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[1995] 1 C.F 705

T-943-89

T-944-89

T-945-89

T-946-89

T-947-89

Edwin J. Byram (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Byram c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Wetston— Edmonton, 27 septembre; Ottawa, 18 novembre 1994.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Pertes en capital — Le contribuable, qui était le principal actionnaire, a prêté de l’argent sans intérêt à sa compagnie pour acquérir des droits pétroliers et gaziers — La compagnie a fait défaut de rembourser son emprunt — Le contribuable a réclamé la déduction des pertes en capital déductibles — Le MRN a considéré les pertes comme nulles en vertu de l’art. 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu — L’appel est accueilli — (1) L’art. 40(2)g)(ii) n’exige pas qu’il existe, entre le prêt et l’entreprise qui produit le revenu le lien direct que la C.S.C. a, dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, exigé pour l’application de l’art. 20(1)c) — (2) Comme les motifs qui ont poussé le contribuable à consentir le prêt étaient de tirer un revenu des activités de la compagnie sous forme de dividendes ou de frais de gestion, la créance a été acquise en vue de tirer un revenu de l’entreprise — Sous le régime de l’art. 40(2)g)(ii), les pertes en capital ne devraient pas être considérées comme nulles.

Il s’agit d’un appel de nouvelles cotisations fiscales établies relativement aux années 1982 à 1986. Le demandeur et les membres de sa famille immédiate étaient les seuls actionnaires de la BISL, une compagnie de consultation, d’entretien et de construction du domaine des gisements pétrolifères de laquelle le demandeur touchait un salaire pour les services opérationnels qu’il fournissait directement à d’autres compagnies dont il était l’un des principaux actionnaires, ainsi que des dividendes de la BISL pour les services de gestion qu’il rendait à ces compagnies. En 1981, le demandeur a constitué une compagnie aux États-Unis (l’USCO). Pour des raisons ayant trait à l’immigration, l’USCO a été une filiale d’un des compagnies canadiennes, l’ERL, entre le 1er avril 1981 et le 1er avril 1982. Par la suite, les actionnaires de l’USCO ont été le demandeur, sa femme et leur fils. Le demandeur a prêté sans intérêts 336 800 $ à l’USCO pour financer l’acquisition de droits pétroliers et gaziers. Après que l’USCO eut fait défaut de rembourser son emprunt, le demandeur a réclamé la déduction d’une perte en capital déductible de 168 400 $ en vertu de l’alinéa 38b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par des avis de nouvelle cotisation, le ministre a considéré la perte comme nulle en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii). Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que la perte résultant de la disposition d’un bien est nulle sauf si la créance a été acquise par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

Les questions en litige sont celles de savoir si le critère de l’utilisation posé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32 au sujet de la déductibilité des intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) s’appliquent à l’interprétation du sous-alinéa 40(2)g)(ii); et, sinon, si les prêts consentis par le demandeur, et la créance qu’il a par la suite acquise, l’ont été « en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien » au sens du sous-alinéa 40(2)g)ii). Le sous-alinéa 20(1)c)(i) permet au contribuable de déduire le loyer de l’argent qu’il a emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Dans l’arrêt Bronfman Trust, la Cour a statué qu’il fallait que l’argent ait été emprunté de manière à permettre au contribuable de tirer directement un revenu d’une entreprise ou d’un bien et qu’il fallait que l’on ait fait une utilisation admissible directe de l’argent emprunté dans le but de produire le revenu en question. On a soutenu que, pour se soustraire à l’application du sous-alinéa 40(2)g)(ii), le revenu produit devait être attribué directement et non pas être attribué indirectement sous forme de dividendes ou de frais de gestion.

Jugement : l’appel doit être accueilli.

(1) Il n’y a pas de concept d’utilisation au sous-alinéa 40(2)g)(ii). Il suffit que le but que poursuit le contribuable en cherchant à tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien soit lié à l’avancement de fonds. Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) n’exige pas qu’il existe un lien direct entre le prêt et l’entreprise ou le bien qui produit le revenu. Il y a une différence entre l’utilisation et le but. On aurait tort d’appliquer le concept de l’utilisation lorsque la question à trancher est celle du but direct ou indirect. Les dispositions renferment un libellé semblable, mais elles ne sont pas identiques.

(2) Le demandeur avait l’intention de récupérer le revenu découlant de l’argent emprunté en touchant des dividendes de l’USCO ou en se faisant payer des frais de gestion sous forme de dividendes de la BISL. Le fait de permettre à une compagnie à capital fermé de gagner un revenu susceptible d’être ensuite distribué sous forme de dividendes donne lieu à la création d’une créance acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Il est sans importance de savoir si ce revenu était direct ou indirect. L’objectif poursuivi est clair et net. Les motifs qui ont poussé le demandeur à agir n’étaient pas différents selon que c’était lui ou l’ERL qui était actionnaire de l’USCO. La créance a été acquise « en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien », le sous-alinéa 40(2)g)(ii) s’applique et les pertes en capital subies en 1984 n’auraient pas dû être considérées comme nulles.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 3 (mod. par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 1; 1983-84, ch. 1, art. 2; 1986, ch. 6, art. 1), 18(1)b), 20(1)c), 38b), 40(2)g)(ii), 111(1)b) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 54; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 60; 1984, ch. 1, art. 54; 1986, ch. 6, art. 59; 1988, ch. 55, art. 83), (8)a) (mod. par L.C. 1985, ch. 45, art. 57; 1986, ch. 6, art. 59).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

National Developments Ltd. c. La Reine, [1993] 2 C.T.C. 3027; (1993), 94 DTC 1060 (C.C.I.); Business Art Inc. c. M.R.N., [1987] 1 C.T.C. 2001; (1986), 86 DTC 1842 (C.C.I.); R. c. Lalande, [1983] 2 C.F. 505 [1983] CTC 311; (1983), 84 DTC 6159 (1re inst.); conf. par Lalande (E.) c. M.R.N., [1989] 2 C.T.C. 30; (1989), 89 DTC 5286 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134; Lowery (H.) c. M.R.N., [1986] 2 C.T.C. 2171; (1986), 86 DTC 1649 (C.C.I.); Casselman (E M) c MRN, [1983] CTC 2584; (1983), 83 DTC 522 (C.C.I.); O’Blenes (J.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2171; (1989), 90 DTC 1068 (C.C.I.); Ellis (O.D.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2081; (1988), 88 DTC 1070 (C.C.I.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16.

APPEL de nouvelles cotisations fiscales par lesquelles le ministre a considéré comme nulles en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu les pertes découlant d’un prêt non remboursé consenti par le demandeur à une compagnie à capital fermé pour acquérir des droits pétroliers et gaziers. Appel accueilli.

AVOCATS :

Graham E. Price pour le demandeur.

Carman R. McNary pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Graham E. Price, Calgary, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Wetston : La Cour statue sur l’appel interjeté d’une nouvelle cotisation fiscale établie par le ministre du Revenu national le 28 juin 1988 relativement aux années d’imposition 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986 du demandeur. Chaque numéro du greffe correspond à une année d’imposition; les faits sont les mêmes dans tous les dossiers.

LES FAITS

Les faits suivants correspondent en partie à ceux qui sont relatés dans l’exposé conjoint des faits que les avocats ont soumis à l’ouverture de l’audience.

Le demandeur était, à l’époque en cause, un résident du Canada au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1 (la Loi).

Le demandeur a quitté au début des années soixante-dix l’emploi qu’il exerçait au sein d’une importante multinationale pétrolière pour lancer en Alberta une compagnie de consultation, d’entretien et de construction dénommée Byram Industrial Services Ltd. (BISL) dans le domaine des gisements pétrolifères. Les seuls actionnaires et administrateurs de la BISL étaient, à l’époque en cause, le demandeur et les membres de sa famille immédiate. Le demandeur recevait à la fois un salaire et des dividendes de la BISL.

En 1978, le demandeur a constitué avec un autre actionnaire la Lorne’s Well Servicing Ltd. (LWS), une compagnie d’entretien de puits de pétrole et de gaz naturel. À l’époque en cause, le demandeur était actionnaire, administrateur et dirigeant de la LWS. Le demandeur touchait un salaire pour les services opérationnels qu’il fournissait directement à la LWS. Pour les services de gestion que le demandeur rendait, la BISL faisait payer des frais de gestion à la LWS, et le demandeur recevait des dividendes de la BISL en contrepartie de ses services.

En 1979, le demandeur s’est joint à trois autres actionnaires pour former la Pembina Oil Separators (1979) Ltd. (POS), une entreprise de récupération et de recyclage qui œuvrait dans le domaine des gisements pétrolifères. À l’époque en cause, le demandeur était actionnaire, administrateur et dirigeant de la POS. Tout comme dans le cas de l’entente conclue avec la LWS, le demandeur touchait un salaire pour les services opérationnels directs qu’il fournissait et des dividendes de la BISL pour les services de gestion qu’il rendait à la POS.

Toujours en 1979, le demandeur a constitué l’Elkhound Resources Ltd. (ERL) en personne morale. Cette compagnie s’occupait d’exploration et d’exploitation de gisements de pétrole et de gaz naturel en Alberta. Entre la date de la constitution d’ERL en personne morale et le mois de février 1984, les seuls actionnaires de cette compagnie étaient le demandeur, sa femme et la BISL. En février 1984, un des fils du demandeur, M. Ken Byram, est devenu le seul actionnaire de l’ERL.

En 1981, à la suite de l’annonce du lancement du Programme énergétique national (PEN), le demandeur a tenté de diversifier ses activités et a arrêté son choix sur les États-Unis. À la suite de l’avènement de Pétro-Canada, le demandeur craignait que des entrepreneurs privés, comme les compagnies du demandeur, n’aient plus de travail. Le demandeur a témoigné que la mise en œuvre du PEN avait eu pour effet de mettre fin au forage exploratoire et à l’exploration sismique dans l’industrie pétrolière et gazière de l’Alberta et que, dès décembre 1990, pratiquement toutes les tours de forage avaient quitté le Canada pour les États-Unis. Le demandeur a en outre témoigné que les effets généraux avaient été accablants pour ses compagnies, la BISL, la LWS, la POS et l’ERL. En d’autres termes, le demandeur craignait pour l’avenir de ses compagnies au Canada.

En 1981, le demandeur a discuté avec des particuliers du secteur public et du secteur privé du volume de production de l’industrie pétrolière et gazière de l’est du Kansas et de l’Oklahoma. Le demandeur a examiné la possibilité de se porter acquéreur de terrains dans l’est du Kansas. Le demandeur a témoigné qu’il estimait que la région de l’est du Kansas avait besoin d’une main-d’œuvre qualifiée dans le domaine de l’exploitation de gisements de pétrole et de gaz naturel. Par ailleurs, le demandeur avait reçu de l’American Petroleum Institute et des diverses sources avec lesquelles la Banque Royale d’Edmonton était entrée en communication des prévisions favorables en ce qui concernait le cours du pétrole américain. On s’attendait à ce que le prix du baril de pétrole américain passe de 35 $ à plus de 50 $ dans un délai de cinq ou six ans.

En mars 1981, le demandeur a constitué en personne morale, au Kansas, l’Elkhound Resources Inc. (USCO). À l’époque en cause, le demandeur était administrateur et le directeur de l’USCO. Les actionnaires de l’USCO étaient :

a)         entre la date de la constitution en personne morale et le 1er avril 1981, le demandeur et son fils, M. Ken Byram, lequel a toujours joué un rôle actif au sein de l’USCO;

b)         entre le 1er avril 1981 et le 1er avril 1982, l’ERL;

c)         depuis le 1er avril 1982, le demandeur, sa femme et M. Ken Byram.

Le demandeur a témoigné que l’ERL avait été l’actionnaire majoritaire de l’USCO entre le 1er avril 1981 et le 1er avril 1982, pour des raisons ayant trait à l’immigration américaine. Au cours de cette période, l’USCO était considérée comme une filiale de l’ERL. Le demandeur a témoigné qu’il avait l’intention d’exploiter l’USCO d’une façon semblable à celle dont il exploitait les compagnies canadiennes, c’est-à-dire qu’il recevrait des dividendes de la BISL et que la BISL ferait payer des frais de gestion à l’USCO.

Le 1er juin 1981, l’USCO a acquis des droits pétroliers et gaziers au Kansas. Ces droits sont désignés sous le nom d’intérêts Greer. L’acquisition des intérêts Greer a été financée par un prêt de 1 300 000 $ qui a été consenti par le vendeur du Kansas (les Greer) et qui devait être remboursé conformément à une entente portant sur un pourcentage de la production. La banque canadienne du demandeur a financé le reliquat d’un million de dollars.

Le demandeur s’est rendu compte qu’il aurait besoin d’autres capitaux pour agrandir et améliorer les installations et pour exploiter la propriété du Kansas. L’USCO n’était pas en mesure d’emprunter d’autres fonds. En conséquence, le demandeur a, en tant qu’actionnaire, consenti une avance de fonds de 115 417,55 $ à l’USCO. Le demandeur a avancé à l’USCO une somme additionnelle de 221 381,60 $, mais ne l’a pas fait à titre d’actionnaire de l’USCO. Au moment où cette avance de fonds a été consentie, l’ERL était l’actionnaire majoritaire de l’USCO. Au total, le demandeur a personnellement prêté à l’USCO environ 336 800 $ (CAN) entre mars 1981 et octobre 1982. Les prêts consentis par le demandeur ne portaient pas intérêt et n’ont pas été consignés par écrit.

L’USCO a essuyé des pertes importantes et, en conséquence, le demandeur n’a reçu aucun salaire et aucun dividende de l’USCO, et la BISL n’a pas demandé de frais de gestion à l’USCO. Dès la fin de 1984, il était évident pour le demandeur que l’USCO ne serait pas capable de rembourser quelque partie que ce soit de ses emprunts. En conséquence, le demandeur a cédé les prêts et sa perte, en contrepartie d’un dollar, à Avalie Peck, qui travaillait à la BISL.

Dans sa déclaration de revenus de 1984, le demandeur a déclaré la perte qu’il avait subie relativement aux prêts qu’il avait consentis et il a réclamé la déduction de cette perte. Il a déclaré une perte en capital de 336 800 $ et a réclamé la déduction d’une perte en capital déductible de 168 400 $ (la perte) conformément à l’alinéa 38b) de la Loi. Le demandeur a déduit de la façon suivante la perte en question :

a)         109 463,50 $ pour compenser entièrement les gains en capital imposables réalisés en 1984;

b)         2 000 $ à titre de déduction en 1984, conformément à l’alinéa 111(1)b) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 54];

c)         2 000 $ à titre de déduction en 1983, conformément aux alinéas 111(8)a) et 111(1)b);

d)        13 481 $ à titre de déduction en 1982, conformément aux alinéas 111(8)a) et 111(1)b) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 54; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 60];

e)        2 000 $ à titre de déduction en 1985, conformément aux alinéas 111(8)a) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 57; 1986, ch. 6, art. 59] et 111(1)b) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 54; 1986, ch. 6, art. 59; 1988, ch. 55, art. 83];

f)         21 629 $ à titre de déduction en 1986, conformément aux alinéas 111(8)a) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 57; 1986, ch. 6, art. 59] et 111(1)b) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 54; 1986, ch. 6, art. 59; 1988, ch. 55, art. 83].

Par cinq (5) avis de nouvelle cotisation datés du 28 juin 1988, le ministre a fixé de nouveau l’impôt dû par le demandeur pour les années d’imposition 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986. Le ministre a considéré comme nulle, en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, item 35], la perte en capital déductible dont le demandeur réclamait la déduction en vertu de l’alinéa 38b) et a refusé au demandeur la déduction de toute perte en capital déductible pour l’application de l’article 3 [mod. par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 1; 1983-84, ch. 1, art. 2; 1986, ch. 6, art. 1]. En tant que tel, le demandeur n’avait aucune perte en capital nette visée par l’alinéa 111(8)a) pour son année d’imposition 1984, ni de perte en capital nette visée par l’alinéa 111(1)b) pour ses années d’imposition 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986.

Le demandeur s’est opposé aux nouvelles cotisations par un avis d’opposition daté du 23 septembre 1988, dont le ministre a déposé une notification le 30 mars 1989.

QUESTIONS EN LITIGE

La thèse du demandeur repose principalement sur une décision récente de la Cour canadienne de l’impôt, le jugement National Developments Ltd. c. La Reine, [1993] 2 C.T.C. 3027. Le demandeur exhorte la Cour à considérer les motifs que le juge Bell a prononcés à l’audience comme un moyen de résoudre ce que le demandeur estime être le point litigieux à trancher, c’est-à-dire la question de savoir si les prêts consentis par le demandeur et la créance qu’il a par la suite acquise l’ont été « en vue de tirer un revenu … d’une entreprise ou d’un bien » au sens du sous-alinéa 40(2)g)(ii).

La défenderesse soutient que le jugement National Developments est erroné compte tenu de l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, de la Cour suprême du Canada. La défenderesse adopte le point de vue selon lequel, bien que les prêts consentis par le demandeur l’aient été en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, le revenu produit doit, pour que le demandeur puisse se soustraire à l’application du sous-alinéa 40(2)g)(ii), être attribué directement au demandeur et non lui être attribué indirectement sous forme de dividendes ou de frais de gestion. Suivant la défenderesse, les futurs revenus que le demandeur s’attend à réaliser ne satisfont pas au critère posé par la Cour suprême dans l’arrêt Bronfman Trust.

Les questions suivantes découlent des prétentions formulées par chacune des parties au sujet du sous-alinéa 40(2)g)(ii) :

1.         Les principes énoncés dans l’arrêt Bronfman Trust au sujet de la déductibilité des intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) s’appliquent-ils aux pertes en capital déductibles visées par le sous-alinéa 40(2)g)(ii)?

2.         Sinon, les prêts que le demandeur a consentis, et la créance qu’il a par la suite acquise, l’ont-ils été « en vue de tirer un revenu … d’une entreprise ou d’un bien » au sens du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu?

ANALYSE

La première question à trancher est celle de savoir si le critère de l’utilisation posé dans l’arrêt Bronfman au sujet de la déductibilité des intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) s’applique aussi à l’interprétation du sous-alinéa 40(2)g)(ii). Voici le texte de la disposition pertinente :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

c) une somme payée dans l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d’impôt ou pour prendre une police d’assurance-vie).

40. …

(2) Nonobstant le paragraphe (1),

g) la perte subie par un contribuable, si perte il y a, et résultant de la disposition d’un bien, dans la mesure où elle est

(ii) une perte résultant de la disposition d’une créance ou d’un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit, selon le cas, a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (non exonéré d’impôt) d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’un bien en immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance.

est nulle. [Non souligné dans l’original.]

La défenderesse ne conteste pas que les prêts accordés par le demandeur à l’USCO ont été consentis dans le but de faire produire un revenu. La défenderesse se fonde sur le critère de l’utilisation énoncé dans l’arrêt Bronfman pour affirmer que, pour que le demandeur puisse bénéficier du sous-alinéa 40(2)g)(ii), les prêts doivent se rapporter directement à un but lucratif. La défenderesse fait valoir qu’en l’espèce, le demandeur se sert des fonds pour gagner indirectement un revenu d’un autre contribuable, l’USCO. Même si l’USCO avait réussi, le demandeur n’aurait pas reçu le revenu directement. Il aurait reçu le revenu indirectement sous forme de dividendes versés sur ses actions de l’USCO ou de la BISL. De plus, la BISL aurait fait payer des frais de gestion à l’USCO pour le compte du demandeur.

La défenderesse affirme en outre que le sous-alinéa 40(2)g)(ii) vise à garantir non seulement que l’argent soit prêté dans un but lucratif, mais également que le revenu soit gagné directement par le demandeur plutôt que par le truchement de compagnies intermédiaires. La défenderesse soutient que conclure autrement reviendrait à ignorer l’existence des compagnies du demandeur, ce qui serait contraire aux principes bien établis qui existent en droit des compagnies et en droit fiscal. La défenderesse soutient que, si l’on remplace le mot « utilisé » que l’on trouve à l’alinéa 20(1)c) par les mots « la créance acquis[e] » qui sont employés au sous-alinéa 40(2)g)(ii), le lien entre le demandeur et le revenu produit est trop indirect pour que le demandeur soit visé par le libellé du sous-alinéa 40(2)g)(ii).

Le sous-alinéa 20(1)c)(i) permet en particulier au contribuable de déduire le loyer de l’argent qu’il a emprunté et qu’il a ensuite utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Si cette disposition n’existait pas, il serait interdit, aux termes de l’alinéa 18(1)b), de déduire les frais d’intérêts sur les prêts. Dans l’arrêt Bronfman, la Cour a précisé que le sous-alinéa 20(1)c)(i) visait à encourager l’accumulation au Canada de capitaux susceptibles de produire des revenus imposables.

Pour l’application de l’alinéa 20(1)c), la Cour a statué, dans l’arrêt Bronfman, qu’il fallait non seulement examiner l’utilisation qui avait été faite de l’argent emprunté—pour établir une distinction entre les utilisations admissibles et les utilisations inadmissibles—mais qu’il fallait aussi examiner à quelle fin l’argent emprunté avait servi, étant donné que l’argent emprunté ne peut être déduit que s’il a été utilisé dans un but lucratif déterminé. En d’autres termes, pour que le contribuable puisse déduire l’intérêt, il faut que l’argent ait été emprunté de manière à permettre au contribuable de tirer directement un revenu d’une entreprise ou d’un bien, et il faut que l’on ait fait une utilisation admissible directe de l’argent emprunté dans le but de produire le revenu en question.

Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) exige que la créance soit acquise par le contribuable "en vue de tirer un revenu … d’une entreprise ou d’un bien ». Il n’y a pas de concept d’utilisation au sous-alinéa 40(2)g)(ii). Il semble qu’il suffise que le but que poursuit le contribuable en cherchant à tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien soit lié à l’avancement des fonds. À mon avis, le sous-alinéa 40(2)g)(ii) n’exige pas qu’il existe, entre le prêt et l’entreprise ou le bien qui produit le revenu, le lien direct dont la Cour parle dans l’arrêt Bronfman. En l’espèce, les prêts ont été consentis pour permettre à la compagnie américaine du demandeur d’exercer ses activités, ce qui aurait assuré un futur revenu constant au demandeur. Bien qu’il doive exister un lien entre le prêteur et les actions sur lesquelles on s’attend à verser des dividendes, il n’est pas nécessaire, comme l’exige l’alinéa 20(1)c), qu’il existe un lien direct entre, d’une part, le demandeur et, d’autre part, l’utilisation de l’argent emprunté et le revenu d’entreprise qui en découle. Qu’en serait-il si, au lieu de prêter l’argent, le demandeur avait injecté l’argent dans sa compagnie au moyen d’un achat d’actions? Pourquoi les incidences fiscales devraient-elles être différentes?

L’alinéa 20(1)c) de la Loi porte sur la déduction des intérêts, tandis que le sous-alinéa 40(2)g)(ii) porte sur la déductibilité des pertes en capital. Ainsi que l’avocat du demandeur l’affirme en reprenant le moyen invoqué par l’appelante dans l’affaire National Developments, précitée, malgré la similitude qui existe entre le libellé de ces deux dispositions, le sous-alinéa 40(2)g)(ii) ne comporte pas de concept relatif à la source du revenu, ni de préambule dont il faut tenir compte. Il y a une différence entre l’utilisation et le but. Je suis d’avis qu’on aurait tort d’appliquer le concept de l’utilisation directe ou indirecte que l’on trouve dans l’arrêt Bronfman lorsque la question à trancher est celle du but direct ou indirect. Les deux dispositions renferment effectivement un libellé semblable, mais elles ne sont pas identiques, contrairement à ce que prétend la défenderesse.

Le demandeur soutient que l’approche qu’il convient d’adopter pour interpréter le sous-alinéa 40(2)g)(ii) consiste à examiner la réalité commerciale conformément à l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. Récemment, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’interprétation des lois fiscales dans l’arrêt Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312.

La tendance en matière d’interprétation des lois est de s’éloigner de l’interprétation stricte pour favoriser la méthode téléologique, dans le but de déterminer la véritable nature commerciale et pratique de l’opération en cause. C’est la méthode que la Cour a suivie dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, précité. Dans l’arrêt Antosko, précité, la Cour suprême du Canada clarifie les cas dans lesquels il convient de suivre la méthode téléologique en concluant que, bien qu’il faille recourir à la méthode téléologique pour déterminer le sens qu’il convient de donner à une disposition ambiguë, il n’est pas nécessaire pour le tribunal, lorsque les mots de la Loi sont clairs et sans équivoque, d’examiner les résultats de l’opération ou la jurisprudence existante pour établir l’intention du législateur. Lorsque les termes de la loi sont clairs et nets, c’est au législateur—et non aux tribunaux—qu’il incombe d’évaluer sur le plan normatif les conséquence de l’application d’une disposition donnée. Ainsi que le juge Iacobucci l’a déclaré dans l’arrêt Antosko, précité, aux pages 326 et 327 :

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu’ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l’effet juridique et pratique de l’opération est incontesté…

Compte tenu de ce qui précède, la Cour doit décider si les termes de la loi sont clairs et nets et quel est l’effet juridique et pratique de l’opération.

Le demandeur a, en tant qu’actionnaire de l’USCO, avancé quelque 115 417,55 $ à l’USCO sans intérêts, avec l’intention de récupérer le revenu découlant de l’argent emprunté en touchant des dividendes de l’USCO ou en exerçant les mêmes activités que celles qu’il avait exercées au Canada, à savoir fournir des services de gestion par l’intermédiaire de la BISL. La BISL ferait ensuite payer des frais de gestion à l’USCO, et le demandeur recevrait plus tard des dividendes de la BISL. Le fait de permettre à une compagnie à capital fermé de gagner un revenu susceptible d’être ensuite distribué sous forme de dividendes sur les actions du demandeur donne certainement lieu à la création d’une créance acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Bien que le revenu ne soit pas gagné directement par le demandeur, il existe un lien évident entre le contribuable et le futur revenu que la créance acquise générera probablement. Cette interprétation du sous-alinéa 40(2)g)(ii) s’accorde avec des décisions comme National Developments Ltd. c. La Reine, précitée; Business Art Inc. c. M.R.N., [1987] 1 C.T.C. 2001 (C.C.I.); R. c. Lalande, [1983] 2 C.F. 505(1re inst.); confirmée par [1989] 2 C.T.C. 30 (C.A.F.). Ainsi que le juge Rip l’a déclaré dans le jugement Business Art, aux pages 2008 et 2009 :

Le fait qu’aucun intérêt n’ait été demandé sur les créances en cause n’est pas pertinent au fait de savoir si elles ont été acquises en vue de tirer ou de faire produire un revenu … Il n’est pas inhabituel qu’un actionnaire prête de l’argent sans intérêt et sans garantie à la société parce qu’il prévoit que les prêts aideront la société à gagner un revenu et à lui verser un revenu sous forme de dividendes; le prêt est fait en vue de tirer un revenu d’un bien … L’achat d’actions et l’avancement de fonds à une compagnie sont deux façons d’y faire des placements. Cette interprétation est raisonnable …

Il est clair que les prêts ont été consentis pour tirer un revenu d’un bien, c’est-à-dire placer la société dans une situation où elle ferait des bénéfices et paierait des dividendes. [Non souligné dans l’original.]

De toute évidence, le demandeur a le droit de bénéficier du sous-alinéa 40(2)g)(ii) en ce qui concerne la créance qu’il a acquise en prêtant de l’argent, en tant que principal actionnaire, à sa petite compagnie à capital fermé.

En tant qu’actionnaire, le demandeur était directement lié au potentiel de production de revenus de l’USCO. Les dividendes éventuels pouvaient être déclarés d’une manière franche. Mais le demandeur peut-il se soustraire à l’application du sous-alinéa 40(2)g)(ii) en ce qui concerne les prêts qu’il a consentis à l’USCO alors qu’il n’était pas un actionnaire de l’USCO mais que c’était l’ERL qui était l’actionnaire de l’USCO—ce qui a pour effet d’écarter encore un peu plus le demandeur en tant qu’actionnaire de l’ERL? Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) n’exige pas qu’il existe un lien direct entre le prêt et le bien ou l’entreprise qui produit le revenu.

Qu’est-ce qui a motivé le contribuable à consentir le prêt? Dans des affaires comme Lowery (H.) c. M.R.N., [1986] 2 C.T.C. 2171 (C.C.I.); Casselman (E M) c MRN, [1983] CTC 2584 (C.C.I.); et O’Blenes (J.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2171 (C.C.I.), dans lesquelles ce qui avait motivé le contribuable à accorder une garantie ou à consentir un prêt, c’était le désir de venir en aide à un membre de sa famille et non celui de gagner un revenu, il a été jugé que le sous-alinéa 40(2)g)(ii) s’appliquait. Le contribuable en a peut-être retiré un avantage, mais il n’existait pas d’objectif commercial. En l’espèce, on ne peut pas dire que les motifs qui ont poussé le contribuable à agir sont d’ordre familiaux.

Dans le jugement Ellis (O.D.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2081 (C.C.I.), dans lequel le contribuable avait garanti le prêt consenti à une compagnie hôtelière dont sa compagnie était simplement un actionnaire minoritaire, le tribunal a statué que, comme le contribuable ne serait pas en mesure de présumer que la compagnie hôtelière verserait des dividendes, la possibilité de réaliser un profit était trop faible et l’appel a été rejeté. En l’espèce, à la différence de l’affaire Ellis, le demandeur avait, en tant qu’actionnaire majoritaire de l’ERL à l’époque, plus qu’une simple possibilité de retirer un avantage.

Les motifs du demandeur sont demeurés essentiellement constants : l’USCO avait besoin de capitaux pour pouvoir être productive. Le demandeur lui a fourni les capitaux dans le but de tirer un revenu des activités de l’USCO. Il est sans importance de savoir si ce revenu était direct ou indirect. L’objectif poursuivi est clair et net. On ne peut pas dire que les motifs qui ont poussé le contribuable à agir étaient différents selon que c’était lui ou l’ERL qui était actionnaire de l’USCO. Je suis convaincu que le demandeur a établi que la créance a été acquise « en vue de tirer un revenu … d’une entreprise ou d’un bien ». Le demandeur devrait pouvoir bénéficier du sous-alinéa 40(2)g)(ii) et les pertes en capital subies en 1984 ne devraient pas être considérées comme nulles.

En conséquence, l’appel est accueilli. Les nouvelles cotisations établies le 28 juin 1988 relativement aux années d’imposition 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986 du demandeur sont annulées et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à une nouvelle cotisation conformément aux déclarations produites par le demandeur.

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