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[1995] 1 C.F 680

T-1028-94

Procureur général du Canada (requérant)

c.

James Russell Lambie et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Lambie (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Ottawa, 23 novembre et 2 décembre 1994.

Droits de la personne — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un tribunal d’appel des droits de la personne a permis au plaignant de faire entendre de nouveaux témoins en appel — L’art. 56(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne confère au tribunal d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de recevoir de nouveaux éléments de preuve s’il estime que leur réception est « indispensable à la bonne administration de la justice » — Le tribunal s’est demandé s’il était indispensable d’entendre les nouveaux témoignages, étant donné qu’il n’a accepté d’entendre que deux des onze témoins proposés — L’art. 56(4) ne prévoit pas de critères en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire — Lignes directrices en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire — Après avoir conclu que la preuve est pertinente et plausible et qu’elle influera sur le résultat, le tribunal a eu raison de statuer qu’il disposait d’une plus grande latitude dans l’application du critère suivant lequel une preuve ne doit pas être admise si elle aurait pu être produite au procès si l’on avait fait preuve de « diligence raisonnable ».

Preuve — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un tribunal d’appel des droits de la personne a permis au plaignant de faire entendre de nouveaux témoins en appel — L’art. 56(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne confère au tribunal d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de recevoir de nouveaux éléments de preuve s’il estime que leur réception est « indispensable à la bonne administration de la justice » — Les principes posés par la Cour suprême dans l’arrêt Palmer et autre c. La Reine servent de lignes directrices en ce qui concerne l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire — Il y a une plus grande latitude en ce qui concerne l’application du critère de la diligence raisonnable qu’en ce qui concerne les autres critères — Le tribunal n’a pas commis d’erreur en décidant d’entendre de nouveaux témoignages sur le fondement de renseignements non communiqués sous serment à condition qu’ils soient crédibles — La Loi canadienne sur les droits de la personne exige que la décision relative à la crédibilité soit fondée en partie sur la transcription, en partie sur les témoignages — Les déclarations d’« intention de déclarer » faites en l’espèce ne sont pas suffisantes pour permettre de rendre une décision sur la crédibilité — L’admission d’une preuve ne constitue pas une décision définitive sur la crédibilité, étant donné qu’elle peut être rejetée après le contre-interrogatoire.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un tribunal d’appel des droits de la personne a permis à l’intimé, Lambie, de faire entendre deux nouveaux témoins lors de l’appel interjeté à la suite du rejet de la plainte par laquelle il affirmait avoir fait l’objet de discrimination de la part des Forces canadiennes qui lui avaient refusé une promotion et une nomination en raison de son état matrimonial. L’intimé vivait en concubinage et était en instance de divorce. Le lieutenant-colonel Lambie voulait faire entendre onze autres témoins, mais le tribunal d’appel a statué qu’il pouvait citer deux secrétaires qui auraient surpris des conversations entre des généraux qui auraient exprimé des réserves au sujet de la promotion de Lambie à cause de son état matrimonial. Il n’y a aucun indice au sujet des démarches que l’avocat qui occupait alors pour l’intimé aurait entreprises pour découvrir les éléments de preuve ou au sujet de la raison pour laquelle ceux-ci n’étaient pas connus avant l’audience initiale, mais on a laissé entendre que l’avocat ne s’était pas acquitté convenablement de ses responsabilités professionnelles. Le tribunal d’appel a permis aux Forces canadiennes de présenter une contre-preuve.

Le paragraphe 56(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet au tribunal d’appel de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages « s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice ».

Le tribunal d’appel a examiné les principes formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Palmer et autre c. La Reine au sujet de la réception de nouveaux éléments de preuve en appel : (1) on ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles; (2) la déposition doit être pertinente; (3) la déposition doit être plausible; (4) la déposition doit être telle qu’on puisse raisonnablement penser qu’elle aurait influé sur le résultat. Le fait que le tribunal d’appel a accepté d’entendre deux des onze nouveaux témoignages demandés indique qu’il a décidé que leur témoignage était indispensable. Le tribunal a statué que le témoignage de ces deux personnes était pertinent et plausible à première vue et que si l’on y ajoutait foi, il pouvait influer sur le résultat. Il a en outre statué qu’en matière de droits de la personne, on peut assouplir le critère de la diligence raisonnable si les autres principes sont respectés.

L’avocat du requérant a soutenu que rien ne permettait de penser que l’intimé avait agi avec une diligence raisonnable. Il a affirmé que le tribunal d’appel avait commis une erreur en tenant compte de la prétendue négligence manifeste de l’avocat et en statuant qu’en matière de droits de la personne, on peut assouplir le critère de la diligence raisonnable si les autres principes sont respectés. Il a également soutenu que le tribunal d’appel n’avait pas bien abordé la condition relative à la crédibilité qui se trouve dans les principes dégagés dans l’arrêt Palmer, parce qu’il n’a pas demandé de déclarations sous serment des témoins potentiels et qu’il ne s’en est remis qu’à un résumé de ce que les témoins allaient dire s’ils étaient appelés à témoigner.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le paragraphe 56(4) confère au tribunal d’appel un large pouvoir discrétionnaire. Il a le droit de se faire sa propre opinion sur la question de savoir s’il est indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages. La formulation de cette opinion constitue l’essence même d’une décision discrétionnaire. L’article ne renferme aucun critère sur la façon dont le tribunal d’appel doit s’y prendre pour décider s’il est indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages. Les principes posés dans l’arrêt Palmer guident le tribunal d’appel dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais ce sont les termes de la loi qui, d’abord et avant tout, déterminent la nature de la décision que le tribunal d’appel doit rendre.

Le tribunal d’appel n’a pas commis d’erreur en assouplissant le critère de la diligence raisonnable après s’être dit convaincu que les autres principes posés dans l’arrêt Palmer avaient été respectés. Contrairement aux autres principes de l’arrêt Palmer, qui sont formulés de manière impérative, le critère de la diligence raisonnable est libellé de façon un peu moins rigoureuse. Il semble qu’on puisse faire preuve d’une plus grande souplesse dans l’application du principe de la diligence raisonnable que dans celle des trois autres principes. De plus, il a été jugé qu’un tribunal judiciaire peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, passer outre à la condition relative à la « diligence raisonnable ».

Dans un cas évident d’ineptie de la part de l’avocat, la Cour d’appel fédérale pourrait rejeter une demande d’admission de nouveaux éléments de preuve en appel. Toutefois, la décision discrétionnaire qui a été rendue en l’espèce était celle du tribunal d’appel, qui a exercé son pouvoir discrétionnaire selon sa perception de l’ensemble des circonstances. Ce n’est pas une décision que la Cour devrait modifier.

Il n’y a rien dans l’arrêt Palmer qui indique que le tribunal doive fonder sa décision sur la crédibilité uniquement sur des déclarations verbales ou écrites sous serment. Les tribunaux des droits de la personne peuvent recevoir des renseignements autrement que par déclaration verbale ou écrite sous serment. Un tribunal d’appel ne commet pas d’erreur s’il décide d’entendre de nouveaux témoignages sur le fondement de renseignements communiqués sous serment ou de déclarations « d’intention de déclarer », dès lors qu’il conclut que les renseignements sont plausibles, en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi. Il se peut que les éléments de preuve qui sont vagues et qui sont présentés sous forme de résumé très abrégé soient insuffisants pour permettre à un tribunal d’appel de déterminer s’ils sont dignes de foi. Mais, en l’espèce, les déclarations d’« intention de déclarer » permettent de connaître la position des témoins proposés, ainsi que la raison pour laquelle ils seraient au courant des conversations qu’ils affirment avoir entendues. Le fait qu’un tribunal d’appel décide de recevoir des éléments de preuve ou d’entendre des témoignages ne signifie pas qu’il a tranché de façon définitive la question de leur crédibilité. Il est loisible au tribunal, après avoir entendu les témoignages directs et le contre-interrogatoire, de rejeter les témoignages en question s’il conclut qu’ils ne sont pas dignes de foi. Bien qu’il puisse être difficile de rendre une décision sur la crédibilité en se fondant en partie sur une transcription et en partie sur des témoignages, c’est la procédure que la loi prescrit de suivre.

L’appelant ne subirait aucun préjudice. Le tribunal d’appel a déclaré qu’il permettrait la présentation d’une contre-preuve, notamment par la convocation de nouveaux témoins et la nouvelle comparution de personnes qui avaient déjà témoigné.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 683(1).

Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 50(2)c), 56(4).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Palmer et autre c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759; (1979), 106 D.L.R. (3d) 212; 50 C.C.C. (2d) 103; 14 C.R. (3d) 22 (angl.); 17 C.R. (3d) 34 (fr.); 30 N.R. 181; Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M.(C.), [1994] 2 R.C.S. 165; (1994), 113 D.L.R. (4th) 321; 165 N.R. 161; 71 O.A.C. 81; 2 R.F.L. (4th) 313; Lo c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] F.C.J. no 1474 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Goldner c. Société Radio-Canada (1974), 13 C.P.R. (2d) 230; 1 N.R. 420 (C.A.F.); Goldner c. Société Radio-Canada (1972), 7 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.); Cook v. Mounce (1979), 26 O.R. (2d) 129; 104 D.L.R. (3d) 635; 12 C.P.C. 5 (Cour div.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un tribunal d’appel des droits de la personne a autorisé le requérant à faire entendre de nouveaux témoins en appel. Demande rejetée.

AVOCATS :

Jim R. Hendry pour le requérant.

Pascale-Sonia Roy pour l’intimé, James Russell Lambie.

Rosemary Morgan, pour l’intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Myers Weinberg Kussin, Winnipeg, pour l’intimé James Russell Lambie.

La Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 mars 1994 par un tribunal d’appel des droits de la personne. Le 12 décembre 1988, l’intimé James Russell Lambie, qui était à l’époque lieutenant-colonel[1] au sein des Forces canadiennes, a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il affirmait avoir fait l’objet de discrimination de la part des Forces canadiennes, qui lui avaient refusé une promotion au rang de colonel et une nomination à titre de commandant d’une base en raison de son état matrimonial. À l’époque en cause, l’intimé était en instance de divorce et il vivait en concubinage avec une autre femme. Un tribunal des droits de la personne a rejeté la plainte de l’intimé le 10 mars 1993 en concluant que les Forces canadiennes n’avaient pas tenu compte irrégulièrement de l’état matrimonial du lieutenant-colonel Lambie pour lui refuser sa promotion et sa nomination à titre de commandant d’une base.

Le lieutenant-colonel Lambie a interjeté appel devant un tribunal d’appel des droits de la personne. Il voulait, dans le cadre de cet appel, faire témoigner onze autres personnes (sept témoins avaient comparu pour son compte devant le tribunal de première instance). Le tribunal d’appel a décidé de permettre au lieutenant-colonel Lambie de faire entendre deux des onze témoins et il a autorisé les Forces canadiennes à présenter une contre-preuve.

Le procureur général du Canada sollicite maintenant au nom des Forces canadiennes le contrôle judiciaire de la décision aux termes de laquelle le tribunal d’appel a autorisé le lieutenant-colonel Lambie à faire entendre deux nouveaux témoins.

La disposition pertinente de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), est le paragraphe 56(4) :

56. …

(4) Le tribunal d’appel entend l’appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

Pour décider d’entendre le témoignage de deux nouvelles personnes, le tribunal d’appel a tenu compte des principes que suivent les tribunaux pour décider s’il y a lieu de recevoir de nouveaux éléments de preuve en appel. Ainsi que le juge McIntyre l’a déclaré dans l’arrêt Palmer et autre c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, à la page 775 :

On doit donner la prépondérance, dans cette disposition, à l’expression « l’intérêt de la justice » et il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre à un témoin, par la seule répudiation ou modification de ses dépositions au procès, de rouvrir des procès à volonté au détriment général de l’administration de la justice. Les demandes de cette nature sont fréquentes et les cours d’appel de diverses provinces se sont prononcées à leur égard … Les principes suivants se dégagent de ces arrêts et d’autres dont plusieurs sont cités dans la jurisprudence susmentionnée :

(1)  On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : voir McMartin c. La Reine.

(2)  La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3)  La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4)  elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat. [Renvois omis.]

Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, l’avocat du procureur général soutient que le tribunal d’appel a mal appliqué le principe de la diligence raisonnable posé dans l’arrêt Palmer. Il affirme qu’il n’y avait pas le moindre élément de preuve permettant de conclure que l’intimé ou son avocat avait agi avec une diligence raisonnable, et il soutient en outre que le tribunal d’appel a eu tort de tenir compte de la prétendue négligence manifeste de l’avocat. Il ajoute que le tribunal d’appel a commis une erreur de droit en concluant qu’en matière de droits de la personne, il est possible d’assouplir le critère de la diligence raisonnable si les autres principes sont respectés.

J’estime qu’il est d’abord nécessaire d’examiner le libellé du paragraphe 56(4) de la Loi, qui est la source de la compétence du tribunal d’appel de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages. Les termes importants sont les suivants :

56. …

(4)… mais il [le tribunal d’appel] peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

Ces termes confèrent au tribunal d’appel un large pouvoir discrétionnaire. Le tribunal d’appel a le droit de se faire sa propre opinion sur la question de savoir s’il est indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages. La formulation de cette opinion constitue l’essence même d’une décision discrétionnaire. L’article lui-même ne renferme aucun critère sur la façon dont le tribunal d’appel doit s’y prendre pour décider s’il est indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir de nouveaux éléments de preuve ou d’entendre de nouveaux témoignages. Les principes posés dans l’arrêt Palmer guident le tribunal d’appel dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais ce sont les termes de la loi qui, d’abord et avant tout, déterminent la nature de la décision que le tribunal d’appel doit rendre.

L’avocat du requérant a quelque peu insisté sur le mot « indispensable ». Il affirme que, compte tenu de ce terme, le critère de la réception de nouveaux éléments de preuve est plus strict que celui qui est prévu au Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, qui emploie l’expression « lorsqu’elle [la cour] l’estime dans l’intérêt de la justice » (voir le paragraphe 683(1) du Code criminel).

En l’espèce, l’intimé a demandé que onze nouveaux témoins soient appelés à témoigner devant le tribunal d’appel. Le tribunal d’appel n’a accepté d’entendre que deux témoins. Il est évident que le tribunal d’appel n’a pas passé outre à la question de savoir si les témoignages étaient indispensables. Pour ce qui est des deux témoins qu’il a accepté d’entendre, le tribunal d’appel déclare, à la page 8 :

Les témoignages de Mmes Verne Lewis-Thompson et de Jacqueline-Deborah Robertson, si on leur donne foi, auraient certainement influé sur le résultat de l’audience. Dans son témoignage, le général Ashley déclare que l’état matrimonial n’était pas un motif, mais les deux témoins l’auraient entendu dire le contraire. En conséquence, il faudrait faire entendre ces personnes et c’est ce que le tribunal ordonne.

Je suis convaincu que le tribunal d’appel a décidé que le témoignage de ces deux personnes était indispensable.

Pour ce qui est des principes énoncés dans l’arrêt Palmer, il est évident que le tribunal d’appel en a tenu compte. À la page 6 de sa décision, le tribunal d’appel déclare :

Le présent tribunal d’appel est d’avis que les principes formulés dans l’arrêt Palmer c. La Reine, précité, sont plus importants que des questions de procédure telles que les règles de preuve et, en conséquence, qu’ils font partie de l’examen visant à déterminer si les éléments de preuve que l’on a l’intention de faire valoir sont « indispensable(s) à la bonne administration de la justice ». Ces principes précisent ou rationalisent les considérations dont doit tenir compte le tribunal d’appel lorsqu’il détermine si l’admission d’autres éléments de preuve sert la « bonne administration de la justice ». Il en résulte que le tribunal d’appel doit néanmoins exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 56(4) en respectant ces principes, peu importe l’objet de la loi, l’interprétation large et libérale qui doit lui être donnée et l’assouplissement des règles de preuve qu’elle renferme …

En appliquant cette décision judiciaire à l’espèce …

Quant aux deuxième, troisième et quatrième critères posés dans l’arrêt Palmer, le tribunal d’appel a estimé que le témoignage de ces deux personnes était pertinent et plausible à première vue et qu’il était tel que, si l’on y ajoutait foi, il aurait influé sur le résultat. Le tribunal d’appel a déclaré, aux pages 6 et 7 :

… le présent tribunal est disposé à autoriser l’appelant à faire comparaître deux autres témoins, Mmes Verne Lewis-Thompson et Jacqueline-Deborah Robertson. À l’époque en cause, ces deux personnes étaient respectivement secrétaires du général Garland et du général Patrick. Les témoignages que l’on demande à faire entendre indiquent que les généraux pour lesquels les témoins travaillaient et le général Ashley ont discuté à de nombreuses reprises de la promotion éventuelle de l’appelant. Ces témoignages montrent que le général Ashley a exprimé de sérieuses réserves au sujet de la promotion de l’appelant à cause de l’état matrimonial de ce dernier.

Les témoignages que l’on cherche à faire entendre semblent, aux fins de la présente demande, pertinents et plausibles à première vue, et ils sont tels que si l’on y ajoute foi, on peut raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, ils auraient influé sur le résultat.

Le tribunal d’appel a également parlé du critère de la diligence raisonnable. À la page 8 de sa décision, le tribunal d’appel déclare :

Le présent tribunal est d’avis que, en matière de droits de la personne, il est possible d’assouplir le critère de la diligence raisonnable si les autres principes sont respectés.

Le tribunal d’appel a-t-il commis une erreur en assouplissant ce critère? Je ne le crois pas. Les principes posés dans l’arrêt Palmer ont été qualifiés de lignes directrices en matière d’admission par un tribunal d’appel de nouveaux éléments de preuve. Dans l’arrêt Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M.(C.), [1994] 2 R.C.S. 165, le juge L’Heureux-Dubé déclare en effet, à la page 185 :

Les critères qui ont guidé les tribunaux dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’ils ont de recevoir une nouvelle preuve en appel ont été examinés dans un certain nombre d’arrêts, tant en matière criminelle que civile, dont se sont dégagées des lignes directrices. [C’est moi qui souligne.]

Certes, le deuxième, le troisième et le quatrième principes de l’arrêt Palmer sont formulés de manière impérative « [l]a déposition doit être pertinente … [l]a déposition doit être plausible … et elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser … [qu’]elle aurait influé sur le résultat ». En fait, il est difficile de voir comment on pourrait justifier la réception de nouveaux éléments de preuve si ces éléments ne satisfont pas déjà aux trois critères en question. Le principe de la diligence raisonnable est toutefois libellé de façon un peu moins rigoureuse [à la page 775] :

On ne devrait généralement pas admettre une déposition … à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles.

Ces termes permettent de conclure qu’on peut faire preuve d’une plus grande souplesse dans l’application du principe de la diligence raisonnable que dans celle des trois autres principes.

En outre, la décision rendue au sujet de la diligence raisonnable a été qualifiée de décision discrétionnaire au sens le plus large. Dans l’arrêt Lo c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] F.C.J. no 1474 (C.A.) (QL), le juge [Hugessen, J.C.A.] déclare, à la page 3 :

Bien qu’il ne fasse aucun doute que nous puissions exercer notre pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de l’exigence selon laquelle il doit avoir été possible de découvrir la preuve « en usant d’une diligence raisonnable » …

Il ressort des propos du juge Hugessen, J.C.A. que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la diligence raisonnable, le tribunal peut même passer outre à cette condition.

Compte tenu de cette façon d’aborder la question de la diligence raisonnable, je conclus sans hésiter que le tribunal d’appel n’a pas commis d’erreur en adoptant une approche plus souple en ce qui concerne la condition relative à la diligence raisonnable après s’être dit convaincu que les autres principes posés dans l’arrêt Palmer avaient été respectés dans cette affaire.

Quant à la question de savoir si des éléments de preuve concernant la diligence raisonnable ont été présentés devant le tribunal d’appel, le dossier qui m’a été soumis ne révèle pas l’existence du genre d’éléments de preuve auxquels on s’attendrait normalement. Il n’y a aucun indice au sujet des démarches que le premier avocat aurait entreprises pour découvrir les éléments de preuve ou au sujet de la raison précise pour laquelle ceux-ci n’étaient pas connus avant l’audience initiale. Il semble toutefois qu’on ait laissé entendre que l’avocat ne s’était pas acquitté convenablement de ses responsabilités professionnelles. On a soutenu que, comme le lieutenant-colonel Lambie n’était pas représenté par son propre avocat (il était représenté par l’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne), il ne devrait pas avoir à subir de préjudice en raison de la faute de l’avocat. Bien que le tribunal d’appel n’ait pas expressément retenu ces arguments, il ressort de son exposé de ces questions et de sa décision d’assouplir la condition relative à la diligence raisonnable, qu’il doit y avoir accordé un certain poids.

Le défaut de l’avocat de s’acquitter de ses responsabilités professionnelles justifie-t-il d’assouplir la condition relative à la diligence raisonnable? L’avocat du requérant a appelé mon attention sur des décisions comme l’arrêt Goldner c. Société Radio-Canada (1974), 13 C.P.R. (2d) 230 (C.A.F.), dans lequel le juge suppléant Hyde a conclu que l’ineptie de l’avocat ne justifiait pas la Cour d’appel fédérale de recevoir de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel interjeté d’une décision de la Section de première instance.

Le dossier ne permet pas de savoir avec certitude ce qui s’est passé entre le lieutenant-colonel Lambie et l’avocat de la Commission, ni de savoir s’il s’agissait d’un cas d’ineptie de la part de l’avocat. Dans un cas évident d’ineptie de la part de l’avocat qui occupe pour une partie, la Cour d’appel fédérale pourrait fort bien rejeter la demande d’admission de nouveaux éléments de preuve en appel. Toutefois, la décision discrétionnaire rendue en l’espèce relevait du tribunal d’appel, qui devait exercer son pouvoir discrétionnaire selon sa perception de l’ensemble des circonstances. Ce n’est pas une décision que notre Cour devrait modifier en substituant sa propre opinion à celle que s’est formée le tribunal d’appel au sujet de la façon de considérer la faute présumée de l’avocat et les rapports ou l’absence de rapports entre le lieutenant-colonel Lambie et l’avocat en question.

L’avocat du requérant soutient également que le tribunal d’appel n’a pas bien abordé la condition relative à la crédibilité qui se trouve dans les principes dégagés dans l’arrêt Palmer, parce qu’il n’a pas demandé de déclarations sous serment des témoins potentiels et qu’il ne s’en est remis qu’à un résumé de ce que les témoins allaient dire s’ils étaient appelés à témoigner. Il n’y a rien dans l’arrêt Palmer ou dans l’une ou l’autre des autres décisions qui m’ont été citées qui indique que, pour décider si les éléments de preuve proposés sont dignes de foi, le tribunal doit fonder sa décision uniquement sur des déclarations verbales ou écrites sous serment. Il est vrai que, dans les instances judiciaires, c’est probablement la seule façon dont de tels éléments de preuve proposés seraient portés à la connaissance de la Cour. C’est également une façon de procéder qu’il est souhaitable de suivre. Mais les tribunaux des droits de la personne peuvent recevoir des renseignements autrement que par déclaration verbale ou écrite sous serment. L’alinéa 50(2)c) de la Loi dispose :

50. …

(2) Pour la tenue de ses audiences, le tribunal a le pouvoir :

c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

En droit, je ne crois pas qu’un tribunal d’appel commette une erreur s’il décide d’entendre de nouveaux témoignages sur le fondement de renseignements communiqués sans serment ou de déclarations « d’intention de déclarer », dès lors qu’il conclut que les renseignements sont dignes de foi, en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi.

Dans la décision Cook v. Mounce (1979), 26 O.R. (2d) 129 (Cour div.), le juge Griffiths déclare, à la page 131 :

[traduction] … le juge Kelly ne disposait d’aucun élément qui lui aurait permis de conclure qu’il s’agissait d’une preuve vraisemblablement « digne de foi ». L’appelant, qui a témoigné devant le juge Kelly, n’a exposé la preuve proposée qu’en des termes très vagues et sous forme de résumé.

Je suis d’accord pour dire qu’il est possible que les éléments de preuve qui sont vagues et qui sont présentés sous forme de résumé très abrégé soient insuffisants pour permettre à un tribunal d’appel de déterminer s’ils sont dignes de foi. Mais, en l’espèce, les déclarations d’« intention de déclarer » permettent de connaître la position des témoins proposés, ainsi que la raison pour laquelle elles seraient au courant des conversations qu’elles affirment avoir entendues. On mentionne le nom des personnes qui ont participé à ces discussions et des détails au sujet des points précis qui ont été abordés au cours de ces conversations. Évidemment, les témoins proposés feront l’objet d’un contre-interrogatoire lors de l’audience du tribunal d’appel. Le fait qu’un tribunal d’appel décide de recevoir des éléments de preuve ou d’entendre des témoignages sur le fondement des principes dégagés dans l’arrêt Palmer ne signifie pas qu’il a tranché de façon définitive la question de leur crédibilité. Il est loisible au tribunal d’appel, après avoir entendu les témoignages directs et le contre-interrogatoire, de rejeter les témoignages en question si, en dépit de sa décision de les recevoir, il conclut qu’ils ne sont pas dignes de foi en tout ou en partie.

L’avocate du lieutenant-colonel Lambie souligne que, comme le montre la transcription du plaidoyer qu’elle a fait devant le tribunal d’appel, elle a précisé qu’elle était disposée à présenter sous forme d’affidavit les déclarations d’« intention de déclarer » des témoins que l’on se proposait de faire entendre. Le tribunal d’appel n’a pas insisté sur la question. Les autres avocats n’y ont fait aucune allusion. Je crois qu’il serait malheureux que cette objection soit retenue après que l’avocate a offert de communiquer les déclarations sous forme d’affidavits formels et qu’aucune suite n’a été donnée à cette offre.

Finalement, nous devons nous prononcer sur la question des intérêts de la justice et sur celle du préjudice. Le public et les particuliers ont intérêt à ce que les litiges prennent fin, et c’est la raison pour laquelle des principes comme celui de l’autorité de la chose jugée que l’avocat du procureur général a mentionné existent. Mais le paragraphe 56(4) de la Loi est une disposition d’appel. Tant qu’une décision peut être portée en appel, elle n’est pas définitive.

L’avocat du requérant prétend que permettre au tribunal d’appel d’entendre de nouveaux témoignages dans le cadre du présent appel créerait un dangereux précédent. Toutefois, le tribunal d’appel a lui-même pris la décision, sur le fondement des renseignements dont il disposait, de recevoir les nouveaux témoignages. Sa décision est une décision discrétionnaire. Je ne vois pas comment on pourrait dire qu’elle crée un précédent.

Dans la décision Cook v. Mounce, le juge Griffiths a parlé de la difficulté qu’éprouvent les juges à rendre une décision au sujet de la crédibilité en se fondant en partie sur une transcription et en partie sur des témoignages. Dans sa décision, le tribunal d’appel a précisé qu’il préférait accorder à chaque partie la possibilité de présenter toute sa preuve, y compris les éléments de preuve récemment admis. Mais il a reconnu qu’il n’avait pas le pouvoir d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Le paragraphe 56(4) de la Loi prévoit, non pas que le tribunal d’appel doit procéder à une instruction entièrement nouvelle, mais plutôt qu’il doit fonder sa décision sur le dossier du tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel, sur les observations des parties intéressées et sur les nouveaux éléments de preuve ou témoignages qu’il estime indispensables à la bonne administration de la justice. Bien qu’il puisse être difficile de rendre une décision sur la crédibilité en se fondant en partie sur une transcription et en partie sur des témoignages, c’est la procédure que la loi prescrit de suivre.

Il y a également la question du préjudice causé au requérant. Je crois que la réponse à cette question se trouve dans la procédure établie par le tribunal d’appel. Le tribunal d’appel a déclaré qu’il recevrait le témoignage de deux autres personnes et qu’il permettrait la présentation d’une contre-preuve, notamment par la convocation de nouveaux témoins et la nouvelle comparution de personnes qui avaient déjà été appelées à témoigner. Il me semble que cette façon de procéder répond entièrement à la question du préjudice.

On m’a informé que la date de l’audience du tribunal d’appel a été fixée au 5 décembre 1994, et que les nouveaux témoignages qui seront entendus pour le compte du lieutenant-colonel seront brefs. On a laissé entendre qu’ils ne dureraient pas plus d’une journée. Il ne semble pas que la possibilité de faire entendre d’autres témoins en l’espèce donne lieu à une instance très longue.

Par ces motifs, la présente demande est rejetée.



[1] Le grade ou le statut actuel du lieutenant-colonel Lambie n’a pas été précisé et, dans la présente décision, il sera désigné sous le nom de lieutenant-colonel Lambie.

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