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[1995] 3 C.F. 445

T-813-94

Shiv Chopra (requérant)

c.

Conseil du Trésor (Canada) (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (intimé)

Répertorié : Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson—Ottawa, 27 juillet et 31 août 1995.

Fonction publique — Compétence — Contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre qui a statué qu’il n’avait pas la compétence pour examiner un grief alléguant qu’il y avait contravention à la disposition de la convention collective cadre portant sur l’élimination de la discrimination — L’art. 91(1) de la LRTFP permet le recours au grief lorsqu’il n’y a aucun recours administratif de réparation ouvert sous le régime d’une loi fédérale — Le requérant a déposé des plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) — La LCDP peut accorder réparation, étant donné la compétence de la CCDP quant au fond du grief, et les moyens plus vastes dont elle dispose pour le faire — Les différences dans les procédures intentées selon qu’il s’agit de la LCDP ou de la convention collective, quant aux parties, à l’intérêt public et au contrôle du processus ne sont pas pertinentes — La plainte ne peut être soumise à la procédure de grief de la convention collective.

Droits de la personne — Contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre qui a statué qu’il n’avait pas la compétence pour examiner un grief alléguant qu’il y avait contravention à la disposition de la convention collective cadre portant sur l’élimination de la discrimination — L’art. 91(1) de la LRTFP permet le recours au grief lorsqu’il n’y a aucun recours administratif de réparation ouvert sous le régime d’une loi fédérale — La LCDP peut accorder réparation, étant donné la compétence de la CCDP quant au fond du grief, et les moyens plus vastes dont elle dispose pour le faire — Les différences dans les procédures intentées selon qu’il s’agit de la LCDP ou de la convention collective ne sont pas pertinentes — Il n’y a aucune preuve qu’il y a une grande différence de temps pour l’obtention d’une réparation de la part de la CCDP.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre qui a statué que, en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, il n’avait pas compétence pour examiner le grief déposé par le requérant, qui alléguait contravention à la disposition (article 44) relative à l’élimination de la discrimination que comporte la convention cadre conclue entre le Conseil du Trésor et son syndicat. Le paragraphe 91(1) permet le dépôt de griefs quant à toute question qui affecte les conditions d’emploi, et pour laquelle aucun recours administratif de réparation n’est prévu par une loi fédérale. L’arbitre a statué que le requérant pouvait demander réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le requérant, employé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, a déposé un grief relativement à une nomination intérimaire par suite du rejet de sa candidature à un concours et de l’appel qu’il a interjeté relativement aux résultats du concours. Il a aussi déposé des plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne qui, deux ans et demi plus tard, n’avait pas rendu de décision. L’article 35 de la convention cadre permet la procédure de grief à moins qu’il y ait un autre recours administratif de réparation prévu par une loi fédérale permettant d’examiner la plainte. L’alinéa 41a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que la Commission canadienne des droits de la personne statue sur toute plainte dont elle est saisie sauf lorsque la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts.

Le litige portait sur la question de savoir si l’article 44 pouvait être appliqué en ayant recours à la procédure de grief prévue par la convention cadre.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Bien que la LCDP soit subsidiaire par rapport à la procédure de grief, il n’en est ainsi que dans le cas où cette procédure est « ouverte », posant donc à nouveau à la question de l’interprétation à donner au paragraphe 91(1).

La LCDP constitue un « recours », parce que la CCDP a compétence sur le fond du grief et parce que la CCDP possède de plus grands pouvoirs de réparation qu’un arbitre agissant en vertu de la convention cadre. La LCDP prévoit expressément que les victimes peuvent recevoir des dommages-intérêts, alors que cela est simplement implicite en vertu de la convention collective.

La LCDP et la convention collective ont des différences dans leurs procédures en ce qui concerne les parties, l’intérêt public et le contrôle du processus. En vertu de la LCDP, la CCDP est responsable du processus de plainte et doit prendre l’intérêt public en considération. Au contraire, en vertu de la convention cadre, le syndicat a la responsabilité en ce qui concerne le soutien du grief, de même que la responsabilité à l’égard du processus de règlement du grief et d’arbitrage. En vertu du paragraphe 40(1) de la LCDP, soit l’employé lésé soit le syndicat peut être le plaignant dans une affaire de discrimination contre une personne. Toutefois, pour être considéré comme plaignant, le syndicat pourrait devoir obtenir le consentement de l’employé en vertu du paragraphe 40(2) de la LCDP. Dans une procédure de règlement de grief ou d’arbitrage, l’employé serait celui qui dépose le grief et serait représenté par le syndicat. Ces différences dans les procédures ne changent rien au fait que le requérant a un recours en vertu de la LCDP.

Finalement, il n’y a aucune preuve permettant de conclure qu’il existe une différence marquée dans le temps requis pour obtenir réparation selon que l’on s’adresse au tribunal ou à l’arbitre, et qui permettrait de conclure que la CCDP ne constitue pas un recours possible dans un contexte de relations de travail.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 242 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 40, 41, 42(2), 44, 48, 53.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91(1).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449 79 F.T.R. 53 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (1991), 85 D.L.R. (4th) 473 (C.A.); Rhéaume et le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Douanes et Accise), [1994] C.R.T.F.P.C. no 89 (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Polymer Corp. and Oil, Chemical & Atomic Workers Int’l Union, Local 16-14 (1962), 33 D.L.R. (2d) 124; [1962] R.C.S. 338, sub. nom. Imbleau et al. v. Laskin et al.; Association des Employés de Radio et Télévision du Canada (SCFP-CTC) c. La Société Radio-Canada, [1975] 1 R.C.S. 118; (1973), 40 D.L.R. (3d) 1; [1974] 1 W.W.R. 430; Air Canada and Canadian Air Line Employees Assoc., Re (1981), 29 L.A.C. (2d) 142 (Can.); Motorways Direct Transport Ltd. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 50 Admin. L.R. 222; 36 C.C.E.L. 201; 16 C.H.R.R. D/459; 43 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); Dekoning et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 32 (QL); Lorenzen et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 165 (QL); Stene et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1991] C.R.T.F.P.C. no 118 (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre qui a statué qu’il n’avait pas la compétence pour examiner un grief alléguant qu’il y avait contravention à la disposition de la convention collective ayant trait à l’élimination de la discrimination, compte tenu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui permet à un employé de présenter un grief à moins qu’il y ait un autre recours administratif prévu par une loi fédérale. Demande rejetée.

AVOCATS :

Peter C. Engelmann pour le requérant.

Roger Lafrenière pour l’intimé.

Andrew Raven et David Yazbeck pour l’intervenant.

PROCUREURS :

Caroline, Engelmann, Gottheil, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Simpson : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision (la décision) rendue le 9 mars 1994 par l’arbitre P. Chodos de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’arbitre), qui a statué que, en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, il n’avait pas la compétence pour examiner le grief déposé par le Dr Chopra. L’arbitre a considéré la question de la compétence à titre de question préliminaire et il n’a pas examiné le grief du Dr Chopra quant au fond.

CONTEXTE DE L’INSTANCE

Les faits

Le Dr Shiv Chopra (le requérant) est un employé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, Direction générale de la protection de la santé (la DGPS) depuis 1969. Depuis 1987, il détient le poste de conseiller scientifique au Bureau des médicaments vétérinaires de la DGPS.

Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits. Sauf quant à deux points mineurs, elles s’entendent pour affirmer que le requérant n’a pas été promu ou reçu de nomination intérimaire depuis 1969. Il en a été ainsi en dépit des évaluations de rendement qui, depuis leur mise en application en 1979, ont qualifié le travail de l’employé d’entièrement satisfaisant et ont souvent fait référence à son potentiel de gestionnaire.

L’affrontement s’est produit lorsque, le 22 octobre 1990, le Dr Claire Franklin a été nommée à un poste intérimaire. La nomination du Dr Franklin à ce poste a ultérieurement été confirmée à la suite d’un concours. Le requérant a présenté sa candidature, mais n’a pas été sélectionné comme candidat qualifié. Son appel quant aux résultats du concours a été rejeté par le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le rejet).

Par suite de ce rejet, le requérant a déposé deux plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Le 16 mars 1992, il a déposé une plainte à titre individuel (la plainte), il a aussi pris la responsabilité de déposer une autre plainte dans laquelle il alléguait que la DGPS pratiquait la discrimination systémique. Cette dernière plainte a été déposée au nom de l’Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales et était signée par le requérant, dans ses fonctions de président de l’organisme. Par la suite et en conséquence du rejet essuyé, le requérant a renvoyé à l’arbitrage le 26 octobre 1992 un grief (le grief) concernant la nomination intérimaire du Dr Franklin.

À la date fixée pour l’audience devant moi, deux ans et huit mois après le dépôt de la plainte, la CCDP a enquêté, mais aucune décision n’a été rendue sur la plainte. En ce qui concerne le grief, l’arbitre a tranché la question de compétence le 9 mars 1994, soit 16 mois après le renvoi à l’arbitrage du grief.

Le grief

Le grief se fonde sur la convention cadre conclue entre le Conseil du Trésor et L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’IPFPC ou l’Institut). L’IPFPC représente environ 35 000 fonctionnaires, dont le requérant. Il n’est toutefois pas partie à la présente procédure et il n’a pas demandé le statut d’intervenant.

Le grief est rédigé dans les termes suivants : [traduction] « Je suis lésé du fait que la direction a contrevenu à l’article 44 de la convention cadre conclue avec l’IPFPC. Depuis le 22 octobre 1990, je suis victime de discrimination, de restriction, d’ingérence et de harcèlement (abus d’autorité) du fait de mon origine ethnique ». Aucune réparation n’est demandée explicitement dans le grief. Le requérant affirme sur la formule de grief qu’il se propose de discuter du litige avec le responsable de palier à l’audition du grief, et il demande aussi que le processus soit engagé au palier final.

Les motifs du grief (les motifs) portent la date du 12 août 1992. Ce sont diverses allégations, visant notamment le maintien à la DGPS de pratiques d’emploi raciales, le déni d’équité en matière d’occasion de formation et de progression de carrière, l’approbation de nouvelles nominations sans concours, l’obstruction qui lui est faite dans ses efforts pour obtenir des opinions de diverses sources, le dommage causé à sa réputation, la diffusion de fausses informations et la tentative de ternir son évaluation de rendement de 1992. Le reste des vingt motifs se rapportent tous à la nomination intérimaire du Dr Franklin le 22 octobre 1990.

La convention collective et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

La convention cadre conclue entre le Conseil du Trésor et l’IPFPC (la convention cadre) est expirée depuis septembre 1993, mais elle est toujours en vigueur par reconduction. L’article 44 est la disposition relative à l’« élimination de la discrimination » sur laquelle se fonde le grief (l’article 44). Cette disposition a été incluse dans la convention cadre en 1986 et elle est rédigée comme suit :

ARTICLE 44

ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

44.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son adhésion au syndicat ou son activité dans l’Institut.

La convention cadre traite aussi de la procédure de grief. À cet égard, l’article 35 (l’article 35) est rédigé comme suit :

ARTICLE 35

PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

35.05 Sous réserve de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément à ses dispositions, l’employé qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action quelconque ou une absence d’action de la part de l’employeur au sujet de questions autres que celles qui résultent du processus de classification a le droit de présenter un grief de la façon prescrite par la clause 35.03, sauf que

a)   dans les cas où il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes de cette loi pour traiter sa plainte, cette procédure doit être suivie

et

b)   dans les cas où le grief se rattache à l’interprétation ou à l’application de la présente convention collective ou d’une décision arbitrale, il n’a pas le droit de présenter un grief à moins d’avoir obtenu l’approbation de l’Institut et de se faire représenter par lui. [C’est moi qui souligne.]

Finalement, le paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (le paragraphe 91(1) et la LRTFP) est rédigé comme suit :

GRIEFS

Droit de déposer des griefs

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit d’une disposition législative, d’un règlement—administratif ou autre —, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi. [C’est moi qui souligne.]

Il est important de remarquer que, lorsque le paragraphe 91(1) a été paraphrasé pour son incorporation dans l’article 35 de la convention cadre, les termes en ont été substantiellement changés. Le mot « réparation » de la LRTFP a été omis et remplacé par les mots « pour traiter sa plainte ». Il va sans dire que le libellé du paragraphe 91(1) est celui qui guide la présente analyse.

Le paragraphe 91(1) a été incorporé à la LRTFP comme article 90 en 1966 [S.C. 1966-67, ch. 72]. Il n’a pas été contesté qu’il avait pour objet à l’époque de prévenir le chevauchement des procédures prévues par la LRTFP et la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [maintenant L.R.C. (1985), ch. P-33]. Cependant, le paragraphe 91(1) ne précisait pas qu’il s’appliquait seulement à la LRTFP et à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Cela signifie qu’une loi, par exemple la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], adoptée par la suite peut faire partie de celles prévues par le paragraphe 91(1)[1] si elle prévoit d’autres recours administratifs de réparation.

Comme telle, la convention cadre donne sens et contenu à l’article 44 parce que les articles 44 et 35 sont cohérents. Il ne fait aucune doute que, selon le libellé de l’article 35, les plaintes pour discrimination déposées en vertu de l’article 44 doivent suivre la procédure de grief. Le grief n’est exclu que si une autre procédure administrative existe et permet de « traiter [l]a plainte ». En l’espèce, la plainte ou la cause technique d’action est la violation de l’article 44 de la convention cadre. En vertu de l’article 35, le droit de déposer un grief n’est perdu que s’il existe une autre procédure pour traiter la plainte.

La difficulté survient du fait que le paragraphe 91(1) n’est pas limité aux affaires où une autre procédure est applicable à la plainte. L’intimé et l’IPFPC ont négocié un libellé qui se rapporte à une plainte précise déposée à l’égard d’une infraction prévue par la convention cadre, mais les termes qu’ils ont choisis ne sont pas ceux du paragraphe 91(1). Ce paragraphe permet à l’employé d’engager la procédure de grief seulement si « aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale ».

La Loi canadienne sur les droits de la personne

L’article 40 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP), porte sur le dépôt des plaintes. Puis, l’alinéa 41a) prévoit que la CCDP statue sur toute plainte dont elle est saisie sauf lorsque « a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts » (c’est moi qui souligne). Ce point est développé au paragraphe 42(2) qui édicte que, avant que la CCDP décide, pour le motif donné à l’alinéa 41a), de ne pas entendre une plainte, elle doit s’assurer que le défaut d’épuiser les recours prévus est imputable au plaignant. De même, l’alinéa 44(2)a) de la LCDP prévoit que la question de l’épuisement des recours décrits à l’alinéa 41a) doit aussi être prise en considération par la CCDP sur réception d’un rapport d’enquête. Finalement, l’alinéa 44(2)b) prévoit que, sur réception du rapport d’enquête, la CCDP doit aussi se demander si « la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale » (c’est moi qui souligne). Le cas échéant, la CCDP doit renvoyer la plainte devant l’autorité compétente.

La LCDP prévoit clairement que, si un grief ou une autre procédure peuvent être engagés, ces procédures devront être épuisées avant que la plainte puisse être entendue, ou le rapport d’enquête examiné. La LCDP n’a pas pour objectif de servir de premier recours si d’autres procédures, comme la procédure de grief, sont ouverts.

Le requérant a avancé que, compte tenu de la subsidiarité de la LCDP par rapport à la procédure de grief, il serait erroné d’affirmer que le paragraphe 91(1) bloque les griefs déposés en vertu d’une clause d’« élimination de la discrimination » comme l’article 44. J’ai de la difficulté à accepter cet argument, car, bien que la LCDP soit subsidiaire par rapport à la procédure de grief, il n’en est ainsi que dans le cas où cette procédure est « ouverte ». Cette voie d’argumentation n’est pas particulièrement utile parce qu’elle nous ramène directement à la question de l’interprétation à donner au paragraphe 91(1).

L’intervenant

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’Alliance) a obtenu le statut d’intervenant dans la présente procédure. Elle n’est pas le syndicat qui représente le requérant dans ses fonctions à la DGPS. Cependant, l’Alliance est le plus important agent négociateur dans la fonction publique fédérale et elle représente environ 130 000 fonctionnaires. L’Alliance a aussi négocié une clause d’« élimination de la discrimination », l’article M-16 dans sa convention collective, identique à l’article 44 de la convention cadre de l’IPFPC dont l’application est discutée en l’espèce. Par conséquent, si le paragraphe 91(1) est interprété de manière à exclure de la procédure de grief les plaintes de discriminations déposées en vertu de l’article 44 de l’IPFPC, les plaintes déposées en vertu de l’article M-16 de l’Alliance subiront le même sort.

LA QUESTION EN LITIGE ET LA POSITION DES PARTIES

Compte tenu du contexte décrit ci-dessus, la question en litige est de savoir si l’arbitre avait raison de décider que la LCDP est une loi fédérale en vertu de laquelle le requérant peut demander réparation. Ayant constaté que tel était le cas, l’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence parce que le paragraphe 91(1) a pour effet d’exclure les griefs déposés en vertu de l’article 44 de la convention cadre de l’IPFPC de la procédure de règlement des griefs établie par cette convention.

C’est le premier litige où un arbitre doit examiner la question de la compétence eu égard au paragraphe 91(1). Jusqu’à maintenant, les arbitres ont considéré qu’ils avaient compétence sur les griefs déposés en vertu de l’article 44. Cependant, l’objection fondée sur le paragraphe 91(1) n’a pas été invoquée dans ces instances. Dans l’affaire Rhéaume et le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Douanes et Accise)[2], l’arbitre a fait un commentaire sur le paragraphe 91(1) dans une opinion incidente. L’arbitre Y. Tarte n’avait pas entendu d’argumentation sur la question. Cependant, l’arbitre en l’espèce ayant rendu sa décision après l’audience tenue par l’arbitre Tarte, mais avant que ce dernier ait exprimé ses motifs, il s’est senti tenu d’aborder la question de la compétence. Il a jugé qu’il avait compétence en dépit du paragraphe 91(1). Comme on s’en rendra compte, je n’ai pas trouvé son raisonnement persuasif.

L’intimé affirme que, en raison du paragraphe 91(1), l’article 44 ne peut pas être mis en application au moyen de la procédure de grief de la convention cadre. L’intimé affirme aussi que le paragraphe 91(1) porte principalement sur la réparation et que, à la condition qu’un recours soit ouvert, le paragraphe 91(1) n’exige pas que l’autre procédure administrative soit identique.

Le requérant et l’Alliance soutiennent que les syndicats ont mené des négociations visant à obtenir un milieu de travail exempt de toute discrimination et que l’intimé, lorsqu’il a accepté l’article 44 comme faisant partie de la convention cadre, a aussi accepté qu’il serait appliqué en vertu de la convention. Ils affirment qu’il n’est pas maintenant loisible à l’intimé d’alléguer que la clause d’« élimination de la discrimination » devrait être mise en application en vertu d’une autre autorité que celle de la convention cadre. Ils avancent aussi que le mot réparation a un sens spécial dans le contexte des relations de travail et que la CCDP fonctionne trop lentement pour pouvoir adjuger le type de réparations nécessaires au maintien de la paix industrielle.

LE RECOURS

Les procédures prévues dans la LCDP peuvent être distinguées de la procédure de grief de la convention cadre de la façon suivante :

Le fond

Les parties conviennent que la CCDP peut connaître de toutes les questions formulées dans l’article 44 et soulevées dans le grief. Toutefois, le requérant et l’Alliance ne conviennent pas que la CCDP ait compétence sur la cause technique d’action énoncée dans le grief, parce que cette cause d’action est une violation de l’article 44. Cette allégation est assurément vraie. Il est évident que la CCDP ne peut pas appliquer une disposition d’une convention collective. Toutefois, à mon avis, cette conclusion ne permet pas de déterminer de façon décisive si la CCDP est capable d’adjuger une réparation. À mon avis, si la CCDP a compétence pour traiter la plainte de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l’employé, alors elle peut adjuger une réparation.

Je suis arrivée à cette conclusion en étant bien consciente de la décision rendue par mon collègue le juge Rothstein dans l’affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449(1re inst.). Dans cette affaire, le juge Rothstein a examiné l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16)], qui prévoit, entre autres, qu’un arbitre ne peut procéder à l’instruction d’une plainte lorsqu’une autre loi fédérale prévoit un recours. Le juge Rothstein a conclu à la page 463 que, pour qu’une procédure soit un autre « recours », elle « ne peut donner droit à une réparation moindre … ni se fonder sur une cause d’action différente ». Le juge Rothstein avait à statuer sur des plaintes qui différaient entre elles quant au fond : la plainte invoquant le Code canadien du travail alléguait le congédiement injuste, et la plainte invoquant la Loi canadienne sur les droits de la personne avait trait à la discrimination. Il a fait observer que des principes différents régissaient l’instruction des deux plaintes.

L’espèce se distingue de l’affaire mentionnée ci-dessus en ce que la plainte et le grief sont identiques quant au fond : les deux soulèvent la question de la discrimination. Je suis convaincue que, lorsque le juge Rothstein parlait de cause d’action, il parlait du fond de la plainte, abstraction faite de toute considération technique. Par conséquent, ma conclusion en l’espèce n’est pas contraire au principe qu’il a appliqué.

La responsabilité pour la procédure

En vertu de la LCDP, la CCDP est responsable de la procédure de plainte et doit prendre l’intérêt public en considération. La CCDP décide si une plainte doit faire l’objet d’une enquête et si elle sera renvoyée devant le tribunal des droits de la personne (le tribunal). Au contraire, en vertu de la convention cadre, l’IPFPC a la responsabilité en ce qui concerne le soutien du grief, de même que la responsabilité à l’égard de la procédure de règlement du grief et d’arbitrage. Il décide d’approuver ou non le dépôt par l’employé d’un grief, et du renvoi ou non à l’arbitrage.

Des audiences formelles

Il n’y a aucune certitude que la CCDP renverra une plainte devant le tribunal. De même, il n’y a aucune assurance qu’un grief déposé en vertu de la convention cadre sera soumis à l’arbitrage.

Les parties

En vertu du paragraphe 40(1) de la LCDP, soit l’employé lésé soit l’IPFPC peut être le plaignant dans une affaire de discrimination contre une personne. Toutefois, pour être considéré comme plaignant, l’IPFPC pourrait devoir obtenir le consentement de l’employé en vertu du paragraphe 40(2) de la LCDP. Dans une procédure de règlement de grief ou d’arbitrage, l’employé serait celui qui dépose le grief et serait représenté par l’IPFPC.

La réparation

Les avocats de l’Alliance et du requérant ont admis que, compte tenu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la CCDP détenait des pouvoirs plus grands que ceux d’un arbitre quant à la réparation qui pouvait être accordée. Ils n’ont pu citer aucune affaire où l’arbitre avait accordé des dommages-intérêts en vertu de la convention collective de l’Alliance. Toutefois, ils ont affirmé que des dommages-intérêts pouvaient, en théorie, être accordés. Cette opinion paraît s’appuyer sur la jurisprudence, qui donne à entendre que, même lorsqu’une convention collective est muette sur la question, elle peut néanmoins donner droit à l’adjudication de dommages-intérêts[3]. Par ailleurs, le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit expressément que les victimes peuvent recevoir un dédommagement maximal de 5 000 $. Étant donné les pouvoirs importants accordés par le paragraphe 53(2) de la LCDP et la possibilité évidente d’une adjudication de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 53(3), je conclus que la victime de discrimination et de harcèlement peut obtenir réparation de la CCDP.

Délais

Aucune disposition de la LCDP ne prescrit de délais quant au traitement d’une plainte. À la suite du dépôt d’une plainte, la CCDP a quatre options : elle peut refuser d’enquêter sur une plainte dans les circonstances prévues par les articles 40 et 41; elle peut nommer un conciliateur; elle peut approuver un règlement en vertu de l’article 48; ou elle peut faire enquête sur la plainte et, le cas échéant, la rejeter ou la renvoyer devant le tribunal en vertu de l’article 44.

En vertu de la clause 35.02 de la convention cadre, avant que la procédure de grief soit engagée, l’employé a le choix de tenter un règlement du différend de façon informelle en s’adressant à un superviseur. Cette procédure informelle ne fait pas partie de la procédure du règlement des griefs et n’est pas affectée par le paragraphe 91(1). Pendant que ces pourparlers informels ont cours, le délai de 25 jours imparti pour le dépôt d’un grief est suspendu. Par conséquent, il n’y a aucun délai à respecter en ce qui concerne la procédure informelle initiale.

La procédure de grief prévue par la convention cadre comporte au maximum quatre paliers, chacun comportant des interactions avec le personnel de direction à des niveaux d’autorité de plus en plus élevés. À chaque palier, la direction a droit à une courte période pour répondre au grief de l’employé, et ce dernier a une courte période pour s’adresser au palier supérieur. Toutefois, ces exigences relatives aux délais peuvent être abandonnées par consentement mutuel. Si elles ne sont pas abandonnées lors d’une procédure de grief à quatre paliers, et si l’employé dépose sa plainte le 25e jour suivant l’incident en cause, une décision sur le grief sera prise au quatrième palier dans approximativement 105 jours, ou trois mois et demi. Par la suite, si le grief est renvoyé à l’arbitrage, aucun délai ne s’applique à la procédure d’arbitrage.

J’ai examiné la question des délais de cette façon, parce que, bien que l’on ait cité deux cas où les tribunaux judiciaires avaient critiqué la longueur de la procédure intentée devant la CCDP, trois ans dans un cas, cinq ans dans l’autre[4], je n’avais aucune preuve de la pratique habituelle de la CCDP qui me donnerait une idée du temps que cela prend réellement pour régler une plainte. Des commentaires au sujet de la réputation de longueur de la procédure devant la CCDP ont été faits à plusieurs reprises pendant la présentation des observations, mais ce n’était pas une preuve de retards systémiques excessifs. Si l’on avait déposé la preuve que la CCDP est incapable de régler les plaintes dans un délai raisonnable, j’aurais peut-être été disposée à conclure que la CCDP ne constitue pas un recours possible en matière de relations de travail. Cependant, aucune preuve ne m’a été présentée qui permettait d’en arriver à cette conclusion.

Je ferais remarquer que dans l’arrêt Morgan[5], on a considéré que deux ans étaient une période normale pour effectuer une enquête sur une plainte et la renvoyer au tribunal. Si, un jour, un arbitre était convaincu à partir d’une preuve pertinente que la CCDP ne peut régler les plaintes dans un délai raisonnable, il lui serait loisible, à mon avis, de conclure que la CCDP ne constitue pas un recours au sens du paragraphe 91(1).

Sur la question des délais, j’ai aussi constaté qu’il n’y avait aucune preuve permettant de conclure que l’arbitrage suivant la procédure prévue par la convention cadre se fait de façon particulièrement diligente. Dans les trois affaires citées par l’avocat[6], la période comprise entre le renvoi du grief à l’arbitrage et la décision de l’arbitre a été d’environ un an. Par conséquent, je ne peux m’appuyer sur aucune preuve pour conclure qu’il existe une différence marquée dans le temps requis pour obtenir réparation selon que l’on s’adresse au tribunal ou à l’arbitre.

Finalement, il faut remarquer que la réparation ne nécessite pas forcément la tenue d’une audience dont elle dépendrait. Il y a toujours possibilité d’une entente à la suite du dépôt d’une plainte en vertu de la LCDP ou après le début de la procédure informelle engagée en vertu de la clause 35.02 de la convention cadre.

AUTRES QUESTIONS

L’avocat du requérant a admis que, si je confirmais l’interprétation donnée par l’arbitre au paragraphe 91(1), toute erreur que ce dernier aurait pu faire quant au fond du grief du requérant, ou en raison de son défaut d’exposer des motifs justifiant sa conclusion qu’il s’agissait d’un grief portant sur le seul article 44, serait sans importance. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner ces questions.

CONCLUSION

L’arbitre a eu raison de conclure qu’il n’avait pas compétence, en raison du paragraphe 91(1), pour entendre le grief du requérant. Je suis convaincue que la LCDP constitue un « recours » relativement aux faits de l’espèce, parce que la CCDP a compétence sur le fond du grief et parce que la CCDP possède de plus grands pouvoirs de réparation qu’un arbitre agissant en vertu de la convention cadre. Les différences existant entre les procédures engagées en vertu de la LCDP et celles engagées en vertu de la convention cadre, quant aux parties, à l’intérêt public et à la responsabilité à l’égard de la procédure, ne changent rien, à mon avis, au fait que le requérant a un recours en vertu de la LCDP.

Par conséquent, la demande sera rejetée.



[1] La Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée 12 ans après l’adoption de l’art. 91(1).

[2] [1994] C.R.T.F.P.C. no 89 (QL).

[3] Imbleau et al. v. Laskin et al., [1962] R.C.S. 338; Association des Employés de Radio et Télévision du Canada (SCFP-CTC) c. La Société Radio-Canada, [1975] 1 R.C.S. 118; et Air Canada and Canadian Air Line Employees’ Assoc., Re (1981), 29 L.A.C. (2d) 142 (Can.).

[4] Motorways Direct Transport Ltd. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 50 Admin. L.R. 222 (C.F. 1re inst.) et Canada (Procureur général) c. Morgan [arrêt ci-après appelé Morgan], [1992] 2 C.F. 401(C.A.).

[5] Ibid., aux p. 434 et 435.

[6] Dekoning et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 32 (QL); Lorenzen et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 165 (QL); et Stene et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1991] C.R.T.F.P.C. no 118 (QL).

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