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[1995] 1 C.F 801

T-2885-92

Abby B. Gayler (requérante)

c.

Le colonel Angus R. Brown (directeur, Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale) et le commander J. Gadd (officier de l’administration, Base des Forces canadiennes d’Esquimalt) (intimés)

Répertorié : Gayler c. Canada (Directeur de l’Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Ottawa, 19 avril et 13 décembre 1994.

Contrôle judiciaire — Membre des Forces canadiennes astreint au régime de mise en garde et de surveillance (MG et S) pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues — Bien que la période de MG et S soit terminée, l’affaire n’est pas dénuée de portée pratique puisqu’il n’y a aucune disposition prévoyant le retrait de la formule de MG et S, qui demeure ainsi dans le dossier et pourrait compromettre les perspectives de carrière de l’intéressée — La requérante n’est pas irrecevable à agir en contrôle judiciaire faute d’avoir eu recours au processus de redressement des griefs, qui n’est pas un processus d’appel prévu par la loi — Il y a eu abus de pouvoir discrétionnaire puisque la décision entreprise n’était pas fondée sur des considérations suffisantes — Le défaut de communiquer le procès-verbal de la police militaire à la requérante constitue un manquement à l’équité procédurale, puisqu’elle n’a pas été prévenue des faits relevés contre elle ni ne s’est vu donner la possibilité d’y répondre avant que la décision ne fût prise.

Forces armées — Contrôle judiciaire de la décision d’astreindre un membre des Forces canadiennes au régime de mise en garde et de surveillance pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues — Le procès-verbal de la police militaire sur lequel était fondée la décision n’a jamais été communiqué à la requérante ni à la Cour — Violation de l’équité procédurale et de l’art. 20.15 ORFC — Inobservation des règles de procédure de la Cour qui prévoient la production du dossier intégral de l’autorité décisionnelle visée par le recours en contrôle judiciaire.

Recours en contrôle judiciaire contre la décision astreignant la requérante, membre des Forces canadiennes, au régime de mise en garde et de surveillance (MG et S) pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues. Après avoir été interrogée par la police militaire en février 1992 dans le cadre d’une enquête en matière de drogues, la requérante n’entendit plus parler de rien jusqu’en novembre, quand le contrôleur de la base l’informa qu’en exécution d’un message reçu le 6 octobre 1992 du colonel Brown, elle serait soumise à une période de MG et S de douze mois ainsi qu’à des analyses d’urine à n’importe quel moment durant cette période. Ce message fait aussi état de la recommandation du commander J. Gadd de maintenir la requérante avec MG et S par ce motif qu’elle était « impliquée par association » du fait que quelqu’un d’autre avait fumé de la marijuana en sa présence. La requérante a assisté à plusieurs entrevues au cours du mois de novembre, mais ne s’est vu communiquer aucune preuve des allégations la concernant. Le 13 novembre, elle fut informée que l’implication qu’on lui reprochait était une « implication par association » établie par une assertion contenue dans le procès-verbal de la police militaire. Le 20 novembre, elle fut informée que la déclaration consignée dans le procès-verbal de la police militaire était celle d’un caporal Moreland, selon lequel lui-même et deux autres avaient fumé de la marijuana chez elle en février 1992. À ce jour, elle n’a reçu ni copie du procès-verbal de la police militaire, ni la formule signée de MG & S. La requérante a agi en contrôle judiciaire, concluant à abus de pouvoir discrétionnaire et à manquement à l’équité procédurale. Les intimés soutiennent que l’affaire n’a plus aucune valeur pratique puisque la période de MG et S était déjà terminée. Et que la requérante n’est pas recevable à agir en contrôle judiciaire puisqu’elle n’a pas essayé d’obtenir justice par le processus de redressement des griefs prévu aux ORFC. La décision d’astreindre un militaire au régime de MG et S est une mesure administrative destinée à le faire accéder à un niveau de rendement acceptable, et non pas une punition. La requérante soutient que le processus de redressement des griefs se prête mal aux circonstances de la cause parce qu’il ne prévoit pas la possibilité d’appel contre la décision rendue au nom du chef d’état-major de la défense, et que sa plainte de violation de l’article 7 de la Charte ne peut être instruite dans le cadre de ce processus.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’affaire n’est pas dénuée de portée pratique. La requérante a intérêt à ce qu’elle soit résolue tant que la formule d’application des mesures de MG et S demeure dans son dossier personnel. Quiconque est associé avec des fumeurs de marijuana peut être considéré comme étant impliqué dans des agissements criminels. Étant donné que les ORFC ne prévoient nulle part le retrait de la formule à l’expiration de la période de MG et S, cette formule peut compromettre les perspectives de carrière de la requérante.

La requérante n’est pas irrecevable à agir en contrôle judiciaire faute d’avoir eu recours au processus de redressement des griefs, lequel n’est pas un processus d’appel prévu par la loi. La Cour a compétence lorsqu’un requérant choisit d’agir en contrôle judiciaire à titre de recours général pour le contrôle de la machine décisionnelle du gouvernement. Elle doit examiner s’il a été porté atteinte au droit de la requérante à l’équité procédurale.

Le chef d’état-major de la défense doit exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il a de prendre des mesures administratives en cas de contravention à l’article 20.04 des ORFC (interdiction aux militaires de consommer des drogues) de façon raisonnable et en bonne foi, compte tenu des facteurs pertinents. La décision d’astreindre la requérante au régime de MG et S constituait un abus de pouvoir discrétionnaire puisqu’elle n’était pas fondée sur des considérations suffisantes. Le seul fondement en était la déclaration faite par le caporal Moreland, telle qu’elle était consignée au procès-verbal de la police militaire. Même si le fait d’être « autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues » était assimilable à la « possession » au sens du paragraphe 4(3) du Code criminel, l’allégation faite par le caporal Moreland ne constituait pas la preuve que la requérante avait sciemment consenti à ce que des gens fument de la marijuana dans son appartement. Par surcroît, la conclusion à « l’implication prouvée dans des activités reliées aux drogues » du fait qu’elle était « impliquée par association » ne correspond pas clairement aux termes du Code criminel.

Les intimés ont violé le droit de la requérante à l’équité procédurale, faute de l’avoir informée des faits relevés contre elle et de lui avoir donné la possibilité de se défendre contre le témoignage incriminant, avant d’avoir rendu leur décision. L’obligation d’équité s’applique à tous les organismes publics qui tiennent leurs pouvoirs de la loi et dont les décisions affectent les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou les libertés de qui que ce soit. Le colonel Brown tenait de l’OAFC 19-21 (énonciation des politiques du Programme sur le contrôle des drogues) le pouvoir de prendre la mesure administrative astreignant la requérante au régime de MG et S. Étant donné que (i) la décision astreignant la requérante au régime de MG et S était une mesure administrative; (ii) qu’il y avait des rapports personnels, comportant des caractéristiques de rapports employeur-employé, entre les intimés et la requérante; et (iii) que la décision en question affectait le gagne-pain et les perspectives d’avenir de la requérante dans ces rapports, du fait qu’elle la rendait inadmissible durant la période de MG et S aux cours d’instruction, à l’avancement, aux primes au rendement et aux mutations, il est clair qu’il était tenu à l’obligation d’agir équitablement en prescrivant la mesure administrative en question, laquelle était en effet une décision finale prise au nom du chef d’état-major de la défense. L’obligation d’équité veut que l’intéressé soit informé des faits relevés contre lui et ait la possibilité de s’expliquer avant que la décision finale affectant ses droits ne soit prise. Malgré les demandes répétées à cet effet, copie du procès-verbal de la police militaire n’a été communiquée à la requérante ni avant ni après la décision en cause. Tout en sachant qu’ils étaient tenus aux règles de procédure de la Cour, ni les avocats des intimés ni les responsables au QGDN n’ont observé ces règles qui prescrivent que le dossier intégral de l’autorité décisionnelle visée par le recours en contrôle judiciaire soit communiqué au requérant à sa demande ainsi qu’à la Cour. Le commandant et le colonel Brown ont manqué l’un et l’autre à leur obligation d’équité envers la requérante. Au moment où la décision finale fut communiquée à cette dernière, elle était déjà un fait accompli. La requérante ne s’est pas vu donner la possibilité de répondre aux allégations contenues dans le procès-verbal de la police militaire avant que la décision ne fût rendue. Voilà qui va aussi à l’encontre de l’article 20.15 ORFC, qui prévoit l’obligation de donner à l’intéressé l’occasion raisonnable de fournir tout renseignement additionnel et de présenter ses observations avant que la mesure administrative le concernant ne soit prise.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 4.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 18.2 (édicté, idem).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 12(1), 18(2).

Ordonnances administratives des Forces canadiennes, 19-21, 26-17.

Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1968), ch. 20, art. 19.26, 19.27, 20.01, 20.03, 20.04, 20.05, 20.06, 20.11, 20.15, 20.19.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Edith Lake Service Ltd. and Hoyda Holdings Ltd. v. Edmonton, City of (1981), 34 A.R. 390; 132 D.L.R. (3d) 612; 20 Alta. L.R. (2d) 1 (C.A.); Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329 (1989), 36 Admin. L.R. 261; 68 C.R. (3d) 173; 35 F.T.R. 79; 92 N.R. 292 (C.A.); Diotte c. Canada (1992), 54 F.T.R. 276 (C.F. 1re inst.); Diotte c. Canada (1989), 31 F.T.R. 185 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Gayler c. Directeur, Administration des carrières (Personnel non officier), Quartier général de la Défense nationale (1993), 61 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.); Duncan c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 560 (1990), 55 C.C.C. (3d) 28; 32 F.T.R. 189 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16; 41 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.); Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; (1980), 110 D.L.R. (3d) 311; [1980] 3 W.W.R. 125; 18 B.C.L.R. 124; 31 N.R. 214; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353.

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision astreignant la requérante, membre des Forces canadiennes, au régime de mise en garde et de surveillance pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues. Demande accueillie.

AVOCATS :

Mel R. Hunt pour la requérante.

Gordon P. Macdonald et le commander Jim Price pour les intimés.

PROCUREURS :

Hunt and Boan, Associates, Victoria, pour la requérante.

Macdonald & McNeely, Victoria, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Par cette demande de contrôle judiciaire introduite sous le régime de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, la requérante demande une ordonnance portant annulation de la décision en date du 6 octobre 1992, par laquelle le colonel A. R. Brown, directeur, Administration des carrières (personnel non officier), a, au nom du chef d’état-major de la défense, ordonné que la requérante, Abby B. Gayler, membre des Forces canadiennes, soit astreinte au régime de mise en garde et de surveillance (MG et S) pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues. Cette décision a été rendue sous le régime des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), ch. 20, et des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) 19-21 et 26-17.

La Cour avait précédemment entendu cette affaire le 4 mars 1993 [(1993), 61 F.T.R. 280], date à laquelle le juge Muldoon a rejeté une requête de la requérante qui se fondait sur l’article 18.2 [édicté, idem] de la Loi sur la Cour fédérale pour demander une ordonnance provisoire portant suspension de la décision de MG et S en attendant l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. En ce qui concerne l’ordre donné à la requérante de se soumettre à des analyses d’urine extraordinaires, le juge Muldoon en a suspendu l’exécution jusqu’à ce que tout appel contre son ordonnance provisoire soit vidé ou jusqu’à la décision au fond, que la Cour rend aujourd’hui en l’espèce.

À l’ouverture de l’audition de la cause le 19 avril 1994, les intimés ont soutenu que cette demande, initialement déposée le 27 novembre 1992, n’avait plus aucune valeur pratique pour le motif que la période de MG et S était terminée depuis plusieurs mois, que la requérante avait droit depuis à l’intégralité de la solde et des avantages sociaux du grade supérieur, qu’elle était admissible aux cours de qualification pour le niveau supérieur et aux nouvelles promotions, et que de toute façon, elle n’aurait pas été choisie pour un cours de qualification pendant qu’elle était soumise à la MG et S, quand bien même elle n’aurait pas fait l’objet d’une telle mesure.

Le principe général de l’absence de portée pratique et le fondement juridique qui justifie que dans certains cas, la juridiction saisie exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre et juger une cause qui n’aurait plus aucune portée pratique, ont été analysés par le juge Sopinka dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la page 353, en ces termes :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer.

Le juge Sopinka relève les trois cas qui pourraient justifier, aux yeux de la juridiction saisie, l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour connaître d’une question qu’elle juge par ailleurs dénuée de portée pratique : (1) le cas où le contexte contradictoire nécessaire subsiste bien qu’il n’y ait plus de litige actuel entre les parties; (2) le cas où des circonstances extraordinaires justifient l’utilisation de ressources judiciaires limitées; et (3) le cas où la juridiction saisie doit prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit.

À mon avis, l’affaire en instance n’est pas dénuée de portée pratique. La requérante a intérêt à ce qu’elle soit résolue tant que la formule d’application des mesures de MG et S demeure dans son dossier personnel à l’unité et au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa (QGDN). Ainsi que l’a fait remarquer le juge Muldoon à l’occasion de la requête en ordonnance interlocutoire, quiconque est associé avec des fumeurs de marijuana peut être considéré comme étant impliqué dans des agissements criminels. Voici la conclusion qu’il a tirée à ce sujet à la page 287 des motifs de sa décision.

La fréquentation des usagers de la marijuana va à l’encontre de l’ordre et de la discipline, car sa possession, son trafic et sa consommation constituent tous des infractions de nature criminelle. On ne doit pas refuser de prendre au sérieux ce stupéfiant parce qu’il est ou peut être inoffensif ou parce que ce mythique « tout le monde » le fume ou le mâche, ou l’ajoute à des biscuits, tant que le législateur l’interdit.

Étant donné, comme l’a fait remarquer la requérante, que les ordonnances et règlements applicables ne prévoient nulle part le retrait de la formule à l’expiration de la période de MG et S, ce qui fait que cette formule demeure dans le dossier de la requérante, je conviens qu’elle peut compromettre ses perspectives de carrière.

Les faits de la cause

La requérante, caporal à titre intérimaire, remplissait les fonctions de commis (comptable) à la section de comptabilité de la base des Forces canadiennes d’Esquimalt (BFC Esquimalt). Le 13 février 1992, son supérieur hiérarchique, l’adjudant-chef Roy Bernard Sears, contrôleur de la base, l’informa que la police militaire voulait lui parler dans le cadre d’une enquête en matière de drogues. Après avoir été interrogée par la police militaire, elle n’entendit plus parler de rien jusqu’au 4 novembre 1992, date à laquelle le contrôleur de la base l’informa qu’en exécution d’un message reçu le 6 octobre 1992 du QGDN, elle serait soumise à une période de MG et S de douze mois ainsi qu’à des analyses d’urine à n’importe quel moment durant cette période.

Ce message envoyé par le colonel A. R. Brown, directeur de l’Administration des carrières (Personnel non officier), d’ordre du chef d’état-major de la défense, porte ce qui suit :

[traduction] 1. (PB) LA DÉCISION SUIVANTE A ÉTÉ PRISE PAR LE QGDN À L’ÉGARD DE LA CARRIÈRE MILITAIRE DE L’INTÉRESSÉE POUR IMPLICATION DANS DES ACTIVITÉS RELIÉES AUX DROGUES : LE CPL GAYLER RESTERA MEMBRE DES FORCES ARMÉES AVEC MG et S PENDANT 12 MOIS. ELLE DOIT ÊTRE INFORMÉE QU’ELLE SUBIRA DES ANALYSES D’URINE DESTINÉES À CONFIRMER SON ABSTINENCE VIS-À-VIS DES DROGUES ILLICITES À N’IMPORTE QUEL MOMENT PENDANT CETTE PÉRIODE. LES ANALYSES D’URINE SE FERONT D’ORDRE DU QGDN. TOUTE AUTRE IMPLICATION DANS DES ACTIVITÉS RELIÉES AUX DROGUES ILLICITES ENTRAÎNERA LA RECOMMANDATION DE LIBÉRER IMMÉDIATEMENT LE CPL GAYLER

2. (PB) L’UNITÉ TRANSMETTRA L’ANNEXE B DU DOCUMENT RÉF D Y COMPRIS LE CHAPITRE 3 PARAGRAPHE 12 DU DOCUMENT RÉF E POUR ÊTRE VERSÉE DANS LES DOSSIERS PERS. SUBSTITUER LA MENTION OUVRIR GUILLEMETS 12 MOIS FERMER GUILLEMETS À LA MENTION OUVRIR GUILLEMETS 5 MOIS FERMER GUILLEMETS

3. (PB) LES RECOMMANDATIONS FINALES SUR LA CARRIÈRE DE L’INTÉRESSÉE SERONT SOUMISES À LA FIN DE LA PÉRIODE DE MG et S

4. (PB) L’INTÉRESSÉE EST RÉPUTÉE ÊTRE SOUMISE AU RÉGIME DE MG et S À COMPTER DE LA DATE OÙ ELLE SIGNERA L’ANNEXE B DU DOCUMENT RÉF D

Ce message fait aussi état d’un document que le commander J. Gadd, officier de l’administration à la base d’Esquimalt, avait envoyé en juin 1992 au QGDN pour recommander que la requérante soit maintenue dans les Forces canadiennes avec MG et S sans autre mesure affectant sa carrière, pour le motif qu’elle avait été « impliquée par association » du fait que quelqu’un d’autre a fumé de la marijuana en sa présence. Par la suite, le colonel Brown a envoyé une lettre datée du 7 octobre 1992 à l’officier de l’administration de la base d’Esquimalt pour confirmer son message. On peut lire notamment dans cette dernière lettre :

[traduction] POLITIQUE DES FC EN MATIÈRE DE DROGUES—MAINTIEN AVEC MISE EN GARDE ET SURVEILLANCE

1. Par suite de la nouvelle politique en la matière (v. document réf. A), les militaires retenus dans les FC après implication prouvée dans des activités reliées aux drogues seront astreints aux mesures de MG et S pendant 12 mois et subiront des analyses d’urine périodiques. Les détails relatifs aux analyses de dépistage seront annoncés à part.

2. Le document réf. B a été élaboré pour aider les supérieurs hiérarchiques à réaliser un programme de mise en garde efficace en cours de travail durant les 12 mois de MG et S.

3. Afin de satisfaire aux conditions de MG et S nécessaires au processus de réadaptation, … le caporal Gayler doit participer au programme figurant au document réf. B.

Tout au long du mois de novembre, la requérante a eu plusieurs entrevues avec l’adjudant-maître McIntosh et l’adjudant-chef Carol Anne LaBella, qui avait remplacé l’adjudant-chef Sears aux fonctions de contrôleur de la base. Le 5 novembre, l’adjudant-maître McIntosh a demandé à la requérante de signer l’ordre de MG et S, mais lui a permis d’y surseoir pour qu’elle ait plus de temps pour consulter son avocat. Le 12 novembre, l’adjudant-chef LaBella a demandé à la requérante de donner sa version des faits, mais celle-ci ne l’a pas fait pour le motif qu’on ne lui avait communiqué aucune preuve des allégations la concernant. L’adjudant-chef LaBella lui a dit qu’elle allait chercher à en savoir davantage. Le 13 novembre, l’adjudant-chef LaBella a informé la requérante que selon le bureau de l’assistant du juge-avocat général (AJAG), l’implication reprochée dans un incident de consommation de drogues illicites était une « implication par association » établie par une assertion contenue dans le procès-verbal de la police militaire. La requérante n’a fait aucune observation à ce sujet.

Par la suite, l’AJAG l’a informée par son avocat qu’elle recevrait plus de détails concernant le témoignage fait à la police militaire. Le 20 novembre, elle a rencontré l’adjudant-maître McIntosh et l’adjudant-chef LaBella, lesquels l’ont informée que la déclaration consignée dans le procès-verbal de la police militaire avait été faite par un caporal Moreland, selon lequel lui-même et deux autres avaient fumé une cigarette de marijuana chez la requérante le 9 février 1992. L’adjudant-maître McIntosh lui a donné ensuite lecture de la formule MG et S et lui a expliqué que le fait de signer cette dernière signifiait tout juste qu’elle reconnaissait en avoir compris le contenu. Elle a demandé à savoir quelles seraient les conséquences si elle ne signait pas. L’adjudant-chef LaBella lui a fait savoir que l’AJAG serait informé de son refus et qu’elle serait libérée obligatoirement des Forces canadiennes. La requérante a signé la formule MG et S mais a maintenu son objection à la décision et, le 27 novembre, elle a déposé auprès de la Cour un avis de requête introductif de demande de contrôle judiciaire.

Les points litigieux

Il se pose en l’espèce la question préalable de savoir si la requérante est irrecevable à présenter une demande de contrôle judiciaire du fait que, par application de l’OAFC 26-17[1], la décision prise par le QGDN de l’astreindre au régime de MG et S est une mesure administrative destinée à la faire accéder à un niveau de rendement acceptable, et non pas une punition. Les articles 19.26 et 19.27 des ORFC prévoient un processus de redressement des griefs et les intimés soutiennent que la requérante n’est pas recevable à présenter une demande de contrôle judiciaire puisqu’elle n’a pas essayé d’obtenir justice par ce processus de redressement des griefs, dont ils affirment qu’il est le processus plus indiqué en l’espèce.

Si la Cour décide qu’elle a compétence en l’espèce, elle aura à examiner deux questions principales, savoir : (1) si la décision des intimés de soumettre la requérante au régime de MG et S pour « implication par association » excède l’autorité qu’ils tiennent des ORFC, ch. 20, et des OAFC 19-21 et 26-17, ce qui constitue un abus de pouvoir discrétionnaire; et (2) si le processus suivi pour parvenir à cette décision, dans lequel la requérante n’a pas été prévenue des faits relevés contre elle ni ne s’est vu donner la possibilité d’y répondre, porte atteinte à son droit à l’équité procédurale, à la justice naturelle ou à la justice fondamentale.

Le rôle de la Cour dans le contrôle de l’action administrative

Les intimés soutiennent que la requérante aurait dû présenter une plainte à son commandant à la BFC Esquimalt conformément au processus de redressement des griefs expressément prévu aux articles 19.26 et 19.27 des ORFC[2]; que ce processus est plus indiqué pour régler l’affaire en instance; et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir à seule fin de purger le dossier. Ainsi que l’a fait remarquer le juge Muldoon à la page 289 de son ordonnance provisoire, « le tribunal ne devrait jamais superviser les forces armées de façon minutieuse et quotidienne ». De son côté, la requérante soutient que le processus de redressement des griefs se prête mal aux circonstances de la cause; qu’il ne prévoit pas la possibilité d’appel contre la décision rendue au nom du chef d’état-major de la défense; que sa plainte de violation de l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés , qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ne peut être instruite dans le cadre de ce processus; et que celui-ci prend habituellement beaucoup de temps.

Normalement, la Cour n’interviendra pas pour annuler la décision d’un office fédéral tant que le requérant n’a pas épuisé toutes les autres voies de recours et d’appel. Les multiples facteurs à prendre en considération pour examiner si un tribunal administratif assure des voies de recours satisfaisantes ont été évoqués par le juge Beetz dans Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, en ces termes, à la page 588 :

Pour évaluer si le droit d’appel de l’appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meilleur recours que de s’adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d’appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d’appel et qui n’est pas tenu d’agir comme s’il en était une, ni n’est susceptible de le faire. D’autres facteurs comprennent le fardeau d’une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

L’importance de la célérité a été aussi examinée dans Edith Lake Service Ltd. and Hoyda Holdings Ltd. v. Edmonton, City of (1981), 34 A.R. 390 (C.A.), à la page 396, par le juge d’appel Haddad qui a conclu que la célérité n’était pas le facteur primordial de recevabilité du recours en justice mais juste un facteur à prendre en considération au même titre que d’autres.

À mon avis, la requérante n’est pas irrecevable à saisir cette Cour d’une demande de contrôle judiciaire. Quand bien même la décision du QGDN serait une mesure administrative et qu’elle ait choisi de ne pas passer par le processus de redressement des griefs, cela n’empêche pas de saisir la Cour quand les circonstances s’y prêtent. Ainsi que l’a fait remarquer la requérante, le processus de redressement de griefs n’est pas un processus d’appel prévu par la loi. Si le commandant ne fait pas droit à la plainte, elle doit la poursuivre à plusieurs échelons d’autorité : (1) le commandant de formation; (2) l’officier général commandant le commandement; (3) le chef d’état-major de la défense; (4) le ministre; et (5) le gouverneur en conseil. Les avocats des deux parties ont cependant confirmé que seul le chef d’état-major de la défense est habilité à infirmer la décision prise en son nom. Les échelons inférieurs n’ont que le pouvoir de lui soumettre une recommandation. Qui plus est, lors même qu’il serait préférable que l’affaire passe par le processus de redressement des griefs, le juge Cullen a confirmé dans Diotte c. Canada (1989), 31 F.T.R. 185 (C.F. 1re inst.), que la Cour a compétence lorsqu’un requérant choisit d’agir en contrôle judiciaire, à titre de recours général pour le contrôle de la machine décisionnelle du gouvernement.

En matière de contrôle judiciaire de l’action administrative, le rôle de l’instance judiciaire consiste à examiner si l’action de l’administrateur est conforme à la loi, c’est-à-dire si celui-ci a régulièrement exercé le pouvoir discrétionnaire qu’il tient de la loi et s’il a respecté l’équité procédurale dans les circonstances de la cause (voir : Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. 1re inst.), aux pages 25 et 26).

Dans Diotte, supra, le juge Cullen s’est prononcé en ces termes, aux pages 186 et 190 :

Le rôle de notre Cour ne consiste évidemment pas à être d’accord ou non avec la décision qui a finalement été prise, mais plutôt à décider si, compte tenu de toutes les circonstances applicables, le requérant a ou non bénéficié de l’équité procédurale en ce qui concerne sa libération.

On nous a produit l’affidavit du colonel Raymond Gerard Hurley, le directeur de l’administration des carrières militaires (personnel non officier), qui était l’un des officiers supérieurs du personnel du quartier général permanent du Chef d’état-major de la Défense (CEMD). Il nous a informés que c’est à l’art. 18 de la Loi sur la défense nationale qu’est prévu le pouvoir ultime en ce qui concerne la question de savoir si un membre des Forces canadiennes (FC) devrait être libéré et si un ancien membre des Forces canadiennes qui a été libéré par une autorité des FC avec l’appui du CEMD, devrait être rengagé par les Forces canadiennes. Bien qu’on nous assure qu’il s’agit d’une procédure très complète—et je ne doute pas que le colonel Hurley et son personnel aient été très consciencieux—cette révision prévue à l’art. 18 ne peut faire disparaître l’inéquité procédurale du commandant de la base, qui n’a pas permis au requérant et à son adjoint de formuler des observations avant que la décision finale du commandant ne soit prise.

Dans l’affaire en instance, la requérante agit en contrôle judiciaire contre la décision prise par le colonel Brown de l’astreindre au régime de MG et S pour cause d’« implication par association », pour le motif que cette décision constitue un abus de pouvoir discrétionnaire et a été prise dans des circonstances telles qu’elles constituent une violation de l’équité procédurale, de la justice naturelle ou de la justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte.

Exercice du pouvoir discrétionnaire

La requérante soutient que l’expression « l’implication [ou le fait d’être autrement impliqué] dans des activités reliées aux drogues » figurant à l’OAFC 19-21 et aux ORFC, ch. 20, ne s’entend pas de l’« implication par association ». Le programme de lutte contre l’usage de drogues mis en place par l’OAFC 19-21, en application des articles 20.11 et 20.19 des ORFC, vise au traitement des militaires qui ont consommé des drogues ou qui ont été autrement impliqués dans des activités reliées aux drogues, en violation du règlement. La requérante affirme que le commander J. Gadd, officier de l’administration de la BFC Esquimalt, n’était pas habilité à envoyer en juin 1992 au QGDN le message recommandant qu’elle soit maintenue avec mise en garde et surveillance du fait qu’elle avait été « impliquée par association » parce que quelqu’un avait fumé de la marijuana en sa présence. Qu’en conséquence, le chef d’état-major de la défense n’avait pas le pouvoir de donner suite à cette recommandation pour prendre la mesure administrative en question. Et que les autorités ont dû prendre en compte des facteurs non pertinents puisqu’il n’y avait aucune preuve que la requérante ait à quelque moment possédé ou consommé des drogues, ou qu’elle ait été présente lorsque quelqu’un d’autre fumait de la marijuana, ou qu’elle ait sciemment consenti à ce que des gens fument de la marijuana dans son appartement.

Les intimés répondent que l’expression « l’implication [ou le fait d’être autrement impliqué] dans des activités reliées aux drogues » s’entend également de l’« implication par association », du fait que l’article 20.04, note A, explique que l’infraction de « possession » est incluse dans cette expression[3]; et que le terme « possession » est défini dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, comme suit :

4. …

(3) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne est en possession d’une chose lorsqu’elle l’a en sa possession personnelle ou que, sciemment :

(i) ou bien elle l’a en la possession ou garde réelle d’une autre personne,

(ii) ou bien elle l’a en un lieu qui lui appartient ou non ou qu’elle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d’une autre personne;

b) lorsqu’une de deux ou plusieurs personnes, au su et avec le consentement de l’autre ou des autres, a une chose en sa garde ou possession, cette chose est censée en la garde et possession de toutes ces personnes et de chacune d’elles. [Non souligné dans le texte.]

Les intimés expliquent à l’audition de cette demande que l’allégation que la requérante était impliquée par association voulait dire qu’elle avait sciemment consenti à ce que d’autres personnes fument de la marijuana dans son appartement, et non pas qu’elle fréquentait des toxicomanes, ou qu’elle avait vraiment en sa possession de la marijuana ou encore qu’elle-même en avait fumé. Ils soutiennent que le colonel Brown a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire d’adopter la recommandation du commandant de la base puisque, eût-elle été poursuivie sous le régime du Code criminel, la requérante, qui « savait » et qui était « consentante », aurait été réputée avoir la drogue en sa « possession ».

Le chef d’état-major de la défense doit exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il tient de l’article 20.15 des ORFC pour prendre des mesures administratives en cas de contravention à l’article 20.04, de façon raisonnable et en bonne foi, compte tenu des facteurs pertinents[4]. Indépendamment des questions d’équité procédurale, la Cour ne doit rendre une ordonnance de certiorari que s’il est jugé que la décision est fondée sur des facteurs n’ayant aucun rapport avec la cause[5]. Le règlement régissant le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues, savoir le chapitre 20 des ORFC, a été pris en application du paragraphe 12(1)[6] de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 (la Loi), pour interdire aux militaires de s’adonner à l’« usage »[7] ou d’« être autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues ». Généralement parlant, ce programme a pour objet de protéger l’intégrité opérationnelle des Forces canadiennes, d’assurer la sécurité, la santé et la fiabilité des militaires, et de préserver la sécurité des renseignements et des établissements de défense[8]. Le programme de lutte contre les drogues prévoit un programme d’éducation sur les drogues[9], l’analyse d’urine obligatoire[10], ainsi que des mesures disciplinaires et administratives[11]. Ce programme a été mis en œuvre par les OAFC 19-21 et 26-17, prises en application du paragraphe 18(2)[12] de la Loi. Le premier texte explique la politique du programme, le second prévoit les lignes de conduite à observer en cas de mesure administrative ou disciplinaire.

À mon avis, les intimés ont exercé à tort leur pouvoir discrétionnaire en ce que la décision prise au nom du chef d’état-major de la défense d’astreindre la requérante au régime de MG et S n’était pas fondée sur des considérations suffisantes. Le seul fondement en était la déclaration faite par le caporal Moreland, telle qu’elle était consignée au procès-verbal de la police militaire, savoir que lui et deux autres avaient fumé une cigarette de marijuana chez elle le 9 février 1992. Même si le fait d’être « autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues » était assimilable à la « possession » au sens du Code criminel, comme le prétendent les intimés, l’allégation faite par le caporal Moreland ne constituait pas la preuve que la requérante avait sciemment consenti à ce que d’autres personnes fument de la marijuana dans son appartement. Par surcroît, la conclusion à « l’implication prouvée dans des activités reliées aux drogues » du fait qu’elle était « impliquée par association » ne correspond pas clairement aux termes du Code criminel, comme le prétendent les intimés en l’espèce.

Équité procédurale

Ce qui est plus important encore à mon avis, c’est que les intimés ont violé le droit de la requérante à l’équité procédurale, faute de l’avoir informée des faits relevés contre elle et de lui avoir donné la possibilité de se défendre contre le témoignage incriminant, avant d’avoir rendu leur décision. La Cour prend acte que la procédure prévue à l’OAFC 19-21 ne donne pas à la requérante la possibilité de se faire entendre avant que la décision finale de l’astreindre au régime de MG et S ne soit prise. Cela ne veut pourtant pas dire que cette possibilité ne soit pas sous-entendue et imposée par la loi. Qui plus est, comme nous le verrons plus loin, l’alinéa 4 de l’article 20.15 des ORFC prévoit expressément qu’il faut donner à l’intéressé la possibilité de présenter des renseignements et des observations pour se défendre contre la mesure administrative envisagée.

Je trouve qu’il est extraordinaire que ni avant ni après la décision en question et malgré les demandes répétées de l’avocat de la requérante à cet effet, le procès-verbal de la police militaire, qui constituait le fondement de cette décision, n’ait été communiqué à la requérante. En fait, il n’est même pas versé au dossier soumis à la Cour à l’audition de l’affaire. Les intimés soutiennent que la procédure prévue aux articles 20.04, 19.26 et 19.27 des ORFC et aux OAFC 19-21 et 26-17 a été respectée, et que la requérante a été informée des raisons pour lesquelles elle était astreinte au régime de MG et S, mais qu’elle ne s’est pas prévalue de l’occasion pour donner des explications à l’adjudant-chef Sears avant la décision, ou à l’adjudant-maître McIntosh et à l’adjudant-chef LaBella après.

Le principe de droit est clair : l’obligation d’équité n’est pas limitée aux décisions judiciaires ou quasi judiciaires. Elle s’applique à tous les organismes publics qui tiennent leurs pouvoirs de la loi et dont les décisions affectent les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou les libertés de qui que ce soit[13]. Dans Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, aux pages 669 et 670, Madame le juge L’Heureux-Dubé explique que l’obligation d’équité procédurale s’applique lorsque la décision en cause est d’importance et a un effet notable sur l’individu qui en fait l’objet. Elle énumère les facteurs à prendre en considération pour examiner si la cause engage l’obligation d’équité :

L’existence d’une obligation générale d’agir équitablement dépendra de l’examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l’organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l’effet de cette décision sur les droits du particulier. Notre Cour a affirmé dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, précité, que dans les cas où ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d’agir équitablement incombe à un organisme décisionnel public…

L’irrévocabilité de la décision est également un facteur qui doit être pris en considération. Une décision de nature préliminaire ne fait naître en général aucune obligation d’agir équitablement, alors qu’une décision d’une nature plus définitive peut avoir un tel effet.

En l’espèce, le colonel Brown tenait de l’OAFC 19-21 le pouvoir de prendre la mesure administrative astreignant la requérante au régime de MG et S. Étant donné que (1) la décision astreignant la requérante au régime de MG et S est une mesure administrative; (ii) qu’il y avait des rapports personnels, comportant des caractéristiques de rapports employeur-employé, entre les intimés et la requérante; (iii) et que la décision en question affectait le gagne-pain et les perspectives d’avenir de la requérante dans ces rapports, du fait qu’elle la rendait inadmissible durant la période de MG et S aux cours d’instruction, à l’avancement, aux primes au rendement et aux mutations[14], il est clair qu’il était tenu à l’obligation d’agir équitablement en prescrivant la mesure administrative du 6 octobre 1992, laquelle était en effet une décision finale prise au nom du chef d’état-major de la défense.

Bien que le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon les circonstances, il faut au moins que l’intéressé soit informé des faits relevés contre lui et ait la possibilité de s’expliquer[15] avant que la décision finale affectant ses droits ne soit prise. Dans Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionel Canada), [1989] 3 C.F. 329(C.A.), aux pages 341 et 342, le juge Marceau, J.C.A. a expliqué le fondement de la règle audi alteram partem en ces termes :

Le principe audi alteram partem qui porte tout simplement que la personne dont les droits ou intérêts peuvent être touchés doit pouvoir participer au processus décisionnel, est fondé sur la prémisse suivante : la personne doit toujours avoir la possibilité de soumettre de l’information, sous forme de faits ou d’arguments, afin de permettre à l’instance décisionnelle de rendre une décision équitable et raisonnable. Il est reconnu depuis longtemps qu’en toute logique et en pratique, la portée et la nature de cette participation dépendent des circonstances de l’espèce et de la nature de la décision à rendre. Cette interprétation de l’application pratique du principe doit être la même, peu importe que l’obligation d’agir équitablement soit fondée sur le devoir d’agir équitablement établi par la jurisprudence ou sur les principes de justice naturelle reconnus en common law ou sur le concept de justice fondamentale auquel se réfère l’article 7 de la Charte. Le principe demeure évidemment le même, partout où il s’applique.

Dans certains cas, il faut que l’intéressé ait aussi « accès direct à l’esprit ou à la compréhension consciente de l’autorité décisionnelle, du juge ». Dans Duncan c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 560(1re inst.), aux pages 577 et 578 décision portant sur un jugement de cour martiale en matière criminelle, le juge Muldoon a jugé que le requérant était aux prises avec un processus inique officiellement inventé s’il ne pouvait présenter ses conclusions à l’autorité décisionnelle qu’à travers un subalterne. Voici la conclusion qu’il a tirée à ce propos :

Le droit de l’appelant/requérant à une procédure équitable, à la justice fondamentale et au bénéfice de la règle audi alteram partem est tout simplement nié dans cette procédure, par laquelle il est obligé de soumettre ses arguments destinés à l’instance décisionnelle au jugement du fonctionnaire subalterne de cette instance. Si honorable que soit le [subalterne] … , comme on pourrait sûrement s’y attendre, du moins la plupart du temps, il n’est manifestement pas l’avocat de l’appelant. En agissant comme il le fait dans ces cas-là, il empêche l’appelant d’avoir directement accès au [décideur] qui, à son tour, est empêché d’entendre l’appelant, bien qu’il soit désigné pour rendre la décision finale sur la sévérité de la sentence.

Dans une cause essentiellement semblable à l’affaire en instance, Diotte c. Canada (1992), 54 F.T.R. 276 (C.F. 1re inst.), le juge Walsh, à la suite d’une décision antérieure du juge Cullen, a rendu une ordonnance de certiorari pour annuler la décision prise par un commandant de base de libérer Diotte des Forces canadiennes. Dans cette affaire, le commandant de Diotte a reçu de l’officier de section une note de service recommandant de libérer celui-ci pour inaptitude. Après avoir entrepris une enquête minutieuse, y compris des entrevues avec Diotte et avec l’officier désigné pour aider celui-ci, le commandant a rédigé une note, a donné à Diotte et à l’officier désigné la possibilité de présenter leurs observations, les a informés qu’ils pouvaient présenter un grief contre toute décision de libération, et a envoyé sa recommandation au commandant de la base. Celui-ci a décidé de donner suite à cette recommandation et, à peu près trois semaines après, Diotte a été informé que sa conduite a donné lieu à des « mesures relatives à sa carrière ». Il a été informé des motifs d’acceptation de la recommandation de libération et de son droit de formuler un grief contre la décision. Entre la date où la recommandation fut soumise au commandant de la base et celle où il y donna suite, il n’y a plus eu aucune communication avec Diotte.

Le juge Walsh confirme que si le commandant s’était montré équitable envers Diotte, le commandant de la base avait manqué à son obligation d’équité faute d’avoir donné à ce dernier la possibilité de s’expliquer avant de rendre la décision finale le libérant des Forces canadiennes. Lorsque Diotte fut informé de la décision de le libérer le 25 novembre, celle-ci était déjà un fait accompli.

Le programme de lutte contre les drogues prévoit que si l’enquête fait ressortir suffisamment de renseignements sûrs pour établir que l’intéressé a consommé des drogues ou a été « autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues », le commandant doit examiner s’il y a lieu de prendre des mesures administratives, disciplinaires ou médicales[16]. S’il décide de prendre des mesures administratives, il doit préparer un rapport circonstancié pour le QGDN sur formulaire de message standard, avec recommandation sur la question de savoir si l’intéressé doit être maintenu avec MG et S ou avec rapport d’insuffisance, ou s’il doit être libéré[17]. Si la recommandation est adoptée, l’ordre y afférent émanera du chef d’état-major de la défense au QGDN.

En l’espèce, le commandant a envoyé en juin 1992 au QGDN à Ottawa la recommandation de maintenir la requérante avec MG et S; le 6 octobre 1992, le colonel Brown, donnant suite à cette recommandation, a rendu la décision finale d’astreindre la requérante au régime de MG et S, envoyé un message à cet effet au contrôleur de la base, message qu’il a confirmé par la suite par une lettre datée du 7 octobre 1992. Le 4 novembre 1992, le contrôleur de la base a transmis cette décision à la requérante. Celle-ci a fait alors plusieurs demandes de communication du dossier : le 4 novembre, elle a demandé la communication des copies des documents mentionnés dans le message du QGDN au contrôleur de la base; après ses entrevues avec l’adjudant-maître McIntosh et avec l’adjudant-chef LaBella, son avocat a demandé à l’officier de l’administration de la base communication des documents cités comme preuve des faits relevés contre elle, c’est-à-dire le procès-verbal de la police militaire; enfin, dans sa demande de contrôle judiciaire soumise à la Cour, elle a demandé de nouveau copie du procès-verbal de la police militaire. Ces documents sont manifestement entrés en ligne de compte pour parvenir à la décision la concernant. Elle a reçu copie des documents mentionnés dans le message émanant du QGDN, sauf la recommandation du commandant de la base, dont elle a juste reçu copie du projet, mais à cette date, elle n’a pas reçu copie du procès-verbal de la police militaire, ni la formule signée de l’ordre de MG et S.

Il est extraordinaire que les avocats des intimés ainsi que les responsables au QGDN n’aient apparemment attaché aucune attention aux règles et procédures de cette Cour, qui prescrivent que le dossier intégral de l’autorité décisionnelle visée par la demande de contrôle judiciaire soit communiqué au requérant à sa demande ainsi qu’à la Cour. Malgré la demande de la requérante, copie du procès-verbal de la police militaire ne lui a pas été communiquée, et le dossier produit à la Cour n’est pas complet. Le ministère de la Défense nationale et les autorités responsables doivent savoir qu’ils sont tenus aux règles de procédure de la Cour.

Je note qu’il y a une certaine divergence au sujet de l’entrevue que la requérante a eue avec l’adjudant-chef Sears en avril 1992, après qu’elle eut été interrogée par la police militaire en février 1992. L’adjudant-chef Sears déclare au paragraphe 6 de son affidavit en date du 8 janvier 1993 et versé au dossier par les intimés, qu’il avait à ce moment-là informé la requérante du contenu et des détails du procès-verbal de la police militaire. Voici ce qu’on peut lire dans son affidavit :

[traduction] 6. Après avoir reçu le procès-verbal de la police militaire en avril 1992, j’ai eu une autre entrevue avec le caporal Gayler, au cours de laquelle je l’ai informée du contenu de ce procès-verbal et lui ai donné des détails consignés dans ce dernier, au sujet du fait qu’un individu a signalé à la police militaire que le petit ami du caporal Gayler fumait du cannabis (marijuana) dans l’appartement de cette dernière, le 9 février 1992. Le caporal Gayler m’a dit que les circonstances consignées dans le procès-verbal étaient exactes, et qu’elle savait que son petit ami était l’un de ceux qui avaient été arrêtés par la police militaire. Le caporal Gayler m’a dit que selon le règlement militaire, elle était dès lors impliquée, qu’elle avait fait une erreur en permettant à son petit ami de fumer de la marijuana dans son appartement; elle m’a assuré qu’elle avait appris la leçon et que la chose ne se reproduirait pas. À la fin de l’entrevue, j’ai informé le caporal Gayler que pour ma part, l’affaire n’allait pas plus loin à moins que je ne reçoive d’autres ordres de l’autorité supérieure.

Malgré cette déclaration, j’ajoute foi au témoignage rendu par la requérante aux paragraphes 2 et 5 de son affidavit daté du 10 février 1993 et versé au dossier manifestement en réponse à celui de l’adjudant-chef Sears. La requérante y nie en ces termes les circonstances rapportées par Sears :

[traduction] 2. J’ai lu la copie de l’affidavit établi le 8 janvier 1993 par Roy Bernard Sears et, en ce qui concerne le paragraphe 6 de cet affidavit, je nie catégoriquement avoir eu pareille conversation avec l’adjudant-chef Sears. Et je n’aurais certainement jamais dit à l’adjudant-chef Sears que mon ancien petit ami « était l’un de ceux qui avaient été arrêtés par la police militaire », puisque, autant que je sache, il n’a jamais été arrêté par la police militaire.

5. À un moment donné en avril 1992, j’ai communiqué avec l’adjudant-chef Sears pour lui demander s’il avait des nouvelles de l’enquête au sujet de laquelle j’avais été interrogée par la police militaire, et il m’a répondu que la base envisageait de m’astreindre au régime de mise en garde et surveillance. Après que j’eus été promue caporal à titre intérimaire en mai 1992, j’ai demandé à l’adjudant-chef Sears s’il avait des nouvelles de l’affaire, et il m’a dit que je saurais quand il saurait.

À mon avis, le commandant et le colonel Brown ont manqué l’un et l’autre à leur obligation d’équité envers la requérante. Comme dans l’affaire Diotte, supra, au moment où la décision finale lui fut communiquée, cette décision était déjà un fait accompli. Ce n’est qu’après que le colonel Brown eut rendu sa décision qu’elle fut informée qu’il y avait eu une recommandation de la soumettre au régime de MG et S. Elle ne s’est pas vu donner la possibilité de répondre aux allégations contenues dans le procès-verbal de la police militaire, après en avoir été informée et avant que la décision ne soit rendue. Voilà qui non seulement viole l’obligation d’équité à laquelle les intimés étaient tenus envers la requérante, mais encore va à l’encontre de l’alinéa (4) de l’article 20.15 des ORFC, lequel porte :

20.15

(4) Avant qu’une mesure administrative autorisée aux termes de l’alinéa (2) soit prise, il doit être donné au militaire une occasion raisonnable de fournir tout renseignement additionnel et de présenter ses observations pour que la mesure ne le soit pas. [Non souligné dans le texte.]

Dès qu’elle fut au courant du message émanant du QGDN, la requérante a demandé au contrôleur de la base de lui communiquer les preuves de l’allégation, et elle a persisté dans cette demande lors des entrevues subséquentes avec l’adjudant-chef LaBella et avec l’adjudant-maître McIntosh. Elle n’a appris que le fondement de cette allégation était une assertion faite par le caporal Moreland et consignée dans un procès-verbal de la police militaire, que lors de l’entrevue du 20 novembre 1992 avec l’adjudant-maître McIntosh et l’adjudant-chef LaBella, c’est-à-dire plus d’un mois après que la décision eut été rendue et près de trois semaines après qu’elle en eut été informée et qu’elle eut demandé communication de la documentation.

Les intimés n’ont pas prévenu la requérante des faits relevés contre elle. Lors même que la requérante n’avait pas droit à une audience de vive voix du fait que la décision en question était de nature administrative, elle aurait dû avoir la possibilité de répondre au dossier monté contre elle, ce qui s’entend également de la possibilité de redresser toute erreur ou d’expliquer tout fait pertinent, avant que la décision ne soit prise le 6 octobre 1992. Elle ne s’est pas vu accorder la possibilité de présenter des observations ni à son commandant avant qu’il ne fasse sa recommandation, ni au colonel Brown avant qu’il ne rende sa décision. Tant qu’elle ignorait la source et la nature des accusations portées contre elle, elle avait le droit, comme son avocat le lui avait conseillé, de s’abstenir de donner quelque explication que ce soit. Étant donné qu’il n’y avait visiblement aucune raison valide de lui refuser la communication du dossier en l’espèce, il aurait fallu lui communiquer le nom de la personne qui a fait l’allégation ainsi que les détails de l’allégation contenue dans le procès-verbal de la police militaire, afin qu’elle soit en mesure de contester la crédibilité de cette preuve testimoniale.

En conséquence, je conclus que les intimés ont privé la requérante de la possibilité de faire des observations au sujet des allégations faites contre elle, possibilité à laquelle, selon les principes d’équité et de justice naturelle, elle avait droit dans les circonstances de la cause.

Je prends acte que l’avocat de la requérante invoque aussi l’équité procédurale au regard de l’article 7 de la Charte. Puisqu’il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument afin de résoudre la question de l’équité soulevée en l’espèce, je ne le ferai pas.

Conclusion

En bref, je conclus que la requérante n’est pas irrecevable à saisir cette Cour d’une demande de contrôle judiciaire du fait qu’elle ne s’est pas prévalue du processus de redressement des griefs prévu par les ORFC. De surcroît, je conclus qu’il y a lieu pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour connaître de sa demande.

Pour ces motifs, la Cour rend une ordonnance portant annulation de la décision en date du 6 octobre 1992, par laquelle le colonel A. R. Brown a astreint la requérante au régime de MG et S pour implication supposée dans des activités reliées aux drogues. En outre, la Cour déclare dans cette ordonnance que les intimés feront en sorte que la formule de MG et S concernant l’incident en raison duquel la requérante a fait l’objet d’une mesure administrative, ainsi que toute mention de cette formule, soit retirée de ses dossiers personnels.



[1] L’OAFC 26-17 donne les détails relatifs aux mesures administratives comme suit :

1. L’avertissement écrit (AE), la mise en garde et la surveillance (MG et S) sont des mesures administratives destinées à faire accéder le militaire à un niveau acceptable de rendement ou de conduite. Dès maintenant, le terme « avertissement officiel » est périmé.

2. Les lignes de conduite suivantes s’appliquent à la fois à l’AE et à la MG et S :

a.    ces mesures administratives ne sont pas des punitions, aux termes de l’article 104.02 des ORFC (barème des punitions);

b.   ces mesures administratives ne doivent pas être prises deux fois pour corriger la même faiblesse ou une faiblesse apparentée à la première;

c.    un militaire qui fait l’objet desdites mesures administratives doit être suivi de près, conformément aux directives du commandant et aidé, par tous les moyens possibles, à surmonter ses faiblesses et à atteindre la norme de conduite voulue;

d.   normalement, ces mesures administratives doivent précéder toute recommandation de libération fondée sur les faiblesses du militaire.

[2] Les articles 19.26 et 19.27 des ORFC prévoient ce qui suit :

19.26—RÉPARATION D’UNE INJUSTICE

(1) Si un officier ou un militaire du rang croit qu’il a été victime d’une oppression, d’une injustice ou d’un autre mauvais traitement personnel, il peut demander à être entendu par son commandant.

(2) Si un officier ou militaire du rang croit qu’un tort lui a été causé par son commandant, soit parce qu’il n’a pas été fait droit à une réclamation présentée sous le régime du paragraphe (1) du présent article ou pour toute autre raison, il peut adresser une réclamation écrite à son commandant.

(3) Si le commandant ne fait pas droit à une réclamation présentée en vertu du paragraphe (2) du présent article dans les quatorze jours qui suivent la réception de cette réclamation, le requérant peut adresser ladite réclamation :

(a)  au commandant de formation, si la base ou autre unité ou élément dont relève le requérant fait partie d’une formation; ou

(b)  à l’officier général commandant le commandement, si la base ou autre unité ou élément dont relève le requérant, ne fait pas partie d’une formation.

(4) Si le requérant qui présente une réclamation au titre de l’alinéa (3)(a) du présent article, estime que le commandant de formation ne lui a pas rendu justice, il peut adresser sa réclamation écrite à l’officier général commandant le commandement.

(5) Si le requérant estime que l’officier général commandant le commandement ne lui a pas rendu justice, il peut adresser sa réclamation écrite au chef d’état-major de la défense.

(6) Si le requérant estime que le chef d’état-major de la défense ne lui a pas rendu justice, il peut adresser sa réclamation écrite au ministre, et si le requérant en fait la demande, le ministre soumettra la réclamation au gouverneur en conseil.

(7) Si le plaignant est un commandant d’unité ou de formation ou un officier général commandant un commandement, il doit d’abord adresser une réclamation écrite à son supérieur immédiat. À tout autre égard la procédure à suivre est la même que dans les cas des autres officiers.

(8) Chaque réclamation doit être soumise par les voies régulières. Toutefois, si un commandant d’unité ou de formation, ou un officier général commandant un commandement, ne fait pas parvenir à l’autorité supérieure une réclamation qu’il a été prié de lui adresser, ladite réclamation peut alors être transmise directement.

(9) Toute personne saisie d’une réclamation au titre du présent article, doit voir à ce que ladite réclamation fasse l’objet d’une enquête et, si cette personne est convaincue du bien-fondé de la réclamation, elle doit, dans la limite de ses pouvoirs, prendre des mesures en vue de rendre pleine justice au plaignant, ou, si elle n’a pas le pouvoir d’assurer pleine justice, soumettre la réclamation à l’autorité supérieure.

(10) Aucun officier ni militaire du rang ne doit être puni pour avoir présenté une réclamation au titre du présent article et de l’article 19.27.

19.27—RÈGLES RÉGISSANT L’ÉNONCÉ D’UNE RÉCLAMATION

(1) L’énoncé d’une réclamation sous le régime de l’article 19.26 :

(a) doit

(i) être fait aussitôt que possible pendant qu’il y a encore moyen de s’assurer des faits pertinents, et

(ii) se borner à un exposé des faits dont on se plaint et aux prétendues conséquences pour le plaignant; et

(b) ne doit pas

(i) être soumis collectivement par plus d’un plaignant, ni

(ii) être fait sous l’anonymat, ni

(iii) renfermer de déclaration que le plaignant sait n’être pas fondée, ni

(iv) inclure d’expressions ou de commentaires contraires ou nuisibles à la discipline, sauf dans la mesure où ils peuvent être nécessaires pour énoncer clairement la plainte.

(2) Si le plaignant a besoin d’aide pour formuler sa réclamation, le commandant doit demander à un officier de l’aider, ledit officier devant être désigné par le plaignant, quand la chose est possible.

[3] Voici les passages applicables de l’article 20.04 des ORFC :

20.04—INTERDICTION

Il est interdit à un officier ou à un militaire du rang de faire usage de toute drogue, sauf dans les cas suivants :

L’expression « être autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues » est expliquée dans les notes de l’article 20.04 comme suit :

(A) La possession, la possession en vue d’en faire le trafic, le trafic, l’importation, l’exportation, la fabrication et la culture de certaines drogues constituent des infractions aux lois fédérales telles que la Loi sur les stupéfiants ou la Loi sur les aliments et drogues. Ces activités sont comprises dans l’expression « être autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues » qui est prévue aux articles 20.05 (Éducation) et 20.19 (Traitement et réadaptation). [Soulignements ajoutés.]

Les articles 3, 4, 5 et 6 de l’OAFC 19-21 explicitent cette notion comme suit :

3…. la politique continue toujours à interdire toute participation décrite dans les paragraphes 4, 5 et 6 dans les affaires concernant les drogues, les substances prohibées ou les produits reliés aux drogues.

4. La possession, la possession à des fins de trafic, le trafic, la culture, l’importation et l’exportation d’un stupéfiant, ainsi que le trafic d’une substance considérée comme stupéfiant constituent des délits en vertu de la Loi sur les stupéfiants. En ce qui a trait à une drogue d’usage restreint, la possession, la possession à des fins de trafic ainsi que le trafic d’une drogue d’usage restreint ou d’une substance considérée comme une drogue d’usage restreint et en ce qui a trait à une drogue contrôlée, la possession à des fins de trafic ainsi que le trafic d’une drogue contrôlée ou d’une substance considérée comme une drogue contrôlée, constituent des délits en vertu de la Loi des aliments et drogues.

5. L’usage de toute drogue ou substance prohibée est interdit.

6. La possession, la livraison ou le contrôle de produits reliés aux drogues avec l’intention de les utiliser en rapport avec un délit prévu dans la Loi sur les stupéfiants ou la Loi des aliments et drogues ou en rapport avec l’usage non autorisé d’une drogue ou d’une substance prohibée sont interdits.

[4] Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1076; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.).

[5] Cantwell, supra, à la p. 46.

[6] 12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la présente loi.

[7] L’article 20.01 des ORFC porte :

20.01—DÉFINITIONS

Les définitions qui suivent s’appliquent au présent chapitre.

« usage » Tout acte d’injection, d’ingestion, d’inhalation, ou d’absorption de toute autre manière par le corps humain. (use)

L’article 2 de l’OAFC 19-21 donne une définition plus détaillée :

2. Dans la présente ordonnance :

« usage » comprend l’injection, l’ingestion, la consommation, l’absorption ou l’inhalation d’une drogue ou d’une substance prohibée; et

« usage non autorisé » désigne tout usage qui n’est pas approuvé par les autorités médicales ou dentaires des FC et qui pourrait avoir un effet nuisible sur la santé, la sécurité ou la fiabilité d’un militaire ou sur la sécurité, la préparation opérationnelle, le potentiel, la discipline, le moral ou l’image publique des FC.

[8] L’article 20.03 des ORFC porte :

20.03—OBJET

Le programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues a pour objet de maintenir :

a) l’état de préparation opérationnel des Forces canadiennes;

b) la sécurité des militaires des Forces canadiennes et du public;

c) la santé des militaires des Forces canadiennes et du public;

d) la sécurité des établissements de défense, des matériels et des biens publics ou privés;

e) la sécurité des renseignements classifiés pour des raisons d’intérêt national ou de ceux protégés de toute autre manière par la loi;

f) la discipline au sein des Forces canadiennes;

g) la fiabilité des militaires des Forces canadiennes;

h) la cohésion et le bon moral au sein des Forces canadiennes.

[9] L’article 20.05 des ORFC porte :

20.05—ÉDUCATION

(1) Le chef d’état-major de la défense établit des programmes d’éducation qui visent à renseigner les militaires sur l’usage des drogues ou sur le fait d’être autrement impliqué dans des activités reliées aux drogues.

(2) Lors des cours donnés dans le cadre des programmes d’éducation mentionnés à l’alinéa (1), les sujets suivants devraient être, à tout le moins, traités :

a) les drogues dont l’usage est interdit en vertu de l’article 20.04 (Interdiction);

b) les effets de l’usage des drogues sur les facultés physiques et mentales;

c) l’impact de l’usage de drogues sur l’efficacité des forces militaires, sur la sécurité du militaire et sur celle d’autres personnes, sur la santé du militaire concerné et sur sa carrière;

d) les programmes qui existent en vue de venir en aide aux militaires qui ont des difficultés relativement à l’usage de drogues ou qui sont autrement impliqués dans des activités reliées aux drogues. [Soulignements ajoutés.].

[10] L’article 20.06 des ORFC prévoit l’analyse d’urine obligatoire.

[11] L’article 20.15 des ORFC prévoit les mesures disciplinaires et administratives en la matière.

[12] 18. …

(2) Sauf ordre contraire du gouverneur en conseil, tous les ordres et directives adressés aux Forces canadiennes pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre émanent, directement ou indirectement, du chef d’état-major de la défense.

[13] Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; et Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602.

[14] Voici ce que prévoit l’OAFC 26-17 :

3. La prise des mesures de MG et S peut être ordonnée pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

b. Drogues. Les mesures … de MG et S, pour usage de drogues sans autorisation, doivent être appliquées conformément aux politiques, formalités et formules spéciales prévues par l’OACF 19-21, auxquelles s’ajoutent les dispositions prévues au paragraphe 6 ci-dessous.

6. Les lignes de conduite suivantes s’appliquent aux mesures de MG et S qui sont prises afin de corriger l’ensemble des faiblesses, y compris celles attribuables à l’usage de drogues et d’alcool :

a. Ces mesures administratives de MG et S constituent l’ultime effort en vue de sauver la carrière d’un militaire.

b. Le commandant ou une autorité supérieure peut y avoir recours.

c. Les mesures de MG et S influent sur l’admissibilité aux cours d’instruction et sur l’avancement (y compris la promotion au niveau supérieur du grade de soldat) conformément aux dispositions des OAFC 49-4 et 49-5, ainsi que sur l’octroi des primes au rendement, conformément à l’OAFC 204-2.

d. Les mesures de MG et S écartent toute mutation à une nouvelle unité jusqu’au terme de la période de surveillance, sauf lorsque le militaire sert à bord d’un navire à destination préétablie ou au sein d’une unité pendant une période de service de durée déterminée, comme le précise l’OAFC 20-6, ou lorsque le militaire suit un cours régulier dispensé par une école des Forces canadiennes. Lorsqu’un militaire est muté pendant sa période de surveillance, le commandant doit informer le commandant de sa nouvelle unité d’affectation des circonstances qui ont motivé sa mise sous surveillance, avant que le militaire ne quitte son unité d’affectation actuelle.

e. La période de surveillance doit durer 6 mois, sauf que—

(1) dans des circonstances exceptionnelles, le commandant peut demander au DGCMP/QGDN (Directeur général—Carrières militaires (personnel non officier)) de prolonger ladite période de trois mois, ou

(2) l’autorité compétente ayant ordonné la mise sous surveillance peut y mettre un terme si le militaire corrige ses faiblesses ou, au contraire, s’il ne fournit pas les efforts voulus pour réaliser les progrès nécessaires ou se rend coupable d’une infraction apparentée à la faiblesse qu’on lui reproche.

f. si les mesures de MG et S ne se soldent pas par un succès, le commandant peut ordonner la libération du militaire.

g. si un militaire s’oppose à la prise des mesures de MG et S, les dispositions prévues aux articles 19.26 et 19.27 des ORFC doivent s’appliquer. [Soulignements ajoutés.].

[15] Nicholson, supra; Martineau, supra, à la p. 630; Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; et Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

[16] OAFC 19-21, section 2, paragraphe 11.

[17] Le paragraphe 20 de la section 4 de l’OAFC 19-21 porte :

20. Sous réserve du paragraphe 21 de la présente ordonnance, lorsqu’une enquête a été tenue relativement à une contravention que l’on avait soupçonnée ou alléguée et que le Cmdt détermine qu’il y a suffisamment de renseignements sûrs pour établir la contravention et être ainsi en mesure de décider si des mesures disciplinaires ou administratives, ou les deux, seront prises, il doit préparer un rapport complet pour le Quartier général de la Défense nationale (QGDN). Le rapport doit être acheminé au Directeur—Carrières militaires (Colonels) (DCMC), Directeur—Carrières militaires (Officiers) (DCMO) ou Directeur—Carrières militaires (Personnel non officier) (DCMP), selon le cas, et le formulaire de message standard protégé de l’annexe C doit être utilisé. Le rapport doit inclure la recommandation du Cmdt sur la question de savoir si le militaire devrait être maintenu dans les FC et faire l’objet de mesures de mise en garde et de surveillance, dans le cas d’un militaire du rang, ou faire l’objet d’un rapport d’insuffisance dans le cas d’un officier, ou encore si le militaire doit être libéré.

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