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[1995] 1 C.F 694

T-2596-93

Procureur général du Canada (requérant)

c.

Shirley (Starrs) McKenna et Commission canadienne des droits de la personne (intimées)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. McKenna (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson—Ottawa, 14 septembre, 8 décembre 1994.

Droits de la personne — La négation de la citoyenneté automatique à des ressortissants étrangers adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens n’est pas un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille — Le droit à la citoyenneté est régi par le lieu de naissance, non par la situation de famille ou d’enfant adopté — En l’absence de conclusion que les filles de l’intimée McKenna sont des victimes, l’art. 53(2)b) de la LCDP ne donne pas compétence pour ordonner que les mesures nécessaires soient prises pour leur accorder la citoyenneté.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — La négation de la citoyenneté automatique à des ressortissants étrangers adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens n’est pas un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille — Le traitement en vertu de la Loi sur la citoyenneté est régi par le lieu de naissance, non par la situation de famille ou d’enfant adopté

Interprétation des lois — Application rétrospective — Allégation de discrimination fondée sur la situation de famille par suite du refus d’accorder automatiquement la citoyenneté canadienne à des ressortissantes étrangères adoptées — Aucune application rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisque la distinction continue est fondée sur la naissance.

Demande de contrôle judiciaire. La famille McKenna réside de façon permanente en Irlande. Mme McKenna a trois fils nés au Canada et deux filles adoptives nées en Irlande de parents non canadiens. Les fils ont automatiquement la citoyenneté canadienne, mais les filles ne peuvent devenir citoyennes canadiennes que par naturalisation. L’article 5 de la Loi sur la citoyenneté canadienne prévoit que constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un individu pour un motif de distinction illicite, notamment la situation de famille (article 3). L’intimée a allégué une distinction fondée sur la situation de famille des filles en tant qu’enfants adoptées. Après avoir conclu qu’il n’était pas nécessaire de donner à la Loi canadienne sur les droits de la personne un effet rétrospectif, le Tribunal a conclu que le traitement différent accordé aux fils et aux filles constituait un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille.

L’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que l’enfant mineur adopté, non marié, reçoit le statut de résident permanent quand il respecte certaines conditions. Le TCDP a conclu qu’en l’absence de preuve les justifiant, certaines de ces exigences n’étaient pas justifiées. Le procureur général soutient qu’il y a eu violation de la justice naturelle en ce qu’il n’a pas été avisé des allégations auxquelles il devait répondre. L’alinéa 53(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet au TCDP d’ordonner qu’on accorde aux victimes d’un acte discriminatoire les avantages dont elles ont été privées. Le Tribunal a ordonné au procureur général de prendre les mesures nécessaires pour que la citoyenneté soit accordée aux filles.

Les questions en litige sont de savoir si le Tribunal (1) a commis une erreur en concluant que le traitement différent constitue un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite; (2) a commis une erreur en concluant que l’application de la Loi n’est pas rétrospective; (3) a violé les règles de justice naturelle ou excédé sa compétence quand il a examiné l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté; (4) a commis une erreur en ordonnant que les mesures nécessaires soient prises pour accorder la citoyenneté canadienne aux filles.

Jugement : la demande doit être accueillie.

(1) Le Tribunal a commis une erreur en concluant à un acte discriminatoire. Ce n’est pas la situation d’adoptées ou de famille des filles qui régit la façon dont elles sont traitées en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais leur situation de ressortissantes irlandaises de naissance. Le motif de distinction qu’est le lieu de naissance est fondé sur des conventions internationales bien établies.

(2) L’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’est pas rétrospective. La distinction fondée sur le statut des filles en tant qu’étrangères a commencé à leur naissance et se continue encore aujourd’hui.

(3) Il y a eu violation de la justice naturelle en ce que le procureur général n’a pas été avisé qu’il devait défendre l’alinéa 5(2)a).

(4) Le Tribunal n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance en faveur des filles parce qu’elles ne sont pas des victimes au sens de la Loi. Bien que le Tribunal ait conclu que la plaignante est une victime, il n’a pas conclu que les filles étaient des victimes.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3, 5, 15g), 40(5)c), 53(2)b).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 3, 5(2),(4).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « droit d’établissement », « établissement » ou « droit de s’établir » (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), 19(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « adopté » (mod. par DORS/93-44, art. 1), 2(1) « fille » (mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1), 2(1) « fils » (mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1), 4(1)b ) (mod. par DORS/92-101, art. 2; 93-44, art. 4), 6(1)c)(i) (mod. par DORS/92-101, art. 3; 93-44, art. 5).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du TCDP (McKenna c. Canada (Ministère du Secrétariat d’État), [1993] D.C.D.P. no 18 (QL)) que la négation de la citoyenneté automatique à des ressortissants étrangers adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens n’est pas un acte discriminatoire au sens des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Demande accueillie.

AVOCATS :

Brian Saunders pour le requérant.

Prakash Diar pour l’intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

Personne n’a comparu pour l’intimée Shirley (Starrs) McKenna.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

La Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimée la Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Simpson : La famille McKenna réside de façon permanente à Dublin (Irlande). M. et Mme McKenna sont citoyens canadiens et ont cinq enfants. Ils ont eu trois fils au Canada (les fils) et ils ont adopté deux filles en Irlande conformément au droit irlandais (les filles). Les fils ont automatiquement et inconditionnellement la citoyenneté canadienne, mais non les filles. Une demande a été présentée à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), alléguant distinction fondée sur la situation de famille. Dans sa décision, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a conclu à l’existence d’un acte discriminatoire (la décision) [[1993] D.C.D.P. no 18 (QL)]. Dans la présente demande, la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)].

Les faits

Mme Shirley (Starrs) McKenna (la plaignante) et son mari ont adopté leurs filles le 20 mai 1975 et le 19 février 1976. Elles sont nées en Irlande le 24 mai 1974 et le 21 janvier 1975 respectivement, de parents qui n’étaient pas canadiens. En 1979, la famille McKenna projetait faire une visite au Canada. À l’époque, la plaignante a communiqué avec l’ambassade canadienne à Dublin, demandant des passeports canadiens pour ses filles. On lui a répondu que, étant des ressortissantes irlandaises adoptées par des citoyens canadiens en Irlande, ses filles n’avaient pas automatiquement droit à la citoyenneté canadienne. On lui a plus tard dit que ses filles pouvaient devenir citoyennes canadiennes par le processus de naturalisation. Cependant, comme la naturalisation était conditionnelle à une intention de résider en permanence au Canada, aucune demande de naturalisation n’a été faite parce que M. et Mme McKenna n’avaient pas l’intention de demeurer au Canada. Sept ans plus tard, la plaignante a demandé par lettre si la situation avait changé. Catherine Lane, la greffière de la citoyenneté canadienne, lui a répondu ce qui suit dans une lettre en date du 12 mai 1986 :

[traduction] J’ai pris connaissance de votre lettre du 10 avril 1986 dans laquelle vous avez déploré le fait que vos enfants adoptées ne sont pas admissibles à la citoyenneté de la même façon que vos enfants naturels.

Le Canada a sa propre législation en matière de nationalité depuis le 22 mai 1868. Depuis cette date, il existe deux grandes façons d’obtenir la nationalité dérivée. La première réside dans l’application du principe du jus soli (droit du sol), selon lequel la nationalité ou la citoyenneté est celle du lieu de naissance, indépendamment de la nationalité des parents du sujet, tandis que l’autre réside dans l’application du principe du jus sanguinis (droit du sang), selon lequel la nationalité ou la citoyenneté découle des liens du sang, quel que soit le lieu de naissance. L’enfant naturel et l’enfant adopté n’ont jamais été traités de la même façon par la loi canadienne en matière de nationalité. À titre d’exemple, voici le libellé de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté actuellement en vigueur, qui concerne la citoyenneté des enfants nés en dehors du Canada d’un père ou d’une mère canadien :

« Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, un citoyen est toute personne qui est née hors du Canada après l’entrée en vigueur de la présente loi et dont, au moment de sa naissance, le père ou la mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien. »

La Loi sur la citoyenneté est entrée en vigueur le 15 février 1977. Comme l’indiquent clairement les dispositions de l’alinéa 3(1)b) de cette Loi, le concept de la citoyenneté ou de la nationalité acquise par les liens du sang a été conservé. Néanmoins, l’alinéa 5(2)a) de cette même loi énonce que l’enfant mineur d’un citoyen peut obtenir la citoyenneté s’il a été admis au Canada à titre de résident permanent. Si vos filles adoptives sont âgées de moins de 18 ans, elles pourront obtenir la citoyenneté une fois qu’elles auront été admises au Canada à titre de résidentes permanentes. Si vous décidez d’opter pour cette solution, vous devrez communiquer avec les autorités de l’immigration de l’ambassade du Canada à Dublin.

Enfin, même si je comprends que les renseignements fournis dans cette lettre risquent de vous déplaire, je dois m’en tenir aux exigences de la loi.

En dernier ressort, la plaignante a demandé au ministre, en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29], d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la citoyenneté à ses filles. Le ministre peut le faire afin de remédier à une situation particulière de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada. Il est cependant reconnu que la demande de la plaignante n’a pas été accueillie. Elle a donc présenté sa plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la plainte). Tout au long des présentes procédures et de celles devant le Tribunal, la position de la plaignante a été soutenue par des avocats de la Commission.

La demande soulève de nombreuses questions. Mes motifs ne traiteront que de celles que j’estime pertinentes dans une demande de contrôle judiciaire, savoir :

1. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le traitement différent accordé aux fils et aux filles de la plaignante quant à leur droit à la citoyenneté canadienne constitue un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite, p. ex. la situation de famille, suivant les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] (la LCDP)?

2. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que l’application de la LCDP en l’espèce n’est pas rétrospective?

3. Le Tribunal a-t-il violé les règles de justice naturelle ou excédé sa compétence quand il a examiné l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté dans sa décision?

4. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ordonnant au procureur général du Canada de prendre les mesures nécessaires pour que les filles obtiennent la citoyenneté canadienne?

Première question—La distinction fondée sur la situation de famille

L’article 3 de la LCDP prévoit que la situation de famille est un motif de distinction illicite. L’article 5 dispose :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

Dans sa décision, le Tribunal a signalé la principale question en litige dans les termes suivants :

Ce problème réside dans le fait que les enfants adoptés à l’étranger par des Canadiens doivent suivre la démarche de naturalisation pour obtenir la citoyenneté canadienne, tandis que les enfants biologiques nés à l’étranger de Canadiens obtiennent automatiquement la citoyenneté canadienne. Cette différence de traitement découle uniquement de la situation de famille de l’enfant, soit du fait qu’il est un enfant adopté.

Suivant la thèse de la plaignante, c’est l’adoption de ses filles qui les a fait entrer dans la famille McKenna et la famille est le lieu de la distinction entre les fils et les filles du point de vue de la citoyenneté canadienne. Par conséquent, la distinction serait fondée sur la situation de famille des filles en tant qu’enfants adoptées. Il existe une distinction, a-t-elle allégué, parce que les enfants naturels nés de citoyens canadiens à l’étranger acquièrent automatiquement la citoyenneté canadienne, tandis que les enfants adoptés par des citoyens canadiens à l’étranger doivent être naturalisés pour devenir citoyens canadiens.

Malheureusement, je ne puis accepter cette interprétation des faits. Bien qu’il puisse être souhaitable que, moyennant des restrictions procédurales minimales, les enfants adoptés de citoyens canadiens acquièrent de plein droit la citoyenneté canadienne, cet objectif ne peut être réalisé dans le cours du présent litige. À mon avis, ce n’est pas la situation d’adoptées ou de famille des filles qui est à l’origine de la façon dont elles sont traitées en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne. C’est plutôt leur situation de ressortissantes étrangères irlandaises de naissance qui régit la façon dont elles sont traitées aux fins de la citoyenneté. Leur adoption n’est pas pertinente et n’est pas la raison de cette distinction. La famille McKenna est le lieu où on peut observer cette distinction, mais, au sens de la situation de famille envisagée à l’alinéa 5b) de la LCDP, ce n’est pas un motif ou une raison de la distinction et ce n’est pas ce qui a créé cette distinction. La distinction entre les fils et les filles observée dans la famille McKenna tire son origine de leurs lieux de naissance respectifs. Ce motif de distinction est fondé sur des conventions internationales bien établies suivant lesquelles la citoyenneté dépend des liens du sang ou du lieu de naissance.

Par conséquent, la plaignante n’a pas fait la preuve prima facie de l’existence d’une distinction et le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant à l’existence d’un acte discriminatoire visé au paragraphe 3(1) et à l’article 5 de la LCDP. Pour ce motif, indépendamment de mes conclusions sur les autres questions, la demande sera accueillie et la décision, infirmée.

Question 2—L’application rétrospective

Le Tribunal a conclu que, pour établir sa compétence, il n’était pas nécessaire d’attribuer un effet rétrospectif à la LCDP. À mon avis, cette conclusion est appuyée par la preuve dont disposait le Tribunal. La différence de traitement que subissent les filles en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne a commencé le jour de leur naissance, quand elles ont été identifiées comme étrangères aux fins des lois canadiennes relatives à la citoyenneté. À cette époque, la LCDP n’existait pas. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 1978 [S.C. 1976-77, ch. 33]. Cependant, il y a eu une distinction continue fondée sur la situation des filles en tant qu’étrangères. Elle continue encore aujourd’hui. Pour ce motif, le Tribunal n’a pas commis d’erreur quand il a conclu que la LCDP ne créait aucun problème d’application rétrospective.

Question 3—La justice naturelle

Le procureur général du Canada soutient qu’il y a eu violation de la justice naturelle en ce qu’il ne connaissait pas les allégations auxquelles il devait répondre. Le problème découle du fait que la décision du Tribunal traite longuement de l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté (l’alinéa 5(2)a)) et conclut que plusieurs de ses exigences sont injustifiées.

L’alinéa 5(2)a) prévoit que l’enfant mineur adopté, non marié, reçoit le statut de résident permanent en vertu de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] quand il est démontré que :

—        il a l’intention de résider au Canada de façon permanente[1];

—        il a obtenu une lettre de non-opposition du bureau de protection de l’enfance de la province de destination[2];

—        l’adoption a eu lieu avant qu’il n’atteigne l’âge de 19 ans[3] et a été faite conformément au droit du pays où elle a eu lieu[4];

—        il a obtenu les attestations nécessaires concernant la santé, la criminalité et la sécurité[5];

—        il ne s’agit pas d’une adoption de convenance[6].

Ces dispositions seront ci-après appelées les « conditions ».

Le Tribunal a examiné si les conditions étaient justifiées en vertu de l’alinéa 15g) de la LCDP et a conclu que, puisque l’intimé n’avait présenté aucune preuve justifiant l’exigence relative à la résidence permanente ou les exigences relatives à l’examen préliminaire concernant la santé, la criminalité et la sécurité, ces exigences n’étaient pas justifiées. Se fondant sur la preuve qui lui avait été présentée, le Tribunal a aussi conclu que l’exigence liée à l’âge et la lettre de non-opposition étaient injustifiées. Comme conséquence de la décision du Tribunal, les enfants adoptés peuvent obtenir la citoyenneté si l’adoption 1) a été faite conformément au droit du pays où elle a eu lieu; 2) a créé un véritable lien de filiation entre le parent et l’enfant; et 3) n’a pas été faite dans le but d’obtenir l’admission au Canada. Il est évident que, en somme, la décision démantèle les exigences relatives aux enfants adoptés.

Le requérant allègue que rien ne lui indiquait que la décision examinerait l’alinéa 5(2)a) et que, pour cette raison, il n’a présenté aucune preuve sur la justification. Il affirme que la preuve qu’il a présentée relativement au processus de naturalisation n’a été soumise que pour offrir un contexte général.

J’ai conclu qu’il y a eu violation de la justice naturelle qui paraît être survenue parce que les questions litigieuses n’ont jamais été identifiées ou définies de façon adéquate. Dans sa plainte, la plaignante n’a mentionné aucun article de la Loi sur la citoyenneté. Le texte de la plainte met l’accent sur la citoyenneté automatique et l’inéligibilité des filles à la citoyenneté de plein droit. Aucune mention n’est faite du processus de naturalisation, ce qui est normal dans le contexte. Puisque la famille McKenna n’avait pas l’intention de demeurer au Canada, la plaignante n’a jamais pensé utiliser le processus de naturalisation pour demander la citoyenneté pour ses filles. Pendant l’audience, l’avocat de la Commission a fait un long contre-interrogatoire sur la question de résidence permanente qui, allègue-t-il, n’était pertinente que parce que l’alinéa 5(2)a) était en cause. La position de la Commission paraît être qu’on devrait s’attendre à ce que le procureur général découvre la nature fondamentale des arguments à partir du contre-interrogatoire mené par l’avocat de la partie adverse. Cette allégation ne peut être retenue, surtout parce que la Commission n’a jamais mentionné l’alinéa 5(2)a) dans son plaidoyer final, même pas dans sa réplique. Dans son plaidoyer principal, la Commission a effectivement dit qu’elle cherchait à obtenir un redressement en vertu de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté. C’est l’article qui a conféré automatiquement la citoyenneté aux fils.

Beaucoup plus tard, à la fin du plaidoyer en réplique, l’avocat de la Commission a dit pour la première fois [traduction] « C’est l’alinéa 5(2)b) qui s’applique le plus directement au cas de Mme McKenna … Je pense que l’alinéa 5(2)b) peut couvrir la situation de Mme McKenna »[7]. En réponse, le Tribunal a demandé [traduction] « Où en êtes-vous alors avec votre demande de redressement? Votre demande de redressement se fonde sur l’article 3 »[8]. Au cours du débat qui a suivi le Tribunal a demandé aux avocats leur opinion quant à savoir s’il avait compétence pour [traduction] « examiner un autre article qui n’a pas été invoqué en l’espèce »[9]. À mon avis, le Tribunal n’a reçu aucune réponse utile. Plus tard, à la fin de l’audience, l’avocat de l’intimé s’est opposé à la tactique de la Commission consistant à soulever l’alinéa 5(2)b) pour la première fois au stade de la réplique. Bref, il est évident que l’alinéa 5(2)a) n’a jamais été examiné. Je suis donc convaincue qu’il y a eu violation de la justice naturelle en ce que l’avocat de l’intimé n’a pas été avisé qu’il devait défendre et justifier l’alinéa 5(2)a).

Pour ces motifs, même si j’avais conclu à l’existence d’un acte discriminatoire, dans la mesure où elle contient des ordonnances relatives à l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la citoyenneté, la décision aurait été infirmée et renvoyée au Tribunal pour nouvelle audition sur la question de savoir si l’alinéa 5(2)a) est justifié en vertu de l’alinéa 15g) de la LCDP.

Question 4

Le Tribunal a rendu une ordonnance en faveur des filles qui enjoint « à l’intimé de prendre les mesures nécessaires le plus tôt possible pour que Siobhan et Caragh McKenna obtiennent la citoyenneté canadienne »[10]. L’alinéa 53(2)b) de la LCDP prévoit que le Tribunal peut ordonner qu’on accorde aux victimes d’un acte discriminatoire les avantages dont elles ont été privées (non souligné dans l’original). Bien que le Tribunal ait conclu que la plaignante est une victime qui respecte les exigences de l’alinéa 40(5)c) de la LCDP, il n’a pas conclu que les filles étaient des victimes au sens de l’alinéa 40(5)c).

Le Tribunal n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance en faveur des filles parce qu’elles ne sont pas des victimes au sens de la loi. Par conséquent, en raison de cette erreur, même si j’avais conclu à l’existence d’un acte discriminatoire, la partie de la décision qui contient l’ordonnance précitée en faveur des filles aurait été infirmée.



[1] Loi sur l’immigration, art. 2(1) « droit d’établissement », « établissement » ou « droit de s’établir » [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1].

[2] Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172], art. 6(1)c)(i) [mod. par DORS/92-101, art. 3; 93-44, art. 5].

[3] Règlement sur l’immigration de 1978, art. 4(1)b) [mod. par DORS/92-101, art. 2; 93-44, art. 4], 2(1) « fille » [mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1], 2(1) « fils » [mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1].

[4] Règlement sur l’immigration de 1978, art. 2(1) « adopté » [mod. par DORS/93-44 art. 1].

[5] Loi sur l’immigration, art. 19(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11].

[6] Règlement sur l’immigration de 1978, art. 2(1) « adopté » [mod. par DORS/93-44, art. 1].

[7] Transcription des débats devant le Tribunal, Dossier de la demande, à la p. 209.

[8] Ibid., à la p. 210.

[9] Ibid., à la p. 210.

[10] McKenna c. Canada (Ministère du Secrétariat d’État), [1993] D.C.D.P. no 18 (QL).

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