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[1995] 1 C.F 614

A-841-92

Miss Universe, Inc. (opposante/appelante)

c.

Dale Bohna (requérant/intimé)

Répertorié : Miss Universe, Inc. c. Bohna (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Décary et Létourneau, J.C.A.—Ottawa, 25 octobre et 7 novembre 1994.

Marques de commerce — Enregistrement — Appel du jugement de première instance statuant à l’absence de possibilité réelle de confusion entre les marques de commerce « Miss Universe » et « Miss Nude Universe » devant être utilisées en liaison avec des concours de beauté — Le juge de première instance a conclu à une énorme différence d’ambiance entre les concours de beauté annuels « Miss Universe » et les concours « Miss Nude Universe » tenus dans des bars et des tavernes — Il a conclu que le mot « Nude » au milieu de la marque de commerce du requérant avait une signification saisissante témoignant de la différence profonde entre les deux concours et donnant à la marque de commerce « Miss Nude Universe » un caractère distinctif — Le juge de première instance a commis une erreur en ne traitant pas de l’étendue de la protection à accorder à une marque de commerce aussi généralement connue et employée que « Miss Universe » dans la gestion des concours de beauté — Il a aussi commis une erreur en insistant sur la nature différente des services et du commerce plutôt que de considérer la possibilité de confusion si les deux entreprises étaient exercées dans la même région de la même façon — Le juge de première instance a aussi commis une erreur en considérant le mot « Nude » pris isolément — On constate un degré de ressemblance en considérant les deux marques.

Appel de la décision dans laquelle le juge Strayer concluait à l’absence de probabilité sérieuse de confusion entre les marques « Miss Universe » et « Miss Nude Universe » utilisées en liaison avec la gestion des concours de beauté. Le juge de première instance a conclu qu’en ce qui concerne les alinéas 6(5)c) et d) relativement à la nature des services fournis et du commerce exercé par les deux parties, il existait une vaste différence entre les services du requérant et ceux de l’opposante. Il a conclu à une grande différence d’ambiance entre les concours annuels Miss Universe et les nombreux concours Miss Nude Universe qui ont lieu dans des bars et des tavernes, et il a ajouté que nul sauf le plus irréfléchi supposerait que Miss Universe Inc. a accordé des licences pour la tenue, dans les débits de boisson, de spectacles que l’on peut désigner sous le nom de concours Miss Nude Universe. Le juge de première instance a statué que le mot « Nude » au milieu de la marque de commerce du requérant avait une signification saisissante et qu’il faisait comprendre à tout lecteur sauf le plus indifférent qu’il existait une différence profonde entre les deux concours. Par conséquent, la marque de commerce du requérant est distinctive.

Arrêt : l’appel devrait être accueilli.

Le juge de première instance a commis une erreur en ne traitant pas de l’étendue de la protection à accorder à une marque de commerce aussi généralement connue et employée que « Miss Universe », particulièrement dans le même domaine« la gestion des concours de beauté »dans lequel un nouveau venu tentait d’entrer. « Miss Universe » est un nom avantageusement connu. Le juge de première instance aurait dû examiner les faits en cause en partant du principe qu’il fallait accorder à la marque de commerce de l’appelante une protection particulièrement étendue, et qu’il était particulièrement difficile à l’intimé de s’acquitter de son obligation d’écarter toute probabilité de confusion, surtout dans le domaine des concours de beauté. Il a négligé le fait que l’intimé était un nouveau venu dans un domaine dans lequel l’appelante occupait déjà une place considérable, et qu’il empruntait de la sorte la totalité d’un nom déjà bien établi par l’appelante précisément dans le domaine en question. L’intimé était tenu de choisir un nom avec soin, de façon à éviter toute confusion« comme l’exige la définition de l’expression « marque de commerce projetée » à l’article 2« et de façon à ne pas donner l’impression qu’il avait l’intention de tirer profit d’une marque déjà célèbre. Le juge de première instance n’a pas traité de cette obligation. S’il avait examiné l’étendue de la protection accordée dès le départ à la marque de commerce de l’appelante, il aurait abordé de façon différente les facteurs définis aux alinéas 6(5)c) et d). Il aurait compris que ces facteurs ne pouvaient pas être aussi déterminants qu’ils les a considérés.

Le juge de première instance a aussi commis une erreur en insistant sur la nature différente des services et du commerce plutôt que de considérer la probabilité de confusion si les deux entreprises étaient exercées dans la même région de la même façon. Les services associés aux deux marques de commerce étaient principalement liés à la gestion de concours de beauté. Les deux parties fournissent des services de divertissement au moyen de la gestion, de la présentation et de la promotion de concours de beauté. Les services de concours de beauté fournis par les deux parties ont une même formule et se déroulent de la même façon. Le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve démontrant que les deux marques de commerce étaient employées ou allaient l’être, respectivement, dans précisément la même industrie ou entreprise, et en s’attachant plutôt aux distinctions que l’intimé alléguait avoir en vue, mais qu’il n’avait ni garanties ni mentionnées dans sa demande d’enregistrement, comme par exemple le lieu des concours, les conditions que doivent remplir les participantes et l’ambiance dans lesquelles les activités se dérouleraient. Non seulement ces distinctions ne sont-elles pas concluantes, étant donné la similarité fondamentale entre les services et l’entreprise ou l’industrie en cause, mais elles ne sont pas pertinentes dans la mesure où, indépendamment de l’intention présente de l’intimé, soit lui ou son ayant droit, dans l’éventualité où la marque de commerce « Miss Nude Universe » était déclarée enregistrable, serait libre de changer n’importe quand la formule, le lieu, le style ou le caractère de ses concours de beauté.

Finalement, le juge de première instance n’a pas mentionné, lorsqu’il a traité de la confusion, le facteur exposé à l’alinéa 6(5)e), c’est-à-dire le degré de ressemblance entre les marques de commerce en ce qui concerne leur apparence, leur aspect phonétique ou les idées qu’ils suggèrent. C’est une erreur de considérer le mot « Nude » pris isolément, comme ayant « une signification saisissante ». Lorsque l’on considère les deux marques, on constate qu’elles ont entre elles une ressemblance indéniable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « marque de commerce projetée », 6, 12(1)d) (mod. par L.C. 1990, ch. 20, art. 81), 38(2)b),d),(3)a).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Miss Universe, Inc. v. Miss Teen U.S.A., Inc., 209 USPQ 698 (Dist. Ct. N.Ga. 1980); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (1987), 16 C.I.P.R. 267; 19 C.P.R. (3d) 3; 81 N.R. 257 (C.A.); Miss Universe, Inc. v. Drost, 189 USPQ 212 (P.O. T.M. T. App. Bd. 1975); Carson c. Reynolds, (1980) 2 C.F. 685; (1980), 115 D.L.R. (3d) 139; 49 C.P.R. (2d) 57 (1re inst.); Polysar Ltd. c. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Miss Universe, Inc. v. Bohne [sic] (1991), 36 C.P.R. (3d) 76 (C.O.M.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Coca-Cola Co. v. Pepsi-Cola Co. (1942), 2 D.L.R. 657; [1942] 2 W.W.R. 257; (1942), 1 C.P.R. 293; 2 Fox Pat. C. 143; [1942] 1 All E.R. 615 (P.C.); Rowntree Company Limited v. Paulin Chambers Company Limited et al., [1968] R.C.S. 134; (1967), 54 C.P.R. 43; 37 Fox Pat. C. 77; Oshawa Holdings Ltd. c. Fjord Pacific Marine Industries Ltd. (1981), 55 C.P.R. (2d) 39; 36 N.R. 71 (C.A.F.); Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Sunshine Biscuits, Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.); Molnlycke Aktiebolag c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 42 (C.F. 1re inst.); Salada Foods Ltd. c. Generale Alimentaire (G.A.S.A) (1980), 47 C.P.R. (2d) 169; 32 N.R. 608 (C.A.F.); Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 331 (C.A.F.); conf. Maple Leaf Gardens Ltd. c. Leaf Confections Ltd. (1986), 10 C.I.P.R. 267; 12 C.P.R. (3d) 511; 7 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.); Boy Scouts of Can. v. Alfred Sternjakob GMBH & Co. KG (1984), 4 C.I.P.R. 118; 2 C.P.R. (3d) 407 (C.F. 1re inst.); Berry Bros. & Rudd Ltd. c. Planta Tabak-Manufactur Dr. Manfred Oberman (1980), 53 C.P.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.); Cartier Men’s Shops Ltd. c. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 68 (C.F. 1re inst.); Conde Nast Publications Inc. c. Gozlan Brothers Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250 (C.F. 1re inst.); Glen-Warren Productions Ltd. c. Gertex Hosiery Ltd. (1990), 29 C.P.R. (3d) 7; 32 F.T.R. 274 (C.F. 1re inst.); Haig (John) & Co. Ltd. c. Haig Beverages Ltd. (1975), 24 C.P.R. (2d) 66 (C.F. 1re inst.); Cadbury Schweppes Inc. c. Najm (1991), 41 C.P.R. (3d) 122 (T.M. Opp. Bd.); Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.); Horn Abbot Ltd. et al. c. Thurston Hays Developments Ltd. et al. (1985), 4 C.P.R. (3d) 376 (C.F. 1re inst.); Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée (1992), 97 D.L.R. (4th) 684; 45 C.P.R. (3d) 5034; 148 N.R. 125 (C.F. 1re inst.).

APPEL du jugement de première instance (Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1992] 3 C.F. 682 (1992), 43 C.P.R. (3d) 462 (1re inst.)) statuant qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion entre les deux marques de commerce « Miss Universe » et « Miss Nude Universe » utilisées en liaison avec des concours de beauté. Appel accueilli.

AVOCATS :

Jonathan C. Cohen et Adele J. Finlayson pour l’opposante/appelante.

Lawrence R. Cunningham pour le requérant/ intimé.

PROCUREURS :

Shapiro, Cohen, Andrews, Finlayson, Ottawa, pour l’opposante/appellante.

Peterson, Hustwick, Edmonton, pour le requérant/intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A. : L’univers ne s’est pas jusqu’à maintenant déployé aussi parfaitement qu’il aurait pu à l’égard de Miss Universe, Inc. (l’appelante en l’espèce) en ce qui concerne son opposition à l’enregistrement, au Canada, de la marque de commerce « Miss Nude Universe ».

Le 24 juin 1985, Dale Bohna (l’intimé) a demandé l’enregistrement au Canada d’une marque de commerce projetée, consistant dans les mots « Miss Nude Universe » en liaison avec [traduction] « des marchandises qualifiées de vêtements pour dames, à savoir, des T-shirts, des maillots de bain, des pantalons, des shorts, des chandails, des chemisiers » et en liaison avec des [traduction] « services qualifiés de services de divertissement, à savoir, les services liés à la gestion d’un concours de beauté » (marque de commerce n° 545 313)[1].

Le 7 octobre 1987, l’appelante, une compagnie américaine, a déposé une déclaration d’opposition dans laquelle elle alléguait, notamment, la confusion avec ses marques de commerce « Miss Universe » n° 154 443 et n° 264 305, déjà enregistrées toutes deux relativement à diverses marchandises. Dans sa déclaration d’opposition, l’opposante alléguait également dans des termes généraux que la marque de commerce « Miss Nude Universe » créerait de la confusion avec la marque de commerce « Miss Universe » et avec le nom commercial « Miss Universe, Inc. » que l’appelante a utilisés au Canada avant le dépôt de la demande de l’intimé. La déclaration d’opposition alléguait en outre que la marque de commerce « Miss Nude Universe » n’était pas distinctive.

Le 8 mars 1991, la Commission des oppositions des marques de commerce [(1991), 36 C.P.R. (3d) 76] (la Commission) a accueilli l’opposition à l’égard des marchandises, mais elle l’a rejetée à l’égard des services pour une question de forme car, selon la Commission, l’appelante n’avait précisé aucun service dans sa déclaration d’opposition qui, par conséquent, n’était pas conforme à l’alinéa 38(3)a) de la Loi sur les marques de commerce[2] (la Loi).

L’intimé n’a pas interjeté appel contre la partie de la décision de la Commission ayant trait aux marchandises. L’appelante, par contre, a contesté celle qui traitait des services. Le juge de première instance [[1992] 3 C.F. 682 a été d’accord avec l’appelante pour dire que la Commission a décidé à tort de ne pas traiter de la confusion avec les services de l’appelante (l’intimé ne conteste pas cette conclusion), mais il a ensuite décidé, précisément à l’égard de cette question, qu’il n’existait aucune probabilité sérieuse de confusion entre les deux marques relativement aux services de l’intimé, d’une part, et les services de l’appelante, d’autre part. Il s’est exprimé dans les termes suivants[3] :

En tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, et notamment des indices de confusion énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité sérieuse de confusion entre les deux marques relativement aux services du requérant, d’une part, et les services de l’opposante, d’autre part. En ce qui concerne les critères prévus aux alinéas 6(5)a) et b) de la Loi, il y avait certainement des raisons de conclure que la marque de commerce « Miss Universe » a acquis un caractère distinctif considérable; elle est employée depuis plus de trente ans, alors que la marque de commerce du requérant n’est utilisée que depuis peu. Cependant, en ce qui concerne les alinéas 6(5)c) et d) relativement à la nature des services et du commerce exercé par les deux parties, la preuve démontre clairement qu’il existe une énorme différence entre les services du requérant et ceux de l’opposante. En ce qui a trait aux services existants ou prévus qui doivent être fournis en liaison avec la marque de commerce « Miss Nude Universe », la preuve démontre que des concours ont lieu ou auront lieu dans divers débits de boisson pour choisir des candidates pour Miss Nude Universe, et que le choix définitif pour 1992 aura lieu dans un hôtel d’Edmonton en novembre. Suivant les éléments de preuve non contestés, les candidates sont et seront des [traduction] « danseuses professionnelles nues ». Le requérant a l’intention d’accorder des licences à des hôtels de grandes villes du Canada et des États-Unis qui offrent des spectacles de danse exotique pour la tenue de concours préliminaires Miss Nude Universe. Rien ne permet de croire que la tenue de ces concours est susceptible d’être connue à l’extérieur du secteur immédiat des débits de boisson ou qu’elle sera parrainée par d’autres personnes que celles qui se consacrent aux « divertissements pour adultes ».

En revanche, la preuve démontre que les principaux « services » offerts par l’opposante sont un concours annuel Miss Universe organisé dans divers endroits à travers le monde. Les éléments de preuve relatifs au concours démontrent—en tenant compte des données de 1988—que celui-ci est normalement vu par un auditoire de six cent millions de téléspectateurs dans de nombreux pays et qu’il occupe deux heures d’antenne aux heures d’écoute maximum. Les « villes hôtes » luttent pour obtenir la présence du concours et payent jusqu’à 750 000 $ U.S. pour le décrocher. En retour, la ville hôte bénéficie d’avantages publicitaires importants. À cette époque, Procter & Gamble payait 2 250 000 $ en droits de diffusion du concours, vraisemblablement pour de la publicité, et diverses sociétés remettaient des prix et des produits aux concurrentes. Les conditions que les concurrentes du concours Miss Universe doivent respecter sont quelques peu plus strictes que celles du concours Miss Nude Universe : les participantes au concours Miss Universe doivent avoir entre 17 et 25 ans, n’avoir jamais été mariées et n’avoir jamais été enceintes. Pendant le concours, il existe un système détaillé de chaperons et un contrôle strict de la tenue vestimentaire et du comportement des candidates. On s’attend à ce que la gagnante vive pendant l’année de son « règne » avec un certain décorum, et ses activités sont soigneusement organisées par l’opposante. Elle consacre au moins une partie de son temps à promouvoir les produits des divers commanditaires du concours. Ces faits, qui ne sont pas nécessairement tous connus du public, font ressortir la grande différence d’ambiance qui existe entre les concours annuels Miss Universe et les nombreux concours Miss Nude Universe qui ont lieu dans des bars et des tavernes.

Alors que Miss Nude Universe semble être une entreprise essentiellement canadienne, le centre des activités de l’entreprise de l’opposante est aux États-Unis. La preuve n’établit pas clairement si le concours Miss Universe a déjà eu lieu au Canada, bien qu’une Miss Canada ait vraisemblablement déjà été choisie comme Miss Universe. De nombreux éléments de preuve ont été produits au sujet de reportages publiés dans des publications diffusées au Canada au sujet du concours et des diverses concurrentes et gagnantes au cours des années. Certains éléments de preuve démontrent aussi qu’un nombre important de Canadiens regardent le concours sur les réseaux de télévision américains et qu’une station canadienne le diffuse également.

Tout bien pesé, je crois que le requérant s’est suffisamment déchargé du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité de confusion entre les services de l’opposante et ceux du requérant. Il n’existe pas non plus de circonstances spéciales qui permettent de penser que toute personne sauf la plus irréfléchie supposerait que Miss Universe Inc. a accordé des licences pour la tenue dans des bars et des tavernes du genre de spectacle que l’on peut désigner sous le nom de concours Miss Nude Universe. Par conséquent, les services et le commerce en question sont d’une nature suffisamment différente pour écarter d’autres causes possibles de confusion.

Pour ce qui est du caractère distinctif de « Miss Nude Universe », le juge de première instance a dit ce qui suit[4] :

En outre, bien que les deux marques de commerce aient deux mots en commun, ma première impression lorsque j’examine les deux est que le mot « Nude » qui se trouve au milieu de la marque de commerce du requérant a une signification saisissante et qu’il fait comprendre à tout lecteur sauf le plus indifférent qu’il existe une différence profonde entre les deux concours. Par conséquent, la marque de commerce du requérant est distinctive.

La partie pertinente de la Loi en l’espèce est l’article 6 :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

Il y a lieu de se rappeler, dès le départ, que si l’on combine les alinéas 12(1)d) [mod. par L.C. 1990, ch. 20, art. 81], 38(2)b) et 38(2)d), la confusion avec une marque de commerce enregistrée et l’absence de caractère distinctif d’une marque de commerce dont on demande l’enregistrement sont deux motifs de contestation distincts, bien qu’en vertu de l’alinéa 6(5)a), le caractère distinctif inhérent d’une marque de commerce est un facteur à considérer lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a confusion.

PRINCIPES APPLICABLES

Pour décider si l’emploi d’une marque de commerce ou d’un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l’esprit d’une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l’autre marque ou de l’autre nom[5], l’emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l’impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale[6].

En décidant s’il y a vraisemblance de confusion, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris celles visées au paragraphe 6(5) précité.

Il appartient toujours à celui qui demande à enregistrer une marque de commerce d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y a aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce déjà employée et enregistrée[7].

Plus la marque est solide, plus grande est l’étendue de la protection qui devrait lui être accordée et plus il sera difficile au requérant de se décharger de l’obligation qui lui incombe. Comme l’a remarqué le juge Mahoney (tel était alors son titre) dans l’arrêt Carson c. Reynolds[8], une marque de commerce peut être :

… si généralement associée à [une personne] que l’emploi de celle-ci avec d’autres marchandises ou services, même s’ils n’ont absolument rien à voir avec des services de divertissement, créerait de la confusion en ce que ce double emploi donnerait vraisemblablement à entendre que toutes ces marchandises et services, quels qu’ils soient, ont un rapport direct avec [cette personne] … 

Nombreux sont les exemples, dans la jurisprudence relative aux oppositions à l’enregistrement des marques de commerce, de l’étendue de la protection à accorder à des marques qui sont solides[9]. Il en est de même dans les actions en contrefaçon[10] et les affaires relatives aux injonctions[11], dans lesquelles des marques plus faibles ont également obtenu gain de cause[12].

Les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à e) n’ont pas à être interprétés comme ayant le même poids en toutes circonstances. Lorsque par exemple, on compare une marque de commerce qui est forte et une marque de commerce projetée, les critères c) et d), c’est-à-dire le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce, ne sont pas particulièrement déterminants. Comme l’a noté le juge Joyal dans l’arrêt Polysar[13] :

Le principe selon lequel les critères énumérés au paragraphe 6(5) n’ont pas tous le même poids est particulièrement pertinent en l’espèce. Chaque cas de confusion peut justifier qu’on accorde plus d’importance à l’un de ces critères …

Je tiens à faire une dernière observation. Il me semble qu’en ce qui concerne la nature des marchandises, le lien entre deux marques concurrentes doit faire l’objet d’un examen beaucoup plus rigoureux lorsqu’on compare une marque projetée à une marque établie depuis longtemps. La réputation d’une marque découle manifestement de son caractère distinctif, c’est-à-dire une combinaison de voyelles, de syllabes et de sons comportant une qualité inhérente qui évoque, non seulement les marchandises précises éventuellement énumérées dans l’enregistrement de la marque, mais aussi l’image qui s’attache à toutes les diverses activités exercées par son propriétaire. À mon avis, voilà ce qu’on entend essentiellement par l’expression « sens secondaire ». À l’appui de ce principe directeur, je me contenterai de citer les affaires Kodak et Vogue… J’avoue qu’aucune décision jurisprudentielle antérieure ne porte exactement sur la même question. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une marque comme KODAK, en raison de son caractère distinctif inhérent, ou VOGUE, en raison de son influence prédominante dans le domaine de la mode, les tribunaux ont conféré une protection qui dépasse largement le domaine des appareils photo, d’une part, et celui des revues de mode, d’autre part. L’objet fondamental de la Loi sur les marques de commerce, de la Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, ch. 274 ou de l’ancien droit à l’action en passing-off en vertu de la common law, est de protéger les droits acquis, peu importe s’ils découlent de l’usage ou de l’enregistrement. Le requérant qui veut employer la marque Kodak en rapport avec des bicyclettes, ou la marque Vogue en rapport avec des bijoux de fantaisie, porte effectivement atteinte à des droits acquis. Ce requérant aura parfois gain de cause, mais pour citer les paroles de Lord Watson dans l’arrêt Eno v. Dunn, (1890), 15 App. Cas. 252, à la p. 257 :

[traduction] … il doit justifier l’enregistrement de sa marque de commerce en montrant de façon affirmative qu’elle n’induira pas en erreur. Il m’apparaît comme une conséquence nécessaire, en cas de doute, que sa demande doit être rejetée.

et le juge Rouleau dans l’arrêt Maple Leaf[14] :

Néanmoins, il ne fait pas de doute que lorsqu’on examine les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, il n’y a pas lieu d’accorder la même importance à chacun d’entre eux. Il peut être justifié dans un cas particulier d’accorder une plus grande valeur à un critère donné. Comme je l’ai déjà précisé, j’estime que la marque et le dessin de l’intimée sont solides et qu’ils sont bien connus partout au Canada. En pareil cas, les tribunaux ont statué que la distinction entre les marchandises et la nature du commerce des deux marques concurrentes perd de l’importance.

Pour que l’on conclue à la vraisemblance de la confusion, il n’est pas nécessaire que les parties exercent dans le même domaine ou la même industrie, ni que les services soient du même genre ou de la même qualité. Les marques de commerce utilisées en liaison avec des marchandises et des services d’une certaine qualité, destinés à une catégorie d’acheteurs, peuvent causer de la confusion avec les marques de commerce désignant des marchandises et des services d’un genre ou d’une qualité différents, destinés à une catégorie différente d’acheteurs[15].

APPLICATION DES PRINCIPES

Après avoir appliqué ces principes à l’espèce, j’ai conclu que le juge de première instance a commis trois erreurs.

Premièrement, le juge de première instance a commis une erreur en ne traitant pas de l’étendue de la protection à accorder à une marque de commerce aussi généralement connue et employée que « Miss Universe », particulièrement dans le domaine même—la gestion des concours de beauté—dans lequel un nouveau venu tentait précisément d’entrer.

On aurait peut-être pu dire, il y a trente ans, qu’il n’y avait rien de particulièrement distinctif dans les mots « Miss » ou « Universe » et dans l’expression « Miss Universe ». Mais au fil des ans, l’emploi et la promotion des deux mots liés ensemble en une seule expression atteignant des proportions mondiales, l’expression a acquis, pour citer le juge de première instance, « un caractère distinctif considérable ». Le nom est aujourd’hui bien et avantageusement connu.

Dans ces circonstances, on se serait attendu à ce que le juge de première instance ait examiné les faits en cause en partant du principe qu’il fallait accorder à la marque de commerce de l’appelante une protection particulièrement étendue, et qu’il était particulièrement difficile à l’intimé de s’acquitter de son obligation d’écarter toute probabilité de confusion, surtout dans le domaine des concours de beauté. À mon avis, le juge n’a pas agi dans ce sens. Ses motifs, que j’ai cités plus haut, ne démontrent aucune préoccupation de ce genre. Il semble avoir négligé le fait que l’intimé était un nouveau venu dans un domaine dans lequel l’appelante occupait déjà une place considérable, et qu’il empruntait de la sorte la totalité d’un nom déjà bien établi par l’appelante précisément dans le domaine en question.

L’intimé était tenu de choisir un nom avec soin, de façon à éviter toute confusion—comme l’exige la définition de l’expression « marque de commerce projetée » à l’article 2 de la Loi—et de façon à ne pas donner l’impression qu’il avait l’intention de tirer profit d’une marque déjà célèbre. Le juge de première instance n’a pas traité de cette obligation, malgré l’aveu d’un témoin de l’intimé que[16] :

[traduction] Le nom « Miss Nude Universe » favorisera la vente sans que de nombreuses explications soient nécessaires. Tout le monde connaît le nom!

Pourquoi peu d’explications seraient-elles nécessaires, pourquoi le nom était-il connu de tous, pourquoi favoriserait-il la vente, sinon parce que le nom « Miss Nude Universe » était inévitablement associé à celui de « Miss Universe »?

Si le juge de première instance avait examiné l’étendue de la protection accordée dès le départ à la marque de commerce de l’appelante, il aurait abordé de façon différente les facteurs définis aux alinéas 6(5)c) et d) de la Loi, c’est-à-dire le genre des services rendus et la nature du commerce exercé. Il aurait compris que ces facteurs—même s’il les avait correctement analysés, point sur lequel je reviendrai—ne pouvaient pas être aussi déterminants qu’il les a considérés.

Deuxièmement, le juge de première instance a commis une erreur en insistant sur la nature différente des services et du commerce (alinéas 6(5)c) et d) de la Loi) plutôt que de considérer la probabilité de confusion si les deux entreprises étaient exercées dans la même région de la même façon (paragraphe 6(2) de la Loi). Les remarques du juge en chef Thurlow dans l’arrêt Mr. Submarine ont une pertinence particulière[17] :

À cet égard, l’appelante a fait valoir que le juge de première instance avait commis une erreur en mettant l’accent sur les différences entre les marques de commerce, au lieu d’examiner leur ressemblance du point de vue d’un consommateur ayant un souvenir imparfait, en insistant sur le défaut de preuve d’une confusion réellement survenue et sur les différences dans la livraison des marchandises et la prestation des services en liaison avec les marques de commerce, au lieu d’examiner la probabilité de confusion si les deux entreprises étaient exploitées dans la même région et de la même manière.

Sauf en ce qui concerne l’absence d’une preuve de confusion réelle, j’estime que la critique par l’appelante des motifs du juge de première instance est justifiée.

En l’espèce, le juge conclut que les marques de l’intimée se distinguent sans peine de celles de l’appelante. C’est indubitablement vrai. Mais il ne s’agit pas là d’un critère permettant de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l’intimée sont semblables. Rien n’est dit de leur ressemblance ni de la question de savoir si elles peuvent être distinguées par une personne ordinaire qui se souvient vaguement de la marque ou de l’entreprise de l’appelante.

Il est clair qu’en l’espèce, les services associés aux deux marques de commerce étaient principalement liés à la gestion de concours de beauté. Les deux parties fournissent des services de divertissement au moyen de la gestion, de la présentation et de la promotion de concours de beauté. Les services de concours de beauté fournis par l’appelante ou projetés par l’intimé, sous leurs marques de commerce respectives, ont une même formule et se déroulent essentiellement de la même façon. Il y a sélection des villes-hôtes où auront lieu les concours préliminaires et finaux. Les concurrentes sont recrutées et les commanditaires, choisis et obtenus. Les organisateurs s’assurent de la publicité et de la couverture par les médias de tous les concours préliminaires et du concours final annuel. Les deux parties font ensuite la promotion auprès du public des gagnantes du concours final, sous le millésime de l’année au cours de laquelle elles règneront. L’intimé a ainsi l’intention d’employer la marque de commerce « Miss Nude Universe » dans la gestion et la promotion d’un concours de beauté dans la même industrie ou entreprise que celle où s’est déjà illustrée la marque de commerce « Miss Universe ».

À mon sens, le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve démontrant que les deux marques de commerce étaient employées ou allaient l’être, respectivement, dans précisément la même industrie ou entreprise, et en s’attachant plutôt aux distinctions que l’intimé alléguait avoir en vue, mais qu’il n’avait ni garanties ni mentionnées dans sa demande d’enregistrement, comme par exemple le lieu des concours—même à cet égard, je note que les deux parties songent à des hôtels—les conditions que doivent remplir les participantes et l’ambiance dans laquelle les activités se dérouleraient.

Non seulement ces distinctions sont-elles non concluantes, étant donné la similarité fondamentale entre les services et l’entreprise ou l’industrie en cause, mais elles ne sont pas pertinentes dans la mesure où, indépendamment de l’intention présente de l’intimé, soit lui ou son ayant droit, dans l’éventualité ou la marque de commerce « Miss Nude Universe » était déclarée enregistrable et par conséquent était enregistrée, serait libre de changer n’importe quand la formule, le lieu, le style ou le caractère de ses concours de beauté. De nouveau, comme l’a noté le juge en chef Thurlow dans l’arrêt Mr. Submarine[18] :

Le droit exclusif de l’appelante n’est pas non plus limité à la vente de sandwiches par les méthodes qu’elle emploie maintenant ou qu’elle a employées dans le passé. Rien n’empêche l’appelante de changer la couleur de ses enseignes ou le style de lettres de « Mr. Submarine », ou d’adopter un système téléphonique et de livraison tel que celui suivi par l’intimée ou tout autre système convenable pour la vente de ses sandwiches. Si elle devait effectuer un de ces changements, son droit exclusif à l’emploi de « Mr. Submarine » s’appliquerait tout comme il s’applique à son emploi dans l’entreprise qu’elle exploite actuellement. La question de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l’intimée créent de la confusion avec la marque enregistrée de l’appelante doit donc être examinée en tenant compte non seulement de l’entreprise actuelle que l’appelante exploite dans la région des opérations de l’intimée, mais aussi de la possibilité de confusion si l’appelante devait exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l’exercice de son entreprise.

Les concours de beauté des parties peuvent donc se faire directement concurrence, car il est possible qu’ils aient lieu au même hôtel en même temps, aussi l’allégation selon laquelle ils peuvent différer de genre n’est pas pertinente.

Finalement, je note que le juge de première instance n’a pas mentionné, lorsqu’il a traité de la confusion, le facteur exposé à l’alinéa 6(5)e), c’est-à-dire le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux en ce qui concerne leur apparence, leur aspect phonétique ou les idées qu’ils suggèrent. La seule remarque qu’il a faite à ce sujet est la suivante, déjà citée[19], et elle visait le caractère distinctif de la marque de commerce projetée :

En outre, bien que les deux marques de commerce aient deux mots en commun, ma première impression lorsque j’examine les deux est que le mot « Nude » qui se trouve au milieu de la marque de commerce du requérant a une signification saisissante et qu’il fait comprendre à tout lecteur sauf le plus indifférent qu’il existe une différence profonde entre les deux concours. Par conséquent, la marque de commerce du requérant est distinctive.

Je veux bien admettre, pour les besoins de la cause, que le juge de première instance aurait également pu faire ces remarques dans le contexte de l’alinéa 6(5)e) et les traiter en conséquence.

À mon sens, c’est une erreur de considérer le mot « Nude », pris isolément, comme ayant « une signification saisissante ». Lorsque l’on considère les deux marques de commerce, on constate entre elles un degré de ressemblance. Ce degré peut ne pas être considérable si l’on regarde les marques dans leur ensemble « mais », pour citer de nouveau les motifs du juge en chef Thurlow dans l’arrêt Mr. Submarine[20], « il existe quand même une ressemblance et j’estime qu’on doit en tenir compte ». À mon avis, la bonne manière de voir les choses est celle qu’a exprimée, dans un contexte semblable, le U.S. Patent and Trademark Office Trademark Trial and Appeal Board, dans l’arrêt Miss Universe, Inc. v. Drost[21]. Dans cette affaire, le requérant avait demandé l’enregistrement du nom « Miss Nude U.S.A. », à l’égard de services de divertissement, à savoir la présentation de concours de beauté. Miss Universe, Inc. s’était opposée à l’enregistrement, faisant valoir essentiellement que la marque du requérant, comme elle était appliquée aux services précisés dans sa demande, ressemblait à tel point à la marque « Miss U.S.A. » déjà employée et enregistrée par Miss Universe, Inc., pour favoriser la vente des produits et des services d’autres personnes au moyen de concours de beauté présentés à l’échelle nationale et régionale, qu’elle était susceptible de causer de la confusion[22] :

[traduction] Pour en venir à la question importante dont nous sommes saisis, aussi bien la marque du requérant que celle de l’opposante comportent les mots « MISS U.S.A. » en guise d’éléments les plus importants de ces marques, celle de l’opposante consistant entièrement dans ces mots. L’expression « NUDE », par contre, est simplement un adjectif, clairement subordonné à l’expression « U.S.A. » qu’il qualifie, et ne sert pas à distinguer la marque du requérant de celle de l’opposante.

Je conclus par conséquent que le juge de première instance a commis des erreurs donnant lieu à révision en parvenant à sa décision. Dans une affaire comme celle-ci, où les faits qui décideront de l’appel ne dépendent pas de la crédibilité de témoins et ne sont pas contestés, la Cour est aussi bien placée que l’était le juge de première instance pour tirer ce qu’elle considère être les bonnes inférences de ces faits et pour en arriver à une conclusion à l’égard de la probabilité de la confusion entre les deux marques de commerce, ou entre les deux noms commerciaux.

Il est facile de tirer cette conclusion en l’espèce qui, me semble-t-il, est exactement semblable à l’affaire Mr. Submarine. On pourrait pratiquement appliquer textuellement l’analyse qu’a faite le juge en chef Thurlow, dans cette affaire, des circonstances à prendre en considération telles qu’elles sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi (aux pages 103 à 105). Inutile de répéter ici des paroles prononcées de façon aussi éloquente.

Je conclus donc que l’intimé n’a pas démontré que l’emploi de sa marque de commerce projetée n’est pas susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce de l’appelante. Je tiens à souligner, en terminant, que les observations suivantes de la cour de district américaine pour le district nord de la Georgie, lorsqu’elle a conclu à la probabilité de la confusion dans une affaire où Miss Universe, Inc. s’efforçait d’interdire à Miss Teen U.S.A., Inc. d’employer la désignation « Miss Teen U.S.A. », auraient pu s’adresser au présent intimé[23] :

[traduction] Mais après que la demanderesse a consacré des ressources et des efforts considérables à se créer une image respectable, son bon nom ne devrait pas être laissé à la merci de la campagne publicitaire d’un nouveau venu qui tente de capter une partie du marché. Indépendamment du niveau de l’organisme de la défenderesse où elle se situe, un individu moins scrupuleux qui désire exploiter des candidates, ou une candidate trop zélée qui se cherche de la publicité à l’échelle locale, peuvent ternir l’image que la demanderesse s’est acquise à grands frais, en associant les deux concours de beauté ou en négligeant de dissiper la méprise des consommateurs.

DÉCISION

J’accueillerais en conséquence l’appel, j’infirmerais la décision du juge de première instance et j’ordonnerais au registraire des marques de commerce de rejeter la demande de l’intimé en vue de l’enregistrement de la marque de commerce portant le numéro de série 545, 313, « Miss Nude Universe ».

Comme l’ont gracieusement proposé les avocats de l’appelante, il ne devrait pas y avoir adjudication des dépens en appel ni en Section de première instance.

Le juge Hugessen, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] D.A., vol. XII, à la p. 1685.

[2] L.R.C. (1985), ch. T-13.

[3] Aux p. 687 à 689.

[4] À la p. 689.

[5] Voir l’arrêt Coca-Cola Co. v. Pepsi-Cola Co. (1942), 2 D.L.R. 657 (P.C.), à la p. 661, lord Russell of Killowen.

[6] Voir : les art. 6(2),(3) et (4) de la Loi; Rowntree Company Limited v. Paulin Chambers Company Limited et al., [1968] R.C.S. 134; Oshawa Holdings Ltd. v. Fjord Pacific Marine Industries Ltd. (1981), 55 C.P.R. (2d) 39 (C.A.F.); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91(C.A.), à la p. 99, juge en chef Thurlow; et Canadian Schenley Distilleries Ltd. v. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), à la p. 12, juge Cattanach.

[7] Voir les arrêts Sunshine Biscuits, Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.), à la p. 57, juge Cattanach, et Molnlycke Aktiebolag c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 42 (C.F. 1re inst.), à la p. 46, juge Cattanach.

[8] [1980] 2 C.F. 685(1re inst.), à la p. 691.

[9] « Saladina » pour les vinaigrettes, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Salada », une marque fréquemment employée et annoncée en liaison avec des breuvages et des produits alimentaires (Salada Foods Ltd. c. Generale Alimentaire (G.A.S.A) (1980), 47 C.P.R. (2d) 169 (C.A.F.)); « Leaf » & dessin pour la gomme à claquer, considérés susceptibles de causer de la confusion avec « Toronto Maple Leafs » & dessin (Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 331 (C.A.F.); confirmant (1986), 10 C.I.P.R. 267 (C.F. 1re inst.), juge Rouleau); « Scout »& dessin pour les sacs, les sacs d’écolier, les sacs de voyage, les sacs de ville, les valises et les malles, considérés susceptibles de causer de la confusion avec « Boy Scouts », « Scouts » et « Scout Canada » & dessin (Boy Scouts of Can. c. Alfred Sternjakob GMBH & Co. KG (1984), 4 C.I.P.R. 118 (C.F. 1re inst.), juge Joyal); « Cutty Sark » pour le tabac pour la pipe, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Cutty Sark » pour le whisky, les spiritueux et les vins (Berry Bros. & Rudd Ltd. c. Planta Tabak-Manufactur Dr. Manfred Oberman (1980), 53 C.P.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.), juge Cattanach); « Sunshine »& dessin de boulanger pour les craquelins, les biscuits et la farine pour craquelins, considérés susceptibles de causer de la confusion avec « Sunshine » pour le pain (Sunshine Biscuits, Inc. c. Corporate Foods Ltd. , précité note 7); « Cartier » et dessin pour les vêtements pour hommes, considérés susceptibles de causer de la confusion avec « Cartier » pour les bijoux et les articles de cuir (Cartier Men’s Shops Ltd. c. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 68 (C.F. 1re inst.), juge Dubé); « Vogue » pour la bijouterie fantaisie, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Vogue » pour la publication de revues de modes et de patrons de vêtements féminins (Conde Nast Publications Inc. c. Gozlan Brothers Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250 (C.F. 1re inst.), juge Cattanach); « Miss Canada » pour les bas pour dames et les collants, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Miss Canada » pour les concours de beauté (Glen-Warren Productions Ltd. c. Gertex Hosiery Ltd. (1990), 29 C.P.R. (3d) 7 (C.F. 1re inst.), juge Dubé); « Haig » pour les boissons alcoolisées fabriquées en brasserie, à savoir la bière, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Haig & Haig » pour le scotch écossais (Haig (John)& Co. Ltd. c. Haig Beverages Ltd. (1975), 24 C.P.R. (2d) 66 (C.F. 1re inst.), juge Addy); « Tsarevitch » pour les boissons alcoolisées, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Tovarich » pour les boissons alcoolisées, particulièrement la vodka (Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery , précité, note 6); « Polystar and Polystar » & dessin, pour les coussinages pour tapis, considérés susceptibles de causer de la confusion avec « Polysar » pour les résines synthétiques (Polysar Ltd. c. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), juge Joyal); « Slimato » pour le jus de légume, considérée susceptible de causer de la confusion avec « Clamato » (Cadbury Schweppes Inc. c. Najm (1991), 41 C.P.R. (3d) 122 (C.O.M.C.)). Des marques plus faibles ont aussi obtenu gain de cause : voir « Mlle âge tendre » pour les périodiques et les journaux, par opposition à « Mademoiselle » pour les publications périodiques (Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.), juge Cattanach).

[10] Par exemple, voir « Mr. Subs’n Pizza » et « Mr. 29 Minite Subs’n Pizza », considérées susceptibles de causer de la confusion avec « Mr. Submarine » (Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., précité, note 6).

[11] Voir par exemple « Sexual Pursuit », considérée susceptible de causer de la confusion avec « Trivial Pursuit » (Horn Abbot Ltd. et al. c. Thurston Hays Developments Ltd. et al. (1985), 4 C.P.R. (3d) 376 (C.F. 1re inst.), juge en chef adjoint Jerome).

[12] Voir par exemple « La Bagarerie Willy Ltée » pour la vente et la réparation des valises, par opposition à « La Bagarerie » pour les articles de cuir (Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée (1992), 97 D.L.R. (4th) 684 (C.A.F.)), une action en contrefaçon.

[13] Précité, note 9, aux p. 298 et 299.

[14] Précité, note 9, à la p. 278.

[15] Voir l’arrêt Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée, précité, note 12.

[16] L’affidavit O’Staff, pièce A, vol. XI, à la p. 1678.

[17] Précité, note 6, aux p. 99 et 100.

[18] Précité, note 6, aux p. 102 et 103.

[19] Précitée, note 4.

[20] Précité, note 6, à la p. 105.

[21] 189 USPQ 212 (P.O. T.M. T. App. Bd. 1975).

[22] Miss Universe, Inc. v. Drost, précité, note 21, à la p. 214.

[23] Miss Universe, Inc. v. Miss Teen U.S.A., Inc. 209 USPQ 698 (Dist. Ct. N.Ga. 1980), à la p. 710.

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