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[1995] 2 C.F. 3

A-688-93

David Ludmer (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

A-689-93

Cindy Ludmer (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

A-690-93

Ludco Enterprises Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

A-691-93

Brian Ludmer (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Ludmer c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen et Décary, J.C.A. et juge suppléant Chevalier—Montréal, 29 novembre; Ottawa, 21 décembre 1994.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Les appelants ont déduit les intérêts sur de l’argent emprunté pour acheter des actions dans des sociétés étrangères — Le ministre a accordé la déduction pour les premières années, mais l’a par la suite refusée — Appel d’une décision faisant droit à une requête en radiation de certaines parties de la déclaration — Fin de non-recevoir — Bulletins d’interprétation — Le traitement des autres contribuables n’est pas pertinent — Distinction faite avec la jurisprudence britannique, au motif que le régime fiscal britannique est différent.

Entre 1977 et 1979, les appelants ont acheté des actions dans des sociétés étrangères. Lors de la vente des actions, les appelants ont déclaré le profit réalisé à titre de gain en capital. Pour les années 1977 à 1985, les appelants ont déduit les intérêts sur l’argent qu’ils avaient emprunté pour acheter les actions conformément à l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (déduction des intérêts sur l’argent emprunté en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien). Le ministre a accordé la déduction pour les années antérieures à 1981 mais, dans les nouvelles cotisations établies en 1986 et 1987, il a refusé la déduction pour les années 1981 à 1985.

À la suite du rejet de leur appel par la Cour canadienne de l’impôt, les appelants se sont adressés à la Section de première instance de la Cour fédérale en faisant valoir que les cotisations étaient arbitraires et en sollicitant un jugement déclarant nulles les nouvelles cotisations. Dans leur déclaration, les appelants ont exposé les faits dont ils entendaient faire la preuve pour établir (1) que la décision du ministre de leur permettre de déduire les intérêts pour les années antérieures à 1981 constituait de sa part un aveu qui le liait pour les années 1981 à 1985; (2) que la théorie de la fin de non-recevoir s’appliquait parce que les appelants s’étaient fiés sur les cotisations des années précédentes pour organiser leurs affaires; (3) que le ministre était lié par l’interprétation antérieure qu’il avait donnée à l’alinéa 20(1)c) dans des bulletins d’interprétation et d’autres publications; (4) qu’ils avaient été victimes de discrimination parce que d’autres contribuables se trouvant dans une situation semblable avaient été autorisés à se prévaloir de cette déduction; (5) que, pour la même raison que celle qui est évoquée en (4), le ministre avait manqué à son obligation d’agir avec équité.

Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle la Section de première instance a fait droit à une requête en radiation de certains paragraphes des déclarations.

Arrêt : l’appel doit être rejeté, mais en ce qui concerne les documents pertinents émanant du ministre, des éléments de preuve pourront être produits uniquement pour établir de quelle manière le ministre a interprété l’alinéa 20(1)c) à l’époque en cause.

(1) La preuve tendant à établir que le ministre a accordé la déduction pour les années antérieures à 1981 et que cette décision constituait de sa part un aveu qui le liait est irrecevable parce qu’elle ne révèle pas l’existence d’une cause raisonnable d’action. Les cotisations antérieures ne constituent pas un aveu mais tout au plus une suite de l’interprétation que le ministre a donnée à cette époque à l’alinéa 20(1)c). Qui plus est, un aveu ne peut permettre de résoudre une question de droit. Finalement, le paragraphe 152(4) de la Loi, qui permet au ministre de fixer l’impôt dû pour une année d’imposition indépendamment de toute autre année d’imposition, serait nié si la thèse des appelants était retenue.

(2) La théorie de la fin de non-recevoir ne s’applique pas. Les cotisations antérieures ne peuvent être considérées comme une promesse que les appelants auront droit à la déduction dans toutes les cotisations subséquentes. La théorie (connexe) de l’expectative légitime ne peut créer des droits fondamentaux. Dans les deux cas, une autorité publique se trouve peut-être liée par ses engagements quant à la procédure qu’elle va suivre, mais elle ne peut en aucun cas se mettre en situation de conflit avec ses obligations et faire fi des exigences de la loi.

(3) Les bulletins d’interprétation et les autres publications ne constituent rien d’autre que l’opinion du ministre sur le sens de la Loi et ils ne lient ni le ministre, ni le contribuable, ni les tribunaux. Cependant, la présentation d’éléments de preuve ne peut être permise à cet égard que si elle vise à établir que l’interprétation que ces documents contiennent est la bonne et qu’elle devrait être retenue. Il appartiendra au tribunal saisi de la demande des appelants de décider si, compte tenu des particularités du cas à lui soumis, l’interprétation du ministre contredit ou non l’analyse extrêmement circonstanciée de l’alinéa 20(1)c) que la Cour suprême a faite dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine.

(4) La façon dont le ministre traite d’autres contribuables n’a aucune pertinence et ne peut justifier une accusation de discrimination. Ce qui importe, c’est la question de savoir si, selon une interprétation raisonnable de la Loi, les appelants ont droit ou non à la déduction. En outre, s’il était permis aux appelants de citer comme témoins des contribuables pour établir la différence de traitement, le ministre se retrouverait dans une position très défavorable, étant lié par l’interdiction qui lui est faite de révéler le secret des renseignements qu’il possède.

(5) Les principes de justice naturelle que reconnaît la jurisprudence britannique en ce qui concerne la perception des impôts en Grande-Bretagne ne s’appliquent pas ici, compte tenu de la différence qui existe entre le régime fiscal canadien et le régime fiscal britannique. Dans le régime britannique, les commissioners se voient conférer des pouvoirs étendus et un large pouvoir discrétionnaire pour régler chaque cas. Au Canada, le ministre du Revenu national et ses fonctionnaires n’ont aucune discrétion en ce qui concerne l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. La Loi doit être appliquée telle qu’elle est et l’équité n’entre pas en ligne de compte. Et, tandis que le régime britannique limite les appels interjetés des décisions des commissioners aux questions de droit, le régime canadien permet d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt tant sur des questions de fait que sur des questions de droit.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)c), 152(4) (mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 84; ch. 45, art. 59).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Sécurité Saglac (1992) inc. (Syndic de), [1994] R.J.Q. 95 (C.S.); Alain Lavoie Limitée c. Léo Lisi Limitée, [1981] R.L. 346 (C.A.); First Torland Investments Ltd. et al v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 3; (1969), 69 DTC 5109; conf. par (1970), 70 DTC 6354 (C.S.C.); Gelber (A.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2319; (1991), 91 DTC 1031 (C.C.I.); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (1992), 136 N.R. 254 (C.A.); M.R.N. c. Inland Industries Ltd. (1971), 72 DTC 6013 (C.S.C.); Stickel c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 672 (1re inst.); Granger c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70 (1986), 29 D.L.R. (4th) 501; 69 N.R. 212 (C.A.); Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N., [1991] 3 C.F. 663 [1991] 2 C.T.C. 42; (1991), 91 DTC 5408 (angl.); (1991), 91 DTC 5352 (fr.) (C.A.); Hokhold (A.N.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 99; (1993), 93 DTC 5339 (C.F. 1re inst.); Ford Motor Co. of Canada c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1994] F.C.J. no 1579 (1re inst.) (QL).

DISTINCTION FAITE AVEC :

R. c. Langille, [1977] 2 C.F. 380 [1977] C.T.C. 144 (1re inst.); Inland Revenue Comrs v National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd, [1981] 2 All ER 93 (H.L.); Preston v IRC, [1985] 2 All ER 327 (H.L.); Matrix-Securities Ltd v IRC, [1994] 1 All ER 769 (H.L.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851; (1977), 80 D.L.R. (3d) 556; [1977] CTC 441; 77 DTC 5438; 18 N.R. 91; Bryden c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1982] 1 R.C.S. 443; (1982), 133 D.L.R. (3d) 1; 82 CLLC 14,175; 41 N.R. 180; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41.

APPEL d’une décision (sub nom. Les Entreprises Ludco Ltée et autres c. Ministre du Revenu national (1993), 72 F.T.R. 175) par laquelle la Section de première instance a fait droit à la demande présentée par le M.R.N. en vue de faire radier certaines parties de la déclaration. L’appel est rejeté.

AVOCATS :

Guy Du Pont et François Barrette pour les appelants.

Pierre Cossette et Sophie-Lynne Lefebvre pour l’intimée.

PROCUREURS :

Phillips & Vineberg, Montréal, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge suppléant Chevalier : Entre les années 1977 et 1979, David, Cindy et Brian Ludmer (les Ludmer) et les Entreprises Ludco Ltée (Ludco) ont acheté des actions dans des sociétés ayant leur siège social à l’extérieur du Canada. Pour en acquitter le coût ils ont contracté des emprunts. À chaque année jusqu’à 1985 inclusivement, ils ont dans leur déclaration au fisc, réclamé une déduction pour les intérêts qu’ils ont dû payer sur ces emprunts.

Après vérification, le ministre a, pour les années d’imposition antérieures à 1981, accepté comme déductibles les sommes en question et en a donné crédit aux appelants. Subséquemment et par deux cotisations en date du 7 janvier 1986 et du 29 avril 1987, il a fait volte face et a refusé ces déductions pour les années d’imposition 1981 à 1985 inclusivement.

Les appelants se sont pourvus de ces décisions devant la Cour canadienne de l’impôt qui a rejeté leur appel [[1993] 2 C.T.C. 2494]. Ils ont alors déposé une demande auprès de la Section de première instance de la Cour fédérale [Les Entreprises Ludco Ltée et autres c. Ministre du Revenu national (1993), 72 F.T.R. 175]. L’intimée a présenté une requête préliminaire visant à faire radier certaines allégations contenues dans cette procédure. Nous sommes saisis du jugement qui a accueilli cette demande.

La présente opinion traitera des requêtes faites dans chacune des quatre instances. Les textes impliqués sont contenus aux paragraphes 8 à 15 inclusivement, 17, 19, 20, 25, et 26 et aux alinéas 28b) et c) des déclarations des Ludmer et aux paragraphes 12 à 19 inclusivement, 21, 22, 23, 27 et 28 et aux alinéas 30b) et c) de la déclaration de Ludco.

Dans la suite de cette opinion, seront groupés, pour fins d’analyse et de détermination, les paragraphes ou alinéas qui énoncent chacun des faits allégués dont l’intimée demande qu’ils soient écartés du dossier et qu’en conséquence la preuve de leur existence soit déclarée non admissible.

Il y a d’abord lieu de situer le litige dont aura à adjuger la Cour de première instance.

Pour faire valoir leur droit à la déduction des intérêts qu’ils réclament, les appelants invoquent l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] (la Loi) qui se lit comme suit :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

c) Une somme payée dans l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d’impôt ou pour prendre une police d’assurance-vie),

Les appelants plaident d’abord que les intérêts qu’ils ont été appelés à payer l’ont été à l’égard d’investissements (achats d’actions) faits dans le but de tirer un revenu d’une entreprise et qu’à ce titre, ils ont droit à la déduction que permet l’alinéa précité.

En outre de cette allégation centrale et au soutien des conclusions qu’ils recherchent, les appelants veulent faire la preuve d’autres faits. Dans la suite de cette opinion, j’en ferai le résumé et l’analyse et j’en déterminerai la recevabilité dans le cadre du litige tel qu’il se présente.

1.         Quant aux paragraphes 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 15 de la déclaration des Ludmer et 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 19 de celle de Ludco :

Les appelants veulent établir :

a) que la décision du ministre d’accueillir leur demande de déduction d’intérêts pour les années d’imposition antérieures à 1981 constitue de sa part un aveu qui le lie pour les années 1981 à 1985 inclusivement;

b) qu’en conséquence de cette attitude initiale du ministre et prenant pour acquis qu’elle se perpétuerait durant les années subséquentes à 1981, les appelants ont organisé leurs affaires de façon à continuer de profiter de la même déduction pour les années en question.

Selon le juge de première instance, la preuve de ces faits n’est pas admissible au motif qu’ils ne constituent pas une cause raisonnable d’action. Je suis d’avis qu’il a raison.

En premier lieu j’estime que l’argument tiré de ce que les appelants considèrent comme un « aveu » de la part du ministre est irrecevable. Tout au plus son acceptation de la déduction pour les années antérieures à 1981 constitue une suite de l’interprétation qu’il a pu donner à cette époque à l’alinéa 20(1)c) à l’égard de la demande des appelants. S’il s’est alors trompé à ce sujet, c’est qu’il a mal interprété un texte de loi. Or la doctrine et la jurisprudence sont unanimes à décider qu’un aveu ne peut porter sur une question de droit :

Sécurité Saglac (1992) inc. (Syndic de), [1994] R.J.Q. 95 (C.S.);

Alain Lavoie Limitée c. Léo Lisi Limitée, [1981] R.L. 346 (C.A.), à la page 367, opinion du juge Lajoie, J.C.A.

En second lieu, si elles étaient admises la proposition des appelants et la conclusion qu’ils veulent en tirer auraient pour effet de priver le ministre du droit indiscutable que lui confère le paragraphe 152(4) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 84; ch. 45, art. 59] de la Loi de cotiser, voire même de recotiser un contribuable en tout temps pour chacune des années d’imposition et en toute indépendance de l’une à l’autre, la seule restriction à ce pouvoir étant qu’il le fasse dans les limites du délai imparti dans la même Loi. Comme le souligne le juge Cattanach dans First Torland Investments Ltd. et al v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 3 (confirmé par la Cour suprême du Canada, (1970), 70 DTC 6354), à la page 27 :

[traduction] … comme je l’ai dit dans Admiral Investment Ltd. v. M.N.R., [1967] 2 R.C.É. 308, le fait d’avoir accordé une déduction au cours d’une année en l’absence de toute disposition législative contraire n’empêche pas le ministre d’adopter une opinion différente au cours d’une année ultérieure. Une cotisation est définitive entre les parties seulement en ce qui concerne la cotisation établie pour l’année en cause.

Dans Gelber (A.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2319 (C.C.I.) le juge Rip adopte la même attitude (à la page 2323) :

Je ne sais pas de quelle façon les dépenses demandées au cours des années antérieures ont été traités aux fins d’impôt, et comment l’intimé a traité les demandes du même genre au cours des années antérieures ne me lie pas. Après tout, l’intimé n’est pas l’arbitre de ce qui est fondé ou non en matière de droit fiscal.

Enfin, en ce qui a trait au fait que l’attitude initiale du ministre, quant à la déductibilité des intérêts pour les années antérieures à 1981, a créé dans l’esprit des appelants une expectative légitime que, pour l’avenir ils pouvaient compter sur le même avantage, je partage l’avis du premier juge à l’effet que même si les gestes posés éventuellement par les appelants étaient mis en preuve, ils ne pourraient donner ouverture au remède qu’ils sollicitent.

À l’appui de leur proposition, les appelants citent la décision dans R. c. Langille, [1977] 2 C.F. 380(1re inst.) dans laquelle la théorie de l’estoppel ou de la fin de non-recevoir a été étudiée et appliquée. Il faut tout de suite préciser que, dans les deux cas précités, il s’agissait d’une circonstance où, avant de passer un contrat, le contribuable avait obtenu d’un fonctionnaire du ministère l’assurance que s’il procédait d’une certaine façon pour le conclure, il aurait droit de bénéficier d’une disposition favorable de la loi. En particulier dans Langille, le jugement comportait l’extrait suivant (à la page 386) :

Il ne s’agissait pas d’un conseil sur un point de droit, mais d’une déclaration de fait décrivant le type de contrat proposé. Si la déclaration avait été une opinion juridique ou une interprétation de l’article 146 de la Loi, le Ministre ne pourrait se voir opposer une exception d’irrecevabilité. (Voir Stickel c. M.R.N. [1972] C.F. 672 à la page 681.) [C’est moi qui souligne.]

La distinction précitée est éminemment pertinente pour juger du cas en litige. Contrairement à l’affaire Langille, il ne s’agit pas ici d’une situation où, avant de poser un geste, soit de contracter un emprunt porteur d’intérêts, les appelants ont recherché et obtenu du Ministère une assurance formelle qu’ils bénéficieraient de leur déductibilité. Dans la présente instance, les appelants se sont autocotisés et ont, à cette occasion, réclamé une déduction en se prévalant de ce qu’ils considéraient être une disposition légale favorable. En acceptant, pour les années antérieures à 1981, leurs déclarations sans modification, le Ministère ne leur a rien promis. Il ne peut donc lui être reproché de les avoir incités à agir à la faveur d’une promesse quelconque.

Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621(C.A.), le juge Marceau, J.C.A. écrit (à la page 625) :

On ne saurait invoquer la théorie de la fin de non-recevoir pour empêcher l’exercice d’une obligation prévue par la loi—en l’occurrence, l’obligation pour l’agent de traiter la demande présentée—ni pour conférer un statut défini par la loi à une personne qui n’est pas, à l’évidence, visée par la définition légale. En fait, le bon sens dicterait qu’on ne puisse omettre d’appliquer la règle en raison de la déclaration fausse, de la négligence ou de la simple présentation inexacte des faits de la part d’un fonctionnaire gouvernemental.

Au cours du débat, on a laissé entendre que si la théorie de la fin de non-recevoir ne pouvait s’appliquer, la théorie connexe de « l’expectative raisonnable ou légitime » le pourrait peut-être. Cette proposition était vaine parce que cette théorie connaît la même limite qui restreint la théorie de la fin de non-recevoir. Une autorité publique se trouve peut-être liée par ses engagements quant à la procédure qu’elle va suivre, mais elle ne peut en aucun cas se mettre en situation de conflit avec ses obligations et faire fi des exigences de la loi. Comme l’a récemment répété le juge Sopinka lorsqu’il a rédigé l’arrêt de la Cour suprême Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 557 et 558 :

Or, ni la jurisprudence canadienne, ni celle d’Angleterre, n’appuient la position suivant laquelle la théorie de l’expectative légitime peut créer des droits fondamentaux. Cette théorie fait partie des règles de l’équité procédurale auxquelles peuvent être soumis les organismes administratifs. Dans les cas où elle s’applique, elle peut faire naître le droit de présenter des observations ou d’être consulté. Elle ne vient pas limiter la portée de la décision rendue à la suite de ces observations ou de cette consultation. [C’est moi qui souligne.]

La même conclusion apparaît dans M.R.N. c. Inland Industries Ltd (1971), 72 DTC 6013 (C.S.C.) et dans Stickel c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 672 (1re inst.) où le juge Cattanach écrit (à la page 685) :

Il s’ensuit donc que si l’approbation et l’enregistrement d’un régime de pensions par le Ministre ne donne pas ouverture à une fin de non-recevoir, un bulletin d’information ne peut pas a fortiori le faire.

En bref, les fins de non-recevoir sont soumises à une règle générale : elle ne peuvent aller à l’encontre des lois d’application générale.

Dans l’arrêt Granger c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70(C.A.), le juge Lacombe, J.C.A. se prononce comme suit (aux pages 88 et 89) :

En faisant droit à l’argument de l’estoppel par représentation du requérant, pour des raisons d’équité, il faudrait annuler par le biais, la décision de la Commission intimée plutôt que celle du juge-arbitre, alors que la Cour ne siège pas en équité dans les cadres du recours présentement exercé par le requérant.

C’est par une procédure plus appropriée que le requérant pourrait, le cas échéant, faire valoir que par sa décision du 13 avril 1984, la Commission intimée a voulu appliquer la loi d’une manière qui a été pour lui injuste, inéquitable sinon abusive au point de constituer un abus de pouvoir.

En conclusion, j’estime que les paragraphes 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 15 (Ludmer) et 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 19 (Ludco) doivent être exclus du débat et qu’il doit être interdit aux appelants de faire la preuve des faits auxquels ils réfèrent.

2.         Quant aux paragraphes 14 (Ludmer) et 18 (Ludco)

Les appelants voudraient produire différents documents (bulletins etc.) originant du ministre du revenu ou de ses proposés. Le paragraphe impliqué se lit comme suit :

[traduction] Avant et pendant les années d’imposition en cause, le ministre s’en est tenu à une politique bien établie autorisant la déduction des frais d’intérêt engagés à l’occasion d’emprunts contractés dans le but d’acquérir des actions ordinaires de compagnie même lorsque ces actions ne pouvaient pas donner droit à des dividendes.

Dans sa plaidoirie orale, le procureur des appelants nous a indiqué qu’en cherchant à faire cette preuve, il poursuit deux objectifs savoir :

1) en tirer l’argument que par ses bulletins d’interprétation de l’alinéa 20(1)c) et les communications diverses qui sont venues à la connaissance de ces appelants ou même du public en général, le ministre s’est lié à leur égard et qu’il devait inexorablement se conformer dans sa conduite à cette interprétation;

2) établir que l’interprétation donnée était valable et légalement correcte.

S’il n’en était que du premier objectif précité, je serais résolument contre l’admissibilité de la production des documents et pièces en question. Lorsque le ministre énonce ce qu’il croit être le sens et la portée d’un texte de loi, il émet une simple opinion. Si elle s’avère incorrecte (et ce n’est pas à lui mais aux tribunaux qu’incombe la tâche de déterminer cette interprétation), il commet une erreur qui ne l’engage ni pour le présent ni pour l’avenir. Comme le souligne le juge Décary, J.C.A. dans Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N., [1991] 3 C.F. 663(C.A.), à la page 674 :

Il est acquis que les bulletins d’interprétation ne constituent que l’opinion du ministère du Revenu national, ne lient ni le ministre, ni le contribuable, ni les tribunaux …

D’autre part si le but poursuivi par les appelants consiste à établir éventuellement que l’interprétation en question est la bonne et qu’en conséquence elle doit être retenue, je suis d’avis que cette preuve devrait être permise mais uniquement à cette fin. Dans l’arrêt Vaillancourt précité, après avoir énoncé qu’une telle preuve n’est utile que si, dans l’esprit du tribunal il existe un doute quant à l’interprétation d’un texte, le juge Décary, J.C.A. ajoute (à la page 674) :

Cela dit, je constate que les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ces bulletins et qu’ils paraissent facilement enclins à voir une ambiguïté dans la Loi—ce qui permet d’y recourir—lorsque l’interprétation donnée dans un bulletin contredit carrément l’interprétation que le ministère propose dans un cas donné ou permet l’interprétation que propose le contribuable. Lorsque le contribuable s’adonne à une activité commerciale en réponse à une invitation expresse de l’Administration et que la légalité de cette activité est confirmée dans un bulletin d’interprétation, ce n’est que justice que de rechercher accessoirement dans ce bulletin le sens de la législation en cause.

Voir aussi

Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, aux pages 858 et 859;

Bryden c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1982] 1 R.C.S. 443, à la page 450;

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 37.

Je conclus donc que pour cette dernière fin, la preuve matérielle qui indiquait, durant les années pertinentes au litige, l’interprétation du ministre en regard de l’alinéa 20(1)c) de la Loi devrait être permise et que le dispositif du jugement y donne effet.

Avant de clore sur ce sujet, je ne peux m’empêcher cependant de souligner que dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, le plus haut tribunal du pays a donné une interprétation extrêmement circonstanciée de l’alinéa 20(1)c) (voir pages 45 et 46). Il appartiendra au tribunal saisi de la demande des appelants de décider si, compte tenu des particularités du cas à lui soumis, l’interprétation du ministre contredit ou non celle de la Cour suprême.

3.         Quant aux paragraphes 17, 19 et 25 (Ludmer) et 21, 22 et 27 (Ludco)

Ces paragraphes contiennent deux éléments savoir :

1) une relation de certains faits qui est la répétition de ceux qui ont déjà été récités dans des paragraphes précédents;

2) des propositions de droit qui en sont la conclusion.

La partie « faits » de ces paragraphes est superfétatoire en ce qu’elle fait double emploi. Quant aux affirmations de droit, elles sont de la même nature que celles dont j’ai précédemment opiné qu’elles étaient non pertinentes au litige et qu’en conséquence j’exclurais du débat.

4.         Quant aux paragraphes 20 (Ludmer) et 23 (Ludco)

Les appelants veulent faire la preuve qu’à l’occasion d’emprunts contractés dans des circonstances identiques d’autres contribuables ont bénéficié de la déduction des intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Ils en tirent l’argument que le ministre a été coupable de discrimination à leur égard.

À mon avis cette allégation ne donne pas ouverture aux conclusions de la demande et en conséquence la preuve n’en est pas recevable. Dans Hokhold (A.N.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 99 (C.F. 1re inst.), où il s’agissait précisément d’une requête en rejet d’allégations le juge Rothstein s’exprime à ce sujet (à la page 106) :

Le demandeur semble se préoccuper de ce que d’autres contribuables ont connu un traitement différent de celui que Revenu Canada lui a réservé. Quels que soient les motifs de l’action de Revenu Canada à l’égard d’autres contribuables, ils ne se rapportent pas au cas du demandeur.

Dans la même décision, après avoir cité Ford Motor Co. of Canada c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.) (décision inédite en date du 26 octobre 1994, no. T-3700-82) [[1994] F.C.J. no 1579 (1re inst.) (QL)] qui affirmait le même principe dans une affaire semblable, il ajoutait (à la page 106) :

Bien qu’on comprenne que le demandeur trouve injuste le fait que Revenu Canada semble avoir traité différemment les contribuables se trouvant dans des circonstances semblables, cela ne peut constituer le fondement de l’appel du demandeur. Le demandeur ou bien a droit, selon une interprétation raisonnable du texte du sous-alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à la déduction d’assistance sociale ou bien n’y a pas droit. J’ai conclu que, à l’évidence, il n’y a pas droit.

Un autre motif qui relève du principe d’équité procédurale me paraît militer en faveur de cette conclusion. Si d’aventure il était permis aux appelants de citer comme témoins des contribuables dont ils savent ou croient savoir qu’ils ont bénéficié d’un traitement préférentiel de la part du ministre, on voit d’ici la position défavorable de ce dernier qui ne pourrait en aucune circonstance faire une preuve contraire, étant inexorablement lié par l’interdiction qui lui est faite de révéler, directement ou indirectement, le secret des renseignements qu’il possède à ce sujet. Si on accepte le droit à la contradiction qui est un des principes fondamentaux de notre système judiciaire, j’estime qu’à lui seul ce motif serait suffisant pour faire rejeter la demande des appelants.

5.         Quant aux paragraphes 26 (Ludmer) et 28 (Ludco)

Ces paragraphes contiennent trois alinéas qui répétent ce qui a déjà été dit auparavant dans la procédure. Le préambule est redigé comme suit :

[traduction] Le demandeur soutient également que ces nouvelles cotisations sont arbitraires et discriminatoires, qu’en les établissant, le ministre n’a pas respecté son obligation d’agir équitablement et que, par conséquent, elles sont nulles et non avenues parce que :

(a) …

(b) …

(c) …

En l’occurrence, cette position des appelants en est une de repli. Dans l’éventualité où l’interprétation et l’application à leur cas de l’alinéa 20(1)c) ne leur permettrait pas de vaincre sur ce terrain, ils invoquent le moyen tiré de ce qu’ils considèrent être l’obligation du ministre de se conduire conformément aux principes de la justice naturelle. Selon eux, celui-ci y a contrevenu en les induisant en erreur sur le sens et la portée qu’il donnait à une disposition légale, en se comportant d’une façon discriminatoire et en ne suivant pas lui-même une politique fiscale qu’il avait énoncée à l’égard des contribuables en général.

Je serais a priori enclin à trouver qu’on retourne ici à la case départ et que, pour utiliser une expression populaire, on tourne en rond.

Dans leur mémoire d’argumentation, les appelants ont longuement traité de ce sujet. Leur procureur a, en invoquant une impressionnante série de décisions anglaises, tenté de nous convaincre qu’il était temps, et pour la première fois souligne-t-il, que nous adoptions au Canada cette façon nouvelle d’aborder l’application des lois statutaires qui nous régissent. Il nous a cité en particulier à ce sujet les arrêts Inland Revenue Comrs v National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd, [1981] 2 All ER 93 (H.L.); Preston v IRC, [1985] 2 All ER 327 (H.L.); Matrix-Securities Ltd v IRC, [1994] 1 All ER 769 (H.L.).

Il faut souligner au départ que ce concept de la justice naturelle et cette obligation d’agir équitablement, comportent des normes variables. À mon avis il ne peut comme tel s’appliquer en l’occurrence parce que la façon de traiter le justiciable en matière fiscale n’est pas du tout le même au Canada qu’au Royaume-Uni. J’en prends à témoin le parallèle suivant.

L’arrêt Inland Revenue Comrs v National Federation of Self-Employed and Small Business Ltd nous éclaire sur la façon dont est gérée au Royaume-Uni la perception des impôts. Sous la plume de lord Wilberforce, on lit ce qui suit : (à la page 98)

[traduction] La Loi de 1970 prévoit (art. I) que [cad096]la gestion de l’impôt sur le revenu … est confiée aux Commissaires.’ Cette Loi mentionne les pouvoirs très vastes de la Commission et des inspecteurs du fisc d’établir des cotisations relativement aux personnes que le Parlement désigne comme étant tenues de payer l’impôt sur le revenu.

Sous la plume de lord Diplock, on lit ce qui suit (à la page 101) :

[traduction] J’ai seulement besoin de dire ici que les membres de la Commission se voient confier par la loi la gestion et la perception, pour le compte de la Couronne, de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les compagnies et de l’impôt sur les gains en capital. Les membres de la Commission ont, dans l’exercice de ces fonctions, un grand pouvoir discrétionnaire de gestion quant aux meilleurs moyens d’obtenir pour l’administration nationale des finances les rentrées nettes les plus élevées possible à l’égard des impôts confiés à leur charge, compte tenu du personnel dont ils disposent et des frais de perception.

Dans l’arrêt Matrix, lord Jauncey s’exprime comme suit (à la page 787) :

[traduction] … la Cour peut dûment réviser une décision du ministère du Revenu d’exercer les pouvoirs que lui confère la loi si cette décision est injuste au point d’équivaloir à un abus de pouvoir …

En ce qui a trait aux recours accessibles aux contribuables britanniques, lord Templeman écrit dans l’arrêt Preston (à la page 337) :

[traduction] Dans la plupart des cas où les commissaires seraient tombés dans l’erreur, le contribuable peut recourir aux procédures d’appel auprès des commissaires généraux ou des commissaires spéciaux, qui sont prévues par les lois fiscales. Cette structure d’appel prévoit un tribunal indépendant et informé qui siège en privé afin que le contribuable ne soit pas embarrassé de divulguer ses affaires et que les commissaires puissent respecter leur obligation de garder le secret. Les commissaires et le tribunal nommés en vue d’entendre les appels formés contre les décisions des commissaires ont une vaste connaissance et une grande expérience du droit et de la pratique en matière fiscale. Les appels contre les décisions des commissaires généraux ou des commissaires spéciaux sont interjetés, mais seulement sur des questions de droit, devant la Haute Cour au moyen d’un exposé de cause, et la Haute Cour peut alors corriger les erreurs de droit de tout genre, notamment celles qui, sinon, pourraient faire l’objet d’une procédure de contrôle judiciaire : voir Edwards (Inspector of Taxes) v Bairstow [1955] 3 All ER 48, [1956] AC 14. Il ne faudrait pas que le processus de contrôle judiciaire puisse en venir à remplacer la procédure normale d’appel prévue par la loi. [C’est moi qui souligne.]

La situation au Canada est essentiellement différente. Ni le ministre du Revenu ni ses préposés n’ont quelque discrétion que ce soit dans l’application qu’ils doivent faire de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils sont tenus de la suivre d’une manière absolue comme d’ailleurs les contribuables sont obligés d’y obéir telle qu’elle est. L’institution des commissioners dotés de vastes pouvoirs et d’une généreuse discrétion pour régler chaque cas d’espèce n’existe pas ici. En conséquence, il n’est pas possible de juger leur conduite selon des critères mouvants et variables comme le sont ceux que dicte le principe de la justice naturelle. Pour déterminer si leurs décisions sont valides ou non il ne s’agit pas de se demander s’ils ont exercé leurs pouvoirs d’une façon correcte ou abusive, mais bien s’ils ont agi comme la loi qui les gouverne leur prescrit d’agir.

À ce sujet, je ne peux faire mieux que de répéter ce qu’a écrit le juge Pratte, J.C.A. dans l’arrêt Granger (aux pages 76 et 77) :

En premier lieu, il faut dire que les principes de justice naturelle n’ont rien à voir dans ce débat. L’expression « principes de justice naturelle » désigne en effet les principes fondamentaux de procédure que doivent observer ceux qui ont à prononcer des décisions quasi judiciaires et, dans bien des cas, des décisions administratives. Le véritable reproche que le requérant fait au juge-arbitre, ce n’est pas d’avoir violé les principes de justice naturelle, c’est tout simplement de n’avoir pas appliqué l’équité plutôt que la loi. Il est certain en effet que la Commission et ses représentants n’ont pas le pouvoir de modifier la loi et que, en conséquence, les interprétations qu’ils peuvent faire de la loi n’ont pas elles-mêmes force de loi. Il est également certain que l’engagement que prendrait la Commission ou ses représentants, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, d’agir autrement que ne le prescrit la loi, serait absolument nul et contraire à l’ordre public. En conséquence, la prétention du requérant ne peut être autre chose que celle-ci : le juge-arbitre s’est trompé parce qu’il aurait dû, pour éviter de causer préjudice au requérant, refuser d’appliquer la loi.

Il suffit de voir la prétention du requérant sous son vrai jour pour constater qu’elle doit être rejetée. Le juge est lié par la loi. Il ne peut, même pour des considérations d’équité, refuser de l’appliquer.

La seconde différence entre les notions applicables aux systèmes britannique et canadien réside dans la façon de traiter les griefs des contribuables à l’égard du fisc. Contrairement à l’attitude du législateur britannique qui n’autorise celui qui a à se plaindre de l’usage que les commissioners ont fait de leur discrétion, que par le moyen d’un appel impliquant une question de droit, le contribuable canadien jouit d’une procédure qui lui permet, par le moyen d’une demande à la Cour canadienne de l’impôt de bénéficier d’un véritable procès où les faits autant que le droit font partie intégrante du paysage.

Je conclus donc que l’argument des appelants n’est pas recevable et que l’allégation contenue aux paragraphes 26 (Ludmer) et 28 (Ludco) devrait être retranchée du dossier.

6.         Quant aux alinéas 28b) et c) (Ludmer) et 30b) et c) (Ludco);

À l’alinéa a) des paragraphes en question, les appelants demandent que les cotisations pour les années d’imposition 1981 à 1985 inclusivement soient mises de côté et que l’affaire soit renvoyée au ministre pour reconsidération. Cette conclusion reste tenante devant la Section de première instance.

Les alinéas b) et c) se lisent comme suit :

[traduction] (Le(s) demandeur(s) sollicite(nt) les mesures de redressement suivantes) :

b)   un jugement déclaratoire portant que les nouvelles cotisations établies par le ministère à l’encontre du demandeur pour les années d’imposition 1981 à 1985 étaient nulles et non avenues et donc inopérantes parce que le ministre n’avait pas le pouvoir de les établir, parce qu’elles étaient arbitraires et discriminatoires et parce qu’en les établissant, le ministre n’a pas respecté son obligation d’agir équitablement;

c)   toute autre mesure de redressement que la Cour estimera juste …

Vu les considérations énoncées et les conclusions prises ci-haut, il est évident que ces deux remèdes ne sont plus accessibles.

Conclusion :

Je propose donc que l’appel soit rejeté avec dépens. Cependant, le dispositif du jugement entrepris devrait :

1. être corrigé pour préciser qu’aux paragraphes 28 (Ludmer) et 30 (Ludco) seuls les alinéas b) et c) seront rayés; et

2. être modifié pour statuer qu’il sera permis aux appelants de faire la preuve de tout document émanant du ministre qui pourra s’avérer pertinent aux seules fins d’en utiliser le contenu pour déterminer le sens et la portée que le ministre du Revenu a donnés, aux époques matérielles au litige, à la disposition de l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le juge Hugessen, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Décary, J.C.A. : J’y souscris.

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