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[1995] 1 C.F. 323

T-505-94

T-506-94

T-508-94

La Société Radio-Canada (requérante)

c.

Le sergent Mark Adam Boland, le caporal-chef Clayton Matchee, Sa Majesté la Reine et le soldat Elvin Kyle Brown (intimés)

Répertorié : Société Radio-Canada c. Boland (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson—Ottawa, 13 et 16 juin et 28 septembre 1994.

Forces armées — Demandes de contrôle judiciaire contre les décisions du juge-avocat portant interdiction de publier des preuves versées au dossier de la cour martiale jugeant un soldat accusé d’avoir tué un prisonnier en Somalie — Le juge-avocat, appliquant le critère dégagé par l’arrêt R. c. Oakes, n’a pas ordonné l’interdiction intégrale, mais une interdiction partielle — Les cours martiales ont compétence en common law pour rendre des ordonnances de non-publication — Ces ordonnances ne serviraient à rien si elles n’avaient pas force obligatoire pour les médias civils — Risque véritable et considérable qu’un procès équitable soit impossible sans les ordonnances de non-publication — L’art. 648 du Code criminel ne s’applique pas aux cours martiales, mais le juge-avocat a compétence pour rendre une ordonnance semblable à l’ordonnance de non-publication prévue dans cette disposition.

Radiodiffusion — Recours en contrôle judiciaire exercés par la SRC contre les ordonnances de non-publication rendues dans le cadre d’un procès en cour martiale d’un soldat canadien par ce motif qu’elles l’empêchaient de remplir sa mission qu’elle tient de la Loi sur la radiodiffusion — Ces ordonnances interdisaient aux médias d’identifier le rôle joué par les autres accusés dans la mort du prisonnier somalien et de publier les photographies des scènes de torture — Elles sont exécutoires à l’égard des médias civils — Elles sont justifiées en raison du risque véritable et considérable qu’un procès équitable soit impossible en leur absence.

Un soldat canadien, le soldat Brown, était poursuivi pour torture et meurtre sur la personne d’un jeune Somalien qui était sous la garde du Régiment aéroporté du Canada. La Société Radio-Canada a présenté des demandes de contrôle judiciaire contre la décision du juge-avocat d’interdire la publication de certaines preuves et pièces versées au dossier de la cour martiale. Les interdictions relatives aux preuves et aux pièces signifiaient que, dans les comptes rendus du procès, les médias n’avaient ni le droit d’identifier le rôle joué par l’un quelconque des autres accusés dans les événements précédant la mort du Somalien, ni le droit de publier les 16 photographies des scènes de torture sur la personne de celui-ci. La SRC fait valoir que l’interdiction relative aux pièces l’empêchait de remplir convenablement sa mission qu’elle tient de la Loi sur la radiodiffusion et valait discrimination contre les télédiffuseurs puisque ceux-ci présentent les informations surtout par les images. Ce recours soulève quatre questions, savoir : 1) si le juge-avocat est investi du pouvoir de rendre des ordonnances de non-publication; 2) si pareilles ordonnances ont force obligatoire pour les médias civils; 3) si elles sont justifiées; et 4) si l’article 648 du Code criminel s’applique au procès en cour martiale de Brown.

Jugement : les demandes sont rejetées.

1) Une cour martiale est un tribunal créé par la loi et une cour d’archives inférieure, et en common law, les cours d’archives inférieures ont compétence inhérente pour rendre des ordonnances de non-publication, dans le cadre de leur fonction qui est de s’assurer que justice est faite. Dans ce contexte, il y a lieu d’examiner si les cours martiales ont perdu cette compétence puisque ni la Loi sur la défense nationale ni les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes ne renferment une disposition autorisant expressément les ordonnances de non-publication ou prévoyant le maintien de la compétence de common law qui les justifie. La compétence inhérente de common law pour interdire la publication continue d’exister parce qu’elle n’a été supprimée par aucune loi. Le législateur n’a pas entendu supprimer cette importante compétence juste en omettant de la mentionner dans la Loi sur la défense nationale. D’autant plus que dans les affaires criminelles, tel le procès en cour martiale de Brown, le paragraphe 8(2) du Code criminel maintient expressément en vigueur la compétence inhérente de common law des cours d’archives inférieures. Par ces deux motifs, le juge-avocat avait compétence pour interdire la publication des preuves et des pièces dans le procès Brown.

2) L’article 60 de la Loi sur la défense nationale ne peut s’interpréter comme limitant la compétence inhérente de common law d’un juge-avocat en matière d’ordonnances de non-publication qui seraient exécutoires pour préserver l’intégrité du processus des cours martiales. Une ordonnance de ce genre ne servirait à rien, du moins au Canada, si elle n’avait pas force obligatoire pour la presse civile. Faute de jurisprudence ou de texte de loi en sens contraire, le juge-avocat siégeant au procès Brown avait compétence pour rendre une ordonnance de non-publication, applicable également aux médias civils.

3) Dans les motifs d’ordonnance de non-publication, le juge-avocat reconnaissait qu’il se trouvait confronté « au conflit direct entre un droit et une liberté, garantis l’un et l’autre par la Charte ». Il a rejeté l’interdiction intégrale en faveur des dispositions plus limitées qu’on trouve dans les interdictions relatives aux preuves et aux pièces. Il a eu également raison de rejeter la suggestion de la SRC d’« isoler » par son ordonnance les membres de la Cour et les témoins éventuels de tous les médias. Pareille ordonnance serait irréaliste et impossible à appliquer; elle n’assurerait pas vraiment un procès équitable pour les autres accusés. Le juge-avocat n’a pas commis une erreur de droit en concluant qu’il existait un risque véritable et considérable, savoir qu’un procès équitable serait impossible sans les ordonnances de non-publication.

4) Contrairement à la conclusion du juge-avocat, l’article 648 du Code criminel ne s’applique pas aux cours martiales. Cependant, le juge-avocat siégeant en cour martiale a compétence pour rendre une ordonnance semblable ou identique à l’ordonnance de non-publication prévue au paragraphe 648(1) du Code criminel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 7, 11d), 24(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 8(2), 276.3(1) (édicté par L.C. 1992, ch. 38, art. 2), 486(3) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 23, art. 1), (4) (mod., idem), 517(1), 539(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 97), 648.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1(4) (édicté, idem, art. 5).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 60 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60), 118, 302.

Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1968), art. 101.07.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. v. Wood (D.A.) (No. 2) (1993), 124 N.S.R. (2d) 128 (C.S.); R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714; (1991), 66 C.C.C. (3d) 454; 7 C.R. (4th) 233; 128 N.R. 321; 49 O.A.C. 83; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 21 C.R.R. 76; 67 N.R. 241; 16 O.A.C. 81.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ryan c. La Reine (1987), 4 C.A.C.M. 563 (C.A.C.M.); Church of Scientology of Toronto et al. and The Queen (No. 6), Re (1986), 27 C.C.C. (3d) 193 (H.C. Ont.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canadian Broadcasting Corp. v. Dagenais (1992), 12 O.R. (3d) 239; 99 D.L.R. (4th) 326; 12 C.R.R. (2d) 229; 59 O.A.C. 310 (C.A.); R. v. Bernardo, [1993] O.J. No. 2047 (QL) (Div. gén. Ont.).

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Regina v. Makow, [1975] 1 W.W.R. 299; (1974), 20 C.C.C. (2d) 513; 28 C.R.N.S. 87 (C.A.C.-B.); Monaghan v. Canadian Broadcasting Corp. (1993), 110 D.L.R. (4th) 39 (Div. gén. Ont.).

DEMANDES de contrôle judiciaire contre des décisions du juge-avocat portant interdiction de publier certaines preuves et pièces versées au dossier d’une cour martiale. Demandes rejetées.

AVOCATS :

Edith H. Cody-Rice et Leslie Saunders pour la requérante.

Arnold Fradkin pour les intimés.

PROCUREURS :

Société Radio-Canada, Ottawa, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Simpson : Le 16 mars 1993, un jeune Somalien, Shidane Arone (Arone), mourut pendant qu’il était sous la garde du Régiment aéroporté du Canada, qui faisait partie des forces de maintien de la paix des Nations Unies en Somalie. Des militaires ont été poursuivis pour torture et meurtre sur la personne d’Arone, et le premier accusé à subir son procès a été le soldat Elvin Kyle Brown (Brown).

Le procès en cour martiale générale du soldat Brown (le procès Brown) a donné lieu à trois demandes de contrôle judiciaire présentées par la Société Radio-Canada (la SRC) sous le régime de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] (la Loi). Deux de ces demandes visent les décisions rendues par le juge-avocat lieutenant-colonel J. S.T. Pitzul (le juge-avocat) le 14 et le 22 février 1994 pour interdire respectivement la publication de certaines preuves et des pièces versées au dossier du procès Brown. La troisième demande vise la décision rendue le 14 février 1994 par le juge-avocat qui concluait que l’article 648 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] s’appliquait au procès Brown.

Pour plus de clarté, il convient de rappeler brièvement la procédure des cours martiales. Le code de discipline militaire (le Code), qui comprend les parties IV à IX de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, (la LDN) définit les règles de conduite auxquelles sont soumis les militaires et certains employés civils, et soumet les contrevenants à la juridiction des tribunaux militaires. Certaines dispositions du code sont clarifiées et les détails de procédure fixés dans les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [(Révision de 1968)] (les ORFC).

Les infractions au code (infractions d’ordre militaire) sont punissables qu’elles soient commises au Canada ou à l’étranger, et une personne poursuivie pour infraction d’ordre militaire peut être jugée à l’étranger. Les infractions d’ordre militaire comprennent les infractions au Code criminel ainsi que des infractions d’ordre militaire proprement dites.

Selon le code, il y a quatre types de cour martiale, dont l’un est la cour martiale générale, tel le procès Brown. La cour martiale générale connaît des infractions les plus graves et est habilitée à appliquer les peines les plus lourdes. Une cour martiale générale est composée principalement du procureur, du juge-avocat et la cour proprement dite qui comprend le président et quatre autres membres de la cour. Le procureur requiert contre l’accusé. Le juge-avocat participe à la cour martiale où il tranche les questions de droit ou les questions mixtes de droit et de fait. Il n’est cependant pas le juge des faits. Le président veille à ce que l’audience se déroule dans l’ordre et selon les règles judiciaires. Les membres de la cour sont tous des officiers supérieurs. Ils se prononcent sur l’innocence ou la culpabilité de l’accusé à la majorité des voix et, le cas échéant, prononcent la peine applicable.

Ceux qui étaient accusés en sus de Brown d’infractions ayant un rapport avec la mort d’Arone (les procès connexes) seront collectivement appelés ci-après les autres accusés. En voici l’état récapitulatif :

Accusé

Chefs d’accusation

Date du procès

État de la cause au 19 septembre 1994

Soldat Brown (Brown)

Meurtre au deuxième degré et torture

14 fév. 1994

18 mars 1994:

verdict d’homicide involontaire

et de torture. Emprisonnement de 5 ans et destitution ignominieuse

Sergent Gresty

(Gresty)

Exécution négligente d’obligations

militaires

21 mars 1994

Acquitté le 11 avril 1994

Sergent Boland

(Boland)

Torture et exécution négligence d’obligations militaires

29 avril 1994

Acquitté du chef de torture, a plaidé coupable du chef de négligence — Condamné à 90 jours de détention

Major Seward

(Seward)

Infliction illégale de lésions

9 mai 1994

Acquitté le 3 juin 1994

Caporal-chef Matchee

(Matchee)

Meurtre et torture

25 avril 1994

Action éteinte, Matchee n’étant pas en état de passer en jugement

Lieutenant-colonel Mathieu (Mathieu)

Exécution négligente d’obligations militaires

30 mai 1994

Acquitté le 24 juin 1994

Soldat Brockelbank (Brockelbank)

Torture et exécution négligente d’obligations militaires

Initialement prévu pour le 28 fév. 1994, ajourné au 11 oct. 1994

Affaire pendante

Les requêtes en ordonnance de non-publication

Au procès Brown, Boland, l’un des autres accusés, s’est vu accorder le droit d’intervenir et d’exercer un recours fondé sur l’article 7, l’alinéa 11d) et le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,  Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), pour conclure à une ordonnance portant interdiction absolue de toute publication ou diffusion, sous quelque forme que ce soit, de ce qui se passait au procès Brown, et ce, jusqu’à la conclusion de son propre procès en cour martiale.

L’avocat de Matchee concluait lui aussi à une ordonnance de non-publication et s’est vu accorder le droit d’intervenir à cet effet. Les requêtes introduites par Boland et Matchee avaient le soutien de la poursuite. Parmi les autres accusés, Brockelbank, Seward et Mathieu n’étaient pas représentés et n’ont pas pris position. Gresty ne s’est pas opposé à ces requêtes.

L’avocat de la SRC s’est vu accorder l’autorisation d’intervenir pour s’opposer à l’octroi des ordonnances de non-publication. L’avocat de Brown s’y est également opposé par ce motif que pareille ordonnance était contraire aux intérêts de son client.

Les ordonnances de non-publication

Le juge-avocat a rendu les deux ordonnances suivantes, lesquelles étaient, à sa connaissance, les premières ordonnances de non-publication rendues par une cour martiale canadienne.

1.         L’interdiction de publier les preuves14 février 1994

[traduction] La Cour rejette la requête en interdiction totale temporaire de la publication des preuves produites au procès du soldat Brown. La Cour interdit cependant la publication des preuves produites au procès Brown et qui, directement ou implicitement, identifient le soldat Brockelbank, le sergent Gresty, le sergent Boland, le major Seward, le caporal-chef Matchee ou le lieutenant-colonel Mathieu avec la perpétration d’une infraction dont ils ont été accusés, ce qui s’entend également de leurs nom, rang et fonctions.

J’en viens maintenant à la durée de l’interdiction. Elle sera temporaire mais demeurera en vigueur jusqu’à la fin des procès et procédures suivants :

a.   le procès en cour martiale du soldat Brockelbank;

b.   le procès en cour martiale du sergent Gresty;

c.   la décision formelle sur les chefs d’accusation relevés contre le sergent Boland ou le procès en cour martiale du sergent Boland;

d.   le procès en cour martiale du major Seward;

e.   l’instruction par la cour martiale de la question de savoir si le caporal-chef Matchee est en état de passer en jugement et, si elle conclut par l’affirmative, le procès en cour martiale du caporal-chef Matchee.

f.    le procès en cour martiale du lieutenant-colonel Mathieu.

Cette ordonnance de non-publication sera appelée ci-après l’interdiction relative aux preuves.

2.  L’interdiction de publier les pièces22 février 1994

[traduction] Vu les faits et circonstances de la cause, les conclusions des avocats, y compris les précédents cités, la Cour, par ces motifs :

b.   décide de ne pas mettre des copies des pièces à la disposition du public, les médias y compris;

c.   ordonne que le public, les médias y compris, aura accès aux moments indiqués durant les ajournements, tels que les décide le juge-avocat, pour regarder les pièces qui ont été produites devant la Cour. L’accès se limite au droit de regarder. Les pièces ne seront reproduites par aucun moyen ou sous aucune forme, elles pourront être regardées, mais non pas manipulées, inspectées ou emportées. La présente ordonnance demeure en vigueur jusqu’à la fin de la procédure en instance devant la Cour martiale.

Cette ordonnance de non-publication sera appelée ci-après l’interdiction relative aux pièces.

En termes pratiques, les interdictions relatives aux preuves et aux pièces signifiaient que dans les comptes rendus du procès Brown, les médias n’avaient pas le droit d’identifier le rôle joué par l’un quelconque des autres accusés dans les événements précédant la mort d’Arone. De même, ils n’avaient pas le droit de publier les 16 photographies des scènes de torture sur la personne d’Arone. Cependant, les journalistes avaient toute liberté de décrire ces photographies et d’autres pièces, mais sans révéler l’identité de ceux qui en faisaient l’objet (sauf Brown).

La SRC fait valoir par affidavit que l’interdiction relative aux preuves empêchait Michael McAuliffe, un reporter de la radio de langue anglaise de la SRC, de donner des comptes rendus clairs du procès Brown. Par affidavit en date du 9 mars 1994, celui-ci affirme que l’interdiction :

[traduction] … m’empêchait de faire convenablement mon travail de journaliste et a jeté la confusion dans l’esprit du public, ce qui pourrait amener celui-ci à interpréter à tort le degré de participation de certains autres accusés au grand dam de ces derniers, puisque les médias ne sont pas en état d’identifier proprement les coaccusés dans cette affaire.

L’interdiction relative aux pièces affectait aussi la SRC. Par affidavit en date du 9 mars 1994, Chris Waddell, qui est le chef du bureau parlementaire de la télévision de langue anglaise de la SRC, soutient que cette interdiction :

[traduction] … a empêché la Société Radio-Canada de remplir convenablement sa mission qu’elle tient de la Loi sur la radiodiffusion, puisqu’elle n’est pas en état de communiquer au public par un moyen qui convienne à la télévision, des preuves, dont des pièces, produites devant la cour martiale générale et sur la foi desquelles celle-ci pourra conclure à la culpabilité ou à l’innocence.

Dans son argumentation, l’avocate de la SRC fait valoir que l’interdiction relative aux pièces vaut discrimination contre les télédiffuseurs puisque ceux-ci présentent les informations surtout par les images. D’autres médias, qui présentent l’information sous forme parlée ou écrite, souffrent moins de cette interdiction.

Les points en litige

Ce recours soulève les quatre questions suivantes :

Partie A

1. Un juge-avocat est-il investi du pouvoir de rendre une ordonnance de non-publication?

2. Dans l’affirmative, pareille ordonnance a-t-elle force obligatoire pour les médias civils?

3. Dans l’affirmative, les ordonnances visées sont-elles justifiées en l’espèce?

Partie B

L’article 648 du Code criminel s’applique-t-il au procès Brown?

Partie A

Question I : Le juge-avocat est-il investi du pouvoir de rendre ces ordonnances de non-publication?

La SRC soutient que si un juge-avocat n’est pas investi du pouvoir de rendre des ordonnances de non-publication, les mêmes ordonnances peuvent être rendues au cours d’un procès en cour martiale par la Cour fédérale du Canada ou par une cour d’archives provinciale.

Les parties conviennent au cours des débats qu’une cour martiale est un tribunal créé par la loi et une cour d’archives inférieure; qu’en common law, les cours d’archives inférieures telle une cour martiale ont compétence inhérente pour rendre des ordonnances de non-publication, dans le cadre de leur fonction qui est de s’assurer que justice est faite; et enfin que ni la LDN ni les ORFC ne renferment une disposition autorisant expressément les ordonnances de non-publication ou prévoyant le maintien de la compétence de common law qui justifie pareilles ordonnances.

Dans ce contexte, il convient d’examiner si les cours martiales ont perdu la compétence inhérente en matière d’ordonnances de non-publication, qu’elles auraient eu en common law. La SRC soutient que cette compétence de common law a été perdue, et qu’elle ne peut être préservée que par une disposition législative expresse à cet effet, une « disposition de maintien ». Elle cite à ce propos la décision Ryan c. La Reine (1987), 4 C.A.C.M. 563 (C.A.C.M.), à la page 567 (Ryan), où le juge Pratte a conclu qu’« [u]ne cour martiale est un tribunal inférieur. La principale différence entre une cour supérieure et une cour inférieure est que, sauf preuve du contraire, aucune affaire n’est présumée échapper à la compétence de la cour supérieure alors qu’aucune affaire n’est présumée relever de la cour inférieure ». La SRC se fonde sur cette décision pour soutenir que, les ordonnances de non-publication n’étant pas expressément prévues et faute de disposition portant maintien de la compétence de common law, cette compétence a été perdue puisque on ne saurait présumer qu’elle existe.

À mon avis, la décision Ryan portait sur la compétence d’une cour martiale générale à l’égard d’une infraction donnée. Il s’agissait de savoir si la qualification militaire de l’infraction pouvait se dégager des circonstances dans lesquelles celle-ci avait été commise. Il est clair que la cour ne s’intéressait pas à la question de l’existence, maintenue ou autre, d’une compétence inhérente de common law de la cour martiale. Puisqu’il en est ainsi, je ne saurais conclure que la décision Ryan pose pour règle l’extinction de la compétence de common law du juge-avocat pour rendre des ordonnances de non-publication.

Pour ce qui est de la question de la disposition de maintien, la SRC soutient aussi que le paragraphe 8(2) du Code criminel renferme une disposition de maintien dont l’adoption signifie que, pour les cours inférieures, une disposition législative expresse est nécessaire pour maintenir la compétence inhérente qui existait auparavant en common law. Dans la décision Church of Scientology of Toronto et al. and The Queen (No. 6), Re[1] (Scientology), le juge Watt s’est fondé sur ce paragraphe 8(2) pour conclure que les cours provinciales de l’Ontario sont investies du pouvoir de rendre des ordonnances de non-publication. Il n’était cependant pas appelé à décider si la compétence de common law pour rendre ces ordonnances aurait continué à exister en l’absence de cette disposition.

Le paragraphe 8(2) prévoit ce qui suit :

8. …

(2) Le droit criminel d’Angleterre qui était en vigueur dans une province immédiatement avant le 1er avril 1955 demeure en vigueur dans la province, sauf en tant qu’il est changé, modifié ou atteint par la présente loi ou toute autre loi fédérale.

La SRC soutient que le fait qu’une disposition de maintien figure dans une loi (le Code criminel) et non pas dans une autre (la LDN) signifie que le législateur entendait l’exclure de cette dernière. À ce propos, les intimés citent la décision rendue par le juge Tidman de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire R. v. Wood (D.A.) (No. 2) (1993), 124 N.S.R. (2d) 128, qui portait sur les procès distincts de trois hommes accusés d’un meurtre commis au cours d’un vol à main armée dans un restaurant McDonald’s dans l’île du Cap-Breton. La Couronne se fondait sur le paragraphe 8(2) pour demander l’interdiction de toute publication des preuves et témoignages produits au premier procès, en attendant l’issue du troisième. La SRC qui s’y opposait soutenait que le législateur, ayant adopté des articles du Code criminel qui interdisaient expressément la publication des preuves (paragraphes 486(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 23, art. 1] et (4) [mod., idem], 276.3(1) [édicté par L.C. 1992, ch. 38, art. 2], 517(1), 539(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 97] et 648(1)), il n’était plus possible de considérer que le paragraphe 8(2) maintenait la compétence de common law en matière d’ordonnances de non-publication. Voici la conclusion tirée par la Cour au sujet de cet argument [à la page 131] :

[traduction] La Cour a pouvoir de contrôle sur l’instance afin d’assurer l’équité du procès. Il serait impossible de s’attendre à ce que le législateur prévoie expressément chaque cas où la Cour a pouvoir de contrôle sur l’instance pour assurer l’équité du procès. Il m’est donc impossible de convenir que le législateur entendait interdire à la Cour de rendre des ordonnances de non-publication des preuves produites au procès, du seul fait qu’il ne lui a pas expressément conféré ce pouvoir par le Code criminel. [C’est moi qui souligne.]

En parvenant à cette conclusion, le juge Tidman s’est fondé sur l’arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, à la page 738, où la Cour suprême du Canada a souligné que la common law demeure en vigueur dans le Code criminel, « à la condition, bien sûr, que le Code ne contienne aucune disposition claire indiquant qu’il a remplacé la common law ».

Il n’est pas prévu nulle part que la LDN doit renfermer la même disposition de maintien. En conséquence, en l’absence de toute disposition se substituant expressément à la common law et en l’absence de toute règle jurisprudentielle en sens contraire, je conclus que la compétence inhérente de common law pour interdire la publication continue d’exister parce qu’elle n’a été supprimée par aucune loi et que, tout comme le juge Tidman, je ne pense pas que le législateur ait entendu supprimer cette importante compétence juste en omettant de la mentionner dans la LDN.

Il s’ensuit que les juges-avocats ont compétence pour rendre des ordonnances de non-publication, peu importe que la cour martiale ait lieu au Canada ou à l’étranger. En outre, puisque en l’espèce, le procès Brown a eu lieu à Petawawa, il y a un second motif pour conclure que cette compétence existe. Il est clair que dans les affaires criminelles en Ontario (et les avocats conviennent que le procès Brown était un procès criminel), le paragraphe 8(2) maintient expressément en vigueur la compétence inhérente de common law des cours d’archives inférieures. Par ces deux motifs donc, le juge-avocat avait compétence pour interdire la publication des preuves et des pièces dans le procès Brown.

La SRC soutient encore que l’article 302 de la LDN n’ayant pas pour effet d’habiliter les cours martiales à sanctionner l’outrage au tribunal, on peut en conclure que celles-ci n’ont pas compétence pour rendre des ordonnances de non-publication, dont l’exécution forcée ne peut se faire que par procédure en outrage. À mon avis, cet argument est anéanti par l’article 118 de la même Loi, qui habilite indiscutablement la cour martiale à punir la violation d’une ordonnance de non-publication.

Il est donc inutile d’examiner si la « règle d’inclusion » qu’est l’article 101.07 des ORFC confère la compétence pour rendre des ordonnances de non-publication, bien que je doive faire observer que j’aurais hésité à fonder ma décision sur une règle de procédure. Il n’est pas nécessaire non plus d’examiner si cette compétence existe, comme le font valoir les intimés, puisque une cour martiale est un tribunal compétent au sens du paragraphe 24(1) de la Charte. Force m’est cependant de noter que cet argument ne serait probablement pas retenu à la suite de l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863 où, aux pages 954 et 955, la Cour suprême du Canada conclut que pour les cours d’archives inférieures, la compétence découlant du paragraphe 24(1) ne s’étend pas aux ordonnances de prohibition telles que les interdictions relatives aux preuves et aux pièces.

Question II—Le juge-avocat a-t-il excédé sa compétence?

La SRC a respecté les interdictions relatives aux preuves et aux pièces, mais soutient que, du point de vue juridique, celles-ci n’ont pas force obligatoire pour la presse civile, par ce motif que la compétence d’une cour martiale est limitée par l’article 60 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60] de la LDN au personnel militaire et civil énuméré et soumis au code. Comme la SRC ne figure pas à l’article 60, elle soutient que ses agissements ne sont pas soumis au contrôle d’une cour martiale.

Cet argument ne tient pas. De toute évidence, l’article 60 ne fait que préciser les catégories de personnes justiciables du code. Il n’a rien à voir avec l’étendue de la compétence d’un juge-avocat. Je ne vais donc pas l’interpréter comme étant une limitation de la compétence inhérente de common law d’un juge-avocat en matière d’ordonnances de non-publication qui seraient exécutoires pour préserver l’intégrité du processus des cours martiales. Il est constant qu’une ordonnance de ce genre ne servirait à rien, du moins au Canada, si elle n’avait pas force obligatoire pour la presse civile. En conséquence, faute de jurisprudence ou de texte de loi en sens contraire, je conclus qu’au procès Brown, le juge-avocat avait compétence pour rendre une ordonnance de non-publication, applicable également aux médias civils.

Question III—L’ordonnance était-elle justifiée?

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler quelle est la portée du contrôle judiciaire. En ce qui concerne les interdictions relatives aux preuves et aux pièces, le paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale impose d’examiner si le juge-avocat, en rendant l’ordonnance, a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.

En l’espèce, le contrôle judiciaire est basé sur les faits connus du juge-avocat au moment des interdictions relatives aux preuves et aux pièces. En février 1994, le procès Brown avait repris et le juge-avocat a noté à juste titre qu’il faisait l’objet d’une couverture étendue par la presse, [traduction] « couverture sans précédent pour ce qui est d’attirer l’attention sur les Forces canadiennes et sur la justice militaire »[2]. Cette couverture de la presse était à la fois compréhensible et souhaitable. Le public canadien avait été profondément scandalisé et choqué par la mort d’Arone du fait des forces canadiennes de maintien de la paix. Le juge-avocat a pris acte que les Canadiens, y compris les militaires, manifestaient un grand intérêt pour le procès en cour martiale de ceux qui étaient impliqués dans la mort d’Arone.

Le juge-avocat pensait aussi en février 1994 que le procès Brown était le premier de sept procès connexes qui devaient tous avoir lieu vers mai 1994. Bien qu’il sût que Matchee serait probablement jugé hors d’état de passer en jugement, cette conclusion n’avait pas encore été prononcée. Le juge-avocat savait également que des mêmes témoins seraient cités par la poursuite aux procès des autres accusés et que trois de ces derniers témoigneraient au procès Brown. Les membres de la cour jugeant les autres accusés n’avaient pas été identifiés au moment des interdictions relatives aux preuves et aux pièces. Enfin, il apparut au juge-avocat que les pièces produites au procès Brown, en particulier les photographies, pourraient ne pas être produites en preuve dans les procès connexes.

Dans les motifs d’ordonnance de non-publication, le juge-avocat reconnaissait qu’il se trouvait confronté en l’espèce [traduction] « au conflit direct entre un droit et une liberté, garantis l’un et l’autre par la Charte »[3]. Il prenait acte de l’importance de l’alinéa 2b) de la Charte ainsi que de la valeur suprême du droit de l’accusé à un procès équitable, que protègent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. Il a appliqué la règle dégagée par l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 et rejeté l’interdiction intégrale recherchée par les requérants, en faveur des dispositions plus limitées qu’on trouve dans les interdictions relatives aux preuves et aux pièces.

Il y a lieu de noter que la SRC ne critique pas l’analyse effectuée par le juge-avocat pour formuler les interdictions relatives aux preuves et aux pièces. Elle lui reproche plutôt de ne pas tenir pleinement compte du fait que les membres de la cour sont des officiers supérieurs hautement disciplinés. Bien que manquant de formation juridique, ces membres de la cour exercent certaines fonctions, telle l’application de la peine, normalement réservées aux juges des juridictions répressives de droit commun. La SRC en conclut qu’on peut compter sur eux pour faire de l’autocensure quant aux articles de presse concernant les procès connexes. Selon la SRC, ces officiers supérieurs n’ont pas besoin d’ordonnances de non-publication pour respecter leur serment et s’acquitter de leur devoir de juger à la lumière des preuves dont ils sont saisis.

Ces arguments sont fondés sur la reconnaissance que dans les conditions normales, on peut compter sur les jurés civils pour respecter leur serment et se conformer aux directives du juge pour ce qui est de décider à la lumière des preuves dont ils sont saisis[4]. La SRC en infère qu’on peut attendre davantage d’une cour composée d’officiers. Cependant, je ne saurais conclure qu’en rejetant l’argumentation de la SRC, le juge-avocat a agi de façon abusive ou arbitraire. Je prends acte de son souci qu’étant donné l’intérêt intense qu’a provoqué cette affaire, il ne fût impossible même pour des officiers supérieurs d’ignorer les informations qui circulaient hors de la salle d’audience. Qui plus est, l’argumentation de la SRC ne tenait pas compte du souci du juge-avocat que des témoins de rangs inférieurs ne se laissent influencer par les comptes rendus des médias.

Prononçant sur ces arguments, le juge-avocat a rejeté la suggestion de la SRC d’« isoler » par son ordonnance les membres de la cour et les témoins éventuels de tous les médias. Ce rejet était justifié. Étant donné qu’on ne savait pas encore qui seraient les membres de la cour pour les procès connexes, pareille suggestion était peu réaliste. En outre, pour atteindre les résultats voulus, l’ordonnance aurait eu à interdire à tous les officiers supérieurs qui pourraient être membres de la cour de parler de l’un quelconque des procès connexes. Pareille ordonnance serait irréaliste et impossible à appliquer; de ce fait, elle n’assurerait pas vraiment un procès équitable pour les autres accusés. La SRC suggérait aussi d’occulter les visages sur les photographies afin d’obvier à la nécessité d’une ordonnance de non-publication. Je conviens avec le juge-avocat que ce ne serait pas là une solution durable. À mon avis, les visages ne sont pas le seul élément qui permette d’identifier ceux qui se trouvent dans les photographies.

La SRC tient aussi que le juge-avocat a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour justifier la nécessité d’une ordonnance de non-publication. Dans Scientology, le juge Watt conclut que la publication des comptes rendus des procès connexes pouvait être suspendue en common law [traduction] « lorsque pareille publication peut compromettre l’équité réelle ou apparente des procès subséquents de ces coaccusés » [non souligné dans le texte][5] (la norme Scientology). La SRC soutient cependant que la norme observée à l’heure actuelle est plus rigoureuse, telle qu’elle a été dégagée par le juge Dubin, juge en chef de l’Ontario, dans Canadian Broadcasting Corp. v. Dagenais (1992), 12 O.R. (3d) 239 (C.A.) (Dagenais). Il n’était pas question dans cette dernière affaire de « véritables » procédures connexes; il s’agissait plutôt de savoir s’il fallait rendre une injonction pour interdire la diffusion de l’émission « The Boys of St. Vincent » de la SRC, en attendant l’issue de quatre procès criminels des personnes accusées de sévices sexuels contre de jeunes garçons dans des écoles catholiques. Cette émission était une histoire romancée. Dans sa décision, le juge en chef Dubin a dégagé à la page 246 le critère suivant : [traduction] « il n’y a pas lieu à injonction sauf risque réel et considérable qu’un procès équitable soit impossible » [non souligné dans le texte] (la norme Dagenais). Il se peut que cette norme élevée ait été imposée dans Dagenais parce que cette affaire concernait la télédiffusion d’une histoire romancée[6]. Quoi qu’il en soit, le juge Kovacs n’a pas adopté la norme Dagenais dans R. v. Bernardo, [1993] O.J. No. 2047 (QL) (Div. gén.), par ce motif qu’elle était trop rigoureuse dans un cas concernant des instances connexes. La SRC soutient cependant que la norme Dagenais est la règle de droit applicable et que le juge-avocat ne l’a pas suivie dans son analyse. L’eût-il fait, dit-elle, il aurait été obligé de refuser de rendre les ordonnances de non-publication.

À mon avis, la norme Scientology est celle qui s’applique lorsqu’il est question d’instances connexes. Cependant, peu importe la norme applicable, je conclus de l’examen des décisions des 14 et 22 février 1994 du juge-avocat, prises dans leur ensemble, qu’il était convaincu qu’il existait un risque véritable et considérable, savoir qu’un procès équitable serait impossible sans les ordonnances de non-publication. Il appréhendait manifestement un risque qui répondait à la norme Dagenais et, par ce motif, quelle que soit la norme appliquée, il n’a commis aucune erreur de droit.

Conclusion

Par ces motifs, il m’est impossible de conclure que le juge-avocat a commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire sous le régime de la Loi, en imposant l’interdiction de publier les preuves et les pièces de façon à protéger le droit fondamental des autres accusés à un procès équitable.

Partie B

L’article 648 du Code criminel

Cet article prévoit ce qui suit :

648. (1) Lorsque la permission de se séparer est donnée aux membres d’un jury en vertu du paragraphe 647(1), aucun renseignement concernant une phase du procès se déroulant en l’absence du jury ne peut être, après que la permission est accordée, publié dans un journal, ni révélé dans une émission radiodiffusée avant que le jury ne se retire pour délibérer.

(2) Quiconque omet de se conformer au paragraphe (1) est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(3) Au présent article, « journal » a le sens que lui donne l’article 297.

Les avocats des deux parties conviennent, à l’opposé du juge-arbitre, que l’article 648 du Code criminel ne s’applique pas aux cours martiales. Je fais droit à cette conclusion et rendrai une ordonnance déclaratoire dans ce sens. Cependant, vu mes conclusions précédentes sur la question de compétence, je conclus que le juge-avocat siégeant en cour martiale a compétence pour rendre une ordonnance semblable ou identique à l’ordonnance de non-publication prévue au paragraphe 648(1) du Code criminel.



[1] (1986), 27 C.C.C. (3d) 193 (H.C. Ont.).

[2] Décision du juge-avocat en date du 14 février 1994, à la p. 32.

[3] Décision en date du 14 février 1994 du juge-avocat dans le procès Brown, à la p. 31.

[4] Regina v. Makow, [1975] 1 W.W.R. 299 (C.A.C.-B.), le juge Seaton de la Cour d’appel, à la p. 305. R. v. Wood (D.A.) (No. 2.) (1993), 124 N.S.R. (2d) 128 (C.S.), le juge d’appel Tidman, à la p. 134.

[5] Scientology, supra, à la p. 209.

[6] Cette norme a été également appliquée par le juge Chapnik dans une autre requête concernant « The Boys of St. Vincent »; voir Monaghan v. Canadian Broadcasting Corp. (1993), 110 D.L.R. (4th) 39 (Div. gén. Ont.).

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