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[1995] 3 C.F. 189

IMM-3301-94

Gerald Gervasoni (requérant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Gervasoni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Vancouver, 23 mai; Ottawa, 22 juin 1995.

Citoyenneté et ImmigrationExclusion et renvoiProcessus d’enquête en matière d’immigrationContrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant était une personne visée à l’art. 27(2)a) de la Loi sur l’immigration et une mesure d’expulsion conditionnelle devait être priseEnquête tenue à un Centre correctionnelLe public a été exclu parce qu’il n’y avait pas suffisamment de temps pour faire des vérifications de sécuritéL’art. 29(1) exige qu’une enquête soit menée en publicL’arbitre n’a pas ajourné l’enquête pour qu’elle soit menée à un autre endroitL’absence d’une ordonnance portant exclusion du public ne satisfait pas à l’art. 29(1)Il est satisfait aux fins d’une audience publique si les membres intéressés du public ne voient pas restreindre déraisonnablement leur présenceIl n’existe aucun élément de preuve sur le caractère raisonnable des mesures de sélection préliminaire aux fins de la LoiPuisque l’art. 29(1) est une disposition impérative, la décision est annulée même si aucun préjudice n’a été causé au requérant.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Excès de compétence — Enquête menée en vertu de la Loi sur l’immigration — La Loi exige qu’une enquête soit menée en public — Enquête menée à un Centre correctionnel — Le public s’est vu refuser l’admission en raison des préoccupations de sécurité de l’établissement — L’arbitre savait que les enquêtes devaient être ouvertes au public, mais il a néanmoins procédé à l’enquête — L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit en procédant à l’enquête? — L’absence d’une ordonnance portant exclusion du public ne satisfait pas à la condition que l’enquête soit menée en public — Sens de l’expression « audience publique » — Aucune preuve que les mesures de sélection préliminaire sont raisonnables aux fins de la Loi sur l’immigration — La condition que l’enquête soit ouverte au public est une condition impérative — Décision annulée bien qu’aucun préjudice n’ait été causé au requérant.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un arbitre a conclu que le requérant était une personne visée à l’alinéa 27(2)a) de la Loi sur l’immigration et qu’une mesure d’expulsion conditionnelle devait donc être prise, compte tenu des aveux du requérant selon lesquels il avait été déclaré coupable d’une infraction commise aux États-Unis qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction punissable, en vertu du Code criminel, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

L’enquête a été tenue au Centre correctionnel régional de l’île de Vancouver à Victoria, où le requérant était détenu. Certains membres du public, désireux d’assister à l’audition, n’ont pas été admis parce qu’il n’existait pas suffisamment de temps pour faire des vérifications de sécurité. L’arbitre n’a pas ajourné l’enquête afin de prendre des dispositions pour qu’elles soit continuée à un autre endroit auquel le public avait accès.

Le paragraphe 29(1) de la Loi sur l’immigration prévoit qu’une enquête doit être menée en public et, dans la mesure du possible, en présence de l’intéressé. La question se pose de savoir si l’enquête a été « menée en public ».

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le simple fait que l’arbitre n’ait pas rendu d’ordonnance portant exclusion du public ou qu’il ait affirmé ne pas s’opposer à sa présence ne signifie pas que l’enquête remplit la condition posée par le paragraphe 29(1). En mentionnant « l’accès limité du public aujourd’hui », l’arbitre a implicitement reconnu que l’audition n’était pas tenue en public. La question est, non pas de savoir si la Loi exige un accès illimité, sans égard à la conduite des personnes admises ou à l’intégrité des procédures, mais de savoir si l’enquête est menée en public alors qu’aucun membre du public n’est présent et que certains, désireux d’y assister, en sont exclus.

Les mots « wherever practicable » (dans la mesure du possible) s’appliquent seulement à la condition que l’enquête soit tenue en la présence de l’intéressé. À part la circonstance exceptionnelle prévue au paragraphe 29(2), il n’est nullement prévu qu’on peut consentir à ce qu’une audition soit tenue autrement qu’en public, même si ce consentement émane de l’intéressé qui fait l’objet de l’enquête.

Les fins d’une audience publique n’exigent pas de mesures déraisonnables. Il y est satisfait si les membres intéressés du public ne voient pas restreindre déraisonnablement leur présence à l’enquête, dans les locaux retenus. Il n’existe aucun élément de preuve sur le caractère raisonnable, aux fins de la Loi sur l’immigration, des mesures de sélection préliminaire imposées.

La condition qu’une enquête soit menée en public est une condition impérieuse. L’arbitre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a procédé à l’enquête alors qu’il savait parfaitement que celle-ci ne serait pas menée en public. La décision de l’arbitre doit être annulée même si elle n’a pas porté préjudice au requérant.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.1)(i) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 27(2)a) (mod. idem, art. 16), 29(1) (mod., idem, art. 18), (2) (mod., idem), (3) (mod. idem), 32.1(4) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un arbitre a conclu que le requérant était une personne visée à l’alinéa 27(2)a) de la Loi sur l’immigration et qu’une mesure d’expulsion conditionnelle devait être prise, pour le motif que l’audition était nulle parce qu’elle n’avait pas été menée en public comme l’exige le paragraphe 29(1). Demande accueillie.

AVOCATS :

Gary Botting pour le requérant.

Kathy Ring pour l’intimé.

PROCUREURS :

Gary Botting, Victoria, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Le requérant demande le contrôle judiciaire et l’annulation de la décision, en date du 21 juin 1994, dans laquelle un arbitre a conclu qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(2)a) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16)] (la Loi) et que, pour cette raison, une mesure d’expulsion conditionnelle devrait être prise contre lui en application du paragraphe 32.1(4) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12] de la Loi.

Le requérant est citoyen américain. Il est arrivé au Canada en 1986. En 1993, une enquête a été menée concernant son statut au Canada et, après plusieurs ajournements, elle a repris le 21 juin 1994 au Centre correctionnel régional de l’île de Vancouver à Victoria, où le requérant était détenu en application de la Loi. Au cours de l’audition, le requérant a fait certains aveux, notamment l’aveu selon lequel il avait été déclaré coupable de vol au second degré dans l’État du New Jersey en 1982 pour lequel il avait été condamné à sept ans d’emprisonnement, et cette infraction, ainsi qu’il l’a admis, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, en vertu du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. C’est sur la base de ces aveux que l’arbitre a conclu que le requérant était une personne visée à l’alinéa 27(2)a) de la Loi.

Je dois noter que la demande de contrôle judiciaire en l’espèce concernait également l’omission alléguée du gouverneur général en conseil de rendre, à l’égard du requérant, une décision fondée sur le sous-alinéa 19(1)c.1)(i) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de la Loi, mais que cet aspect n’a pas été discuté lorsque la demande a été entendue à Vancouver le 23 mai 1995, et que toute action en réparation pour ce motif a été abandonnée, l’avocat du requérant ayant reconnu qu’aucune requête en décision fondée sur cette disposition de la Loi n’était consignée.

Le seul motif de contestation de la décision de l’arbitre concerne sa décision de poursuivre l’enquête le 21 juin 1994 après qu’il est devenu manifeste que certains membres du public, désireux d’assister à l’audition de l’enquête, n’avaient pas été admis au Centre correctionnel où l’enquête était menée. Il est allégué que cela contrevenait aux responsabilités légales de l’arbitre et outrepassait sa compétence compte tenu du paragraphe 29(1) [mod. idem, art. 18] de la Loi, qui est ainsi rédigé :

29. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’arbitre mène l’enquête en public et, dans la mesure du possible, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci consent par écrit à ce que l’enquête se tienne sans audition et en son absence.

Les paragraphes (2) [mod., idem] et (3) [mod., idem] de l’article 29 ne sont pas en litige en l’espèce. Respectivement, ces dispositions permettent à un arbitre de prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance lorsqu’il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne soit mise en danger par la publicité des débats ou lorsque, dans ces circonstances, il semble approprié d’assurer la confidentialité d’une audition. L’arbitre a lui-même précisé à l’audition que sa décision a été rendue sans faire état des circonstances abordées dans ces dispositions.

Au commencement de l’enquête le 21 juin 1994, l’avocat du requérant a noté que certaines personnes qui voulaient assister à l’enquête n’avaient pas été autorisées à le faire. Il ne savait pas qui ces gens étaient, et il a dit qu’il n’était pas particulièrement inquiet des intérêts de son client, mais il a fait remarquer que la presse l’avait appelé auparavant et qu’il avait alors fait savoir que, selon lui, l’audition serait ouverte au public. L’arbitre a dit que le personnel de l’établissement l’avait informé que quelqu’un demandait à assister à l’enquête et que certaines personnes s’étaient renseignées l’après-midi précédent, mais qu’aucune d’entre elles n’avait été admise dans les locaux parce que les responsables de la sécurité de l’établissement n’avaient pas suffisamment de temps pour faire des vérifications de sécurité à l’égard de ceux qui demandaient à être admis. L’arbitre a dit qu’il avait informé le personnel de l’établissement que les enquêtes en matière d’immigration étaient ouvertes au public, et que les membres du public avaient le droit d’y assister, mais il a également dit qu’il incombait, non pas à lui, mais au personnel de décider si et selon quel critère de la sécurité, des personnes seraient admises à l’établissement.

La discussion des circonstances s’est poursuivie. L’avocat du requérant a laissé entendre que l’arbitre devrait peut-être entendre ceux qui, apparemment, désiraient assister à l’enquête, mais l’arbitre a refusé de le faire. Il ne s’opposait pas à la présence de ces gens, et le requérant ne s’y est pas non plus opposé, et il n’appartenait pas à l’arbitre de trancher la question de l’incapacité de ces gens de convaincre les agents de l’établissement de leur permettre d’assister à l’enquête. L’arbitre a également rejeté la proposition de l’avocat du requérant de faire ajourner l’enquête et de prendre des mesures pour qu’elle ait lieu dans un autre endroit auquel le public avait accès, notamment dans d’autres installations de détention possibles où il semblait que des enquêtes avaient été menées sans de semblables difficultés. À ce stade, le requérant est lui-même intervenu pour dire :

[traduction] Ils les laisseraient entrer, mais ils doivent les prévenir à l’avance. Ils ne les ont pas prévenus suffisamment à l’avance.

L’agent chargé de présenter les cas qui était présent à l’enquête a estimé que l’arbitre tenait de la Loi le pouvoir discrétionnaire de poursuivre l’audition et que ce serait une tâche [traduction] « horrible » que de transporter le requérant dans d’autres lieux. L’arbitre a en fin de compte dit ce qui suit :

[traduction] … dans les circonstances, me rappelant qu’il s’agit en l’espèce du droit administratif et que je suis tenu de mener l’enquête efficacement mais équitablement, j’estime que, dans les circonstances de l’espèce aujourd’hui, il ne serait pas efficace d’ajourner l’enquête en vue de la mener dans un lieu neutre et de voir à l’accès illimité du public aux procédures; nous allons donc commencer aujourd’hui … Ce n’est pas à la légère que j’ai ainsi décidé, mais pleinement conscient que j’ai pour tâche principale de mener l’enquête efficacement et équitablement et que me rallier à votre argument signifierait que nous ne mènerons plus jamais d’enquêtes dans des établissements; j’estime donc que je dois décider dans les circonstances que nous procéderons à l’enquête avec l’accès limité du public aujourd’hui.

L’avocat du requérant soutient maintenant que l’arbitre ne pouvait rendre une telle décision, et que ce dernier ayant commis une erreur de droit en décidant de continuer l’enquête dans des circonstances où le public n’avait pas accès à l’audition, contrairement aux exigences du paragraphe 29(1) de la Loi, les procédures étaient nulles sur le plan juridique. Il est allégué que les décisions prises par la suite au cours de ces procédures, dont les décisions concernant le droit du requérant d’être au Canada et la mesure d’expulsion conditionnelle, sont également nulles. En d’autres termes, il est allégué que la condition que l’enquête soit menée en public posée par le paragraphe 29(1) de la Loi n’a pas été respectée dans les circonstances de l’espèce, et que l’enquête et les décisions en découlant ne sont pas légales.

L’intimé soutient que l’enquête a été tenue conformément au paragraphe 29(1) puisque le public n’a pas été exclu par une ordonnance de l’arbitre. En fait, l’arbitre a précisé à l’audition qu’il ne s’opposait nullement à ce que le public ait accès à l’audition et qu’il l’avait fait savoir aux agents de l’établissement.

Je ne suis pas persuadé que, dans les circonstances de l’espèce, le simple fait que l’arbitre n’ait pas rendu d’ordonnance portant exclusion du public et qu’il ait même affirmé ne pas s’opposer à sa présence signifie que l’enquête remplirait la condition posée par le paragraphe 29(1), savoir que l’arbitre « mène l’enquête en public ». En l’espèce, l’arbitre savait que le public n’était pas présent bien qu’il ait su qu’un ou plusieurs membres du public voulaient avoir accès à l’audition de l’enquête. Les responsables de la direction des lieux où l’enquête était menée ont refusé de les laisser entrer.

À mon avis, l’arbitre a implicitement reconnu que l’audition n’avait pas été tenue en public. Bien qu’il ait noté qu’il n’avait pas exclu les membres du public, par ses commentaires et sa décision de poursuivre l’enquête malgré le défaut d’accès des membres du public, l’arbitre a décidé de poursuivre l’enquête dans des circonstances où il savait que certains membres du public avaient été exclus et qu’aucun n’y avait eu accès. Ce faisant, il a fait état de la solution de rechange consistant, selon lui, à tenir des auditions en prenant des dispositions pour qu’il y ait accès illimité du public par opposition à « l’accès limité du public aujourd’hui ». À mon avis, ces solutions de rechange étaient fallacieuses, car il n’y a pas eu « accès limité … aujourd’hui », il n’y en a pas eu du tout. Qui plus est, la question n’était pas de savoir si la Loi exigeait un « accès illimité » du public, sans égard au nombre ou à la conduite des personnes admises ou à l’intégrité des procédures de l’enquête. La question se posait plutôt de savoir si l’enquête pouvait être « (menée) en public » alors que l’arbitre savait qu’aucun membre du public n’était présent et que certains, désireux d’y assister, en avaient été exclus.

Selon l’intimé, même si on concluait que l’audition n’était pas tenue « en public » conformément au membre de phrase d’ouverture du paragraphe 29(1), l’arbitre tient de ce paragraphe le pouvoir discrétionnaire d’agir autrement, dans des circonstances autres que celles prévues aux paragraphes 29(2) et (3). Il est allégué que ce pouvoir discrétionnaire découle de l’inclusion des mots « wherever practicable » (dans la mesure du possible). Il est peut-être utile de répéter en partie le paragraphe 29(1), qui, à part les renvois aux paragraphes 29(2) et (3), prévoit essentiellement :

29. (1) … l’arbitre mène l’enquête en public et, dans la mesure du possible, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci consent par écrit à ce que l’enquête se tienne sans audition et en son absence.

L’intimé soutient que les mots « wherever practicable » (dans la mesure du possible) modifient les deux conditions qui sont posées dans cette disposition, c’est-à-dire que l’enquête doit être menée en public et qu’elle doit être tenue en présence de l’intéressé. Je ne suis pas persuadé que tel soit le cas. Ces mots figurent dans le membre de phrase posant la dernière condition, lequel membre de phrase est, dans l’ensemble, mis en valeur par des virgules; les mots « wherever practicable » ne sont pas immédiatement précédés d’une virgule comme on pourrait s’y attendre s’ils étaient destinés à modifier davantage que la locution plus longue dans laquelle des virgules les font figurer. De plus, la circonstance exceptionnelle exposée dans le membre de phrase final concernant le consentement par écrit, de la part de l’intéressé, à d’autres arrangements, ne s’entend pas de l’enquête tenue autrement qu’en public, mais seulement d’une enquête tenue sans audition et en l’absence de l’intéressé. À part la circonstance exceptionnelle prévue au paragraphe 29(2), où l’intéressé peut demander que la confidentialité d’une audition soit assurée pour le motif que sa vie ou sa sécurité pourrait être mise en danger par la publicité des débats, il n’est nullement prévu qu’on peut consentir à ce qu’une audition soit tenue autrement qu’en public, même si ce consentement émane de l’intéressé qui fait l’objet de l’enquête.

Les parties ont fait mention des définitions lexicographiques des expressions « audience publique » et « procès public », et de la jurisprudence portant sur l’admission des membres de la presse à des procédures judiciaires et autres. Ces définitions et cette jurisprudence servent toutes à souligner les fins reconnues d’une « audience publique », fins que visait, à mon avis, le législateur en prévoyant expressément dans la Loi la tenue d’une enquête en public. J’estime que ces fins n’exigent pas de mesures déraisonnables. Il y est satisfait si les membres intéressés du public ne voient pas restreindre déraisonnablement leur présence à l’enquête, dans les locaux retenus, et si des représentants de la presse ont la possibilité d’y assister, sauf dans des circonstances où le législateur peut les exclure expressément au moyen de dispositions législatives qui ne violent pas la Charte [Charte canadienne des droits et libertés , qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

En l’espèce, je ne dispose d’aucun élément de preuve sur le caractère raisonnable, aux fins de la Loi sur l’immigration, des mesures imposées dans la sélection préliminaire des personnes désireuses d’assister à l’enquête. Si, par exemple, les préoccupations de l’établissement à l’égard de la sécurité étaient apparemment raisonnables pour les fins de ce dernier, mais avaient pour conséquence d’exclure les membres du public de toute enquête en matière d’immigration au sein de l’établissement, il ne s’agirait pas là de conditions raisonnables aux fins de la Loi sur l’immigration compte tenu des exigences du paragraphe 29(1). Le fait pour les représentants du ministre de prévoir la tenue d’une enquête au sein d’un établissement dans ces circonstances ne serait pas compatible avec leurs responsabilités prévues par la Loi.

À mon avis, la Loi, en précisant qu’une enquête doit être menée en public, pose une condition impérative. Mais si celle-ci n’est pas remplie, et telle est ma conclusion en l’espèce, le résultat d’une enquête qui n’est pas menée en public est-il nul comme le prétend le requérant à l’instance? C’est un risque que courent ceux qui sont chargés de prendre les dispositions nécessaires et de tenir des auditions à l’occasion d’une enquête dans les cas où ils ne contrôlent pas l’accès à leurs propres auditions. Une cour de révision annulerait ordinairement les décisions rendues par l’arbitre lorsqu’elle estime que l’enquête n’a pas été menée en public comme l’exige la Loi.

Existe-t-il des circonstances exceptionnelles où une cour, à l’occasion d’un contrôle judiciaire, refuserait d’annuler une ordonnance rendue à une enquête qui n’a pas été menée en public? En l’espèce, par exemple, il n’est nullement allégué qu’il y a eu injustice dans le processus tel qu’il touchait l’intéressé; les décisions de l’arbitre reposaient sur les aveux du demandeur dont on ne dit pas qu’ils ont été injustement extorqués ni qu’ils sont retirés ou seront probablement rejetés à une autre enquête si cela était ordonné. S’agit-il là des circonstances où aucun préjudice n’est causé à la personne touchée par la décision de l’arbitre et, si tel est le cas, la Cour est-elle fondée à refuser la réparation de la nature exceptionnelle demandée en l’espèce, à savoir l’annulation de la décision de l’arbitre? Si la Cour opposait un tel refus, ne méconnaîtrait-elle pas l’intention du législateur, celle de prévoir que les enquêtes en matière d’immigration doivent être menées en public?

À mon avis, l’arbitre, si louables que soient ses intentions, a outrepassé sa compétence lorsqu’il a procédé à l’enquête alors qu’il savait parfaitement que celle-ci ne serait pas menée en public, mais en l’absence de tout représentant du public alors qu’on savait que certains avaient manifesté leur désir d’y assister mais n’avaient pas été autorisés à le faire. La Loi, dans son paragraphe 29(1), est impérative, à part les exceptions précisées par le législateur, et, de façon concevable, les circonstances similaires à ces exceptions, où pour des motifs liés à la Loi sur l’immigration et à ses fins, une cour pourrait interpréter cette disposition comme conférant à l’arbitre un pouvoir discrétionnaire restreint. Or, il n’existe pas de telles circonstances en l’espèce.

Par ces motifs, la demande est accueillie. La décision de l’arbitre est annulée et l’affaire renvoyée à la section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un autre arbitre procède à un nouvel examen conforme à la Loi.

L’avocat du requérant a proposé des questions qui, en application du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi, pourraient être examinées aux fins de certification et ensuite déférées à la Cour d’appel. Les avocats ne se sont pas entendus sur la formulation de ces questions. Compte tenu de ma décision sur l’affaire, qui porte simplement sur l’application de la Loi aux faits tels que je les vois, je refuse la certification demandée.

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