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société canadienne des postes c. canada

A-372-93

Société canadienne des postes (appelante) (requérante)

c.

Ministre des Travaux publics et Michael Duquette (intimés) (intimés)

et

Commissaire à l'information du Canada (intervenant)

Répertorié: Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) (C.A.)

Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Létourneau, J.C.A."Ottawa, 23 janvier et 10 février 1995.

Accès à l'information " Appel d'une décision par laquelle la Section de première instance a déclaré que les documents constitués par Travaux Publics Canada en sa qualité de mandataire de la Société canadienne des postes relevaient d'une institution fédérale " L'expression "relevant de" l'art. 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information n'est pas définie et n'est assujettie à aucune limite " La Loi confère aux citoyens un droit efficace d'accès aux documents de l'administration fédérale " Les documents que TPC constitue dans le cadre de l'exécution de son contrat avec la SCP appartiennent à TPC " Documents recueillis par une institution fédérale dans le cadre de l'exécution de ses fonctions officielles.

Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle le juge Roth- stein a déclaré que des documents constitués par Travaux publics Canada (TPC) pour être utilisés dans le cadre de services de gestion d'immeubles et de services connexes qu'il rendait en qualité de mandataire de la Société canadienne des postes (SCP) "relevaient d'une institution fédérale" au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information . L'intimé Duquette, un représentant du SCP, a présenté des demandes en vertu de la Loi en vue d'obtenir la communication de documents qui se trouvaient en la possession de TPC et qui concernaient les biens de la SCP. TPC a fait connaître son intention de refuser de communiquer tous les documents à l'égard desquels la SCP était un tiers, mais de communiquer le reste des renseignements contenus dans les documents, y compris un imprimé d'ordinateur révisé des biens de la SCP. Saisi de la requête préliminaire par laquelle la SCP lui demandait de déterminer si la Loi s'appliquait aux documents en question, le juge saisi de la requête a refusé d'annuler la décision de TPC en disant que les documents relevaient de TPC.

Arrêt (le juge Marceau, J.C.A. étant dissident): l'appel doit être rejeté.

Le juge Létourneau, J.C.A.: L'expression "relevant de" que l'on trouve au paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information constitue une notion qui n'est pas définie et qui n'est assujettie à aucune limite. Il incombe aux cours de justice de donner à cette disposition une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, sans ajouter des termes restrictifs qui ne se trouvent pas dans la Loi. La Cour n'a pas le pouvoir de limiter le sens large de l'expression "relevant de", étant donné que le législateur fédéral voulait conférer par la loi aux citoyens un droit d'accès efficace aux documents de l'administration fédérale. TPC exerçait un pouvoir quotidien de gestion et d'administration sur les documents qu'il créait et qui étaient en sa possession et sous sa garde. Il résulte du rapprochement des articles 2 et 4 de la Loi que les documents qui relèvent d'une institution fédérale répondent à la définition de "documents de l'administration fédérale" et que le législateur fédéral voulait que la Loi ait une application large et libérale et que les exceptions au droit du public à la communication de ces documents soient précises et limitées. Le paragraphe 4(1) contient une "disposition dérogatoire" qui fait en sorte que la Loi l'emporte sur toute autre loi fédérale. Les documents constitués par TPC dans le cadre de l'exécution de son contrat avec l'appelante appartenaient à TPC et ont été recueillis par cette institution fédérale dans l'exécution de ses fonctions officielles. Les renseignements contenus dans ces documents constituaient des renseignements de l'administration fédérale assujettis à la Loi.

Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): L'expression "relevant de" à l'article 4 de la Loi n'a pas été utilisée par le législateur fédéral dans le seul sens d'être entre les mains ou la possession de quelqu'un. Il faut que l'expression "relevant de" signifie davantage qu'une simple possession matérielle. Ces mots supposent un pouvoir, tandis que le terme "possession" implique simplement la garde. L'historique de la Loi indique que, pour le législateur fédéral, il fallait attribuer à l'expression "relevant de" un sens caractéristique qui soit différent de celui de la simple possession et qui dépasse de beaucoup le sens de ce dernier terme. Le seul élément qui, dans le contexte de la Loi, permettrait de distinguer valablement entre les expressions "relevant de" et "simple possession" est l'autorité ou la direction qui peut être exercée sur les renseignements contenus dans le document. On peut dire qu'un document ou un renseignement relève d'une institution si celle-ci peut considérer que le renseignement ou le document en question lui appartient de sorte qu'elle peut le conserver ou en disposer indépendamment de sa nature ou de son contenu et malgré toute objection formulée par la personne concernée. Ces conditions ne sont réunies que lorsque le document a été constitué ou créé par l'institution dans le cadre de l'exécution de ses fonctions officielles. On ne saurait affirmer que TPC exerçait des "fonctions officielles" lorsqu'il exécutait l'entente qu'il a conclue avec la SPC. On peut dire qu'un ministère exerce des fonctions officielles uniquement lorsqu'il agit dans le cadre de la mission que le législateur fédéral ou le gouverneur en conseil lui ont confiée aux termes d'une loi fédérale. Les documents et les renseignements que l'intimé a demandés n'étaient pas soumis à l'obligation de communication prévue par la Loi sur l'accès à l'information .

lois et règlements

Freedom of Information Act, 5 U.S.C. 552 (1982).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 3 "institution fédérale", "tiers", 4 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144), 20(1),(2), 44 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 8(3) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 12), 10(3).

Loi sur les travaux publics, L.R.C. (1985), ch. P-38, art. 9(3) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 13, art. 1).

jurisprudence

décision examinée:

Department of Justice v. Tax Analysts, 492 U.S. 136 (1989).

décisions mentionnées:

Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; (1993), 152 N.R. 99; Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143; [1988] 5 W.W.R. 151; (1988), 59 Alta. L.R. (2d) 353; 18 F.T.R. 15 (1re inst.); Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480; (1989), 23 C.P.R. (3d) 297; 24 F.T.R. 62 (1re inst.); Warburton v. Loveland (1832), 6 E.R. 806 (H.L.); Bank of England v. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107 (H.L.).

doctrine

Canada. Conseil du Trésor. Politiques et lignes directrices concernant l'information et la protection des renseignements personnels. Ottawa: Conseil du Trésor du Canada, 1992.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Le Nouveau Petit Robert. Paris: Dictionnaires Le Robert, 1993.

APPEL d'une décision ([1993] 3 C.F. 320) par laquelle la Section de première instance a déclaré que des documents constitués par TPC pour être utilisés dans le cadre de services de gestion d'immeubles et de services connexes qu'il rendait en qualité de mandataire de la SCP "relevaient d'une institution fédérale" au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information . Appel rejeté.

avocats:

John B. Laskin pour l'appelante (requérante).

Nanette Rosen pour l'intimé (intimé) le ministre des Travaux publics.

Timothy G. M. Hadwen pour l'intimé (intimé) Michael Duquette.

Daniel Brunet pour l'intervenant.

procureurs:

Tory Tory Deslauriers & Binnington, Toronto, pour l'appelante (requérante).

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé (intimé) le ministre des Travaux publics.

Cavalluzzo, Hayes, Shilton, McIntyre & Cornish, Toronto, pour l'intimé (intimé) Michael Duquette.

Services juridiques, Bureau du Commissaire à l'information du Canada, pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): Les deux principales dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, sont les articles 2 et 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144]. Le premier expose l'objet de la Loi, le second, le droit qu'elle crée. En voici le texte:

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

(2) La présente loi vise à compléter les modalités d'accès aux documents de l'administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l'accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public.

. . .

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, étendre, conditionnellement ou non, le droit d'accès visé au paragraphe (1) à des personnes autres que celles qui y sont mentionnées.

(3) Pour l'application de la présente loi, les documents qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s'ils n'existent pas en tant que tels au moment où ils font l'objet d'une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l'institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation.

À la lecture de ces dispositions, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'on y emploie des termes dont le sens ne saute pas aux yeux. Qu'entend-on par "relevant d'"une institution ("under the control")? Ce sont des mots clés, étant donné que la portée même de la loi dépend de la définition que l'on donne de ces termes. C'est le point litigieux qui constitue l'objet du présent appel interjeté du jugement rendu par la Section de première instance [[1993] 3 C.F. 320]. Plus précisément, la question qui se pose est celle de savoir si la Loi sur l'accès à l'information s'applique aux documents qui se trouvent en la possession d'une institution fédérale en vertu d'un acte sous seing privé aux termes duquel l'institution exécute des services pour un particulier. Situons la question en litige dans son contexte factuel et procédural pour mieux la cerner.

Depuis 1981, la Société canadienne des postes (Postes Canada) est une société d'État fédérale qui a pour mission d'exploiter un service postal au Canada tout en assurant son autonomie financière. Ce n'est pas une "institution fédérale", selon le sens que la Loi sur l'accès à l'information (la Loi) [article 3] donne officiellement à cette expression. Postes Canada a toutefois retenu les services du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (Travaux publics) pour la gestion de ses biens. Travaux publics est autorisé, en vertu de sa loi habilitante, à conclure des contrats de gestion de biens commerciaux avec des personnes qui n'ont aucun lien avec le gouvernement [Loi sur les travaux publics] (L.R.C. (1985), ch. P-38, art. 9 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 13, art. 1]). L'arrangement est régi par deux ententes, l'Entente détaillée sur la gestion des biens immobiliers et les services (l'entente de 1984) et la Convention de gestion relative aux subventions en remplacement d'impôts (l'entente de 1988). Les deux contrats stipulent que les rapports entre les parties sont ceux qui existent entre un mandant et un mandataire et que les documents se rapportant aux biens de Postes Canada sont conservés par Travaux publics. L'entente de 1988 prévoit expressément que les documents se rapportant à Postes Canada sont la propriété de Postes Canada et qu'ils doivent lui être rendus à l'expiration de l'entente. L'entente de 1984 ne contient pas de stipulation aussi précise, mais son article 3.2 interdit à Travaux publics de "divulguer des renseignements concernant un bail de la Société canadienne des Postes sans le consentement préalable écrit de Postes Canada" et de discuter ou de communiquer quelque renseignement que ce soit concernant Postes Canada à toute personne qui ne fait pas partie de Travaux publics.

En février 1991, l'intimé Michael Duquette, un représentant syndical du Syndicat des postiers du Canada, a présenté huit demandes en vertu de la Loi en vue d'obtenir la communication de documents qui se trouvaient en la possession de Travaux publics et qui concernaient les biens de Postes Canada. Travaux publics a déterminé que 53 volumes de documents et deux imprimés d'ordinateur constituaient des documents qui étaient visés par les demandes. Mise au courant des demandes, Postes Canada a répondu qu'elle n'était pas assujettie à la Loi sur l'accès à l'information et que, comme les documents en question étaient détenus par Travaux publics uniquement en qualité de mandataire, la Loi ne s'appliquait pas. Elle a en outre déclaré que les dispenses de communication prévues aux alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi constituaient un autre motif de refuser la communication des documents. Ces arguments n'ont cependant pas convaincu Travaux publics.

Par lettre datée du 23 juillet 1991, Travaux publics a fait connaître son intention de: (1) refuser, en vertu des alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi, de communiquer tous les documents à l'égard desquels Postes Canada était un tiers; (2) communiquer le reste des renseignements contenus dans les documents; (3) communiquer un imprimé d'ordinateur révisé des biens de Postes Canada indiquant la municipalité, l'adresse municipale, le type de bien et le nom du bien au motif que ces renseignements étaient déjà publics. Postes Canada ne pouvait empêcher la communication des documents qu'en intentant une poursuite en justice.

Le 12 août 1991, Postes Canada a transmis un avis de recours en révision conformément à l'article 44 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45] de la Loi11 44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(5)b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

(2) Le responsable d'une institution fédérale qui a donné avis de communication totale ou partielle d'un document en vertu de l'alinéa 28(5)b) ou du paragraphe 29(1) est tenu, sur réception d'un avis de recours en révision de cette décision, d'en aviser par écrit la personne qui avait demandé communication du document.

(3) La personne qui est avisée conformément au paragraphe (2) peut comparaître comme partie à l'instance. relativement à la décision de Travaux publics de communiquer les documents. À la suite d'une série de conférences préparatoires à l'instruction, il a été convenu par les parties, et ordonné par le juge en chef adjoint, que la demande serait scindée en deux parties et que l'on demanderait d'abord à la Cour de déterminer si la Loi s'appliquait aux documents en question. Aux termes d'une décision rendue le 3 juin 1993, le juge saisi de la requête a rejeté la demande préliminaire et a refusé d'annuler la décision de Travaux publics au motif que les documents ne relevaient pas de Travaux publics. C'est cette décision qu'on demande maintenant à la Cour de réviser.

À l'appui de sa décision, le juge saisi de la requête a prononcé des motifs fouillés, clairs et bien présentés dans lesquels il examine chacun des moyens invoqués par les parties, Postes Canada et Michael Duquette22 Travaux publics n'a pas pris position devant le juge saisi de la requête et ce n'est qu'au niveau de l'appel que le Commissaire à l'information a demandé et obtenu la permission d'intervenir. . Je me propose d'examiner en détail les motifs en question; pour ce faire, j'aborderai toutes les prétentions formulées par les avocats, lesquelles prétentions étaient essentiellement les mêmes devant la Cour d'appel.

Le juge commence son raisonnement en formulant des observations au sujet de la qualité des parties et de la relation contractuelle qui les unit. La qualité de représentant syndical de M. Duquette, écrit le juge, ne constitue pas une considération pertinente, étant donné que le droit d'accès aux documents appartient à tout citoyen canadien. Le fait que Postes Canada soit une société d'État ne constitue pas non plus un facteur à retenir, étant donné que, comme elle ne figure pas à l'annexe 1 de la Loi, Postes Canada répond à la définition de tiers donnée à l'article 3 de la Loi33 3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"tiers" Dans le cas d'une demande de communication de document, personne, groupement ou organisation autres que l'auteur de la demande ou qu'une institution fédérale. . Quant à la relation qui existe entre Postes Canada et Travaux publics, il s'agit de toute évidence d'une relation de mandant et de mandataire fondée sur une entente qui prévoit que les renseignements obtenus par le mandataire doivent être considérés comme confidentiels. En l'absence de dispositions législatives dérogatoires, Travaux publics ne pouvait divulguer les renseignements de Postes Canada qui se trouvaient en sa possession. S'il le faisait, il contrevenait au contrat de mandat.

La question qui se pose, précise le juge, est celle de savoir si une telle entente"ou la relation de mandant et de mandataire comme telle"écarte l'application de la Loi. La Loi ne prévoit nulle part qu'elle ne s'applique pas aux documents qui sont en la possession d'une institution fédérale en sa qualité de mandataire d'un tiers. L'argument qu'un document qui se trouve en la possession d'une institution fédérale du fait de la relation entre le mandant et le mandataire n'est pas un document "relevant de l'institution fédérale" ("under the control of the government institution") au sens de la Loi est mal fondé. L'expression "relevant de" ("control") n'est pas définie dans la Loi, et l'on ne peut se fonder sur les définitions que les dictionnaires en donnent parce que cette expression est susceptible de revêtir une foule de sens, selon le contexte dans lequel elle est employée. Ainsi, on pourrait affirmer que, dans un sens, les documents "relèvent" de Postes Canada, alors que, dans un autre sens, ils "relèvent" de Travaux publics.

Ce ne sont pas les définitions lexicographiques, mais plutôt l'objet et l'économie de la Loi qui doivent servir de guide, poursuit le juge. La Loi a pour objet de donner accès aux "documents de l'administration fédérale". La Loi ne définit pas cette expression. Le paragraphe 2(1) permet toutefois de penser qu'elle pourrait désigner tous les renseignements contenus dans les documents se trouvant entre les mains d'une institution fédérale. On ne peut modifier l'expression "relevant de" ("control") selon la façon dont une institution fédérale entend utiliser les documents ou la mesure dans laquelle elle peut en disposer. L'expression "relevant de" ne peut pas non plus être modifiée par un acte sous seing privé conclu entre une institution fédérale et un tiers. Suivant le juge, la Loi a pour objet de viser tous les documents et de permettre ensuite des exceptions; tous les documents en la possession de l'administration fédérale sont soumis à la Loi"et doivent par conséquent être communiqués"à l'exception des documents qui sont expressément exemptés. La Section de première instance a déjà adopté un point de vue identique au sujet de la Loi dans les jugements Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) , [1989] 1 C.F. 143 et Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480.

Le juge décline ensuite l'invitation de l'avocat d'accorder une certaine importance aux Politiques et lignes directrices concernant l'information et la protection des renseignements personnels du Conseil du Trésor en ce qui concerne la définition de l'expression "relevant de" ("control"). Ce document peut faciliter l'interprétation mais il ne lie pas l'administration fédérale ou la Cour. Les lignes directrices ne sont d'aucun secours pour déterminer ce qu'est un document relevant d'une institution fédérale lorsque le document en la possession de celle-ci est celui d'un tiers.

Le juge refuse également d'accorder de l'importance au fait que la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et les lois provinciales relatives à l'accès à l'information emploient en anglais les expressions "held", "custody or control" et "possession" outre le terme "control". L'argument de l'appelante suivant lequel on doit en conclure que l'expression "relevant de" ("control"), telle qu'elle est employée dans la Loi sur l'accès à l'information , doit être interprétée de façon plus restrictive est mal fondé. Aucune preuve n'a été présentée pour expliquer pourquoi ces expressions ont été employées dans les autres lois. Qui plus est, la tâche de la Cour consiste à vérifier le sens de l'expression "documents relevant d'une institution fédérale" en examinant à la fois le libellé et le contexte de la Loi sur l'accès à l'information . Compte tenu de l'économie de la Loi et de la jurisprudence, il existe des raisons convaincantes de conclure que l'expression vise les documents qui sont en la possession d'une institution fédérale et que cette expression n'a pas un sens plus restreint.

Le juge exprime finalement son désaccord complet avec la prétention que les documents ne peuvent être communiqués que si Travaux publics en a la possession légale, et non simplement la possession matérielle. Cette distinction peut être pertinente dans le contexte de la communication préalable de documents, mais on ne saurait faire une analogie entre la communication préalable de documents dans le cadre d'un procès et l'accès aux documents prévu par la Loi. La communication préalable de documents s'inscrit dans le cadre d'une procédure fondée sur le principe du débat contradictoire et le critère principal qui s'y applique est celui de la pertinence. Par contraste, l'accès prévu par la Loi repose sur l'intérêt du public dans la communication et non sur l'intérêt privé des parties au litige. Plusieurs des exceptions qui justifient le caractère confidentiel des documents sous le régime de la Loi ne pourraient être invoquées dans le cadre de la communication préalable. Les considérations applicables à la communication et au caractère confidentiel des documents dans le cadre de la Loi constituent un code en elles-mêmes et on ne peut à bon droit les interpréter en se reportant aux considérations spécifiques à la procédure de communication préalable. Le fait qu'une institution fédérale ait en sa possession des documents, au sens légal ou matériel du terme, suffit pour que ces documents soient assujettis à la Loi.

Voilà, si j'ai bien compris, l'essence du raisonnement du juge saisi de la requête et la suite qu'il a donnée aux divers moyens invoqués par les parties. Je suis conscient du fait que mon résumé est loin de rendre justice à la précision et au détail de ses motifs, mais je crois avoir suivi assez fidèlement ses pensées. Au cours de mon analyse, lorsque j'aborderai les mêmes points que lui, il deviendra manifeste que je partage bon nombre de ces pensées. Il n'en reste pas moins que je ne partage pas sa conclusion principale et ce désaccord constituera mon point de départ.

1. Ma première proposition est qu'il n'est pas possible que, telle qu'elle est employée dans la Loi, spécialement à l'article 4 où le droit est créé, l'expression "relevant de" ("under the control of") ait été utilisée par le législateur dans le seul sens d'être entre les mains ou la possession de quelqu'un. Dans l'esprit des rédacteurs de la Loi et du législateur fédéral, il fallait que l'expression "relevant de" ("control") signifie davantage qu'une simple possession matérielle. Je fonde mon affirmation sur plusieurs motifs qui sont étroitement liés.

Le premier motif à mentionner est que, dans leur sens normal et juste, les mots "relevant de" ("control") et "possession" ("possession") ne désignent pas le même concept. Les mots "relevant de" ("control") supposent un pouvoir, tandis que le terme "possession" implique simplement la garde. Il est vrai que ces mots sont employés de façon interchangeable dans certains contextes, mais cela tient au fait que, normalement, l'un est l'attribut de l'autre. La possession est habituellement une conséquence du contrôle. Dire, comme le juge l'affirme et comme l'avocate de l'intimé le répète, qu'une personne qui a la possession d'une chose exerce un certain pouvoir ("control") sur cette chose signifie simplement que cette personne exerce l'un des attributs fondamentaux du pouvoir ("control"). Le pouvoir ne peut être partiel. Bien que je sois disposé à souscrire au raisonnement du juge saisi de la requête suivant lequel les définitions des dictionnaires ne peuvent à elles seules résoudre le problème, force est de reconnaître que, dans le langage courant mais correct, les mots "relevant de" et "possession" ("control" et "possession") n'ont pas le même sens et qu'ils ne peuvent être pris l'un pour l'autre.

Un deuxième motif est que l'on ne peut présumer que le législateur fédéral a employé l'expression "relevant de" ("control") au lieu d'expressions plus simples comme "entre les mains de" ("in the hands of") ou "en la possession de" ("in the possession of") sans être conscient de la différence qui existe entre elles, qu'il les a employées par accident ou par inadvertance, pour ainsi dire. Non seulement cette expression constitue-t-elle une des expressions clés de la nouvelle loi, mais encore la Loi sur la protection des renseignements personnels , qui a été débattue et édictée en même temps (voir S.C. 1981-82-83, ch. 111), comporte-t-elle des termes différents ou combine-t-elle le mot anglais "control" avec d'autres mots. Ainsi, dans la version anglaise de la Loi sur la protection des renseignements personnels , le législateur emploie, à l'article 2 et aux paragraphes 8(3) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 12] et 10(3), les expressions "held by a government institution" et "under the custody or control". L'absence d'uniformité ne pouvait passer inaperçue.

Un autre motif est que l'historique de la Loi donne, à mon sens, une indication indéniable que, pour le législateur fédéral, il fallait attribuer à l'expression "relevant de" ("control") un sens caractéristique qui soit différent de celui de la simple possession et qui dépasse de beaucoup le sens de ce dernier terme. Je reproduis à nouveau, par souci de commodité, la disposition centrale de la Loi, le paragraphe 4(1), dans les deux versions, anglaise et française:

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration. [C'est moi qui souligne.]

L'expression française qui correspond au terme anglais "control" est, comme nous l'avons souligné, l'expression "relevant de". Il est évident que le législateur a éprouvé certaines difficultés à choisir le mot juste. Le mot "contrôle" existe évidemment en français, mais il semble qu'on ne peut pas l'employer relativement à une chose, spécialement un document. Dans la loi originale de 1982, l'expression de la version française qui correspondait à "records under the control of a government institution" (tant à l'article 2, qui énonce l'objet de la Loi, qu'à l'article 4, que nous avons reproduit) était "documents de l'administration fédérale". Cette expression n'a pas été modifiée dans les lois révisées de 1985. Ce n'est qu'en 1992, dans une loi qui aurait été édictée essentiellement pour corriger certaines anomalies, contradictions, archaïsmes et erreurs contenues dans les lois du Canada4 4 L.C. 1992, ch. 1. , que le législateur fédéral a modifié le paragraphe 4(1) de la version française en y insérant le mot "relevant", qui était déjà employé dans d'autres dispositions de la Loi. Pourquoi a-t-on procédé à cette modification? De toute évidence, parce qu'on estimait que le mot anglais "control" avait un sens que la préposition française "de" ne communiquait pas adéquatement. La préposition "de" sert le plus souvent à signifier l'appartenance. L'expression "relevant de" qui a été insérée était-elle plus proche du mot anglais "control" et était-elle plus claire? Peut-être que non, bien qu'il y ait lieu de noter que le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert donne la définition suivante de l'expression "relevant de" au figuré: "être du domaine de", ce qui indique beaucoup plus clairement un "lien direct" que la simple préposition anciennement utilisée. Mais quoi qu'il en soit, je demeure convaincu que l'expression anglaise "records under the control of a government institution" ("documents relevant de l'administration fédérale") ne signifie pas simplement "government institution's records" ("documents de l'administration fédérale") ou "records in the possession of" ou "in the hands of a government institution" (documents se trouvant en la possession ou entre les mains de l'administration fédérale), lesquelles expressions sont toutes les trois correctement exprimées en français par les mots initialement employés "documents d'une institution fédérale".

Un dernier motif encore plus convaincant d'affirmer que l'expression anglaise "under the control of" n'est pas l'équivalent des expressions "in the possession of" ou "in the hands of" peut être exprimé fort simplement. Il me semble qu'interpréter la Loi de cette façon pourrait conduire à des résultats absurdes, étant donné qu'elle ne viserait pas les documents qui appartiennent à l'administration fédérale mais qui ont été confiés à un gardien extérieur, alors qu'elle s'appliquerait à des documents se retrouvant entre les mains d'une institution par accident ou illégalement (comme dans le cas d'une saisie illégale). Il n'y aurait rien dans la Loi pour empêcher des conséquences aussi insensées.

2. Voici ma deuxième proposition. Le seul élément qui, dans le contexte de la Loi, permettrait de distinguer valablement entre les expressions "relevant de" et "simple possession" ("control" et "mere possession") est l'autorité ou la direction qui peut être exercée sur les renseignements contenus dans le document, laquelle dépend elle-même de la qualité en laquelle l'institution a obtenu les renseignements en cause. Je m'explique.

Il est évident que la distinction entre les termes "relevant de" et "possession" ("control" et "possession") dans le contexte de la Loi ne peut provenir de l'objet du document ou de la nature des renseignements qu'il renferme. Elle ne peut provenir non plus de la source des renseignements. Pour établir les exceptions précises à l'obligation de communication, la Loi prévoit clairement que les documents qui relèvent d'une institution fédérale peuvent être de toute nature et qu'ils peuvent être communiqués par toute personne ou se rapporter à quiconque. Je fais allusion ici aux dispositions relatives aux documents contenant des renseignements personnels ou des secrets commerciaux d'un tiers ou aux renseignements confidentiels de nature financière ou scientifique, etc. Il est également évident que la distinction ne peut d'aucune façon être rattachée à l'intention de l'informateur, au consentement du créateur du document ou à la volonté de la personne concernée. S'il en était autrement, on pourrait faire complètement échec à l'objet de la Loi et, je le répète, l'économie elle-même de la Loi suppose nécessairement des oppositions et des réticences de la part des personnes visées.

Compte tenu de ces observations initiales, il me semble que l'on peut dire qu'un document ou un renseignement relève d'une institution"et non seulement qu'il se trouve en sa possession"si cette institution peut considérer que le renseignement ou le document en question lui appartient de sorte qu'elle peut le conserver ou en disposer indépendamment de sa nature ou de son contenu et malgré toute objection formulée par la personne concernée. Et, à mon sens, ces conditions ne sont réunies que lorsque le document a été constitué ou créé par l'institution dans le cadre de l'exécution de ses fonctions officielles .

On ne peut certainement pas considérer que le point de vue que je propose en ce qui concerne la portée de la Loi trahit l'objectif et l'objet de la Loi. Il est bien connu que la Loi a été adoptée en 1982 dans le cadre de mesures prises pour rendre l'administration fédérale plus transparente. Pour assurer la transparence de l'administration fédérale, pour empêcher que les décisions du gouvernement ne soient prises à l'abri des indiscrets, pour permettre aux citoyens de mieux connaître les renseignements et les options dont disposent les personnes chargées de prendre des décisions, pour garantir aux citoyens l'accès à la base documentaire de la gestion et leur permettre de faire enquête sur les problèmes d'intérêt public, il n'est pas nécessaire de reconnaître un droit d'accès qui vise davantage que les documents rédigés et les renseignements recueillis par l'administration fédérale dans l'exercice de ses fonctions officielles. Cette façon de voir ne saurait non plus être considérée comme incompatible avec l'économie de la Loi, qui présuppose un vaste champ d'application et qui prévoit certaines exceptions qui doivent être interprétées de façon restrictive. Nous nous préoccupons ici de la question préliminaire de la portée de la Loi, et non de l'application de ses diverses exceptions. L'interprétation doit être équitable, large, libérale et axée sur l'objet de la loi, mais c'est ce à quoi on est tenu à l'étape initiale de la détermination de la portée de la Loi. Le fait que les exceptions doivent donner lieu à une interprétation restrictive, une fois qu'il est établi que la Loi s'applique, est une autre question.

Le point de vue que je propose ne me semble nullement incompatible avec les dispositions de la Loi. On pourrait croire le contraire à la lecture du paragraphe 20(2):

20. . . .

(2) Le paragraphe (1) n'autorise pas le responsable d'une institution fédérale à refuser la communication de la partie d'un document qui donne les résultats d'essais de produits ou d'essais d'environnement effectués par une institution fédérale ou pour son compte, sauf si les essais constituent une prestation de services fournis à titre onéreux mais non destinés à une institution fédérale.

Le paragraphe 20(2) a pour objet de rendre obligatoire la communication de renseignements se rapportant à la santé et à la sécurité publiques. Il l'emporte sur les exceptions qui autrement s'appliqueraient dans le cas des documents relatifs aux essais de produits ou aux essais environnementaux. On a de toute évidence estimé que, dans ces cas, l'intérêt du public dans la communication était primordial, bien qu'une exception à cette primauté pût être faite dans le cas des essais effectués à titre onéreux pour un tiers. Force est de reconnaître que cette disposition n'a de sens que si un service gouvernemental peut être fourni à titre onéreux et si le renseignement obtenu de ce fait continue à tomber sous le coup de la Loi. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela. L'administration fédérale demande des frais pour de nombreux services qu'elle exécute dans le cadre de ses fonctions officielles. Le fait qu'elle fournisse ses services à titre onéreux"dans le but, évidemment, de l'aider à payer le coût des services"n'a pas pour effet de faire sortir l'institution fédérale du cadre de ses fonctions officielles et de faire qu'elle fonctionne à titre purement commercial ou en tant que mandataire de la personne qui bénéficie du service. Le législateur devait songer aux cas où, malgré le fait qu'elle fournit ses services à titre onéreux, l'institution fédérale continue à agir en sa qualité officielle.

Finalement, je tiens à souligner que mon opinion ne contredit pas le résultat auquel la Cour est parvenue dans les deux décisions citées par le juge saisi de la requête, étant donné que, dans les deux affaires, l'affaire Bande indienne de Montana et l'affaire Ottawa Football Club, c'était en leur qualité d'institutions fédérales et dans l'exercice de leurs fonctions officielles que le ministère des Affaires Indiennes et le ministère de la Condition physique et du Sport amateur avaient respectivement reçu les renseignements et rédigé les documents en question.

En revanche, mon interprétation de l'expression "relevant de" ("control") ne va à l'encontre ni du principe à la base de la Loi ni de l'économie de la Loi, et elle est, dans une certaine mesure, appuyée par l'entente administrative énoncée dans les Politiques et lignes directrices concernant l'information et la protection des renseignements personnels publiées par le Conseil du Trésor, qui a le pouvoir ultime en ce qui concerne l'application de la Loi. On y trouve l'affirmation suivante [à la page 15]:

L'expression "qui relève d'une institution fédérale" signifie que l'institution en cause est autorisée à accorder ou à refuser l'accès au document, à décider de son utilisation et à s'en défaire, sous réserve de l'approbation de l'archiviste fédéral. Un document qu'une institution a en sa possession, que ce soit à l'administration centrale, dans un bureau régional, auxiliaire ou autre, au Canada ou à l'extérieur du pays, est présumé relever de cette institution à moins de preuve du contraire. On considère également qu'un document relève d'une institution s'il est conservé ailleurs au nom de celle-ci.

La définition de l'expression "relevant de" ("control") que l'on trouve dans la première partie de cet extrait se rapproche beaucoup de celle que j'ai retenue et, en ce qui concerne la seconde partie, il n'est que logique que l'on présume qu'un document "relève d'"une institution s'il est en sa "possession", étant donné que, comme nous l'avons déjà vu, la possession est un des principaux attributs de la notion anglaise de "control".

Et, finalement, le point de vue que je suggère s'accorde avec la jurisprudence américaine qui a été élaborée en ce qui concerne la Freedom of Information Act, 1967, 5 U.S.C. 552 (1982), une loi qui a été adoptée longtemps avant la loi canadienne, mais avec la même philosophie et le même objet. Dans la loi américaine, les "agency records" (documents de l'administration) sont assujettis à l'obligation de communication. Les tribunaux américains n'ont pas tardé à reconnaître le fait qu'il fallait préciser le sens de l'expression "agency records" et, à cette fin, ils ont introduit le concept de "control". Il a finalement été décidé qu'on appliquerait un critère à deux volets pour déterminer ce qui constitue un "agency record" au sens de la Loi. Voici comment, dans l'arrêt Department of Justice v. Tax Analysts , 492 U.S. 136 (1989), le juge Marshall, qui exprimait l'opinion de la Cour suprême des États-Unis, a exposé le critère, aux pages 144 et 145:

[traduction] Il y a deux conditions qui se dégagent des arrêts Kissinger et Forhsam, et il faut satisfaire à chacune des deux pour que les documents demandés puissent être considérés comme des "documents de l'administration". En premier lieu, le document demandé doit avoir été "créé par l'administration ou avoir été obtenu par elle" pour que le document "devienne un "document de l'administration" au sens de la FOIA".

. . .

En second lieu, les documents demandés doivent relever de l'administration au moment où la demande faite en vertu de la FOIA est formulée. Par "relever de" ["control"], nous voulons dire que l'administration doit avoir obtenu la possession du document dans l'exécution de ses fonctions officielles. [Non souligné dans l'original.]

3. Je n'aurai pas à consacrer beaucoup de temps à ma troisième proposition, tellement elle me semble aller de soi. À mon sens, on ne saurait affirmer que Travaux publics exerce des "fonctions officielles" lorsqu'il exécute l'entente qu'il a conclue avec Postes Canada. Bien sûr, Travaux publics doit obtenir une autorisation législative officielle avant de pouvoir conclure un tel acte commercial sous seing privé; il était clair que le gros des travaux serait exécuté par des fonctionnaires. Et les normes, lignes directrices et procédures gouvernementales devaient normalement être suivies. Mais je ne vois rien en l'espèce qui pourrait faire de l'exécution d'un tel contrat commercial sous seing privé une fonction officielle. À mon sens, on peut dire qu'un ministère exerce des fonctions officielles uniquement lorsqu'il agit dans le cadre de la mission que le législateur fédéral ou le gouverneur en conseil lui ont confiée aux termes d'une loi fédérale.

Sur le fondement des trois propositions que j'ai expliquées, ma conclusion est que les documents et les renseignements que l'intimé a demandés ne sont pas soumis à l'obligation de communication prévue par la Loi sur l'accès à l'information. Je suis en conséquence d'avis que le jugement rendu par le juge saisi de la requête soit annulé et que la demande présentée par l'appelante en vue de faire infirmer la décision du ministre de communiquer les documents soit accueillie.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je suis d'accord avec les motifs du jugement prononcés par le juge Rothstein. Je désire seulement ajouter quelques remarques à ces motifs.

L'expression "relevant de" ("control") que l'on trouve au paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information55 S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I "1" [maintenant L.R.C. (1985), ch. A-1]. L'art. 4(1) dispose:

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration. (la Loi) constitue une notion qui n'est pas définie et qui n'est assujettie à aucune limite. Le législateur fédéral n'a pas jugé bon d'établir une distinction entre les documents "relevant d'"une institution fédérale ("under the control of") de façon ultime ou immédiate, complète ou partielle, temporaire ou permanente ou "de jure" ou "de facto". Si, comme l'affirme l'appelante, le législateur fédéral avait voulu nuancer la notion véhiculée par l'expression "relevant de" ou la restreindre au pouvoir de disposer des documents, il aurait certainement pu le faire en limitant le droit d'accès des citoyens aux seuls documents dont l'administration fédérale peut disposer ou qui relèvent ultimement ou de façon durable d'elle.

À mon avis, il incombe tout autant aux cours de justice de donner au paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, sans ajouter des termes restrictifs qui ne se trouvent pas dans la Loi ou autrement contourner la volonté du législateur, qu'"il incombe aux commissions et aux cours de justice", ainsi que le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada nous l'a rappelé au sujet de la Loi canadienne sur les droits de la personne66 L.R.C. (1985), ch. H-6. , "de donner à l'art. 3 une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, sans faire abstraction des termes restrictifs de la Loi ni autrement contourner la volonté de la législature"77 Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, à la p. 371. (Non souligné dans l'original.) . En règle générale, [traduction] "lorsqu'on interprète une loi, on ne doit pas y ajouter ou supprimer des mots et le lecteur ne devrait pas essayer de combler les lacunes qu'il pense voir"8 8 E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 94. . La Cour n'a pas le pouvoir de limiter le sens large de l'expression "relevant de" ("control"), étant donné qu'il n'y a rien dans la Loi qui indique qu'on ne devrait pas donner son sens large à cette expression99 Warburton v. Loveland, (1832), 6 E.R. 806 (H.L.). . Au contraire, le législateur fédéral voulait conférer par la loi aux citoyens un droit d'accès efficace aux documents de l'administration fédérale. Ainsi que le lord juge Halsbury l'a déclaré dans l'arrêt Bank of England v. Vagliano Brothers:

[traduction] Il me semble que le fait d'interpréter la loi en y ajoutant des mots qu'on n'y trouve pas ou que le libellé de la loi elle-même n'autorise pas à y trouver contrevient à l'une des règles d'interprétation les plus connues1010 [1891] A.C. 107 (H.L.), à la p. 120. .

La conclusion du juge de première instance suivant laquelle Travaux Publics Canada (TPC) exerçait un pouvoir quotidien de gestion et d'administration sur les documents qu'il créait et qui étaient en sa possession et sous sa garde est, selon moi, irréprochable.

En outre, bien que l'article 2 de la Loi1111 2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

(2) La présente loi a pour objet de compléter les modalités d'accès aux documents de l'administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l'accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public. [Non souligné dans l'original.] parle de "documents de l'administration fédérale" et prévoie que son objet principal est de consacrer le principe du droit du public à leur communication, il résulte du rapprochement de l'article 4 et de l'article 2 que les documents qui relèvent d'une institution fédérale répondent à la définition de "documents de l'administration fédérale". Il ressort aussi clairement de ces deux dispositions que le législateur fédéral voulait que la Loi ait une application libérale et large et que les exceptions au droit du public à la communication de ces documents soient précises et limitées. Il est par ailleurs très significatif à cet égard que le paragraphe 4(1) contienne une "disposition dérogatoire" qui fait en sorte que la Loi l'emporte sur toute autre loi fédérale.

En l'espèce, l'article 5.3 de l'Entente détaillée sur la gestion des biens immobiliers et les services signée par l'appelante et TPC en août 1984 confère à l'appelante le droit d'examiner et de vérifier les livres et registres tenus par TPC et d'en tirer des copies ou des extraits:

5.2 TPC doit tenir des livres et des registres comptables quant aux services assurés à la SCP en vertu de la présente entente et doit établir, à l'intention de la SCP, tous les états de compte que la SCP peut exiger de temps à autre.

5.3 La SCP peut, à un moment raisonnable et pourvu qu'un préavis a été donné à TPC, entrer dans les locaux de TPC pour vérifier les livres et registres de TPC afférents aux services exécutés en vertu de la présente entente, pour vérifier n'importe quel autre document ayant trait à l'exécution de ces services. TPC autorisera la SCP à tirer des copies ou des extraits de ces livres, de ces registres et de tout autre document et aidera la SCP sur demande.

À mon avis, ces dispositions donnent de la crédibilité à la prétention de l'intimé (Duquette) suivant laquelle les documents constitués par TPC dans le cadre de l'exécution de son contrat avec l'appelante appartiennent en fait à TPC. S'il en était autrement, pourquoi l'appelante s'accorderait-elle à elle-même le droit de vérifier, d'examiner et de photocopier ses propres documents?

Finalement, je suis d'accord avec l'intimé Duquette et avec le Commissaire à l'information du Canada pour dire que les documents qui relèvent de TPC et qui ont été en partie créés par TPC et en partie obtenus par lui ont été recueillis par cette institution fédérale dans l'exécution de ses fonctions officielles.

En fait, en édictant, en 1985, le paragraphe 9(3) de la Loi sur les travaux publics1212 L.R.C. (1985), ch. P-38, art. 9. L'art. 3 a été édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 13, art. 1. , le législateur fédéral a habilité TPC à exécuter des services relativement à des biens qui n'appartiennent pas au Canada:

9. . . .

(3) Le ministre peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, engager des dépenses ou assurer la prestation de services ou la réalisation de travaux portant:

a) soit sur des biens appartenant au Canada mais sur lesquels lui-même n'a pas compétence;

b) soit sur des biens n'appartenant pas au Canada.

Ce faisant, le législateur fédéral était de toute évidence conscient du fait que ce ministère pouvait vendre ses services à des tiers qui n'étaient pas assujettis à la Loi sur l'accès à l'information qui venait tout juste d'être adoptée en juillet 1982. Le fait que le législateur fédéral savait que l'administration fédérale pouvait fournir des services à de tels tiers tout en demeurant elle-même régie par la Loi est confirmé par la Loi elle-même qui, à son paragraphe 20(2), confère en des termes généraux au public le droit de connaître les résultats des essais environnementaux effectués par l'administration fédérale pour le compte d'un tiers, sauf si les essais ont été effectués à titre onéreux.

Je suis convaincu qu'en tant qu'institution fédérale, TPC avait en sa possession des documents qui relevaient de lui, que TPC a obtenu les renseignements contenus dans ces documents dans l'exercice légitime de ses activités officielles conformément à un contrat qu'il avait conclu avec l'appelante et que, par conséquent, ces documents constituaient des documents de l'administration fédérale assujettis à la Loi.

L'avocat de l'appelante a soutenu énergiquement que le législateur fédéral avait de toute évidence l'intention de soustraire l'appelante au champ d'application de la Loi, parce que celle-ci exerçait des activités commerciales dans un milieu extrêmement compétitif. En conséquence, il ne pouvait vouloir la soumettre à nouveau à l'application de la Loi d'une façon qui soit aussi indirecte et qui aille à ce point à l'encontre du but recherché.

Il suffit, pour répondre brièvement à cet argument, de dire que l'appelante n'était pas obligée de recourir aux services de TPC. Elle aurait pu conclure une entente semblable avec tout tiers non assujetti à la Loi. Elle a choisi de traiter avec une institution fédérale qui, elle le savait, était liée par la Loi et elle ne peut maintenant se plaindre du préjudice qu'elle subit en raison de son choix.

Par ces motifs, ainsi que par les motifs exposés par le juge Rothstein, je rejetterais l'appel et j'adjugerais les dépens à l'intimé Duquette.

Le juge Pratte, J.C.A.: Je suis du même avis.

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