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[1995] 1 C.F 659

A-1621-92

Mariyanayagam Anthany (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Anthany c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum—Toronto, 11 octobre; Ottawa, 10 novembre 1994.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Requête en annulation de la directive no 17 du juge en chef, entraînant le transfert en Section de première instance de l’appel interjeté par le requérant — Selon l’art. 116 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration, les appels et les demandes de contrôle judiciaire fondés sur l’art. 82.1 de la Loi sur l’immigration et pour lesquels aucune date d’audition n’avait encore été fixée, seraient entendus par la Section de première instance — L’art. 118 permet au juge en chef, s’il l’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice, de soustraire tout appel au jeu de l’art. 116 — Vingt mois après la publication de la directive no 17, le requérant fait valoir qu’il y a eu violation des principes de justice naturelle puisqu’il n’a pas eu l’occasion de présenter ses arguments avant le transfert de son dossier — Il prétend s’être vu refuser le droit important de voir son appel tranché par la C.A.F., dont la compétence est plus large que celle de la Section de première instance — La requête est rejetée — Il appartenait au juge en chef d’émettre la directive no 17, cette compétence lui ayant été accordée en propre par une loi — Le retard qu’a mis le requérant à s’opposer au transfert de son dossier lui interdit maintenant de soulever une objection à cet égard.

Il s’agissait d’une demande d’ordonnance annulant la décision par laquelle la SSR avait décidé que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention, et d’une requête préliminaire en ordonnance infirmant ou modifiant la directive no 17 de la Cour fédérale en ce qui a trait au requérant, et prescrivant que la cause soit entendue, sous forme d’appel, par la Cour d’appel fédérale. Suite à la décision de la SSR, le requérant a reçu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 82.3 de la Loi sur l’immigration. Le requérant a déposé et signifié un avis d’appel. Selon l’art. 116 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, les demandes de contrôle judiciaire et les appels fondés sur les articles 82.1, 82.3 ou 83 de la Loi sur l’immigration, pour lesquels aucune date d’audition n’avait encore été fixée lors de l’entrée en vigueur des modifications à la Loi, seraient entendus par la Section de première instance, ces appels étant réputés être des demandes de contrôle judiciaire. L’article 118 prévoit que le juge en chef de la Cour fédérale pourra soustraire un appel à l’application de l’article 116 s’il l’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice. Le 1er février 1993, le juge en chef a émis, dans le cadre de l’article 118, la directive no 17 en vertu de laquelle l’appel du requérant a été transféré à la Section de première instance, l’appel étant réputé être une demande de contrôle judiciaire. Bien qu’il ait eu connaissance de cette directive, le requérant a attendu quelque 20 mois avant de s’opposer à ce transfert. C’est alors qu’il a fait valoir que la directive no 17 est contraire à la justice naturelle, étant donné qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter ses observations avant que son dossier soit transféré à la Section de première instance. Il estime que ce transfert a eu pour effet de lui retirer le droit important de voir sa cause entendue par trois juges ayant le pouvoir d’infirmer la décision de la Commission et de substituer à celle-ci la décision qui aurait dû être rendue, alors que, devant la Section de première instance, le requérant ne comparaîtrait que devant un juge unique qui n’a pas la possibilité d’accueillir l’appel et de déclarer que le requérant est effectivement un réfugié au sens de la Convention, mais qui ne peut que renvoyer l’affaire pour nouvelle décision par une formation autrement constituée de la Commission.

Le requérant est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Son épouse et ses trois enfants se trouvent encore au Sri Lanka. À l’appui de sa demande de statut de réfugié, le requérant fait valoir qu’il craint avec raison d’être persécuté en raison de sa race—il est Tamoul—et de sa nationalité—il est citoyen du Sri Lanka. Le requérant avait été roué de coups par une foule cinghalaise au cours des émeutes raciales qui ont eu lieu à Colombo en 1983, à la suite de quoi il a été licencié par son employeur. Après cela, il a travaillé en tant que marin jusqu’en 1987, date à laquelle il est rentré chez lui et a été contacté par les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), qui l’ont obligé à travailler pour eux en tant que pilote d’un bateau. Le requérant n’a pas été maltraité par les Tigres, mais il n’était pas libre de ses déplacements. Le requérant n’adhérait pas aux idées défendues par les Tigres et ceux-ci ne lui ont versé aucune rémunération. Il est parvenu à fausser compagnie aux LTTE en 1991, arrivant enfin au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié. Son épouse n’a pas été inquiétée par les autorités depuis qu’elle est allée vivre à Colombo. La Commission a conclu que, par son témoignage, le requérant n’était pas parvenu à établir la présence des éléments essentiels de la définition de ce qu’est un réfugié au sens de la Convention.

Jugement : la requête préliminaire et la demande de contrôle judiciaire doivent être rejetées.

Le fait que le juge en chef ait émis la directive no 17 en ne donnant pas au requérant l’occasion de présenter ses observations n’a pas entraîné pour celui-ci un déni de la justice fondamentale. Si nous prenons pour hypothèse qu’on a effectivement supprimé au requérant un droit absolu, il appartenait tout de même au juge en chef d’émettre la directive no 17, cette compétence lui ayant été accordée en propre par une loi, dans la mesure ou « il estime dans l’intérêt de la justice » de décider « de la façon dont l’affaire doit être entendue ». De plus, le fait que le requérant ait attendu 20 mois avant de s’opposer au transfert de son dossier, lui interdit de s’opposer maintenant à cette mesure en faisant valoir qu’on lui a refusé le droit de présenter ses observations sur le transfert de son dossier.

Il ressort clairement des motifs de la Commission que celle-ci a fondé sa conclusion sur un certain nombre d’éléments de preuve, même si l’on peut relever, dans sa décision, plusieurs erreurs mineures. La Commission a eu soin, comme il lui appartenait de le faire, d’examiner attentivement la preuve. Elle a étudié toutes les preuves pertinentes avant de dire que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 116, 118.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 82.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1990, ch. 8, art. 53), 82.3 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1990, ch. 8, art. 55), 83 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Xu c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 79 F.T.R. 107 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE d’ordonnance annulant la décision de la SSR selon laquelle le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention, et requête préliminaire en ordonnance annulant ou modifiant la directive no 17 de la Cour fédérale entraînant le transfert devant la Section de première instance de l’appel interjeté par le requérant, et prescrivant que la cause soit entendue sous forme d’appel. La demande et la requête sont rejetées.

AVOCATS :

Nils R. Connor pour le requérant.

Bridget A. O’Leary pour l’intimé.

PROCUREURS :

Nils R. Connor, Toronto, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum : Le requérant sollicite de la Cour une ordonnance annulant la décision, en date du 30 juillet 1992, par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après la Commission) a décidé que le requérant, Mariyanayagam Anthany, n’est pas un réfugié au sens de la Convention.

Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, le requérant sollicite également de la Cour qu’elle déclare qu’il est effectivement réfugié au sens de la Convention ou bien, subsidiairement, que la Cour ordonne le renvoi de l’affaire devant un tribunal autrement constitué pour qu’elle soit tranchée conformément aux instructions que la Cour estimera utile de donner.

Plusieurs jours avant l’audition de cette demande, le requérant, par son avocat, a fait savoir à la Cour qu’il entendait présenter une requête préliminaire en vue des redressements suivants :

1) une ordonnance infirmant ou modifiant la Directive numéro 17 de la Cour fédérale, en date du 1er février 1993, en ce qui a trait au requérant;

2) une ordonnance prescrivant que la cause serait entendue, sous forme d’appel, par la Cour d’appel fédérale, conformément à l’ordonnance rendue par Monsieur le juge MacGuigan, le 11 octobre 1992

Voici les motifs exposés dans la requête préliminaire en date du 5 octobre 1994 (transmis sous forme de lettre par le requérant) :

[traduction] Le requérant entend, à l’audience, développer à l’appui de sa requête une argumentation complète exposée ici sous forme de résumé :

1) Selon l’ordonnance rendue, le 10 décembre 1992, par Monsieur le juge MacGuigan dans le cadre de l’affaire Anthany c. MEI, no du greffe 92-A-4977, « la demande d’autorisation d’appel est accueillie ».

2) Le requérant estime que l’ordonnance en question a tranché de manière définitive une autre demande présentée à la Cour (en l’espèce, une demande d’autorisation d’appel devant la Cour d’appel fédérale), et que le redressement accordé par cette ordonnance prévoyait de manière précise la forme que prendrait la procédure ultérieure et la section de la Cour devant laquelle elle serait engagée.

3) Il fait également valoir que l’audience qui, dans le cadre de cette affaire, est prévue pour le 11 octobre 1994, va à l’encontre de l’ordonnance, en date du 10 décembre 1992, rendue par Monsieur le juge MacGuigan, et qu’il ne s’agit donc pas d’une audience régulière. Nous estimons que l’ordonnance en question demeure applicable et que cette honorable Cour devrait lui donner plein effet.

4) Il estime, en toute déférence, que la directive numéro 17, émise en vertu de la Règle 358 des Règles de la Cour fédérale, et qui avait pour objet de transférer cette affaire pour jugement devant la Section de première instance :

a)   constitue l’exercice d’un pouvoir administratif et non d’un pouvoir judiciaire, et que cela étant, la directive en question est susceptible de révision sur demande présentée dans le cadre de la présente requête;

b)   se situe en dehors du champ de compétence défini par la Règle 358 puisque cette règle ne doit pas recevoir d’interprétation qui permettrait que l’on puisse, par décision administrative, modifier une ordonnance judiciaire;

c)   se situe en dehors du champ de compétence défini par la Règle 358 puisque cette règle ne doit pas recevoir d’interprétation qui permettrait que l’on passe outre à des droits confirmés par une ordonnance définitive de la Cour;

d)   constitue une violation de la justice naturelle étant donné que le requérant n’a reçu aucun préavis et n’a pas eu l’occasion de se faire entendre avant que ne soit rendue une ordonnance qui met fin à certains de ses droits en leur substituant des droits sensiblement différents;

e)   se fondant sur cela, il invoque en toute déférence :

(i) le fait que le juge en chef s’est mépris quant aux exigences prévues à la Règle 358. À cet égard, il est souligné que, d’après la Règle, une affaire peut être transférée à une autre division « si les intérêts de la justice seront mieux servis ». Le requérant soutient que les propos du juge en chef (reprenant la directive numéro 17) démontrent qu’il a appliqué des critères différents et, plus précisément, « que cela est conforme à une bonne administration de la justice [non souligné dans l’original] »;

(ii) le fait qu’il n’a pas été tenu compte des exigences prévues par la Règle. Il estime, plus précisément, qu’on n’a pas considéré si « [les] intérêts des parties [seraient] mieux servis » (Règle 358); et

(iii) l’existence d’une erreur de droit puisque, selon la règle en question, une affaire peut être transférée à une autre section si les intérêts de la justice seront mieux servis. Or, en toute déférence nous prétendons qu’on ne saurait affirmer que la directive numéro 17 a eu pour effet de mieux servir les intérêts de la justice car (1) compte tenu du transfert ordonné, le requérant devra maintenant convaincre le Tribunal au complet et non plus les deux tiers, (2) cette directive renvoie le requérant devant un tribunal qui n’a pas le pouvoir de substituer sa propre décision à celle qui est mise en cause, et (3) elle accorde au requérant un traitement inéquitable par rapport aux personnes se trouvant dans une situation analogue, à une exception près, puisque la cause n’avait pas encore été inscrite au rôle.

J’estime que pour mieux comprendre la requête préliminaire présentée par le requérant, il y a lieu de revenir sur les procédures engagées par lui jusqu’à l’audition de sa demande de contrôle judiciaire.

Le 30 juillet 1992, une décision a été rendue par Arthur E. Harnett et Shiv S. Bajwa, membres de la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle ils déterminent que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention.

Le 17 août 1992, le requérant a déposé au greffe de la Cour fédérale une demande d’autorisation fondée sur l’article 82.3 de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1990, ch. 8, art. 55)] [traduction] « sollicitant l’autorisation d’interjeter appel contre la décision rendue par A. E. Harnett et S. S. Bajwa, membres de la Commission du statut de réfugié ».

La demande d’autorisation d’interjeter appel devait être présentée à la Section d’appel de la Cour fédérale du Canada.

Le 10 décembre 1992, le juge MacGuigan, de la Cour d’appel, a accueilli la demande d’autorisation d’interjeter appel.

Le 14 décembre 1992, le requérant a déposé un avis d’appel qu’il a signifié à l’intimé le 16 décembre 1992.

Le 1er février 1993, le juge en chef de la Cour fédérale du Canada a transmis aux membres du Barreau et au public, un avis dont copie fut transmise à l’avocat du requérant pour l’informer que le dossier du requérant était transféré à la Section de première instance.

À : Membres du barreau; Grand public

De : Juge en chef Julius A. Isaac

Objet : Demandes présentées conformément à la Loi sur l’immigration, Directives transitoires

Date : Le 1er février 1993

J’ai formulé un certain nombre de directives conformément à l’article 118 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, afin de traiter des dispositions transitoires prévues aux articles 114, 115, 116 et 117 de la Loi. Ceux qui avaient des demandes en instance devant la Cour d’appel ou la Section de première instance avant le 1er février 1993 devraient consulter le greffe afin d’obtenir des précisions sur la directive qui régit maintenant la demande.

Le même jour, le 1er février 1993, était émise la directive no 17, dont voici le texte :

DIRECTIVE No 17

Conformément à l’article 118 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49 (« la Loi »), et parce que j’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice d’agir ainsi,

J’ORDONNE QUE :

1. les appels énumérés à l’annexe ci-jointe, laquelle fait partie de la présente directive, qui ont tous été formés devant la Cour d’appel conformément à l’article 82.3 de la Loi sur l’immigration dans sa version à la date de l’entrée en vigueur de l’article 73 de la Loi, et à l’égard desquels aucune date d’audition n’avait encore été fixée à cette date, soient soustraits à l’application de l’article 116 de la Loi;

2. ces appels soient instruits par la Section de première instance de la même façon que les demandes de contrôle judiciaire formées en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, comme si l’article 73 de la Loi n’avait pas été adopté;

3. l’avis d’appel soit considéré comme un avis de requête incomplet;

4. dans un délai de 30 jours de la présente directive, l’appelant dépose un avis de requête modifié, conformément à la règle 1602, et un ou plusieurs affidavits, comme le requiert la règle 1603(1);

5. à tous égards, les Règles de la Cour fédérale, la pratique et les procédures de la Section de première instance s’appliquent à ces demandes de contrôle judiciaire.

Fait à Ottawa, le 1er février 1993.

Parmi les nombreux dossiers touchés par la directive no 17 du juge en chef était celui du requérant.

Comme je l’ai mentionné précédemment la directive no 17 a été émise le 1er février 1993 et je n’ai aucun doute que l’avocat du requérant en a été informé peu après, étant donné la lettre enregistrée envoyée à cet effet à l’avocat du requérant.

Le 1er février 1993

COURRIER ENREGISTRÉ

Me Nils R. Connor

AVOCAT

69 Elm Street

Toronto (Ontario)

M5G 1H2

OBJET : Mariyanayagam Anthany c. M.E.I.

No du dossier de la Cour : A-1621-92

Vous trouverez ci-incluse une directive du juge en chef en vertu de l’article 118 de la Loi modifiant la Loi sur l’Immigration et d’autres lois en conséquence, S.C. 1992, ch. 49.

Suite à cette directive, le dossier susmentionné a été transmis à la Section de première instance de la Cour fédérale.

Les présentes ont été envoyées à toutes les parties.

Le 2 mars 1993, soit un mois après la publication de la directive no 17, l’avocat du requérant a déposé au greffe de la Cour fédérale, à l’intention de la Section de première instance, un avis de requête introductif d’instance modifié. Après cela, l’avocat du requérant a continué à déposer au greffe de la Section de première instance de la Cour fédérale des avis de requête et des lettres concernant son client.

Le 3 mai 1993, l’avocat a déposé un avis de requête visant à obtenir une prorogation du délai pour le dépôt du dossier de la demande. Le 25 mai 1993, le juge MacKay, juge de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a accueilli, sur consentement, la requête.

Le 11 mai 1993, l’avocat du requérant a écrit à l’administrateur de la Cour au sujet du dossier de la demande, faisant, dans ce courrier, une allusion précise à la « directive no 17 ».

Ce n’est que le 5 octobre 1994, soit quelque 20 mois après qu’eut été émise par le juge en chef la directive no 17, que l’avocat du requérant a fait savoir qu’il sollicitait une ordonnance infirmant ou modifiant la directive no 17 en date du 1er février 1993 pour les motifs exposés dans la requête préliminaire.

À l’audience, on a demandé aux avocats des parties de présenter leurs arguments par écrit. Au paragraphe 1 de son exposé écrit en date du 20 octobre 1994, l’avocat du requérant fait valoir que :

[traduction]   1. Bien que dans ma lettre transmise à la Cour avant l’audience, afin de l’informer de ma requête, je fasse état de plusieurs motifs, la Cour, à l’audience, ne s’est prononcée que sur l’un de ces motifs et j’estime que le problème peut, en l’espèce, être posé sous la forme suivante :

(A) Étant donné que l’article 118 des dispositions transitoires de la Loi sur l’immigration permettait au juge en chef de la Cour de transférer ou non cette affaire de la Cour d’appel à la Section de première instance, la décision d’opérer effectivement ce transfert (concrétisé par la directive numéro 17) devait-elle se conformer aux principes de justice naturelle?

À mon avis, j’estime que le seul moyen sur lequel la requête préliminaire du requérant est fondée est que, dans la mesure où il n’a pas eu l’occasion de présenter ses arguments concernant la décision du juge en chef d’émettre la directive no 17 transférant le dossier du requérant à la Section de première instance de la Cour fédérale, on ne lui a pas appliqué les principes de justice naturelle, en lui refusant une audition impartiale de sa cause, c’est-à-dire le droit de se faire entendre.

Je répète que jamais, avant le 5 octobre 1994, le requérant n’a manifesté la moindre intention de présenter des arguments au sujet du transfert de son dossier à la Section de première instance. Il ne s’est jamais opposé à ce transfert. Or, maintenant, aux paragraphes 2 à 6 des conclusions écrites, le requérant fait valoir que :

[traduction]  2. Nous estimons qu’il est acquis que les principes de justice naturelle n’ont pas été appliqués étant donné que le requérant n’a pas reçu de préavis et n’a pas eu l’occasion de se faire entendre à l’égard de la décision prise dans le cadre de la directive numéro 17.

3.   Ainsi qu’il l’avait fait valoir à l’audience, les principes de justice naturelle doivent être respectés à chaque fois qu’il s’agit d’une décision qui doit être prise de manière judiciaire ou quasi judiciaire.

4.   L’obligation d’agir de manière judiciaire ou quasi judiciaire ressort de la nature même du pouvoir exercé, et il en est particulièrement ainsi lorsque (a) la décision en question met en cause les droits des individus ou (b) lorsque les textes de loi applicables exigent que, dans sa décision, le décideur tienne compte de certains critères.

R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp. Ex. parte MacCaud, [1969] 1 O.R. 373. [Cité dans le dossier de jurisprudence du requérant, cote 2.]

Martineau et Butlers c. Comité de discipline des détenus de l’Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, (1977) 33 C.C.C. (2d) 366. [Cité dans le dossier de jurisprudence du requérant, cote 3.]

Knapman v. Board of Health for Saltfleet Township [1954] 3 D.L.R. 760.

Lazarov c. Secrétariat d’État du Canada [1973] C.F. 927.

5.   Nous estimons que le point (b) évoqué au paragraphe précédent s’applique à l’article 118 des dispositions transitoires étant donné la formulation « s’il [le juge en chef] l’estime dans l’intérêt de la justice »

6.   Quant au point (a) évoqué au paragraphe 4 ci-dessus, nous estimons (comme nous l’avons d’ailleurs fait à l’audience) que l’ordonnance rendue par Monsieur le juge MacGuigan a donné naissance, chez le requérant, au droit d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale et que la directive numéro 17 a eu pour effet de modifier ce droit. Nous estimons, en toute déférence, qu’à lui seul, ce fait permet d’affirmer que la directive numéro 17 touche à des droits importants.

Dans ses conclusions écrites, après que je lui eu demandé la différence entre les redressements disponibles en Section de première instance et ceux qu’il pouvait solliciter de la Cour d’appel, le requérant poursuit en disant :

7.   Nonobstant cet argument, votre Seigneurie a demandé qu’on lui présente des arguments précis concernant les redressements que peuvent respectivement accorder la Section de première instance et la Cour d’appel. Cette question a été, dans une certaine mesure, réglée par Madame le juge Reed dans l’affaire Ali c. MEI (11 avril 1994) IMM-700-93. Selon cette décision, l’art. 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale (modifiée) confère à la Section de première instance les mêmes pouvoirs (et même des pouvoirs plus étendus) que la Cour d’appel n’en avait en vertu de l’ancien art. 52c)(i) et d) en matière de directives qui peuvent être données à des tribunaux administratifs dont la décision est mise en cause. Voici ce que prévoient les dispositions en question :

18.1  (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

52. La Cour d’appel peut :

c) dans les autres cas d’appel :

(i) soit rejeter l’appel ou rendre la décision qui aurait dû être rendue,

d) dans le cas d’une demande de révision et d’annulation d’une décision d’un office fédéral, soit rejeter la demande, soit infirmer la décision, soit infirmer la décision et renvoyer l’affaire à l’office pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées. [J’ai remplacé les soulignements du juge Reed par les miens.]

8.   Dans le cadre de la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Ali, le juge Reed a examiné plusieurs affaires dans lesquelles la Cour avait donné des directives à un office fédéral devant lequel elle avait renvoyé l’affaire pour nouvelle décision. Il est intéressant de relever que le passage qu’elle cite de la décision rendue dans l’affaire Orelien et Aurelien c. Canada [1992] 1 F.C. 592 comprend (au sujet de la compétence de la Cour d’appel en matière de contrôle judiciaire) ce passage :

« Elle [la Cour] ne peut rendre la décision que, selon elle, le tribunal aurait dû rendre bien que, d’un point de vue pratique, ses instructions peuvent être suffisamment précises pour dicter l’issue du nouvel examen. » [J’ai omis les soulignements du juge Reed.]

9.   Un peu plus loin, le juge Reed cite avec approbation les propos du juge Desjardins (dans la Review of Administrative Action in the Federal Court of Canada : The New Style in a Pluralist Setting, Barreau du Haut-Canada : Special Lectures, 1992, p. 405) lorsqu’elle dit notamment :

Ces instructions peuvent parfois avoir pour effet de dicter au tribunal la décision qu’il devrait rendre. Mais la Cour ne peut tout de même pas, comme on le peut en cas d’appel, trancher l’affaire sur le fond et rendre la décision que le tribunal aurait dû rendre. [J’ai remplacé les soulignements du juge Reed par les miens.]

10. Il semble, d’après la décision rendue dans l’affaire Ali, et selon le raisonnement que nous avons ci-dessus résumé, que, d’après l’art. 18.1(3)b), la Section de première instance a, en matière de directives à un office fédéral devant qui on renvoie une affaire pour nouvel examen, les mêmes pouvoirs que ceux qui étaient reconnus à la Cour d’appel.

11. En toute déférence, nous faisons cependant valoir que la décision rendue dans l’affaire Ali n’affecte en rien l’argument que nous avons développé à l’audience et selon lequel la Section de première instance (en matière de contrôle judiciaire) n’a pas la même compétence que la Cour d’appel (en matière d’appel) lorsqu’il s’agit de rendre la décision que l’office fédéral aurait dû rendre.

12. À cet égard, il me faut insister sur le fait que la procédure que l’ordonnance du juge MacGuigan a donné au requérant le droit d’engager, procédure confirmée par les dispositions de la Loi sur l’immigration alors en vigueur, était bien un appel.

13. Par conséquent, nous faisons valoir en toute déférence que, malgré la décision rendue dans l’affaire Ali, les redressements susceptibles d’être accordés au requérant par la Section de première instance à la suite de la directive numéro 17 sont considérablement moins avantageux que les redressements que pourrait accorder la Cour d’appel.

14. Plus précisément, alors que, le meilleur résultat possible devant la Cour d’appel, serait la reconnaissance du statut de réfugié, le mieux que l’on puisse obtenir de la Section de première instance serait une nouvelle audition de la cause par le même tribunal qui (à titre d’hypothèse) n’est pas parvenu, dans un premier temps, à trancher correctement l’affaire, mais à qui l’on va maintenant demander d’appliquer correctement les directives de la Cour.

15. Par conséquent, compte tenu de ce que nous venons de dire, et tenant compte aussi du paragraphe 4, nous estimons que la directive numéro 17 met le requérant dans une situation nettement plus désavantageuse que si on l’avait autorisé à porter sa cause devant la Cour d’appel.

16. De plus, et comme nous l’avons fait valoir à l’audience que vous avez présidée, nous affirmons, en toute déférence, que la différence quant à l’issue possible de notre action, selon qu’elle serait tranchée par l’une ou l’autre des divisions de la Cour fédérale, peut avoir des répercussions à un niveau autre que celui du redressement. Alors que devant l’une des sections de la Cour, on interjette appel dans l’idée que la Cour tranchera en rendant la décision qui aurait dû être rendue, devant l’autre section de la Cour, le contrôle judiciaire n’est pas appelé à ce résultat-là. Il est donc clair de ce fait que le contrôle judiciaire exercé dans le deuxième cas est d’une portée moins grande que dans le premier cas.

Dans ses conclusions écrites, l’avocate de l’intimé développe des arguments dont je vais rendre compte ici en citant ses propres propos :

[traduction] La Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.R. ch. 28 (4e suppl.) entrée en vigueur le 1er janvier 1989 :

a)   Le paragraphe 82.1(1) prévoyait que « l’introduction d’une instance » pouvait se faire aux termes de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues dans le cadre de la Loi sur l’immigration. L’introduction d’instance était subordonnée à l’obtention d’une autorisation et la décision rendue à cet égard n’était pas susceptible d’appel;

b)   Le paragraphe 82.3(1) prévoyait la possibilité, sur autorisation, d’interjeter « appel » d’une décision de la section du statut, devant la Cour d’appel fédérale.

Selon le paragraphe 82.3(1), il pouvait être interjeté appel d’une décision de la section du statut, si celle-ci

a)   soit n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a de quelqu’autre manière outrepassé sa compétence ou refusé de l’exercer;

b)   soit a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

c)   soit a fondé sa décision sur une conclusion de faits erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

Les moyens d’« appel » devant la Cour d’appel fédérale étaient exactement les mêmes que pour une demande de contrôle judiciaire et d’annulation d’une décision ou ordonnance rendue par un des offices fédéraux prévus à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, ou dans le cadre d’une procédure engagée devant un tel office, à l’exception, toutefois, des décisions ou ordonnances de nature administrative qui, selon la loi, ne sont pas soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.

Le 1er février 1992, entrait en vigueur l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, une nouvelle disposition qu’est venue ajouter la Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la responsabilité de l’État, la Loi sur la Cour suprême et d’autres lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 8 (projet de loi C-38), et les nouveaux articles 18.2 à 18.5, instaurèrent à l’égard des offices fédéraux, une nouvelle procédure de contrôle judiciaire. La procédure prévue par l’article 18.1 se substituait aux anciens articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale modifiée prévoit les motifs que doit établir le requérant pour que l’on fasse droit à sa demande de contrôle judiciaire. Il s’agit de motifs très larges qui correspondent, de manière générale, aux motifs permettant d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en vertu des brefs de prérogative et autres mesures extraordinaires prévus au paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Ajoutons que l’alinéa 18.1(4)f) permet à la Cour de créer de nouveaux motifs de contrôle judiciaire.

La Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la responsabilité de l’État, la Loi sur la Cour suprême et autres lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 8 a abrogé le paragraphe 83.1(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration et élargi, en matière d’immigration, les motifs du contrôle judiciaire conformément aux modifications apportées à la Loi sur la Cour fédérale. Voici, en effet, ce que prévoyait l’article 55 de cette Loi :

55. Les alinéas 83.3(1)a) à c) de la même loi, désignés comme les alinéas 82.3(1)a) à c) dans le chapitre 28 du quatrième supplément des Lois révisés (1985), sont abrogés et remplacés par ce qui suit :

a) soit a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) soit n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était légalement tenue de respecter;

c) soit a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) soit a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose;

e) soit a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) soit a agi de toute autre façon contraire à la loi.

L’intimé se prévaut de cette disposition pour réfuter l’argument développé par le requérant et selon lequel, en matière de contrôle judiciaire, les compétences de la Cour d’appel sont plus étendues que celles de la Section de première instance. L’intimé estime, au contraire, que les compétences sont les mêmes dans les deux cas. Le projet de loi C-86 n’a fait qu’unifier la procédure de contrôle judiciaire applicable aux décisions de la section du statut.

Nous estimons que, avant l’adoption des dispositions transitoires, le requérant n’avait pas droit, en appel, de plaider au fond. L’article 55 de la Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la responsabilité de l’État, la Loi sur la Cour suprême et autres lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 8, cité ci-dessus au paragraphe 19, fait clairement ressortir que les motifs permettant d’obtenir, en vertu de l’art. 82.3 de la Loi sur l’immigration, l’autorisation d’interjeter « appel » devant la Cour d’appel fédérale, ne permettait pas d’interjeter appel au fond, mais simplement de demander le contrôle judiciaire de la décision en cause.

DISCUSSION

Après une lecture attentive des documents déposés par le requérant, et après un examen attentif des arguments invoqués par lui, aussi bien par écrit qu’oralement, je suis convaincu de ne pas pouvoir retenir les arguments qu’il avance aussi bien lorsqu’il invoque un déni de justice naturelle que lorsqu’il affirme que la décision de la Commission devrait être infirmée et l’affaire renvoyée pour nouvelle audition devant un tribunal autrement constitué.

Son principal, et unique, argument touchant la question de l’ordonnance rendue en vertu de la directive numéro 17 veut que le requérant n’ait pas eu l’occasion de présenter ses observations avant que son dossier ne soit transféré à la Section de première instance de la Cour et qu’on lui aurait donc retiré un droit absolu. Ce droit absolu serait celui qui lui aurait permis de voir sa cause entendue par trois juges qui, en plus de pouvoir rejeter l’« appel », pouvait également infirmer la décision de la Commission et accueillir l’« appel », ou bien annuler la décision de la Commission et renvoyer l’affaire devant un tribunal autrement constitué, alors qu’en Section de première instance il ne comparaîtrait que devant un seul juge qui n’aurait pas la possibilité d’accueillir l’appel et de déclarer que le requérant est effectivement un réfugié au sens de la Convention.

Si nous prenons pour hypothèse que le requérant a raison et qu’on lui a effectivement supprimé un droit absolu en lui retirant la possibilité de plaider devant la Cour d’appel, à qui il était loisible d’accueillir l’appel et de déclarer que le requérant était effectivement un réfugié, j’estime qu’il appartenait au juge en chef d’émettre la directive no 17 étant donné que cette compétence, ainsi que nous l’avons dit plus haut, avait été accordée en propre au juge en chef « s’il l’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice » de décider de « la façon dont l’affaire doit être entendue » ([Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence ] L.C. 1992, ch. 49, article 118 des dispositions transitoires).

J’admets l’argument de l’intimé lorsqu’il déclare, dans ses conclusions écrites :

[traduction] L’art. 73 d’une Loi modifiant la Loi sur l’immigration et autres lois en conséquence (projet de loi C-86) a abrogé les art. 82.1 à 84.2 de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 28 (4e suppl.), remplaçant notamment ces dispositions par les dispositions suivantes :

82.1 (1) La présentation d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application—règlements ou règles—se faire qu’avec l’autorisation d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

(3) La demande d’autorisation doit être déposée devant la Section de première instance de la Cour fédérale et signifiée à l’autre partie dans les quinze jours suivant soit la date où le demandeur est avisé de la décision, de l’ordonnance ou de la mesure en cause, soit celle où il a eu connaissance de l’affaire en question.

(6) Sous réserve du paragraphe (7), si la demande d’autorisation est accueillie, la demande de contrôle judiciaire est réputée avoir été formée et le juge de la Cour fédérale qui a accueilli la demande d’autorisation fixe la date et le lieu d’audition de la demande de contrôle judiciaire.

(7) La date fixée conformément au paragraphe (6) ne peut être postérieure de moins de 30 jours, sauf convention contraire des parties, ni de plus de 90 jours à la date à laquelle la demande d’autorisation a été accueillie.

(8) Le juge de la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur la demande d’autorisation et, le cas échéant, sur la demande de contrôle judiciaire. [Non souligné dans l’original.]

Il y a ensuite l’article 116 d’une Loi modifiant la Loi sur l’immigration et autres lois en conséquence (projet de loi C-86) :

116. Les demandes de contrôle judiciaire et les appels visés aux articles 82.1, 82,3 et 83 de la Loi sur l’immigration, dans leur version à la date d’entrée en vigueur de l’article 73 de la présente loi, formés mais à l’égard desquels aucune date d’audition n’a encore été fixée à cette date, sont transférés à la Section de première instance de la Cour fédérale et entendus par celle-ci conformément aux articles 82.1 à 84 de la Loi sur l’immigration, dans leur version édictée par l’article 73 de la présente loi, les appels étant réputés être des demandes de contrôle judiciaire.

L’article 118 du projet de loi C-86 est rédigé en ces termes :

118. Le juge en chef de la Cour fédérale peut, s’il l’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice, soustraire une demande d’autorisation relative à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire, une demande d’autorisation d’appel, une demande de contrôle judiciaire ou un appel à l’application des articles 114 à 117, auquel cas il précise la façon dont l’affaire doit être entendue.

Le juge en chef, en vertu des art. 116 et 118 du projet de loi C-86 a émis une directive (la directive numéro 17) en vertu de laquelle l’appel du requérant a été transféré à la Section de première instance, cet appel étant réputé être une demande de contrôle judiciaire portée devant la Section de première instance.

Dans l’affaire Xu c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 79 F.T.R. 107 (C.F. 1re inst.), affaire mettant en cause des faits très semblables à ceux de l’espèce, le requérant avait fait valoir que les dispositions transitoires (les mêmes dispositions que celles qui sont en jeu en l’espèce) étaient contraires aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], étant donné qu’elles supprimaient son droit d’interjeter appel et « en conséquence, la réparation possible consistant à demander à la Cour d’appel de rendre la décision que la Section du statut de réfugié aurait dû rendre pour reconnaître qu’il est un réfugié au sens de la Convention » (le même argument invoqué devant moi), le juge en chef adjoint a déclaré, au sujet de la question des droits importants, à la page 110 de sa décision :

Il existe deux questions préliminaires. Tout d’abord, le requérant prétend que les dispositions sont en soi des dispositions de fond, et il s’appuie sur les présomptions en common law de non-rétroactivité du droit positif et de respect des droits acquis …

À mon avis, toute présomption en common law de respect des droits acquis et de non-rétroactivité de la loi trouve sa réponse en l’espèce dans le langage clair et non équivoque de la loi. Le texte exprès des dispositions transitoires, en particulier l’art. 116, considère tous les appels comme des demandes de contrôle judiciaire, et les motifs de contrôle visés à l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale doivent s’appliquer.

En l’espèce, le requérant ne cherche pas à se prévaloir de l’article 7 de la Charte, mais le jugement rendu dans l’affaire Xu (précitée) s’applique très bien. Aux pages 111 et 112 de sa décision, le juge en chef adjoint s’exprime ainsi :

La question suivante que cette Cour doit trancher est de savoir si l’application des principes de justice fondamentale est écartée par les procédures énoncées dans les dispositions transitoires contestées. Dans l’arrêt Singh, Madame le juge Wilson s’est prononcée en ces termes à la p. 464 :

« Tout les avocats s’entendent pour dire que la notion de `justice fondamentale’ qui figure à l’art. 7 de la Charte englobe au moins la notion d’équité en matière de procédure énoncée par le juge en chef Fauteux dans l’arrêt Duke c. La Reine (1972), 28 D.L.R. (3d) 129; 7 C.C.C. (2d) 474; [1972] R.C.S. 917. Celui-ci affirme, à la p. 134 D.L.R., p. 923 R.C.S. :

‘En vertu de l’article 2e) de la Déclaration des droits, aucune loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer de manière à le priver d’une « audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale ». Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l’ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu’il doit donner à l’accusé l’occasion d’exposer adéquatement sa cause.’

La procédure d’arbitrage des revendications du statut de réfugié énoncée dans la Loi satisfait-elle à ce critère d’équité en matière de procédure? Offre-t-elle à la personne qui revendique le statut de réfugié une possibilité suffisante d’exposer sa cause et de savoir ce qu’elle doit prouver? Il semble que ce soit là la question à laquelle nous devons répondre » (C’est moi qui souligne)

Appliquant ces principes aux faits dont je suis saisi, je ne saurais conclure que les dispositions transitoires, en considérant les appels comme des demandes de contrôle judiciaire, privent le requérant de l’application des principes de justice fondamentale à laquelle il a droit sous le régime de l’art. 7 de la Charte. Rien n’étaye l’idée que les principes de justice fondamentale incluent le droit d’appel.

Puis, aux pages 112 et 113, le juge en chef adjoint poursuit :

De plus, je suis convaincu que les droits que le requérant tient de l’art. 7 de la Charte sont bien protégés par les procédures de contrôle judiciaire énoncées dans la Loi sur la Cour fédérale. L’article 18.1(3) et (4) de la Loi sont ainsi rédigés :

« 18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’il estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(4) Les mesures prévues au par. (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

À l’évidence, les motifs de contrôle judiciaire visés à l’art. 18.1 sont d’une très grande portée. À mon avis, plutôt que de porter atteinte aux droits qu’un demandeur de statut de réfugié tient de l’art. 7, la procédure de contrôle judiciaire dont peuvent se prévaloir les demandeurs de statut de réfugié sauvegarde ces droits, d’une manière conforme aux principes de justice fondamentale. Il n’est nullement porté atteinte au droit du requérant de faire reconnaître son statut de réfugié au sens de la Convention par un tribunal agissant équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, ni à son droit d’avoir l’occasion d’exposer adéquatement sa cause.

J’estime donc que le fait que le juge en chef ait émis la directive no 17 n’a pas entraîné pour le requérant, en ne lui donnant pas l’occasion de présenter ses observations avant que son dossier soit transféré à la Section de première instance de la Cour fédérale, un déni de cette justice fondamentale dont il prétend se prévaloir.

Je rappelle que, jusqu’au 5 octobre 1994, le requérant ne s’était jamais opposé au renvoi de son dossier en Section de première instance. J’estime que cela lui interdit de s’opposer maintenant à cette mesure en faisant valoir qu’on lui a refusé le droit de présenter ses observations sur le transfert de son dossier en Section de première instance.

J’estime, ainsi que je l’ai dit précédemment, qu’il n’y a pas lieu d’infirmer la décision de la Commission en date du 30 juillet 1992.

Le requérant est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. À l’époque de l’audience, il avait 40 ans. Il est marié et père de trois enfants. Son épouse et ses enfants se trouvent encore au Sri Lanka. Le requérant a quitté le Sri Lanka au mois de juin 1991 et il est arrivé au Canada au mois de janvier 1992. C’est alors qu’il a revendiqué le statut de réfugié. À l’appui de sa demande de statut, le requérant fait valoir qu’il craint avec raison d’être persécuté en raison de sa race—il est Tamoul—et de sa nationalité—il est citoyen du Sri Lanka.

De 1975 à 1983, le requérant était employé en tant que marin par la Ceylon Shipping Corporation de Colombo (Sri Lanka).

Le requérant affirme avoir été attaqué et roué de coups par une foule cinghalaise au cours des émeutes raciales qui ont eu lieu à Colombo en 1983. À la suite des troubles raciaux qui marquèrent le Sri Lanka, le requérant a été, au mois de juillet 1983, licencié par son employeur.

Au mois de mai 1984, le requérant est entré chez une compagnie de navigation grecque. Il avait été engagé en tant que marin et il navigua d’un pays à un autre, jusqu’au mois de février 1987, date à laquelle il est rentré chez lui à Delf Jaffna.

Au mois de novembre 1987, le requérant a été contacté par les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), qui savaient que le requérant connaissait bien la mer. On l’obligea, au nom des Tigres, à piloter un bateau de Delf Island à Rameswariamit, en Inde (alinéa 6(vi) de l’affidavit du requérant, en date du 2 novembre 1992). D’après le requérant, son premier voyage effectué pour le compte des Tigres consistait à transporter à Rameswariamit 60 de leurs adhérents blessés. Le requérant a également indiqué que, après qu’il eut commencé à naviguer pour le compte des Tigres, il ne pouvait plus refuser de le faire et il a donc été forcé de continuer à faire le passeur pour le compte du LTTE jusqu’en 1991. Le requérant a déclaré ne pas adhérer aux idées défendues par les Tigres et de ne pas être partisan de l’indépendance des Tamouls.

Le requérant a déclaré n’avoir touché des Tigres aucune rémunération, ajoutant qu’il avait vécu de ses économies. Lorsqu’il n’était pas en mer, le requérant vivait avec les Tigres à Punguduthua, au Sri Lanka. Le requérant s’est vu interdire de voir sa famille, mais son épouse a été autorisé à lui rendre visite (alinéa 6(ix) de l’affidavit). Le requérant a indiqué qu’il n’avait pas été maltraité par les Tigres, précisant toutefois qu’il n’était pas libre de ses déplacements. Il a ajouté qu’on lui permettait d’accompagner des membres des Tigres lorsqu’ils allaient se promener dans Rameswariamit.

En 1991, le requérant avait épuisé ses économies et la garde côtière a renforcé ses patrouilles entre le Sri Lanka et Rameswariamit, ce qui rendait plus difficiles et plus dangereux les déplacements en mer.

Au mois d’avril 1991, le requérant a faussé compagnie aux LTTE à Punguduthua et s’est enfui à Colombo, région qu’il connaissait bien.

Selon le requérant, en juin 1991, craignant les LTTE et craignant aussi qu’on s’aperçoive des contacts qu’il avait eus avec eux, il s’est engagé en tant que marin à bord d’un navire grec dont il ignorait la destination et a remis au capitaine son passeport et son brevet de marin.

Le navire a fait route pour Bombay, Karachi, Dubai, et le Koweït, accostant à Boston en janvier 1992. Le requérant a quitté le navire lorsqu’il s’est aperçu qu’on chargeait à bord des marchandises à destination de Colombo. Selon le requérant, le capitaine du navire a refusé de lui rendre ses papiers, estimant qu’en partant, il violait les conditions de son contrat. Le requérant s’est rendu jusqu’à New York puis, de là, jusqu’à Buffalo. Il est entré au Canada à Niagara Falls au mois de janvier 1992 et c’est dans cette ville qu’il a revendiqué le statut de réfugié.

À l’audience, le requérant déclara avoir été en contact avec son épouse qui lui a appris que les autorités ne l’avaient pas inquiétée depuis qu’elle avait quitté la région de Jaffna pour aller habiter à Colombo. Comme je l’ai indiqué, l’épouse et les enfants du requérant se trouvent encore au Sri Lanka.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

Tout en notant que le requérant avait, dans son témoignage, ni exagéré ni cherché à embellir le film des événements, la Commission, conformément aux motifs de sa décision, s’est refusée à conclure que, par son témoignage, le requérant avait pu établir la présence des éléments essentiels de la définition de ce qu’est un réfugié au sens de la Convention, estimant que le requérant n’avait pas à craindre d’être persécuté pour l’un des motifs prévus dans la définition, et que, par conséquent, ce n’était pas un réfugié au sens de la Convention.

Le requérant demande maintenant l’annulation de cette décision sur le fondement que la Commission a commis une erreur ayant, à plusieurs reprises dans sa décision, évoqué incorrectement les preuves produites. En fait, d’après le requérant, c’est par six fois que les faits auraient été incorrectement exposés.

Je n’estime pas nécessaire de reprendre ici l’argumentation complète développée par le requérant. Il suffit de dire que je suis convaincu, au vu des documents versés au dossier, qu’il ressort clairement des motifs de la Commission, que celle-ci a fondé sa conclusion sur un certain nombre d’éléments de preuve, même si l’on peut relever, dans cette décision, plusieurs erreurs mineures. Je suis persuadé qu’avant de se prononcer, la Commission a eu soin, comme il lui appartenait de le faire, d’examiner attentivement la preuve. J’estime que, avant de dire que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention, la Commission a étudié toutes les preuves pertinentes. Je ne relève aucune erreur qui me porterait à intervenir.

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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