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canada c. uzoaba

T-1206-94

Procureur général du Canada (requérant)

c.

Julius H. E. Uzoaba et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)

Répertorié: Canada (Procureur général) c. Uzoaba (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein"Ottawa, 21 avril 1995.

Droits de la personne " Contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal des droits de la personne suivant lequel l'évaluation du rendement, les références où l'on a tenu compte des attitudes racistes de prisonniers et le dépôt dans un dossier personnel d'une pétition motivée par le racisme constituent des actes discriminatoires " Le Tribunal a ordonné le rétablissement à un poste de niveau supérieur en vertu de l'art. 53(2)b) de la LCDP " Le SCC ne doit pas répondre des croyances racistes de détenus mais de la discrimination exercée par la direction qui s'est fondée sur des actes, des déclarations ou des pétitions racistes " Il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la décision de l'employeur " En cas de conflit entre l'art. 53(2)b) de la LCDP et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la LCDP a préséance.

Fonction publique " Processus de sélection " Principe du mérite " En vertu de l'art. 53(2)b) de la LCDP, un tribunal des droits de la personne peut ordonner d'accorder à la victime d'un acte discriminatoire, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée " Le Tribunal des droits de la personne a ordonné le rétablissement du plaignant à un poste supérieur après avoir conclu que l'employeur avait commis des actes discriminatoires " Le droit d'accorder des promotions suivant le principe du mérite qui est conféré au gouvernement par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ne l'emporte pas sur la LCDP " La LCDP a préséance " Étant donné qu'il existait certains éléments de preuve sur lesquels le Tribunal pouvait fonder sa décision, la Cour n'a pas compétence.

Pénitenciers " Un gestionnaire du SCC a tenu compte des attitudes racistes de détenus dans l'évaluation du rendement du plaignant " Il a déposé dans le dossier personnel une pétition motivée par le racisme " Le Tribunal a conclu avec raison à l'existence d'actes discriminatoires non pas en raison des croyances racistes des détenus mais parce qu'en se fondant sur des comportements motivés par le racisme, la direction a elle-même exercé une discrimination.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un tribunal des droits de la personne a conclu que le Service correctionnel du Canada (SCC) avait violé la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Il était question dans l'évaluation du rendement du plaignant qui avait été effectuée en 1980 d'un nombre assez important de détenus qui avaient demandé de ne plus relever de ce dernier en raison d'un problème de langage ou encore d'une attitude affectée ou autrement répréhensible. Plusieurs des prisonniers étaient des motards dont le racisme était bien connu. Le Tribunal a statué que l'acceptation aveugle des opinions des détenus au sujet du rendement du plaignant, alors qu'on savait que certaines de ces opinions étaient empreintes de racisme, équivalait à de la discrimination fondée sur la race de la part du SCC. Il a jugé que cette discrimination s'est poursuivie dans les références renfermant des commentaires négatifs fondés sur les actes des détenus. Il a également considéré que le dépôt dans le dossier personnel de l'intimé d'une pétition des prisonniers qui était motivée en partie par leur racisme et que le fait de l'obliger à signer une entente en vertu de laquelle la pétition serait retirée s'il acceptait de ne pas travailler avec des détenus constituaient des actes discriminatoires. Le procureur général a soutenu que le SCC ne saurait être tenu responsable des actes des détenus et que les mesures prises par le SCC étaient légitimes et ne reposaient pas sur des motifs discriminatoires.

Le Tribunal a ordonné au SCC de rétablir le plaignant à un poste de niveau supérieur à celui qu'il occupait lorsque ses droits ont été violés. L'alinéa 53(2)b) de la LCDP autorise un tribunal à ordonner d'accorder à la victime d'un acte discriminatoire, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée. Le procureur général a soutenu qu'un tribunal des droits de la personne ne peut passer outre au système de promotion accordée en vertu du principe du mérite que prévoit la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en statuant que l'employeur a exercé de la discrimination en ce qui concerne l'évaluation du rendement du plaignant. Compte tenu de l'aveu même du superviseur, il n'était pas déraisonnable de conclure qu'on avait tenu compte dans l'évaluation du rendement d'opinions de détenus qui reposaient sur des attitudes racistes et qu'il s'agissait de discrimination fondée sur la race. La preuve dont avait été saisi le Tribunal indiquait aussi que la pétition des détenus était motivée, en partie du moins, par le racisme de certains des détenus. Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que le dépôt dans le dossier d'un employé d'une telle pétition, qui pourrait ensuite servir à des fins disciplinaires ou au renvoi de l'employé, et qui a été utilisée pour marchander avec ce dernier, constitue de la discrimination de la part de l'employeur.

Le SCC ne doit pas répondre des actes ou des croyances racistes des prisonniers. Toutefois, lorsque, dans ses rapports avec un employé, la direction se fonde sur des actes, des déclarations ou des pétitions racistes de prisonniers, elle exerce une discrimination contre l'employé. Même si le plaignant avait d'autres problèmes avec les détenus que ceux liés à sa race, il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la décision de l'employeur.

Même si le pouvoir d'un tribunal des droits de la personne d'ordonner qu'une promotion soit accordée à un fonctionnaire entre indirectement en conflit avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, les dispositions de la LCDP doivent avoir préséance. Toute autre conclusion minimiserait ou diminuerait l'effet des droits garantis par la LCDP. Si la LCDP n'avait pas préséance, le pouvoir d'un tribunal d'ordonner le rétablissement à un niveau supérieur s'appliquerait à des postes non gouvernementaux lorsque la Loi est applicable, mais non à des postes gouvernementaux, une anomalie que le législateur ne peut avoir envisagé de créer.

Les principes de la limitation, du caractère indirect et de la prévisibilité du préjudice s'appliquent à l'octroi de dommages-intérêts, mais en ce qui concerne le rétablissement à un poste, il s'agit plutôt d'une question de suffisance de la preuve. Comme certains éléments de preuve permettaient au Tribunal de conclure que le plaignant devait être rétabli à un poste de niveau supérieur, la Cour ne peut pas intervenir en l'espèce.

lois et règlements

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 53(2)b), 54(2).

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 41.

jurisprudence

décisions appliquées:

Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161; Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199; (1981), 120 D.L.R. (3d) 1; 35 N.R. 19.

décisions citées:

Marylou Bueckert v. Base-Fort Patrol Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/804 (Commission d'enquête); Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12; 91 CLLC 17,028; 112 N.R. 395 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401; (1991), 85 D.L.R. (4th) 473; 92 CLLC 17,002; 135 N.R. 27 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal des droits de la personne portant que le Service correctionnel du Canada s'était rendu coupable de pratiques discriminatoires en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne en tenant compte des attitudes racistes de détenus dans l'évaluation de rendement d'un employé et dans les références d'un supérieur et en déposant dans le dossier personnel de l'employé une pétition de prisonniers (Uzoaba c. Canada (Service Correctionnel), [1994] D.C.D.P. no 7 (QL)). Demande rejetée.

avocats:

Ian McCowan pour le requérant.

Andrew J. Raven et David Yazbeck pour l'intimé Julius Uzoaba.

Peter Engelmann et Michael Gottheil pour l'intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour l'intimé Julius Uzoaba.

Caroline Engelmann & Gottheil, Ottawa, pour l'intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance prononcés à l'audience par

Le juge Rothstein: Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 28 avril 1994 par un tribunal des droits de la personne (le Tribunal) [[1994] D.C.D.P. no 7 (QL)]. Le Tribunal a conclu que les droits garantis à M. Julius Uzoaba par la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), avaient été violés. Il a notamment ordonné à l'employeur, le Service correctionnel du Canada, d'offrir à M. Uzoaba, à la première occasion raisonnable, un poste au niveau WP-5 qui n'exige aucun contact avec les détenus.

Dans la demande qu'il m'a présentée, le procureur général soutient que la Cour devrait annuler la décision du Tribunal et lui renvoyer l'affaire en lui indiquant que la plainte de M. Uzoaba doit être rejetée. Le procureur général affirme que le Tribunal a commis une erreur en concluant que le Service correctionnel du Canada a violé la Loi. Il ajoute que même si la Loi avait été violée, le Tribunal aurait commis une erreur en ordonnant au Service correctionnel du Canada de rétablir M. Uzoaba à un poste de niveau WP-5 ce qui constituerait une promotion par rapport au poste d'agent de classification de niveau WP-3 qu'il occupait au moment où ses droits ont été violés.

Le procureur général avance essentiellement deux arguments en ce qui concerne la responsabilité. Il soutient premièrement que le Service correctionnel du Canada ne saurait être tenu responsable des actes des détenus dans une prison. Deuxièmement, il affirme que les mesures prises par le Service correctionnel du Canada étaient légitimes et ne reposaient pas sur des motifs discriminatoires.

Les actes discriminatoires du Service correctionnel du Canada à l'existence desquels le Tribunal a conclu et auxquels l'avocat s'est reporté sont les suivants:

1) Une évaluation du rendement de M. Uzoaba qui tenait compte des attitudes racistes de prisonniers.

2) Les références d'un supérieur de M. Uzoaba qui a tenu compte des attitudes racistes de prisonniers.

3) Le dépôt dans le dossier personnel de M. Uzoaba d'une pétition des prisonniers qui était motivée en partie par leur racisme et qui pourrait servir à des fins disciplinaires ou de renvoi, et qui a été utilisée pour obliger M. Uzoaba à signer une entente en vertu de laquelle la pétition serait retirée de son dossier personnel pourvu qu'il accepte de ne pas travailler avec des détenus.

L'avocat du procureur général reconnaît que des tiers peuvent être à l'origine de la discrimination exercée par des employeurs comme c'est le cas dans les causes sur l'importance primordiale du client. Voir, par exemple, Marylou Bueckert v. Base-Fort Patrol Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/804 (Commission d'enquête). Il affirme toutefois qu'il ne convient pas d'étendre aux prisons le principe de l'intervention de tiers. Il reconnaît néanmoins que si la direction d'une prison exerçait de la discrimination contre un employé en accédant aux actes ou exigences racistes des détenus, l'employeur violerait la Loi.

Aux pages 165 et 166, le Tribunal dit ce qui suit:

De la même façon, dans le cas qui nous occupe, l'acceptation sans question de M. Markowski des opinions des détenus au sujet du rendement de M. Uzoaba, alors qu'il savait que certaines de ces opinions étaient empreintes de racisme, équivaut à de la discrimination fondée sur la race de la part du SCC.

Cette attitude discriminatoire s'est poursuivie lorsque M. Markowski a fourni des références renfermant des commentaires négatifs en se fondant sur les actions des détenus.

De la même façon, les mesures que M. Trono a adoptées après avoir reçu la pétition des détenus constituent aussi une conduite discriminatoire fondée sur la race et sur la couleur de peau de M. Uzoaba.

À mon avis, la preuve dont avait été saisi le Tribunal lui permettait de tirer de telles conclusions. Dans l'évaluation du rendement de M. Uzoaba qui a été faite en 1980, son superviseur, M. Markowski, dit pour expliquer pourquoi il a conclu qu'il y avait place à amélioration dans les rapports de M. Uzoaba avec les détenus:

[traduction] Au cours de la dernière année, un nombre assez important de détenus ont demandé officiellement de ne plus relever de M. Uzoaba, en raison d'un problème de langage ou encore d'une attitude affectée ou autrement répréhensible.

Suivant le Tribunal, la preuve indiquait que M. Uzoaba avait dans ses rapports avec les détenus des problèmes qui n'étaient pas liés à sa race. Même si ces difficultés expliquent pourquoi il est question de son "attitude" dans son évaluation du rendement, cela ne peut pas raisonnablement expliquer la mention d'un problème de langage ou d'une attitude affectée.

Plusieurs des prisonniers étaient des "motards" dont le racisme était bien connu. M. Uzoaba a été avisé de ne pas permettre aux prisonniers de réparer sa voiture parce qu'on craignait qu'ils n'endommagent celle-ci parce qu'ils avaient une attitude raciste envers M. Uzoaba. M. Markowski a reconnu que, dans son évaluation du rendement de M. Uzoaba, il a tenu compte des réactions des prisonniers à l'égard de M. Uzoaba et de leurs demandes de transfèrement dont certaines, a-t-il admis, étaient motivées par le racisme. Par conséquent, le Tribunal pouvait en toute logique conclure qu'on avait tenu compte dans l'évaluation du rendement de M. Uzoaba d'opinions de détenus qui reposaient sur des attitudes racistes, et que cela équivalait de la part de l'employeur à de la discrimination fondée sur la race.

Ayant conclu que le Tribunal n'a pas commis d'erreur en statuant que l'employeur a exercé de la discrimination en ce qui concerne l'évaluation du rendement de M. Uzoaba, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'examiner la question des références ou de la pétition des détenus. Il suffit de dire que la preuve dont a été saisi le Tribunal indiquait que la pétition des détenus était motivée, en partie du moins, par le racisme de certains des détenus. Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que le dépôt dans le dossier d'un employé d'une telle pétition, qui pourrait ensuite servir à des fins disciplinaires ou au renvoi de l'employé, et qui a été utilisée pour marchander avec ce dernier, constitue de la discrimination de la part de l'employeur.

Les conclusions et les éléments de preuve que j'ai mentionnés ne signifient pas que le Service correctionnel du Canada doit répondre des actes ou des croyances racistes de prisonniers. Ils indiquent toutefois que lorsque, dans ses rapports avec un employé, la direction se fonde sur les actes, les déclarations ou les pétitions racistes de prisonniers, elle exerce une discrimination contre l'employé, en violation de la Loi.

L'avocat du procureur général affirme que la preuve indiquait que M. Uzoaba avait d'autres problèmes avec les détenus que ceux liés à sa race et que le Service correctionnel du Canada a pris des mesures en fonction de ce renseignement. Comme l'a souligné l'avocat de la Commission des droits de la personne, il suffit simplement que la discrimination soit un facteur qui a motivé la décision de l'employeur. Voir Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), aux pages D/14 et D/15. Comme nous l'avons déjà signalé, la preuve dont avait été saisi le Tribunal indiquait que la discrimination était un facteur qui avait motivé les mesures prises par l'employeur, du moins en ce qui concerne l'évaluation du rendement et la pétition. C'est suffisant pour que l'employeur ait violé la Loi.

Examinons maintenant s'il convenait pour le Tribunal d'ordonner au Service correctionnel du Canada de rétablir M. Uzoaba à un poste de niveau WP-5 ce qui, en fait, constitue une promotion par rapport au poste d'agent de classification de niveau WP-3 qu'il occupait auparavant.

L'avocat du procureur général soutient que suivant la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, les promotions doivent être accordées au mérite. Il affirme que ce système de promotion est exposé en détail dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, et qu'un tribunal des droits de la personne ne peut y passer outre. Il prétend que le pouvoir du Tribunal se limite à renvoyer l'affaire devant le Service correctionnel du Canada pour que celui-ci présente une demande d'exemption en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, et déclare que M. Uzoaba avait droit à un poste de niveau WP-5 ou encore, ordonne que M. Uzoaba a le droit de se présenter à un concours pour un poste de niveau WP-5.

Lorsqu'il y a conflit entre une disposition de la Loi et une disposition d'une autre loi adoptée par le Parlement, il faut se demander laquelle a préséance. En l'espèce, la disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 53(2)b) qui prévoit ce qui suit:

53. . . .

(2) À l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire:

. . .

b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;

La disposition pertinente de l'ordonnance du Tribunal suit les termes de l'alinéa 53(2)b) et prévoit ce qui suit [à la page 190]:

(ii) à l'intimé d'offrir à M. Uzoaba, à la première occasion raisonnable, un poste au niveau WP-5 qui n'exige aucun contact avec les détenus;

À première vue, l'ordonnance du Tribunal semble respecter tout à fait la compétence accordée à un tribunal par l'alinéa 53(2)b) de la Loi.

Le droit est clair et l'avocat du procureur général reconnaît qu'en cas de conflit direct, la Loi s'appliquera. Il soutient toutefois qu'il ne s'agit pas d'un conflit direct en l'espèce. Je ne vois pas comment cet argument peut être utile à l'avocat. En fait, l'avocat de M. Uzoaba prétend qu'il n'y a aucun conflit réel entre la Loi et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il affirme que les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique relatives à la promotion suivant le principe du mérite s'appliquent dans l'administration quotidienne et normale de la fonction publique et que la Loi n'est pas censée supplanter la Loi sur l'emploi dans la fonction publique à cet égard. D'un point de vue pratique, je suis d'accord avec cet argument.

Cependant, même si le pouvoir d'un tribunal des droits de la personne d'ordonner qu'une promotion soit accordée à un fonctionnaire entre en conflit avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, je suis convaincu que les dispositions de la Loi doivent avoir préséance.

Dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114 (l'arrêt Action Travail des Femmes), le juge en chef Dickson dit aux pages 1135 et 1136:

Le premier énoncé judiciaire complet de l'attitude à adopter au sujet de l'interprétation de la législation sur les droits de la personne se retrouve dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, à la p. 158, où le juge Lamer souligne qu'un code des droits de la personne ne doit pas être considéré "comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale." Ce principe d'interprétation a été précisé davantage par le juge McIntyre, au nom d'une Cour unanime, dans l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton , [1985] 2 R.C.S. 150, à la p. 156:

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions.

L'accent mis sur la "nature spéciale" des textes législatifs portant sur les droits de la personne constituait une forte indication de l'attitude générale que prendrait la Cour au sujet de l'interprétation de tels textes.

Je pense que le principe de la préséance doit s'appliquer en l'espèce pour permettre à un tribunal des droits de la personne d'ordonner l'octroi d'une promotion qui, selon lui, a été refusée pour des motifs discriminatoires, en violation de la Loi. En d'autres termes, la compétence de la Commission de la fonction publique et la procédure qui doit normalement être suivie pour l'octroi des promotions au sein de la fonction publique n'ont pas préséance dans ces rares cas où des promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires et où un tribunal, exerçant la compétence qui lui est conférée par la Loi, ordonne qu'une promotion soit accordée à une personne afin de corriger les effets de l'acte discriminatoire de l'employeur. À cet égard, je fais mienne l'interprétation du juge Dickson, alors juge puîné, dans l'arrêt Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199, où il a dit à la page 207:

Personne ne conteste le droit général du gouvernement de répartir les ressources et les effectifs comme il le juge approprié. Mais ce droit n'est pas illimité. Son exercice doit respecter la loi. Le droit du gouvernement de répartir les ressources ne peut l'emporter sur une loi telle que la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, ou sur un règlement tel que le Décret d'exclusion.

Comme l'a souligné l'avocat de M. Uzoaba, il serait facile, et correct, en l'espèce de reformuler ce qu'a dit le juge Dickson de la manière suivante: "Personne ne conteste le droit général du gouvernement d'accorder des promotions en fonction du principe du mérite. Mais ce droit n'est pas illimité. Son exercice doit respecter la loi. Le droit du gouvernement d'accorder des promotions en fonction du mérite ne peut l'emporter sur une loi telle que la Loi canadienne sur les droits de la personne".

Comme l'a dit le juge en chef Dickson dans l'arrêt Action Travail des Femmes, toute autre conclusion minimiserait ou diminuerait l'effet des droits garantis par la Loi. Voir à la page 1134.

De plus, comme l'a fait remarquer l'avocat de la Commission des droits de la personne, si la Loi n'avait pas préséance dans un cas comme l'espèce, le pouvoir d'un tribunal d'ordonner le rétablissement à un niveau supérieur s'appliquerait à des postes non gouvernementaux lorsque la Loi est applicable, mais non à des postes gouvernementaux. Le législateur ne peut pas avoir envisagé de créer une telle anomalie.

Il est important de souligner que la Loi prévoit dans un cas comme l'espèce qu'une réparation doit être accordée "dès que les circonstances le permettent". C'est en réalité ce qu'a prévu le Tribunal dans son ordonnance. Bien qu'une ordonnance de rétablissement à un niveau supérieur constitue une réparation extraordinaire, elle est, à mon avis, permise par la Loi à condition que l'ordonnance respecte la limite créée par l'expression "dès que les circonstances le permettent" ainsi que les autres limites prévues dans la Loi. Voir, par exemple, le paragraphe 54(2).

L'avocat du procureur général soutient que les principes de la limitation, du caractère indirect et de la prévisibilité du préjudice empêchent le rétablissement de M. Uzoaba à un poste de niveau WP-5 à ce moment-ci. Certes, il s'agit de principes qui s'appliquent à l'octroi de dommages-intérêts et dont le Tribunal a tenu compte dans ce contexte. Mais en ce qui concerne le rétablissement de l'employé, il s'agit plutôt d'une question de suffisance de la preuve. Si M. Uzoaba avait été rétabli à un poste de niveau supérieur en l'absence d'éléments de preuve indiquant que la promotion était raisonnablement prévisible, le Tribunal aurait alors commis une erreur. Mais ce n'est pas le cas en l'espèce. Certains éléments de preuve indiquaient qu'il existait une possibilité sérieuse que M. Uzoaba aurait atteint le niveau WP-5 au moment de la décision du Tribunal. Pour le critère de la "possibilité sérieuse", voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan , [1992] 2 C.F. 401 (C.A.), à la page 411, le juge Marceau.

Aux pages 179 et 180, le Tribunal a dit:

Lors de l'évaluation de rendement qu'il a préparée en janvier 1980, M. Markowski a confirmé que M. Uzoaba était en droit de s'attendre à une promotion d'ici une année ou deux, s'il pouvait corriger les faiblesses indiquées dans l'évaluation. Bien qu'il soit difficile de le dire avec certitude, le Tribunal est d'avis que, si M. Uzoaba avait continué à travailler au SCC, dans un milieu moins empreint de racisme, il aurait pu s'attendre à être promu à un poste de niveau WP-4 dans un délai d'environ trois ans. Il appert de la preuve que les postes de ce niveau auraient probablement convenu davantage à une personne ayant les aptitudes de M. Uzoaba et le Tribunal est convaincu que, sans le stress qui découle des contacts constants avec les détenus, M. Uzoaba se serait probablement bien acquitté de ses fonctions et aurait obtenu une autre promotion plus tard. Nous sommes donc d'avis qu'il conviendrait de rétablir M. Uzoaba à un poste de niveau WP-5.

La preuve dont le Tribunal a été saisi indiquait que certains collègues de M. Uzoaba avaient obtenu des promotions et que, suivant l'évaluation du rendement qui avait été effectuée en 1980, il serait prêt à être promu à un poste de niveau WP-4 dans un an ou deux s'il pouvait corriger certaines faiblesses. Le Tribunal a conclu qu'il était raisonnable de croire qu'il aurait obtenu un poste de niveau WP-4 dans un délai de trois ans et qu'après une dizaine ou une douzaine d'années dans un milieu moins empreint de racisme, il pourrait vraisemblablement obtenir un poste de niveau WP-5. Même si des éléments de preuve plus convaincants auraient été souhaitables, certains de ceux-ci permettaient néanmoins au Tribunal de conclure que M. Uzoaba devait être rétabli à un poste de niveau WP-5. C'est pourquoi notre Cour ne peut intervenir en l'espèce.

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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