Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1995] 1 C.F 734

A-244-94

Le procureur général du Canada (requérant)

c.

Gloria McLaughlin (intimée)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. McLaughlin (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et Robertson, J.C.A.—Fredericton, 1er décembre; Ottawa, 12 décembre 1994.

Assurance-chômage — La prestataire a été exclue du bénéfice des prestations en raison de son inconduite, conformément à l’art. 28 de la Loi sur l’assurance-chômage — L’exclusion s’applique-t-elle à une demande subséquente de prestations lorsque la mise en disponibilité est due aux exigences saisonnières? — Nécessité d’un lien causal entre l’exclusion et la demande de prestations — Les dispositions prévoyant l’exclusion ne visent pas à pénaliser indûment les prestataires, mais à les dissuader de quitter leur emploi sans justification ou de le perdre par leur propre faute.

L’intimée, qui travaillait comme manœuvre, a été mise en disponibilité en novembre 1990 en raison des « exigences saisonnières », puis renvoyée en septembre 1991 pour inconduite. Elle a présenté une demande de prestations à la Commission de l’emploi et de l’immigration, qui lui a imposé une période d’exclusion de neuf semaines du fait qu’elle avait volontairement quitté son emploi. Ayant fait un grief relativement à son renvoi, l’intimée a repris son travail après une suspension de trois semaines. Fin novembre 1991, l’intimée a de nouveau été mise en disponibilité à cause des exigences saisonnières. La Commission a décidé d’exclure l’intimée du bénéfice des prestations pendant sept semaines en raison de son inconduite, décision qu’a toutefois infirmée le conseil arbitral. Le juge-arbitre a décidé que, comme l’intimée n’avait pas fait les démarches voulues pour obtenir des prestations consécutivement à la suspension, la demande renouvelée présentée en novembre 1991 ne constituait pas une « demande de prestations » au sens de l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage et il a rejeté l’appel. La question fondamentale qui se pose dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est celle de savoir si l’exclusion pour cause d’inconduite dans le cas d’une demande de prestations peut valoir également pour des demandes subséquentes, quelle que soit la raison de celles-ci.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

Suivant le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’assurance- chômage, il doit y avoir un lien causal entre l’exclusion et la demande de prestations qui en fait l’objet. Cette interprétation du paragraphe 30(1) est étayée par une analyse fondée sur l’objet des dispositions de la Loi qui prévoient l’exclusion, lesquelles sont généralement reconnues comme établissant des sanctions pénales destinées à dissuader les prestataires de quitter leur emploi sans justification, de le perdre par leur propre faute, ou de s’abstenir de profiter d’occasions d’emploi. L’argument du requérant, selon lequel les événements qui entraîneraient l’inadmissibilité aux prestations—tels que l’omission de produire les cartes de déclaration de quinzaine—n’ont aucune incidence sur l’exclusion imposée en vertu de l’article 28, ne favorise l’atteinte d’aucun de ces objets, mais pénaliserait indûment l’intimée. L’interprétation donnée à l’article 28 par le juge-arbitre n’a pas pour effet de privilégier injustement les intérêts financiers de l’intimée aux dépens des cotisants au régime d’assurance-chômage et des contribuables canadiens en général.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 27, 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 21), 30(1) (mod., idem, art. 22), 40.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Rondeau c. Simard, [1977] 1 C.F. 519 (1977), 13 N.R. 567 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Procureur général) c. Kachman (1986), 72 N.R. 70 (C.A.F.); Goulet c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1984] 1 C.F. 653(C.A.); Re Bhavsar (1986), CUB-11941.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre fondée sur l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage. Demande rejetée.

AVOCATS :

Peter J. Leslie pour le requérant.

Personne n’a comparu pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Personne n’a comparu pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui nécessite l’interprétation de l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1 (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 21)] (la Loi). La question fondamentale en l’espèce est celle de savoir si l’exclusion pour cause d’inconduite dans le cas d’une demande de prestations peut valoir également pour des demandes subséquentes, quelle que soit la raison de celles-ci. Les faits essentiels aboutissant à la demande de contrôle judiciaire sont les suivants.

L’intimée travaillait comme manœuvre chez Connors Bros., Limited jusqu’à ce qu’elle soit mise en disponibilité le 7 novembre 1990 en raison des [traduction] « exigences saisonnières ». Le 1er février 1991, elle a présenté une « demande initiale de prestations » à l’égard de laquelle a été fixée une période de prestations qui débutait le 20 janvier 1991. L’intimée est retournée au travail le 22 juillet, gardant son emploi jusqu’au 12 septembre 1991. Ce jour-là, elle [traduction] « a quitté le lieu de travail sans donner au contremaître l’avis requis » et a été en conséquence congédiée. Le 17 septembre 1991, elle a présenté une demande renouvelée de prestations alors qu’elle attendait le règlement d’un grief qu’elle avait formulé. Initialement, la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (la Commission) a imposé à l’intimée une période d’exclusion de neuf semaines du fait qu’elle avait volontairement quitté son emploi.

Dans l’intervalle, le grief de l’intimée s’est soldé par une suspension de trois semaines, soit du 13 septembre au 4 octobre 1991. Ayant repris son travail le 7 octobre 1991, elle n’a fait aucune autre démarche en vue d’obtenir des prestations; par exemple, elle n’a pas déposé les cartes habituelles de déclaration de quinzaine. Fin novembre 1991, l’intimée s’est vu encore mettre en disponibilité à cause des exigences saisonnières et, une fois de plus, elle a fait une demande renouvelée de prestations.

Compte tenu de la suspension infligée à l’intimée par son employeur, la Commission a réexaminé sa première décision quant à l’exclusion. Le 10 décembre 1991, la Commission a donc informé l’intimée que ladite décision avait été modifiée et que, conformément à l’article 28 de la Loi, elle était exclue du bénéfice des prestations pendant sept semaines du fait d’avoir perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. La Commission a en outre réduit le montant des prestations de l’intimée, qui sont passées de 60 p. 100 à 50 p. 100 de sa rémunération assurable hebdomadaire moyenne.

L’intimée a également été informée que la période d’exclusion de sept semaines s’appliquait à la demande renouvelée présentée en novembre. L’appel de l’intimée devant le conseil arbitral a été accueilli, décision dont la Commission a alors appelé.

Le juge-arbitre a conclu que, comme l’intimée n’avait pas fait les démarches voulues pour obtenir des prestations consécutivement à la suspension, la demande renouvelée présentée en novembre 1991 ne constituait pas une « demande de prestations » au sens de l’article 28 de la Loi. Les paragraphes pertinents de cet article sont ainsi conçus :

28. (1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s’il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification.

(3) Au présent article, « emploi » désigne le dernier emploi que le prestataire a exercé avant de formuler sa demande de prestations, sauf prescription contraire des règlements.

Puisque l’intimée n’a pas produit les cartes de déclaration nécessaires pour qu’elle touche des prestations pendant sa suspension de trois semaines, mais les a produites à la suite de sa mise en disponibilité en novembre, le juge-arbitre s’est dit que le dernier emploi exercé par l’intimée avant de formuler sa demande de prestations, au sens où l’entend le paragraphe 28(3) de la Loi, était celui du 7 octobre jusqu’à la fin de novembre 1991. Sur ce fondement, le juge-arbitre a rejeté l’appel. Devant nous, le requérant a formulé comme suit la question en litige :

[traduction] La question est de savoir si, une fois établie la période de prestations, il est possible de se soustraire à l’exclusion prévue au paragraphe 28(1) de la Loi sur l’assurance- chômage en ne produisant pas de carte de déclaration de quinzaine.

Toutefois, pour les motifs exposés ci-après, je dois en toute déférence conclure que le requérant a mal formulé la question en litige. La véritable question en l’espèce n’est pas de savoir si l’omission de produire les cartes de déclaration de quinzaine permet d’échapper à l’exclusion prévue à l’article 28 de la Loi. Une « demande de prestations » à laquelle s’applique une exclusion aux termes de l’article 28 de la Loi ne comporte pour le prestataire aucune obligation de produire des cartes de déclaration de quinzaine; voir Canada (Procureur général) c. Kachman (1986), 72 N.R. 70 (C.A.F.). La production de ces cartes de déclaration n’est requise que pour être admissible aux prestations une fois présentée la demande de prestations. C’est ce qui ressort nettement de l’article 40 de la Loi :

40. (1) Aucune personne n’est admissible au bénéfice des prestations pour une semaine de chômage au cours d’une période de prestations établie à son profit avant d’avoir présenté une demande de prestations pour cette semaine conformément à l’article 41 et aux règlements et prouvé que :

a) d’une part, elle remplit les conditions requises pour recevoir des prestations;

b) d’autre part, il n’existe aucune circonstance ou condition ayant pour effet de l’exclure du bénéfice des prestations ou de la rendre inadmissible à celui-ci.

(2) Sur réception d’une demande de prestations, la Commission décide si des prestations sont payables ou non au prestataire pour la semaine en cause et lui notifie sa décision.

En l’espèce, l’intimée a présenté deux demandes de prestations, soit la demande renouvelée de septembre et la demande renouvelée de novembre.

Or, la véritable question dans la présente instance est de savoir si l’exclusion imposée relativement à la demande du mois de septembre frappe également celle de novembre. En d’autres termes, lorsque plus d’une demande de prestations a été présentée, l’exclusion pour cause d’inconduite prononcée relativement à une demande en particulier devrait-elle s’appliquer également à toute demande subséquente, peu importe la cause de celle-ci?

Le requérant fait valoir en substance que les événements qui entraîneraient l’inadmissibilité aux prestations d’assurance-chômage, tels que l’omission de produire les cartes de déclaration de quinzaine, n’ont aucune incidence sur l’exclusion pour inconduite imposée en vertu de l’article 28 de la Loi. À l’appui de cette thèse, le requérant invoque l’arrêt Rondeau c. Simard, [1977] 1 C.F. 519(C.A.), le juge Le Dain (tel était alors son titre), à la page 536 :

Il est clair, qu’en raison, tant des termes de l’article 43(1) [maintenant l’art. 30(1)] que de l’esprit général de la loi, l’exclusion doit opérer séparément de l’inadmissibilité résultant de l’article 25 [maintenant l’art. 14], et à titre additionnel. Si les faits d’un cas particulier justifient l’inadmissibilité en vertu de l’article 25, la Commission a le devoir de s’appuyer sur ce motif pour rejeter une demande et d’appliquer toute exclusion résultant des faits à une période pendant laquelle le bénéfice des prestations aurait autrement été étendu.

À mon avis, le contexte dans lequel le juge Le Dain a fait ces observations n’a aucun rapport avec la présente espèce. Dans l’affaire Rondeau, la prestataire a fait valoir notamment que l’exclusion qui lui avait été imposée ne jouait pas parce qu’elle était inadmissible pour d’autres raisons pendant la période de la prétendue exclusion. Or, la Cour a rejeté, dans l’affaire Rondeau, cette tentative de se soustraire à l’exclusion, disant en effet que celle-ci venait s’ajouter à l’inadmissibilité.

En l’espèce, l’intimée ne cherche pas à éluder l’effet cumulatif de l’inadmissibilité et de l’exclusion. L’unique question ici consiste à déterminer à quelle « demande de prestations » s’applique une exclusion considérée isolément. Selon moi, il doit exister un lien causal entre l’exclusion et la demande de prestations à laquelle elle s’applique. D’où il s’ensuit que la décision rendue par le juge-arbitre est la bonne. Pour arriver à cette conclusion, je me fonde tant sur le libellé que sur l’objet de la Loi. Point n’est donc besoin, dans les circonstances, d’invoquer l’arrêt Goulet c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1984] 1 C.F. 653(C.A.), à la page 659, où le juge Hugessen, J.C.A., a statué que, comme il constitue une exception à la règle générale selon laquelle les assurés qui se trouvent en chômage ont droit aux prestations, l’article 28 [auparavant l’art. 41] doit être interprété strictement.

D’après les termes de la Loi, il semble qu’une exclusion imposée en vertu de l’article 28 ne s’applique qu’aux prestations auxquelles le prestataire aurait autrement eu droit si l’événement motivant l’exclusion ne s’était pas produit. Le paragraphe 30(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 22] de la Loi dispose comme suit :

30. (1) Lorsqu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations en vertu des articles 27 ou 28, il l’est pour un nombre de semaines qui suivent le délai de carence et pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations; ces semaines sont déterminées par la Commission. [Je souligne.]

En l’espèce, l’exclusion a été motivée par « l’inconduite » et les prestations sont celles auxquelles la prestataire aurait sans cela eu droit s’il n’y avait pas eu de suspension. Il me paraît donc évident que le paragraphe 30(1) envisage un lien causal entre l’exclusion et la demande de prestations qui en fait l’objet.

Cette interprétation causale du paragraphe 30(1) est en outre étayée par une analyse fondée sur l’objet des dispositions prévoyant l’exclusion. Je tiens pour bien établi en droit que c’est l’interprétation qui s’accorde le mieux avec l’objet de la loi qui doit être retenue. Cela étant, il faut déterminer si l’interprétation avancée par le requérant sert à favoriser l’atteinte des objets sous-jacents à la décision d’imposer une période d’exclusion. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Les dispositions de la Loi qui prévoient l’exclusion (les articles 27, 28 et 30) sont généralement reconnues comme établissant des sanctions pénales destinées à « dissuader [les prestataires] de quitter leur emploi sans justification, de le perdre par leur propre faute, ou de s’abstenir de profiter d’occasions d’emploi » (Re Bhavsar (1986), CUB-11941, à la page 3). Dans les circonstances de la présente affaire, je vois mal comment une exclusion qui n’a aucun rapport avec l’emploi qui a finalement été perdu pourrait avoir le moindre effet dissuasif, comme je l’ai indiqué plus haut.

J’estime que l’interprétation proposée par le requérant ne favorise l’atteinte d’aucun des objets sous-jacents aux dispositions prévoyant l’exclusion. Au contraire, elle pénalise indûment un prestataire comme l’intimée, car, d’abord, celle-ci n’a reçu aucun argent, que ce soit de son employeur ou du fonds d’assurance-chômage, pendant sa suspension de trois semaines. Qui plus est, la période de l’exclusion dépassait de loin la pénalité déjà imposée par l’employeur. En outre, il n’est pas déraisonnable de supposer que la suspension par l’employeur influera de façon défavorable sur les futures décisions concernant le nombre de semaines d’emploi assurable de l’intimée.

En résumé, l’interprétation donnée à l’article 28 de la Loi par le juge-arbitre n’a pas pour effet de privilégier injustement les intérêts financiers de l’intimée aux dépens des cotisants au régime d’assurance en question et des contribuables canadiens en général. Par conséquent, je rejetterais la demande.

Le juge Stone, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis d’accord.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.