qui justifie du fait qu’il est Canadien et qu’il détient et un document d’aviation canadien et la police d’assurance responsabilité réglementaire, ou qu’il possède une preuve d’assurabilité, à l’égard du service.

(2) L’Office, sur demande et paiement des droits indiqués, délivre une licence intérieure pour l’exploitation d’un service intérieur par aéronefs à voilure fixe à l’intérieur, à destination ou en provenance de la zone désignée, si :

a) le demandeur justifie du fait qu’il est Canadien et qu’il détient et un document d’aviation canadien et la police d’assurance responsabilité réglementaire, ou qu’il possède une preuve d’assurabilité, à l’égard du service;

b) en cas d’opposition d’une collectivité ou personne ou de tout organisme ayant un intérêt à cet égard, l’Office est convaincu que la délivrance n’amènera pas une réduction importante du service intérieur à l’intérieur, à destination ou en provenance de tout point de la zone désignée ou n’y perturbera pas la prestation des services aériens.

Il est évident que l’Office n’a pas avisé officiellement l’appelante qu’il était sur le point de prononcer l’injonction. Il n’y a cependant aucun doute que l’appelante a été informée que l’enquête de l’Office était en cours, ainsi qu’il ressort des notes conservées par sa Direction des enquêtes régionales. Ces notes contiennent une inscription datée du 3 décembre 1991 qui porte sur une conversation téléphonique entre M. Caldwell, l’enquêteur régional de l’Office, et l’agent Lafrenière, de la GRC à Winnipeg. Cette inscription portait :

[traduction] Il a précisé que le sergent Dick Gratton avait informé le 30 octobre 1991 Mme Lynn ROMEO, du ministère du Procureur général du Manitoba, que l’Office faisait enquête sur « Lifeflight ».

Suivant les mêmes notes, ce renseignement a été communiqué en réponse à une demande formulée par M. Bruce Murray, le coordonnateur des programmes de l’Office à Hull (Québec), en vue d’obtenir des renseignements au sujet de la question de savoir si [traduction] « les Services de santé du Manitoba ont été mis au courant de la plainte ».

La position de l’appelante en ce qui concerne la question qui nous est soumise est qu’elle avait le droit d’être entendue avant que l’Office ne prononce l’injonction. À l’appui de sa thèse, elle cite l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, dans lequel la Cour suprême du Canada a décidé qu’il existe un droit général à l’équité procédurale lorsque les trois facteurs qui y sont définis et analysés sont réunis.

Je suis d’avis que le paragraphe 35(4) de la Loi autorisait l’Office à prendre l’arrêté en question sans accorder d’abord à l’appelante l’occasion d’être entendue. Les paragraphes 35(1), (2) et (3) parlent tous d’« audience ». Tel n’est pas le cas du paragraphe 35(4). L’avocat prétend que ce paragraphe permet simplement à l’Office de prendre la mesure qu’il a prise en vertu des paragraphes (1), (2) ou (3) et, en conséquence, qu’il n’était pas nécessaire de répéter l’exigence relative à la tenue d’une audience. À mon avis, il n’y a rien dans le libellé du paragraphe (4) qui permette de penser que le législateur voulait limiter à ce point l’application de ce paragraphe. Le fait que le législateur voulait que ce paragraphe s’applique isolément ressort d’autres termes qui sont employés dans les trois paragraphes précédents et qui obligent l’Office à tenir une audience avant de prendre une mesure, c’est-à-dire lorsqu’il est saisi d’une plainte portant sur un acte interdit par une loi fédérale ou de toute question relative à une licence ou à un permis que l’Office a délivré, y compris la suspension ou l’annulation de ceux-ci, ou de toute question de sécurité.

Dans l’arrêt Knight, précité, le juge L’Heureux-Dubé déclare, aux pages 677 et 678 :

Ayant conclu qu’il existe un droit général à l’équité procédurale, le cadre légal doit être scruté pour voir s’il vient modifier ce droit (Wiseman v. Borneman, [1969] 3 All E.R. 275, à la p. 277, lord Reid). Toutefois, comme le fait remarquer le juge Dickson dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, précité, à la p. 1113 : « Les règles de justice naturelle ne peuvent être abrogées que par un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens ». Donc, les dispositions de The Education Act doivent être bien claires pour qu’il y ait lieu de conclure qu’une restriction a été apportée au droit général de l’intimé à l’équité procédurale.

Lorsqu’on met en contraste le libellé du paragraphe 35(4) avec celui des trois paragraphes qui le précédent, on peut constater que, contrairement à ce qui est prévu dans ces trois paragraphes, aucune disposition n’est prévue au paragraphe 35(4) en ce qui concerne la possibilité pour la personne visée par un arrêté d’être entendue. J’estime, par conséquent, que, bien que le paragraphe 35(4) ne supprime pas expressément la nécessité d’une audience, il le fait de façon nettement implicite. Les propos que le juge Sopinka, qui était dissident dans l’arrêt Knight, a tenus à la page 692 s’appliquent à la présente situation : « lorsque le législateur veut accorder le droit d’être entendu et de présenter des arguments, il prend soin de le faire ».

Même si, en interprétant la loi, on pouvait conclure que celle-ci donne à l’appelante le droit d’être entendue avant la prise de l’arrêté, il me semble que cette occasion lui a effectivement été offerte le 30 octobre 1991, environ cinq semaines avant que l’Office ne prenne finalement une mesure. Suivant le dossier, l’appelante a alors été mise au courant que l’enquête menée par l’Office sur le service Lifeflight était en cours. Le dossier ne permet aucunement de conclure que l’appelante a été d’une façon ou d’une autre incapable de communiquer avec l’Office au sujet de cette enquête ou qu’elle ne pouvait faire valoir son point de vue à cet égard si elle se donnait la peine de le faire.

Finalement, je constate qu’aux termes de l’article 41, l’Office est lui-même habilité à « réviser, annuler ou modifier ses décisions ou arrêtés » dans les cas qui y sont prévus. L’article 64 confère par ailleurs au gouverneur en conseil le pouvoir de contrôler les arrêtés de l’Office en l’habilitant « à tout moment » à « modifier ou annuler » les arrêtés de l’Office. Aux termes du paragraphe 65(1), les décisions et arrêtés de l’Office sont susceptibles d’appel devant notre Cour « sur une question de droit ou de compétence » avec l’autorisation de la Cour, et, aux termes du paragraphe 65(3), cet appel est mené « aussi rapidement que possible ». Je ne veux pas laisser entendre que ces recours en contrôle ou en appel témoignent contre l’existence de l’équité procédurale. Les juges majoritaires dans l’arrêt Knight, précité, ont bien précisé, à la page 680, que ce n’est pas le cas. Mais si, en interprétant la loi, on constate que celle-ci exclut l’équité procédurale dans des circonstances déterminées, le tribunal peut légitimement prendre acte du fait que la même loi prévoit la possibilité qu’une ordonnance prononcée ex parte soit revue par l’Office, révisée ou annulée par le gouverneur général ou portée en appel devant la Cour, notamment dans le cas où le pouvoir de la rendre a été, par exemple, exercé de façon négligente ou abusive.

En conséquence, je rejetterais l’appel.

Le juge en chef Isaac : Je suis du même avis.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Bien qu’elle soit désignée sous le nom de « requérante » dans l’avis d’appel, Sa Majesté la Reine du chef de la province du Manitoba sera désormais désignée sous le nom d’« appelante ».

[2] Aux termes d’une ordonnance prononcée le 13 décembre 1991, la Cour a sursis à l’exécution de l’injonction.

[3] Il est évident que, parce que la demande de renseignements de M. Sawatsky n’a pas été formulée sous forme de plainte écrite, elle ne constituait pas une « demande » au sens de la définition contenue à l’art. 2 des Règles générales de l’Office national des transports, DORS/88-23 [mod. par DORS/91-547, art. 1] et que, par conséquent, l’Office n’était pas obligé de faire enquête sur la question comme s’il était saisi d’une « plainte » selon l’art. 35(1) de la Loi, en conformité avec la procédure établie à la partie II des règles de l’Office.

[4] Cette façon de prendre une décision semble conforme à l’art. 32(2) de la Loi, qui permet à l’Office d’entériner « sous forme de décision ou d’arrêté » le rapport fait en vertu de l’art. 32(1) sur toute question.

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