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[1995] 3 C.F. 354

A-333-94

Byers Transport Limited (appelante)

c.

Dorothy Kosanovich et Clint S. Mellors (intimés)

Répertorié : Byers Transport Ltd. c. Kosanovich (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Strayer et Linden, J.C.A.—Edmonton, 20 juin; Ottawa, 18 juillet 1995.

Relations du travail — Congédiée apparemment parce que l’employeur désirait réduire ses frais, l’intimée croyait plutôt qu’il la soupçonnait d’appuyer la campagne de syndicalisation du personnel de bureau — Dépôt d’une plainte de congédiement injuste fondée sur l’art. 240 du Code canadien du travail ainsi que d’une plainte relative à une pratique déloyale aux termes de l’art. 97, laquelle a été abandonnée plus tard — L’art. 242(3.1)a) interdit l’examen d’une plainte lorsque le licenciement a été causé par la suppression d’un poste — L’art. 242(3.1)b) interdit l’examen d’une plainte lorsque la loi prévoit un autre recours — L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas eu suppression d’un poste, étant donné que la redistribution des tâches avait été faite de mauvaise foi — La conclusion touchant le congédiement injuste est fondée sur la conclusion relative à la compétence — Le juge de première instance a conclu que la décision de l’arbitre n’était pas « manifestement déraisonnable » — Il n’était pas d’accord quant à l’application de l’art. 242(3.1)b) — Même si le juge a appliqué un critère erroné quant à l’examen de la décision relative à la compétence, aucune erreur susceptible de révision n’a été commise en ce qui a trait à l’application de l’art. 242(3.1)a) — La redistribution des tâches sera considérée comme une suppression de poste uniquement si elle est faite de bonne foi — Il y avait des éléments de preuve permettant de conclure que la redistribution était fondée sur un motif inapproprié — Étant donné qu’il a pour effet de restreindre la compétence, l’art. 242(3.1)b) devait être examiné — L’art. 97 prévoit une autre procédure de recours, même si les réparations ne sont pas les mêmes — La procédure prévue à la partie III est résiduelle et devrait être utilisée uniquement dans les cas où la partie plaignante ne peut établir l’existence d’une pratique déloyale.

Pratique — Frais et dépens — Ayant conclu que l’intimée avait été congédiée injustement, l’arbitre a ordonné la réintégration de celle-ci et condamné l’employeur à payer les frais — Le juge de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire, confirmé l’octroi des dépens et accordé des dépens procureur-client dans la demande de contrôle judiciaire — L’employeur a modifié sa position devant la Cour d’appel au sujet du motif de congédiement — Sa conduite a eu pour effet d’accroître considérablement les frais et a forcé la présentation d’une demande de contrôle judiciaire — Même si l’employée n’a pas eu gain de cause devant la Cour d’appel fédérale, des dépens procureur-client lui sont accordés tant pour la demande de contrôle judiciaire présentée en première instance que pour l’appel.

Il s’agit d’un appel du rejet d’une demande visant à infirmer la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’intimée avait été congédiée injustement. L’intimée Kosanovich a été congédiée lorsque le syndicat des Teamsters tentait de syndiquer le personnel du bureau où elle travaillait. La direction a soutenu qu’elle avait aboli le poste de l’intimée afin de [traduction] « réduire nos frais d’exploitation », mais l’intimée estimait avoir été congédiée parce que l’employeur la soupçonnait d’appuyer le syndicat. Elle a déposé une plainte de congédiement injuste sous le régime de l’article 240 du Code canadien du travail (partie III du Code) ainsi qu’une plainte fondée sur l’article 97 (partie I), selon laquelle l’employeur avait poursuivi une pratique déloyale en la congédiant parce qu’il la soupçonnait de participer à des activités syndicales. L’employeur et le syndicat se sont entendus pour régler cette dernière plainte, mais l’intimée a rejeté le règlement et a retiré sa plainte fondée sur l’article 97. Au cours de l’audition de la plainte fondée sur l’article 240, l’employeur a soutenu que l’intimée avait été renvoyée dans le cadre de mesures de compression visant à éliminer les coûts. Cet argument a donné lieu à la question de savoir si l’arbitre avait la compétence voulue pour examiner la plainte en vertu du paragraphe 242(3.1), qui interdit à un arbitre d’examiner la plainte lorsque le licenciement a été causé par un manque de travail ou par la suppression d’un poste. L’alinéa 242(3.1)b) interdit l’examen d’une plainte lorsqu’une loi fédérale prévoit un autre recours. L’employeur n’a soulevé aucune question liée à l’alinéa 242(3.1)b) devant l’arbitre et celui-ci n’a pas fait allusion à une question de cette nature dans sa décision. L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas eu de licenciement ni de suppression du poste de l’intimée, étant donné que l’employeur a confié les fonctions de celle-ci à d’autres personnes de mauvaise foi, parce qu’il la soupçonnait de participer à des activités syndicales. L’arbitre a ordonné la réintégration de l’intimée et le paiement du salaire et des avantages qui lui étaient dus ainsi que des frais. Selon l’arbitre, la décision relative à la question de la compétence était également déterminante quant à celle du congédiement injuste. Le motif de la conclusion relative au congédiement injuste était donc le fait que l’appelante soupçonnait l’intimée de participer à des activités syndicales. Le juge de première instance a statué que la décision de l’arbitre n’était pas « manifestement déraisonnable » et confirmé que l’arbitre avait appliqué le critère approprié en ce qui a trait au « licenciement » et à la « suppression d’un poste ». Le juge n’a pas retenu l’argument de l’employeur selon lequel l’alinéa 242(3.1)b) avait pour effet d’éliminer la compétence de l’arbitre. Il a confirmé l’octroi des dépens et accordé à l’intimée des dépens sur la base procureur-client dans la demande de contrôle judiciaire.

Les questions en litige étaient celles de savoir si le critère d’examen des décisions relatives à la compétence est celui du caractère manifestement déraisonnable ou celui de l’absence d’erreur, si l’arbitre n’avait pas la compétence voulue en vertu des alinéas 242(3.1)a) ou b) et si l’intimée avait droit à l’octroi des frais engagés devant l’arbitre ainsi que des dépens procureur-client engagés devant le juge de première instance.

Arrêt (le juge Marceau, J.C.A. dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Strayer, J.C.A. (à l’avis duquel a souscrit le juge Linden, J.C.A.) : Le critère d’examen d’une conclusion relative à la compétence est celui de l’absence d’erreur, malgré la clause privative de l’article 243.

L’application de l’alinéa 242(3.1)a) ne comportait aucune erreur susceptible de révision, même lorsque le critère d’examen approprié, soit celui d’absence d’erreur, est appliqué. Le juge de première instance a eu raison de conclure que la décision de l’arbitre quant au fait qu’il n’y avait pas eu « suppression d’un poste » ne renfermait aucune erreur susceptible de révision. La redistribution des tâches d’une personne licenciée peut constituer une suppression des fonctions de celle-ci uniquement lorsqu’elle est faite de bonne foi et pour des motifs appropriés, comme les compressions budgétaires et les problèmes économiques. Il y avait une preuve substantielle qui permettait à l’arbitre de conclure que l’employeur avait procédé à la réaffectation de mauvaise foi, dans le but ultérieur de se débarrasser de l’intimée, parce qu’il croyait que celle-ci appuyait la syndicalisation des employés de bureau. L’arbitre a appliqué les principes de droit appropriés à cette conclusion de fait bien fondée et a jugé qu’il n’y avait pas eu de suppression d’un poste au sens de l’alinéa 242(3.1)a).

L’alinéa 242(3.1)b) restreint la compétence de l’arbitre et celui-ci devait, d’abord et avant tout, déterminer si cette disposition l’empêchait d’examiner la plainte. Le silence ou le consentement explicite ou tacite des parties à ce sujet ne l’excuse pas de son omission. Le fait qu’il n’a pas examiné cette question n’empêche pas la Cour d’appel fédérale de déterminer s’il a outrepassé ou non sa compétence.

Le juge de première instance a commis une erreur en rejetant l’objection fondée sur l’alinéa 242(3.1)b). L’article 97 prévoit « un recours » à l’égard des plaintes relatives à un congédiement motivé par la participation de l’employé à des activités syndicales aux termes du paragraphe 94(3), qui interdit à l’employeur de faire des distinctions injustes à l’égard des employés en raison de leurs activités syndicales. La plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l’autre « recours », mais il n’est pas nécessaire que les réparations prévues dans l’autre disposition soient égales ou supérieures pour que l’arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n’exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours; elle exige simplement qu’un autre recours existe à l’égard de la même plainte. Cette procédure doit permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation.

Lorsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d’examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d’examiner la même question. La procédure prévue à la partie III aux fins du dépôt des plaintes de congédiement injuste par des employés non syndiqués et de l’audition de ces plaintes par un arbitre est une procédure résiduelle visant à offrir une réparation dans les cas où ce recours n’est pas disponible autrement. Comme le recours prévu à la partie III est un recours résiduel, la plainte fondée sur la partie I devrait être traitée en premier lieu. Ce n’est que si la partie plaignante n’est pas en mesure de prouver que son congédiement a été causé par une pratique déloyale qu’elle devrait aller plus loin avec la plainte fondée sur la partie III. L’intimée en l’espèce a omis d’aller plus loin avec sa plainte fondée sur la partie I.

Les frais relatifs à la demande de contrôle judiciaire et au présent appel devraient être accordés à l’intimée sur une base procureur-client. Cette décision est justifiée par le fait que l’appelante a modifié sa position depuis le début des procédures, ce qui a eu pour effet d’accroître considérablement les frais de l’intimée et forcé la présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

Le juge Marceau, J.C.A. (dissident) : Le juge de première instance a eu raison de conclure que la compétence de l’arbitre aux fins de l’examen de la plainte de congédiement injuste de l’intimée n’a pas été éliminée par les alinéas 242(3.1)a) ou b). Quant à l’alinéa a), les conclusions de fait de l’arbitre étaient déterminantes. C’est l’interprétation donnée à une règle de droit par le tribunal qui est assujettie au critère du caractère « manifestement déraisonnable » ou de « l’absence d’erreur », selon que la règle permet ou non de trancher la compétence. Dans le cas des questions qui concernent uniquement les faits, la retenue dont un tribunal de révision doit faire montre à l’égard des conclusions de fait tirées par l’instance inférieure demeure la même, quelle que soit la nature des procédures, et cette obligation de retenue peut être encore plus forte lorsqu’il existe une clause privative protégeant la décision du tribunal inférieur. Les conclusions qui étaient contestées devant le juge de première instance et qui portaient sur l’alinéa 242(3.1)a) du Code étaient de simples conclusions de fait, soit l’absence de licenciement pour des raisons économiques ou administratives, l’intimée ayant été congédiée parce que l’employeur la soupçonnait d’être favorable à l’action du syndicat. Ces conclusions étaient inattaquables, dans la mesure où elles étaient appuyées par certains éléments de la preuve.

La restriction énoncée à l’alinéa 242(3.1)b) ne s’appliquait pas, puisqu’aucun autre recours n’existait, compte tenu de la plainte présentée et accueillie.

L’interdiction énoncée à l’alinéa 242(3.1)b) s’appliquera si une allégation de pratique déloyale est formulée en termes clairs dès le début des procédures ou ressort nettement des arguments initiaux. La révélation par l’employée d’un simple doute en ce sens, révélation que nie carrément l’employeur, n’a pas le même effet. La disposition a pour effet d’empêcher la tenue d’une instruction. S’il est interdit à l’arbitre d’entendre la plainte, la décision concernant sa compétence doit être prise dès le début. Le Code n’oblige pas l’arbitre à tirer une conclusion au sujet des motifs de l’employeur. L’article 240 vise à protéger les employés non syndiqués d’un congédiement injuste, c’est-à-dire d’un congédiement sans motif valable. C’est tout ce qui doit être allégué et prouvé pour que la plainte soit jugée bien fondée. Une conclusion selon laquelle le seul motif allégué par l’employeur n’est pas retenu est complète et définitive et met fin à l’enquête.

L’article 94 n’offrait pas un autre « recours » à l’intimée. Le sous-alinéa 94(3)a)(i) interdit à l’employeur de punir un employé parce que celui-ci se propose d’adhérer à un syndicat ou de participer à ses activités. Il ne fait pas mention de l’employé qui « est favorable à l’action d’un syndicat », comme c’était le cas en l’espèce. Il n’y a pas lieu de punir une personne qui a éprouvé une sorte de solidarité « platonique » pour quelque chose. La partie I du Code, qui est axée sur le mouvement ouvrier, ne visait pas à autoriser la punition injuste d’un employé. Le Conseil canadien des relations du travail a été spécifiquement investi du pouvoir d’examiner les pratiques déloyales en matière de travail parce que le législateur croyait que ces questions devaient être tranchées par un tribunal spécialisé. Il n’est pas nécessaire de posséder la compétence spécialisée du Conseil dans le domaine de la législation et des pratiques liées au travail pour conclure que le congédiement d’un employé en raison de sa solidarité intellectuelle est inacceptable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 8, 94, 97 (mod. par L.C. (1991), ch. 39, art. 2), 98(1), 99(1) (mod. idem, art. 3), 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 241(2), 242(3.1) (édicté idem, art. 16), (4), 243, 246.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi modifiant le Code canadien du travail, S.C. 1972, ch. 18, art. 1.

Loi modifiant le Code canadien du travail, S.C. 1977-78, ch. 27. art. 21.

Loi sur la Fonction publique, L.N.-B. 1984, ch. C-5.1, art. 26(1).

Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, S.C. 1948, ch. 54, art. 4.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (mod. par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (1993), 161 N.R. 66 (C.A.); conf. [1992] 2 C.F. 697 (1992), 53 F.T.R. 113 (1re inst.); Fleiger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651; (1993), 104 D.L.R. (4th) 292.

DÉCISION EXAMINÉE :

Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449 (1994), 79 F.T.R. 53 (1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (1988), 34 Admin. L.R. 23; 25 F.T.R. 3 (1re inst.).

APPEL du rejet d’une demande visant à infirmer la conclusion d’un arbitre quant à l’existence d’un congédiement injuste ((1994), 81 F.T.R. 110 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli.

AVOCATS :

Michael W. Hunter, pour l’appelante.

Wendy A. Danson, pour les intimés.

PROCUREURS :

Russell & DuMoulin, Vancouver, pour l’appelante.

McCuaig Desrochers, Edmonton, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. (dissident) : J’ai eu l’avantage de lire les motifs du jugement de mon confrère, le juge Strayer. Malheureusement, je ne puis souscrire à son opinion. À mon avis, le jugement de la Section de première instance [(1994), 81 F.T.R. 110] ne renferme aucune erreur et je le confirmerais. Voici, brièvement, les raisons pour lesquelles j’en suis arrivé à cette conclusion.

Il ne serait pas utile de résumer à nouveau les faits. La description qu’en fait mon collègue est satisfaisante et je me contenterai de l’utiliser. Cependant, afin de présenter un tableau complet de la situation, il convient de souligner que l’intimée a déposé sa plainte fondée sous le régime de la partie I du Code canadien du travail[1] (le Code) plus de deux mois après avoir déposé sa première plainte fondée sur la partie III, et elle l’a fait sur les conseils du syndicat qui a alors, sans sa participation, négocié avec l’employeur un règlement qu’elle a refusé, manifestement parce qu’elle croyait que la réparation offerte était insuffisante. Il serait également inutile de passer en revue les décisions des deux instances inférieures, soit l’ordonnance par laquelle la Section de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire et la décision de l’arbitre; mon collègue a bien résumé les aspects essentiels de ces décisions et il me suffira de revenir sur quelques-uns de ceux-ci au cours de mon analyse. Quant aux dispositions législatives pertinentes du Code, seul le paragraphe 242(3.1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16] doit être reproduit immédiatement, parce qu’il constitue la principale disposition sur laquelle porte le litige :

242. …

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

Je présume donc que le contexte factuel, judiciaire et législatif dans lequel les questions en litige sont soulevées est bien établi et j’exprime immédiatement mes opinions personnelles sur ces questions.

La première est celle de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur de droit en approuvant la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’alinéa 242(3.1)a) du Code ne lui niait pas sa compétence. Approuvant la décision de l’arbitre, le juge des requêtes a simplement dit [à la page 114] que celui-ci n’avait pas agi de façon « manifestement déraisonnable » en concluant que l’intimée n’avait pas été licenciée en raison de la suppression d’un poste, comme l’employeur le soutenait, mais plutôt qu’elle avait été congédiée sans motif apparent, si ce n’est le fait que l’employeur la soupçonnait d’être favorable à l’action du syndicat. L’appelante a soutenu que ce critère était inapproprié, étant donné que la norme d’examen d’une conclusion d’un tribunal inférieur quant à sa propre compétence n’est pas celui du caractère « manifestement déraisonnable » de la conclusion en question, mais plutôt celui de « l’absence d’erreur ». Mon collègue admet que le juge de première instance a commis une erreur au sujet de la norme d’examen, mais il ne croit pas que l’application du critère de « l’absence d’erreur » aurait donné lieu à un résultat différent.

À l’instar de mon collègue, j’admets volontiers que le juge de première instance était tout à fait justifié d’approuver la conclusion de l’arbitre quant à l’application possible de l’alinéa 242(3.1)a) du Code. Cependant, mon raisonnement est différent de celui de mon collègue. Le critère que le juge des requêtes a appliqué n’était pas trop faible. À mon avis, il se caractérise plutôt par un manque de retenue. Si je comprends bien, les jugements rendus au sujet de la norme d’examen d’une conclusion d’un tribunal inférieur quant à une question préliminaire ou accessoire soulevée au cours de l’exercice de ses fonctions concernent l’aspect juridique de la question et non l’aspect factuel. En d’autres termes, c’est l’interprétation donnée à une règle de droit par le tribunal qui est assujettie au critère du « caractère manifestement déraisonnable » ou de « l’absence d’erreur », selon que la règle permet ou non de trancher la question de la compétence.

Dans le cas des questions qui concernent uniquement les faits, la retenue dont un tribunal de révision doit faire montre à l’égard des conclusions de fait tirées par l’instance inférieure demeure la même, quelle que soit la nature des procédures, et cette obligation de retenue peut être encore plus forte lorsqu’il existe une clause privative protégeant la décision du tribunal inférieur. Les conclusions qui étaient contestées devant le juge des requêtes et qui portaient sur l’alinéa 242(3.1)a) du Code étaient de simples conclusions de fait, soit l’absence de licenciement pour des raisons économiques ou administratives, l’intimée ayant été congédiée sans raison apparente, hormis le fait que l’employeur la soupçonnait d’être favorable à l’action du syndicat. Ces conclusions étaient inattaquables, dans la mesure où elles étaient appuyées par certains éléments de la preuve.

La deuxième question en litige est celle au sujet de laquelle je suis sensiblement en désaccord avec mon collègue. Le juge des requêtes a-t-il eu tort de rejeter, comme il l’a fait, l’argument de l’appelante selon lequel l’alinéa 242(3.1)b) empêchait l’arbitre d’examiner la plainte, étant donné que les faits que celui-ci a constatés pourraient constituer le fondement du « recours » prévu à l’article 97 [mod. par L.C. (1991), ch. 39, art. 2] du Code?

Il est clair que l’absence de compétence ne peut être excusée par le fait que l’instance décisionnelle ne comprend pas qu’elle outrepasse ses pouvoirs ou par le silence des parties à ce sujet. La question devait indéniablement être tranchée par le juge des requêtes. Cependant, il importe de souligner que, devant l’arbitre, l’appelante n’a pas simplement gardé le silence; elle a nié catégoriquement avoir violé ses obligations découlant de la partie I du Code. En outre, la plainte dont l’arbitre était saisi était une plainte de congédiement injuste, c’est-à-dire un congédiement sans motif valable, l’intimée s’étant contentée de dire à l’enquête qu’à son avis, la seule raison pour laquelle son employeur avait agi ainsi était le fait qu’il la soupçonnait à tort d’appuyer le syndicat. Enfin, tout au long de ses motifs, l’arbitre se borne presque exclusivement à réfuter l’allégation de l’appelante selon laquelle l’intimée n’avait pas été congédiée, mais licenciée et c’est à la fin de son analyse que l’arbitre mentionne que le seul motif apparent du comportement injuste de l’employeur était le fait qu’il soupçonnait l’intimée d’être favorable à l’action du syndicat, tentant ainsi de rationaliser positivement ses conclusions négatives.

La question devait donc être tranchée; cependant, en termes concrets, la question dont le juge de première instance était saisi était celle de savoir si la conclusion finale de l’arbitre selon laquelle l’employeur avait congédié l’intimée parce qu’il la soupçonnait d’être favorable à l’action du syndicat, laquelle conclusion allait à l’encontre du témoignage de l’employeur et reposait uniquement sur la croyance de l’employée, elle-même fondée sur deux incidents mineurs, voire totalement insignifiants, a eu pour effet de nier sa compétence, de sorte qu’il était tenu de rejeter immédiatement la plainte présentée en application de l’article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] du Code, compte tenu de l’alinéa 242(3.1)b). Contrairement à mon collègue, j’estime que le juge de première instance ne pouvait répondre que par la négative à cette question.

D’une part, d’après ce que je comprends à la lecture de l’alinéa 242(3.1)b), l’interdiction qui y est énoncée s’appliquera si une allégation de pratique déloyale est formulée en termes clairs dès le début des procédures ou ressort nettement des arguments initiaux invoqués ouvertement par les parties. La révélation par l’employée d’un simple doute en ce sens, révélation que nie carrément l’employeur, même si l’arbitre a conclu à la fin de l’enquête qu’elle était probablement bien fondée, n’aura pas le même effet.

Ma conviction sur ce point repose essentiellement sur le libellé de la disposition, notamment les mots introductifs « [l]’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte ». Cette disposition a pour effet d’empêcher la tenue d’une instruction. Il s’agit d’une caractéristique très frappante et inhabituelle d’une disposition relative à la compétence et ne saurait être accidentelle. S’il est interdit à l’arbitre d’entendre la plainte, la décision concernant sa compétence doit être prise dès le début. Il me semble illogique de déduire du libellé de la disposition qu’un arbitre pourrait perdre sa compétence par suite des renseignements qui sont révélés au cours d’une audience. Le Code n’oblige même pas l’arbitre à tirer une conclusion au sujet des motifs de l’employeur. L’article 240 du Code vise à protéger les employés non syndiqués d’un congédiement injuste, c’est-à-dire d’un congédiement sans motif valable. C’est tout ce qui doit être allégué et prouvé pour que la plainte soit jugée bien fondée. Une conclusion selon laquelle le seul motif allégué par l’employeur n’est pas retenu est complète et définitive et met fin à l’enquête.

Je suis d’autant plus convaincu que l’application de l’alinéa 242(3.1)b) n’est pas déclenchée par une simple conclusion, à la fin d’une enquête, quant à l’atteinte possible à la liberté fondamentale de l’employé d’adhérer au syndicat de son choix et de participer aux activités légales de celui-ci (paragraphe 8(1)), que, s’il en était autrement, des résultats tout à fait inacceptables s’ensuivraient. Ainsi, dans un cas semblable à celui de la présente affaire, le Conseil pourrait croire l’employeur et conclure que, même si le congédiement n’était pas fondé sur un motif valable, la véritable raison n’avait rien à voir avec une pratique déloyale. Il se pourrait aussi, dans bien des cas, que l’arbitre termine son enquête bien après l’expiration du délai prévu pour le dépôt d’une plainte sous le régime de la partie I. Il ne suffit pas de dire que rien n’empêche l’employé de déposer deux plaintes, étant donné qu’au départ, on s’attend à ce que le plaignant qui possède suffisamment de renseignements factuels à l’appui de ses doutes procède de cette façon. De plus, ce raisonnement présuppose que le ministre sera prêt à nommer un arbitre malgré l’existence de la plainte fondée sur la partie I et que l’une des deux plaintes pourra être mise en veilleuse sans objection. Je ne puis croire que le Parlement avait pareil système incongru en tête. À tout événement, la suggestion est inutile dans tous les cas où le doute est soulevé, non pas au début, mais plutôt au cours de l’enquête. À la limite, l’employeur pourrait même tenter, à la toute fin de l’enquête, de faire une « confession » afin de mettre fin à la participation de l’arbitre et de clore l’affaire.

D’autre part, je suis d’avis que l’article 94 de la partie I du Code n’offrait pas à l’intimée « un autre recours ».

Encore là, c’est l’objet et le libellé de la disposition que j’examinerai. La partie I du Code qui, comme on peut le lire dans le préambule, a été édictée parce « qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends », est manifestement axée sur le mouvement ouvrier. L’article 94 visait à punir l’employeur qui a recours à des pratiques déloyales, notamment des pratiques qui vont à l’encontre de la liberté fondamentale de chaque employé « d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites », qui est confirmée solennellement à l’article 8 du Code. Le sous-alinéa 94(3)a)(i), dont la violation peut donner lieu à une plainte fondée sur l’article 97, interdit à un employeur de punir un employé parce que celui-ci

94. (3)a) …

(i) … adhère à un syndicat … ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire … ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat.

Il me semble que ni l’objet de cette disposition très importante de la partie I ni son libellé, interprétés de façon stricte, ne permettent d’y inclure les mots [traduction] « est favorable à l’action d’un syndicat », malgré l’absence d’intention d’adhérer à ce syndicat ou de participer à ses activités. Or, c’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce : l’intimée a nié avoir eu l’intention d’adhérer au syndicat ou avoir participé aux activités de celui-ci. L’appelante a répété que ses dirigeants n’ont jamais eu cette idée en tête. Tout ce que l’arbitre a conclu, en se fondant simplement sur la conviction de l’intimée, c’est que le congédiement semblait avoir été motivé par une fausse perception selon laquelle l’intimée était en faveur « de la campagne visant la formation d’un syndicat ». Il n’y a pas lieu de punir une personne qui a éprouvé une sorte de solidarité « platonique » pour quelque chose. C’est un affront personnel. L’objet du sentiment de solidarité est purement accessoire. Je ne puis croire que le législateur avait l’intention d’autoriser la punition injuste d’un employé en pareilles circonstances aux termes de la partie I du Code, qui est axée sur le mouvement ouvrier.

Le Conseil canadien des relations du travail a été spécifiquement investi du pouvoir d’examiner les pratiques déloyales en matière de travail parce que le législateur croyait manifestement que ces questions devaient être tranchées par un tribunal spécialisé. Il est bien compréhensible que le Parlement ait pris soin de protéger l’exclusivité de cette compétence. Cependant, il n’est certainement pas nécessaire de posséder la compétence spécialisée du Conseil dans le domaine de la législation et des pratiques liées au travail pour conclure que le congédiement d’un employé en raison de sa solidarité intellectuelle est inacceptable.

Mon interprétation de l’article 94 me semble appuyée par la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt Pollard[2], où elle a approuvé sans réserve la position du juge des requêtes selon laquelle cette disposition « porte plutôt sur les plaintes concernant les pratiques déloyales de travail mentionnées dans la loi, lesquelles se rapportent toutes à des actes discriminatoires résultant de la participation à des activités syndicales » [[1992] 2 C.F. 697(1re inst.), à la page 725]. Je souligne également que mon raisonnement est semblable à celui que le juge de première instance a exprimé dans l’arrêt Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc.[3] :

Bien que l’on doive éviter le dédoublement des procédures et que l’alinéa 242(3.1)b) semble avoir été édicté à cette fin (entre autres, probablement), je suis certain que le législateur n’avait pas l’intention de contraindre des parties lésées à courir le risque de voir leur poursuite pour congédiement injuste compromise par l’application de cet alinéa. Pour que cet alinéa s’applique, l’autre recours en cause doit clairement opérer doublement.

Ce sont les raisons pour lesquelles je ne puis souscrire à l’opinion de mon collègue. À mon avis, le juge des requêtes a eu raison de conclure que la compétence de l’arbitre aux fins de l’examen de la plainte de congédiement injuste de l’intimée n’a pas été éliminée par les alinéas 242(3.1)a) ou b). Quant à l’alinéa a), les conclusions de fait de l’arbitre étaient déterminantes et, en ce qui a trait à l’alinéa b), la restriction qui y est énoncée ne s’appliquait pas, puisqu’aucun autre recours n’existait, compte tenu de la plainte présentée et accueillie.

Reste la question des dépens. Mon collègue estime que les circonstances de la présente affaire sont telles qu’il confirmerait la décision du juge des requêtes d’adjuger les dépens à l’intimée sur une base procureur-client et ferait de même pour les dépens engagés dans l’appel même si, devant les deux sections de la Cour, l’appelante avait droit à la réparation qu’elle demandait. Bien que je ne sois pas tenu de dire si, à mon avis, le raisonnement de mon collègue suffisait pour autoriser et justifier une réparation exceptionnelle, voire sans précédent, soit l’attribution des dépens en faveur d’une partie perdante, surtout l’octroi de dépens sur une base procureur-client, son raisonnement, auquel je souscris, est certainement suffisant si, comme je le propose, l’appel est rejeté. En ce qui a trait à la décision de l’arbitre au sujet de l’octroi des dépens, je ne suis pas disposé à critiquer le juge des requêtes, qui était d’avis que cette décision accessoire avait été rendue dans le cadre de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire dont l’arbitre était investi en vertu de l’alinéa 242(4)c)[4].

En conséquence, je rejetterais l’appel et j’adjugerais à l’intimée ses dépens sur une base procureur-client.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. :

Réparation demandée

L’appelante demande à la Cour d’appel d’annuler un jugement en date du 17 juin 1994 par lequel la Section de première instance avait rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante en vue d’infirmer la décision d’un arbitre datée du 30 juin 1993 et fondée sur l’article 242 du Code canadien du travail[5]. Ayant conclu que l’appelante Byers Transport Limited avait congédié injustement l’intimée Dorothy Kosanovich, l’arbitre avait réintégré celle-ci dans son emploi et ordonné à l’appelante de lui payer la totalité du salaire et des avantages perdus auxquels elle aurait eu droit entre la date de son congédiement et celle de sa réintégration et tous les frais qu’elle a engagés pour obtenir celle-ci. Les frais en question comprennent les dépens procureur-client.

Les faits

L’intimée travaillait depuis quelque temps pour l’appelante à titre de préposée au classement lorsque, le 3 juillet 1992, elle a reçu une lettre l’informant que l’entreprise abolissait son poste afin de [traduction] « réduire nos frais d’exploitation ». Elle a reçu deux semaines de salaire en remplacement de l’avis et a effectivement été renvoyée des lieux.

Vers la même époque, le syndicat des Teamsters, qui représentait une partie des employés de l’appelante, menait une campagne en vue de syndiquer le personnel de bureau, dont l’intimée faisait partie. D’après ce qu’elle a dit à l’arbitre, lorsqu’elle a reçu son avis de cessation d’emploi, l’intimée a mentionné à ses collègues qu’elle était congédiée parce que l’employeur croyait qu’elle était liée à la campagne de syndicalisation du syndicat.

Le 7 juillet 1992, l’intimée a déposé une plainte de congédiement injuste fondée sur l’article 240 de la partie III du Code canadien du travail. Dans sa plainte écrite, l’intimée a simplement mentionné ce qui suit : [traduction] « J’estime que j’ai été injustement congédiée ». Avant le traitement de cette plainte, elle a déposé, le 21 septembre 1992, une plainte fondée sur l’article 97 de la partie I du Code canadien du travail, dans laquelle elle a reproché à son employeur d’avoir poursuivi une pratique déloyale en la congédiant parce qu’il la soupçonnait de participer à des activités syndicales. En novembre 1992, le syndicat des Teamsters et l’appelante se sont entendus pour régler cette dernière plainte, mais l’intimée a rejeté ce règlement. Elle a plutôt recruté son propre conseiller juridique et, le 4 janvier 1993, elle a retiré sa plainte fondée sur l’article 97. Par la suite, sa plainte fondée sur l’article 240 a été traitée : un arbitre a été nommé et une audience a été tenue devant celui-ci le 4 juin 1993. Au cours de cette audience, l’appelante a soutenu que l’intimée avait été renvoyée dans le cadre de mesures de compression rendues nécessaires en raison de la situation de l’entreprise. Cet argument a donné lieu à la question de savoir si l’arbitre avait la compétence voulue pour examiner la plainte en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, dont le libellé est le suivant :

242. …

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

Au cours de l’audience, l’appelante, qui n’était pas représentée par un avocat, a tenté de prouver par l’entremise de ses témoins que l’intimée avait été [traduction] « licenciée … en raison de la suppression d’un poste …  » au sens de l’alinéa 242(3.1)a) et a donc soutenu que l’arbitre ne devrait pas examiner la plainte. Il est admis de part et d’autre qu’à l’époque, l’employeur n’a soulevé aucune question fondée sur l’alinéa 242(3.1)b), c’est-à-dire qu’il n’a pas soutenu que le Code prévoyait un autre recours et que, par conséquent, l’arbitre ne pouvait entendre la plainte. D’après la version que l’intimée et ses témoins ont présentée devant l’arbitre, elle a été congédiée et non licenciée, ses fonctions n’ont pas été éliminées, mais simplement attribuées à une autre personne et l’employeur a décidé de la renvoyer parce qu’il était convaincu qu’elle aidait le syndicat à syndiquer le personnel de bureau.

La décision de l’arbitre est loin d’être claire. Voici ce que j’ai compris de sa décision. Il semble s’être attardé à la question de compétence que soulève l’alinéa 242(3.1)a). À cette fin, il a conclu qu’il n’y avait pas eu de « licenciement » au sens de cette disposition, mais qu’il s’agissait plutôt d’un congédiement. À son avis, la façon dont l’intimée a quitté son travail ne présentait pas les caractéristiques d’un licenciement. Il a également conclu que le poste de l’intimée n’avait pas été éliminé, ses fonctions ayant été confiées à d’autres personnes, et ce, de mauvaise foi, parce que l’employeur la soupçonnait de participer à des activités syndicales. Voici un extrait important de la décision de l’arbitre :

[traduction] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que Dorothy Kosanovich a été renvoyée pour un motif déterminé dans l’esprit de l’entreprise. Elle a été congédiée parce qu’elle était en faveur de la campagne visant la formation d’un syndicat. En conséquence, j’ordonne la réintégration de Dorothy Kosanovich à un poste qui correspond à ses qualifications, selon le salaire qu’elle gagnait précédemment, dès que les mesures nécessaires pourront être prises après la date de la présente décision[6].

L’arbitre a également ordonné le paiement du salaire perdu et des frais, tel qu’il est mentionné plus haut. Il semble avoir été d’avis que la décision relative à la question de la compétence aux termes de l’alinéa 242(3.1)a) était également déterminante quant à celle du congédiement injuste, qu’il devait trancher en faveur de l’intimée pour lui accorder ces recours. Le motif de la conclusion relative au congédiement injuste serait donc le fait que l’appelante soupçonnait l’intimée de participer à des activités syndicales. L’arbitre n’a examiné aucune question liée à l’alinéa 242(3.1)b), les parties n’en ayant pas soulevé.

L’appelante a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision devant la Section de première instance, soutenant que l’arbitre avait mal appliqué l’alinéa 242(3.1)a) lorsqu’il a conclu qu’il avait la compétence voulue malgré cette disposition, qu’il avait commis une autre erreur de compétence en examinant la plainte de congédiement injuste aux termes de l’article 240 alors qu’un autre recours existait en cas de congédiement injuste fondé sur une pratique déloyale, cette question étant de ce fait exclue de la compétence de l’arbitre selon l’alinéa 242(3.1)b), et qu’il n’avait pas la compétence voulue pour accorder à l’intimée tous ses dépens dans la cause, c’est-à-dire ses dépens procureur-client.

En ce qui a trait à l’argument fondé sur l’alinéa 242(3.1)a), le juge de première instance a appliqué le critère du caractère manifestement déraisonnable et a conclu que la décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable. Il a confirmé que l’arbitre avait appliqué le critère approprié en ce qui a trait au « licenciement » et à la « suppression d’un poste », précisant qu’il avait jugé que l’appelante avait simplement confié les fonctions de l’intimée à une autre personne dans un but autre que celui de comprimer les effectifs. Quant à l’argument fondé sur l’alinéa 242(3.1)b), le juge de première instance a simplement dit qu’il n’était pas d’accord avec l’appelante. Enfin, il a dit ce qui suit au sujet de l’octroi des dépens procureur-client par l’arbitre :

… il n’était que juste de le contraindre également d’assumer tous les frais engagés par Mme Kosanovich dans la présente affaire, afin que cette dernière soit entièrement dédommagée de son congédiement injuste. Dans les circonstances, le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et appropriée, et je ne suis donc pas disposé à intervenir[7].

Il a également accordé à l’intimée les dépens procureur-client qu’elle a engagés dans la demande de contrôle judiciaire.

L’appelante interjette appel de ce jugement pour les motifs suivants :

(1) le juge de première instance a appliqué à tort le critère du caractère manifestement déraisonnable plutôt que celui de l’absence d’erreur aux fins de l’examen des décisions de l’arbitre concernant la compétence;

(2) le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’arbitre n’était pas privé de sa compétence en vertu des alinéas 242(3.1)a) et b);

(3) le juge de première instance n’aurait pas dû confirmer la décision de l’arbitre quant à l’octroi de dépens procureur-client ni accorder des dépens procureur-client à l’égard de la demande de contrôle judiciaire, cet octroi n’étant nullement justifié par la conduite de l’appelante dans le litige.

Analyse

J’examinerai chacun de ces motifs d’appel.

Critère d’examen

Lorsqu’il a examiné la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’alinéa 242(3.1)a) n’avait pas pour effet de lui retirer sa compétence au sujet de la plainte, le juge de première instance a appliqué le critère du caractère manifestement déraisonnable et a conclu que la décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable. Selon l’appelante, la conclusion de l’arbitre concernait une question de compétence et le critère d’examen à appliquer en pareil cas est celui de l’absence d’erreur. Je suis d’accord. Dans l’arrêt Pollard[8], la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion d’examiner le critère d’examen relatif à l’application du paragraphe 242(3.1). Elle a conclu que la décision portant sur la question de savoir si cette disposition empêche un arbitre d’examiner la plainte de congédiement injuste d’une personne est une conclusion relative à la compétence et que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de l’absence d’erreur, et ce, malgré la clause privative, dont le libellé est le suivant :

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire—notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

L’affaire Pollard n’a été tranchée que quelques mois avant la décision du juge de première instance en l’espèce et rien n’indique qu’elle a été portée à l’attention de celui-ci. Toutefois, il semble que la question soit maintenant réglée et que le critère d’examen soit celui de l’absence d’erreur.

Absence d’erreur liée à l’application de l’alinéa 242(3.1)a)

Même si le juge de première instance a évalué la décision de l’arbitre en se demandant si elle était manifestement déraisonnable, je ne crois pas que l’application du critère de l’absence d’erreur aurait donné lieu à un résultat différent. Même si quelques-uns des critères que l’arbitre a appliqués pour conclure à l’absence de « licenciement » étaient très contestables, ce que le juge de première instance a reconnu, je suis d’accord avec celui-ci pour dire que la conclusion de l’arbitre quant au fait qu’il n’y a pas eu suppression d’un poste ne renferme aucune erreur susceptible de révision. L’arbitre semble avoir appliqué les critères juridiques appropriés pour en arriver à cette conclusion. Dans l’arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick[9], la Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’interpréter les mots « suppression d’une fonction » du paragraphe 26(1) de la Loi sur la Fonction publique du Nouveau-Brunswick[10]. Elle a conclu que le fait de redistribuer les tâches d’une personne licenciée peut constituer une suppression des fonctions de celle-ci, mais uniquement lorsque la redistribution est faite de bonne foi et pour des motifs appropriés, comme les compressions budgétaires et les problèmes économiques. Dans le cas qui nous occupe, l’arbitre semble avoir conclu que les tâches de l’intimée avaient été confiées à une autre personne, mais que l’appelante avait procédé à cette redistribution de mauvaise foi, dans le but ultérieur de se débarrasser de l’intimée parce qu’elle croyait que celle-ci appuyait la syndicalisation des employés de bureau. Il y avait certainement une preuve substantielle qui permettait à l’arbitre de conclure[11]que c’était là la raison de la réaffectation des tâches de l’intimée et je ne puis voir dans la preuve qu’il décrit et dans les arguments que l’intimée a invoqués à cette époque ou par la suite d’autres motifs inappropriés pour lesquels son poste aurait été éliminé. L’arbitre a appliqué les principes de droit appropriés à cette conclusion de fait bien fondée et a jugé qu’il n’y avait pas eu de suppression d’un poste au sens de l’alinéa 242(3.1)a). En conséquence, aucune erreur susceptible de révision n’a été commise, même lorsque le critère d’examen approprié, soit celui de l’absence d’erreur, est appliqué.

Absence d’erreur liée à l’application de l’alinéa 242(3.1)b)

Il convient de rappeler que cette disposition interdit à un arbitre d’examiner une plainte de congédiement injuste lorsque

242. (3.1) …

b) la présente Loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

L’arbitre ne mentionne pas cette disposition dans sa décision et les parties admettent que l’appelante n’a pas soulevé cette question devant lui. Elle l’a soulevée devant le juge de première instance, qui a simplement dit qu’il n’était pas d’accord avec l’argument de l’appelante selon lequel l’alinéa 242(3.1)b) interdisait à l’arbitre d’examiner la plainte parce que les mêmes faits pouvaient constituer (et ont constitué effectivement) le fondement d’une plainte de pratique déloyale aux termes de l’article 97 du Code canadien du travail.

L’intimée s’est opposée devant nous à ce que cette question soit soulevée dans une demande de contrôle judiciaire alors que l’appelante ne l’avait pas portée à l’attention de l’arbitre. Cette objection ne peut être retenue. Il appert clairement de décisions comme l’arrêt Pollard[12] que l’alinéa 242(3.1)b) restreint la compétence de l’arbitre. Ni les parties non plus que l’arbitre ne peuvent ignorer cette restriction. L’arbitre devait, d’abord et avant tout, déterminer si l’alinéa b) l’empêchait d’examiner la plainte. Le silence ou le consentement, explicite ou tacite, des parties à ce sujet ne l’excuse pas de son omission. Le fait qu’il n’a pas examiné cette question n’empêche pas la Cour d’appel fédérale de déterminer s’il a outrepassé ou non sa compétence.

Je suis d’avis qu’il a outrepassé sa compétence et que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a rejeté cette objection. Il convient de citer quelques-unes des dispositions pertinentes de la partie I du Code [art. 94(3), 97(1) (mod. par L.C. (1991), ch. 39, art. 2), 99(1) (mod. idem, art. 3)] qui concernent les pratiques déloyales :

94. …

(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant—ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir », ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat, …

97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu au paragraphe 24(4) ou 34(6) ou aux articles 37, 50, 69, 94 ou 95; …

99. (1) S’il décide qu’il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6) ou des articles 37, 50, 69, 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s’y conformer et en outre :

c) dans le cas des alinéas 94(3)a), c) ou f), enjoindre, par ordonnance, à l’employeur :

(i) d’embaucher, de continuer à employer ou de reprendre à son service l’employé ou toute autre personne, selon le cas, qui a fait l’objet d’une mesure interdite par ces alinéas,

(ii) de payer à toute personne touchée par la violation une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui lui aurait été payée par l’employeur s’il n’y avait pas eu violation….

Dans le cas qui nous occupe, l’intimée a constamment répété, dès le moment où elle a été congédiée et avant qu’elle quitte les lieux de l’appelante, qu’elle avait été congédiée parce que l’employeur la soupçonnait de participer à des activités syndicales, même si elle a nié qu’elle soutenait vraiment le syndicat. C’est ce qu’a dit l’arbitre dans l’extrait cité plus haut et il ne s’agit pas d’une simple remarque incidente. C’était une conclusion de fait essentielle que l’arbitre devait tirer pour conclure qu’il y avait eu mauvaise foi lors de la redistribution des fonctions de l’intimée. Cette conclusion lui a permis de dire qu’il n’y avait pas eu de licenciement en raison de la suppression d’un poste, soit le genre de licenciement qui aurait été visé par l’alinéa 242(3.1)a) et à l’égard duquel il n’aurait pu exercer sa compétence. D’après ce que je peux comprendre, aucun autre motif inapproprié à l’appui de son congédiement n’a été suggéré. Effectivement, l’intimée a poursuivi pendant quelque temps sa plainte fondée sur la partie I au motif qu’elle avait été congédiée uniquement en raison de ses activités syndicales.

Cependant, après en être arrivé à cette conclusion qui, à mon avis, était bien fondée, l’arbitre a omis d’appliquer la règle de droit pertinente, soit l’alinéa 242(3.1)b), qui énonce qu’il ne peut procéder à l’instruction de la plainte lorsque la loi prévoit un autre recours.

Je ne puis comprendre comment l’on peut dire que l’article 97 du Code canadien du travail, précité, ne prévoit pas un autre recours à l’égard des plaintes relatives à un congédiement motivé par la participation de l’employé à des activités syndicales. Pour reprendre les termes du sous-alinéa 94(3)a)(i), l’intimée se plaint essentiellement du fait qu’elle a été mise à pied ou qu’elle a fait l’objet de distinctions injustes en matière d’emploi parce qu’elle a incité d’autres personnes à adhérer à un syndicat ou qu’elle a contribué à la promotion d’un syndicat. Il m’apparaît inconcevable que, avant l’inclusion dans le Code canadien du travail des procédures relatives aux plaintes fondées sur l’article 240, une personne se trouvant dans la position de l’intimée se serait fait dire qu’elle n’avait aucun recours sous le régime de l’équivalent de l’article 94. Le litige ne dépend certainement pas de la simple question de savoir si l’intimée appuyait effectivement le syndicat. La preuve n’est pas claire sur ce point; cependant, dans un extrait que j’ai déjà cité, l’arbitre lui-même a dit que

[traduction] Elle a été congédiée parce qu’elle était en faveur de la campagne visant la formation d’un syndicat.

Que l’intimée ait été ou non en faveur de la formation d’un syndicat, les dispositions du Code qui interdisent les pratiques déloyales visent sûrement à empêcher les employeurs de faire de la discrimination à l’encontre de certains employés pour le simple motif qu’ils appuient ou qu’ils semblent appuyer les efforts de syndicalisation. Le paragraphe 94(3) interdit à l’employeur de faire des distinctions injustes à l’égard des employés en raison de leurs activités syndicales. Cette disposition concerne l’attitude antisyndicale de l’employeur, qui aura les mêmes conséquences pour les employés quant à l’exercice de leur choix, que les soupçons de l’employeur soient bien fondés ou non en ce qui a trait aux activités d’un employé donné.

En outre, les procédures de recours sont similaires, l’employé pouvant déposer une plainte tant sous le régime de la partie I (plainte relative à des pratiques déloyales, qui est soumise au Conseil canadien des relations du travail) que sous le régime de la partie III (plainte de congédiement injuste, qui est soumise à un arbitre spécial). Dans un cas comme dans l’autre, la plainte peut être entendue et tranchée par le tribunal compétent et les réparations peuvent comprendre la réintégration de l’employé ainsi que le paiement du salaire perdu pendant la période au cours de laquelle il n’a pas travaillé. Dans chaque cas, la plainte doit être déposée dans les 90 jours[13]. Dans les deux cas, il existe une procédure de règlement[14]. Cependant, dans le cas des plaintes déposées sous le régime de la partie III, l’arbitre peut, selon l’alinéa 242(4)c), enjoindre à l’employeur

242. (4) …

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Le Conseil n’est pas investi d’un pouvoir comparable en vertu de la partie I. Dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir, l’arbitre en l’espèce a ordonné à l’employeur de payer à l’employée les dépens procureur-client de celle-ci.

Je dois conclure que les dispositions relatives au dépôt et au traitement d’une plainte de congédiement par suite d’une pratique déloyale aux termes de la partie I prévoient « un autre recours » à l’égard d’une plainte de congédiement injuste, lorsque le congédiement est causé par le fait que l’employeur soupçonnait l’employé de participer à des activités syndicales.

Je me suis demandé si l’arrêt Pollard[15] permettait de dire que l’existence des recours prévus à la partie I n’empêche pas l’arbitre d’agir aux termes de la partie III. Il est vrai que, dans cette affaire, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance, selon laquelle l’article 94 n’empêchait pas l’arbitre d’examiner une plainte de congédiement injuste. Cependant, selon le juge de première instance, la plainte de congédiement dans cette affaire concernait une allégation de mauvaise conduite et l’article 94 ne prévoyait aucun recours à l’égard d’un congédiement en pareilles circonstances. Dans la présente affaire, toutes les parties concernées, dont l’intimée, croyaient qu’un recours existait aux termes de la partie I.

J’ai également examiné attentivement la décision que la Section de première instance a rendue dans l’affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc.[16] Dans cette affaire, on a allégué qu’étant donné que l’un des motifs invoqués au soutien de la plainte de congédiement injuste était la discrimination interdite par la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], cette Loi fédérale prévoyait un autre recours qui empêchait l’arbitre d’examiner la plainte en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Après avoir souligné qu’il n’avait été saisi d’aucune preuve quant à la nature de ces allégations, le juge de première instance a rejeté l’argument relatif à l’alinéa 242(3.1)b) en se fondant en partie sur son interprétation de cette disposition. Il a décidé [à la page 463] que l’autre recours prévu dans cette disposition « ne peut donner droit à une réparation moindre que celle prévue » à la partie III du Code canadien du travail, « ni se fonder sur une cause d’action différente ». Plus loin [à la page 465], il a dit ce qui suit :

À mon sens, la partie tentant d’invoquer l’alinéa 242(3.1)b) doit démontrer qu’aux termes d’une autre disposition législative, il existe une procédure à l’intention des parties lésées qui leur permette de déposer une plainte par suite d’un congédiement injuste et d’obtenir une réparation du même type que celle qu’un arbitre pourrait leur accorder en application du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail.

Bien que l’on doive éviter le dédoublement des procédures et que l’alinéa 242(3.1)b) semble avoir été édicté à cette fin (entre autres, probablement), je suis certain que le législateur n’avait pas l’intention de contraindre des parties lésées à courir le risque de voir leur poursuite pour congédiement injuste compromise par l’application de cet alinéa. Pour que cet alinéa s’applique, l’autre recours en cause doit clairement opérer dédoublement. [C’est moi qui souligne.]

Même si je ne conteste pas le résultat dans cette affaire, compte tenu de la preuve dont le juge de première instance était saisi, j’ai des réserves quant à son interprétation du mot « recours » à l’égard d’une « plainte » au sens du Code. Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l’autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l’autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l’arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n’exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu’un autre recours existe à l’égard de la même plainte. Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation.

Sur ce point, il convient d’examiner de façon plus générale la structure du Code canadien du travail et le but apparent du Parlement. Le Code et la loi qui l’a précédé[17] renferment des dispositions interdisant les pratiques déloyales depuis 1948 et, depuis au moins 1972, il existe une procédure permettant aux employés de déposer des plaintes devant le Conseil canadien des relations du travail à l’encontre des employeurs qui poursuivent des pratiques de cette nature[18]. Le Conseil a été investi du pouvoir d’examiner les pratiques déloyales en matière de travail, qu’elles soient poursuivies par les syndicats ou les employeurs. De toute évidence, le législateur estimait que ces questions devaient être tranchées par l’organisme spécialisé qu’est le Conseil. Ce n’est qu’en 1978[19] que le législateur a ajouté, dans la partie III du Code, une procédure permettant aux employés non syndiqués qui n’avaient pas accès à un processus de grief ou d’arbitrage aux termes d’une convention collective de déposer une plainte de congédiement injuste et de la faire entendre par un arbitre spécial. Dans l’arrêt Pollard[20], la Cour d’appel fédérale a commenté le statut et les fonctions de l’arbitre et ceux du Conseil. Elle a également fait une comparaison entre les pouvoirs de l’arbitre et ceux du Conseil, qui sont beaucoup plus larges. Elle a ensuite formulé les commentaires suivants [aux pages 669 et 670] :

J’estime que ces différences sont une indication assez nette que le législateur n’entendait pas donner à l’arbitre le dernier mot sur la question de savoir qui est et qui n’est pas recevable à porter plainte.

D’ailleurs, le domaine d’expertise de l’arbitre est relativement limité. Il s’agit de « la personne qu’il [le Ministre] juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire » (paragraphe 242(1); il est nommé pour connaître d’une affaire précise et son champ d’intervention se limite aux plaintes déposées par une catégorie restreinte d’employés (les paragraphes 240(1) et 242(3.1)), à l’égard d’un seul type de différend, le congédiement injuste (alinéa 242(3)a)). Son expertise est beaucoup moins large que celle des membres du Conseil canadien des relations du travail ou d’un arbitre nommé en fonction de la partie I du Code. Dans l’arrêt Bradco, à la page 337, et dans l’arrêt Mossop, à la page 585, la Cour suprême ne s’est pas montrée particulièrement impressionnée, même si cela se passait à une étape différente du processus de révision, par le statut des organismes ad hoc dotés, comme c’est le cas de l’arbitre nommé en vertu du Code, de pouvoirs et de connaissances restreintes. Disons, pour paraphraser l’argument d’un avocat que, dans l’arrêt Bibeault, le juge Beetz approuve aux pages 1094 et 1095, que l’on peut, d’emblée, constater que le législateur n’a pas jugé opportun de conférer à l’arbitre la compétence générale et exclusive d’assurer l’application et le respect de l’ensemble des dispositions du Code. Il a choisi, plutôt, de conférer une compétence générale au Conseil canadien des relations du travail et d’accorder, à d’autres organes de décision, certaines compétences précises dans des domaines particuliers bien délimités, et même dans ces cas-là, il n’a pas conféré à tous les mêmes pouvoirs.

Cette analyse permet de dire que, lorsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d’examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d’examiner la même question. À mon avis, la procédure prévue à la partie III aux fins du dépôt des plaintes de congédiement injuste par des employés non syndiqués et de l’audition de ces plaintes par un arbitre devrait être considérée comme une procédure résiduelle visant à offrir une réparation dans les cas où ce recours n’est pas disponible autrement. Il me semble que c’est là le sens clair de l’alinéa 242(3.1)b).

Ce raisonnement ne crée pas non plus de problèmes sérieux pour l’employé congédié qui n’est pas certain de la procédure de recours à utiliser. Si je comprends bien, il est possible de déposer des plaintes tant sous le régime de la partie I que sous celui de la partie III du Code sans engager de frais. Le délai critique dans chaque cas est de 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant est informé du motif de la plainte. Comme le recours prévu à la partie III est résiduel, la partie plaignante devrait, par mesure de prudence, procéder d’abord en se fondant sur la partie I. Elle pourra aller plus loin avec la plainte fondée sur la partie III uniquement si elle n’est pas en mesure de prouver que son congédiement a été causé par une pratique déloyale[21]. Il convient de rappeler que, en l’espèce, l’intimée a effectivement déposé des plaintes sous le régime des deux parties du Code, mais elle a omis d’aller plus loin avec sa plainte fondée sur la partie I en demandant une audience devant le Conseil. C’est elle qui a mis fin à son recours fondé sur la partie I.

Il importe également de souligner que l’article 246 prévoit ce qui suit :

246. (1) Les articles 240 à 245 n’ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l’employé peut exercer contre son employeur.

(2) L’article 189 s’applique dans le cadre de la présente section.

L’employé conserve donc le droit, en dernier ressort, de poursuivre son employeur si le paragraphe 242(3.1) ne lui permet pas de présenter une plainte devant un arbitre.

En conséquence, le juge de première instance aurait dû annuler la décision de l’arbitre, au motif que celui-ci n’avait pas la compétence voulue pour examiner la plainte, compte tenu de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail.

Frais

Étant donné que la décision de l’arbitre doit être annulée, il n’est pas nécessaire de déterminer si sa décision quant aux frais était appropriée. Cependant, nous devons déterminer s’il est possible de confirmer la conclusion par laquelle le juge de première instance a octroyé des dépens procureur-client à l’intimée et si des dépens devraient être accordés dans le présent appel.

Il convient d’abord de souligner que le juge de première instance [à la page 115] a dû se fonder sur des « raisons spéciales » pour ordonner le paiement de frais à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, comme la Règle 1618 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/92-43, art. 19)] l’exige. À ce sujet, il a invoqué « la conduite de la requérante en vue de faire valoir la présente demande de contrôle judiciaire » et s’est apparemment fondé sur le même motif pour accorder à l’intimée des dépens sur la base procureur-client.

Même si l’intimée n’a pas réussi en l’espèce, je serais d’accord avec le juge de première instance pour dire que les frais relatifs à la demande de contrôle judiciaire et au présent appel devraient être adjugés en faveur de l’intimée sur une base procureur-client. À mon avis, cette décision est justifiée en raison de la conduite de l’appelante, qui a modifié sa position depuis le début des procédures, ce qui a eu pour effet d’accroître considérablement les frais de l’intimée et forcé la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Devant l’arbitre, l’appelante n’a pas cessé de nier que l’employeur a renvoyé l’intimée parce qu’il la soupçonnait de participer à des activités syndicales. Ayant perdu devant l’arbitre et devant le juge de première instance, l’appelante soutient maintenant que le congédiement a été causé par ces soupçons. Je cite un extrait du paragraphe 20 du mémoire que l’appelante a produit en l’espèce :

[traduction] 20. Un examen des éléments de preuve dont la Cour était saisie indique clairement que Mme Kosanovich a été congédiée en raison de l’attitude antisyndicale de l’employeur :

a) elle l’a mentionné trois fois dans sa plainte fondée sur la partie I (dossier d’appel, p. 32);

b) le syndicat des Teamsters a pris l’affaire en main et le Conseil canadien des relations du travail a fixé une audience après enquête;

c) le syndicat et l’employeur en sont arrivés à un règlement, mais Mme Kosanovich l’a rejeté (il s’agit manifestement d’un « recours », que la plaignante ait consenti ou non au résultat. L’alinéa 3.1b) ne prévoit pas que l’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte lorsque «  … la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours satisfaisant pour la partie plaignante »);

d) l’arbitre a conclu que Mme Kosanovich avait été congédiée parce qu’elle était en faveur de la campagne visant la formation d’un syndicat (dossier d’appel, p. 24) « c’est là le « fondement » de sa décision.

Si l’employeur avait soutenu cette position dès le début des procédures, l’affaire aurait probablement été tranchée de façon satisfaisante dans le cadre du recours fondé sur la partie I. À tout le moins, l’appelante aurait dû soulever la question devant l’arbitre et alléguer que la plainte ne pouvait être examinée que sous le régime de la partie I. L’employeur a plutôt gardé cet argument subsidiaire en réserve et, ayant perdu devant l’arbitre, il modifie maintenant sa position et soutient que l’affaire relève du Conseil aux termes de la partie I, forçant ainsi l’intimée à appuyer la décision de l’arbitre fondée sur la partie III devant les deux sections de la Cour fédérale.

Même s’il n’existe aucun fondement permettant à la Cour en l’espèce d’ordonner le paiement des frais engagés devant l’arbitre, l’appelante devrait payer les dépens que l’intimée a engagés devant la Section de première instance et devant la Cour d’appel fédérale sur une base procureur-client.

Conclusion

En conséquence, l’appel devrait être accueilli et la décision de l’arbitre C. S. Mellors en date du 30 juin 1993 devrait être annulée; l’appelante devrait payer à l’intimée Dorothy Kosanovich les dépens engagés devant la Section de première instance et la Cour d’appel.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux motifs exprimés par le juge Strayer.



[1] L.R.C. (1985), ch. L-2.

[2] Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652(C.A.).

[3] Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449(1re inst.), à la p. 465.

[4] 242. …

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[5] L.R.C. (1985), ch. L-2.

[6] Dossier d’appel, p. 63.

[7] (1994), 81 F.T.R. 110 (C.F. 1re inst.), à la p. 115.

[8] Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652(C.A.).

[9] [1993] 2 R.C.S. 651.

[10] L.N.-B. 1984, ch. C-5.1.

[11] L’application du critère de « l’absence d’erreur » aux conclusions relatives à la compétence n’exige probablement pas de norme plus élevée : voir mes commentaires sur ce point dans l’arrêt Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289(1re inst.), aux p. 294 à 298 et les décisions qui y sont citées.

[12] Précité, note 2.

[13] Art. 97(2) et 240(2).

[14] Art. 98(1) et 241(2).

[15] Précité, note 2.

[16] Précité, note 3.

[17] Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, S.C. 1948, ch. 54, art. 4.

[18] [Loi modifiant le Code canadien du travail] S.C. 1972, ch. 18, art. 1.

[19] [Loi modifiant le Code canadien du travail] S.C. 1977-78, ch. 27, art. 21.

[20] Précité, note 2, p. 668 à 670.

[21] Je ne vois pas pourquoi le Code ne pourrait pas être appliqué de cette façon et les fonctionnaires du Ministère ou du Conseil devraient aviser les plaignants éventuels en conséquence afin d’éviter tout risque de confusion et d’injustice.

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