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[1995] 1 C.F. 22

T-2834-93

785072 Ontario Inc. dont le nom commercial est Economy Car and Truck Rental (requérante)

c.

Le ministre du Revenu national, Douanes et Accise (intimé)

Répertorié : 785072 Ontario Inc. c. M.R.N., Douanes et Accise (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Toronto, 1er juin; Ottawa, 30 juin; Toronto, 7 juillet 1994.

Douanes et acciseLoi sur l’acciseRequêtes en ordonnance constituant en qualité de partie la propriétaire du véhicule saisi sous le régime de la Loi sur l’accise, et en ordonnance déclarant l’intérêt de la locataireEconomy a loué le véhicule de Birchcliff par contrat de crédit-bail avec option d’achatL’art. 164 de la Loi sur l’accise permet à quiconque a un intérêt à l’égard du bien saisi de demander dans les 30 jours une ordonnance déclarant cet intérêtEconomy a conclu à ordonnance déclarant son intérêt, et a déposé dans les 30 jours une déclaration concluant à la restitution du véhiculeLa propriétaire n’a été informée de la saisie qu’après l’expiration du délai de prescriptionL’intérêt d’Economy est du même genre que les intérêts visés à l’art. 164(1)Elle a le droit de faire valoir ses prétentions en application de l’art. 164(2)Dans les circonstances extraordinaires, la Cour autorise la jonction de partie après l’expiration du délai de prescriptionLe court délai de prescription, l’absence de compétence pour proroger ce délai, le défaut de notifier la saisie à la propriétaire avant l’expiration du délai de prescription, la confiscation d’un bien privé sans notification ni indemnisation, le défaut de notification selon la pratique normale de la GRC, voilà autant de circonstances extraordinairesL’intimé ne subira aucun préjudice si la propriétaire est constituée partieIl y a eu diligence raisonnable dans l’introduction de la requête en constitution de partieL’absence d’une disposition portant notification dans la Loi sur l’accise, en comparaison avec la disposition portant notification raisonnable dans la Loi sur les douanes, est inexplicable et devrait retenir l’attention du législateur.

PratiquePartiesJonctionRequête en ordonnance constituant en qualité de partie la propriétaire du véhicule après requête en ordonnance déclarant l’intérêt de la locataire à l’égard du véhicule saisi avec boissons alcooliques en contrebande à bordIl échet d’examiner si la propriétaire peut être jointe à l’action après l’expiration du délai de prescription de 30 joursJurisprudence sur la jonction tardive de partie à une action déjà intentéeJonction permise dans les circonstances extraordinairesIl échet d’examiner si le M.R.N. subira un préjudiceLa prorogation du délai de prescription ne constitue pas en soi un préjudiceLe court délai de prescription, l’absence de compétence pour proroger ce délai, l’absence d’une disposition prévoyant la notification à d’autres que la personne entre les mains de laquelle le véhicule a été saisi, la confiscation de bien sans indemnisation, le défaut de la GRC de suivre la pratique normale qui consiste à envoyer une notification standard au propriétaire en titre, voilà autant de circonstances extraordinairesIl y a eu diligence raisonnable dans l’introduction de la requête en ordonnance portant constitution de la propriétaire en qualité de partie.

Déclaration des droitsL’art. 164(1) de la Loi sur l’accise prévoit que quiconque a un intérêt dans le bien saisi a 30 jours pour demander une ordonnance déclarant son intérêtUne disposition législative qui prescrit un très court délai de prescription, la confiscation de bien privé sans indemnisation, sans notification et sans possibilité de proroger ce délai, soulève la question sérieuse de savoir si elle ne va pas à l’encontre de la garantie de l’art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits en matière d’audience impartiale pour la détermination des droits et obligations.

Requêtes en ordonnance portant constitution de Birchcliff National Leasing Ltd. en qualité de requérante dans l’action principale et en ordonnance déclarant que Economy Car and Truck Rental a un intérêt à l’égard du véhicule en cause à titre de locataire licite. Birchcliff a loué à Economy un châssis cabine Ford E350 d’année-modèle 1993 par contrat de crédit-bail, aux termes duquel cette dernière n’avait aucun droit de propriété sur le véhicule mais avait l’option de l’acheter à un prix fixé à l’avance, à l’expiration du contrat. Le véhicule, que Economy avait loué à un individu, a été saisi par la GRC en vertu de la Loi sur l’accise parce qu’il y avait des boissons alcooliques de contrebande à bord. La GRC a notifié à Economy la saisie ainsi que la procédure à suivre si elle voulait faire valoir un droit sur le véhicule. L’article 69 de la Loi sur l’accise ne prescrit que la notification à la personne entre les mains de laquelle le bien a été saisi. L’article 164 prévoit que quiconque réclame un intérêt sur le bien saisi peut demander dans les 30 jours une ordonnance déclarant son intérêt. Quelque 23 jours après la saisie, Economy a déposé une déclaration concluant à la restitution du véhicule ainsi qu’une requête en ordonnance déclarant son intérêt à titre de locataire. Birchcliff n’a été informée de la saisie qu’après l’expiration du délai de prescription. Peu de temps après, Economy a introduit une requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie.

Il échet d’examiner si Economy a un intérêt à l’égard du véhicule et si Birchcliff peut être jointe en qualité de partie bien que le délai de prescription de 30 jours fût expiré au moment où Economy introduisit l’avis de requête à cet effet. L’intimé soutient que (1) Economy n’a aucun intérêt à l’égard du véhicule et, de ce fait, n’a pas le droit de réclamer en application de l’article 164; (2) le délai de prescription de 30 jours est de rigueur, ce qui exclut la constitution de Birchcliff en qualité de partie; (3) il n’incombait pas à l’intimé de notifier à Birchcliff qu’elle devait faire valoir ses prétentions avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours.

Jugement : on doit accueillir les requêtes en instance.

Le paragraphe 164(1) reconnaît aux propriétaires, créanciers hypothécaires, détenteurs de gage et détenteurs d’un intérêt similaire, le droit de faire une réclamation. Il n’y a aucune raison d’interpréter la notion d’« intérêt similaire » de façon si restrictive qu’il faut dénier à une personne ayant un intérêt en equity le droit de faire une réclamation en application du paragraphe 164(1). L’intérêt d’Economy en l’espèce est du même genre que les intérêts visés au paragraphe 164(1), c’est un « intérêt similaire » à ces derniers. Elle doit avoir le droit de faire valoir ses prétentions conformément au paragraphe 164(2).

La cour autorisera, dans les circonstances extraordinaires, la modification d’une déclaration afin d’ajouter une partie après l’expiration d’un délai de prescription. Les circonstances extraordinaires qui concourent à justifier la jonction de Birchcliff en qualité de partie sont les suivantes : (1) le paragraphe 164(1) prévoit un délai de prescription de 30 jours seulement, que la Cour n’a pas le pouvoir de proroger. Dans d’autres domaines, le délai de prescription est normalement plus long. (2) Birchcliff n’avait pas été informée de la saisie avant l’expiration du délai de prescription. Lorsqu’une personne ayant un intérêt dans le véhicule n’est pas informée de la saisie, il y a là circonstance extraordinaire. (3) Une loi qui prévoit la confiscation de biens privés sans notification ni dédommagement est inusitée, voire extraordinaire. (4) Le défaut de notifier à Birchcliff en l’espèce est incompatible avec la pratique normale de la GRC et constitue une circonstance extraordinaire.

La modification de la déclaration ne sera pas autorisée de façon à y ajouter une partie si cette addition se traduit par un préjudice pour la partie adverse. La prorogation du délai de prescription n’est pas elle-même un préjudice. Le préjudice doit être quelque chose qui est propre aux circonstances de la cause, par exemple la destruction des preuves ou l’impossibilité d’entreprendre une investigation, autant de questions qui ne se seraient pas posées si la demande avait été déposée dans les délais. En l’espèce, il n’y a aucune preuve de préjudice pour l’intimé. Le retard dans l’aliénation du véhicule ne constituerait pas un préjudice puisque le ministre ne pourrait rien faire du véhicule tant que la demande d’Economy n’aura pas été jugée.

La requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie à l’action déjà intentée par Economy fut introduite dans les quinze jours de la date où la saisie fut notifiée à Birchcliff. Vu le délai de prescription très court et vu les arguties subtiles au sujet des personnes qui peuvent ou non avoir un intérêt à l’égard du véhicule, il y a eu diligence raisonnable dans l’introduction de la requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie.

Une partie peut être jointe à une action en cours, avant que la demande initiale ne soit jugée. Le facteur commun est l’événement donnant lieu aux causes d’action respectives. Economy et Birchcliff ont l’une et l’autre des prétentions fondées sur l’article 164 et portant sur le même événement, savoir la saisie du véhicule par la GRC.

La confiscation d’un bien privé sans notification ne peut être justifiée par l’argument historique de l’action in rem, vu la reconnaissance à l’article 164 des prétentions potentielles du propriétaire ou de toute personne ayant un intérêt similaire. Vu les circonstances extraordinaires de la cause, Birchcliff doit être ajoutée en qualité de partie à l’instance. La réclamation de Birchcliff remonte à la date à laquelle Economy déposa sa déclaration.

Une disposition législative qui impose un délai de prescription très court durant lequel les intéressés doivent présenter leur réclamation sous peine de confiscation de leur bien, sans même qu’ils en soient informés (s’agissant de personnes n’ayant pas le bien en leur possession au moment de la saisie) ou qu’un juge puisse proroger ce délai, soulève la question sérieuse de savoir si elle ne les prive pas d’une audience impartiale pour la définition de leurs droits, ce qui irait à l’encontre de la protection assurée par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.

Le processus de saisie-confiscation est le même sous le régime de la Loi sur les douanes et de la Loi sur l’accise, la différence résidant dans la question de savoir laquelle de ces deux lois s’applique aux marchandises en contrebande. Il n’y a aucune explication logique du fait que la Loi sur l’accise ne prévoie que l’obligation de communiquer la liste des biens saisis à la personne entre les mains de laquelle ils ont été saisis, alors que la Loi sur les douanes oblige l’agent procédant à la saisie d’informer la personne dont il a raisonnablement lieu de croire qu’elle a le droit de faire une réclamation au sujet de ces biens. La Loi sur les douanes, qui manifestement tient compte de l’importance de la notification en cas de saisie-confiscation de bien privé, est conforme aux impératifs fondamentaux de justice, ce qui n’est pas le cas des dispositions de la Loi sur l’accise. L’absence d’une disposition portant notification dans cette dernière, par comparaison avec les dispositions portant notification raisonnable dans la Loi sur les douanes, est inexplicable et devrait retenir l’attention du législateur.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III.

Loi sur l’accise, L.R.C. (1985), ch. E-14, art. 69, 164.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 110, 138 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 62; ch. 51, art. 45), 139.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380; [1972] 1 W.W.R. 303; (1971), 24 D.L.R. (3d) 720; Murphy c. Welsh, [1993] 2 R.C.S. 1069; (1993), 106 D.L.R. (4th) 404; 18 C.P.C. (3d) 137; Porter c. Canada, [1989] 3 C.F. 403; 48 C.C.C. (3d) 252; 40 C.R.R. 263; 26 F.T.R. 69; (1989), 2 T.C.T. 4141; [1989] 1 T.S.T. 2115 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Robert Boudreau c. Ministre du Revenu national, Douanes et Accise, C.S. Qué., 705-36-000070-936, 14 décembre, 1993, encore inédite; Location des Bois-Francs Inc. c. Ministre du Revenu national, C.S. Qué., 415-05-000259-910, 14 février 1992, juge Walters, non publiée; Vallières c. Procureur général du Canada, C.S. Qué., 760-05-000801-926, 28 octobre 1993, juge Boudreault, encore inédite; Weldon v. Neal (1887), 19 Q.B.D. 394 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

2749-5191 Québec Inc. c. Sous-ministre du Revenu, C.S. Qué., 750-05-000333-938, 5 août 1993, encore inédite; Ginette Pilon c. La Reine, C.S. Qué., 500-05-004264-923, 2 avril 1992, encore inédite; Pierrette Primeau c. Ministère du Revenu national, C.S. Qué., 500-05-007316-936, 17 juillet 1993, encore inédite; Zarowney, Joe v. The Queen, [1956] R.C.É. 16; [1956] C.T.C. 1; (1955), 56 DTC 1025; Jefo international ltée c. Canada (Ministre du Revenu national, Douanes et Accise), [1992] R.J.Q. 1258 (C.S.); Budget Car & Truck Rentals of Ottawa c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1993), 66 F.T.R. 277 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Hogg, Peter. Constitutional Law of Canada, 3rd ed. (Supplemented), Scarborough : Carswell, 1992.

REQUÊTES en ordonnance constituant en qualité de requérante dans l’action principale, la propriétaire d’un véhicule saisi en application de la Loi sur l’accise entre les mains de l’individu qui l’avait loué chez une entreprise de location d’automobiles et de camions, et en ordonnance déclarant l’intérêt de la compagnie de location à l’égard du véhicule. Requêtes accueillies.

AVOCATS :

S. Jay Passi pour la requérante.

Gina M. Scarcella pour l’intimé.

Michael R. Kestenberg pour Birchcliff National Leasing Ltd.

PROCUREURS :

Chatarpaul & Associates, North York (Ontario), pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein :

Les requêtes

Il y a en l’espèce deux requêtes présentées par 785072 Ontario Inc., dont le nom commercial est Economy Truck and Car Rental (Economy), dans le cadre de la procédure faisant suite à la saisie d’un châssis cabine Ford E350 année-modèle 1993 (le véhicule), effectuée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en application de la Loi sur l’accise, L.R.C. (1985), ch. E-14, et modifications. La première requête conclut à ordonnance portant constitution de Birchcliff National Leasing Ltd. (Birchcliff), qui est la propriétaire en titre du véhicule, en qualité de requérante dans l’action principale. La seconde conclut à ordonnance déclarant que Economy a un intérêt à l’égard du même véhicule à titre de locataire licite.

Les faits de la cause

Birchcliff exploite une entreprise de location de véhicules en crédit-bail. Le 30 avril 1993, en qualité de bailleur, elle a loué le véhicule à Economy, qui est une entreprise de location de véhicules au public. Le 10 novembre 1993, Economy a loué le véhicule à Christopher Saunders pour une journée.

Le 11 novembre 1993, Saunders ne restitua pas le véhicule comme prévu et Economy apprit qu’il avait été arrêté à Cornwall (Ontario) et le véhicule saisi par la GRC en application de la Loi sur l’accise, parce qu’il y avait à bord 1 200 bouteilles de 1,75 litre de spiritueux « de contrebande » valant quelque 28 800 $. Le président d’Economy se mit en rapport avec la GRC qui lui dit qu’il recevrait par la poste les papiers relatifs à la saisie du véhicule. Le 16 novembre 1993, la GRC lui envoya ce qui est manifestement une lettre standard, comme suit :

[traduction] À QUI DE DROIT :

1. Nous vous informons que notre détachement a saisi le 10 novembre 1993 un véhicule (dont les détails figurent sur la formule ci-jointe) immatriculé sous votre nom, parce qu’il y avait à bord des spiritueux illégalement importés au Canada en violation de la Loi sur l’accise.

2. Ci-joint copie de la formule N-1 (liste des biens saisis) qui donne la liste des articles saisis ainsi que des explications sur la procédure à suivre si vous entendez faire valoir un droit sur ce véhicule.

3. Nous vous informons aussi que nous garderons pendant 30 jours les plaques d’immatriculation du véhicule saisi. Veuillez communiquer avec nous si vous désirez les récupérer. Sinon elles seront renvoyées au M.T.C.

4. Pour plus de détails concernant ce véhicule, prière de communiquer avec Revenu Canada, Douanes et Accise, Arbitrage, au numéro (613) 954-7328.

Le certificat d’immatriculation du véhicule porte le nom de Birchcliff sur la partie « Véhicule », et celui d’Economy sur la partie « Plaque ». Il se trouvait probablement à bord du véhicule, bien qu’il n’y ait aucune preuve directe à ce sujet. Il ressort cependant de la lettre de la GRC que celle-ci était au courant du certificat d’immatriculation, puisqu’il y était question d’« un véhicule immatriculé sous votre nom ».

Le 3 décembre 1993, c’est-à-dire 23 jours après la saisie, Economy déposa une déclaration auprès de la Cour pour demander la restitution du véhicule. Le même jour, elle introduisit un avis de requête en ordonnance portant déclaration de son intérêt en tant que locataire du véhicule.

Le 12 janvier 1994, Economy informa Birchcliff de la saisie, et le 27 janvier 1994, c’est-à-dire quelque deux mois et demi après la saisie, elle introduisit l’avis de requête en constitution de cette dernière en qualité de partie.

La disposition applicable en l’espèce est l’article 164 de la Loi sur l’accise :

164. (1) Lorsque des chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires ont été saisis comme confisqués sous l’autorité de la présente loi, quiconque—autre que la personne accusée d’une infraction qui a eu pour résultat cette saisie, ou que la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires ont été saisis—réclame, à l’égard de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires, un intérêt à titre de propriétaire, créancier hypothécaire, détenteur de gage ou détenteur d’un intérêt similaire, peut, dans un délai de trente jours à compter de cette saisie, s’adresser à un juge d’une cour supérieure ou à un juge de la Cour fédérale afin de faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt.

(2) Si, après la notification au ministre que le juge peut exiger, il est démontré, à la satisfaction de ce juge, que le réclamant :

a) d’une part, est innocent de toute complicité dans l’infraction qui a eu pour résultat cette saisie, ou de toute collusion avec le contrevenant en l’espèce;

b) d’autre part, a pris toutes les mesures voulues à l’égard de la personne qui a reçu permission d’obtenir la possession de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres accessoires, afin de s’assurer que vraisemblablement ils ne seraient pas employés contrairement à la présente loi, ou, si le réclamant est un créancier hypothécaire ou détenteur de gage, qu’il a, avant de devenir semblable créancier hypothécaire ou détenteur de gage, pris ces mesures à l’égard du débiteur hypothécaire ou donneur de gage,

le réclamant a droit à une ordonnance déclarant que son intérêt n’est pas affecté par cette saisie.

Les points litigieux

Il convient d’examiner si Economy a un intérêt à l’égard du véhicule et si Birchcliff peut être jointe en qualité de partie à l’action déjà intentée par Economy bien que le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 164(1) fût expiré au moment où Economy introduisit l’avis de requête à cet effet. Nul doute que la requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie fait suite à l’argument avancé par l’intimé que Economy n’a aucun intérêt dans le véhicule et que, de ce fait, la réclamation qu’elle présente en application du paragraphe 164(1) est irrecevable.

Cette affaire ne laisse pas de me troubler dès le début. L’intimé ne prétend pas que Birchcliff ou Economy soit impliquée dans la supposée infraction qui a donné lieu à la saisie. Il affirme cependant qu’il a droit au véhicule par les motifs suivants :

(1) Economy n’a aucun intérêt à l’égard du véhicule et, de ce fait, n’a pas le droit de réclamer en application de l’article 164;

(2) Birchcliff peut avoir un intérêt, mais ne peut être jointe en qualité de partie après l’expiration du délai de prescription de 30 jours. Ce délai de prescription prévu au paragraphe 164(1) est de rigueur, et la Cour n’est pas investie du pouvoir discrétionnaire de le proroger pour permettre à Birchcliff de se constituer partie;

(3) Il n’incombait pas à l’intimé de notifier à Birchcliff qu’elle devait faire valoir ses prétentions avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours. La seule disposition en matière de notification formelle après saisie est l’article 69 de la Loi sur l’accise, lequel prévoit seulement l’obligation de communiquer au saisi comme suit :

69. Le receveur ou tout autre préposé, ou toute personne qui l’aide à saisir des articles confisqués en vertu de la présente loi, doit marquer et numéroter chaque article distinct, et dresser une liste de tous les articles saisis, avec une estimation de leur valeur, laquelle liste est datée et signée par le receveur ou autre préposé. Une copie conforme de la liste est donnée au saisi ou lui est expédiée, par courrier recommandé, à sa dernière adresse connue et une autre copie ainsi que le procès-verbal du receveur ou autre préposé relatif à la saisie sont transmis sans retard au ministre. [Non souligné dans le texte.]

À supposer que l’argument de l’intimé soit fondé, cela signifierait que le paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise lui donne le droit de confisquer des biens d’un innocent sans notification ni dédommagement. Sans vouloir généraliser de façon excessive ni ajouter inutilement à la controverse, je dois dire que mon premier réflexe a été de penser que pareille interprétation, si elle n’était justifiée par quelque raison valide, était le propre des régimes totalitaires et des régimes pas tout à fait démocratiques. C’est pourquoi j’ai demandé aux avocats de part et d’autre de fouiller la jurisprudence en la matière afin de présenter d’autres conclusions. Je leur ai même demandé d’étudier l’effet de l’article 164 de la Loi sur l’accise à la lumière de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, reproduite dans L.R.C. (1985), appendice III. Je tiens à remercier les avocats de leurs conclusions et de leur coopération, en particulier l’avocate de l’intimé qui a porté à mon attention des textes de loi et des précédents allant à l’encontre de ses conclusions.

L’intérêt d’Economy

J’examine en premier lieu la question de l’intérêt d’Economy dans le véhicule. Selon divers précédents, l’acheteur en vertu d’un contrat de vente conditionnelle n’a pas à l’égard du bien un « intérêt » au sens du paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise ou un « droit » au sens des articles 138 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 62; ch. 51, art. 45] et 139 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1 et modifications. Le texte anglais de l’article 138 renferme les mêmes termes que le paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise : « owner, mortgagee, lien-holder or holder of any like interest » (le texte français est légèrement différent : propriétaire, créancier hypothécaire, créancier privilégié ou … autre qualité comparable). Voir par exemple les décisions non publiées suivantes : 2749-5191 Québec Inc. c. Sous-ministre du Revenu (5 août 1993), numéro du greffe 750-05-000333-938 (C.S. Qué.); Ginette Pilon c. La Reine (2 avril 1992), numéro du greffe 500-05-004264-923 (C.S. Qué.); Pierrette Primeau c. Ministère du Revenu national (17 juillet 1993), numéro du greffe 500-05-007316-936 (C.S. Qué.); et Robert Boudreau c. Ministre du Revenu national, Douanes et Accise (14 décembre 1993), numéro du greffe 705-36-000070-936 (C.S. Qué.). Dans cette dernière cause, l’acheteur conditionnel avait soumis la réclamation prévue au paragraphe 164(1) avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours. Cependant il n’était pas, au moment de la réclamation, propriétaire du véhicule, dont la propriété ne lui revenait qu’après l’expiration de ce délai de prescription de 30 jours. Il a été jugé qu’il a acquis ce statut trop tard et il a été débouté de son action. Par contre, dans Vallières c. Procureur général du Canada, décision inédite du 28 octobre 1993, numéro du greffe 760-05-000801-926 (C.S. Qué.), le juge Boudreault de la Cour supérieure du Québec a conclu qu’un acheteur à tempérament avait un « intérêt similaire » qui lui donnait le droit d’invoquer le paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise.

Je n’ai été saisi d’aucun précédent portant directement sur les rapports entre bailleur et preneur tels ceux qui nous intéressent en l’espèce. L’intimé souligne que le contrat de crédit-bail entre Birchcliff et Economy ne confère à cette dernière aucun droit de propriété sur le véhicule. L’article 1 des Stipulations du contrat de crédit-bail entre les deux prévoit notamment ce qui suit :

[traduction] Le présent contrat est seulement un contrat de crédit-bail; le locataire n’acquiert aucun droit sur le véhicule sauf le droit de l’exploiter conformément aux présentes. Le locataire s’engage par les présentes à présenter le véhicule à l’inspection du bailleur dans les trois jours de la demande faite à cet effet par ce dernier.

L’avocat représentant Birchcliff produit un « avenant au contrat de crédit-bail » qui prévoit qu’à l’expiration du contrat, Economy peut devenir propriétaire du véhicule moyennant la somme de 6 885 $ ainsi que le coût d’un certificat d’inspection de sécurité. Il appert que la somme de 6 885 $ représente le prix grâce auquel Economy, aux termes de l’avenant, peut « profiter de tout gain résultant d’une augmentation de la valeur marchande du véhicule ». Il semble donc que l’avenant modifie l’article 1 du contrat de crédit-bail et confère à Economy ce que j’appellerais un droit en equity sur le véhicule, en sus des droits qu’elle tient du crédit-bail.

Le paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise reconnaît aux propriétaires, créanciers hypothécaires, détenteurs de gage et détenteurs d’un intérêt similaire, le droit de faire une réclamation. J’ai du mal à voir pourquoi le détenteur d’un intérêt en equity ne serait pas le détenteur d’un intérêt similaire à celui d’un propriétaire, créancier hypothécaire ou détenteur de gage. En effet, par le passé, le propriétaire qui hypothéquait son bien se trouvait de ce fait, selon le ressort et selon l’époque, à transférer le titre de propriété au créancier hypothécaire en retenant le droit à la restitution après que l’hypothèque eut été purgée. Ce propriétaire conservait certainement, en equity, un droit sur son bien. À mon avis, ce serait interpréter de façon très restrictive la notion d’« intérêt similaire » en tenant que l’intérêt en equity n’est pas de même nature que celui du propriétaire, créancier hypothécaire ou détenteur de gage visé au paragraphe 164(1). Je ne sais pas ce qu’embrasserait la notion d’« intérêt similaire » sinon l’acheteur conditionnel ou le locataire qui, à l’expiration du contrat de crédit-bail, a le droit d’acheter à un prix fixé à l’avance.

Aucun argument n’a été proposé qui explique de façon satisfaisante pourquoi l’acheteur conditionnel ou le locataire qui a le droit d’acheter à un prix fixé à l’avance n’est pas une personne ayant un « intérêt similaire » ou pourquoi cette notion devrait être interprétée de façon si restrictive qu’il faut lui dénier le droit de faire une réclamation en application du paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise. À mon avis, l’intérêt d’Economy en l’espèce est du même genre que les intérêts visés au paragraphe 164(1), c’est un « intérêt similaire » à ces derniers. Elle a donc un intérêt au sens du paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise et doit avoir le droit de faire valoir ses prétentions conformément au paragraphe 164(2) de la même loi.

Birchcliff

J’en viens maintenant à la requête d’Economy en constitution de Birchcliff en qualité de requérante.

Birchcliff cherche, après l’expiration du délai de prescription de 30 jours, à se faire reconnaître la qualité de partie à une action intentée par Economy durant ce délai. La première objection de l’intimé est que Economy n’a aucun intérêt ou que ses prétentions sont invalides, et que Birchcliff ne peut se faire porter sur une demande invalide ou une demande qui ne soit pas fondée sur un intérêt reconnu par le paragraphe 164(1). J’ai conclu que Economy a un intérêt au sens du paragraphe 164(1) mais je ne me suis pas prononcé sur le fond de sa réclamation, qui doit être jugée de la façon prévue au paragraphe 164(2). En particulier, je n’ai pas décidé au fond si, par exemple, Economy a pris toutes les mesures voulues avant de confier le véhicule à Saunders. Cependant, je ne pense pas que la validité ou l’invalidité des prétentions d’Economy ou la question de savoir si elle a un intérêt au sens du paragraphe 164(1), soit un facteur à prendre en considération pour décider si Birchcliff peut être jointe à l’action intentée par la première. À mon avis, c’est l’existence de la demande initiale, non pas son bien-fondé, qui permet qu’une personne soit jointe à l’action. Je ne vois pas pourquoi une personne ne pourrait pas être jointe à une action en cours, avant que la demande initiale ne soit jugée[1]. Comme la demande intentée par Economy est toujours en instance, l’argument de l’intimé à ce sujet doit être rejeté.

Pour ce qui est de la jonction tardive d’une partie à une action en cours, la requérante cite l’arrêt Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380, par lequel la Cour suprême, citant la décision Weldon v. Neal (1887), 19 Q.B.D. 394 (C.A.), a autorisé la modification de la déclaration pour y ajouter une nouvelle cause d’action au bénéfice de différents réclamants en raison de circonstances extraordinaires. Le juge Hall a conclu en ces termes en pages 384 et 385 :

Il faut donc conclure que la règle de pratique énoncée dans Weldon v. Neal n’est pas absolue et qu’on autorisera un amendement de la nature de celui qui est demandé dans cette dernière cause lorsque l’existence de circonstances particulières en justifie l’autorisation. Forcément, on fera rarement appel au pouvoir d’autoriser un amendement une fois écoulé le délai établi par loi de prescription, puisque les circonstances qui permettent d’y avoir recours ne se présenteront pas souvent

L’adjectif « particulier » (peculiar) dans le contexte de la décision de Lord Esher et à l’époque de cette décision, peut être considéré comme équivalant à « spécial » selon l’usage actuel.

Dans Murphy c. Welsh, [1993] 2 R.C.S. 1069, le juge Major a réaffirmé en page 1081 la règle posée par l’arrêt Basarsky c. Quinlan :

… la cour autorisera, dans des circonstances spéciales, la modification d’une déclaration afin d’ajouter une autre partie après l’expiration d’un délai de prescription. Toutefois, l’action de la nouvelle partie ne pourra viser une période antérieure à la date de la déclaration.

À mon avis, le principe dégagé par l’arrêt Basarsky c. Quinlan, supra, et tel qu’il a été subséquemment développé dans l’arrêt Murphy c. Welsh, supra, est directement applicable en l’espèce où, après l’expiration du délai de prescription, Economy a demandé à ajouter Birchcliff à sa demande introduite avant l’expiration de ce délai.

L’avocate de l’intimé tient qu’une partie ne peut être ajoutée tardivement à l’action que si sa cause d’action ou son intérêt est le même que celui du demandeur initial. Dans Vallières, supra, le juge Boudreault de la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande faite par la Banque de Nouvelle-Écosse plus de 30 jours après la saisie, pour intervenir dans l’action déjà intentée par l’acheteur à tempérament, et ce visiblement par ce motif que la banque n’avait pas le même intérêt que l’acheteur à tempérament. Rien n’indique que l’arrêt Basarsky c. Quinlan ait été cité dans Vallières, supra. Quoi qu’il en soit, je n’interprète ni l’arrêt Basarsky c. Quinlan ni l’arrêt Murphy c. Welsh comme n’autorisant la jonction tardive de parties qu’en cas d’intérêt identique. À mon avis, le facteur commun est l’événement donnant lieu aux causes d’action respectives. Dans Basarsky c. Quinlan, qui était une affaire d’accident d’automobile, la modification visait à faire valoir les droits de différentes parties sous le régime d’une autre loi que celle invoquée dans la demande initiale. Dans Murphy c. Welsh, qui était également une affaire d’accident d’automobile, la mère demandait à participer de son propre chef à l’action intentée par son fils mineur, et elle y aurait été ajoutée n’eût été le fait que l’action avait été intentée par le fils après l’expiration du délai de prescription applicable à la mère. Dans les deux cas, la demande faite après le délai portait sur le même événement que la demande initiale. En l’espèce, Economy et Birchcliff ont l’une et l’autre des prétentions fondées sur l’article 164 de la Loi sur l’accise et portant sur le même événement, savoir la saisie du véhicule par la GRC en application de cette loi. Voilà, à mon avis, une condition suffisante.

Il se pose encore la question de savoir si l’intimé subira un préjudice du fait de la jonction de Birchcliff à l’action d’Economy. La jurisprudence Weldon v. Neal, supra, pose que la modification de la déclaration ne sera pas autorisée de façon à y ajouter une partie si cette addition se traduit par un préjudice pour la partie adverse. Bien entendu, celle-ci ne saurait arguer que la prorogation du délai de prescription est elle-même un préjudice, sinon l’exception posée par l’arrêt Weldon v. Neal à la règle générale de pratique ne pourrait jamais s’appliquer. Je pense que le préjudice envisagé par cette décision doit être quelque chose qui est propre aux circonstances de la cause, par exemple la destruction des preuves ou l’impossibilité d’entreprendre une investigation tardive, autant de questions qui ne se seraient pas posées si la demande avait été déposée dans les délais. En l’espèce, il n’y a aucune preuve de préjudice pour l’intimé. L’avocate de l’intimé soutient que le ministre subira un préjudice si l’aliénation du véhicule est retardée, mais cet argument ne démontre aucun préjudice puisque le ministre ne pourrait rien faire du véhicule tant que la demande d’Economy n’aura pas été jugée.

Il ne reste plus que la question de savoir s’il y a en l’espèce des circonstances extraordinaires qui justifieraient l’addition de Birchcliff en qualité de partie. Je pense que ces circonstances existent :

(1) Le paragraphe 164(1) prévoit un délai de prescription de 30 jours seulement, que la Cour n’a manifestement pas le pouvoir de proroger. Dans d’autres domaines, tels que la responsabilité délictuelle ou la rupture de contrat, le délai de prescription est normalement plus long. Lorsque le délai de prescription est limité à 30 jours, sans que la Cour ait compétence pour le proroger, je dirais que la situation est extraordinaire, voire inusitée.

(2) Birchcliff n’avait pas été informée de la confiscation ou de la saisie avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours. L’article 69 de la Loi sur l’accise prévoit la communication à la personne entre les mains de laquelle le véhicule a été saisi, mais non pas à la personne qui pourrait avoir un intérêt dans ce véhicule. Il est curieux que la loi prescrive de notifier en bonne et due forme à la personne qui est déjà courant de la saisie, et à nul autre. Lorsqu’une personne ayant un intérêt dans le véhicule n’est pas informée de la saisie, je pense qu’il y a là circonstance extraordinaire.

(3) Une loi qui prévoit la confiscation de biens privés sans notification ni dédommagement est en effet inusitée. Dans Porter c. Canada, [1989] 3 C.F. 403 (1re inst.), le juge Joyal note en page 407 que la disposition de confiscation de la Loi sur l’accise [S.R.C. 1970, ch. E-12] et de la Loi sur les douanes [S.C. 1986, ch. 1] comporte un certain aspect draconien et que la confiscation « évoque » l’idée d’une peine qui, dans de nombreux cas, semble aller bien au-delà des exigences de la punition et du châtiment. Dans cette affaire, le juge Joyal s’est longuement penché sur le but et la nature des lois portant confiscation. Sans qu’il soit nécessaire de reproduire les conclusions qu’il tire dans Porter, il est évident que les lois de ce genre sont spéciales.

(4) Il est vraisemblable que la GRC était au courant du certificat d’immatriculation du véhicule et, par conséquent, de l’intérêt de Birchcliff. À supposer même qu’elle ne le fût pas, la Cour peut prendre acte d’office qu’une simple vérification auprès du service d’immatriculation des véhicules de l’Ontario, que la GRC doit effectuer de routine, aurait révélé l’intérêt de Birchcliff. D’une façon ou d’une autre, la GRC devait être consciente de l’intérêt de cette dernière. Il n’y a rien dans les preuves produites qui explique pourquoi elle ne l’a pas informée de la saisie, à part peut-être l’article 69 de la Loi sur l’accise. Comme je l’ai noté, il s’agit là de la disposition inusitée qui prescrit seulement la communication de la liste des articles saisis à la personne entre les mains de laquelle le véhicule a été saisi et qui était déjà au courant dans les faits, et non pas à d’autres qui ont un intérêt dans le même véhicule. Le fait que la GRC ait envoyé une lettre type à la personne sous le nom de laquelle le véhicule est immatriculé indique qu’elle peut, sans y être expressément obligée par la loi, user de bon sens et suivre la pratique raisonnable d’informer également d’autres personnes, s’il appert qu’elles peuvent avoir un intérêt dans le véhicule. Le défaut de notifier à Birchcliff en l’espèce est incompatible avec la pratique normale de la GRC et constitue une circonstance extraordinaire.

La conjugaison des facteurs ci-dessus donne lieu à mon avis à des circonstances extraordinaires qui justifient l’application de la règle posée par l’arrêt Basarsky c. Quinlan, supra.

Est-ce qu’il y a eu diligence raisonnable pour ajouter Birchcliff en qualité de partie après l’expiration du délai de prescription? La requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie à l’action déjà intentée par Economy fut introduite dans les quinze jours de la date où la saisie fut notifiée à Birchcliff. Il semble qu’elle fut informée par Economy lorsque celle-ci se rendit compte que l’intimé refusait de lui reconnaître aucun intérêt au sens du paragraphe 164(1). L’avocate de l’intimé soutient que Economy aurait pu notifier la saisie à Birchcliff avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours. Il se trouve cependant que nous sommes en présence d’un délai de prescription très court ainsi que d’arguties subtiles au sujet des personnes qui peuvent ou non avoir un intérêt dans le véhicule. Je conclus qu’il y a eu diligence raisonnable dans l’introduction de la requête en constitution de Birchcliff en qualité de partie.

J’ai conscience que dans un grand nombre d’affaires, il a été jugé que le réclamant qui n’agit pas avant l’expiration du délai de prescription de 30 jours ne peut plus se prévaloir du paragraphe 164(1) et que la Cour n’a pas le pouvoir de proroger ce délai (Voir Zarowney, Joe v. The Queen, [1956] R.C.É. 16, en page 21; Jefo international ltée c. Canada (Ministre du Revenu national, Douanes et Accise), [1992] R.J.Q. 1258 (C.S.), en page 1262, et Budget Car & Truck Rentals of Ottawa c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1993), 66 F.T.R. 277 (C.F. 1re inst.), en page 278). Cependant, dans Location des Bois-Francs Inc. c. Ministre du Revenu national, décision non publiée, rendue le 14 février 1992 par le juge Walters de la Cour supérieure du Québec, numéro du greffe 415-05-000259-910 (mentionnée, au titre de la différence des faits respectifs, dans Budget Car & Truck Rentals of Ottawa, supra), la demande du bailleur d’un véhicule a été accueillie bien qu’elle eût été déposée plus de 30 jours après la saisie, et ce en raison des « circonstances spéciales » évoquées par le juge Walters en page 8 des motifs de son jugement. Cette décision ne cite pas expressément Basarsky c. Quinlan et il appert en effet que l’affaire soumise au juge Walters portait juste sur une prorogation du délai et non pas sur l’addition d’une partie à une action en instance. Néanmoins, il appert que le défaut de notification a amené le juge Walters à proroger le délai par des motifs d’equity.

J’ai cité Location des Bois-Francs Inc. c. Ministre du Revenu national, supra, pour faire ressortir que même dans une simple demande de prorogation du délai, la juridiction saisie, en dépit des termes du paragraphe 164(1), a prorogé le délai en application des principes d’equity. Il n’est cependant pas nécessaire, en l’espèce, d’envisager la question sous l’angle de la prorogation du délai. Nous sommes en présence d’une requête en constitution de partie à une action intentée dans les délais, requête à laquelle s’applique parfaitement la règle dégagée par Basarsky c. Quinlan et réitérée dans Murphy c. Welsh.

L’avocate de l’intimé soutient que la confiscation par voie de saisie était une action in rem contre le véhicule et que, par conséquent, l’identité du propriétaire n’avait aucune espèce d’importance. Et que l’intimé était ainsi fondé à saisir et à aliéner le véhicule sans avoir à le notifier au propriétaire ou aux personnes qui avaient un intérêt similaire s’ils n’avaient pas le véhicule en leur possession au moment de la saisie. Cependant, le paragraphe 164(1) prévoit que le propriétaire ou toute personne ayant un intérêt similaire peut conclure à ordonnance déclarant cet intérêt. Le paragraphe 164(2) prévoit que si la personne ayant un intérêt dans le véhicule peut démontrer qu’elle n’était pas impliquée dans l’infraction ayant donné lieu à la saisie et qu’elle a pris toutes les mesures voulues à l’égard de la personne qui avait la garde du véhicule au moment de la saisie, elle a droit à ordonnance déclarant que son intérêt n’est pas affecté par cette saisie. Il est difficile de concilier l’esprit manifeste de l’article 164, qui vise à permettre à une personne ayant un intérêt dans le véhicule d’opposer cet intérêt à la saisie et à la confiscation, avec l’argument que celles-ci constituent une action in rem dans laquelle l’identité du propriétaire ou de toute personne ayant un intérêt similaire ne présente aucune importance. Quel que soit le contexte législatif des dispositions portant confiscation et saisie de la Loi sur l’accise, celles-ci reconnaissent au propriétaire et à toute personne ayant un intérêt similaire le droit de faire valoir leurs prétentions. C’est ce qu’a noté le juge Joyal dans Porter, supra, en page 412, bien que cette question ne fût pas en litige. Je ne pense pas que la confiscation d’un bien privé sans notification soit justifiée par l’argument historique de l’action in rem, vu la reconnaissance à l’article 164 de la Loi sur l’accise des prétentions potentielles du propriétaire ou de toute personne ayant un intérêt similaire.

Vu les circonstances extraordinaires de la cause et conformément à la règle dégagée par l’arrêt Basarsky c. Quinlan et confirmée par l’arrêt Murphy c. Welsh, j’autorise que Birchcliff soit ajoutée en qualité de partie à l’instance. Conformément à la jurisprudence Murphy c. Welsh, la réclamation de Birchcliff remonte à la date à laquelle Economy déposa sa déclaration auprès de la Cour, c’est-à-dire dans les 30 jours de la saisie comme le prescrit le paragraphe 164(1) de la Loi sur l’accise.

La Déclaration canadienne des droits

Vu les conclusions ci-dessus, il est inutile que j’examine l’affaire au regard de la Déclaration canadienne des droits. Il y a cependant lieu de noter que l’alinéa 2e) de ce texte porte ce qui suit :

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

e) privant une personne du droit à une audience impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations.

Peter W. Hogg, dans son ouvrage Constitutional Law of Canada, 3e éd. (Supplemented) (Scarborough : Carswell, 1992), a fait cette observation en page 32-2 :

[traduction] Il y a deux dispositions de la Déclaration [canadienne des droits] qui ne font pas double emploi avec la Charte : (1) l’équité procédurale (art. 1a)) qui s’étend au droit de propriété, et (2) la garantie (art. 2e)) d’audience impartiale pour la détermination des droits et obligations. L’une et l’autre de ces deux dispositions vont au-delà des garanties de la Charte et, de ce fait, continueront à limiter effectivement l’action de l’État fédéral (mais non pas provincial). [Note de bas de page supprimée.]

Sans me prononcer sur cette question, je dois néanmoins dire qu’une disposition législative qui impose un délai de prescription très court durant lequel les intéressés doivent présenter leur réclamation sous peine de confiscation de leur bien, sans même qu’ils en soient informés (s’agissant de personnes n’ayant pas le bien en leur possession au moment de la saisie) ou qu’un juge puisse proroger ce délai, soulève la question sérieuse de savoir si elle ne les prive pas d’une audience impartiale pour la définition de leurs droits.

Comparaison entre la Loi sur l’accise et la Loi sur les douanes

Enfin, l’avocate de l’intimé cite les dispositions de la Loi sur les douanes concernant la saisie et la confiscation des moyens de transport à bord desquels se trouvent des marchandises en contrebande. Ces dispositions prévoient que l’agent procédant à la saisie et qui a raisonnablement lieu de croire qu’une personne a le droit de réclamer le moyen de transport, est tenu de lui notifier la saisie. Voici ce que portent les paragraphes 110(1) et (4) de la Loi sur les douanes :

110. (1) L’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements du fait de marchandises, saisir à titre de confiscation :

a) les marchandises;

b) les moyens de transport dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’ils ont servi au transport de ces marchandises, lors ou à la suite de l’infraction.

(4) L’agent qui procède à la saisie-confiscation prévue au paragraphe (1) ou (2) prend les mesures convenables, eu égard aux circonstances, pour aviser de la saisie toute personne dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a le droit de présenter, à l’égard des biens saisis à titre de confiscation, la requête visée à l’article 138.

Le paragraphe 138(1) de la Loi sur les douanes prévoit ce qui suit :

138. (1) En cas de saisie-confiscation effectuée en vertu de la présente loi, toute personne qui, sauf si elle était en possession de l’objet au moment de la saisie, revendique à cet égard un droit en qualité de propriétaire, de créancier hypothécaire, de créancier privilégié ou en toute autre qualité comparable peut, dans les soixante jours suivant la saisie, requérir par avis écrit le tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 139.

L’avocate de l’intimé reconnaît, en toute franchise, que le processus de saisie-confiscation est le même sous le régime de la Loi sur les douanes et de la Loi sur l’accise, la différence résidant dans la question de savoir laquelle de ces deux lois s’applique au bien saisi. Il se trouve cependant, comme noté supra, qu’à la différence de la Loi sur les douanes, l’article 69 de la Loi sur l’accise ne fait à l’intimé que l’obligation de communiquer la liste des biens saisis à la personne entre les mains de laquelle ces biens ont été saisis.

Il n’y a aucune explication logique du fait que la Loi sur l’accise ne prévoie que l’obligation de communiquer la liste des biens saisis à la personne entre les mains de laquelle ils ont été saisis, alors que la Loi sur les douanes oblige l’agent procédant à la saisie d’informer la personne dont il a raisonnablement lieu de croire qu’elle a le droit de faire une réclamation au sujet des biens saisis. L’avocate de l’intimé hasarde l’avis que cette différence tient peut-être à ce que la Loi sur les douanes a été modifiée récemment et que la Loi sur l’accise traduit la nature plus simple des transactions commerciales du passé, en ce que la personne ayant un intérêt devait être en communication étroite avec la personne en possession du véhicule au moment de la saisie. Quoi qu’il en soit, les termes de la Loi sur les douanes, qui manifestement tiennent compte de l’importance de la notification en cas de saisie-confiscation de bien privé, sont à mon avis conformes aux impératifs fondamentaux de justice, ce qui n’est pas le cas des dispositions de la Loi sur l’accise. L’absence d’une disposition portant notification dans cette dernière, par comparaison avec les dispositions portant notification raisonnable dans la Loi sur les douanes, est inexplicable et, à mon avis, devrait retenir l’attention du législateur.

Conclusion

La Cour fait droit à la requête d’Economy visant à obtenir une ordonnance selon laquelle elle a un intérêt dans le véhicule. La Cour fait également droit à sa requête en ordonnance portant constitution de Birchcliff en partie. L’affaire pourra maintenant passer en jugement sous le régime du paragraphe 164(2) de la Loi sur l’accise pour déterminer si l’intérêt respectif d’Economy et de Birchcliff dans le véhicule est affecté par la saisie.

L’avocat d’Economy préparera le texte de l’ordonnance conformément aux présents motifs, le communiquera aux avocats respectifs de Birchcliff et de l’intimé en vue de leur consentement quant à la forme, puis le soumettra à la Cour dans les quatorze (14) jours de la date des présents motifs. Au cas où les avocats en présence ne pourraient s’entendre sur la forme de l’ordonnance, la Cour, à la demande de n’importe laquelle des parties et après avoir entendu les avocats, rendra une ordonnance conforme aux présents motifs.



[1] En l’espèce, il a été jugé que Economy a un intérêt. De ce fait, sa demande subsistera. Cependant, à supposer même qu’il ait été jugé qu’elle n’a aucun intérêt, le dispositif de l’ordonnance n’a pas encore été rendu et, pour autant qu’une ordonnance portant jonction de Birchcliff à l’instance soit rendue avant l’ordonnance portant rejet de la demande d’Economy, il subsisterait une demande initiale sur laquelle pourrait se greffer celle de Birchcliff.

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