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[1995] 1 C.F. 588

A-332-94

David Bull Laboratories (Canada) Inc. (appelante)

c.

Pharmacia Inc., Farmitalia Carlo Erba S.R.L. et le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (intimés)

Répertorié : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 18 octobre; 1er novembre 1994.

Pratique — Règle des « lacunes » — Appel du rejet de la demande de radiation de l’avis de requête introductive d’instance en prohibition visant à empêcher le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité relativement au médicament breveté — La Règle 419 n’autorise pas directement la radiation d’un avis de requête — La Règle 5 permet d’avoir recours aux règles de procédure provinciales pour déterminer, par analogie, la procédure à suivre pour radier les documents introductifs d’instance qui ne sont pas des plaidoiries écrites, uniquement lorsqu’il existe une « lacune » dans les Règles de la Cour fédérale — L’absence, dans les Règles de la Cour fédérale, d’une disposition énoncée dans les règles de procédure provinciales ne signifie pas nécessairement qu’il existe une lacune — Si cette absence s’explique par l’organisation générale des règles, elle doit être intentionnelle — Dans ces circonstances, toute application par analogie des règles de procédure provinciales ou d’autres dispositions des Règles de la Cour fédérale, inapplicables de prime abord, équivaudrait à une modification des Règles de la Cour fédérale — L’absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête s’explique par les frais et les délais plus importants en cause dans les actions — Les règles concernant les actions exigent des plaidoiries écrites précises, mais aucune règle ne pose la même exigence concernant les avis de requête, ce qui aggrave le risque inhérent à la radiation.

Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Appel du rejet de la demande de radiation de l’avis de requête introductive d’instance en prohibition visant à empêcher le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité relativement au médicament breveté — La Règle 419 permet à la Cour de radier une « plaidoirie » dans une « action » — Une demande introduite par avis de requête n’est pas une « action », et un avis de requête n’est pas une « plaidoirie ».

Brevets — Pratique — Appel du rejet de la demande de radiation de l’avis de requête introductive d’instance en prohibition visant à empêcher le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité relativement au médicament breveté — Ces demandes d’interdiction sont des requêtes en contrôle judiciaire — Les règles applicables au contrôle judiciaire prévoient un échéancier précis et confient à la Cour le rôle de s’assurer qu’aucun retard injustifié ne se produit — Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) indique l’intention que ce type de demande soit tranché de façon expéditive — Les parties ne peuvent mener ces instances comme des actions en contrefaçon ou des actions touchant la validité d’un brevet — Le Règlement ne crée ni n’abolit les droits d’action des parties l’une contre l’autre et il ressortit au droit public — L’instance ne mène pas à une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d’un brevet — Lorsqu’une telle décision est nécessaire, il convient de procéder par voie d’action.

Il s’agissait de l’appel du rejet de la demande de radiation de l’avis de requête introductive d’instance en prohibition visant à obtenir une ordonnance empêchant le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l’appelante relativement au médicament Doxorubicine avant l’expiration des brevets des intimés. Devant le juge de première instance, l’appelante a fondé sa demande sur la Règle 419 ou sur la Règle 5, la règle des lacunes. En appel, elle a aussi fait valoir que la Cour a le pouvoir de radier l’avis en vertu soit de sa compétence inhérente, soit d’un pouvoir de « rejet sommaire » lorsqu’un affidavit déposé dans une instance en contrôle judiciaire ne satisfait pas aux exigences énoncées dans les Règles.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La radiation d’un avis de requête n’était pas une mesure de redressement qui pouvait être accordée dans les circonstances. La Règle 419 permet à la Cour, à tout stade d’une « action », d’ordonner la radiation d’une « plaidoirie ». La Règle 2 définit l’« action » comme une procédure devant la Section de première instance, « à l’exception d’un appel, d’une demande ou d’une requête introductive d’instance », et une « plaidoirie écrite » comme tout acte par lequel une action devant la Section de première instance a été engagée. La Règle 419 n’autorise pas directement la radiation d’un avis de requête. Une demande introduite par voie d’avis de requête n’est pas une « action » et l’avis de requête n’est pas une « plaidoirie écrite ».

L’appelant a soutenu que la Règle 5 permettait à la Cour d’avoir recours à la loi de l’Ontario ou du Québec pour déterminer la procédure à suivre pour radier un document introductif d’instance qui n’est pas une plaidoirie écrite. La Règle 5 ne s’applique que s’il y a une « lacune » dans les Règles de la Cour fédérale. Le simple fait que ces Règles ne contiennent pas toutes les dispositions énoncées dans les règles de procédure provinciales ne signifie pas nécessairement qu’il existe une lacune. Si l’absence d’une telle disposition peut s’expliquer facilement par l’organisation générale des Règles de la Cour fédérale, cette absence doit être considérée comme intentionnelle et toute application par analogie d’autres dispositions inapplicables de prime abord équivaudrait à une modification des Règles de la Cour fédérale. L’absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s’explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Une action comporte la communication de documents, des interrogatoires préalables et des instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est important d’éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu’à l’instruction s’il est « manifeste » que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d’action ou une défense. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l’appuient. Aucune règle comparable n’existe relativement aux avis de requête. Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. Le moyen approprié par lequel contester un avis de requête introductive d’instance consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même.

La distinction entre une action et une requête devant la présente Cour est encore plus marquée lorsque la requête vise le contrôle judiciaire d’une décision, comme dans le cas d’une demande d’interdiction prévue au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), qui est tenue pour appartenir à cette catégorie d’instances. Contrairement aux règles applicables aux actions, les règles qui touchent le contrôle judiciaire prévoient un échéancier précis pour la préparation de l’audition et confient à la Cour le rôle de s’assurer qu’aucun retard injustifié ne se produit. Dans les requêtes en contrôle judiciaire, l’accent est mis sur la nécessité qu’elles parviennent au stade de l’audition le plus rapidement possible, les objections visant l’avis introductif d’instance pouvant ainsi être tranchées rapidement dans le contexte de l’examen du bien-fondé de la demande. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) indique aussi l’intention que ce type particulier de demande de contrôle judiciaire soit tranché de façon expéditive. Ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d’un brevet : il s’agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Le Règlement ne crée ni n’abolit les droits d’action des parties l’une contre l’autre : elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande d’interdiction contre le ministre. Il ressortit au droit public et ne vise pas les droits d’action privés. Si l’instruction des questions de la validité ou de la contrefaçon est nécessaire, on peut intenter une action.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25, art. 75.1.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5, 6(1), 7(1),(5).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 2 « action », « plaidoirie écrite », 5, 319(1) (mod. par DORS/88-221, art. 4), 419, 1602(2) (édictée par DORS/92-43, art. 19), 1605 (édictée, idem), 1614(2) (édictée, idem), 1617 (édictée, idem).

Règles de procédure civile, Règl. de l’Ont. 560/84, Règle 14.09.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Pharmacia Inc. c. David Bull Laboratories (Canada) Inc., A-410-94, juge Stone, J.C.A., jugement en date du 19-10-94, C.A.F., encore inédit.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417; 62 N.R. 364 (C.A.F.); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Cyanamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commissaire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102(1re inst.).

APPEL d’une demande de radiation d’un avis de requête introductive d’instance en prohibition visant à empêcher le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), T-2991-93, juge Noël, ordonnance en date du 4-7-94, C.F. 1re inst., encore inédite). Appel rejeté.

AVOCATS :

Susan Beaubien pour l’appelante.

Gunars A. Gaikis et Peter R. Wilcox pour les intimées Pharmacia Inc. et Farmitalia Carlo Erba S.R.L.

Aucun représentant pour l’intimé le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

PROCUREURS :

Shapiro, Cohen, Andrews, Finlayson, Ottawa, pour l’appelante.

Smart & Biggar, Toronto, pour les intimées Pharmacia Inc. et Farmitalia Carlo Erba S.R.L.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. :

Le redressement demandé

Il s’agit d’un appel de la décision rendue par le juge Noël le 4 juillet 1994 [encore inédite]. Par cette décision, le juge a rejeté la demande de l’appelante, David Bull Laboratories (Canada) Inc. (l’intimée dans le dossier T-2991-93 de la Section de première instance) visant à faire radier l’avis de requête introductive d’instance en prohibition déposé par Pharmacia Inc. (Pharmacia) et Farmitalia Carlo Erba S.R.L. (Farmitalia) dans la procédure engagée devant la Section de première instance. Il a également rejeté la demande subsidiaire de l’appelante visant à enjoindre à Robert J. Little, l’auteur d’un affidavit déposé par Pharmacia et Farmitalia à l’appui de leur avis de requête introductive d’instance, de se présenter à nouveau pour être contre-interrogé et pour répondre à certaines questions.

L’appel a été entendu avec l’appel A-410-94 [Pharmacia Inc. c. David Bull Laboratories (Canada) Inc.] interjeté par Pharmacia et Farmitalia contre une autre ordonnance interlocutoire dans la même instance. Cet appel a été rejeté pour les motifs prononcés le 18 octobre et le 19 octobre 1994.

Les faits

Les intimées Pharmacia et Farmitalia soutiennent avoir un intérêt dans les brevets canadiens 1 248 453 et 1 291 037, compris dans les listes de brevets datées du 7 avril 1993 concernant le chlorhydrate de Doxorubicine (connu sous le nom de « Doxorubicine »), ces listes ayant été déposées auprès du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)[1]. Le 4 novembre 1993, l’appelante a déposé et signifié un avis d’allégation en vertu de l’article 5 de ce Règlement concernant le brevet no 1 248 453 susmentionné. Cet avis d’allégation portait que le produit faisant l’objet de la demande d’avis de conformité présentée par l’appelante ne contrefaisait aucune des revendications de ce brevet. Le 21 décembre 1993, les intimées Pharmacia et Farmitalia ont déposé un avis de requête en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l’appelante relativement au médicament Doxorubicine avant l’expiration des deux brevets 1 248 453 et 1 291 037. Cet avis de requête alléguait simplement que Farmitalia est la propriétaire de ces brevets, dont chacun comprend à la fois des revendications pour le médicament Doxorubicine en soi et des revendications pour l’utilisation du médicament, et que Pharmacia est un licencié en vertu de ces brevets et vend ce médicament au Canada. L’avis de requête indiquait que Pharmacia avait déposé les listes de brevets et que l’appelante (l’intimée dans cet avis de requête introductive d’instance) avait déposé l’avis d’allégation dont nous avons déjà fait mention. La seule preuve produite à l’appui de l’avis de requête introductive d’instance était un bref affidavit signé par Robert J. Little, président de Pharmacia, dans lequel il attestait essentiellement les faits énoncés dans l’avis de requête introductive d’instance.

L’appelante a déposé sa preuve à l’appui de sa réponse à l’avis de requête introductive d’instance le 21 février 1994. Les auteurs des affidavits des deux parties ont été contre-interrogés relativement à leurs affidavits. M. Little a été contre-interrogé le 15 juin 1994 et il a refusé de répondre à bon nombre de questions qui lui ont été posées. Le 27 juin 1994, l’appelante a déposé un avis de requête en vue de faire radier l’avis de requête introductive d’instance ou, subsidiairement, d’enjoindre à M. Little de se présenter à nouveau pour être contre-interrogé et pour répondre aux questions auxquelles il avait refusé de répondre. Cette requête a été entendue par le juge Noël le 30 juin 1994 et, le 4 juillet 1994, il a prononcé le jugement dont appel.

Les autres faits nécessaires pour trancher l’appel seront mentionnés avec les conclusions touchant chaque question.

Conclusions

La requête en radiation

Devant le juge Noël, l’appelante semble avoir fondé sa demande de radiation de l’avis de requête introductive d’instance sur la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] ou, subsidiairement, sur la règle des « lacunes », la Règle 5. Le juge Noël a exprimé un doute quant à savoir si la Règle 419 ou la Règle 5 peuvent fonder la radiation d’un avis de requête. Quoi qu’il en soit, il a conclu que la radiation de l’avis de requête introductive d’instance n’était justifiée par aucun des motifs énoncés à la Règle 419. En appel devant la présente Cour, l’avocat a fait valoir un autre fondement à la compétence de la Cour de radier l’avis : ou bien la Cour a ce pouvoir en vertu de sa compétence inhérente, ou bien elle est investie d’un pouvoir de « rejet sommaire » lorsqu’un affidavit déposé dans une instance en contrôle judiciaire ne satisfait pas aux exigences énoncées dans les Règles. (Ce dernier argument a peut-être été invoqué devant le juge Noël de quelque façon, car le juge note dans ses motifs que l’affidavit déposé à l’appui de la requête est suffisant pour établir les faits allégués).

La Cour ne doit évidemment pas intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, tel son pouvoir de refuser la radiation, à moins que le juge ait appliqué un principe de droit erroné ou commis une erreur grave dans l’appréciation des faits, ou que son refus d’intervenir entraîne manifestement une injustice[2]. En l’espèce, nous ne pouvons déceler aucune erreur de ce type dans la décision du juge de première instance. Nous pourrions nous limiter à confirmer que la radiation d’un avis de requête n’était pas une mesure de redressement qui pouvait être accordée dans les circonstances. Compte tenu de l’argumentation étoffée qui a été présentée à cet égard, il serait toutefois bon d’expliquer pourquoi, selon nous, le juge a eu en principe raison de douter de l’applicabilité de la Règle 419 ou de la règle des « lacunes ».

Il est évident que la Règle 419 n’autorise pas directement la radiation d’un avis de requête. Voici comment commence la Règle 419(1) :

Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d’une action ordonner la radiation de tout ou partie d’une plaidoirie … [Les soulignements ne figurent pas dans le texte original.]

Selon les définitions énoncées à la Règle 2, une « action » désigne une procédure engagée devant la Section de première instance

Règle 2. (1) …

« action » … à l’exception d’un appel, d’une demande ou d’une requête introductive d’instance …

et une « plaidoirie écrite » désigne

Règle 2. (1) …

« plaidoirie écrite » … tout acte par lequel une action devant la Section de première instance a été engagée …

Par conséquent, une demande d’interdiction introduite par voie d’avis de requête n’est pas une « action » et l’avis de requête n’est pas une « plaidoirie écrite ». On soutient toutefois que la règle des « lacunes », la Règle 5, permet à la Cour d’avoir recours à la loi de l’Ontario ou du Québec. Voici ce que prévoit la Règle 5 :

Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d’une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l’événement si aucune requête de ce genre n’a été formulée), la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie

a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou

b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l’objet des procédures,

selon ce qui, de l’avis de la Cour, convient le mieux en l’espèce.

Comme les parties en l’espèce ont leurs domiciles en Ontario et au Québec, on a soutenu que la Cour pouvait avoir recours, par analogie, aux lois de ces provinces qui, contrairement aux Règles de la Cour fédérale, prévoient une procédure de radiation des documents introductifs d’instance qui ne sont pas des plaidoiries écrites[3]. L’appelante semble aussi faire valoir que la Règle 5a) permet à la Cour d’appliquer la Règle 419 aux avis de requête introductive d’instance, par analogie.

La Règle 5 s’applique uniquement lorsqu’il existe une « lacune » dans les Règles de la Cour fédérale. Le simple fait que ces Règles ne contiennent pas une disposition énoncée dans les règles de procédure provinciales ne signifie pas nécessairement qu’il existe une lacune. Si l’absence d’une telle disposition peut s’expliquer facilement par l’organisation générale des Règles de la Cour fédérale, cette absence doit être considérée comme intentionnelle et toute application par analogie des règles de procédure provinciales ou d’autres dispositions des Règles de la Cour fédérale, inapplicables de prime abord, équivaudrait à une modification des Règles de la Cour fédérale.

L’absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s’explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d’interrogatoires préalables et d’instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d’éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu’à l’instruction s’il est « manifeste » (c’est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d’action ou une défense. Bien qu’il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu’une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu’à l’instruction, il est rare qu’un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la Règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l’appuient. Aucune règle comparable n’existe relativement aux avis de requête. Tant la Règle 319(1) [mod. par DORS/88-221, art. 4], la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], la règle pertinente en l’espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l’avis de requête indique « avec précision, le redressement » recherché et « les motifs au soutien de la demande ». Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introduite par voie d’avis de requête introductive d’instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu’une radiation permet d’éviter dans les actions. En fait, l’examen d’un avis de requête introductive d’instance se déroule à peu près de la même façon que celui d’une demande de radiation de l’avis de requête : la preuve se fait au moyen d’affidavits et l’argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu’entraîne l’examen additionnel d’une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire. La présente requête en radiation a donné lieu, inutilement, à une audience devant le juge de première instance et à plus d’une demi-journée devant la Cour d’appel, ainsi qu’au dépôt, devant cette dernière, de plusieurs centaines de pages de documents. Le bien-fondé de l’avis de requête introductive d’instance peut être tranché, et le sera de façon définitive, à l’audience dont la tenue, devant un juge de la Section de première instance, est maintenant fixée au 17 janvier 1995.

La distinction entre une action et une requête devant la Cour fédérale est encore plus marquée lorsque la requête vise le contrôle judiciaire d’une décision, comme dans le cas des présentes demandes de prohibition soumises en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et tenues pour appartenir à cette catégorie d’instances[4]. Contrairement aux règles applicables aux actions, les Règles 1600 à 1700 [édictées par DORS/92-43, art. 19] touchant le contrôle judiciaire prévoient un calendrier précis pour la préparation de l’audition et confient à la Cour le rôle de s’assurer qu’aucun retard injustifié ne se produit. Les délais fixés par les règles peuvent être prorogés uniquement par un juge, et non de consentement[5]. La Cour peut, de son propre chef, ordonner le rejet d’une demande en raison d’un retard[6] et corriger un document introductif d’instance[7]. Ces éléments appuient l’opinion voulant que les requêtes en contrôle judiciaire doivent parvenir au stade de l’audition le plus rapidement possible. Les objections visant l’avis introductif d’instance peuvent ainsi être tranchées rapidement dans le contexte de l’examen du bien-fondé de la demande.

Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) indique aussi l’intention que ce type particulier de demande de contrôle judiciaire soit tranché de façon expéditive. Le paragraphe 7(1) du Règlement prévoit qu’un avis de conformité ne doit pas être délivré avant l’expiration de trente mois suivant le dépôt de la demande d’interdiction, à moins que la Cour n’ait rejeté la demande dans l’intervalle. Le paragraphe 7(5) autorise toutefois la Cour à abréger ou à proroger ce délai de trente mois lorsqu’elle n’a pas encore rendu une décision relativement à la demande, et qu’elle constate qu’une partie à la demande « n’a pas collaboré de façon raisonnable au traitement expéditif de celle-ci ». Ainsi, par exemple, lorsque la partie requérante retarde indûment la tenue de l’audience sur le bien-fondé de la demande, la partie intimée peut présenter une requête pour demander à la Cour d’abréger le délai de délivrance d’un avis de conformité.

Compte tenu des très nombreuses procédures interlocutoires de cette nature actuellement en instance devant la Section de première instance, il semble que, dans bien des cas, les parties ont effectivement tenté de mener ces instances comme des actions pour contrefaçon ou des actions visant à obtenir un jugement déclaratoire sur la validité des brevets. En conséquence, elles ont tenté d’obtenir de la Cour la radiation ou la modification des avis d’allégation[8]. Des parties ont essayé, comme en l’espèce, d’obtenir la radiation de l’avis de requête introductive d’instance et une mesure équivalant à l’interrogatoire préalable de la partie opposée. Toutefois, dans l’affaire Merck Frosst c. Canada[9], la Cour a clairement statué que ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d’un brevet : il s’agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d’un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant. Il est utile de reproduire les propos tenus par la Cour dans l’affaire Merck, précitée [aux pages 319 et 320].

La procédure engagée n’est pas une action et ne vise qu’à faire interdire la délivrance d’un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas une « action en contrefaçon de brevet » …

Au surplus, étant donné que le règlement habilite le ministre, si une demande fondée sur l’art. 6 n’est pas intentée dans les délais, à délivrer l’avis de conformité sur la foi des assertions contenues dans l’avis d’allégation, il semblerait qu’à l’audition de cette demande, du moins dans le cas où l’avis allègue la non-contrefaçon, la Cour doive présumer que les allégations de fait contenues dans l’avis d’allégation sont avérées sauf dans la mesure que la partie requérante prouve le contraire. Pour décider si les allégations sont « fondées » (art. 6(2)), la Cour doit examiner si, à la lumière de ces faits tels qu’ils sont présumés ou prouvés, ces allégations engageraient en droit à conclure que le brevet ne serait pas contrefait par la partie intimée.

À ce sujet, il y a lieu de noter que si l’art. 7(2)b) semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n’est pas valide ou qu’il n’est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l’art. 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu’elle revêt la forme d’un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu’elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l’intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L’invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n’est pas une question relevant d’une procédure de ce genre. La seule explication est, à mon avis, que le rédacteur avait à l’esprit la possibilité de procédures parallèles intentées par la seconde personne et qui donneraient lieu à pareil jugement déclaratoire, exécutoire pour les parties. Quoi qu’il en soit, il est évident que le jugement déclaratoire visé à l’art. 7(2)b) n’est pas la condition préalable du rejet ultime de la demande fondée sur l’art. 6, dont les conséquences sont prévues séparément à l’art. 7(4).

Soulignons qu’aucune des dispositions du Règlement ne crée ni n’abolit les droits d’action des parties l’une contre l’autre : elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande de prohibition contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le Règlement ressortit donc au droit public et ne vise pas les droits d’action privés. La véritable partie opposée dans le cadre d’une telle procédure en prohibition est évidemment la société générique qui a signifié l’avis d’allégation.

Si, en prenant ce Règlement, le gouverneur en conseil avait eu l’intention de prévoir le prononcé d’une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d’un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes questions, il l’aurait sûrement exprimée. Le tribunal n’est pas disposé à accepter l’hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leurs droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le cadre d’une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l’instruction complète des questions de validité et de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action.

Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l’aurait fait dans le cadre d’une action. Nous n’affirmons pas que la Cour n’a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d’autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[10]. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête.

Compte tenu de cette conclusion quant à la possibilité de radier un document en pareilles circonstances, je ne traiterai pas de la conclusion du juge de première instance portant que l’avis de requête introductive d’instance révèle effectivement une cause raisonnable d’action. Je ne voudrais pas qu’on considère l’abstention de la Cour de se prononcer sur cette question comme l’expression d’une opinion sur les conclusions formulées à cet égard par le juge de première instance. La pertinence de la preuve et des allégations des intimés doit être appréciée, en définitive, par le juge qui entendra la demande d’interdiction au fond.

Les réponses aux questions posées en contre-interrogatoire

Devant le juge Noël, l’appelante a aussi demandé à la Cour d’enjoindre à Robert J. Little, l’auteur de l’affidavit déposé par les intimées Pharmacia et Farmitalia, de se présenter à nouveau pour être contre-interrogé relativement à son affidavit et pour répondre aux questions auxquelles il avait précédemment refusé de répondre. Le juge Noël a refusé de lui ordonner de fournir ces réponses, au motif que certaines questions ne se rapportaient pas aux questions à trancher dans le cadre de la demande de prohibition. En ce qui a trait à certaines questions qui auraient un lien avec la crédibilité de M. Little, le juge a examiné le document censé révéler une incohérence dans les propos de M. Little et il a décidé qu’il n’en révélait pas.

Après avoir examiné les questions soigneusement, j’ai conclu qu’aucun motif ne pourrait justifier que la Cour intervienne dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour ne doit pas intervenir à moins que le juge de première instance ait appliqué un principe de droit erroné ou commis une erreur d’appréciation des faits, ou que la décision en cause entraîne une injustice. En l’espèce, l’appelante n’a satisfait à aucun de ces critères. Cette conclusion ne signifie évidemment pas que l’appelante ne serait pas autorisée à faire valoir les mêmes arguments à l’appui de sa prétention voulant que les requérants n’aient pas établi de façon satisfaisante que la prohibition doit être accordée. Cette question doit être débattue devant le juge de première instance qui tranchera la demande d’interdiction.

Dispositif

L’appel devrait donc être rejeté avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1] DORS/93-133.

[2] Voir, par exemple, Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.), à la p. 418.

[3] Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25, chapitre III.1, art. 75.1; Règles de procédure civile, Règl. de l’Ont. 560/84, Règle 14.09.

[4] Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.).

[5] Règle 1614(2) [édictée, idem].

[6] Règle 1617 [édictée, idem].

[7] Règle 1605 [édictée, idem].

[8] Dans l’appel connexe, A-410-94, qui concerne les mêmes parties et qui a été entendu en même temps que le présent appel, la Cour a prononcé des motifs le 18 octobre 1994, dans lesquels elle affirme que « l’avis d’allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire » parce que ce document est déposé auprès du ministre et non auprès de la Cour.

[9] Précitée, note 4.

[10] Voir, par exemple, Cyanamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commissaire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l’analyse figurant dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102 (1re inst.), aux p. 120 et 121.

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