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[1995] 1 C.F. 341

T-2535-88

Ultramar Canada Inc. (demanderesse)

c.

Mutual Marine Office Inc., New York Marine Managers Inc., Highlands Insurance Company, Navigators Insurance Company, Trinity Associates Inc., Underwriters at Lloyds, Royal Insurance Company of America, The Standard Steamship Owners’ Protection and Indemnity Association (Bermuda) Limited, Alexander & Alexander of New York Inc., et Alexander & Alexander Inc., et Arkwright Mutual Insurance Group, autrefois connu sous le nom d’Arkwright-Boston Manufacturers Mutual Insurance Company, Midland Insurance Company, Republic Insurance Company, Pennsylvania Lumberman’s Insurance Company, The Lumbermen’s Insurance Company, Northeastern Insurance Company, Ranger Insurance Company, Reinsurance Corporation of North America, Progressive Casualty Insurance Company, Angelina Casualty Company, Americas Insurance Company, English and American Group, Phoenix Assurance PLC, British Law Insurance Company Limited, Insurance Company of North America et Marine Insurance Company et Kenneth Henry Edmond Boden (défendeurs)

Répertorié : Ultramar Canada Inc. c. Mutual Marine Office Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau— Montréal, 9 février; Ottawa, 30 juin 1994.

Droit maritime — Assurance — Avarie commune — Action en répartition des dommages entre des polices d’assurance — Dommages causés au chaland de la demanderesse et déversement d’une partie de sa cargaison de pétrole — Frais excédant la somme de 2 000 000 $ pour sauver le chaland et la cargaison et la somme de 3 000 000 $ pour récupérer les polluants — Chaland considéré comme une perte réputée totale — Responsabilité des assureurs de la cargaison, des assureurs de la coque et des machines, des assureurs contre les risques de pollution, ainsi que de la demanderesse, en vertu du droit des avaries communes pour les dépenses engagées en excédent de la somme de 2 000 000 $ pour sauver le chaland — Dépenses de sauvetage engagées pour sauver la cargaison et la coque et éviter un désastre écologique — Les assureurs de la cargaison et de la coque sont responsables en vertu du droit des avaries communes car la préservation des biens a été l’une des raisons des dépenses — La responsabilité des assureurs de la cargaison est limitée à sa valeur contributive calculée adéquatement — Les dépenses d’avarie commune excédentaires retombent sur le propriétaire du navire, sous réserve pour lui de se faire rembourser en vertu des polices d’assurance — Il n’y avait pas d’autre recours possible contre les assureurs de la coque, car ils avaient payé la valeur assurée de la coque — P & I Club offrait une protection contre les risques de pollution et tout engagement d’un propriétaire à indemniser les sauveteurs pour le travail effectué pour prévenir ou réduire la pollution — Le risque de pollution ne fut ni le facteur principal ni le seul facteur qui ait sous-tendu la décision de recourir aux services d’un sauveteur — La demanderesse a été pleinement indemnisée de ses dépenses pour empêcher ou réduire la pollution — Ultramar doit supporter les autres frais découlant du contrat de sauvetage.

Droit maritime — Sauvetage — Échouement d’un chaland et de sa cargaison de pétrole — Risque de désastre écologique — Embauche d’un sauveteur pour éviter une catastrophe écologique et sauver la coque et la cargaison — Lors de l’embauche du sauveteur, aucune des parties ne savait que le chaland était endommagé au point d’être une perte réputée totale — L’embauche d’un sauveteur constituait un acte d’avarie commune — Étendue de la responsabilité des assureurs de la cargaison et de la coque à l’égard des frais de sauvetage.

Il s’agissait d’une action en vue d’obtenir un jugement déclaratoire contre sept des défendeurs ou, à défaut, une évaluation des dommages de la demanderesse et la répartition de ces derniers entre les polices d’assurance de tous les défendeurs.

Les défendeurs s’occupent d’assurance maritime. Highlands Insurance Company, Navigators Insurance Company et certains assureurs de la Lloyds, désignés collectivement sous le nom des « assureurs de la cargaison », étaient les assureurs de la cargaison que la demanderesse transportait à bord de son chaland le Pointe Levy. Les défenderesses Mutual Marine Office Inc., New York Marine Managers Inc. et Trinity Associates Inc. agissaient pour le compte de quelques-uns des assureurs de la cargaison. La défenderesse Royal Insurance Company of America assurait la coque et les machines du Pointe Levy, et la défenderesse The Standard Steamship Owners’ Protection and Indemnity Association (Bermuda) Limited (P & I Club) fournissait une protection contre les risques de pollution. Les défenderesses Alexander & Alexander étaient les courtiers d’assurances de la demanderesse. Le Pointe Levy, ayant à son bord le pétrole de la demanderesse, s’est échoué le 3 décembre 1985 au large de Matane (Québec), où il s’est endommagé, et une partie de sa cargaison de pétrole s’est répandue. Plus tard ce jour-là, la Garde côtière a informé Ultramar qu’elle devait prendre les mesures nécessaires, car sinon on le ferait à sa place. Le 5 décembre, Ultramar a retenu les services de la société Smit American Salvage Inc. pour éloigner le navire et sa cargaison de la grève et les amener en lieu sûr. En fin de compte, les frais du contrat se sont élevés à près de 2 000 000 $. La récupération des polluants a commencé le 6 décembre et, en fin de compte, les frais ont dépassé la somme de 3 000 000 $. Il en a coûté de plus 818 000 $ pour réchauffer et enlever la cargaison du Pointe Levy. Comme le coût des réparations dépassait considérablement la valeur du chaland en bon état, la demanderesse a envoyé une déclaration officielle de délaissement du navire aux assureurs de la coque. L’assurance au voyage était établie ainsi : (1) la coque et les machines du chaland : 3 000 000 $; (2) la cargaison : 999 332 $; et (3) la protection contre les risques de pollution : jusqu’à concurrence de 300 000 000 $. Deux ou trois jours après l’échouement du chaland, Ultramar a déclaré une avarie commune. Un règlement d’avarie a été rédigé qui répartissait les « dépenses d’avarie commune excédentaires (mesures conservatoires et préventives) » entre le navire et la cargaison en fonction des valeurs déterminées par M. Airey. À la suite de l’accident, les assureurs défendeurs ont versé ou verseront à la demanderesse, sous réserve de la décision que notre Cour rendra en l’espèce, plus de 7 000 000 $ répartis de la façon suivante : assureurs de la coque, 3 276 995,80 $; assureurs de la cargaison, 950 000 $; Mutuelle de protection et d’indemnisation, 3 000 000 $. En l’espèce, il s’agissait de savoir comment les frais excédant 2 000 000 $ qui avaient été engagés en vertu du contrat conclu avec la société Smit dans le but de sauver le Pointe Levy et sa cargaison devaient être partagés entre les différents assureurs.

Jugement : il a été statué que les sommes nettes dues en vertu des polices d’assurance étaient les suivantes : assureurs de la cargaison : 331 254,99 $; assureurs de la coque : 423 512,91 $.

Le « droit maritime canadien », ainsi qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, comprend les principes de droit maritime anglais qui existaient en 1934, et notamment les principes de la common law en matière de négligence et de contrat. Par conséquent, la Marine Insurance Act, 1906 (R.-U.) fait partie du droit maritime canadien, mais il n’y a aucune différence entre les principes énoncés dans cette loi et ceux énoncés dans notre Loi sur l’assurance maritime, qui est entrée en vigueur pendant le procès.

Le droit de l’avarie commune, qui fait partie du droit du transport de marchandises par eau, prend naissance lorsque des dépenses sont engagées intentionnellement en temps de péril, le plus souvent par l’armateur, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, à savoir le navire, la cargaison et le fret. L’avarie commune se fonde sur le principe reconnu en equity selon lequel, quelles que soient les dépenses engagées dans l’intérêt de toutes les parties à une opération maritime commune, elles doivent être partagées par les parties en proportion de leurs intérêts respectifs. L’avarie commune existe indépendamment de l’assurance maritime. L’obligation de contribuer à l’avarie commune ne dépend pas d’un contrat entre les parties, mais elle résulte des périls rencontrés dans l’exécution du contrat. Néanmoins, d’habitude les parties à une opération maritime s’assurent contre la responsabilité à l’égard des contributions à l’avarie commune. Normalement la police d’assurance maritime prévoit une garantie contre les avaries communes et les contributions d’avarie commune, sous réserve des dispositions mêmes de la police. La Marine Insurance Act, 1906 énonce les règles relatives à la contribution d’avarie commune et à la responsabilité des assureurs. L’article 66 prescrit que l’avarie commune donne droit à la partie à qui elle incombe de recevoir des autres parties intéressées une contribution proportionnelle appelée contribution d’avarie commune. Sauf stipulation contraire de la police, l’assuré qui a engagé une dépense d’avarie commune peut recouvrer auprès de l’assureur la proportion de la perte qui lui incombe; sauf stipulation contraire de la police, l’assuré qui paie ou est tenu de payer une contribution d’avarie commune à l’égard de la chose assurée peut la recouvrer auprès de l’assureur. Les dépenses engagées pour la sécurité générale donnent lieu à contribution, mais les dépenses engagées pour un intérêt particulier doivent être supportées en tant que frais de conservation pour cet intérêt.

En retenant les services de la compagnie Smit, la demanderesse a engagé une dépense dans l’intérêt commun de toutes les parties concernées. La responsabilité respective des défendeurs à l’égard de ces dépenses est établie correctement conformément aux principes du droit des avaries communes. Certaines de ces dépenses donnaient lieu à indemnisation aux termes des polices d’assurance pertinentes. Il s’agissait de savoir si elles pouvaient être recouvrées entièrement des assureurs conformément aux principes du droit des avaries communes et/ou aux polices d’assurance ou si une partie de ces dépenses devait être supportée par Ultramar.

Le contrat passé avec la société Smit, à savoir l’acte d’avarie commune, a été conclu dans le but tant de sauver la cargaison et la coque que d’éviter un désastre écologique. Comme la préservation de leurs biens du péril a été l’une des raisons sous-jacentes des dépenses, les assureurs de la coque et de la cargaison en supportaient la responsabilité en vertu du droit de l’avarie commune.

La responsabilité des assureurs de la cargaison se limitait à sa valeur contributive calculée adéquatement. Dans la mesure où il y a des dépenses d’avarie commune « excédentaires » après épuisement des valeurs contributives, ces dépenses retombent sur l’armateur, qui est peut-être protégé contre elles aux termes de ses différentes polices. Il n’y avait aucun précédent ni aucune pratique qui venaient étayer la répartition de l’avarie commune excédentaire entre les assureurs de la cargaison et ceux de la coque.

La clause 26B de la police sur la cargaison prévoyait que « Les contributions d’avarie commune, les frais de sauvetage et les frais spéciaux ainsi que les frais de conservation et de prévention seront payables en entier, sans tenir compte de la valeur assurée et de la valeur contributive. » La clause 26B ne rendait pas les assureurs de la cargaison responsables de l’avarie commune « en entier », et, par conséquent, en excédent de sa valeur contributive. La clause 26B avait pour seul but de protéger l’assuré contre les conséquences de la sous-assurance qui pourraient se poser en vertu de l’article 73 de la Marine Insurance Act, 1906. En ce qui concerne la différence entre la valeur contributive de la cargaison et la valeur assurée, les propriétaires de la cargaison sont coassureurs avec leurs assureurs. Quand on la lit dans le contexte de l’article 73 de la Marine Insurance Act, la clause 26B indique clairement que c’est la contribution d’avarie commune qui est payable en entier; c’est-à-dire la contribution des assureurs de la cargaison à l’avarie commune, fixée conformément au droit et à la pratique en matière d’avarie commune.

Les frais spéciaux relatifs à la cargaison qui ont été engagés pour décharger la cargaison doivent être déduits en vertu de la Règle XVII des Règles d’York et d’Anvers pour déterminer la valeur réelle de la cargaison aux fins de la contribution à l’avarie commune. Cette déduction vise à ce que la contribution soit prise seulement sur la valeur « nette » des biens sauvés. Les frais spéciaux relatifs à la cargaison s’élevaient à 818 097,62 $.

Ayant payé la valeur assurée de la coque au montant de 3 000 000 $, les assureurs de la coque avaient rempli leur obligation d’indemniser Ultramar pour la contribution d’avarie commune. La demanderesse n’avait aucun recours contre les assureurs de la coque à moins qu’ils n’aient assumé, dans la police d’assurance, des responsabilités plus grandes que celles que leur imposait la loi. L’excédent de l’avarie commune retombe sur l’armateur seulement, sous réserve pour celui-ci de se faire rembourser en vertu de ses diverses polices d’assurance. La police d’assurance sur la coque et les machines était assujettie aux American Institute Hull Clauses, qui comportaient une clause sur les mesures conservatoires et préventives prévoyant que, si une demande d’indemnité pour perte totale est admise et si les dépenses relatives aux mesures conservatoires et préventives ont été engagées en excédent du produit de la vente, le montant payable sera la proportion de cet excédent que le montant assuré apporte à la juste valeur en bon état de ce navire au moment de l’accident. Dans la répartition de l’excédent de l’avarie commune selon la clause sur les mesures conservatoires et préventives, pour évaluer correctement le chaland, il faut utiliser les valeurs réelles, par opposition aux valeurs estimées, qui existaient lorsque la dépense a été engagée. Il n’y avait aucune raison de ne pas reporter l’évaluation du chaland échoué sur le rivage jusqu’à l’inspection du navire en cale sèche. La valeur réelle du Pointe Levy, qu’il se trouvât sur le rivage avant la conclusion du contrat avec la société Smit ou en cale sèche à la fin des opérations, était nulle, car, à toutes les époques pertinentes, c’était une perte réputée totale. La valeur qu’il fallait employer dans le calcul de la responsabilité de la défenderesse Royal à l’égard de ces dépenses était le montant remboursé qui consistait dans la valeur du mazout retiré du chaland et consommé pour le remettre à flot. Aux fins du calcul du montant remboursé, il fallait tenir compte seulement de la quantité de mazout consommée au cours de la remise à flot, c’est-à-dire 8 000 $.

En ce qui concerne la responsabilité du Standard P & I Club, ce dernier est une association mutuelle comme celles qui sont reconnues à l’article 85 de la Marine Insurance Act, 1906. Selon la Règle 20(14), la mutuelle de protection et d’indemnisation offrait également une protection contre les risques de pollution et tout engagement d’un armateur aux termes d’un contrat de sauvetage à indemniser les sauveteurs pour le travail effectué pour prévenir ou réduire la pollution. Il ne devrait y avoir recours à l’assurance mutuelle de protection et d’indemnisation en tant qu’assurance responsabilité que si notre Cour concluait que les dépenses de sauvetage ont été engagées seulement pour prévenir la pollution ou qu’il y a eu déplacement obligatoire d’épave parce que la Garde côtière avait ordonné de mettre le navire en cale sèche alors qu’il se trouvait sur la grève. Le Pointe Levy n’était pas une épave, et il n’y a pas eu d’ordonnance enjoignant de déplacer une épave. Même si le risque de pollution était une préoccupation prédominante, ce ne fut ni le facteur principal ni le seul facteur qui ait sous-tendu la décision de recourir aux services d’un sauveteur professionnel. Les services des sauveteurs n’ont pas été retenus dans le seul but de prévenir ou de réduire la pollution, et ceux-ci n’ont rien fait de particulier en ce sens. Bien que l’activité pour laquelle on a eu recours à leurs services ait eu accessoirement pour effet de prévenir une plus grande pollution, c’est Ultramar qui a fait le nécessaire pour empêcher ou réduire la pollution. La demanderesse a été pleinement indemnisée de ses dépenses par le P & I Club.

Les autres frais découlant du contrat conclu avec la société Smit doivent être supportés par Ultramar. L’acte d’avarie commune visait à sauver la coque et la cargaison, et les parties sont donc tenues de payer leur part proportionnelle de ces dépenses. Mais l’autre raison de la conclusion du contrat, à savoir la prévention d’un désastre écologique, allait manifestement dans le sens des meilleurs intérêts d’Ultramar. Si la situation s’était transformée en un déversement accidentel massif de pétrole, la responsabilité éventuelle de la demanderesse aurait été considérable. Il n’y avait aucune injustice dans le fait d’exiger qu’Ultramar supporte les frais nécessaires pour éviter une plus grande responsabilité par comparaison avec l’obligation des assureurs des biens de payer des dépenses qui n’ont pas entraîné le sauvetage des biens.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « droit maritime canadien ».

Loi sur l’assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22.

Marine Insurance Act, 1906 (R.-U.), 6 Edw. 7, ch. 41, art. 66(3),(4),(5), 73, 85.

Règles d’York et d’Anvers 1950, Règles A, XVll, XXl.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Triglav, Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community Triglav Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 283; [1983] I.L.R. 1-1627; (1983), 54 N.R. 321; ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Evje, The, [1973] 1 Lloyd’s Rep. 509 (C.A.); Green Star Shipping Co., Ld. v. London Assurance, [1933] 1 K.B. 378.

DÉCISION EXAMINÉE :

Chellew v. Royal Commission on the Sugar Supply, [1922] 1 K.B. 12 (C.A.).

DOCTRINE

Arnould, Sir Joseph. Arnould’s Law of Marine Insurance and Average, 16th ed. by Sir Michael J. Mustill and Jonathan C. B. Gilman. Stevens and Sons, 1981.

Ivamy, E. R. Hardy. Marine Insurance, 4th ed. London : Butterworths, 1985.

Lowndes, R. and G. R. Rudolf. The Law of General Average and the York-Antwerp Rules, 10th ed. by Sir John Donaldson et al. London : Stevens & Sons, 1975.

Lowndes, R. and G. R. Rudolf. The Law of General Average and the York-Antwerp Rules, 11th ed. by D. J. Wilson and J. H. S. Cooke. London : Sweet & Maxwell, 1990.

Parks, Alex Leon. The Law and Practice of Marine Insurance and Average. Centreville, Md. : Cornell Maritime Press, 1987.

ACTION en répartition des dommages entre diverses polices d’assurance et conformément au droit des avaries communes à la suite de l’échouement du chaland de la demanderesse, qui a entraîné une perte réputée totale du chaland, la perte de la cargaison de pétrole et des dépenses de récupération des polluants. Il a été statué que les sommes nettes dues en vertu des polices d’assurance étaient les suivantes : assureurs de la cargaison : 331 254,99 $; assureurs de la coque : 423 512,91 $.

AVOCATS :

David L. D. Beard et Antonin Pribetic pour la demanderesse.

George R. Strathy pour la défenderesse Mutual Marine Office Inc. et autres (Les assureurs de la cargaison).

George J. Pollack pour la défenderesse Royal Insurance Co. of America.

Sean J. Harrington pour la défenderesse The Standard Steamship Owners’ Protection & Indemnity Ass. (Bermuda) Ltd.

Peter F. M. Jones pour les défenderesses Alexander & Alexander of N.Y. Inc. et Alexander & Alexander Inc.

PROCUREURS :

Beard, Winter, Toronto, pour la demanderesse.

George R. Strathy, Toronto, pour la défenderesse Mutual Marine Office Inc. et autres (Les assureurs de la cargaison).

Marler, Sproule, Castonguay, Montréal, pour la défenderesse Royal Insurance Co. of America.

McMaster Meighen, Montréal, pour la défenderesse The Standard Steamship Owners’ Protection & Indemnity Ass. (Bermuda) Ltd.

Paterson, MacDougall, Toronto, pour les défenderesses Alexander & Alexander of N.Y. Inc. et Alexander & Alexander Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rouleau : Il s’agit d’une action par laquelle la demanderesse tente d’obtenir un jugement déclaratoire au montant de 2 707 102,91 $ contre sept des défendeurs ou, à défaut, une évaluation de ses propres dommages et la répartition de ces derniers entre les polices d’assurance de tous les défendeurs. La demanderesse réclame également des intérêts sur ces sommes depuis la date de survenance du sinistre jusqu’à la date du jugement, en plus des dépens de l’action.

Ultramar a déposé un avis de désistement envers la défenderesse Alexander & Alexander, pour le motif que, après examen de la preuve présentée au procès, elle ne peut pas soutenir l’action contre cette défenderesse pour négligence ou rupture de contrat dans la conclusion de l’assurance, ou pour erreurs dans l’élaboration du règlement d’avarie ou le recouvrement. De plus, la demanderesse a retiré ses allégations au sujet des dommages-intérêts punitifs réclamés aux autres défendeurs.

LES FAITS

La compagnie pétrolière demanderesse, qui est constituée en vertu des lois du Canada, a son siège social à Montréal (Québec). C’est une filiale en propriété exclusive d’Ultramar plc., qui est une société du Royaume-Uni, et, à toutes les époques en cause, elle était propriétaire du chaland Pointe Levy.

Les défendeurs s’occupent d’assurance maritime. Highlands Insurance Company, Navigators Insurance Company et certains assureurs de la Lloyd’s, désignés collectivement sous le nom des « assureurs de la cargaison », sont les assureurs de la cargaison que la demanderesse transportait à bord de son chaland le Pointe Levy, conformément à la police d’assurance flottante sur la cargaison no A & A C-81018, en date du 21 janvier 1988. Les défenderesses Mutual Marine Office Inc., New York Marine Managers Inc. et Trinity Associates Inc. n’étaient pas elles-mêmes des assureurs de la cargaison de la demanderesse, mais, au cours des événements qui ont mené au présent litige, elles ont agi pour le compte de quelques-uns des assureurs de la cargaison. La défenderesse Royal Insurance Company of America assurait la coque et les machines du Pointe Levy, et la défenderesse The Standard Steamship Owners’ Protection and Indemnity Association (Bermuda) Limited (P & I Club) fournissait une protection contre les risques de pollution ainsi que d’autres garanties. Les défenderesses Alexander & Alexander of New York Inc. et Alexander& Alexander Inc. jouent le rôle de courtiers d’assurances de la demanderesse depuis 1981.

Le chaland sans équipage Pointe Levy avait une jauge brute enregistrée de 3 642 tonnes. En mai 1985, la demanderesse a conclu une charte-partie de remorquage avec Atlantic Towing Limited pour l’affrètement du remorqueur Irving Teak afin de remorquer ses cargaisons de pétrole chargées à bord du Pointe Levy de Montréal à Bathurst (Nouveau-Brunswick). La cargaison de 5 263 tonnes métriques de pétrole no 6 de la demanderesse a été chargée à bord durant le mois de novembre 1985. Le Pointe Levy est parti de Montréal à destination de Bathurst tôt le matin du 1er décembre 1985, à la remorque du navire Irving Teak. La défenderesse Alexander & Alexander of New York Inc., à titre de courtier d’assurances de la demanderesse, a établi ainsi l’assurance au voyage en ce qui concernait la coque, la cargaison et la protection et indemnisation :

[traduction] 1. Une police sur corps de navire a été signée avec la défenderesse Royal Insurance Company of America afin d’assurer la coque et les machines du chaland pour la somme de 3 000 000 $;

2. Une police d’assurance flottante a été signée avec les défendeurs assureurs de la cargaison afin d’assurer la cargaison à bord pour la somme de 999 332 $;

3. La Standard Club Protection & Indemnity Insurance et les Standard Club Rules fournissaient une protection contre les risques de pollution jusqu’à concurrence de 300 000 000 $ et offraient d’autres garanties.

À trois heures du matin le 3 décembre 1985, le gros temps a fait se rompre le câble de remorquage. Le capitaine du remorqueur a jeté l’ancre et utilisé le câble de remorquage d’urgence dans le but d’empêcher que le Pointe Levy aille s’échouer. Lorsque le câble de remorquage d’urgence s’est brisé, le Pointe Levy a chassé sur ses ancres et s’est échoué au large de Matane (Québec), dans le fleuve Saint-Laurent, où il s’est endommagé, et une partie de sa cargaison de pétrole s’est répandue. Les conditions atmosphériques—des vents violents de soixante kilomètres/ heure atteignant des vitesses de quatre-vingts à cent kilomètres/heure et accompagnés de vagues de quinze à vingt pieds—ont rendu impossible toute tentative de monter à bord du navire échoué. Le temps est resté rigoureux durant les premières heures du 3 décembre et le chaland a été entraîné et poussé par la marée et les vents forts du nord et du nord-est, pour aller ensuite s’arrêter à tribord parallèlement au littoral.

Plus tard ce jour-là, la Garde côtière canadienne a fait savoir à Ultramar qu’elle devait prendre les mesures nécessaires. Le télex indiquait que [traduction] « Selon ce que sera la réaction du propriétaire, la Garde côtière canadienne prendra elle-même les mesures nécessaires pour corriger la situation ». Le matin du 4 décembre 1985, une inspection aérienne du chaland a révélé des traces de pollution et une fuite de la cargaison de mazout qui allait à la dérive du côté est vers le littoral et s’amassait au brise-lames du chantier naval de Matane. Les vents violents et la mer houleuse ont continué de rendre impossibles tous travaux d’investigation jusqu’en après-midi, moment où M. Mario Rossi, un expert de la Salvage Association, et des préposés aux pompes du remorqueur Irving Teak, sont montés à bord du Pointe Levy à partir d’un chaland de débarquement de la Garde côtière canadienne. On s’est d’abord aperçu que l’eau de mer s’infiltrait dans trois des dix citernes de cargaison, que toutes les citernes à double fond situées sous les citernes de cargaison étaient inondées d’eau de mer, qu’il y avait des traces de la cargaison dans deux des six doubles fonds et que la salle des moteurs, la salle des pompes et le batardeau étaient envahis par la marée au point que le niveau d’eau y était égal à celui de la mer.

Le premier plan d’action, tel que présenté par M. Rossi au cours de la soirée du 4 décembre 1985, consistait à effectuer une inspection en plongée, à installer une barrière flottante autour du Pointe Levy pour contenir tout autre déversement de pétrole et à transporter par hélicoptère des pompes de la Garde côtière canadienne sur le Pointe Levy pour écumer le pétrole des citernes percées et le pomper dans des citernes en bon état. On a amorcé une inspection en plongée du chaland le 5 décembre 1985, mais on a dû l’interrompre à cause des conditions atmosphériques et de la mauvaise visibilité.

Le même jour, soit le 5 décembre, Ultramar a retenu les services de la société Smit American Salvage Inc., de Galveston (Texas), qui devait fournir l’équipement de sauvetage nécessaire pour éloigner le navire et sa cargaison de la grève et les amener en lieu sûr. Selon le contrat, il s’agissait d’[traduction] « alléger, selon les nécessités, de rapiécer au besoin, de remettre à flot et de conduire le chaland à un port de refuge convenu entre les deux parties—le client devant se débarrasser de la cargaison enlevée et obtenir l’approbation de la G.C.C. pour faire entrer le chaland dans un port de refuge sûr ou le conduire jusque-là ». Aux termes du contrat, la société Smit devait recevoir la somme de 350 000 $ US, plus le remboursement de tous ses frais, et 15 % à condition que le chaland soit mené en lieu sûr. En fin de compte, les frais du contrat se sont élevés à près de 2 000 000 $ CAN.

Pendant tout le temps que le Pointe Levy a été échoué et, de fait, jusqu’à ce qu’il soit en cale sèche le 17 décembre 1985, les conditions atmosphériques étaient si mauvaises qu’aucune inspection en plongée n’a pu être effectuée de façon convenable. Cependant, M. Anthony Airey, un dirigeant de la société Amacan Maritime, Inc., laquelle agissait à titre de gestionnaire maritime du Pointe Levy pour Ultramar, a effectivement procédé à certaines évaluations des dommages avant que l’on fasse une inspection subaquatique du chaland. Il a établi les évaluations suivantes à partir de son bureau de Montréal, en se fondant sur les renseignements fournis par des personnes qui se trouvaient sur les lieux de l’incident :

[traduction] Le 4 décembre 1985—160 000 $, montant comprenant les coûts de la Garde côtière, des remorqueurs, des plongeurs, des examens techniques et autres, sans compter les dommages survenus à la coque, les frais de cale sèche, etc.

Le 9 décembre 1985—600 000 $ pour la réparation de la coque et des machines du chaland.

Le 16 décembre 1985—700 000 $ pour la mise à quai, l’enlèvement de la cargaison, le nettoyage et le dégazage—l’enlèvement des eaux sales—les réparations permanentes (seulement les dommages connus). M. Airey a déclaré : « Les frais pourraient être encore plus élevés si les dommages à la carène sont importants. »

La récupération des polluants a commencé le 6 décembre 1985. Le matériel provenant de la compagnie Sanivan Ltd. a travaillé sans relâche à l’enlèvement de la glace, du sable et du gravier contaminés de l’entrée de la digue de la marina. Avant midi, quinze camions de transport se trouvaient sur les lieux, ainsi que deux grues, deux bulldozers et quatre camions-aspirateurs, à travailler sans relâche. On a construit une passerelle pour relier l’accotement élevé à la plage située sur le littoral du brise-lames afin de permettre aux poids lourds de déverser à marée basse les matières polluantes dans des camions qui les transporteraient jusqu’à un dépotoir temporaire tout près de là.

À une réunion tenue le même jour, il a été convenu que la compagnie Ultramar prendrait immédiatement des mesures pour débarrasser des produits polluants différents secteurs de la plage à l’est de Matane, qui avaient été désignés par le ministère de l’Environnement. Le 7 décembre 1985, des représentants de la compagnie Ultramar, de la Garde côtière canadienne, d’Environnement Québec et d’autres parties concernées ont assisté aux diverses opérations de nettoyage sur le littoral et au quai de la Marina de Matane. En fin de compte, les frais de nettoyage de la cargaison qui s’était répandue dépassaient la somme de 3 000 000 $.

Durant les journées du 15 et du 16 décembre 1985, les efforts déployés par Smit American Salvage Inc. pour remettre le chaland à flot n’ont pas été couronnés de succès. Le 17 décembre 1985, les sauveteurs ont déversé environ 800 tonnes de cargaison dans le chaland Sillery, et le Pointe Levy a été remis à flot et remorqué jusqu’à Les Méchins (Québec). Pendant que ce dernier chaland était en cale sèche, on l’a vidé du reste de sa cargaison, avec beaucoup de difficultés et au prix fort, parce qu’elle s’était presque solidifiée en raison du temps froid. Il a fallu utiliser de l’équipement spécial et des installations particulières pour réchauffer et enlever la cargaison, au coût d’environ 818 000 $.

Le 15 janvier 1986, on a procédé à une inspection subaquatique en cale sèche à Les Méchins. À la vue des dommages, M. Airey et M. Rossi étaient convaincus que le Pointe Levy était, selon toute probabilité, une perte réputée totale. La demanderesse a envoyé une déclaration officielle de délaissement du navire aux assureurs de la coque, la défenderesse Royal Insurance Company of America, le 11 mars 1986, après que plusieurs offres reçues d’un certain nombre de réparateurs de navire eurent révélé que le coût des réparations dépassait considérablement la valeur du chaland en bon état, qui avait été établie à 2 120 000 $. Par la suite, on a sollicité des offres pour l’achat « sans réparation ni livraison » du chaland endommagé et, le 29 avril 1986, le navire a été vendu et remis par la suite à Messrs. McAsphalt Industries Ltd. pour la somme de 206 602 $ CAN.

LA QUESTION EN LITIGE

Deux ou trois jours après l’échouement du chaland, Ultramar a déclaré une avarie commune et M. John Tull de la société Alexander & Alexander a été nommé à titre d’expert en avarie de la demanderesse et chargé de régler le sinistre. Il a élaboré le règlement d’avarie qui répartissait les dépenses entre les assureurs défendeurs. Les demandes d’indemnité découlant de l’échouement du Pointe Levy ont été désignées ainsi dans le règlement d’avarie :

(a) frais de sauvetage;

(b) dépenses conservatoires et préventives;

(c) perte du navire;

(d) perte de la cargaison;

(e) dépenses d’avarie commune;

(f) dépenses de récupération des polluants et de prévention de la pollution;

(g) dépenses d’inspection;

(h) frais juridiques.

M. Tull a rédigé un premier règlement d’avarie en date du 30 avril 1987, auquel les différents assureurs ont présenté un certain nombre d’oppositions. Il a ensuite rédigé un règlement révisé en date du 7 avril 1988, qui répartissait différemment quelques-unes des dépenses en question, en les transférant surtout de la colonne « protection et indemnisation » du grand livre dans celle de la coque et de la cargaison. Ces [traduction] « dépenses d’avarie commune excédentaires (mesures conservatoires et préventives) » ont été réparties entre le navire et la cargaison en fonction des valeurs déterminées par M. Airey, et leur recouvrement a été réclamé en vertu des polices d’assurance sur la coque et la cargaison.

À la suite de l’accident, les assureurs défendeurs ont versé ou verseront à la demanderesse, sous réserve de la décision que notre Cour rendra en l’espèce, plus de 7 000 000 $ répartis de la façon suivante :

Assureurs de la coque         3 276 995,80 $

Assureurs de la cargaison    950 000         $ (environ)

Mutuelle de protection et d’indemnisation 3 000 000 $

En l’espèce, le litige entre les parties porte sur la responsabilité à l’égard des frais excédant 2 000 000 $ qui ont été engagés en vertu du contrat conclu avec la société Smit dans le but de sauver le Pointe Levy et sa cargaison. Il s’agit de savoir comment ces dépenses doivent être partagées entre les différentes parties, à savoir :

1. la défenderesse Royal Insurance Company of America (Royal) en sa qualité d’assureur de la coque et des machines du Pointe Levy;

2. la défenderesse Mutual Marine Office, Inc. (Mutual) en sa qualité d’assureur principal de la cargaison de mazout chargée à bord du chaland au moment de l’échouement;

3. la défenderesse The Standard Steamship Owners’ Protection and Indemnity Association (Bermuda) Ltd. (Standard);

4. la demanderesse en sa qualité de propriétaire du Pointe Levy.

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DE LA DEMANDERESSE

La demanderesse soutient que l’avarie commune est un moyen d’arriver à un partage équitable des dépenses engagées dans l’intérêt de toutes les parties concernées dans une opération commune. Si les dépenses excédentaires en cause dans la présente affaire ne peuvent pas être recouvrées conformément aux règles de l’avarie commune, la demanderesse maintient qu’elles donnent lieu à indemnisation aux termes de plusieurs clauses des polices d’assurance, telles que les clauses sur les mesures conservatoires et préventives. Ultramar avance qu’elle avait l’obligation de minimiser ses pertes, de protéger ses biens, de se prémunir contre les risques de responsabilité et de protéger l’environnement. Si elle n’avait pas agi dans le but de sauver le chaland et la cargaison, on lui aurait reproché de ne pas avoir pris de mesures conservatoires et préventives pour les assureurs, comme elle était tenue de le faire.

La demanderesse fait valoir que, en passant un contrat de sauvetage, elle a agi raisonnablement selon les circonstances et ne devrait pas être pénalisée pour les dépenses engagées afin de sauver les biens assurés. Elle croit que le règlement d’avarie révisé qui a été rédigé par M. Tull prévoit un partage équitable de ce qu’on peut qualifier de « dépenses d’avarie commune excédentaires ». On prétend que ces dépenses doivent être admises et payées par les assureurs de la coque et de la cargaison ainsi qu’il est énoncé dans le règlement d’avarie révisé qui a été rédigé par M. Tull, non pas parce qu’elles doivent être admises en avarie commune, mais parce que les polices d’assurance les prévoient et que sinon les clauses sur les mesures conservatoires et préventives prévues dans les polices perdraient tout sens.

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES DÉFENDEURS

Les assureurs de la cargaison qui sont défendeurs en l’espèce ne contestent pas que les dépenses en question constituent des dépenses d’avarie commune. Ils allèguent cependant que, selon le droit et la pratique en matière de règlement d’avarie, la responsabilité de la cargaison dans une avarie commune se limite à sa valeur contributive. Les assureurs de la cargaison soutiennent que, dans la mesure où il y a des dépenses d’avarie commune excédentaires après épuisement des valeurs contributives, ces dépenses retombent sur l’armateur, sous réserve pour lui de les recouvrer des assureurs de la coque et de la mutuelle de protection et d’indemnisation, conformément à la pratique suivie par les experts en avarie dans le monde entier. En l’espèce, il n’existe ni précédent ni pratique qui viennent étayer la méthode adoptée par M. Tull en ce qui concerne la cargaison et, de fait, cela va à l’encontre de la pratique bien établie qui limite la contribution de la cargaison à sa valeur contributive. La police relative à la cargaison ne contiendrait non plus aucune clause qui rendrait les assureurs de la cargaison responsables des dépenses en question.

La défenderesse Royal, l’assureur de la coque, laisse entendre que les évaluations du coût des réparations et les études de la valeur du Pointe Levy effectuées par M. Airey avant que le chaland soit examiné en cale sèche ne peuvent pas servir à prouver une valeur aux fins du calcul de la contribution de la défenderesse Royal aux dépenses d’avarie commune excédentaires, aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives qui figure dans la police d’assurance sur la coque et les machines. Quant à l’échouement, le Pointe Levy serait une perte réputée totale et n’aurait aucune valeur. On ne peut donc pas dire que les dépenses d’avarie commune excédentaires ont été faites à l’égard du chaland et engageaient, de ce fait, la responsabilité de la défenderesse Royal aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives.

Subsidiairement, la défenderesse Royal affirme que, si elle doit contribuer aux dépenses d’avarie commune excédentaires, la seule valeur qui peut servir à déterminer sa responsabilité est le montant remboursé pour le chaland. Dans ces conditions, sa responsabilité à l’égard de l’avarie commune excédentaire ne peut pas dépasser la somme de 236 294,87 $. Enfin, cette défenderesse déclare que le contrat conclu avec Smit American Salvage Inc. avait pour but principal de prévenir la pollution. Elle maintient que, dans ce contexte, les dépenses d’avarie commune excédentaires qui en ont découlé ne donnent pas lieu à indemnisation aux termes des polices établies par les assureurs de la cargaison et de la coque, mais qu’elles donnent lieu à indemnisation de la part de la mutuelle Standard P & I Club.

La défenderesse Standard fait remarquer que la demanderesse a le droit de recouvrer premièrement une partie des frais du contrat conclu avec Smit des assureurs de la cargaison, deuxièmement une autre partie des assureurs de la coque, et qu’elle doit supporter le reste elle-même puisque le contrat visait la prestation de services pour le sauvetage de la coque et de la cargaison. Ces frais constituent une dépense d’avarie commune qui est supportée par les biens sauvés jusqu’à concurrence de leurs valeurs contributives. On allègue que la défenderesse P& I elle-même, qui n’offre une assurance que s’il n’y a aucune autre protection, n’a pas souscrit d’assurance à l’égard des dépenses d’avarie commune engagées en excédent des valeurs contributives et qu’elle n’est donc tenue de rembourser aucune des dépenses en question.

ANALYSE

Les périls contre lesquels Ultramar s’est assurée sont les périls de mer ordinaires. Conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Triglav, Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community Triglav Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 283, l’assurance maritime relève de la catégorie législative de la navigation et des bâtiments ou navires, et donc du domaine de compétence du gouvernement fédéral. La Cour suprême a également conclu dans ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, que le « droit maritime canadien », ainsi qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, comprend les principes de droit maritime anglais qui existaient en 1934, et notamment les principes de la common law en matière de négligence et de contrat. Il s’ensuit que la Marine Insurance Act, 1906 (R.-U.) [6 Edw. 7, ch. 41] fait partie du droit maritime canadien. De toute façon, il n’y a aucune différence entre les principes énoncés dans cette Loi et ceux énoncés dans notre propre Loi sur l’assurance maritime, projet de loi C-97 [L.C. 1993, ch. 22], qui est entrée en vigueur pendant le procès.

Le droit de l’avarie commune, qui fait partie du droit du transport de marchandises par eau, vient de l’« equity » et s’appliquait bien avant l’apparition de l’assurance maritime. Il prend naissance lorsque des dépenses sont engagées intentionnellement en temps de péril, le plus souvent par l’armateur, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, à savoir le navire, la cargaison et le fret. L’avarie commune se fonde sur le principe reconnu en equity selon lequel, quelles que soient les dépenses engagées dans l’intérêt de toutes les parties à une opération maritime commune, elles doivent être partagées par les parties en proportion de leurs intérêts respectifs. L’acte d’avarie commune est défini de la façon suivante à la Règle A des Règles d’York et d’Anvers 1950 :

Règle A

Il y a acte d’avarie commune quand, et seulement quand, intentionnellement et raisonnablement, un sacrifice extraordinaire est fait ou une dépense extraordinaire encourue pour le salut commun, dans le but de préserver d’un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune.

L’avarie commune existe tout à fait indépendamment de l’assurance maritime. L’obligation de contribuer à l’avarie commune ne dépend pas d’un contrat entre les parties. Comme l’a déclaré lord Denning dans Evje, The, [1973] l Lloyd’s Rep 509 (C.A.), à la page 513 :

[traduction] … la demande d’indemnité présentée par les armateurs contre le propriétaire d’une cargaison pour contribution à une avarie commune « ne résulte pas du » contrat. Elles prend naissance « au cours de celui-ci ». Elle prend naissance au cours du voyage. Elle résulte des périls rencontrés dans l’exécution du contrat et non pas du contrat lui-même. C’était clairement l’opinion de lord Esher, maître des rôles, dans Burton & Co. v. English & Co., (1883) 12 Q.B.D. 218, aux p. 220 et 221 :

… elle ne résulte pas du tout d’un contrat, mais du vieux droit rhodien et a été incorporée au droit anglais comme droit de la mer. Ce n’est pas comme objet d’un contrat mais à la suite d’un danger commun, où la justice naturelle exige que tous contribuent à l’indemnisation de la perte du bien qui est sacrifié par l’un d’eux pour que toute l’opération puisse être sauvée. S’il en est ainsi, la responsabilité à l’égard de la contribution ne résulte pas du tout d’un contrat et ne donne pas lieu à indemnisation aux termes de la stipulation figurant dans la charte-partie … 

Néanmoins, d’habitude les parties à une opération maritime s’assurent contre la responsabilité à l’égard des contributions à l’avarie commune. Normalement la police d’assurance maritime prévoira une garantie contre les avaries communes et les contributions d’avarie commune, sous réserve des dispositions mêmes de la police. La Marine Insurance Act, 1906 énonce les règles relatives à la contribution d’avarie commune et à la responsabilité des assureurs à l’égard des avaries communes. Les paragraphes 66(3), (4) et (5) prescrivent ce qui suit :

66. …

[traduction] (3) Sous réserve des conditions imposées par le droit maritime, l’avarie commune donne droit à la partie à qui elle incombe de recevoir des autres parties intéressées une contribution proportionnelle appelée contribution d’avarie commune.

(4) Sauf stipulation contraire de la police, l’assuré qui a engagé une dépense d’avarie commune peut recouvrer auprès de l’assureur la proportion de la perte qui lui incombe; et l’assuré qui a fait un sacrifice d’avarie commune peut recouvrer auprès de l’assureur l’ensemble de la perte, sans avoir à exercer son droit à contribution auprès des autres parties tenues de contribuer.

(5) Sauf stipulation contraire de la police, l’assuré qui paie ou est tenu de payer une contribution d’avarie commune à l’égard de la chose assurée peut la recouvrer auprès de l’assureur.

Cependant, dans les cas d’opérations de sauvetage compliquées, il est souvent difficile de déterminer si la ou les mesures prises par l’armateur l’ont été dans l’intérêt de l’opération commune ou dans un intérêt particulier. Ainsi qu’il est écrit dans Arnould’s Law of Marine Insurance and Average, 16e éd., à la page 847 :

[traduction] De difficiles questions se sont posées quant à savoir comment les dépenses que Lowndes appelle des opérations de sauvetage compliquées doivent être supportées et réparties. Les opérations de cette nature sont très communes dans les cas d’échouement. Ainsi, lorsqu’un navire s’échoue sur une plage avec une cargaison à bord et qu’une série d’opérations distinctes s’imposent, il arrive souvent que la cargaison ou une partie de celle-ci soit placée en sécurité en premier lieu, tandis que le navire et peut-être le reste de la cargaison demeurent en danger et sont sauvés seulement par la suite des opérations. Les questions à examiner alors sont, premièrement, celle de savoir si les dépenses engagées pour les opérations initiales sont des avaries communes ou des frais de conservation à l’égard du navire sauvé et, deuxièmement, celle de savoir si les opérations subséquentes, qui sauvent le navire et le reste de la cargaison, sont des avaries générales, à la dépense desquelles la cargaison sauvée au début contribue ou si une telle dépense doit être supportée simplement par les intérêts auxquels les opérations se rapportent directement. Cela semble être un autre de ces cas, qui sont si communs en matière d’assurance maritime, où l’énonciation du principe à appliquer pose peu de difficultés, mais où son application même à des circonstances particulières pose beaucoup de difficultés. Le principe est simplement celui exposé de façon générale dans Svendsen v. Wallace (1885) 10 App. Cas. 404 … les dépenses engagées pour la sécurité générale donnent lieu à contribution, mais les dépenses engagées pour un intérêt particulier doivent être supportées en tant que frais de conservation pour cet intérêt. [C’est moi qui souligne.]

Il n’y a plus de désaccord entre les parties à la présente affaire quant à savoir si l’échouement du Pointe Levy a entraîné des dépenses d’avarie commune. On convient que, en retenant les services de la compagnie Smit pour alléger le chaland, le retirer de la grève et le remorquer jusqu’à Les Méchins, la demanderesse a encouru une dépense dans l’intérêt commun de toutes les parties concernées. Par conséquent, la responsabilité respective des défendeurs à l’égard de ces dépenses est établie correctement conformément aux principes du droit des avaries communes. Certaines de ces dépenses donnent lieu à indemnisation aux termes des polices d’assurance pertinentes. Il s’agit de savoir si elles peuvent être recouvrées entièrement des assureurs conformément aux principes du droit des avaries communes et/ou aux polices d’assurance ou si une partie de ces dépenses doit être supportée par Ultramar.

Il y a eu un long débat à l’audience quant à savoir si l’acte posé par la demanderesse pour retenir les services d’un sauveteur professionnel était motivé principalement, même uniquement, par les risques de pollution qu’entraînait l’échouement. Ces allégations se fondaient sur le fait que le pétrole qui fuyait du chaland avait déjà pollué jusqu’à un certain point un environnement fragile dans une région connue pour son industrie touristique et la pêche à la crevette et au saumon. La Garde côtière canadienne a informé Ultramar qu’elle devait prendre les mesures nécessaires, car sinon on le ferait à sa place.

Toutefois, les faits de l’espèce ne viennent pas étayer la conclusion que la prévention de la pollution était le seul motif ayant incité la compagnie pétrolière demanderesse à retenir les services d’un sauveteur professionnel. Elle faisait manifestement face à une situation grave qu’il lui fallait, dans des conditions atmosphériques très difficiles, maîtriser le plus rapidement et le plus efficacement possible. Il ne fait aucun doute qu’Ultramar a accompli cet acte d’avarie commune dans le but d’éviter une catastrophe écologique. Mais il ne fait pas de doute non plus que le sauvetage de la coque et de la cargaison était également une préoccupation importante. Il ressort de la preuve que, lors de la conclusion du contrat avec la société Smit, aucune des parties concernées ne savait que les dommages subis par le Pointe Levy étaient considérables au point d’en faire une perte réputée totale. Par conséquent, il faut également considérer que les efforts en vue du sauvetage ont été déployés par la demanderesse pour tenter de sauver le navire et la cargaison, comme elle était certainement tenue de le faire.

En effet, étant donné les circonstances exceptionnelles de l’espèce, il est impossible de dégager un seul et unique facteur de l’acte d’avarie commune. En fait, le contrat passé avec la société Smit, à savoir l’acte d’avarie commune, a été conclu pour un certain nombre de raisons et en vue de protéger plusieurs intérêts. À mon avis, les dépenses ont été engagées dans le but tant de sauver la cargaison et la coque que d’éviter un désastre écologique. Comme la préservation de leurs biens du péril a été l’une des raisons sous-jacentes des dépenses, les assureurs de la coque et de la cargaison en supportent la responsabilité en vertu du droit de l’avarie commune. La seule question à trancher pour la Cour concerne l’étendue de cette responsabilité.

LA RESPONSABILITÉ DES ASSUREURS DE LA CARGAISON

Il n’y a pas de contestation au sujet de l’assurance de la cargaison perdue et des dépenses qui y sont liées. La demande d’indemnité, au montant de 131 639,23 $, a été payée en entier et ne fait pas partie de la présente action.

Quant à l’étendue de la responsabilité de la cargaison à l’égard des dépenses engagées dans l’acte d’avarie commune, je suis convaincu que la responsabilité de la cargaison se limite à sa valeur contributive calculée adéquatement. Il ressort de la preuve présentée devant la Cour que c’est la pratique suivie par les experts en avarie dans le monde entier. Tous les experts en avarie assignés pour le compte des assureurs défendeurs ont témoigné que les biens sauvés ne sont tenus à l’avarie commune que jusqu’à concurrence de leurs valeurs contributives. En outre, les savants traités sur le sujet viennent étayer la conclusion que c’est un principe reconnu. Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Lowndes & Rudolf, intitulé The Law of General Average and the York-Antwerp Rules (11e édition, 1990, paragraphes 17.95 à 17.98), on reconnaît maintenant que la thèse selon laquelle [traduction] « la contribution d’avarie commune ne peut pas dépasser la valeur contributive » est acceptée presque universellement. Le même principe est formulé par Alex L. Parks dans The Law and Practice of Marine Insurance and Average (vol. 1) 1987, à la page 624 :

[traduction] Ainsi qu’il est mentionné, lorsque la dépense d’avarie commune dépasse la valeur totale fixée pour le navire et la cargaison, la cargaison n’est tenue à l’avarie commune que jusqu’à concurrence de sa valeur contributive.

Dans Chellew v. Royal Commission on the Sugar Supply, [1922] 1 K.B. 12, le tribunal d’appel, en confirmant la décision de première instance, a conclu que, si aucune cargaison ne subsistait, les assureurs de la cargaison n’étaient pas tenus aux avaries communes.

Dans la mesure où il y a des dépenses d’avarie commune « excédentaires » après épuisement des valeurs contributives, ces dépenses retombent sur l’armateur, qui est peut-être protégé contre elles aux termes de ses différentes polices, selon les polices souscrites et leur libellé. Dans Green Star Shipping Co., Ld. v. London Assurance, [1933] 1 K.B. 378, le juge Roche a déclaré, à la page 391 :

[traduction] Par conséquent, si l’armateur qui est l’assuré aux termes d’une police sous la présente forme engage une dépense d’avarie commune et si la contribution de la cargaison n’atteint pas ce à quoi l’on s’attendait en raison de la diminution ou de l’extinction de sa valeur avant la fin des opérations, j’estime alors que la perte entre dans la catégorie de la proportion de la perte qui retombe sur l’assuré, à savoir l’armateur, et est visée par ces termes de la Marine Insurance Act … 

Cependant, en l’espèce, la société Alexander & Alexander a réparti les dépenses d’avarie commune excédentaires entre le navire et la cargaison en fonction des valeurs déterminées par M. Airey. Ce faisant, A & A s’est inspirée du rapport de l’Association internationale de dispacheurs européens (AIDE) portant sur l’« avarie commune excédant les valeurs contributives ». Dans son rapport, l’AIDE a étudié une théorie concernant la répartition de l’avarie commune excédentaire qui a été proposée et rejetée lors d’une conférence tenue à Stockholm avant l’adoption de la version de 1924 des Règles d’York et d’Anvers. Une théorie semblable avait été examinée mais n’avait pas été retenue dans les Règles d’York de 1864. En effet, l’AIDE elle-même a conclu que l’avarie commune excédant les valeurs contributives crée de graves problèmes pratiques et, bien qu’elle ait exposé diverses solutions possibles, elle n’a présenté aucune recommandation. Chez les experts en avarie, il n’existe pas jusqu’à maintenant de règle d’avarie commune ni de pratique qui prévoient la répartition de l’avarie commune excédentaire entre les assureurs de la cargaison et ceux de la coque.

Il n’y a donc aucun précédent ni aucune pratique qui viennent étayer la méthode adoptée par Alexander & Alexander en ce qui concerne la cargaison. De fait, cette méthode va à l’encontre, de manière flagrante, de la pratique reconnue qui limite la contribution de la cargaison à sa valeur contributive.

La demanderesse soutient également que la clause 26B de la police sur la cargaison étend la protection lorsque les règles de l’avarie commune ne prévoient pas les montants à payer, en raison des faibles [traduction] « valeurs contributives nettes de la coque et de la cargaison ». Les clauses 26A et 26B de la police sont libellées ainsi :

[traduction] 26A Les frais d’avarie commune, de sauvetage et les frais spéciaux, suivant la coutume étrangère, seront payables conformément à la déclaration étrangère, et/ou suivant les Règles d’York et d’Anvers et/ou en conformité avec le contrat d’affrètement, selon les nécessités; ou, en l’absence de dispositions dans le contrat d’affrètement ou d’un contrat d’affrètement, elles seront payables en conformité avec les lois et usages du port de New York.

26B Les contributions d’avarie commune, les frais de sauvetage et les frais spéciaux ainsi que les frais de conservation et de prévention seront payables en entier, sans tenir compte de la valeur assurée et de la valeur contributive.

Je ne puis admettre les allégations de la demanderesse à cet égard. Le poids écrasant des témoignages offerts au procès par les experts vient étayer la conclusion selon laquelle la clause 26B a pour seul but de protéger l’assuré contre les conséquences de la sous-assurance qui pourraient se poser en vertu de l’article 73 de la Marine Insurance Act, 1906. Cet article, qui prévoit la coassurance dans le cas d’une différence entre la valeur assurée et la valeur contributive, est rédigé comme suit :

[traduction] 73. (1) Sauf stipulation contraire de la police, lorsque l’assuré a payé, ou est tenu de payer, une contribution d’avarie commune, l’indemnité est le montant entier de cette contribution si le bien tenu de contribuer est assuré pour sa pleine valeur contributive, … ou, si une partie seulement de ce bien est assurée, l’indemnité payable par l’assureur doit être réduite en proportion de la sous-assurance, et, lorsqu’il y a eu une avarie particulière qui constitue une déduction de la valeur contributive, et à laquelle l’assureur est tenu, ce montant doit être déduit de la valeur assurée afin de s’assurer que l’assureur est tenu de contribuer.

(2) Lorsque l’assureur est tenu aux frais de sauvetage, l’étendue de sa responsabilité se détermine selon le même principe.

En effet, M. Barstow, qui a témoigné à titre d’expert pour le compte de la défenderesse P & I Club, a dit que [traduction] « la clause ne pourrait avoir qu’un sens pour quelqu’un du milieu des assurances », et la doctrine et la jurisprudence sur le sujet confirment qu’il est d’usage d’inclure une telle clause dans la police afin d’éviter les effets de l’article 73. Dans son ouvrage intitulé The Law and Practice of Marine Insurance and Average, vol. 1, M. Parks indique, à la page 627 :

[traduction] En droit américain, les assureurs de la cargaison ne sont tenus à la pleine contribution d’avarie commune payable par l’assuré que si la valeur assurée de la cargaison est égale ou supérieure à la valeur en bon état sur laquelle était fondée la valeur contributive de la cargaison. Ainsi, en ce qui concerne la différence entre la valeur contributive de la cargaison et la valeur assurée, les propriétaires de la cargaison sont coassureurs avec leurs assureurs.

Il n’est pas étonnant qu’un courtier d’assurance maritime expérimenté comme Alexander & Alexander ait inclus la clause 26B dans la police sur la cargaison afin de protéger sa cliente contre les conséquences de ce principe reconnu. Il est révélateur que M. Barstow et M. Fitzgerald, dans leurs témoignages à titre d’experts pour le compte de la défenderesse P & I Club, qui n’avait rien à gagner mais de fait quelque chose à perdre en réduisant la responsabilité de la cargaison dans la présente affaire, aient tous deux déclaré qu’il est manifestement convenu dans le marché de l’assurance maritime que cette clause commune vise à protéger l’assuré contre la sous- assurance.

Non seulement l’interprétation de la clause proposée par la demanderesse n’est-elle pas appuyée par les experts commerciaux qui ont témoigné au procès, mais elle n’a même pas été avancée par Alexander & Alexander, le courtier qui a préparé la police et qui était poursuivi pour négligence pour ne pas avoir obtenu une protection adéquate pour la demanderesse. Il est significatif qu’il s’agisse d’une [traduction] « clause de courtier », insérée dans une police écrite à la main et préparée par le courtier, qui agit au nom de l’assuré. Dans une affaire comme la présente, où le courtier a été poursuivi pour négligence, s’il y avait eu une autre façon raisonnable d’interpréter la clause, on se serait attendu à ce que le courtier présente des témoignages d’experts à l’appui de son interprétation. Toutefois, aucun élément de preuve de ce genre n’a été produit pour le compte de la société Alexander& Alexander. Cette dernière n’a pas non plus présenté d’expertise pour étayer la prétention selon laquelle la clause avait un deuxième sens, autre que son sens clair et communément admis. De fait, Alexander & Alexander n’a jamais laissé entendre que l’indemnité demandée aux assureurs de la cargaison était fondée sur la clause 26B.

M. Wight et M. Cantello, courtiers assignés pour le compte de la demanderesse, ont reconnu que la clause traite de sous-assurance, mais ils ont suggéré qu’elle pourrait s’interpréter différemment. Cependant, ils n’ont pas pu fournir de sources à l’appui de leurs dires.

Je ne puis accepter non plus l’allégation de la demanderesse selon laquelle la règle d’interprétation contra proferentem devrait s’appliquer à la clause. Cette règle vise à dissiper une ambiguïté, et je n’en vois pas en l’espèce. Comme l’écrit E. R. Hardy Ivamy dans Marine Insurance, 4e éd., à la page 324 :

[traduction] À moins que l’on puisse établir que les mots ont une signification particulière à cause de décisions judiciaires, de l’usage, de circonstances particulières ou de conditions spéciales du contrat, les termes de la police s’interprètent selon leur sens courant et ordinaire.

À mon avis, la clause est claire et nullement ambiguë. Quand on la lit dans le contexte de l’article 73 de la Marine Insurance Act, 1906, il est évident que c’est la « contribution d’avarie commune » qui est payable en entier; c’est-à-dire la contribution de la cargaison à l’avarie commune, fixée conformément au droit et à la pratique en matière d’avarie commune. Le mot « entier » vient de l’article 73—« l’indemnité est le montant entier de cette contribution » [soulignements ajoutés] »et les mots « sans tenir compte … » renvoient aux mots « montant entier ». Je ne puis donc admettre l’allégation de la demanderesse selon laquelle la clause 26B fait que les assureurs de la cargaison sont tenus à l’avarie commune « en entier », et, par conséquent, en excédent de sa valeur contributive.

L’autre question qui concerne la responsabilité de la cargaison porte sur les frais spéciaux relatifs à la cargaison. M. Tull a reconnu s’être trompé en omettant de déduire de la valeur fixée pour la cargaison les [traduction] « frais spéciaux relatifs à la cargaison » qui ont été engagés pour décharger la cargaison du navire. Il faut déduire ces frais pour déterminer la valeur réelle de la cargaison aux fins de la contribution à l’avarie commune.

C’est la Règle XVII des Règles d’York et d’Anvers 1950 qui exige la déduction des frais spéciaux aux fins du calcul de la valeur contributive de la cargaison. Ce texte prévoit, entre autres, ce qui suit :

RÈGLE XVII. VALEURS CONTRIBUTIVES

La contribution à l’avarie commune sera établie sur les valeurs nettes réelles des propriétés à la fin du voyage … De la valeur des propriétés seront également déduits tous les frais y relatifs, postérieurs à l’événement qui donne ouverture à l’avarie commune mais pour autant seulement qu’ils n’auront pas été admis en avarie commune.

Cette déduction vise à ce que la contribution soit prise seulement sur la valeur « nette » des biens sauvés. Tous les témoins experts ont convenu qu’il aurait fallu faire la déduction dans la présente affaire, même s’ils n’étaient pas tous d’accord sur la valeur contributive exacte à utiliser pour déterminer la responsabilité de la cargaison au titre de l’avarie commune. M. Hicks, M. Tull, M. Fitzgerald et M. Barstow ont admis que les frais spéciaux relatifs à la cargaison s’élevaient à 818 097,62 $. En utilisant la valeur nette de la cargaison de 848 615,99 $ figurant à la page 66 du règlement révisé, M. Hicks, M. Fitzgerald et M. Tull semblent être d’accord pour dire que la valeur contributive de la cargaison est de 30 518,37 $ (848 615,99 $—818 097,62 $). Ce montant représente alors la responsabilité de la cargaison au titre de l’avarie commune. M. Barstow arrive à un montant légèrement différent et ajouterait les intérêts à la valeur contributive, mais, dans l’ensemble, ses calculs ne diffèrent guère de ceux des autres, et je suis convaincu que le montant de 30 518,37 $ constitue un calcul exact de la responsabilité de la cargaison au titre de l’avarie commune.

Pour ces raisons, la responsabilité des assureurs de la cargaison se chiffre à 331 254,99 $, montant qui est calculé ainsi :

Frais spéciaux relatifs à la cargaison

818 097,62 $

Avarie commune

  30 518,37 $

Sous-total

848 615,99 $

Acompte versé

(y compris les intérêts)

517 361,00 $

Solde dû

331 254,99 $

LA RESPONSABILITÉ DES ASSUREURS DE LA COQUE

Je passe maintenant à la responsabilité des assureurs de la coque et des machines. Ayant payé la valeur assurée de la coque au montant de 3 000 000 $, les assureurs de la coque ont rempli leur obligation d’indemniser Ultramar pour la contribution d’avarie commune. La demanderesse n’a donc aucun recours contre les assureurs de la coque à moins que ces derniers n’aient assumé, dans leur police d’assurance, des responsabilités plus grandes que celles que leur imposait la loi. Comme il a déjà été mentionné, il est bien établi que l’excédent de l’avarie commune retombe sur l’armateur seulement, sous réserve pour celui-ci de se faire rembourser en vertu de ses diverses polices d’assurance.

La police d’assurance sur la coque et les machines délivrée par la défenderesse Royal en faveur d’Ultramar à l’égard du Pointe Levy était assujettie aux American Institute Hull Clauses, qui comportaient la clause suivante sur les mesures conservatoires et préventives :

[traduction] Si une demande d’indemnité pour perte totale est admise en vertu de la présente police et si les dépenses relatives aux mesures conservatoires et préventives ont été raisonnablement engagées en excédent du produit de la vente obtenu ou de la valeur recouvrée, le montant payable en vertu de la présente police sera la proportion de cet excédent que le montant assuré (sans déduction de la perte ou des dommages) apporte à la valeur agréée ou à la juste valeur en bon état de ce navire au moment de l’accident, quelle que soit la valeur la plus élevée; sous réserve que la responsabilité des assureurs à l’égard de ces dépenses ne dépasse pas leur part proportionnelle de la valeur agréée. Ce qui précède s’applique également aux dépenses raisonnablement engagées pour sauver ou tenter de sauver le navire et les autres biens dans la mesure où ces dépenses sont considérées comme ayant été engagées à l’égard du navire.

En se fondant sur cette clause ainsi que sur l’évaluation du chaland faite le 16 décembre 1985 par M. Airey, le représentant d’Ultramar, M. Tull a conclu dans son règlement d’avarie que la compagnie d’assurance Royal était tenue de payer 1 305 837,45 $ au titre de l’excédent de l’avarie commune.

Pour définir l’étendue de la responsabilité de la compagnie d’assurance Royal, il s’agit de savoir comment on évalue un navire dans des circonstances comme celles où le Pointe Levy a été retrouvé à la suite de l’échouement. Il y a trois possibilités :

1. Les valeurs relatives de la coque et de la cargaison établies au début du voyage aux montants de 1 120 000 $ et 999 568,20 $ respectivement;

2. Leurs valeurs sur la grève, telles qu’elles ont été établies par M. Airey et utilisées par Alexander & Alexander, aux montants de 1 420 000 $ et de 949 345,42 $;

3. Les valeurs contributives en avarie commune, soit environ 8 000 $ pour la coque et 30 000 $ pour la cargaison.

Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les estimations faites par M. Airey avant l’examen du Pointe Levy en cale sèche ne conviennent pas pour établir une valeur aux fins du calcul de la contribution du chaland à l’avarie commune excédentaire aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives. À l’époque de la conclusion du contrat avec la société Smit, aucun des inspecteurs présents n’avait osé émettre une opinion sur le montant des dommages subis par le chaland, pour la simple raison que ce n’était pas possible de le faire. De fait, le 4 décembre 1985, M. Airey a informé ses commettants par télex de son évaluation des dépenses courantes, mais il a exclu expressément [traduction] « les dommages causés à la coque, la cale sèche, etc. »

La première véritable tentative pour calculer le montant des dommages subis par le chaland est venue de M. Airey le 9 décembre 1985, soit quatre jours après que les services de Smit eurent été retenus. Le même jour, M. Airey a évalué le coût de réparation de la coque à 600 000 $. Le 16 décembre, en se limitant aux [traduction] « seuls dommages connus », il a estimé le coût de réparation de la coque à 700 000 $ et a informé la demanderesse que toutes les dépenses résultant de l’échouement [traduction] « pouvaient s’élever » à 3 450 000 $. C’est à cette évaluation que M. Tull et son supérieur chez Alexander & Alexander, M. Leo Walsh, ont attaché tellement d’importance par la suite.

Il convient de noter que M. Carlos Laguna, représentant sur place d’Amacan à Matane, n’avait fourni à M. Airey aucune estimation quant à l’ampleur des dommages subis par la carène pendant que le Pointe Levy était sur la grève. Il est également révélateur que, lorsqu’il a été prié par M. Airey de souscrire à l’estimation de 600 000 $ donnée le 9 décembre 1985, M. Rossi a refusé de le faire, car il ne croyait pas posséder suffisamment de renseignements sur l’importance des dommages subis par le chaland pour pouvoir établir une évaluation raisonnable du coût des réparations. M. Airey a confirmé durant son témoignage au procès que M. Rossi n’a pas participé à la formulation des estimations ni n’a jamais indiqué qu’il y souscrivait.

M. Rossi a témoigné que, quant à lui, le fait de savoir que certaines citernes fuyaient ne l’aidait guère dans l’évaluation des dommages subis par la carène, parce qu’il ne pouvait pas déterminer si cela signifiait le remplacement de [traduction] « trois livres ou de trois cents livres » d’acier. Il a déclaré : [traduction] « Était-ce un trou d’un pied, de trois pieds, de trois verges, de trois milles? Je ne le savais pas. » Il a également insisté sur la prudence dont l’inspecteur de coque doit faire preuve lorsqu’il fournit des évaluations portant sur l’ampleur des dommages subis par le navire et le coût des réparations, et il a été intransigeant sur le fait que le coût des réparations ne pouvait être fixé qu’une fois que le navire était en cale sèche. Si la compagnie d’assurance Royal lui avait demandé de fournir une estimation des dommages, il lui aurait indiqué qu’il ne pouvait pas le faire.

En toute justice pour M. Airey, cependant, il a dit, durant son témoignage au procès, s’inquiéter de ce que les estimations qu’il avait remises à Ultramar aient été adoptées et utilisées par la suite à une fin entièrement différente de celle qu’il visait au moment où il les faisait. De plus, il est ressorti clairement de son témoignage qu’il n’a jamais considéré ses estimations comme une source fiable pour évaluer ce qui subsistait du Pointe Levy. À cet égard, M. Airey a qualifié ses estimations d’[traduction] « audacieuses »; un « calcul rapide et approximatif »; « sous réserve … [quant à l’existence de] dommages importants à la carène »; et « pas une estimation ou description des dommages ». À une occasion au cours de son témoignage, il a fait la remarque suivante : [traduction] « Je dois dire qu’on ne peut pas vraiment appeler cela une estimation, parce que c’est loin d’être exact. » De fait, il a reconnu ne pas avoir consacré plus de dix à quinze minutes à évaluer le coût de réparation du chaland.

Enfin, il a admis que, dès le 5 décembre 1985, il avait prévu l’importance des dommages, tout particulièrement en ce qui concernait les citernes à double fond, même s’il ne pouvait pas confirmer ses doutes. Toutefois, il savait le 16 décembre 1985, lorsqu’il a procédé à l’évaluation qui devait jouer un si grand rôle dans la présente affaire, qu’il était vraiment possible que les dommages subis par le Pointe Levy soient beaucoup plus graves qu’on ne l’estimait.

Compte tenu de tout cela, il est difficile de concevoir comment la société Alexander & Alexander aurait pu se fonder logiquement sur ces évaluations du 9 et du 16 décembre 1985 pour déterminer l’étendue de la responsabilité de la défenderesse Royal aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives. Néanmoins, elles devaient être la pierre angulaire du règlement d’avarie rédigé par M. Tull en ce qui concernait les dépenses d’avarie commune excédentaires et constituer le fondement de sa décision d’attribuer à la défenderesse Royal une part de responsabilité de 1,3 million de dollars relativement à ces dépenses.

Je suis convaincu que la société Alexander & Alexander avait un motif d’agir ainsi, puisqu’elle était le courtier qui avait engagé l’assureur pour Ultramar. Elle se trouvait donc dans une situation délicate et était soucieuse naturellement de maintenir de bonnes relations avec sa cliente. Lorsque, très tôt, des doutes ont commencé d’apparaître quant à la possibilité pour Ultramar de recouvrer toutes ses dépenses auprès de ses assureurs, Alexander & Alexander a soutenu fermement la position selon laquelle il y avait couverture complète, et elle a donné des garanties suivies à la demanderesse à cet effet. Dans ce contexte commercial, je ne doute pas que la défenderesse Alexander & Alexander était également consciente de la possibilité que naisse un litige au cas où Ultramar ne serait pas pleinement assurée.

Néanmoins, cela ne change rien au fait que l’expert en avarie commune doit fonder de façon crédible ses évaluations sur des faits solides, et non pas sur des théories échafaudées en vue d’atteindre un résultat souhaité. Les évaluations de M. Airey ne peuvent pas offrir un fondement crédible pour établir les obligations de la défenderesse Royal aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives. J’admets donc la prétention de la défenderesse Royal selon laquelle ces évaluations ne doivent pas servir de base aux calculs de sa contribution aux dépenses d’avarie commune excédentaires. Dans les circonstances, ces évaluations ne peuvent être considérées que comme des conjectures. La situation était telle qu’il n’était pas possible de vérifier l’ampleur des dommages ou le coût des réparations tant que le Pointe Levy n’était pas en cale sèche.

Sur quoi peut-on alors se fonder convenablement pour déterminer l’obligation de la défenderesse Royal de contribuer aux dépenses d’avarie commune excédentaires aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives? Encore une fois, le libellé de la clause ne révèle aucune ambiguïté qui nécessiterait l’application de la règle d’interprétation contra proferentem. En outre, la notion d’equity sur laquelle la demanderesse s’appuie si fermement n’est pas un facteur qui joue un rôle dans cette détermination. Plus de 7 000 000 $ ont été ou seront versés par les assureurs défendeurs à la suite d’un risque mettant en jeu une valeur combinée de 3 100 000 $ en ce qui a trait à la coque et à la cargaison, et Ultramar était loin d’être dans une situation désavantageuse sur le plan économique par rapport à ses assureurs. Bien que l’absence de valeurs subsistantes significatives puisse avoir des conséquences non voulues pour l’assuré, il ne faut pas voir là une injustice.

Il ne peut guère y avoir de doute que les dommages considérables observés après que le Pointe Levy eut été conduit en cale sèche existaient au moment où il a été remis à flot le 16 décembre 1985. La preuve laisse également supposer, selon une prépondérance évidente des probabilités, que le navire était dans le même état avant que ne soient retenus les services de la compagnie Smit. Le mouvement du Pointe Levy qui a causé la fuite de pétrole et a mené à l’embauche de la société Smit est survenu dans la nuit du 3 décembre 1985. Dans la nuit du 6 décembre 1985, il y a eu un autre mouvement du chaland, de 300 à 400 pieds en aval et parallèle au rivage. Aucune autre fuite de pétrole n’a été notée, ce qui laisserait supposer qu’il n’en ait résulté aucun dommage matériel. De toute façon, rien n’indique que, quel que soit le dommage qui ait pu survenir à ce moment-là, il a créé la situation de perte totale ou y a contribué. Le chaland était donc en fait une perte réputée totale dès le 4 décembre.

Dans la répartition de l’excédent de l’avarie commune selon la clause sur les mesures conservatoires et préventives, la doctrine et le témoignage de M. Raymond Hicks montrent que, pour évaluer correctement le chaland, il faut utiliser les valeurs qui existaient lorsque la dépense a été engagée. Même si la jurisprudence ou les commentateurs juridiques ont peu traité de l’évaluation d’un navire aux fins de la clause sur les mesures conservatoires et préventives, la proposition selon laquelle il faut employer les valeurs réelles par opposition aux valeurs estimées tire son autorité de Lowndes et Rudolf, The Law of General Average and the York-Antwerp Rules, 10e éd., où les auteurs écrivent, à la page 430 :

[traduction] Les assureurs doivent payer la proportion des dépenses de cette catégorie « qui peuvent raisonnablement être considérées comme ayant été engagées à l’égard du navire ». Comment la répartition doit-elle se faire? Ce ne peut pas être en fonction des valeurs fixées, car le navire, par hypothèse, n’en a aucune ou presque aucune. Le choix existe entre, d’une part, les valeurs en bon état et, d’autre part, les valeurs réelles au moment où la dépense a été engagée (mais sans déduction au cas où les intérêts seraient perdus). On soutient que la deuxième solution est la plus plausible.

Dans la onzième et dernière édition du texte, les auteurs reconnaissent, à la page 610, que :

[traduction] … bien que la clause ne donne aucune directive précise, on soutient que les dépenses infructueuses(ou l’excédent sur tout produit de la vente)doivent être réparties par rapport aux valeurs approximatives du bien que l’on cherche à sauver, et dans l’état où il serait vraisemblablement sauvé; [C’est moi qui souligne.]

En l’espèce, la valeur réelle du Pointe Levy, dans l’état où il serait vraisemblablement sauvé, au moment de la conclusion du contrat avec Smit, était nulle. Il n’y a aucune raison logique pour laquelle l’évaluation du chaland échoué sur le rivage, à toute fin significative, y compris l’établissement de la contribution de la défenderesse Royal à l’excédent de l’avarie commune, n’ait pas été reportée jusqu’à l’inspection du navire en cale sèche à Les Méchins. C’est particulièrement vrai lorsqu’on considère que l’état du chaland n’a pas changé après le 16 décembre 1985 et que, selon toute probabilité, il n’a pas changé de façon significative entre le 5 décembre 1985 et le moment où on a procédé aux inspections en cale sèche.

Même M. Tull a reconnu qu’il aurait utilisé la « valeur réelle » du chaland échoué sur le rivage, aux fins du calcul de la contribution de la défenderesse Royal à l’excédent d’avarie commune si les évaluations de M. Airey n’avaient pas existé. Les passages suivants du contre-interrogatoire de M. Tull du 25 mai 1993 sont particulièrement pertinents :

[traduction] Q. Supposons qu’il [M. Airey] n’ait fourni aucune évaluation le 11 ou le 16. Gardons tous les autres faits, comment auriez-vous abordé la situation, ou quelles possibilités s’offraient à vous?

R. Évidemment, si le navire était une perte totale à l’époque, nous aurions examiné de près la mutuelle de protection et d’indemnisation pour les frais de déplacement de l’épave. Et les dépenses d’avarie commune, le cas échéant, engagées jusqu’à ce moment-là, probablement, il n’y aurait eu absolument aucune valeur contributive en ce qui concernait le navire et la cargaison.

Q. Maintenant, je veux que vous suiviez ce qui est arrivé ici, le navire est allé en cale sèche. Et vous avez préparé le règlement d’avarie, comme vous l’avez expliqué dans ce document, en fonction des valeurs réelles aux fins de l’excédent d’avarie commune parce que vous aviez l’évaluation du 16 de M. Airey.

R. Oui.

Q. Maintenant, dans ce scénario, si M. Airey ne vous avait pas fourni d’évaluation. Ainsi, le présent cas, sans les évaluations de M. Airey.

R. Bien, je pense que, dans ce cas, si nous n’avions eu aucune évaluation et si les circonstances avaient été exactement les mêmes, en toute probabilité, nous aurions examiné de près les valeurs qui ont été utilisées pour l’avarie commune.

Q. Les valeurs réelles.

R. Les valeurs réelles.

Q. Ainsi, vous êtes en train de dire que, si M. Airey ne vous avait pas fourni d’évaluation le 11 ou le 16, vous auriez utilisé les valeurs réelles?

R. Oui, elles auraient été les seules valeurs dont nous aurions disposé. [C’est moi qui souligne.]

La valeur réelle du Pointe Levy, qu’il se trouvât sur le rivage avant la conclusion du contrat avec la société Smit ou en cale sèche à la fin des opérations, était nulle, car, à toutes les époques pertinentes, c’était une perte réputée totale, état de fait que ne peut modifier aucun moyen ou prétention avancé par Ultramar ou Alexander & Alexander.

À mon avis, la valeur qu’il faut employer dans le calcul de la responsabilité de la défenderesse Royal à l’égard de ces dépenses est le montant remboursé qui consistait dans la valeur du mazout retiré du chaland et consommé pour le remettre à flot. Il ressort maintenant de la preuve que le montant remboursé de 17 214 $, dont M. Tull s’est servi dans le calcul de la valeur du Pointe Levy aux fins de l’avarie commune, n’était pas correct. Il a cru par erreur que deux quantités de mazout, de 5 000 et de 4 600 gallons respectivement, avaient été retirées du chaland et consommées dans l’opération de sauvetage. Cependant, la quantité de 5 000 gallons, ainsi qu’il s’est avéré, provenait d’une installation située sur la côte, à Matane, non pas du chaland, et seule une partie de la quantité de 4 600 gallons retirée du Pointe Levy a été consommée au cours de la remise à flot. Le reste a servi à faciliter le déchargement de la cargaison de mazout du chaland pendant que celui-ci était en cale sèche.

On ne conteste pas que, aux fins du calcul du montant remboursé, il faille tenir compte seulement de la quantité de mazout consommée au cours de la remise à flot. Malheureusement, personne ne pouvait quantifier ce montant avec quelque certitude, et la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve qui serait de quelque utilité que ce soit, bien que, à mon avis, l’obligation de calculer exactement et de prouver le montant remboursé incomberait à Ultramar et/ou à Alexander & Alexander. Les éléments de preuve produits à cet égard indiquent que le montant de 8 000 $ représente assez exactement la valeur du mazout consommé en rapport avec la remise à flot.

Je conclus donc que la défenderesse Royal est tenue, aux termes de la clause sur les mesures conservatoires et préventives, de payer 423 512,91 $ au titre des dépenses d’avarie commune excédentaires, montant réparti en fonction de la somme remboursée et de la valeur nette de la cargaison subsistante. On obtient ce montant en divisant la somme remboursée de 8 000 $ par la valeur totale de ce qui est considéré comme subsistant (soit 8 000 $ pour le chaland et 30 518,37 $ pour la cargaison, pour un grand total de 38 518,37 $) et en multipliant le résultat par le montant de l’avarie commune excédentaire de 2 039 128,46 $.

LA RESPONSABILITÉ DE LA MUTUELLE DE PROTECTION ET D’INDEMNISATION

Je passe maintenant à la responsabilité du Standard P & I Club. Le Standard Club est une association mutuelle comme celles qui sont reconnues à l’article 85 de la Marine Insurance Act, 1906. L’assurance signée par Alexander & Alexander au nom d’Ultramar excluait certains des risques couverts par ailleurs aux termes des règles du Club. La seule règle se rapportant à la présente affaire [traduction] « excluait les engagements pris à l’égard de la cargaison » et figurait sur le récipissé d’assurance. Toutefois, même sans cette exclusion, la participation aux engagements pris à l’égard de la cargaison ne s’applique pas puisque les règles du Club fournissent une protection contre la responsabilité et n’assurent pas les membres contre la perte de leurs propres biens ou les dommages subis par ces derniers.

Selon la règle 19, le Club n’offrait pas de protection

[traduction] … contre les frais de sauvetage ou d’autres services de la nature du sauvetage et contre les frais y afférents en rapport avec un navire inscrit—sous réserve que les exceptions suivantes ne s’appliquent pas aux demandes d’indemnité présentées en vertu des paragraphes suivants de la règle 20 : le paragraphe (14)e )—concernant les dépenses des sauveteurs—le paragraphe (23)—concernant la proportion d’avarie commune de la cargaison et—le paragraphe (24)—concernant la proportion d’avarie commune du navire.

Les règles 20(23) et (24) ne s’appliquent pas du fait que, en ce qui concerne la cargaison, la protection visait seulement l’avarie commune [traduction] « qui ne peut pas légalement donner lieu à indemnisation uniquement en raison de l’inexécution du contrat de transport » et, en ce qui concerne le navire, la protection visait seulement la responsabilité découlant [traduction] « de ce que la valeur du navire inscrit a été déterminée pour la contribution à l’avarie commune ou au sauvetage à une valeur en bon état en excédent de la valeur assurée aux termes des polices sur corps ». Il n’y avait pas de contrat de transport dans la présente affaire et, même s’il y en avait eu un, on n’a prouvé aucun manquement à un tel contrat. L’échouement du Pointe Levy a été un accident pur et simple. La valeur assurée aux termes de la police sur corps dépassait la valeur marchande du navire en bon état.

Selon la règle 20(14), la mutuelle de protection et d’indemnisation offrait également une protection contre les risques de pollution

[traduction] SOUS RÉSERVE que ces dépenses ou engagements ne donnent pas lieu à indemnisation en vertu de la police sur corps ou de toute autre assurance;

(e) Tout engagement d’un armateur aux termes d’un contrat de sauvetage à indemniser les sauveteurs pour le travail effectué ou les mesures prises pour prévenir ou réduire la pollution ou les risques de celle-ci par l’écoulement de pétrole ou de toute autre substance du navire inscrit;

(f) Tout engagement contracté par l’armateur après que le navire inscrit est devenu une épave et découlant du déchargement ou de l’écoulement de pétrole ou de toute autre substance de cette épave; [C’est moi qui souligne.]

Je suis convaincu qu’il ne devrait y avoir recours à l’assurance mutuelle de protection et d’indemnisation en tant qu’assurance responsabilité que si notre Cour concluait que les dépenses de sauvetage ont été engagées seulement pour prévenir la pollution ou qu’il y a eu déplacement obligatoire d’épave parce que la Garde côtière avait ordonné de mettre le navire en cale sèche alors qu’il se trouvait sur la grève. Il a toujours été évident que le Pointe Levy n’était pas une épave, et il n’y a pas eu d’ordonnance enjoignant de déplacer une épave.

Comme il a déjà été mentionné, même si le risque de pollution du fleuve Saint-Laurent et de son littoral était une préoccupation prédominante, ce ne fut ni le facteur principal ni le seul facteur qui ait sous-tendu la décision de recourir aux services d’un sauveteur professionnel. Le fait est que les services des sauveteurs n’ont pas été retenus dans le seul but de prévenir ou de réduire la pollution et qu’ils n’ont rien fait de particulier en ce sens. Bien que l’activité pour laquelle on a eu recours à leurs services—alléger la cargaison, remettre le navire à flot et le conduire à un port de refuge—ait eu accessoirement pour effet de prévenir une plus grande pollution, c’est Ultramar qui, au moyen des contrats passés avec la Garde côtière et Sanivan, a fait le nécessaire pour empêcher ou réduire la pollution. La demanderesse a été pleinement indemnisée de ses dépenses par le P& I Club.

Le Standard Club a payé sa contribution conformément au règlement d’avarie révisé et n’est pas tenu davantage aux dépenses d’avarie commune engagées.

LA RESPONSABILITÉ D’ULTRAMAR

À mon avis, sauf la partie qui doit être payée par les assureurs de la coque et de la cargaison, les autres frais découlant du contrat conclu avec la société Smit doivent être supportés par Ultramar.

Au cours du procès, les avocats de la demanderesse ont fait un certain nombre d’observations au sujet des droits en equity, des attentes raisonnables et du comportement des parties. Tout d’abord, il ne s’agit pas ici d’une affaire fondée sur l’equity. Si l’on considère les différents intérêts auxquels devait profiter l’acte d’avarie commune, deux choses apparaissent clairement. L’acte d’avarie commune visait à sauver la coque et la cargaison, et les parties sont donc tenues de payer leur part proportionnelle de ces dépenses.

Mais l’autre raison de la conclusion du contrat, à savoir la prévention d’un désastre écologique, allait manifestement dans le sens des meilleurs intérêts d’Ultramar. La possibilité d’un important déversement accidentel de pétrole était une question majeure depuis le début de l’échouement. Ultramar a dépêché sur les lieux sa propre équipe de lutte à la pollution et a, depuis les tout débuts, travaillé avec la Garde côtière canadienne pour nettoyer le déversement accidentel survenu et prévenir toute pollution supplémentaire. En effet, M. Airey a témoigné que la responsabilité quant à la pollution aurait pu s’élever à 30 000 000 $ si le chaland s’était disloqué. La fragilité de l’environnement local, sa dépendance du tourisme, les frais de 3 000 000 $ engagés pour le nettoyage du déversement accidentel limité qui était survenu et la surveillance étroite des groupes environnementaux et des médias ne font aucun doute qu’il était dans l’intérêt direct d’Ultramar de prendre les mesures nécessaires pour empêcher un désastre écologique. Il ne fait pas de doute que, si la situation s’était transformée en un déversement accidentel massif de pétrole, la responsabilité éventuelle de la demanderesse aurait été considérable.

La conséquence ultime en l’espèce, à savoir qu’Ultramar elle-même doive supporter une part des frais découlant du contrat de sauvetage passé avec la société Smit, ne peut pas être considérée comme inéquitable. L’assurance totale est une chose rare. Il n’est pas inéquitable que, dans un cas important de pollution aux hydrocarbures, mettant en jeu des questions compliquées de fait et de droit, une partie du sinistre ne soit pas assurée et retombe sur la pétrolière internationale qui était propriétaire du navire et de sa cargaison. Si l’equity doit jouer un rôle dans la présente décision, il convient de se rappeler que la demanderesse a reçu environ 7 millions de dollars de ses différents assureurs, dont une somme d’environ 900 000 $ en excédent de la valeur de la coque elle-même. Je ne décèle aucune injustice dans le fait d’exiger qu’Ultramar supporte les frais nécessaires pour éviter une plus grande responsabilité par comparaison avec l’obligation des assureurs des biens de payer des dépenses qui n’ont pas entraîné le sauvetage des biens.

Comme M. Hicks l’a signalé au cours du contre-interrogatoire, la coque du Pointe Levy était assurée pour une valeur de 3 000 000 $, ce qui était supérieur de 900 000 $ à sa juste valeur marchande. Il n’y a rien d’injuste ou d’« inéquitable » à cela. Un armateur peut avoir de nombreuses raisons de se protéger contre les événements imprévus, dont la possibilité qu’il subisse des dépenses ou des pertes qui ne sont pas garanties pleinement par ses polices d’assurance. Un tel imprévu consiste dans des dépenses d’avarie commune excédentaires qui ne donnent pas lieu à indemnisation aux termes des différentes polices d’assurance.

La demanderesse prétend également que les tribunaux doivent donner effet aux attentes raisonnables des parties. Cependant, Ultramar est une grande pétrolière qui possède un service important et expérimenté de gestion des risques. C’est un acheteur chevronné d’assurances. Alexander & Alexander est l’un des plus gros courtiers d’assurances du monde. Cette société a établi la police sur cargaison pour le compte d’Ultramar, qui est sans doute une cliente extrêmement importante et précieuse. Compte tenu de ces faits, je suis convaincu que les attentes raisonnables de la demanderesse doivent se trouver dans le libellé clair et bien compris sur le plan commercial des polices établies par son courtier.

CONCLUSION

Pour les motifs susmentionnés, les sommes nettes dues à la demanderesse en vertu des polices d’assurance sont les suivantes :

Assureurs de la cargaison

331 254,99 $

Assureurs de la coque

423 512,91 $

Le reste des dépenses doit être supporté par la demanderesse.

Dans les circonstances et vu les erreurs très graves contenues dans le règlement d’avarie révisé, j’accorde des intérêts au taux prescrit par la Règle XXI des Règles d’York et d’Anvers 1950, soit 5 % par année à compter de la date du règlement révisé. La demanderesse n’a pas fait connaître de circonstance qui justifierait un intérêt composé.

Comme la somme due par les défendeurs représente seulement une modeste partie de la somme réclamée par la demanderesse, et à cause des dépenses importantes que les défendeurs ont engagées dans la défense de la présente action, il n’y aura pas d’ordonnance quant aux dépens.

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