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dagg c. canada

A-675-93

Ministre des Finances (appelant)

c.

Michael A. Dagg (intimé)

Répertorié: Dagg c. Canada (Ministre des Finances) (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac et juges Stone et McDonald, J.C.A."Ottawa, 24 et 25 janvier et 21 avril 1995.

Interprétation des lois " Art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels " Le ministre des Finances a supprimé les noms, numéros d'identification et signatures des employés des fiches de signature parce qu'il s'agissait de "renseignements personnels" " Le juge des requêtes a décidé que les renseignements étaient "personnels" lorsque "leur caractéristique prédominante" est d'une nature personnelle " Ce critère n'est pas fondé sur la jurisprudence " Les renseignements sont personnels ou ne le sont pas " Tentative injustifiée en vue de modifier la définition des "renseignements personnels" " Le juge des requêtes a également commis une erreur en décidant qu'il faut accorder à la Loi sur la protection des renseignements personnels une portée restreinte " Extrait des Débats des communes " Réexamen de l'objet de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels " Les deux lois doivent être lues ensemble et être interprétées de façon harmonieuse " Aucune ne doit l'emporter sur l'autre " La remarque incidente selon laquelle il convient d'accorder le bénéfice du doute à l'interprétation qui favorise la communication des renseignements n'est pas fondée sur des décisions antérieures.

Accès à l'information " Le ministre a supprimé les noms, numéros d'identification et signatures des registres de signature que le personnel de la sécurité tenait pour faciliter la recherche des employés en cas d'incendie " La demande de renseignements visait à permettre à l'intimé de déterminer si des employés avaient travaillé en surtemps sans être rémunérés afin d'inciter le syndicat à retenir ses services de consultation en matière d'accès à l'information " Le droit de réviser le refus d'accès aux termes de l'art. 41 s'applique uniquement à la décision du ministre, même si une plainte devait être déposée auprès du commissaire à l'information " Le pouvoir discrétionnaire prévu à l'art. 19(2) a été exercé en bonne et due forme " Il n'y avait aucun intérêt public à soupeser " La communication est demandée pour des intérêts privés et non publics.

Protection des renseignements personnels " Le ministre a supprimé les noms, numéros d'identification et signatures des registres de signature que le personnel de la sécurité tenait pour faciliter la recherche des employés en cas d'incendie " Les noms figuraient avec les numéros d'identification et les signatures " Il s'agissait de renseignements personnels concernant des individus identifiables au sens de l'art. 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, parce que la communication des noms des employés indiquera les allées et venues des individus concernés à certains moments précis " L'intimé ne s'est pas déchargé du fardeau qu'il avait d'établir que les exceptions énoncées à l'art. 3j) quant à la non-communication s'appliquaient à son cas " La preuve ne permet pas de soutenir que les renseignements figurant sur les registres de signature indiquent que les personnes présentes travaillaient aux heures indiquées.

Il s'agit d'un appel d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance a accueilli la demande de l'intimé en vue de faire réviser le refus par le ministre des Finances de communiquer les noms, numéros d'identification et signatures figurant sur certains registres de signature au motif qu'il s'agissait de "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels . Les registres étaient tenus par un agent de sécurité à l'entrée principale des bureaux du ministère de 18 h 30 à 6 h, afin de déterminer l'endroit où se trouvent les personnes dans l'immeuble en cas d'incendie. L'intimé avait l'intention d'utiliser les renseignements pour inciter le syndicat à retenir ses services à titre de consultant professionnel en matière d'accès à l'information en fournissant des données sur les heures supplémentaires que les employés du ministère ont travaillées sans être rémunérés. L'intimé s'est plaint auprès du commissaire à l'information, qui a confirmé la décision du ministre. Le juge des requêtes a décidé que l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'appliquait pas. Il a statué que, étant donné que la quasi-totalité des renseignements qui émanent de l'État révèlent inévitablement, de façon indirecte au moins, des renseignements personnels au sujet d'individus ainsi que des renseignements au sujet de l'État, ou de lignes directrices ou de positions appliquées au sein de celui-ci, il fallait se demander "si la caractéristique prédominante des renseignements que l'on désire obtenir est d'une nature "personnelle" ou professionnelle" pour savoir s'il s'agit de "renseignements personnels" au sens de l'article 3. S'ils sont de nature personnelle, la communication pourra être refusée. Dans le cas contraire, elle ne pourra pas l'être. Il a conclu que les renseignements ne constituaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3, parce que (1) les noms figurant sur les registres de signature ne sont pas des "renseignements relatifs aux antécédents professionnels de l'individu" (alinéa 3b )); (2) ces noms ne peuvent constituer en soi "un numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice" (alinéa 3c )); (3) ces noms ne sont pas mentionnés avec d'autres "renseignements personnels" (alinéa 3i )) et (4) les renseignements dont la communication était demandée étaient "d'une nature principalement professionnelle et non personnelle".

Selon l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les "renseignements personnels" sont des renseignements concernant un individu identifiable, notamment les renseignements relatifs à ses antécédents professionnels (alinéa 3b )), tout numéro ou autre indication identificatrice (alinéa 3c)) ou son nom, lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels (alinéa 3c)). Aux termes de l'alinéa 3j), les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements portant sur le poste ou les fonctions d'un employé d'une institution fédérale. L'alinéa 8(2)m) énonce que la communication de renseignements personnels peut être autorisée lorsque des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.

Les questions en litige étaient celles de savoir si le juge des requêtes a eu tort de conclure que les renseignements en question ne constituaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, dans l'affirmative, si les renseignements auraient dû être communiqués en raison des alinéas 3j) ou 8(2)m).

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le juge des requêtes a eu tort de tenir compte des motifs du commissaire à l'information. L'article 41 accorde à l'intimé un droit de révision du refus d'accès uniquement s'il s'est déjà plaint au commissaire à l'information. Cette condition n'a pas pour effet d'étendre la portée de la révision de façon à y inclure la décision du commissaire à l'information. C'est le bien-fondé de la décision du ministre qui devait être examiné par le juge des requêtes, indépendamment de la décision du commissaire à l'information ou des motifs invoqués à l'appui de celle-ci.

La Loi sur l'accès à l'information vise à assurer au public l'accès aux documents de l'administration fédérale, sous réserve des exceptions précises et limitées qui y sont prévues, notamment à l'article 19, qui concerne les "renseignements personnels". De la même façon, l'objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels est d'assurer la protection des "renseignements personnels" relevant des institutions fédérales ainsi que le droit d'accès des individus aux renseignements qui les concernent. Ces deux lois doivent être lues ensemble, étant donné que l'article 19 intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels . Aucune de ces lois n'est subordonnée à l'autre. Ce sont deux lois complémentaires qui doivent être interprétées de façon harmonieuse, conformément aux principes d'interprétation législative bien reconnus. Le juge des requêtes a eu tort de conclure que la Loi sur l'accès à l'information est prépondérante et qu'il faut accorder à la Loi sur la protection des renseignements personnels une portée restreinte. Cette interprétation n'est pas justifiée par les décisions antérieures et va également à l'encontre de l'intention du Parlement que le ministre a exprimée lorsqu'il a déposé le projet de loi en troisième lecture à la Chambre des communes.

Le critère de la caractéristique prédominante n'est pas justifié par la jurisprudence et contredit le langage clair de la définition législative. Les renseignements figurant dans un document constituent des "renseignements personnels" ou n'en constituent pas. L'ajout de ce critère constitue une tentative injustifiée en vue de modifier la définition de l'expression "renseignements personnels" et va à l'encontre du principe selon lequel les tribunaux doivent éviter de traiter à la légère la volonté du législateur.

Les noms figurant sur les registres de signature constituaient des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et le ministre a eu raison de refuser de les communiquer. La conclusion selon laquelle l'alinéa 3i) ne s'appliquait pas parce que les noms ne figuraient pas avec d'autres "renseignements personnels" concernant des individus va à l'encontre de la preuve, qui indiquait que ces noms figuraient avec les numéros d'identification et les signatures, lesquels constituaient des "renseignements personnels" concernant des individus identifiables. Les noms figurant sur les registres de signature indiquaient les allées et venues des individus concernés à certains moments précis. Il s'agit de renseignements personnels concernant des individus identifiables.

Les noms des employés n'étaient pas visés par l'alinéa 3b), puisqu'ils ne concernaient pas l'éducation ou le dossier médical, le casier judiciaire ou les antécédents professionnels d'un individu ou encore les opérations financières auxquelles il a participé. L'alinéa 3c), qui concerne les numéros d'identification, ne s'appliquait pas.

La remarque incidente du juge des requêtes selon laquelle, pour déterminer si des renseignements constituent des renseignements personnels, il convient d'accorder le bénéfice du doute à l'interprétation qui favorise la communication des renseignements, n'est pas fondée sur des décisions antérieures.

L'intimé ne s'est pas déchargé du fardeau qu'il avait d'établir que les exceptions énoncées à l'alinéa 3j) quant à la règle de la non-communication de renseignements personnels s'appliquaient à son cas. Aucun élément de la preuve ne permet de soutenir que les renseignements figurant sur les fiches des registres indiquent les heures de travail des employés concernés ou que les renseignements concernaient le "poste ou les fonctions" des employés.

L'alinéa 19(2)c) de la Loi sur l'accès à l'information accorde au responsable d'une institution fédérale un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de communiquer un document renfermant des renseignements personnels, si la communication est faite conformément à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les renseignements inscrits sur les fiches des registres n'indiquent pas si les employés travaillaient; ils indiquent uniquement que certains individus étaient présents dans l'établissement. La communication des noms n'aiderait pas l'intimé à mettre son projet à exécution. En demandant la communication des noms, l'intimé cherchait à satisfaire, non pas un intérêt public, mais plutôt un intérêt privé. Il tentait d'obtenir des renseignements qu'il pourrait vendre à un client sans que celui-ci les lui ait demandés. Le ministre a eu raison de préciser qu'il n'y avait pas d'intérêt public à soupeser. Le ministre n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée lorsqu'il a refusé d'appliquer la dérogation prévue à l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels en ce qui a trait à l'intérêt public.

lois et règlements

Loi édictant la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, Ann. I, II.

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 6, 19(1),(2)a),b),c), 31, 37(2),(5), 41, 48, 53(1).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, item 47(F)), b),c),i),j)(i),(ii), (iii),(iv),(v), 8(1),(2)m(i),(ii).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551; (1988), 32 Admin. L.R. 103; 20 F.T.R. 314 (1re inst.); Rubin c. Canada (Conseil privé, Greffier) (1993), 48 C.P.R. (3d) 337; 62 F.T.R. 287 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec:

Bland c. Canada (Commission de la capitale nationale), [1991] 3 C.F. 325 (version abrégée); (1991), 36 C.P.R. (3d) 289; 41 F.T.R. 202 (1re inst.).

décision examinée:

Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Secrétaire d'État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395; (1989), 64 D.L.R. (4th) 413; 28 C.P.R. (3d) 301; 32 F.T.R. 161 (1re inst.).

décision citée:

Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265; (1988), 52 D.L.R. (4th) 671; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 186 (C.A.).

doctrine

Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. XVI, 1re sess., 32e lég., 1982.

APPEL d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance (Dagg c. Canada (Ministre des Finances) (1993), 70 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.)) a accueilli une demande en vue de faire réviser la décision du ministre des Finances de supprimer, au motif qu'il s'agissait de "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les noms, numéros d'identification et signatures d'employés figurant sur des registres de signature à certaines dates, à la suite d'une demande d'accès à l'information. Appel accueilli.

avocats:

Margaret N. Kinnear pour l'appelant.

Alan M. Riddell pour l'intimé.

Denis J. Power, c.r. et Steven J. Welchner pour le Commissaire à la protection de la vie privée (Canada), intervenant.

Sean Michael Gaudet pour l'Association des économistes, sociologues et statisticiens, intervenante.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Soloway, Wright, Victor, Ottawa, pour l'intimé.

Nelligan, Power, Ottawa, pour le Commissaire à la protection de la vie privée (Canada), intervenant.

Soloway, Wright, Victor, Ottawa, pour l'Association des économistes, sociologues et statisticiens, intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac: Il s'agit d'un appel d'une ordonnance [(1993), 70 F.T.R. 54 (C.F. 1re inst.)] par laquelle la Section de première instance a accueilli la demande présentée par l'intimé en vue de faire réviser une décision du ministre des Finances (le ministre). Le ministre avait refusé de communiquer certaines parties des documents que l'intimé avait demandés, au motif que ces parties renfermaient des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels , L.R.C. (1985), ch. P-21 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, item 47(F)] (la Loi sur la protection des renseignements personnels). L'appel porte sur le conflit entre le droit d'accès d'un citoyen à un document sous le contrôle de l'administration fédérale et le droit à la vie privée des autres citoyens nommés dans ce document.

Contexte

L'intimé est un pseudo-consultant et demandeur professionnel en matière d'accès à l'information. Le 16 octobre 1990, il a déposé auprès du ministère des Finances une demande1 1 Dossier d'appel, à la p. 5. fondée sur l'article 6 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A[ib]-1 (la Loi sur l'accès à l'information), en vue d'obtenir des copies des fiches de signature du Ministère qui avaient été signées par les employés les 1er, 2, 3, 8, 9, 15, 16, 22, 23, 29 et 30 septembre 1990. Le 6 novembre 1990, le ministre a répondu à la demande en partie en ces termes2 2 Ibid, à la p. 6. :

[traduction] Vous trouverez sous pli des exemplaires des documents que vous avez demandés. Cependant, veuillez noter que certains renseignements n'ont pas été communiqués, conformément au paragraphe 19(1) de la Loi, parce qu'ils constituent des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le ministre a communiqué à l'intimé les fiches pertinentes des registres de signature, mais il a supprimé de ces fiches les noms des employés ainsi que leurs numéros d'identification et leurs signatures.

Le 29 novembre 1990, l'intimé a déposé auprès du commissaire à l'information une plainte écrite conformément à l'article 31 de la Loi sur l'accès à l'information au sujet du refus du ministre.

Le 18 mars 1991, l'intimé a écrit au ministre33 Ibid, à la p. 24. pour lui demander de revenir sur sa décision antérieure, soutenant que les noms des employés qui avaient été supprimés du registre devraient être communiqués en application des alinéas (3)j) ou 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Après avoir révisé sa décision, le ministre l'a confirmée.

Le commissaire à l'information a mené une enquête au sujet de la plainte. Le 4 septembre 1991, il a fait connaître les résultats de l'enquête à l'intimé, comme l'exige le paragraphe 37(2) de la Loi sur l'accès à l'information. Dans son rapport44 Dossier d'appel, aux p. 27 à 30. , le commissaire à l'information a formulé des commentaires détaillés sur toutes les questions soulevées par le refus du ministre et a conclu que l'intimé n'avait pas été privé d'un droit aux termes de la Loi sur l'accès à l'information. Il a ajouté qu'il ne pouvait appuyer la plainte. Comme l'exige le paragraphe 37(5) de la Loi sur l'accès à l'information, il a informé l'intimé de son droit de demander à la Cour une révision de la décision du ministre. L'intimé a donc présenté une demande de révision à la Section de première instance conformément à l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information.

La preuve présentée devant le juge des requêtes

La demande a été entendue par un juge des requêtes de la Section de première instance. La preuve dont le juge était saisi se composait des affidavits de l'intimé en date du 18 octobre 1991 et du 23 février 1993 et des documents qui y sont mentionnés5 5 Ibid, aux p. 4 à 14 et 44 à 49. , de l'affidavit de Joyce McLean en date du 2 janvier 1992 et des documents qui y sont mentionnés66 Ibid, aux p. 15 à 37. , de l'affidavit de Reginald Langille en date du 2 janvier 19927 7 Ibid, aux p. 38 à 43. et de la transcription du contre-interrogatoire de Reginald Langille au sujet de cet affidavit8 8 Ibid, Annexe I.

ainsi que d'un document99 Ibid, Annexe II. mentionné dans le contre-interrogatoire.

Reginald Langille est fonctionnaire. Au cours de la période concernée, il travaillait comme directeur des services de sécurité pour le ministère des Finances. Dans son affidavit, il a expliqué que, à l'instar de la plupart des ministères du gouvernement fédéral, le ministère des Finances contrôle les entrées et sorties à ses établissements entre 18 h 30 et 6 h les jours de la semaine, la fin de semaine et les jours fériés au moyen d'un registre de contrôle des entrées et sorties (registres de signature) que tient un agent de sécurité à l'entrée principale et à la sortie des immeubles. Les employés qui désirent entrer dans l'établissement doivent présenter leurs cartes d'identité à l'agent de sécurité et signer le registre en y inscrivant leurs noms, l'heure à laquelle ils entrent, l'étage où ils se rendent, le nom du ministère et leurs numéros d'identification. En contre-interrogatoire, M. Langille a précisé que les employés inscrivent aussi l'heure à laquelle ils quittent les lieux.

Aux paragraphes 8, 9 et 10 de son affidavit, M. Langille a expliqué l'objet du registre et l'utilisation qui en est faite. Le registre sert principalement à aider le personnel affecté aux urgences à déterminer l'endroit où les personnes se trouvent dans l'immeuble en cas d'incendie, par exemple. Les renseignements qui y sont consignés ont également été utilisés à des fins d'enquête concernant des incidents de vol ou de vandalisme, bien que tel ne soit pas leur objet. M. Langille a mentionné que, très rarement, il peut [traduction] "autoriser la communication de renseignements à un superviseur ou à une personne qui exerce des fonctions semblables pour lui permettre de vérifier si une personne était présente dans l'immeuble à une heure donnée" ou permettre la communication des renseignements à la personne que ceux-ci concernent. Cependant, au paragraphe 11, il a précisé que les renseignements ne sont pas utilisés pour vérifier les demandes relatives au surtemps, parce que le registre ne renferme aucune donnée sur les activités que les employés poursuivent dans l'établissement ni ne permet de savoir s'ils travaillent en surtemps. Le témoignage que M. Langille a présenté en contre-interrogatoire ne contredit pas l'affidavit. Il confirme plutôt la preuve par affidavit, laquelle n'a pas été contredite.

Dans son affidavit en date du 23 février 1993 qui, on le présume, a été déposé en réponse à ceux de M. Langille et de Mme McLean, l'intimé a déclaré ce qui suit aux paragraphes 4 et 5:

[traduction] 4. J'ai déposé la présente demande d'accès afin d'obtenir des renseignements qui m'auraient permis d'entreprendre une étude de données à caractère commercial à l'intention de clients éventuels. Une fois que j'aurais obtenu ces renseignements, je comptais les utiliser pour déterminer le nombre de membres du groupe des économistes et des statisticiens du ministère des Finances qui travaillaient régulièrement en surtemps et le nombre total d'heures ainsi travaillées. J'avais l'intention de déterminer le nombre total de ces personnes qui avaient demandé et obtenu une rémunération pour le travail en surtemps qu'elles avaient fait. Je voulais ensuite soumettre les renseignements à l'agent négociateur du groupe des économistes et des statisticiens, l'AESS afin de prouver à l'Association qu'elle pourrait mettre à profit mes connaissances liées à la Loi sur l'accès à l'information et ma capacité d'obtenir des renseignements portant sur ses membres, pour obtenir des renseignements de base utiles aux fins de ses négociations collectives avec le Conseil du Trésor. J'estimais que, si j'informais l'Association que bon nombre de ses membres faisaient régulièrement plusieurs heures de travail supplémentaires chaque mois sans être rémunérés, elle disposerait d'un instrument de négociation utile lorsque viendrait le temps de renégocier la convention collective entre ses membres et le Conseil du Trésor, surtout dans le contexte actuel caractérisé où ses membres ne peuvent obtenir aucune augmentation salariale, compte tenu des politiques actuelles du gouvernement fédéral. J'estimais que l'Association jugerait ces renseignements très utiles et qu'elle serait disposée, par la suite, à retenir mes services professionnels.

5. À l'époque, je croyais, et je crois toujours que les fiches de signature constituaient le document pouvant le mieux indiquer le nombre de membres de l'Association qui travaillaient régulièrement en surtemps ainsi que le nombre total d'heures supplémentaires que les membres de l'Association, comme groupe, travaillaient régulièrement. Les fiches de signature me permettraient de savoir combien de personnes différentes signaient le registre lorsqu'elles venaient travailler en dehors des heures de travail habituelles et de déterminer combien de temps elles restaient au travail. Après avoir obtenu les fiches de signature, j'aurais pu déterminer les personnes qui étaient membres de l'Association en comparant les noms figurant sur les fiches à ceux de la liste des membres du groupe des économistes et des statisticiens. Je crois également que, en général, tout employé qui se rendait au travail en dehors des heures normales et qui signait la fiche de signature venait effectivement travailler, étant donné que les employés du gouvernement fédéral n'ont pas le droit d'utiliser leurs postes de travail et le matériel de bureau qui s'y trouve à des fins personnelles en dehors des heures de travail.

Aux paragraphes 7 à 10, il a défini les conséquences qu'a entraînées le refus du ministre pour lui ainsi que les raisons qui l'ont incité à poursuivre sa démarche aussi intensivement qu'il l'a fait:

[traduction] 7. Depuis que l'intimé a refusé de révéler les noms inscrits sur les fiches de signature, j'ai tenté d'obtenir les renseignements que je cherche à avoir par d'autres moyens, mais je n'ai pas réussi. Je ne connais aucune autre méthode qui me permettrait de déterminer le nombre de membres du groupe des économistes et des statisticiens qui font régulièrement des heures supplémentaires ainsi que le nombre d'heures travaillées en surtemps par le groupe, sauf la méthode que j'utilise et qui est décrite ci-dessus.

8. Lorsque j'ai appris que l'intimé refusait de me communiquer les noms figurant sur les fiches de signature, j'étais très ennuyé. Ce refus constitue une menace sérieuse pour mes activités professionnelles et engendre des conséquences beaucoup plus graves que l'échec de mon projet concernant l'AESS. La question de savoir si le gouvernement fédéral devrait dévoiler des noms lorsqu'il produit des documents demandés en application de la Loi sur l'accès à l'information est une question qui revient souvent. Elle est soulevée fréquemment dans bon nombre des demandes de renseignements que je présente à l'intention de mes clients établis.

9. La communication des noms, par exemple, est une question importante concernant les employés temporaires, lesquels sont visés par une grande partie des demandes d'accès que je dois déposer au nom de mes clients établis. L'expérience que j'ai vécue lorsque j'ai tenté d'obtenir les noms inscrits sur les documents qui m'ont été communiqués conformément à la Loi sur l'accès à l'information m'amène à conclure que la pratique est loin d'être uniforme entre les différents ministères quant à la divulgation des noms. Ce manque d'uniformité constitue un problème pour moi et pour mes clients. Ma renommée et ma crédibilité comme consultant professionnel en matière d'accès à l'information dépendent en grande partie de la mesure dans laquelle je peux prédire à mes clients s'ils pourront obtenir certains renseignements aux termes de la Loi sur l'accès à l'information ainsi que des documents utiles. En raison de cette incertitude, il m'est encore plus difficile de faire des prédictions précises.

10. J'espère que la présente demande mènera à une décision judiciaire qui forcera tous les ministères du gouvernement à traiter cette question d'une façon uniforme et à divulguer tous les noms, chaque fois qu'il peut être établi que cette divulgation est nécessaire à la compréhension des renseignements par le demandeur et qu'elle entrave pas indûment la vie privée des fonctionnaires. Cette nouvelle décision sera précieuse tant pour mes clients que pour moi. Elle me permettra d'accroître ma crédibilité auprès de mes clients, car je serai plus en mesure de prévoir les renseignements qu'ils peuvent obtenir et ceux auxquels ils ne peuvent avoir accès10 10 Dossier d'appel, aux p. 45 à 48. .

Le jugement du juge des requêtes

Sur la foi de cette preuve, le savant juge des requêtes a accueilli la demande avec dépens et, pour les raisons que je commente ci-après, "infirmé1111 (1993), 70 F.T.R. 54, à la p. 60. " la décision du ministre.

Il a conclu que la demande de révision de la décision du ministre soulevait trois points à régler: d'abord, "si le [ministre] a commis une erreur en concluant que les noms apparaissant sur les fiches [des registres de signature] constituaient des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels"; en deuxième lieu, "si le [ministre] a commis une erreur en concluant que les noms n'entrent pas dans le cadre de l'exemption prévue à l'al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels" et, en troisième lieu, "si le [ministre] a commis une erreur en concluant que la dérogation prévue à l'al. 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels , relativement à l'intérêt public, ne militait pas en faveur du fait de communiquer les noms figurant sur les fiches"1212 Ibid, à la p. 56. .

Après avoir cité un extrait de la décision que la Section de première instance a rendue dans l'affaire Bland c. Canada (Commission de la capitale nationale), [1991] 3 C.F. 325, à la page 340, et dont il s'est largement inspiré, le juge des requêtes a conclu comme suit1313 Ibid, à la p. 58. :

Ces réponses du ministère et du commissaire ne tiennent pas compte du droit qui s'applique en l'espèce. Les noms figurant sur les fiches n'entrent pas dans le cadre des alinéas 3b), c) ou i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, pas plus que dans le cadre général du reste de l'article.

En concluant que l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'appliquait pas aux faits dont il était saisi, le juge des requêtes a tenté d'appliquer ce qu'il a appelé le critère de la "caractéristique prédominante". Il a d'abord présumé que "la quasi-totalité des renseignements qui émanent de l'État révèlent inévitablement, de façon indirecte au moins, des renseignements personnels au sujet d'individus ainsi que des renseignements au sujet de l'État, ou de lignes directrices ou de positions appliquées au sein de ce dernier"1414 Ibid, à la p. 59. . Il a poursuivi en disant que, pour déterminer si ces renseignements sont des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels , il faut se demander "si la caractéristique prédominante des renseignements que l'on désire obtenir est d'une nature "personnelle" ou professionnelle". Si elle est de nature personnelle, la communication pourra être refusée. Dans le cas contraire, elle ne pourra pas l'être. Appliquant ce critère aux faits de l'affaire, le juge a dit ce qui suit:

Même s'il serait possible de s'en servir pour vérifier des renseignements personnels au sujet des individus nommés, les renseignements figurant sur les fiches de signature sont néanmoins d'une nature principalement professionnelle et non personnelle. Les fiches, considérées dans leur ensemble, indiquent combien de personnes font des heures de travail supplémentaires pour le ministère des Finances15 15 Ibid, à la p. 59. .

À l'appui de cette conclusion, il s'est fondé sur les principes qui auraient été établis dans une décision antérieure qu'a rendue la Section de première instance dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Secrétaire d'État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395.

Ayant conclu que les renseignements dont le ministre avait refusé la communication ne constituaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le juge des requêtes n'a pas jugé nécessaire d'examiner les autres questions soulevées par la demande.

L'appel

L'appelant a déposé son avis d'appel relatif à cette décision le 1er décembre 1993.

Dans une ordonnance datée du 5 avril 1994, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et l'Association des économistes, sociologues et statisticiens (AESS) du Canada ont obtenu l'autorisation d'intervenir dans l'appel.

Les questions en litige

Trois questions ont été débattues devant la Cour d'appel: d'abord, la question de savoir si le juge des requêtes a eu tort de conclure que les renseignements dont le ministre avait refusé la communication ne constituaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, dans l'affirmative, celle de savoir si les renseignements auraient néanmoins dû être communiqués en raison des dispositions de l'alinéa 3j) ou, subsidiairement, de l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Cependant, avant d'examiner ces questions, il convient de reproduire les dispositions pertinentes des lois applicables.

Dispositions législatives pertinentes

A. Loi sur l'accès à l'information

Objet de la Loi

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

. . .

Renseignements personnels

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où:

a) l'individu qu'ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Non souligné dans l'original.]

. . .

Révision par la Cour fédérale

41. La personne qui s'est vu refuser communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l'information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour . . .

. . .

48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d'un document incombe à l'institution fédérale concernée.

. . .

53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

B. Loi sur la protection des renseignements personnels

Objet de la Loi

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

Définitions

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"renseignements personnels" Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment:

. . .

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

. . .

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application . . . de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant:

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi.

. . .

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:

. . .

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution:

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

Analyse

Avant d'analyser les questions en litige dans le présent appel, il m'apparaît utile de formuler des commentaires au sujet de la façon dont le juge des requêtes a abordé la révision aux termes de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information. De l'avis du juge, la demande de révision concernait non seulement la décision du ministre, mais aussi le rapport du commissaire à l'information. Il a donc commencé son analyse des questions en litige par ces propos16 16 Ibid, à la p. 57. :

Il est nécessaire selon moi d'analyser d'une manière assez détaillée les réponses que le ministère des Finances et le Commissaire ont données au requérant.

La réponse du ministère et, dans une moindre mesure, du Commissaire revenait plus ou moins à dire ceci: ce que nous vous donnons et ce que nous vous disons paraissent utiles, mais en fin de compte cela n'est pas vraiment utile au requérant qui cherche à obtenir des renseignements.

L'intimé s'est plaint du fait qu'il s'était vu refuser l'accès à un document du ministère des Finances. À mon sens, l'article 41 accorde à l'intimé un droit de révision de ce refus par la Cour fédérale uniquement s'il s'est déjà plaint au commissaire à l'information. Cependant, cette condition n'a pas pour effet d'étendre la portée de la révision de façon à y inclure la décision du commissaire à l'information. La décision de celui-ci et les motifs qu'il a invoqués revêtent sans doute un certain intérêt; cependant, c'est la décision du ministre et non celle du commissaire à l'information dont le juge des requêtes était saisi. C'est le bien-fondé de la décision du ministre qui devait être examiné, indépendamment de la décision du commissaire à l'information ou des motifs invoqués à l'appui de celle-ci. Par conséquent, le juge des requêtes a eu tort de tenir compte des motifs du commissaire à l'information pour en arriver à la conclusion qu'il a tirée.

Je commente maintenant dans l'ordre les principales questions soulevées dans le présent appel.

I) LES RENSEIGNEMENTS DONT LE MINISTRE A REFUSÉ LA COMMUNICATION CONSTITUENT-ILS DES "RENSEIGNEMENTS PERSONNELS" AU SENS DE L'ARTICLE 3 DE LA LOI SUR LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS ?

Le juge des requêtes s'est fondé sur quatre motifs pour arriver à la conclusion que les renseignements dont la communication avait été refusée par le ministre ne constituaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

D'abord, il a dit que les noms figurant sur les registres de signature ne constituent pas des "renseignements relatifs [aux] . . . antécédents professionnels de l'individu", selon la définition de l'alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En deuxième lieu, il a dit que ces noms ne sont pas visés par l'alinéa 3c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, parce qu'ils ne peuvent constituer en soi "un numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, . . . propre [à l'individu]". En troisième lieu, il a précisé que, étant donné que ces noms ne sont pas mentionnés avec d'autres "renseignements personnels", l'alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne les protège pas de la communication. Enfin, il a mentionné que les renseignements dont la communication était demandée étaient "d'une nature principalement professionnelle et non personnelle17 17 Ibid, à la p. 59. " et n'étaient donc pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Appuyé par l'intervenant, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, l'appelant soutient que le juge des requêtes a commis plusieurs erreurs, qui seront commentées plus loin, lorsqu'il a conclu que les renseignements dont la communication avait été refusée par le ministre n'étaient pas des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L'appelant et l'intervenant font également valoir que le ministre a bien exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a décidé, conformément à l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, que des raisons d'intérêt public ne justifiaient pas une éventuelle violation de la vie privée dans les circonstances de la présente affaire. Pour sa part, l'intimé, appuyé par l'intervenante, l'Association des économistes, sociologues et statisticiens, allègue le contraire.

A. La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels devraient être traitées sur un pied d'égalité

Je commence mon analyse en commentant le raisonnement que le juge des requêtes a suivi pour interpréter les deux lois en litige en l'espèce, parce que ce raisonnement semble avoir touché sa conception des questions qu'il devait trancher. Se fondant sur l'arrêt Secrétaire d'État aux Affaires extérieures, précité, il a dit ce qui suit18 18 Ibid, à la p. 59. :

La Cour fédérale a souligné que la quasi-totalité des renseignements qui émanent de l'État révèlent inévitablement, de façon indirecte au moins, des renseignements personnels au sujet d'individus ainsi que des renseignements au sujet de l'État, ou de lignes directrices ou de positions appliquées au sein de ce dernier. Cela étant le cas, pour répondre à la question de savoir si des renseignements constituent ou non des "renseignements personnels" suivant la définition donnée à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il faut se demander si la caractéristique prédominante des renseignements que l'on désire obtenir est d'une nature "personnelle" ou professionnelle: Commissaire à l'information du Canada c. Secrétaire d'État aux Affaires extérieures (décision précitée).

Même s'il serait possible de s'en servir pour vérifier des renseignements personnels au sujet des individus nommés, les renseignements figurant sur les fiches de signature sont néanmoins d'une nature principalement professionnelle et non personnelle. Les fiches, considérées dans leur ensemble, indiquent combien de personnes font des heures de travail supplémentaires pour le ministère des Finances.

Plus loin, invoquant cette fois un extrait de l'arrêt Bland, précité, à la page 336, selon lequel les affaires fondées sur la Loi sur l'accès à l'information doivent être tranchées en fonction du fait que "[l]a communication est la règle générale et l'exemption, l'exception, et c'est à ceux qui réclament l'exemption de prouver leur droit à cet égard", il a formulé les remarques suivantes19 19 Ibid, à la p. 60. :

L'intimé fait valoir que le fait de communiquer les noms des personnes indiquées sur les fiches de signature indiquerait à quel jour et à quelle heure ces personnes sont entrées au ministère des Finances et en sont sorties, et que les allées et venues de personnes nommées, un jour déterminé, constituent à première vue des renseignements personnels au sujet d'individus, comme l'indique la définition des "renseignements personnels" que l'on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Pour les motifs que j'ai exposés plus tôt, je ne puis souscrire à cette thèse à cause de l'incidence négative et d'une grande portée que cela aurait sur les droits que confère aux citoyens la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Je suis de plus convaincu qu'il ressort clairement de toute analyse objective de l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels que le législateur envisageait que seul un type fort restreint et bien précis de renseignements constitue des "renseignements personnels", et qu'en fait, il faudrait communiquer la majeure partie des renseignements qui émanent de l'État.

À mon avis, toute "analyse objective" des deux lois dont il est question en l'espèce démontrera le contraire. Le Parlement a édicté la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels comme annexes à la Loi édictant la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois20 20 S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I et II. , qui sont entrées en vigueur en même temps. Les objets qu'elles visent ne sont pas obscurs. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'accès à l'information énonce que cette Loi vise à assurer au public l'accès aux documents de l'administration fédérale conformément aux principes exprimés dans la Loi et sous réserve des exceptions précises et limitées qui y sont prévues. L'article 19 de cette Loi, qui concerne les "renseignements personnels", ne décrit que l'une des nombreuses "exceptions précises et limitées" prévues dans la Loi. De la même façon, l'objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels est énoncé en termes clairs à l'article 2 de cette Loi. Cet objet consiste à assurer la protection de la vie privée d'individus en ce qui concerne des "renseignements personnels" relevant des institutions fédérales ainsi qu'à fournir à ces individus un droit d'accès à ces renseignements.

Il est évident que les deux lois doivent être lues ensemble, étant donné que l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Néanmoins, aucune disposition de l'une ou l'autre de ces lois ne donne à entendre que l'une est subordonnée à l'autre. Toutes deux ont la même importance et aucune ne doit l'emporter sur l'autre. Il est indéniable qu'elles sont complémentaires et doivent être interprétées de façon harmonieuse, conformément aux principes d'interprétation législative bien reconnus, de façon à donner effet à l'intention déclarée du Parlement et à assurer la réalisation des objectifs qu'il a énoncés.

Dans les deux extraits que je viens de citer, le juge des requêtes semble être d'avis que la Loi sur l'accès à l'information est prépondérante et qu'il faut nécessairement accorder à la Loi sur la protection des renseignements personnels une portée restreinte. À mon avis, les décisions rendues dans les affaires Bland et Secrétaire d'État aux Affaires extérieures, précitées, ne permettent pas cette interprétation. En se fondant sur ces arrêts pour en arriver à cette interprétation et en appliquant celle-ci aux faits du litige, le juge des requêtes a commis une grave erreur, soit celle de considérer la Loi sur l'accès à l'information comme une loi prédominante par rapport à la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui n'est pas le cas. De plus, son raisonnement va à l'encontre de la décision que la Section de première instance a rendue dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.), où elle s'est exprimée comme suit aux pages 556 et 557:

Pour déterminer quel objet doit régir l'interprétation de cette affaire, je ne crois pas qu'il faille accorder préséance à l'une des deux lois. Il est clair qu'en insérant un article de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information, le Parlement avait l'intention que les principes des deux lois entrent en jeu dans la décision de divulguer des renseignements personnels.

Ce raisonnement va également à l'encontre de l'intention du Parlement que le ministre des Communications a exprimée lorsqu'il a déposé le projet de loi en troisième lecture à la Chambre des communes. Voici ce qu'il a dit21 21 Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. XVI, 1re sess., 32e lég., à la p. 18853. :

En combinant les dispositions relatives à l'accès à l'information et la mesure sur la protection des renseignements personnels dans un seul bill, nous avons pu intégrer entièrement ces deux mesures complémentaires.

On a créé des droits parallèles pour l'accès aux renseignements détenus par le gouvernement et l'examen des décisions visant à refuser l'accès à l'information . . . Par conséquent, l'expression "renseignements personnels" signifie la même chose dans la loi sur la protection des renseignements personnels et dans la loi sur l'accès à l'information.

D'autre part, la partie du projet de loi concernant l'accès à l'information prévoit la divulgation de certains renseignements suivant les principes établis dans la partie concernant la protection des renseignements personnels. Cela permettra d'adopter une politique uniforme à l'égard des renseignements personnels, ce qui nous évitera de faire comme dans certains pays où il y a contradiction entre le droit à la protection des renseignements personnels et le droit d'accès à l'information gouvernementale.

B. Le critère de la "caractéristique prédominante"

Il m'apparaît également nécessaire de commenter un autre problème d'interprétation. Ce problème concerne le renvoi, dans le premier extrait que j'ai cité, au "critère de la caractéristique prédominante" que le juge des requêtes a appliqué pour déterminer si les fiches du registre de signature constituaient des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Pour faciliter la lecture, je reproduis à nouveau les commentaires du juge22 22 (1993), 70 F.T.R. 54, à la p. 59. :

. . . pour répondre à la question de savoir si des renseignements constituent ou non des "renseignements personnels" suivant la définition donnée à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il faut se demander si la caractéristique prédominante des renseignements que l'on désire obtenir est d'une nature "personnelle" ou professionnelle . . .

L'appelant et l'intervenant qui l'appuie soutiennent que ce critère est manifestement erroné. Pour leur part, l'intimé et l'intervenante qui l'appuie n'ont cité aucune décision à l'appui de ce critère et je n'en ai pas trouvé non plus. En outre, l'arrêt Secrétaire d'État aux Affaires extérieures, précité, sur lequel le juge des requêtes semble s'être fondé, ne renferme aucun commentaire justifiant cette proposition. Le critère en question contredit le langage clair de la définition législative, qui énonce simplement que les "renseignements personnels" désignent des "renseignements, quels que soient leur forme . . . concernant un individu identifiable". De deux choses l'une: les renseignements figurant dans un document constituent des "renseignements personnels" ou n'en constituent pas. En ajoutant le "critère de la caractéristique prédominante", le juge des requêtes a tenté sans raison valable de modifier la définition de l'expression "renseignements personnels", ce qui va à l'encontre de l'avertissement formulé par la Section de première instance de la Cour dans l'affaire Rubin c. Canada (Conseil privé, Greffier) (1993), 48 C.P.R. (3d) 337, aux pages 343 et 344:

Bien qu'il soit un lieu commun de dire que les tribunaux ont pour responsabilité d'interpréter les lois, seul un primitif naïf penserait qu'il leur est loisible d'en faire ce qu'ils veulent. Ils doivent se contrôler eux-mêmes et ne doivent pas traiter à la légère la volonté du législateur telle qu'elle s'exprime dans les lois qu'il adopte. Il ne faut jamais qu'ils se laissent aller, même sans s'en rendre compte, à faire fi du législateur puisque ce pays est fondé sur les principes de l'État de droit.

C. La définition de l'expression "renseignements personnels" énoncée à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels

Je passe maintenant à la question de savoir si les noms figurant sur les fiches des registres de signature constituent des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans le présent litige, le ministre a invoqué le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information lorsqu'il a refusé de communiquer les noms demandés, au motif que ces données constituaient des "renseignements personnels" visés par l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information intègre par renvoi l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, sous réserve du paragraphe 19(2), exige le refus d'une demande de document qui renferme des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 en question. Le langage est impératif.

Cependant, le paragraphe 19(2) accorde au responsable d'une institution fédérale un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de communiquer un document renfermant des "renseignements personnels" dans trois cas précisés dans la disposition:

a) si l'individu que les renseignements concernent consent à la communication;

b) si le public a déjà accès aux renseignements;

c) si la communication est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Pour trancher la demande de l'intimé aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, le ministre devait donc examiner et appliquer les articles 3 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Son refus de la demande en question est fondé sur un examen des deux dispositions de cette Loi. Le juge des requêtes a conclu que le ministre avait mal interprété l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et a refusé avec raison d'examiner la décision du ministre qui était fondée sur l'article 8 de la Loi.

L'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels renferme une définition large des mots "renseignements personnels" que j'ai déjà citée, mais que je reproduis à nouveau pour des raisons pratiques:

3. . . .

"renseignements personnels" Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment . . .

Cette définition large est suivie d'une nomenclature de neuf catégories de renseignements ou d'exemples, comme l'appelant et l'intervenant le soutiennent, et de quatre catégories d'exceptions.

Devant le juge des requêtes, l'appelant a soutenu que, compte tenu des circonstances du litige, seules les trois catégories d'exemples suivantes doivent être examinées:

3. . . .

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

. . .

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet. [Soulignement ajouté.]

Devant la Cour d'appel, l'appelant et l'intervenant ont fait valoir que les noms des employés qui figurent sur les registres de signature sont visés par les mots introductifs de la définition de l'expression "renseignements personnels" énoncée à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ainsi que par l'alinéa 3i) étant donné que, en pratique, les noms des employés indiqueront qu'ils se trouvaient sur les lieux à certaines dates et heures précises. La question de savoir si un employé se trouve à un endroit donné et quand il s'y trouve se rapporte à un renseignement personnel concernant cet employé et donc à un renseignement concernant un individu identifiable. C'est pourquoi l'appelant et l'intervenant ont allégué que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que les renseignements n'étaient pas visés par les mots introductifs de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou par l'alinéa 3i).

Pour leur part, l'intimé et l'intervenante appuient la décision du juge des requêtes pour deux motifs. D'abord, ils estiment que le juge des requêtes a eu raison de conclure que les noms des employés n'étaient pas visés par les alinéas b), c) et i) de l'article 3 ou par les mots introductifs de cette disposition. En second lieu, et subsidiairement, ils font valoir que, même si ces noms constituaient des "renseignements personnels" au sens de l'alinéa 3i) ou des mots introductifs de l'article 3, ils sont visés par l'exception mentionnée à l'alinéa 3j). À leur avis, le juge des requêtes a eu raison de conclure que ces renseignements devraient être communiqués. Voici à nouveau les extraits pertinents de l'alinéa 3j):

3. . . .

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

. . .

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi.

Selon l'intimé et l'intervenante, l'intérêt public exigeait également la communication des renseignements conformément à l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Je suis tout à fait d'accord avec le juge des requêtes lorsqu'il dit que les noms des employés ne sont pas visés par l'alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, puisqu'ils ne constituent pas des renseignements liés à l'une ou l'autre des questions mentionnées dans cette disposition. Ils ne concernent pas l'éducation ou le dossier médical, le casier judiciaire ou les antécédents professionnels d'un individu ou encore les opérations financières auxquelles il a participé.

Ni les parties non plus que les intervenants n'ont invoqué d'argument au sujet de l'applicabilité de l'alinéa 3c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, après avoir examiné moi-même la question, je suis d'avis que le juge des requêtes a eu raison de dire que cette disposition ne s'appliquait pas en l'espèce.

Par ailleurs, l'appelant et l'intervenant allèguent que le juge des requêtes a commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'alinéa 3i) ne s'appliquait pas au présent litige. Par souci de commodité, voici le texte de cette disposition:

3. . . .

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet.

Le juge des requêtes a conclu que les noms figurant sur les registres de signature ne constituaient pas des "renseignements personnels" visés par l'alinéa 3i). À l'appui de cette conclusion, il a invoqué deux motifs: d'abord, il a dit que ces renseignements ne figuraient pas avec d'autres "renseignements personnels" concernant des individus; en deuxième lieu, il a mentionné que la communication des noms elle-même ne révélerait aucun renseignement au sujet des personnes en question.

Avec égards, je suis d'avis que la première conclusion va manifestement à l'encontre de la preuve. Suivant la disposition de M. Langille, en plus des noms, les registres comportaient aussi les numéros d'identification et les signatures des personnes concernées, éléments qui étaient certainement des "renseignements personnels" concernant des individus identifiables. Il est bien évident que le juge des requêtes n'a pas tenu compte de cette preuve. Ce faisant, il a conclu, à tort, que la première partie de l'alinéa 3i) n'avait pas été prouvée. De plus, je souscris à l'argument que l'appelant a formulé au paragraphe 34 de son mémoire, selon lequel le juge des requêtes a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la deuxième partie de l'alinéa 3i) n'avait pas été prouvée. Il est bien certain que les noms figurant aux registres de signature indiqueraient que ces personnes se trouvaient à un endroit précis, à une date précise et à certaines heures précises. En d'autres termes, il s'agissait de renseignements au sujet des allées et venues des individus concernés à certains moments précis. Selon le témoignage de M. Langille, c'était là le principal objet de la tenue des registres de signature. Ces registres permettaient aux agents de sécurité de savoir, en cas d'urgence, qui se trouvait dans l'établissement, où se trouvaient ces personnes et quand elles s'y trouvaient. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il s'agit de renseignements personnels et qu'ils concernent des individus identifiables.

J'en viens donc à la conclusion que les noms dont la communication a été refusée par le ministre constituaient des "renseignements personnels" selon la définition de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et que le ministre a eu raison de refuser de les communiquer, sauf s'ils étaient exclus par d'autres dispositions de cette même Loi ou de la Loi sur l'accès à l'information.

Avant de passer à un autre aspect de l'appel, j'aimerais commenter l'extrait suivant des motifs du juge des requêtes, afin que mon silence ne soit pas considéré comme une approbation de ce qu'il a dit23 23 Ibid, à la p. 59. :

Il est important de rappeler à ce sujet la règle énoncée par la présente cour: lorsque l'on se demande si des renseignements constituent des "renseignements personnels" qu'il faut divulguer au public ou non, il convient d'accorder le bénéfice du doute à l'interprétation qui favorise la communication des renseignements. . . .

Il est bien évident que ces remarques étaient des remarques incidentes, étant donné qu'aucune autre partie des motifs du juge des requêtes n'indique que celui-ci avait un doute de cette nature. Qui plus est, l'intimé et l'intervenante n'ont pas cherché à défendre le bien-fondé de cette "règle" au moyen de décisions antérieures et je n'ai pu en trouver sur ce point. De plus, l'arrêt Secrétariat d'État aux Affaires extérieures, précité, que le juge des requêtes cite au soutien de ces remarques ne les appuie nullement. La question à trancher dans cette affaire était celle de savoir si les renseignements concernant la classification des autorisations de sécurité se rapportant à différents postes constituaient des "renseignements personnels" au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour a statué que les renseignements concernaient les postes que les individus occupaient et ne constituaient donc pas des "renseignements personnels" au sens de cette Loi. Aucun doute n'existait dans cette affaire, de sorte qu'il n'était pas nécessaire d'accorder le bénéfice du doute à "l'interprétation qui favorise la communication".

Devant la Cour d'appel, l'intimé et l'AESS ont fait valoir que, même si le juge des requêtes a eu tort de conclure que les noms ne constituaient pas des "renseignements personnels" visés par l'article 3 (et j'ai conclu qu'il avait eu tort), ces noms devraient néanmoins être communiqués en raison des sous-alinéas 3j)(iii) et (iv) ainsi que de l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

II) LES RENSEIGNEMENTS QUE LE MINISTRE A REFUSÉ DE COMMUNIQUER SONT-ILS VISÉS PAR L'EXCEPTION ÉNONCÉE À L'ALINÉA 3j) DE LA LOI SUR LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS?

A. L'alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels

J'examinerai d'abord l'argument concernant l'applicabilité de l'alinéa 3j), dont je reproduis ci-après le texte:

3. . . .

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

. . .

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi.

L'argument de l'intimé au sujet du sous-alinéa 3j)(iii) est le suivant: les fiches du registre de signature renferment des renseignements au sujet d'une responsabilité que les employés du ministère des Finances estiment avoir, celle de faire du travail en surtemps. Dans le cas du sous-alinéa 3j)(iv), l'intimé allègue que les fiches sur lesquelles les employés signent leurs noms et y inscrivent d'autres "renseignements personnels" constituent des documents qu'ils ont établis au cours de leur emploi et sont donc directement visés par cette disposition. Enfin, l'intimé ajoute que les noms sont visés par les mots introductifs de l'alinéa 3j), parce qu'ils constituent des renseignements concernant des cadres ou employés, actuels ou anciens, d'une institution fédérale et portant sur leurs postes ou leurs fonctions. L'Association intervenante a appuyé ces allégations. Il suffit de dire que l'intimé avait le fardeau d'établir que les exceptions énoncées à l'alinéa 3j) s'appliquent clairement à son cas et qu'il ne s'est pas déchargé de ce fardeau. Comme je le mentionne plus loin, aucun élément de la preuve ne permet de soutenir que les renseignements figurant sur les fiches des registres indiquent les heures de travail des employés concernés. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de dire que les renseignements concernent le "poste ou les fonctions" des employés, pour reprendre les termes de cette disposition. En d'autres mots, ces arguments m'apparaissent dénués de tout fondement. J'en viens donc à la conclusion que l'alinéa 3j) est inapplicable, que ce soit de façon générale ou particulière.

B. L'alinéa 19(2)b) de la Loi sur l'accès à l'information

L'Association intervenante a ajouté que les noms auraient dû être communiqués, parce que le public y avait accès et qu'ils étaient assujettis à la communication en raison de l'alinéa 19(2)b) de la Loi sur l'accès à l'information, dont le texte est le suivant:

19. . . .

(2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où:

. . .

b) le public y a accès. . . .

L'Association se fonde à cet égard sur le témoignage que M. Langille a donné au cours de son contre-interrogatoire sur son affidavit, lorsqu'il a dit qu'un membre du public pouvait voir les noms des employés qui avaient déjà signé le registre en prétendant lui-même vouloir le signer. Selon cette disposition, la communication relève du pouvoir discrétionnaire du responsable de l'institution fédérale concernée. L'intimé n'a pas soutenu que le pouvoir discrétionnaire avait été mal exercé et le dossier ne renferme aucun argument en ce sens. De plus, cet argument m'apparaît sans fondement, puisqu'il repose sur une hypothèse qui n'est pas appuyée par la preuve.

III) LE MINISTRE AURAIT-IL DÛ COMMUNIQUER LES NOMS FIGURANT SUR LES FICHES DES REGISTRES DE SIGNATURE CONFORMÉMENT À L'ALINÉA 8(2)m) DE LA LOI SUR LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS?

J'en arrive maintenant à l'argument selon lequel le ministre a mal exercé le pouvoir discrétionnaire dont il est investi en vertu de l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Voici à nouveau les extraits pertinents de cette disposition:

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:

. . .

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution:

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

Il convient de rappeler ici que l'alinéa 19(2)c) de la Loi sur l'accès à l'information accorde au responsable d'une institution fédérale un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de communiquer un document qui est demandé aux termes de cette Loi et qui renferme des "renseignements personnels", si la communication est faite conformément à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

L'intimé et l'Association intervenante estiment que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire aux termes des deux parties de cette disposition en refusant de communiquer les noms et que les motifs qu'il a invoqués à l'appui de ce refus étaient insuffisants. À cet égard, l'arrêt Bland, précité, a été invoqué de même que l'exemption 6 du Freedom of Information Act, 5 U.S.C. 552(b)(6) (1988) et certaines décisions rendues par les tribunaux américains. Avant d'examiner plus à fond cette question, je tiens à dire, comme je l'ai fait au cours des plaidoiries, que les renvois à la législation et à la jurisprudence américaines me semblent inutiles pour deux raisons: d'abord, cette législation est structurée de façon différente et ne vise pas les mêmes objectifs que les lois en litige dans le présent appel; en second lieu, il faut nécessairement comprendre l'interprétation jurisprudentielle américaine du libellé des dispositions législatives en question à la lumière des dispositions concernées. C'est pourquoi je n'ai nullement tenu compte de ces renvois.

Je reviens maintenant au principal argument de l'intimé au sujet de cette question. Il est fondé sur l'affidavit qu'il a fait sous serment le 23 février 1993 et dont certaines parties ont été reproduites plus haut dans les présents motifs. L'intimé formule son argument en ces termes au paragraphe 65 de son mémoire:

[traduction] L'intimé soutient qu'il existe un intérêt public évident à la communication des renseignements qu'il demande. Il demande la communication des fiches de signature pour déterminer s'il existe, au sein du ministère des Finances, une pratique concertée selon laquelle les employés font des heures supplémentaires sans demander de rémunération, sur l'ordre de l'employeur. Si cette pratique existait, elle irait à l'encontre de la convention collective conclue entre la majorité syndiquée des employés de ce ministère et le Conseil du Trésor. Cette pratique violerait donc les droits de bon nombre d'employés du ministère des Finances.

Le principal problème que comporte cet argument est qu'il repose sur une hypothèse erronée. Selon la preuve non contredite émanant de M. Langille, les renseignements inscrits sur les fiches des registres de signature n'indiquent pas si les employés travaillent, s'ils font des heures supplémentaires ou, dans l'affirmative, le nombre d'heures supplémentaires en question. Ils indiquent uniquement que des individus identifiables étaient présents dans l'établissement et ils permettent de connaître l'endroit où ils se trouvaient, les dates ainsi que les heures d'arrivée et de départ de ces employés. De plus, il appert de la preuve non contredite que ces registres étaient tenus pour permettre aux agents de sécurité de savoir, lors d'un incendie ou dans d'autres cas d'urgence, qui se trouve dans l'immeuble à certaines dates et à certaines heures et où ces personnes se trouvent. Il est vrai que le registre a été utilisé à l'occasion pour faciliter les enquêtes relatives à des actes de fraude, de vol ou de vandalisme commis dans l'immeuble, mais il n'a jamais été utilisé comme registre des heures supplémentaires travaillées par les employés. Compte tenu de cette preuve, il n'y a pas lieu d'échafauder un argument fondé sur l'intérêt public, comme l'intimé et l'Association intervenante tentent de le faire, selon lequel les renseignements aideraient l'intimé à mettre à exécution le projet qu'il décrit, soit la vente à l'Association de renseignements concernant les heures de travail supplémentaires impayées que la direction du ministère des Finances a demandé aux membres de l'AESS de faire, contrairement à la convention collective applicable. D'après la preuve non contredite, la communication des noms ne donnera pas ce résultat.

De plus, en demandant la communication des noms figurant sur les fiches des registres de signature, il est évident que l'intimé cherchait à satisfaire, non pas un intérêt public, mais plutôt un intérêt privé. Il tentait d'obtenir des renseignements qu'il pourrait vendre à un client, sans que celui-ci les lui ait demandés de quelque façon que ce soit. Dans ces circonstances, le ministre a eu raison de préciser, lorsqu'il a répondu à la demande de l'intimé en vue de réviser sa décision précédente, qu'il n'y avait pas d'intérêt public à soupeser. Voici comment le ministre a formulé sa réponse24 24 Dossier d'appel, à la p. 26. :

[traduction] J'en arrive maintenant à votre demande de dérogation à l'exclusion des renseignements personnels au nom de "l'intérêt public" conformément à l'alinéa 19(2)c) de la Loi sur l'accès à l'information. Comme vous le comprendrez sans doute, la protection offerte aux individus aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels doit être abandonnée uniquement après une étude approfondie de la question et cet abandon doit être évalué par rapport au risque de violation de la vie privée. À mon avis, vous n'avez pas démontré l'existence de raisons d'intérêt public justifiant nettement une violation de la vie privée.

À mon sens, ce paragraphe indique que le ministre a fait savoir à l'intimé qu'il avait examiné les arguments de celui-ci et que, selon lui, ils ne soulevaient aucune raison d'intérêt public justifiant nettement une violation de la vie privée, comme l'exige la première partie de l'alinéa 8(2)m). Cette conclusion est tout à fait compatible avec le dossier versé dans le présent appel ainsi qu'avec les principes juridiques bien reconnus. Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison qui permettrait à la Cour d'appel de modifier la décision que le ministre a rendue dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au sujet de la première partie de la disposition en question. Voir l'arrêt Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.).

L'intimé et l'Association intervenante ajoutent que les motifs du ministre sont insuffisants, compte tenu de l'arrêt Bland, précité. Je ne suis pas d'accord. Aucun élément de cette décision ne justifie cette conclusion. À tout événement, cette affaire portait sur des faits différents.

Enfin, compte tenu de la preuve émanant de M. Langille au sujet de l'objet du registre de signature et de la nature des renseignements qu'il contient, je ne puis voir aucun avantage certain que les individus pourraient tirer de la communication de leurs noms, au sens de la deuxième partie de l'alinéa 8(2)m). J'en viens donc à la conclusion que le ministre n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée lorsqu'il a refusé d'appliquer la dérogation prévue à l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels en ce qui a trait à l'intérêt public.

En conséquence, l'appel sera accueilli avec dépens en faveur de l'appelant tant pour les procédures devant la Section de première instance que pour le présent appel et la décision du juge des requêtes sera annulée. Aucuns dépens ne seront adjugés en faveur ou à l'encontre des intervenants.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux motifs exprimés par le juge en chef.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris aux motifs exprimés par le juge en chef.

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