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[1995] 1 C.F 830

A-1280-92

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Coopers & Lybrand Limited en sa qualité de syndic de faillite de Hawboldt Hydraulics (Canada) Inc., successeur de Maritime Hydraulic Repair Centre Limited (intimée)

Répertorié : Canada c. Hawboldt Hydraulics (Canada) Inc. (syndic) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Pratte et Heald, J.C.A.—Halifax, 31 mai; Ottawa, 19 août 1994.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Appel d’une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la question de savoir si la contribuable a droit à la déduction pour amortissement et au crédit d’impôt à l’investissement, en vertu de la Loi et du Règlement de l’impôt sur le revenu, pour la réparation et la remise à neuf de systèmes hydrauliques — L’interprétation de la Loi, art. 127(10)c)(i) est en litige — Ces dispositions législatives sont des incitatifs fiscaux visant à encourager l’investissement dans l’achat de nouvelles machines et de nouveaux matériels en vue de leur vente ou de leur location au Canada — « En vue de la vente » ne signifie pas « en vue de l’utilisation dans une réparation » — La réparation et la remise à neuf n’équivalent pas à la fabrication de marchandises en vue de la vente — La contribuable n’a pas droit aux déductions demandées.

Interprétation des lois — La réparation et la remise à neuf de composants hydrauliques et pneumatiques équivalent-elles à la fabrication de marchandises en vue de la vente au sens de l’art. 127(10)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu? — Deux courants jurisprudentiels existent quant au sens de l’expression « fabrication de marchandises en vue de la vente ou de la location » — Application de la distinction qu’opère la common law entre contrats de vente et contrats pour la fourniture d’ouvrage et de matériaux — Interprétation des mots dans leur contexte global — Il faut donner aux mots « en vue de la vente ou de la location » leur sens ordinaire — Les services de réparation ne sont pas inclus.

Le présent appel a été formé contre un jugement de la section de première instance infirmant une décision de la C.C.I. rejetant l’appel qu’avait interjeté la contribuable contre les nouvelles cotisations fiscales établies relativement aux années d’imposition 1982 et 1983. La contribuable qui, aux époques considérées en l’espèce, exploitait une entreprise de fabrication, de vente, de réparation et de remise à neuf de composants hydrauliques et pneumatiques de machines utilisées dans l’industrie, a demandé la déduction pour amortissement prévue à la catégorie 29 de l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu ainsi que le crédit d’impôt à l’investissement prévu au paragraphe 127(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les paragraphes 127(5), (9) et (10) de la Loi, qui ont d’abord été présentés à la Chambre des communes en 1975 dans le cadre du projet de loi C-65, faisaient partie d’un ensemble de modifications législatives adoptées par le Parlement en vue de favoriser le développement industriel au Canada par la création d’incitatifs fiscaux destinés à stimuler les secteurs de la fabrication et de la transformation. En vertu de ces dispositions, les machines et matériels sont des biens admissibles s’ils sont utilisés pour la « fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location ». Cet appel soulève la question de savoir si les activités de la contribuable consistant en la réparation et la remise à neuf de composants hydrauliques et pneumatiques, en vue de leur utilisation dans l’industrie, équivalaient à la fabrication de marchandises en vue de la vente, au sens des dispositions législatives applicables.

Arrêt : il y a lieu d’accueillir l’appel.

Dans l’interprétation des textes législatifs, les tribunaux peuvent prendre en considération, à titre de sources externes, des documents tels les Débats de la Chambre des communes ou de ses comités aux fins de découvrir les buts du législateur, les maux avec lesquels il était alors aux prises ainsi que le contexte et l’objet du texte législatif. En matière fiscale, les tribunaux ont reçu la consigne d’interpréter les textes eu égard à l’objet et à l’esprit des dispositions fiscales, ainsi qu’au contexte des réalités économiques et commerciales de l’opération donnant lieu au litige. Les mots « doivent être employés par lui au Canada surtout pour la fabrication … de marchandises en vue de la vente ou de la location » figurant au sous-alinéa 127(10)c)(i) de la Loi ainsi qu’à la catégorie 29 de l’annexe II du Règlement doivent être interprétés à la lumière de ces principes. L’examen de ces mots a donné naissance à deux courants jurisprudentiels contradictoires. Le premier, qu’il convient de suivre, tire son origine de la distinction qu’opère la common law entre contrats de vente et contrats pour la fourniture d’ouvrage et de matériaux; le second, qu’a suivi le juge de première instance, se fonde sur une interprétation littérale du mot « vente », savoir que tout transfert à un consommateur, en échange d’une contrepartie, d’un bien fabriqué par un contribuable équivaudrait à une vente au sens de la loi, sans égard à la nature du contrat intervenu entre eux. Il ressort clairement du contexte global des textes législatifs, y compris des extraits y afférents des Débats de la Chambre des communes, que le législateur avait, en adoptant ces textes, pour objectif de conférer aux manufacturiers et transformateurs canadiens un avantage par rapport à leurs concurrents étrangers, au pays et à l’étranger. Le texte de la loi indique clairement que l’activité devant être avantagée était la fabrication de marchandises destinées à la vente ou à la location, les bénéficiaires en étant les manufacturiers engagés dans cette activité. C’est là le contexte dans lequel le passage en cause doit être compris et interprété. Selon la règle moderne d’interprétation des lois, il convient de donner aux mots « en vue de la vente ou de la location » leur sens ordinaire. En common law, « en vue de la vente » ne signifie pas « en vue de l’utilisation dans une réparation ». Personne dans le milieu des affaires ne pourrait prétendre que la fabrication de pièces destinées à être utilisées dans la réparation d’appareils défectueux d’un client constituait une fabrication en vue de la vente.

Les activités de la contribuable consistant en la réparation et la remise à neuf de composants hydrauliques et pneumatiques n’équivalaient pas à la fabrication de marchandises en vue de la vente. Conclure autrement serait obscurcir la distinction bien établie entre fabrication aux fins de la vente et fabrication aux fins de services de réparation, et serait contraire à l’intention manifeste qu’a exprimée le législateur en adoptant ces dispositions législatives. De plus, cela serait contraire à la classification de ses activités que la contribuable a elle-même établie, soit la fabrication et la vente de systèmes hydrauliques d’une part, et la réparation et la remise à neuf de ces systèmes d’autre part. Le fait que la contribuable tenait une comptabilité séparée pour chacune de ces activités, bien que la même machinerie et le même matériel aient servi aux deux catégories d’activités, était une indication révélatrice de l’importance qu’elle attachait à cette distinction. La contribuable n’avait, par conséquent, pas droit aux déductions demandées.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)a), 125.1 (édicté par S.C. 1973-74, ch. 29, art. 1), 127(5) (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 9), (9) (édicté, idem; 1979, ch. 5, art. 40), (10) (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 9; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 73).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 4600(2)k), annexe II, catégorie 29.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1983), 83 DTC 5427 (1re inst.); Rolls Royce (Canada) Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 272; (1992), 93 DTC 5031 (C.A.F.); Canadian Wirevision Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 164 (1979), 79 DTC 5101 (C.A.).

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Nowsco Well Service Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 416; (1990), 90 DTC 6312 (C.A.F.); confirmant [1988] 2 C.T.C. 24; (1988), 88 DTC 6300 (C.F. 1re inst.); Halliburton Services Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 427; (1990), 90 DTC 6320 (C.A.F.); confirmant [1985] 2 C.T.C. 52; (1985), 85 DTC 5336 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION INFIRMÉE :

Coopers & Lybrand Ltd. (en sa qualité de syndic de faillite de Hawboldt Hydraulics (Canada) Inc.) c. La Reine (1992), 92 DTC 6452 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Lyons et autres c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633; (1984), 58 A.R. 2; 14 D.L.R. (4th) 482; [1985] 2 W.W.R. 1; 15 C.C.C. (3d) 417; 43 C.R. (3d) 97; 56 N.R. 6; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; (1993), 125 N.S.R. (2d) 81; 107 D.L.R. (4th) 537; 349 A.P.R. 81; 85 C.C.C. (3d) 118; 25 C.R. (4th) 179; 157 N.R. 97; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209; (1986), 25 D.L.R. (4th) 490; [1986] 3 W.W.R. 1; [1986] 1 C.T.C. 274; 86 DTC 6138; 65 N.R. 135; 39 R.P.R. 297; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134; Atco Ltd. et autre c. Calgary Power Ltd. et autres, [1982] 2 R.C.S. 557; (1982), 41 A.R. 1; 140 D.L.R. (3d) 193; [1983] 1 W.W.R. 385; 23 Alta. L.R. (2d) 1; 20 B.L.R. 227; 45 N.R. 1.

DOCTRINE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 29 Lég., vol. 5, p. 4723 et 4725.

Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 30 Lég., vol. 9, p. 8915 et seq.

APPEL d’un jugement de la Section de première instance ((1992), 92 DTC 6452 (C.F. 1re inst.)) infirmant une décision de la C.C.I. rejetant l’appel de la contribuable contre les nouvelles cotisations fiscales établies relativement aux années d’imposition 1982 et 1983. Appel accueilli.

AVOCATS :

Donald Gibson pour l’appelante.

Joel E. Fichaud pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Patterson Kitz, Halifax, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac : Le présent appel a été formé contre un jugement de la Section de première instance (publié à (1992), 92 DTC 6452), lequel infirmait une décision de la Cour canadienne de l’impôt rejetant l’appel qu’avait interjeté le prédécesseur en titre de l’intimée (la contribuable) contre les nouvelles cotisations fiscales établies relativement aux années d’imposition 1982 et 1983.

Cet appel soulève la question de savoir si les activités de la contribuable consistant en la réparation et la remise à neuf de composants hydrauliques et pneumatiques, en vue de leur utilisation dans l’industrie, équivalaient à la fabrication de marchandises en vue de la vente, auquel cas la contribuable serait admissible, à l’égard de ces années d’imposition, à la déduction pour amortissement prévue à la catégorie 29 de l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu (le Règlement) [C.R.C., ch. 945] ainsi qu’au crédit d’impôt à l’investissement prévu au paragraphe 127(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 9)].

LE CONTEXTE

1.         Les faits

Les faits ne sont pas contestés. Aux époques considérées en l’espèce, la contribuable (Maritime Hydraulic Repair Centre Limited) exploitait une entreprise de fabrication, de vente ainsi que de « réparation et remise à neuf » de composants hydrauliques et pneumatiques de machines utilisées dans l’industrie. L’entreprise comprenait les catégories d’activités suivantes :

a) la vente de pièces et d’accessoires hydrauliques fabriqués par d’autres;

b) le remplacement de pièces défectueuses de systèmes hydrauliques par des pièces fabriquées par d’autres;

c) la fabrication, avec ses propres matières premières et sa propre machinerie, de composants ou de systèmes hydrauliques, et leur vente aux clients sur modèle ou d’après leurs prescriptions (sur commande); et

d) la réparation et la « remise à neuf » de systèmes hydrauliques pour les clients. Les activités de cette catégorie consistaient à remplacer une ou plusieurs pièces du système hydraulique d’un client par une ou plusieurs pièces fabriquées par la contribuable.

Dans les motifs de son jugement, le juge de première instance a fait des activités de la catégorie d) la description suivante, à la page 6455 :

Dans la catégorie des travaux que la contribuable a appelée « réparation et remise à neuf », la preuve est que des clients lui amenaient du matériel comportant des composants hydrauliques, ou les composants eux-mêmes, qu’il fallait faire réparer. Les composants hydrauliques étaient démontés et certains de leurs éléments, comme le cylindre, un piston ou une tige, étaient remplacés par une pièce correspondante fabriquée à partir de matières premières que la contribuable tenait en stock ou achetait. Le matériel visé par le présent appel servait à fabriquer non seulement les pièces requises, mais aussi des composants hydrauliques satisfaisant aux prescriptions techniques des clients (catégorie c ci-dessus), une opération qui n’est pas en cause en l’espèce. Une fois que la nouvelle pièce était fabriquée, le composant ou l’appareil du client était remonté et mis à l’essai.

Aucune question n’est soulevée dans le présent appel quant aux activités mentionnées dans les catégories a) ou b). Pour ce qui est des activités de la catégorie c), il est entendu que la machinerie et le matériel de la contribuable servaient principalement à la fabrication ou à la transformation de marchandises en vue de la vente, au sens des dispositions législatives applicables.

Au cours des années d’imposition 1982 et 1983, la contribuable a acheté la machinerie et le matériel qui étaient utilisés dans le cadre des activités mentionnées aux catégories c) et d). Certains de ces appareils étaient neufs, d’autres usagés. Il a été admis que seul le matériel neuf donnait droit aux déductions demandées. Le coût de ces appareils achetés pendant l’année d’imposition 1982 était de 340 942 $, tandis que celui des appareils achetés au cours de l’année d’imposition 1983 était de 97 249 $.

Voici un tableau des revenus que la contribuable a tirés de ses activités de « fabrication et transformation » à l’aide de sa propre machinerie et de son propre matériel, pour les années d’imposition en cause :

Année d’imposition

Activités

Chromage

Fabrication

Réparation et remise à neuf

Pièces

Main-d’œuvre

Total

1982

Sous-traitance

213 751 $

75 093 $

159 556 $

234 649 $

1983

17 454 $

121 524 $

148 124 $

220 058 $

368 182 $

Les revenus provenant de la réparation et de la remise à neuf représentaient environ 52 % et 72 %, respectivement, de l’ensemble des revenus que la contribuable a tirés, dans les années d’imposition 1982 et 1983, de la fabrication ou de la transformation (y compris le chromage) pour les travaux indiqués dans les catégories c) et d).

L’avocat de l’appelante admet que les activités de la catégorie d) comprenaient un élément de fabrication; mais il soutient avec force que les marchandises ainsi fabriquées ne l’étaient pas en vue de la vente au sens des dispositions législatives applicables.

2.         Historique du litige

a)         La Cour canadienne de l’impôt

La Cour de l’impôt a été saisie de l’appel formé par la contribuable contre la nouvelle cotisation fiscale établie à l’égard des années d’imposition 1982 et 1983.

Selon la preuve produite en cette Cour comme devant la Section de première instance, les revenus que la contribuable a tirés, au cours de l’année d’imposition 1982, des activités de la catégorie c), c.-à-d. de la fabrication, ont atteint 213 751 $, alors que les revenus tirés des activités de la catégorie d), c.à-d. de la réparation et de la remise à neuf, étaient de 234 649 $, soit 20 898 $ de plus. De même, pour l’année d’imposition 1983, les revenus étaient de 121 524 $ pour les activités de la catégorie c), et de 368 183 $ pour celles de la catégorie d), soit 246 659 $ de plus.

Vu cette preuve, le juge en chef adjoint de la Cour de l’impôt, s’estimant lié par la décision du juge Strayer [tel était alors son titre] dans l’affaire Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219(1re inst.), a estimé qu’en ce qui concerne les activités de la catégorie d), la contribuable n’avait pas utilisé sa machinerie et son matériel pour fabriquer ou transformer des marchandises en vue de la vente au sens des dispositions législatives applicables. Il a ajouté que la machinerie et le matériel étaient ainsi utilisés dans le cadre des activités de la catégorie c). Il a souligné que la machinerie et le matériel étaient utilisés aussi librement pour les activités de la catégorie d) que pour celles de la catégorie c), et que les revenus tirés des premières étaient supérieurs à ceux tirés des dernières. Concluant en conséquence que la machinerie et le matériel n’avaient pas été utilisés surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises destinées à la vente, au sens des dispositions législatives applicables, il a rejeté l’appel.

b)         La Section de première instance

La contribuable a interjeté appel de cette décision devant la Section de première instance de la présente Cour par voie d’appel de novo. Elle a toutefois été déclarée en faillite avant l’audition de l’appel. Au début de l’audience, le juge de première instance a, par ordonnance, autorisé la modification de la déclaration, dont l’intitulé, afin de permettre à la présente intimée de poursuivre l’appel en remplacement de la contribuable.

Avec le consentement des parties, la Cour a ordonné que le dossier qui avait été produit devant la Cour de l’impôt soit versé en preuve. Il n’y a eu présentation d’aucun nouvel élément de preuve.

La question en litige devant la Section de première instance était la même que celle qu’avait eu à trancher la Cour de l’impôt, soit la question de savoir si la machinerie et le matériel que la contribuable avait acquis au cours des années d’imposition 1982 et 1983 avaient été utilisés surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente.

À la page 6454 des motifs de son jugement, le juge de première instance a souligné que les avocats avaient convenu que « l’unique point en litige [devant lui] était de savoir si, eu égard notamment à des décisions subséquentes de la présente Cour et de la Cour d’appel, la décision Crown Tire » s’appliquait à l’appel. Ils avaient également convenu que si la Cour concluait que tel était le cas, l’appel devait être rejeté; dans le cas contraire, l’appel devait être accueilli.

Après avoir examiné en détail la jurisprudence des deux sections de la présente Cour et passé les faits en revue, le juge de première instance a conclu que la décision Crown Tire devait faire l’objet d’une distinction et qu’elle était inapplicable en l’espèce. Il a par conséquent fait droit à l’appel pour les motifs que j’examinerai plus loin.

LA QUESTION EN LITIGE

Bien que, dans son exposé des faits et du droit, l’appelante ait soulevé plusieurs objections à l’encontre du jugement dont appel est interjeté, l’unique point débattu devant nous portait sur la question de savoir si les marchandises fabriquées dans le cadre des activités de la catégorie d), c.-à-d. la réparation et la remise à neuf, avaient été « fabriquées en vue de la vente » au sens des dispositions législatives applicables.

Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’appelante a convenu que la réparation et la remise à neuf comportaient des activités de fabrication. Il a toutefois fait valoir qu’il n’y avait pas là fabrication en vue de la vente selon les exigences des dispositions législatives applicables, mais qu’il s’agissait plutôt d’activités entrant dans le cadre d’un service de réparation. De sorte qu’à son avis la machinerie et le matériel utilisés, n’étant pas admissibles, ne donnaient pas droit aux déductions demandées. Il a de plus soutenu que l’appel était régi par la décision Crown Tire et qu’il devait donc être accueilli ou rejeté selon que nous acceptions ou rejetions cette prétention.

Étant donné que la réponse à la question posée dans le présent appel doit dépendre de l’interprétation qu’il convient de donner aux dispositions législatives applicables, j’estime utile d’en citer les parties pertinentes avant de procéder à l’analyse des prétentions des parties.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

L’alinéa 20(1)a) de la Loi prévoit la déduction pour amortissement dans les termes suivants :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a),b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

a) la partie, si partie il y a, du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant, si montant il y a, du coût en capital des biens, supporté par le contribuable, que le règlement autorise;

Le paragraphe 127(5) de la Loi prévoit la possibilité de déduire de l’impôt payable par ailleurs par un contribuable, pour une année d’imposition, un montant se rapportant à son crédit d’impôt à l’investissement à la fin de l’année :

127. …

(5) Il peut être déduit de l’impôt payable par ailleurs par un contribuable sous le régime de la présente Partie, pour une année d’imposition, un montant ne dépassant pas le moindre des montants suivants :

a) son crédit d’impôt à l’investissement à la fin de l’année, ou

b) le total

(i) de $15,000, et

(ii) de la moitié de la fraction, si fraction il y a, de l’impôt payable par ailleurs par ce contribuable sous le régime de la présente Partie, pour l’année, qui est en sus de $15,000.

Pour avoir droit au crédit d’impôt à l’investissement, le contribuable doit avoir supporté un coût en capital à l’égard des biens admissibles mentionnés au paragraphe 127(9) [édicté, idem; 1979, ch. 5, art. 40] de la Loi. Les paragraphes 127(9) et (10) [édictés par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 9; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 73] définissent ainsi le crédit d’impôt à l’investissement et les biens admissibles :

127. …

(9) Aux fins des paragraphes (5) à (8) et sous réserve du paragraphe (11.1), « crédit d’impôt à l’investissement » d’un contribuable à la fin d’une année d’imposition désigne la fraction, si fraction il y a, du total

a) d’un montant égal à 5 % du total de tous les montants dont chacun est le coût en capital, pour lui, d’un bien admissible … calculé sans égard au paragraphe 13(7.1),

(10) Aux fins du paragraphe (9), « biens admissibles » d’un contribuable désigne un bien … qui est

a) un bâtiment prescrit dans la mesure où il est acquis par le contribuable après le 23 juin 1975, ou

b) les machines et matériel prescrits, acquis par le contribuable après le 23 juin 1975,

qui n’ont jamais été employés ou acquis pour être employés ou être loués, à quelque fin que ce soit, avant leur acquisition par le contribuable et qui

c) doivent être employés par lui au Canada surtout pour

(i) la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, [Non souligné dans l’original.]

Pour les fins de l’espèce, l’alinéa 4600(2)k) du Règlement définit ainsi les biens admissibles au titre du crédit d’impôt à l’investissement :

4600….

(2) Aux fins de l’alinéa 127(10)b) de la Loi, biens désigne des machines et matériels prescrits lorsqu’il s’agit de biens amortissables … qui sont

k) des biens compris dans la catégorie … 29 … de l’annexe II.

L’annexe II établit les taux de déduction pour amortissement applicables à différentes catégories de biens. La catégorie 29 est ainsi définie :

CATÉGORIE 29

Les biens qui autrement seraient compris dans une autre catégorie de la présente annexe

a) c’est-à-dire les biens fabriqués par le contribuable et dont la fabrication a été achevée après le 8 mai 1972, ou autres biens acquis par le contribuable après le 8 mai 1972,

(i) et devant être utilisés directement ou indirectement par lui au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location … [Non souligné dans l’original.]

Il ressort clairement de l’alinéa 127(10)b) et du sous-alinéa 127(10)c)(i) de la Loi, de même que de la catégorie 29 de l’annexe II du Règlement, que les machines et matériels sont des biens admissibles s’ils sont utilisés aux fins de la « fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location ».

HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Il est désormais bien établi que dans l’interprétation des textes législatifs, les tribunaux peuvent prendre en considération à titre de sources externes des documents tels les Débats de la Chambre des communes ou de ses comités aux fins de découvrir les buts du législateur, les problèmes avec lesquels il était alors aux prises ainsi que le contexte et l’objet du texte législatif. Voir Lyons et autres c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633, à la page 684, le juge Estey, et R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, aux pages 484 et 485, le juge Sopinka.

Les paragraphes 127(5), (9) et (10) de la Loi ont d’abord été présentés à la Chambre des communes en 1975 dans le cadre du projet de loi C-65 modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils faisaient partie d’un ensemble de modifications visant à favoriser le développement industriel au Canada par la création d’incitatifs fiscaux destinés à stimuler les secteurs de la fabrication et de la transformation. L’article 125.1 [édicté par S.C. 1973-74, ch. 29, art. 1] de la Loi, qui prévoyait l’octroi d’une réduction d’impôt au titre des bénéfices de fabrication et de transformation réalisés par une corporation au Canada, faisait également partie de cet ensemble de mesures et avait été antérieurement présenté en Chambre dans le projet de loi C-192.

Ouvrant le débat en deuxième lecture du projet C-192, le ministre des Finances a exprimé en ces termes les objectifs visés par le gouvernement :

Monsieur l’Orateur, les objectifs fondamentaux des mesures soumises cet après-midi à l’étude de la Chambre, sont doubles. Il s’agit d’abord de protéger les millions d’emplois qui dépendent aujourd’hui directement ou indirectement du rôle concurrentiel qu’assument nos industries manufacturières et de transformation qui sont pour nous d’une importance vitale, sur le marché international …

… Il s’ensuit, quels que soient les modes d’actions qui s’imposent à l’avenir pour suivre un monde en évolution, que le Parlement devrait adopter les mesures que nous proposons actuellement pour aider nos industries de fabrication et de transformation à faire face à la concurrence intense et de plus en plus grande des compagnies étrangères, au pays comme à l’étranger.

… les mesures à l’étude assurent des moyens d’actions concrets et positifs pour remédier aux graves problèmes, à moyen et à long terme, qui se posent dans les industries de fabrication et de transformation du Canada. Le bill C-192, à l’étape de la deuxième lecture, prévoit la réduction à 40 p. 100, à partir du début de 1973, du taux supérieur de l’impôt des compagnies sur les bénéfices de la fabrication et de la transformation, et la réduction à 20 p. 100 du taux sur les bénéfices de la fabrication et de la transformation des petites entreprises d’appartenance canadienne. La proposition qui va de pair avec celle-là, l’amortissement accéléré de deux ans du matériel et des machines achetés par les fabricants et les transformateurs entre le 8 mai 1972 et le 31 décembre 1974, est sujette à application à la suite de modifications aux Règlements sur les déductions pour amortissements, en vertu de l’autorité conférée par le Parlement.

Le 29 mai, j’ai déposé un avant-projet des règlements, qui constitue une partie intégrante du programme préconisé par le gouvernement, afin que la Chambre soit en mesure d’examiner tout le programme et d’en discuter d’une façon convenable et intelligente. Dès que le Parlement aura adopté le bill à l’étude, le gouvernement présentera ces règlements par voie de décret ministériel[1].

La diminution d’impôt envisagée pour les fabricants et conditionneurs canadiens vise à leur permettre à faire face à la concurrence étrangère de plus en plus importante, et ce, de diverses façons : augmenter le rendement de leurs activités et diminuer les coûts; réaliser plus de recherches afin d’élaborer de nouveaux produits et de nouvelles techniques améliorées; financer plus de placements de capitaux pour moderniser leurs installations et développer leur capacité de production et l’emploi; enfin, avoir des prix plus compétitifs par rapport à ceux des producteurs étrangers, tant à l’intérieur de notre pays qu’à l’étranger.

Dans toutes les régions du Canada, et en particulier dans l’Est et dans l’Ouest, tous les niveaux du gouvernement font un effort considérable pour augmenter l’expansion industrielle, et pour étendre la production, en plus des matières premières et des produits semi-finis, à la fabrication de produits finis ou transformés destinés à la vente dans notre pays et dans le monde entier[2].

Sous le titre de Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (no 2), S.C. 1973-74, ch. 29, art. 1, le projet de loi C-192 a reçu la sanction royale le 27 juillet 1973.

Le ministre des Finances et son secrétaire parlementaire ont fait semblables déclarations à la faveur du débat en deuxième lecture du projet de loi C-65[3], lequel est devenu la Loi modifiant le droit fiscal (no 2), S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 9(1), et a reçu la sanction royale le 2 décembre 1975.

ANALYSE

Selon le principe moderne d’interprétation des lois, les mots doivent être pris dans leur contexte global et dans leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’économie de la Loi, son objet et l’intention du Parlement : Driedger, Construction of Statutes (2e éd., Butterworths, Toronto, 1983), à la page 8. Cette approche est dite « globale ». En matière fiscale, les tribunaux ont reçu la consigne d’interpréter les textes eu égard à l’objet et à l’esprit des dispositions fiscales, ainsi qu’au contexte des réalités économiques et commerciales de l’opération donnant lieu au litige. Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 576; La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209, aux pages 214 et 215; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, aux pages 52 et 53. Toutefois, les tribunaux ne sont pas en cela invités à écarter les autres règles bien établies d’interprétation, telle la règle exigeant que les tribunaux « donne[nt] un sens à chacun des mots employés par la législature ». Atco Ltd. et autre c. Calgary Power Ltd. et autres, [1982] 2 R.C.S. 557, à la page 569.

Il me faut donc interpréter les mots « doivent être employés par lui au Canada surtout pour la fabrication … de marchandises en vue de la vente ou de la location » figurant au sous-alinéa 127(10)c)(i) ainsi qu’au sous-alinéa a)(i) de la catégorie 29, en tenant compte de ces principes. Ces mots ne sont pas définis dans la loi. Comment alors en établir le sens?

Considérons d’abord le contexte. L’une des sources externes de ce contexte est naturellement le débat en deuxième lecture à la Chambre des communes auquel j’ai fait précédemment référence. Il y est question de façon claire et éloquente de l’objet des dispositions législatives et des « maux » avec lesquels le Parlement était aux prises au moment de leur adoption. Ces dispositions faisaient manifestement partie d’une stratégie nationale de développement industriel destinée à stimuler l’emploi. Les moyens utilisés consistaient en divers incitatifs fiscaux visant à encourager l’investissement dans l’achat de nouvelles machines et de nouveaux matériels destinés à la fabrication et à la transformation de marchandises au Canada en vue de leur vente ou de leur location au Canada et ailleurs, en compétition avec les manufacturiers et les transformateurs étrangers.

L’ensemble des décisions qu’a rendues la Cour quant à l’interprétation de la loi constitue une seconde source externe. Or l’examen approfondi des mots « fabrication … de marchandises en vue de la vente ou de la location » a donné naissance à deux courants jurisprudentiels. Le premier tire son origine de la décision Crown Tire, sur laquelle s’appuie l’appelante; l’autre provient des arrêts Nowsco Well Service Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 416 (C.A.F.); confirmant [1988] 2 C.T.C. 24 (C.F. 1re inst.) et Halliburton Services Ltd. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 427 (C.A.F.); confirmant [1985] 2 C.T.C. 52 (C.F. 1re inst.), sur lesquels s’appuie l’intimée.

Je ne vois pas la nécessité de passer à nouveau en revue la jurisprudence puisque cela a déjà été fait abondamment dans les décisions publiées auxquelles on nous a renvoyés, la dernière étant l’arrêt Rolls Royce (Canada) Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 272 (C.A.F.) où la Cour a appliqué la décision Crown Tire et rejeté l’appel du contribuable. Je me bornerai à exposer les différentes démarches possibles. Dans la décision Crown Tire, le juge Strayer devait interpréter les mots tels qu’ils figurent à l’alinéa 125.1(3)a) de la Loi. Il a abordé l’analyse en disant qu’en utilisant les mots « articles destinés à la vente », sans les définir, le Parlement devait avoir voulu dire qu’ils tirent leur signification du droit général des contrats et de la vente. Il a donc eu recours à la distinction qu’opère la common law entre contrats de vente et contrats pour la fourniture d’ouvrage et de matériaux, fondant sa conclusion sur cette distinction. Dans les arrêts Nowsco et Halliburton, le juge Urie au nom de la Cour d’appel a fait sien un passage des motifs de la décision Halliburton où le juge Reed écartait le sens tiré de la distinction de la common law au profit d’une interprétation littérale du mot « vente », savoir que tout transfert à un consommateur, en échange d’une contrepartie, d’un bien fabriqué par un contribuable équivaudrait à une vente au sens de la loi, sans égard à la nature du contrat intervenu entre eux. En adoptant cette approche, le juge Urie, J.C.A., a invoqué les faits pour distinguer un arrêt antérieur de notre Cour, Canadian Wirevision Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 164 dans lequel le juge Pratte au nom de la Cour d’appel avait clairement appliqué, bien que de façon incidente, la distinction de common law dégagée dans la décision Crown Tire.

Telles sont, en résumé, les deux démarches interprétatives qui se présentaient au juge de première instance. Il a fait son choix. Privilégiant la nature « des fonctions [que la contribuable] exécutait à l’aide du matériel en question », et estimant que les dispositions législatives pertinentes ont pour objet de fournir des encouragements eu égard aux dépenses engagées dans l’achat de matériel et de machines entrant dans la fabrication de marchandises en vue de la vente ou de la location, il a opté pour l’approche retenue dans les arrêts Nowsco et Halliburton. Le passage suivant, aux pages 6459 et 6460 de ses motifs, est d’une importance cruciale quant à sa conclusion :

Comme c’est l’acquisition du matériel utilisé pour la fabrication de marchandises en vue de la vente qu’aident les encouragements prévus par la Loi, lorsque la relation entre les parties vise à la fois des travaux et des matériaux, ou des services, de même qu’un transfert de propriété, l’utilisation du matériel pour la fabrication de produits distincts avant que ces derniers soient fixés de quelque manière à un bien appartenant à un client semblerait être un facteur important au point de vue de l’application des encouragements. Dans les affaires Halliburton, Nowsco et Stowe-Woodward, il a été déterminé que le matériel en question servait à fabriquer un produit qui était ensuite vendu à un client. La façon dont la vente est conclue, au point de vue des formules ou des méthodes de facturation qu’utilisent les parties, ou la façon dont est fixé le prix de vente du produit de la corporation contribuable, ne revêt aucune importance pour le transfert ultime de la propriété du produit fabriqué. Cela ne devrait pas avoir d’importance non plus pour ce qui est du fait d’évaluer la nature inhérente de ce qu’exécute la contribuable lorsqu’elle utilise le matériel.

Le juge de première instance avait fait auparavant observer, à la page 6459 :

Selon moi, il s’agit d’un fractionnement formaliste de l’activité commerciale de la contribuable, en utilisant le matériel en question, que de reconnaître l’utilisation du matériel à des fins d’encouragement lorsque la contribuable fabrique des pièces d’après les prescriptions techniques d’un client, y compris un composant hydraulique tout entier dont les pièces étaient fabriquées et assemblées, mais non lorsque le client laisse à la contribuable des composants hydrauliques défectueux à réparer et que le matériel de la contribuable est utilisé exactement de la même façon pour produire une ou plusieurs pièces qui remplaceront des pièces défectueuses. Dans les deux cas, le matériel est utilisé de la même façon pour faire des produits, pour fabriquer des marchandises.

Pour l’essentiel, l’avocat de l’appelante fait valoir que les activités de la contribuable relevant de la catégorie d) ne consistaient pas en la fabrication de marchandises en vue de la vente parce que, dans chaque cas, le contrat conclu entre la contribuable et son client était un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux. Voilà, selon lui, l’interprétation de l’entente conclue entre eux que dictent le bon sens et les impératifs commerciaux. Il soutient que le juge de première instance a eu tort de ne pas établir de distinction entre un contrat de vente et un contrat de prestation de services de réparation, ou de fourniture d’ouvrage et de matériaux. À son avis, si l’on s’en tient au jugement dont appel est interjeté, toute réparation, sauf quant à la main-d'œuvre uniquement, serait une vente, ce qui donnerait à tout réparateur fabriquant une marchandise destinée à être incorporée dans une réparation le droit de se prévaloir des incitatifs offerts par les dispositions législatives. L’avocat fait valoir la validité de la décision Crown Tire et son applicabilité aux faits de l’espèce. Il ressort selon lui de cette décision que le matériel utilisé par la contribuable dans ses activités relevant de la catégorie d) ne servait pas surtout à la fabrication de marchandises en vue de la vente. Conséquemment, celle-ci ne pouvait se prévaloir des incitatifs demandés.

Pour sa part, l’avocat de l’intimée a soutenu le bien-fondé du jugement de la Section de première instance. À l’instar de l’avocat de l’appelante, il reconnaît que sa position ne pourrait plus tenir si cette Cour approuvait la démarche suivie dans l’affaire Crown Tire. Mais il soutient que cette démarche n’était pas valide et qu’en tout état de cause, elle avait été écartée par l’arrêt Rolls Royce où le juge MacGuigan, J.C.A., s’est efforcé, de façon incidente, de concilier les affaires Crown Tire, Nowsco et Halliburton en disant que dans le premier cas, la transformation « ne comportait pas la création d’une marchandise avant son emploi dans la prestation d’un service ». Se fondant sur cet énoncé, l’avocat soutient qu’à l’égard des activités de la catégorie d), la contribuable avait de fait, en échange d’une contrepartie, utilisé son matériel pour fabriquer des composants qu’elle a ensuite placés dans les appareils des clients en remplacement des composants défectueux. Il s’agissait donc là, a-t-il dit, de fabrication de marchandises en vue de la vente au sens des dispositions législatives applicables.

Je suis d’avis de faire droit à l’appel et de rejeter les prétentions de l’intimée, et ce, pour les raisons suivantes. D’abord, il ressort clairement du contexte global des textes législatifs, y compris des extraits des Débats de la Chambre des communes auxquels j’ai fait référence, que le législateur avait, en adoptant ces textes, pour objectif de favoriser l’accroissement de la production et de la transformation de produits destinés à concurrencer les manufacturiers étrangers au pays comme sur le marché international. Que ce soit là l’activité que le Parlement voulait encourager ressort clairement, à mon sens, des Débats. Il est également manifeste que le Parlement entendait avantager les manufacturiers et les transformateurs engagés dans ce genre d’activités. En d’autres termes, les dispositions législatives applicables visaient à conférer aux manufacturiers et transformateurs canadiens un avantage par rapport à leurs concurrents étrangers, au pays et à l’étranger. Il est également clair que le Parlement avait à l’esprit des groupes ainsi que des activités cibles. Les dispositions n’ont pas été conçues au profit de toutes les activités manufacturières ni à celui de tous les manufacturiers. Il ressort clairement du texte de la loi que l’activité devant être avantagée était la fabrication de marchandises destinées à la vente ou à la location, les bénéficiaires en étant les manufacturiers engagés dans cette activité. Voilà ce qu’il suffit de répondre à ceux qui disent que la démarche suivie dans l’affaire Crown Tire conduit à des résultats illogiques ou à un fractionnement formaliste des activités des contribuables. À mon avis, c’est là le contexte dans lequel le passage en cause doit être compris et interprété.

Comme je l’ai dit précédemment, le législateur n’a pas défini l’expression « en vue de la vente ou de la location ». Comment alors faut-il en établir le sens? La règle moderne d’interprétation des lois nous invite à donner à ces mots leur sens ordinaire. Mais il s’agit en l’espèce d’une loi commerciale et dans le monde du commerce, les mots ont un sens bien compris. En common law, « en vue de la vente » ne signifie pas « en vue de l’utilisation dans une réparation ». Je doute qu’une personne informée œuvrant dans le milieu des affaires puisse sérieusement prétendre que la fabrication de pièces destinées à être utilisées dans la réparation d’appareils défectueux d’un client constituait une fabrication en vue de la vente. Le juge Strayer avait raison, à mon humble avis, de dire ceci dans la décision Crown Tire, à la page 225 :

… il faut supposer que le Parlement en parlant « d’articles destinés à la vente ou à la location » a voulu, par une référence au droit général en matière de vente ou de louage, donner à cette expression une plus grande précision dans des cas particuliers.

Dans cette perspective, les activités de la contribuable relevant de la catégorie d) n’équivalaient pas à la fabrication de marchandises en vue de la vente. Conclure autrement serait obscurcir la distinction bien établie entre fabrication aux fins de la vente et fabrication aux fins de services de réparation, et serait contraire à l’intention manifeste qu’a exprimée le législateur en adoptant ces dispositions législatives—intention à laquelle une interprétation juste doit, selon les auteurs et la jurisprudence, donner effet. De plus, cela serait contraire à la classification que la contribuable a elle-même établie, car je note qu’elle a pris la peine de comptabiliser séparément les activités des catégories c) et d). Cette séparation n’aurait aucune raison d’être si la contribuable n’avait pas elle-même reconnu le bien-fondé de la distinction : il lui aurait été facile de ne tenir qu’un registre pour toutes les marchandises fabriquées sans distinguer entre les activités des catégories c) et d). Or elle ne l’a pas fait. Elle a tenu une comptabilité séparée pour chacune de ces activités, bien que, comme l’a constaté le juge de première instance, la même machinerie et le même matériel aient servi aux deux catégories d’activités. C’est, à mon avis, une indication révélatrice de l’importance que la contribuable attachait à cette distinction.

CONCLUSION

En résumé, le passage en cause devrait être interprété comme le suggère la décision Crown Tire. Une autre disposition était en cause dans cette affaire mais son libellé est le même, sans compter qu’il vise le même objet et traduit la même intention que les dispositions en cause en l’espèce. Les activités de la contribuable classées dans la catégorie d), soit la réparation et la remise à neuf, n’équivalent pas à la fabrication de marchandises en vue de la vente. Or, d’après l’ensemble de la preuve, ses machines et son matériel servaient surtout à ces activités. La contribuable n’a, par conséquent, pas droit aux déductions demandées.

Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens tant en la présente Cour qu’en Section de première instance, j’infirmerais le jugement de la Section de première instance et je rétablirais la nouvelle cotisation établie par le ministre.

Le juge Heald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pratte, J.C.A. : J’ai lu les motifs du jugement du juge en chef et j’y souscris. Je disposerais donc de l’appel ainsi qu’il le propose.



[1] Débats de la Chambre des communes, 13 juin 1973, à la p. 4723.

[2] Ibid., à la p. 4725.

[3] Débats de la Chambre des communes, 6 novembre 1975, aux p. 8915 et suiv.

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