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[1995] 1 C.F 741

IMM-7460-93

Sellakandu Sivasamboo et Dilaka Sivasamboo (requérantes)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Richard—Toronto, 29 septembre; Ottawa, 30 novembre 1994.

Citoyenneté et Immigration — Contrôle judiciaire — La section du statut de réfugié avait conclu que les requérantes n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention — Norme de contrôle s’appliquant aux décisions de la section du statut en vertu de l’art. 18.1(4)c) et d) de la Loi sur la Cour fédérale — La clause privative n’est pas déterminante — Il faut faire preuve d’une grande retenue envers les tribunaux spécialisés lorsqu’ils agissent dans leur champ de compétence et d’expertise — La retenue s’applique aux questions de droit et aux questions de fait — La norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié avait conclu que les requérantes n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. Les requérantes sont des Tamoules du Sri Lanka. Elles ont fui le nord du pays et ont essayé de s’établir à Colombo parce que la guerre civile avait éclaté dans le nord de ce pays et parce qu’elles étaient persécutées tant par l’armée sri lankaise que par un groupe terroriste. Peu de temps après leur arrivée, elles ont été arrêtées, détenues dans un poste de police pendant plus de six heures et mises en liberté inconditionnellement. Elles ont demeuré à Colombo pendant plusieurs mois et, bien qu’elles n’aient pas eu d’autres rencontres avec la police, elles ont décidé de quitter le pays et de venir au Canada. La section du statut de réfugié a estimé que la crainte des requérantes d’être persécutées dans la région de Jaffna était fondée, mais qu’elles pouvaient se réfugier dans une autre partie du même pays, à Colombo. Elle a conclu que les requérantes ne risquaient pas d’être persécutées dans la région de Colombo et qu’elles n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. La principale question en litige se rapportait à la norme de contrôle s’appliquant aux motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)c) et d) de la Loi sur la Cour fédérale en ce qui concerne les erreurs de droit et les erreurs de fait.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Même si les dispositions du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale ont une portée générale, il faut faire preuve d’une « grande » retenue lorsqu’un tribunal spécialisé rend une décision qui relève directement de son champ d’expertise. L’analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer dans quelle mesure il faut faire preuve de retenue envers un tribunal administratif exige l’examen de la loi qui confère la compétence, du but de la loi qui crée le tribunal, de la raison d’être du tribunal et du champ d’expertise de ses membres. La présence d’une clause privative n’est pas déterminante. Le paragraphe 67(1) de la Loi sur l’immigration, qui confère à la section du statut de réfugié une « compétence exclusive … pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait », en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention n’est pas en soi une clause privative, mais les décisions de la section du statut peuvent être considérées comme ayant force de chose jugée et liant les parties en raison de l’octroi exclusif de la compétence, des possibilités limitées de contrôle judiciaire et de la nature spécialisée du tribunal. La nature de l’enquête et la procédure que comporte la détermination du statut de réfugié au sens de la Convention sont telles que la section du statut doit être fort spécialisée et sensibilisée aux revendications du requérant. En outre, le contexte factuel et réglementaire dans lequel ses décisions sont rendues est fort complexe. Le principe de la retenue s’applique non seulement aux faits constatés par la section du statut, mais aussi aux questions de droit dont cette dernière est saisie. En ce qui concerne les constatations et conclusions de fait d’un tribunal spécialisé, le tribunal ayant le pouvoir de surveillance interviendra uniquement s’il a été démontré qu’une erreur manifeste a été commise, c’est-à-dire que les constatations et conclusions de fait sont manifestement déraisonnables. Étant donné que la section du statut est un tribunal spécialisé envers lequel la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue, lorsqu’elle examine les conclusions tirées sur des questions de droit et sur des questions de fait, la norme de contrôle judiciaire à appliquer est celle du caractère manifestement déraisonnable.

La question de savoir si, en fait, les circonstances avaient changé à Colombo était une question qui relevait directement de l’expertise particulière de la section du statut. La question de savoir si, en droit, les requérantes pouvaient raisonnablement se réfugier à Colombo était une autre question qui relevait directement du champ d’expertise du tribunal. La décision de la section du statut, à savoir que les requérantes pouvaient se réfugier à Colombo, n’était pas déraisonnable, et encore moins « manifestement déraisonnable » ou « clairement irrationnelle ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 61 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 50), 64 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 54), 65 (mod., idem, art. 55), 67 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 68 (mod., idem), 69.1 (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 60), 82.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 82.2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/93-22, Règle 18.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 150 N.R. 161; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; [1994] 7 W.W.R. 1; (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 145; 4 C.C.L.S. 117; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 14 Admin. L.R. (2d) 1; 93 CLLC 14,032; 152 N.R. 1; 63 O.A.C. 1; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; (1993), 102 D.L.R. (4th) 402; 153 N.R. 81; Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Husyn c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1218 (C.A.) (QL); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Letshou-Olembo, [1990] 3 C.F. 45 (1990), 73 D.L.R. (4th) 560; 11 Imm. L.R. (2d) 225; 113 N.R. 136 (C.A.); Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476; (1984), 14 D.L.R. (4th) 289; 14 Admin. L.R. 133; 84 CLLC 14,070; 55 N.R. 194; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644; (1990), 88 Nfld. & P.E.I.R. 15; 48 Admin. L.R. 1; 91 CLLC 14,002; 123 N.R. 241.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1.

DÉCISIONS CITÉES :

National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 40 B.C.L.R. (2d) 1; 40 Admin. L.R. 181; 89 CLLC 14,050; Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722; (1989), 60 D.L.R. (4th) 682; 38 Admin. L.R. 1; 97 N.R. 15; Douglas Aircraft Co. of Canada Ltd. c. McConnell et autres, [1980] 1 R.C.S. 245; (1979), 99 D.L.R. (3d) 385; 79 CLLC 14,221; 29 N.R. 109; Nouveau-Brunswick (Office de commercialisation des œufs) c. Office canadien de commercialisation des œufs (1992), 94 D.L.R. (4th) 687; 55 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 59 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] F.C.J. no 1637 (C.A.) (QL); Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; (1992), 9 O.R. (3d) 224; 93 D.L.R. (4th) 346; 138 N.R. 1; 55 O.A.C. 81; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; (1992), 90 D.L.R. (4th) 27; 10 C.C.L.T. (2d) 101; 133 N.R. 116; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; 23 Q.A.C. 1; (1989), 45 M.P.L.R. 1; 94 N.R. 1; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Szymanska, [1992] F.C.J. no 1172 (C.A.) (QL); Rezaei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] F.C.J. no 40 (C.A.) (QL); Diarra c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1410 (1re inst.) (QL); Hossain c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1194 (1re inst.) (QL); Franco c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1011 (C.A.) (QL); Yuen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1045 (C.A.) (QL); Liu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. No 1043 (C.A.) (QL); Ahmed c. Canada (Solliciteur général), [1994] F.C.J. no 1270 (1re inst.) (QL); Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (1991), 140 N.R. 138 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (1993), 109 D.L.R. (4th) 682; 22 Imm. L.R. (2d) 241 (C.A.).

DOCTRINE

Canada. Commission de réforme du droit. The Determination of Refugee Status in Canada : A Review of the Procedure (Draft Final Report), Ottawa, 1992.

Hathaway, James. Vers le réétablissement de la confiance : Rapport de l’Examen de la justice fondamentale dans l’obtention et la dissémination de l’information à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ottawa, décembre 1993.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié a conclu que les requérantes n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. Demande rejetée.

AVOCATS :

William A. Sullivan pour les requérantes.

Charles D. Johnston pour l’intimé.

PROCUREURS :

Davis, Sullivan, Toronto, pour les requérantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le Juge Richard : Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l’immigration[1] en vue du contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale[2], de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section du statut) a conclu, le 8 décembre 1993, que les requérantes n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.

Les faits, qui sont exposés dans les motifs de décision de la section du statut et dans la transcription de l’audience, sont les suivants :

1) Les requérantes, des Tamoules, sont une mère et sa fille : Sellakandu Sivasamboo, âgée de 64 ans, et Dilaka Sivasamboo, âgée de 29 ans. Elles revendiquent toutes les deux le statut de réfugié au sens de la Convention en affirmant craindre avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social[3].

2) Les requérantes ont témoigné que, lorsque la guerre civile a éclaté dans le nord du Sri Lanka, elles ont été persécutées par des officiers, dans un camp des Forces armées sri lankaises (les FASL) situé près de Kankesanthurai, leur village d’origine. En juin 1986, les soldats des FASL ont dévalisé la famille. En 1987, une attaque aérienne les a forcées à quitter leur village pour s’installer chez une tante, à Aleveddy, car leur maison avait été détruite[4].

3) Les requérantes ont fui le nord du pays à cause de la tendance croissante à l’extorsion de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les LTTE). Les LTTE ont commencé à exercer des pressions en décembre 1990, lorsqu’ils ont demandé à Dilaka Sivasamboo de se joindre à leur cause. En mars 1991, cette dernière a été contrainte à se rendre dans un camp avec les LTTE, jusqu’à ce qu’elle soit libérée à la suite du paiement d’un pot-de-vin. Les LTTE ayant exigé le paiement de la somme additionnelle de 25 000 roupies, les requérantes ont quitté Jaffna en décembre 1991 et ont voyagé avec un parent, en se déplaçant en petit groupe dans la brousse, de façon à éviter les contrôles des LTTE et des FASL. Lorsque les requérantes sont arrivées à Vavuniya, elles se sont rendues en train à Colombo, où elles ont pu demeurer chez un ami de la famille qui s’appelait M. Kumaraswamy[5].

4) Dilaka Sivasamboo a témoigné au sujet des épreuves que sa mère et elle avaient subies à Colombo. Elle a témoigné que M. Kumaraswamy était un ancien compagnon de travail de son défunt père et qu’il habitait depuis longtemps à Colombo. En ce qui concerne la question de savoir si les requérantes s’étaient inscrites auprès de la police, Dilaka Sivasamboo a témoigné que M. Kumaraswamy avait dit qu’elles seraient probablement arrêtées, et ce, qu’elles s’inscrivent ou non. Étant donné qu’elles croyaient que ce résultat était inévitable, elles ne se sont pas inscrites[6].

5) Les requérantes ont été arrêtées le 15 janvier 1992 ou vers cette date, lorsque des policiers se sont présentés chez M. Kumaraswamy. On les a amenées au poste de police de Wellawatta, où on les a interrogées pendant plus de six heures. On leur a demandé ce qu’elles savaient des LTTE. Dilaka Sivasamboo a témoigné avoir été battue pendant l’interrogatoire, et avoir été frappée au dos et à la main. Elle a témoigné que bien qu’elle n’eût pas été grièvement blessée, l’expérience l’avait bouleversée. Les requérantes ont déclaré qu’elles avaient été mises en liberté sans que des conditions leur soient imposées, mais qu’on les avait averties que si elles demeuraient à Colombo, elles devaient appuyer le gouvernement[7].

6) Les requérantes ne sont pas retournées chez M. Kumaraswamy; elles sont allées rester chez un autre ami de la famille, M. Sellathurai. Cet homme vivait dans un secteur principalement musulman et on espérait que si les deux requérantes demeuraient cachées, elles n’auraient pas de problèmes. Leur second hôte les a mises en contact avec un agent, qui a pris des dispositions pour qu’elles quittent le Sri Lanka. Elles sont parties le 10 avril 1992 et sont arrivées au Canada le 25 avril 1992[8].

La section du statut a exprimé des doutes au sujet de la probabilité que les requérantes aient pu voyager au sud de Jaffna sans passer par des contrôles des LTTE ou des FASL, mais elle a conclu que tout doute qu’elle pouvait avoir n’était pas déterminant, lorsqu’il s’agissait de savoir si leur crainte d’être persécutées par les LTTE était fondée. La section du statut a conclu que la crainte des requérantes d’être persécutées dans la région de Jaffna était fondée[9].

Toutefois, la section du statut a également conclu que les requérantes pouvaient se réfugier dans une autre partie du même pays, à Colombo. En déterminant que les requérantes ne risquaient pas d’être persécutées à Colombo, la section du statut a fait remarquer que les requérantes avaient été détenues pendant environ six heures, qu’elles avaient été mises en liberté inconditionnellement et qu’elles étaient demeurées à Colombo pendant plusieurs mois sans avoir d’autres rencontres avec la police. La section du statut a conclu que la détention de suspects terroristes possibles à Colombo résultait de la réaction du gouvernement aux actes de terrorisme des LTTE et qu’elle visait principalement à protéger les citoyens. En outre, la preuve documentaire était [traduction] « convaincante » et montrait que le gouvernement [traduction] « était de plus en plus conscient des abus des droits de la personne », et que des mesures disciplinaires importantes étaient prises contre les forces de la sécurité[10]. La section du statut a conclu que la crainte des requérantes d’être persécutées dans la région de Colombo n’était pas fondée, qu’elles pouvaient se réfugier dans une autre partie du même pays, et qu’elles n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention :

[traduction] Compte tenu de la preuve, le tribunal croit, que les intéressées avaient raison de craindre d’être persécutées dans le nord du Sri Lanka, mais que rien ne justifie pareille crainte dans la région de Colombo.

Pour les motifs susmentionnés, après avoir minutieusement apprécié tous les éléments de preuve dont il disposait, le tribunal croit que les intéressées pouvaient se réfugier dans une autre partie du même pays. De l’avis du tribunal, si les intéressées retournaient à Colombo (Sri Lanka), il n’existe pas de probabilité raisonnable ou de possibilité sérieuse qu’elles soient persécutées pour l’un quelconque des motifs prévus par la définition de « réfugié au sens de la Convention ».

Par conséquent, la section du statut conclut que Sellakandu et Dilaka Sivasamboo ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention[11].

Devant la Cour, l’avocat des requérantes a soulevé deux questions[12]:

1) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et en interprétant d’une façon erronée la preuve dont elle disposait, de façon à appliquer d’une façon erronée la définition de « réfugié au sens de la Convention », en particulier lorsqu’elle s’applique à la possibilité pour les requérantes de se réfugier dans une autre partie du même pays, et en omettant de tenir compte d’éléments de preuve étayant la crainte des requérantes d’être persécutées par des autorités sri lankaises dans la région où, selon la Commission, il existe une possibilité de refuge, soit à Colombo?

2) La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée d’une façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait en concluant que les requérantes n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention et, en particulier, en mettant l’accent sur un changement, dans la situation du pays, qui, à son avis, constituait un [traduction] « changement évident » de sorte que rien ne permettait objectivement aux requérantes de craindre d’être persécutées à cause de leur nationalité tamoule, à Colombo?

La disposition légale qui confère une compétence exclusive à la Section de première instance, dans ces affaires, est l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, qui prévoit notamment ceci :

82.1 (1) La présentation d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application—règlements ou règles—se faire qu’avec l’autorisation d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

(6) Sous réserve du paragraphe (7), si la demande d’autorisation est accueillie, la demande de contrôle judiciaire est réputée avoir été formée et le juge de la Cour fédérale qui a accueilli la demande d’autorisation fixe la date et le lieu d’audition de la demande de contrôle judiciaire.

(8) Le juge de la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur la demande d’autorisation et, le cas échéant, sur la demande de contrôle judiciaire.

La demande de contrôle judiciaire présentée devant la Section de première instance peut être fondée sur les motifs énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, qui est ainsi libellé :

18.1 ….

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

La première question à trancher en l’espèce se rapporte à la norme de contrôle qui s’applique aux motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)c) et d) en ce qui concerne les erreurs de droit et les erreurs de fait.

Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada s’est fréquemment prononcée sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions rendues par les tribunaux administratifs. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC no 1)[13], le juge Cory donne un aperçu utile de l’attitude adoptée au Canada à l’égard du contrôle judiciaire. Il souscrit aux motifs prononcés par Madame le juge Wilson dans l’arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations)[14] (National Corn Growers) et dit que les tribunaux devraient en général faire preuve d’une retenue raisonnable à l’égard des décisions des tribunaux administratifs, sauf dans les cas où celles-ci se rapportent à l’interprétation de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ou à des droits constitutionnels[15]. Pour trancher la question de la compétence du tribunal administratif, le juge Cory, en dissidence, et les juges majoritaires, dans l’arrêt AFPC no 1, adoptent l’analyse pragmatique et fonctionnelle qui a été énoncée dans les arrêts U.E.S., local 298 c. Bibeault[16] [(Bibeault) et Caimaw c. Paccar of Canada Ltd.[17]

Dans l’arrêt AFPC no 2[18], le juge Cory, qui avait été saisi, conformément à l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, tel qu’il était alors libellé, d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, a résumé le rôle des tribunaux dans le cadre du contrôle des décisions rendues par des tribunaux spécialisés :

Pour résumer, les cours de justice ont un rôle important à jouer dans le contrôle des décisions des tribunaux administratifs spécialisés. En fait, le contrôle judiciaire a un fondement constitutionnel. Voir l’arrêt Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220. Quand elles procèdent au contrôle, les cours de justice doivent s’assurer, premièrement, que la commission a agi dans les limites de sa compétence en suivant les règles de l’équité procédurale, deuxièmement, qu’elle a agi dans les limites de la compétence que lui confère sa loi habilitante et, troisièmement, que la décision rendue dans les limites de sa compétence n’était pas manifestement déraisonnable. Sur ce dernier point, les cours de justice devraient faire preuve d’une grande retenue à l’égard des tribunaux administratifs, surtout lorsque ceux-ci se composent d’experts qui exercent leurs fonctions dans un domaine délicat[19]. [Non souligné dans l’original.]

La décision la plus récente que la Cour suprême du Canada a rendue à ce sujet est celle de Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)[20], dans laquelle le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a dit ceci :

Il importe tout d’abord de formuler certains principes en matière de contrôle judiciaire. Il existe diverses normes de contrôle applicables à la myriade d’organismes administratifs qui existent au Canada. Dans l’examen de la norme de contrôle applicable, il faut avant tout déterminer quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a conféré compétence au tribunal administratif. Pour répondre à cette question, les tribunaux ont examiné divers facteurs, dont le rôle ou la fonction du tribunal. Il est également essentiel de savoir si les décisions de l’organisme sont protégées par une clause privative. Enfin, il est d’une importance fondamentale de savoir si la question touche la compétence du tribunal concerné.

Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s’applique à l’égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. Pour ce qui est des décisions manifestement déraisonnables, qui appellent la plus grande retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n’existe aucun droit d’appel prévu par la loi. Voir les arrêts Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1089 (Bibeault), et Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.

Quand aux décisions correctes où l’on est tenu à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l’interprétation d’une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l’exercice de la compétence) ou encore les cas où la loi prévoit un droit d’appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée, par exemple dans le domaine des droits de la personne. Voir les arrêts Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, et Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353[21].

Le juge a également reconnu que la présence d’une clause privative n’est pas déterminante :

Par conséquent, même lorsqu’il n’existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d’appel, le concept de la spécialisation des fonctions exige des cours de justice qu’elles fassent preuve de retenue envers l’opinion du tribunal spécialisé sur des questions qui relèvent directement de son champ d’expertise. Ce point a été confirmé dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316 (Bradco), dans lequel le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité, affirme, à la p. 335 :

… son expertise [du tribunal] est de la plus haute importance pour ce qui est de déterminer l’intention du législateur quant au degré de retenue dont il faut faire preuve à l’égard de la décision d’un tribunal en l’absence d’une clause privative intégrale. Même lorsque la loi habilitante du tribunal prévoit expressément l’examen par voie d’appel, comme c’était le cas dans l’affaire Bell Canada, précitée, on a souligné qu’il y avait lieu pour le tribunal d’appel de faire preuve de retenue envers les opinions que le tribunal spécialisé de juridiction inférieure avait exprimées sur des questions relevant directement de sa compétence.

Par contre, lorsque, comparativement au tribunal d’examen, le tribunal administratif manque d’expertise relative en ce qui concerne la question dont il a été saisi, cela justifie de ne pas faire preuve de retenue.

À mon avis, l’analyse pragmatique ou fonctionnelle formulée dans l’arrêt Bibeault est également utile à la détermination de la norme de contrôle applicable en l’espèce. À la page 1088 de cet arrêt, le juge Beetz, s’exprimant au nom de la Cour, affirme :

… la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal[22].

En ce qui concerne le tribunal en cause, soit la British Columbia Securities Commission le juge a conclu ceci :

En résumé, compte tenu de la nature de l’industrie des valeurs mobilières, des fonctions spécialisées de la Commission, de son rôle en matière d’établissement de politiques et de la nature du problème en cause, il y a lieu de faire preuve en l’espèce d’une grande retenue malgré le droit d’appel prévu par la loi et l’absence d’une clause privative[23]. [Non souligné dans l’original.]

Par conséquent, même si les dispositions du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale ont une portée passablement générale, la Cour devrait faire preuve d’une « grande » retenue lorsque le tribunal spécialisé rend une décision qui relève directement de son champ d’expertise. La Cour ne devrait modifier pareille décision que si le tribunal a excédé son mandat parce que ses conclusions ne peuvent pas être étayées par une interprétation raisonnable des faits ou du droit. Essentiellement, pareil degré de retenue résulte du fait que les tribunaux administratifs sont habituellement créés, en premier lieu, pour que des décisions soient rendues par un tribunal spécialisé ayant une expertise particulière dans une branche pertinente du droit[24].

Conformément aux arrêts AFPC, Bibeault, Paccar et Pezim, il faut effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer s’il faut faire preuve d’une « grande » retenue à l’égard d’une décision rendue par un tribunal spécialisé dans une affaire relevant de sa compétence. Dans l’arrêt Pezim, le juge Iacobucci a fait savoir que, même en l’absence d’une clause privative, la notion de spécialisation des fonctions exige qu’on fasse preuve de retenue à l’égard des décisions rendues par les tribunaux spécialisés sur des questions qui relèvent directement de leur champ d’expertise[25]. Le juge s’appuie en partie sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes)[26], où le juge Gonthier a dit ceci :

… dans le contexte d’un appel prévu par la loi d’une décision d’un tribunal administratif, il faut de plus tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions. Bien qu’un tribunal d’appel puisse être en désaccord avec le tribunal d’instance inférieure sur des questions qui relèvent du pouvoir d’appel prévu par la loi, les tribunaux devraient faire preuve de retenue envers l’opinion du tribunal d’instance inférieure sur des questions qui relèvent parfaitement de son champ d’expertise.

Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, Madame le juge L’Heureux-Dubé a dit que, bien qu’une clause privative soit une considération importante lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est opportun de faire preuve de retenue, cela n’est pas déterminant[27]. Dans l’arrêt Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada[28], le juge La Forest a exprimé un avis similaire au sujet de la décision rendue par la majorité dans l’arrêt National Corn Growers, qu’il a ainsi qualifiée : « il importe de souligner que le facteur déterminant dans cet arrêt n’était pas la clause seulement, mais la retenue à l’égard de l’expertise relative du tribunal administratif relativement aux questions spécialisées qui étaient soulevées ». En outre, dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., le juge Sopinka a dit ceci :

… son expertise est de la plus haute importance pour ce qui est de déterminer l’intention du législateur quant au degré de retenue dont il faut faire preuve à l’égard de la décision d’un tribunal en l’absence d’une clause privative intégrale. Même lorsque la loi habilitante du tribunal prévoit expressément l’examen par voie d’appel, comme c’était le cas dans l’affaire Bell Canada, précitée, on a souligné qu’il y avait lieu pour le tribunal d’appel de faire preuve de retenue envers les opinions que le tribunal spécialisé de juridiction inférieure avait exprimées sur des questions relevant directement de sa compétence[29].

L’analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer dans quelle mesure il faut faire preuve de retenue envers un tribunal administratif exige l’examen de la loi qui confère la compétence, du but de la loi qui crée le tribunal, de la raison d’être du tribunal et du domaine d’expertise de ses membres.

Les dispositions législatives dont il faut tenir compte, en déterminant la question de la compétence de la section du statut, sont énoncées aux articles 67 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], 68 [mod., idem] et 69.1 (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 60] de la Loi sur l’immigration. Voici les dispositions pertinentes :

67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.

(2) La section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment, dans le cadre d’une audience :

a) par citation adressée aux personnes ayant connaissance de faits se rapportant à l’affaire dont ils sont saisis, leur enjoindre de comparaître comme témoins aux date, heure et lieu indiqués et d’apporter et de produire tous documents, livres et pièces, utiles à l’affaire, dont elles ont la possession ou la responsabilité;

b) faire prêter serment et interroger sous serment;

c) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des éléments de preuve au Canada;

d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l’affaire.

68. 

(3) La section du statut n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

(4) La section du statut peut admettre d’office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du paragraphe (5), les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

69.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication dont elle est saisie aux termes des articles 46.02 et 46.03.

(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l’audience et la notifie à l’intéressé et au ministre par écrit.

Par conséquent, il est clair que le législateur a conféré à la section du statut une « compétence exclusive … pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait », en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Même s’il ne s’agit pas d’une clause privative en soi et même si aucune clause de ce genre ne figure ailleurs dans la Loi, l’effet du paragraphe 67(1) est similaire, en ce sens que les décisions de la section du statut peuvent être considérées comme ayant force de chose jugée et liant les parties en raison de l’octroi exclusif de la compétence, des possibilités limitées de contrôle judiciaire et de la nature spécialisée du tribunal[30]. Dans l’arrêt Dayco, le juge La Forest n’a pas tenu compte de l’importance de la différence entre les mots « définitives » et les mots « a force de chose jugée et lie les parties », lorsqu’il s’agit de déterminer si une clause particulière est une clause privative. Il a refusé d’« accepter que les cours de justice s’en remettent machinalement à un tribunal administratif simplement à cause de la présence d’une clause qui précise que les décisions « [ont] force de chose jugée et lie[nt] les parties » ou sont « définitives »[31], et a rappelé aux tribunaux que ces types de clause ne constituent qu’un facteur indiquant qu’il faut faire preuve de retenue et qu’elles devraient être examinées compte tenu de la nature du tribunal et du genre de question en litige.

Le paragraphe 82.1(1) prévoit clairement qu’on ne peut procéder au contrôle judiciaire des décisions de la section du statut qu’avec l’autorisation de la Cour[32]. De plus, le jugement que la Section de première instance a rendu à la suite d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de laquelle une autorisation a été accordée ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge de la Section de première instance certifie dans son jugement que « l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci »[33]. En outre, des restrictions sont imposées à la Cour en ce qui concerne les réparations qu’elle peut accorder; la Section de première instance n’a pas le pouvoir de rendre la décision que la section du statut aurait dû rendre, mais elle peut uniquement annuler la décision et renvoyer l’affaire au tribunal en lui donnant des directives[34].

La portée des pouvoirs conférés à la section du statut par la Loi sur l’immigration est étendue : les membres peuvent adresser des citations à toute personne et ordonner la production de documents; les règles légales et techniques de présentation de la preuve sont assouplies de façon à assurer la constitution d’un dossier complet permettant à la section du statut de rendre sa décision; la section du statut peut admettre d’office les faits, les renseignements et les opinions « qui sont du ressort de sa spécialisation »[35]. Le rôle des membres de la section du statut à l’audience est de nature inquisitoire étant donné que ceux-ci entendent non seulement la preuve qui leur est présentée, mais doivent aussi se renseigner suffisamment sur les requérants et la situation du pays d’origine de ces derniers. Récemment, dans un rapport où il examinait la section du statut, le professeur James Hathaway a décrit comme suit la procédure de détermination du statut de réfugié :

La détermination du statut de réfugié est l’un des mécanismes décisionnels les plus complexes, car le décideur doit recueillir des faits concernant les conditions existant dans des pays étrangers, interroger, par l’intermédiaire d’un interprète, des témoins possédant un bagage culturel différent, composer avec une preuve toujours incomplète et, enfin, non pas simplement retenir la version la plus plausible d’événements passés, mais plutôt prédire des risques potentiels. En raison de ces différences, il faut davantage que le mécanisme décisionnel passif ordinaire car, comme le fait observer le haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés :

Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n’a même pas de papiers personnels. Aussi, bien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents sera-t-elle menée conjointement par le demandeur et l’examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l’examinateur d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l’appui de la demande.

Qui plus est, étant donné que le Canada a volontairement adhéré à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967, il n’y a pas de partie adverse ayant un intérêt à contester les revendications du statut de réfugié. Puisque nous avons consenti, en tant que nation, à recevoir des réfugiés, il nous incombe d’appliquer, sans parti pris, les critères pertinents et non de favoriser ou de contester les revendications qui nous sont présentées.

En raison du contexte et des diverses considérations ayant trait à la preuve, il est impérieux de s’écarter des mécanismes ordinaires de prise de décision. En effet, les décideurs dont nous avons besoin doivent être à la fois des experts, des activistes et des personnes engagées, qui chercheront à assurer l’équité substantielle plutôt que l’application technocratique de la justice. Nous ne devons pas voir dans les personnes qui revendiquent le statut de réfugié des adversaires ou une menace, mais plutôt des personnes qui invoquent un droit qui leur est reconnu par le droit international. C’est en raison de sa détermination à faire montre d’une telle souplesse et d’une telle sensibilité que le Parlement a aboli l’ancienne cour d’archives qui était chargée de statuer sur les revendications du statut de réfugié et lui a substitué un tribunal spécialisé doté des pouvoirs d’enquête et d’une procédure non contradictoire.[36] [Renvois omis et soulignements ajoutés.]

Cette procédure exige une expertise et des connaissances techniques qui sont non seulement reconnues dans la loi habilitante de la section du statut, mais aussi par la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, le juge Décary a dit qu’« [i]l ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage »[37]. Plus récemment, le juge en chef Isaac a fait remarquer ceci dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la section du statut :

Les nombreuses erreurs que l’on a tenté d’attribuer à la Commission lorsqu’elle a tiré la conclusion que l’appelant n’était pas un réfugié au sens de la Convention visaient toutes son appréciation de la preuve, une question qui relève particulièrement du domaine de compétence d’un tribunal spécialisé[38].

La nature de l’enquête et la procédure que comportent la détermination du statut de réfugié au sens de la Convention sont telles que la section du statut doit être fort spécialisée et sensibilisée aux revendications du requérant. En outre, le contexte factuel et réglementaire dans lequel ses décisions sont rendues est fort complexe, et nécessite la compréhension et l’application des principes de droit international à l’interprétation de la définition de « réfugié au sens de la Convention », telle qu’elle a été incorporée dans le droit interne canadien et interprétée par nos tribunaux (une interprétation beaucoup plus large que dans de nombreux autres pays de l’Occident) et conformément aux lignes directrices établies par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

Afin d’assurer que la section du statut acquière et conserve son expertise dans le domaine du droit des réfugiés, le législateur a adopté des dispositions précises concernant les qualités requises de ses membres et l’embauchage du personnel de soutien. Conformément au paragraphe 61(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 50], les membres de la section du statut sont nommés pour un mandat maximal de sept ans par le gouverneur en conseil. Le paragraphe 61(2) [mod., idem] prévoit qu’au moins dix pour cent des membres de la section du statut sont obligatoirement des avocats inscrits au barreau d’une province, depuis au moins cinq ans, et le paragraphe 61(5) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.) ch. 28, art. 18] dit que la charge de membre à temps plein de la section du statut est incompatible avec d’autres fonctions. De plus, le paragraphe 64(5) [mod., idem, art. 54] prévoit que le président peut engager des experts compétents relevant du champ d’activité de la section du statut. En outre, la section du statut est aidée dans son travail par le Centre de documentation, qui prépare des dossiers approfondis de référence sur les pays et répond aux demandes de renseignements sur la situation dans un pays ou dans une région particulière[39]. La Commission de réforme du droit du Canada décrit comme suit le rôle du Centre de documentation :

[traduction] Le Centre de documentation de la CISR est la principale source de preuve documentaire, et fort peu d’avocats consultent des sources externes pour obtenir des renseignements additionnels. Les profils de pays et aperçus préparés par le Centre de documentation sont le plus souvent utilisés; à ceux-ci vient s’ajouter un nombre de plus en plus grand de demandes de renseignements précis. Pendant ses vingt-quatre premiers mois d’activités, le Centre de documentation, à Ottawa, a répondu à plus de 8 000 demandes distinctes visant à l’obtention de renseignements sur une multitude de sujets, notamment la signification d’acronymes, la qualité pour agir d’organisations politiques, la pratique d’autres États dans le domaine des droits de la personne et du droit des réfugiés, les lois et pénalités appliquées dans des pays particuliers, et le traitement des dissidents politiques ainsi que des minorités religieuses et sociales …

Conformément à son mandat, le Centre de documentation est la principale source, au Canada, lorsqu’il s’agit de fournir des éléments de preuve crédibles et dignes de foi se rapportant à la procédure de détermination du statut de réfugié. Les renseignements d’une nature générale et historique sont complétés par des décisions qui visent, par exemple, des groupes précis (politiques, religieux, ethniques), ou la situation dans des régions précises, ou encore le sort réservé à des personnes particulières. En tentant d’effectuer une analyse et des évaluations objectives, dignes de foi et probantes, le Centre de documentation cherche également à acquérir des renseignements du plus grand nombre de sources possibles au Canada et à l’étranger et à les diffuser; à cette fin, il entretient des relations avec un nombre considérable de centres de documentation sur les droits de la personne et sur les réfugiés ainsi qu’avec d’autres centres, il se renseigne sur les activités de documentation des systèmes de détermination du statut de réfugié d’autres pays, et communique avec diverses sources de renseignements à accès direct, et d’information commerciale et autres. Le principe de vérification englobé dans le travail du Centre de documentation a fait l’objet de certaines critiques par suite de la non-communication alléguée de renseignements qui sont peut-être pertinents, et ce, qu’ils soient favorables ou non[40].

La section du statut a reçu un mandat important en matière d’intérêt public et elle a un rôle clair dans l’élaboration des politiques en ce qui concerne l’application de la définition de « réfugié au sens de la Convention », dans la mesure où le paragraphe 65(3) [mod., idem, art. 55] autorise le président, après consultation, à donner par écrit des directives aux membres en vue de les assister dans l’exécution de leurs fonctions. Ainsi, en mars 1993, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a donné des directives concernant les « Revendications du statut de réfugié de femmes craignant d’être persécutées en raison de leur sexe », lesquelles prescrivent le genre d’analyse recommandée, lorsqu’il s’agit de déterminer si une femme a raison de craindre d’être persécutée en raison de son sexe. L’importance de cette participation à l’établissement des politiques, lorsqu’on détermine le degré de retenue dont il faut faire preuve envers un tribunal administratif, a été reconnue dans l’arrêt Pezim : « Lorsqu’un tribunal participe à l’établissement de politiques, il faut faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard de son interprétation de la loi[41]. »

À mon avis, l’arrêt Mossop[42] de la Cour suprême du Canada, dans lequel la Cour à la majorité a déterminé que la norme de contrôle des conclusions que le Tribunal canadien des droits de la personne tire sur des questions de droit est celle de la justesse peut faire l’objet d’une distinction. Dans cette affaire-là, la Cour examinait le cas d’un tribunal dont les décisions avaient « une incidence directe sur l’ensemble de la société relativement à ses valeurs fondamentales » ainsi qu’une question générale de droit qui faisait appel « à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice »[43]. La question d’interprétation qui se posait dans l’arrêt Mossop, à savoir le sens des mots « situation de famille » dans le contexte quasi constitutionnel de la législation sur les droits de la personne, est une question sur laquelle les tribunaux conserveront toujours un pouvoir de supervision générale, parce que la décision n’est pas liée à des questions d’expertise ou de connaissances spéciales et n’exige pas un degré élevé de retenue. Les questions qui se posent en l’espèce ne sont pas des questions générales mettant en cause des principes généraux d’interprétation de la loi et un raisonnement juridique, mais se rapportent à l’interprétation d’une définition légale dans un cadre réglementaire précis et dans le contexte du droit international. En outre, dans l’arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne)[44], la Cour suprême du Canada a conclu qu’un tribunal des droits de la personne n’a pas le genre d’expertise à l’égard de laquelle il faudrait faire preuve de retenue judiciaire en ce qui concerne les questions de droit.

Cela étant, je suis d’avis que la section du statut est un tribunal spécialisé semblable à ceux dont il était question dans les arrêts Pezim, AFPC no 2, Bell Canada et Bradco et que, par conséquent, il faudrait faire preuve d’une « grande » retenue judiciaire à l’égard des décisions qui relèvent directement de son champ de compétence et d’expertise. Cette retenue s’applique non seulement aux faits constatés par la section du statut, mais aussi aux questions de droit dont cette dernière était saisie. Le principe de la retenue s’applique également aux tribunaux d’appel. Dans l’arrêt Lapointe c. Hôpital Le Gardeur[45], la Cour a énoncé la norme de l’erreur manifeste qui s’applique à un appel. Les principes suivants ont été énoncés par la Cour :

1) À moins d’erreur manifeste, une cour d’appel ne doit pas modifier les conclusions de fait d’un juge de première instance;

2) La position privilégiée du juge des faits ne s’étend pas seulement aux témoignages des témoins ordinaires, mais aussi à ceux des témoins experts;

3) Le principe de la non-intervention s’applique également lorsque la seule question en litige se rapporte à l’interprétation de l’ensemble des éléments de preuve[46].

Par conséquent, en ce qui concerne les conclusions de fait d’un tribunal spécialisé, le tribunal ayant le pouvoir de surveillance interviendra uniquement s’il a été démontré qu’une erreur manifeste a été commise, c’est-à-dire que les constatations et conclusions de fait sont manifestement déraisonnables.

La Cour d’appel fédérale a appliqué cette norme à l’égard d’une erreur de droit dans une décision sur la question du minimum de fondement. Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Letshou-Olembo[47], le juge Marceau a dit ceci :

… l’ampleur de cette révision ne peut néanmoins qu’en être fort restreinte. Seule l’identification d’une erreur de droit manifeste qui aurait suscité une conception erronée de l’objet de l’enquête pourrait autoriser la Cour à intervenir[48].

Par conséquent, la retenue s’étend également aux questions de droit soulevées devant le tribunal, compte tenu de son rôle et de son expertise.

Étant donné que j’ai conclu que la section du statut est un tribunal spécialisé envers lequel la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue, lorsqu’elle examine les conclusions tirées sur des questions de droit et sur des questions de fait, la norme de contrôle judiciaire à appliquer est celle du caractère manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick[49], la Cour suprême du Canada a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable et a donné des précisions sur le sens à lui attribuer :

… l’interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente et d’exiger une intervention judiciaire?

Dans l’arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre[50], le juge Lamer [tel était alors son titre] a cité l’arrêt SCFP et a qualifié la question ci-dessus formulée d’« énoncé classique de l’approche de cette Cour ». Il a ajouté que « [c]’est là un test très sévère et qui marque une approche restrictive en ce qui concerne le contrôle judiciaire »[51]. Dans l’arrêt Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740[52], Madame le juge McLachlin a réaffirmé le critère du caractère manifestement déraisonnable, en disant ceci :

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l’examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l’espèce. Cette retenue s’étend à la fois à la constatation des faits et à l’interprétation de la loi. Ce n’est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l’interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.

Dans l’arrêt AFPC no 2, le juge Cory a formulé d’une autre façon le critère du « caractère manifestement déraisonnable » :

Eu égard donc à ces définitions des mots « manifeste » et « déraisonnable », il appert que si la décision qu’a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n’est pas clairement irrationnelle, c’est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu’il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s’agit là d’un critère très strict.

Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu’elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle[53].

Par conséquent, lorsqu’on examine les décisions que la section du statut a rendues sur des questions de droit et de fait relevant de son champ d’expertise, la norme de contrôle judiciaire à appliquer aux motifs de contrôle énoncés aux alinéas 18.1(4)c) et d) de la Loi sur la Cour fédérale est celle du caractère manifestement déraisonnable. Cette conclusion est en outre étayée par des décisions récemment rendues par la Cour d’appel dans des demandes de contrôle judiciaire de décisions de la section du statut où la norme appliquée était celle du caractère manifestement déraisonnable[54] et dans des décisions récemment rendues par mon collègue le juge McKeown[55].

Deuxièmement, il s’agit ici de savoir si les questions de droit et de fait en litige relèvent du champ d’expertise du tribunal et, partant, s’il faut faire preuve d’une « grande » retenue à leur égard. À mon avis, la question de savoir si, en fait, les circonstances avaient changé à Colombo est une question qui relève directement du champ d’expertise de la section du statut. En outre, la question de savoir si, en droit, les requérantes pouvaient raisonnablement se réfugier à Colombo est une autre question qui relève directement du champ d’expertise du tribunal. La section du statut dispose de documents détaillés sur la situation à Colombo et elle a entendu la déposition des requérantes sur ce point. Le règlement des deux questions exige une évaluation de la situation des requérantes, telle qu’elles l’ont expliquée dans leur déposition orale, et une compréhension experte de la situation qui les a amenées à fuir le pays. Cette procédure d’évaluation des expériences subjectives des requérantes, comparée à la preuve objective concernant ces expériences et les autres conditions existant dans le pays, constitue le cœur de la détermination du statut de réfugié au sens de la Convention et les tribunaux devraient faire preuve d’une grande retenue à l’égard de toute conclusion tirée à cet égard.

Troisièmement, il faut déterminer si, en l’espèce, le tribunal a commis une erreur de droit ou de fait manifestement déraisonnable, en concluant que les requérantes pouvaient se réfugier ailleurs dans le même pays dans les circonstances de l’affaire. À mon avis, la décision de la section du statut, à savoir que les requérantes pouvaient se réfugier à Colombo, n’est pas déraisonnable, et encore moins « manifestement déraisonnable » ou « clairement irrationnelle ». Le tribunal a examiné le critère énoncé dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[56], et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[57] et a tenu compte de la preuve dont il disposait lorsqu’il a rendu sa décision.

Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Je dois maintenant déterminer si l’affaire soulève une question grave de portée générale. Le paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration est ainsi libellé :

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application—règlements ou règles—ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci[58].

J’estime que la norme de contrôle judiciaire qu’il convient d’appliquer aux décisions que la section du statut rend conformément au paragraphe 69.1(1) de la Loi sur l’immigration est une question grave de portée générale. Par conséquent, je certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et je l’énonce comme suit :

La question de savoir si, dans les demandes de contrôle judiciaire de décisions que la section du statut rend, dans les limites de sa compétence, en vertu du paragraphe 69.1(1) de la Loi sur l’immigration, la norme de contrôle judiciaire à appliquer aux motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)c) et d) est celle du caractère manifestement déraisonnable.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

[2] L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

[3] Dossier du tribunal, à la p. 2.

[4] Ibid., aux p. 3, 117 et 118.

[5] Ibid., aux p. 3, 4, 120, 127 et 128.

[6] Ibid., à la p. 121.

[7] Ibid., aux p. 122 à 124 et 129.

[8] Ibid., aux p. 4, 5, 125 et 126.

[9] Ibid., aux p. 6 et 7.

[10] Ibid., à la p. 7.

[11] Ibid., aux p. 10 et 11.

[12] Dossier de la demande, exposé des points d’argumentation, à la p. 29.

[13] [1991] 1 R.C.S. 614, aux p. 649 à 657. Voir également Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, aux p. 952 à 963 (AFPC no 2).

[14] [1990] 2 R.C.S. 1324.

[15] Précité, note 13, à la p. 649.

[16] 1988] 2 R.C.S. 1048.

[17] [1989] 2 R.C.S. 983. (Paccar).

[18] Précité, note 13. Voir également le jugement rendu par le juge Gonthier dans National Corn Growers, précité, note 14, aux p. 1369 et 1370, et par Madame le juge Wilson aux p. 1341, 1342 et 1346.

[19] Ibid., aux p. 961-962.

[20] [1994] 2 R.C.S. 557.

[21] Ibid., aux p. 589 à 591.

[22] Ibid., aux p. 591 et 592.

[23] Ibid., aux p. 598 et 599.

[24] National Corn Growers, précité, note 14, aux p. 265 et 266.

[25] Précité, note 20, à la p. 591.

[26] [1989] 1 R.C.S. 1722, à la p. 1746.

[27] [1993] 1 R.C.S. 554, à la p. 597 (jugement rendu en dissidence) se fondant sur les motifs prononcés en dissidence par le juge Estey dans Douglas Aircraft Co. of Canada Ltd. c. McConnell et autres, [1980] 1 R.C.S. 245, aux p. 274 et 275.

[28] [1993] 2 R.C.S. 230, à la p. 265.

[29] [1993] 2 R.C.S. 316, à la p. 335.

[30] Mes collègues, les juges Dubé et MacKay, ont adopté une attitude similaire à l’égard du Conseil national de commercialisation des produits agricoles et de la Direction générale de la protection de la santé : Nouveau-Brunswick (Office de commercialisation des œufs) c. Office canadien de commercialisation des œufs (1992), 94 D.L.R. (4th) 687 (C.F. 1re inst.), aux p. 708 et 709, et Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 59 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.), aux p. 111 et 112.

[31] Précité, note 28, à la p. 268.

[32] De plus, les décisions rendues par la Cour au sujet des demandes d’autorisation ne peuvent pas faire l’objet d’un appel : art. 82.2 [édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration.

[33] Art. 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi. Voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage [[1994] F.C.J. no 1637 (C.A.) (QL)], dans lequel le juge Décary examine la portée limitée des appels interjetés devant la Cour d’appel, à la suite de demandes de contrôle judiciaire de décisions de la section du statut.

[34] Art. 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale.

[35] Art. 68(4).

[36] Vers le réétablissement de la confiance : Rapport de l’Examen de la justice fondamentale dans l’obtention et la dissémination de l’information à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Ottawa, décembre, 1993), aux p. 8 et 9.

[37] (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), à la p. 316.

[38] Husyn c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1218 (C.A.) (QL).

[39] Noter que, dans National Corn Growers, précité, note 14, à la p. 1348, Madame le juge Wilson reconnaît que le tribunal est composé d’experts et qu’il dispose de renseignements.

[40] Commission de réforme du droit du Canada, [ CFI]The Determination of Refugee Status in Canada : A Review of the Procedure (Draft Final Report) (Ottawa, 1992), aux p. 47 et 48.

[41] Précité, note 20, à la p. 596.

[42] Précité, note 27.

[43] Ibid., à la p. 585.

[44] [1992] 2 R.C.S. 321, à la p. 338.

[45] [1992] 1 R.C.S. 351.

[46] Voir également Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, à la p. 794.

[47] [1990] 3 C.F. 45(C.A.).

[48] Ibid. à la p. 51. Voir également, en ce qui concerne les décisions de la section du statut, Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Szymanska, [1992] F.C.J. no 1172 (C.A.) (QL); Rezaei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] F.C.J. no 40 (C.A.) (QL); Diarra c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1410 (1re inst.) (QL); et Hossain c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1194 (1re inst.) (QL).

[49] [1979] 2 R.C.S. 227, à la p. 237.

[50] [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 487.

[51] Ibid., à la p. 493.

[52] [1990] 3 R.C.S. 644, à la p. 669.

[53] Précité, note 13, aux p. 963 et 964.

[54] Par exemple, Franco c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1011 (C.A.) (QL); Yuen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1045 (C.A.) (QL); et Liu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] F.C.J. no 1043 (C.A.) (QL).

[55] Par exemple, Ahmed c. Canada (Solliciteur général), [1994] F.C.J. no 1270 (1re inst.) (QL).

[56] [1992] 1 C.F. 706(C.A.).

[57] [1994] 1 C.F. 589(C.A.).

[58] Voir également la Règle 18 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/93-22.

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