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A‑258‑04

2005 CAF 427

Euro Excellence Inc. (appelante)

c.

Kraft Canada Inc., Kraft Foods Schweiz AG et Kraft Foods Belgium SA (intimées)

Répertorié : Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Noël et Pelletier, J.C.A.—Montréal, 14 septembre; Ottawa, 19 décembre 2005.

Droit d’auteur — Violation — Violation à une étape ultérieure — Appel d’une décision de la Cour fédérale laquelle a prononcé une injonction permanente enjoignant à l’appelante de cesser de vendre, de distribuer, de mettre ou d’offrir en vente des produits de confiserie Côte d’Or et Toblerone dont les papiers d’emballage arborent des illustrations protégées par le droit d’auteur — L’appelante a continué à distribuer les produits même si son contrat de distribution était expiré — Kraft Canada Inc. (KCI), le nouveau détenteur de la licence de distribution exclusive au Canada, a tenté, suivant l’art. 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur, d’obliger l’appelante à masquer les œuvres — Le juge de première instance a conclu que l’appelante avait violé l’art. 27(2)e) de la Loi (violation du droit d’auteur) et a accueilli la demande de KCI — L’art. 27(2) traite de la violation du droit d’auteur à une étape ultérieure (violation par une personne d’un droit d’auteur même si cette personne n’a pas produit l’œuvre protégée) — Dans la jurisprudence pour établir la violation de leur droit d’auteur à une étape ultérieure concernant un produit importé, les demandeurs ont dû prouver qu’ils avaient le droit exclusif d’employer au Canada le droit d’auteur en question et que les exemplaires importés par les défendeurs n’avaient pas été produits par les demandeurs — Les éléments en général requis pour prouver la violation à une étape ultérieure ont été approuvés par la C.S.C. dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada — La preuve d’une violation initiale du droit d’auteur n’est cependant pas requise dans le cas de l’art. 27(2)e) de la Loi car dans le cas d’un exemplaire importé dans les circonstances visées par l’art. 27(2)e), la Loi reconnaît au dernier paragraphe de la définition de « contrefaçon » à l’art. 2 de la Loi, l’existence de la contrefaçon  —  Dans le cas d’un produit importé dans les conditions visées à l’art. 27(2)e), il y a violation du droit d’auteur à une étape ultérieure dans l’accomplissement des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c) quand la production ou la reproduction de l’œuvre en question constituerait une violation si elle avait été produite au Canada par la personne qui l’a produite — En tant que telle, l’importation par l’appelante de reproductions des œuvres protégées faites hors du Canada constituait une violation du droit d’auteur de KCI à une étape ultérieure, puisque KCI détenait un droit exclusif de reproduction pour le Canada et que l’appelante connaissait l’enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI — Appel accueilli en partie — Affaire renvoyée au juge de première instance pour qu’il traite la question des profits.

Droit d’auteur — Dommages‑intérêts — Profits — Le juge de première instance a fixé à la somme de 300 000 $ les profits qui originent de la contrefaçon — Rien au dossier n’indiquait comment les intimées pouvaient affirmer que durant la période pertinente, [traduction] « les recettes brutes s’élevaient au moins à 2,8 millions de dollars »  — Devant le caractère peu satisfaisant du dossier à cet égard le dossier a été retourné au juge de première instance.

Droit d’auteur — Injonction — Appel incident — Kraft Canada Inc. sollicitait une ordonnance de la Cour défendant à l’appelante de posséder ou d’importer les produits de confiserie dont les papiers d’emballage arboraient des illustrations protégées par le droit d’auteur — Les demandes contenues dans l’appel incident étaient superflues — Puisque l’appelante ne pouvait ni vendre, ni mettre en circulation, ni offrir en vente les produits protégés, elle ne pouvait non plus les posséder ou les importer en vue de les vendre, les mettre en circulation, ou les offrir en vente — Appel incident rejeté.

Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident d’une décision de la Cour fédérale du Canada, laquelle a prononcé une injonction permanente enjoignant l’appelante de cesser de vendre, de distribuer, de mettre ou d’offrir en vente des exemplaires des œuvres protégées de Kraft Canada Inc. (KCI). Ces œuvres consistaient en l’éléphant Côte d’or et l’ours dans la montagne Toblerone figurant sur les papiers d’emballage des produits de confiserie Côte d’Or et Toblerone.

Kraft Foods Belgium SA (KFB) fabrique les produits vendus sous la marque « Côte d’or » et Kraft Foods Schweiz AG (KFS) fabrique les produits vendus sous la marque « Toblerone ». L’appelante, à un certain moment, a été autorisée à agir comme distributeur canadien et elle a continué à distribuer les produits même si son contrat de distribution était expiré, ce qui a amené KFB et KFS à enregistrer au Canada dans la catégorie des œuvres artistiques les droits d’auteur se rapportant à Côte d’Or et à Toblerone. Une licence de distribution exclusive a été accordée à KCI pour l’importation et la distribution de ces produits au Canada. KCI a tenté, suivant le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi) d’obliger l’appelante à masquer les œuvres. L’alinéa 27(2)e) de la Loi prévoit que constitue une violation du droit d’auteur l’importation au Canada en vue de vendre, mettre en circulation, offrir de vendre ou exposer en public l’exemplaire d’une œuvre alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit.

Le juge de première instance a conclu que l’appelante avait violé l’alinéa 27(2)e) de la Loi et a obligé l’appelante à masquer les éléments graphiques des emballages, des listes de prix et autres éléments préalablement à la vente, la distribution, la mise ou l’offre en vente, des produits de confiserie Côte d’or et Toblerone. L’appelante fut également condamnée à payer une somme de 300 000 $, calculée en proportion des profits réalisés.

Les questions en litige étaient de savoir si l’appelante a contrevenu au paragraphe 27(2) de la Loi, et, dans l’affirmative, s’il y avait lieu au prononcé d’une détermination des profits.

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie; l’appel incident doit être rejeté.

Le paragraphe 27(2) traite de la violation du droit d’auteur à une étape ultérieure, c’est‑à‑dire qu’il peut arriver, en effet, qu’un défendeur soit réputé contrevenir à un droit d’auteur même s’il n’a pas produit ou reproduit lui‑même l’œuvre protégée. Le mot « contrefaçon » est défini à l’article 2 de la Loi. La dernière phrase du dernier paragraphe de cette définition indique clairement que les exemplaires d’une œuvre protégée au Canada mise en circulation à l’extérieur du Canada peuvent être contrefaisants lorsqu’ils sont importés au Canada dans le cas visé par l’alinéa 27(2)e) (c’est‑à‑dire, la vente, la location, la distribution, l’exposition, l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public). Le paragraphe 27(2) a été modifié en 1997 de sorte que les mots « une œuvre qui [. . .] viole le droit d’auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada » ont été remplacés par les mots suivants : « exemplaire d’une œuvre [. . .] alors que [. . .] la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit [d’auteur], ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit ». L’ajout des mots « par la personne qui l’a produit » constitue un changement significatif qui avait déjà été fait par la jurisprudence, dans Clarke, Irwin & Co. c. C. Cole & Co. Les décisions jurisprudentielles qui ont suivi n’ont fait qu’appliquer l’affaire Clarke. Dans toutes ces causes, pour établir la violation de son droit d’auteur à une étape ultérieure concernant un produit importé, les demandeurs ont prouvé qu’ils avaient le droit exclusif d’employer au Canada le droit d’auteur en question et que les exemplaires importés par les défendeurs n’avaient pas été produits par les demandeurs.

Les trois éléments requis pour prouver la violation à une étape ultérieure ont été approuvés par la Cour suprême du Canada dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada. Le premier élément, la preuve d’une violation initiale du droit d’auteur, n’est cependant pas requise dans le cas de l’alinéa 27(2)e) de la Loi, compte tenu du fait que la définition de « contrefaçon » (infringing) reconnaît l’existence de la contrefaçon dans le cas d’un exemplaire importé dans les circonstances visées par l’alinéa 27(2)e). Ceci dit, de par les termes mêmes du paragraphe 27(2) de la Loi, dans le cas d’un produit importé dans les conditions visées à l’alinéa 27(2)e), il y a violation du droit d’auteur à une étape ultérieure dans l’accomplissement des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c), quand la production ou la reproduction de l’œuvre en question constituerait une violation si elle avait été produite au Canada par la personne qui l’a produite. Ainsi, les reproductions des œuvres protégées faites hors du Canada ne peuvent être importées au Canada par l’appelante en vue de l’un ou l’autre des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c), sans qu’il y ait violation du droit d’auteur de KCI à une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif de reproduction pour le Canada et que l’appelante connaissait l’enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux œuvres.

Quant à la question de savoir s’il y a lieu au prononcé d’une détermination des profits, rien au dossier n’indiquait comment les intimées pouvaient affirmer que durant la période pertinente, « les recettes brutes s’élevaient au moins à 2,8 millions de dollars ». Devant le caractère peu satisfaisant du dossier à cet égard le dossier a été renvoyé au juge de première instance.

Enfin, l’appel incident de KCI (sollicitant une ordonnance de la Cour défendant à l’appelant de posséder ou d’importer les produits en cause dans le but de les vendre, les mettre en circulation ou les offrir en vente) a été rejeté. Puisque l’appelante ne peut ni vendre, ni mettre en circulation, ni offrir en vente les produits protégés, elle ne peut non plus les posséder ou les importer en vue de les vendre, les mettre en circulation, ou les offrir en vente. Les demandes contenues dans l’appel incident étaient donc superflues.

lois et règlements cités

Copyright Act, 1911 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 5, ch. 46.

Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, S.C. 1921, ch. 24.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, art. 2 « contrefaçon » (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), 2.7 (édicté, idem, art. 2), 3 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 23, art. 2; ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3), 27(1) (mod., idem, art. 15), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4), 35 (mod., idem, art. 20), 36(2) (mod., idem), 44 (mod. par L.C. 1999, ch. 17, art. 119), 53 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 5; 1997, ch. 24, art. 30).

Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1952, ch. 55, art. 17(4), 27.

Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C‑38.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27.

Loi sur les poids et mesures, L.R.C. (1985), ch. W-6.

jurisprudence citée

décision appliquée :

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, [2004] 1 R.C.S. 339; 2004 CSC 13.

décisions examinées :

Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 2004 CF 832; Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 2004 CF 1215; Clarke, Irwin & Co. v. C. Cole & Co., [1960] O.R. 117; (1960), 22 D.L.R. (2d) 183; 33 C.P.R. 173; 19 Fox Pat. C. 143 (H.C.); CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, [2002] 4 C.F. 213; 2002 CAF 187.

décisions citées :

Roy Export Co. Establishment c. Gauthier, [1973] A.C.F. no 401 (1re inst.) (QL); Godfrey, MacSkimming & Bacque Ltd. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1973), 1 O.R. (2d) 362; 40 D.L.R. (3d) 346; 13 C.P.R. (2d) 89 (H.C.J.); Fly by Nite Music Co. Ltd. c. Record Wherehouse Ltd., [1975] C.F. 386 (1re inst.); A & M Records of Canada Ltd. c. Millbank Music Corp. Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 354 (C.F. 1re inst.); Dictionnaires (Les) Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. et al., [1987] A.C.F. no 1 (1re inst.) (QL).

doctrine citée

Canada. Commission royale sur les brevets, le droit d’auteur, les marques de commerce et les dessins industriels. Rapport sur le droit d’auteur. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1958.

Hayhurst, W. L. « Intellectual Property as a Non‑Tariff Barrier in Canada, With Particular Reference to “Gray Goods” and “Parallel Imports” » (1990), 31 C.P.R. (3d) 289.

Webster, W. Lee « Restraining the Gray Marketer Policy and Practice » (1987), 4 C.I.P.R. 211.

APPEL et APPEL INCIDENT d’une décision de la Cour fédérale ([2004] 4 R.C.F. 410) laquelle a prononcé une injonction permanente enjoignant l’appelante de cesser de vendre, de distribuer, de mettre ou d’offrir en vente des produits de confiserie Côte d’Or et Toblerone dont les papiers d’emballage arboraient des illustrations protégées par le droit d’auteur, et a fixé à la somme de 300 000 $ les profits dérivant de la contrefaçon. Appel accueilli en partie; appel incident rejeté.

ont comparu :

François Boscher et Pierre‑Emmanuel Moyse pour l’appelante.

Timothy M. Lowman et Ken McKay pour les intimées.

avocats inscrits au dossier :

François Boscher, Montréal, pour l’appelante.

Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour les intimées.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]La juge Desjardins, J.C.A. : L’affaire en litige a trait à l’importation parallèle, connue également sous le terme de « marché gris » (voir W. Lee Webster, « Restraining the Gray Marketer Policy and Practice » (1987), 4 C.I.P.R. 211).

[2]Le terme « marché gris » (gray market ou grey market) s’entend généralement de biens qui sont importés contrairement aux souhaits du titulaire du droit d’auteur ou d’un importateur autorisé dans un territoire spécifique. Il s’agit d’un bien qui, règle générale, est légitimement mis sur le marché étranger mais dont la présence sur le marché local est assombrie par suite d’allégations de contrefaçon. D’où le nom « marché gris », par opposition au marché noir, où il y a contravention au droit d’auteur, et au marché blanc, où il n’y a pas contravention au droit d’auteur (W. L. Hayhurst Q.C., « Intellectual Property as a Non‑Tariff Barrier in Canada, With Particular Reference to ‘Gray Goods’ and ‘Parallel Imports’ » (1990), 31 C.P.R. (3d) 289, à la page 298).

[3]Il s’agit en l’espèce de déterminer si l’intimée Kraft Canada Inc. (KCI), qui détient depuis octobre 2002 une licence exclusive de production, de reproduction et de distribution pour le Canada du droit d’auteur sur l’éléphant Côte d’Or et sur l’ours dans la montagne Toblerone, peut, suivant le paragraphe 27(2) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 15] de la Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. 1985, ch. C‑42), (la Loi) obliger l’appelante, Euro Excellence, à masquer l’éléphant Côte d’Or et l’ours dans la montagne Toblerone reproduits sur les emballages des produits Côte d’Or et Toblerone vendus par lui. Euro Excellence importe et distribue ces produits au Canada d’une source anonyme en provenance d’un pays européen non identifié. KCI ne conteste pas le caractère véritable des produits en cause.

[4]Même si l’éléphant Côte d’Or est aussi gaufré dans le chocolat Côte d’Or lui‑même, KCI ne prétend pas empêcher Euro Excellence de poursuivre ses activités d’importation et de distribution de ces produits. Libre à Euro Excellence de le faire, soutient KCI, à la condition toutefois de respecter les droits d’auteur de KCI sur l’emballage.

[5]Euro Excellence interjette appel d’une décision de la Cour fédérale du Canada (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., [2004] 4 R.C.F. 410, Harrington J.), laquelle a prononcé une injonction permanente l’enjoignant de cesser de vendre, de distribuer, de mettre ou d’offrir en vente des exemplaires des œuvres protégées (soit l’éléphant Côte d’Or et l’ours dans la montagne Toblerone). Le juge Harrington soulignait que KCI s’en prenait non pas au produit vendu mais plutôt aux illustrations figurant sur les papiers d’emballage (paragraphe 3 de ses motifs). Dans le but de maintenir une apparence de paix et d’ordre, il n’exigeait pas qu’Euro Excellence rappelle les produits dont elle n’avait plus le contrôle ou qu’elle remette ses stocks à KCI (paragraphe 64 de ses motifs). Le juge Harrington obligeait plutôt l’appelante à masquer les éléments graphiques des emballages, des listes de prix et autres éléments préalablement à la vente, la distribution, la mise ou l’offre en vente, des produits de confiserie Côte d’Or et Toblerone, notamment des tablettes de chocolat.

[6]Euro Excellence fut condamnée à payer une som-me de 300 000 $, calculée en proportion des profits réalisés, en application de l’article 35 [mod., idem, art. 20] de la Loi.

[7]Le juge Harrington émit par la suite une première directive le 9 juin 2004 (Kraft Canada c. Euro Excellence Inc., 2004 CF 832), puis une seconde, le 3 septembre 2004, 2004 CF 1215), où il se déclarait satisfait des mesures de collage prises par Euro Excellence pour masquer l’éléphant Côte d’Or et l’ours dans la montagne Toblerone sur les emballages des produits importés et distribués au Canada.

[8]Par voie d’appel incident, les intimées demandent à cette Cour de modifier le libellé de l’injonction permanente afin de défendre expressément à l’appelante d’importer et de posséder ces œuvres en vue de l’accomplissement de l’un des actes visés aux alinéas a) à c) du paragraphe 27(2) de la Loi.

I. LES FAITS

[9]Les faits essentiels de cette affaire sont décrits ainsi aux paragraphes 13 à 20 des motifs du premier juge :

Kraft Foods Belgium S.A., de Halle en Belgique, fabrique la gamme de produits de confiserie Côte d’Or en Europe. En 1993, elle a autorisé Euro Excellence Inc. à agir comme distributeur canadien. Il s’en est suivi un contrat de distribution exclusive pour le Canada d’une durée de trois ans; ce contrat s’est terminé en décembre 2000. On invoque deux motifs de non‑renouvellement. Kraft soutient que bien qu’Euro Excellence ait commercialisé avec succès Côte d’Or au Québec, elle a fait peu de gains dans le reste du Canada. Euro Excellence soutient pour sa part que Kraft se comportait comme un prédateur, voulait tirer avantage de ses contacts et de son renom et qu’elle tente de la sacrifier sur l’autel de l’intégration multinationale.

Kraft Canada Inc. a commencé à distribuer la gamme Côte d’Or en 2001 en vertu d’un contrat. En fait, elle avait eu un contrat antérieur qui remontait à 1990 pour la distribution de Côte d’Or mais n’y avait jamais donné suite. Au début de 2001, Euro Excellence distribuait toujours les produits Côte d’Or. Kraft ne s’en inquiétait pas particulièrement car elle supposait qu’Euro Excellence liquidait des stocks accumulés, mais elle a bientôt réalisé qu’elle vendait de nouveaux produits venant d’une autre source.

Par ailleurs, Euro Excellence a commencé l’importation parallèle de tablettes de chocolat Toblerone que Kraft Canada Inc. distribuait au Canada depuis 1990. Ce qui a particulièrement irrité Kraft, c’est le fait que le fournisseur d’Euro Excellence lui procure également les tablettes dites « Golden ». Ces tablettes, qui, selon ma compréhension, sont beaucoup plus grosses que les tablettes de format normal, ne sont censées être vendues que dans les boutiques hors taxes. En fait, le fabricant Kraft Foods Schweiz AG de Genève ne les a jamais offertes à Kraft Canada Inc. En conséquence, Euro Excellence distribue un assortiment plus large de produits Toblerone, ce qui peut lui conférer un certain avantage sur le marché.

Il n’est pas difficile de voir que le différend s’envenimait. Kraft fait valoir qu’Euro Excellence tire parti de sa publicité, ce qui lui donne un avantage de marché, ajoute des étiquettes autocollantes bon marché qui nuisent à la nature d’un produit de première classe, ne s’est pas conformée aux lois et règlements canadiens applicables en matière d’emballage et d’étiquetage et pourrait de fait avoir créé un danger pour la santé et mis Kraft en situation à risque en ne « canadianisant » pas la liste française des ingrédients. À titre d’exemple, un ingrédient était désigné comme « fruits secs », ce qui en Europe semble assez large pour englober les noix, alors que l’expression ne serait pas interprétée de cette manière au Canada.

En revanche, Kraft Canada Inc. dit prendre beaucoup de soin pour offrir un produit de première classe du point de vue de l’emballage. Dans certains cas, l’emballage dans les usines européennes se fait selon ses propres spécifications, ou alors des étiquettes très professionnelles, peu susceptibles d’attirer l’attention, sont apposées sur les produits de manière à se conformer à la législation canadienne.

[. . .]

Dans le but de déjouer Euro Excellence, Kraft Foods Belgium SA a, en octobre 2002, enregistré au Canada dans la catégorie des œuvres artistiques les trois droits d’auteur se rapportant à Côte d’Or. L’auteur était désigné comme un certain Thierry Bigard. Le même jour, un contrat de licence entre elle et Kraft Canada Inc. était également enregistré. La licence conférait à Kraft Canada Inc. :

[traduction] [. . .] l’autorisation et le droit exclusifs de produire, de reproduire et d’adapter les œuvres ou toute partie importante de celles‑ci sur le Territoire, sous quelque forme matérielle que ce soit et d’utiliser et de représenter publiquement les œuvres en liaison avec la fabrication, la distribution ou la vente au Canada de produits de confiserie notamment du chocolat.

Le même jour, Kraft Foods Schweiz AG enregistrait l’ours dans la montagne de Toblerone comme droit d’auteur dans la catégorie des œuvres artistiques ainsi qu’un contrat de licence similaire avec Kraft Canada Inc.

Euro Excellence a été mise en demeure de cesser de distribuer les produits sur lesquels apparaissent l’écriture, l’éléphant et le bouclier rouge de Côte d’Or et l’ours dans la montagne de Toblerone. Elle a refusé d’obtempérer. Même si l’éléphant de Côte d’Or est aussi gaufré dans le chocolat Côte d’Or lui‑même, Kraft a précisé qu’elle ne cherche pas à empêcher Euro Excellence de vendre le chocolat, mais uniquement de le distribuer dans le papier d’emballage comportant les œuvres artistiques enregistrées à titre de droits d’auteur.

II. LA DÉCISION SOUS APPEL

[10]En première instance, Euro Excellence a invoqué des défenses de nature technique basées sur la Loi elle‑même, ainsi que des défenses fondées sur la compétence en equity de la Cour fédérale. Elle a aussi invoqué les limites constitutionnelles qu’elle prétendait applicables aux dispositions législatives en cause, auxquelles elle ajoutait des limites d’ordre public.

[11]Euro Excellence prétendait que la montagne, l’ours, l’éléphant, l’écriture Côte d’Or et le bouclier rouge ne sont pas des illustrations originales et ne peuvent, par conséquent, faire l’objet d’un droit d’auteur. Euro Excellence invoquait également que la chaîne de titres menant à la licence de Côte d’Or par KCI était déficiente. Dans le cas de Toblerone, la chaîne de titre n’était pas contestée mais la créativité de l’œuvre l’était. L’appelante mettait en doute le caractère original d’une œuvre représentant une montagne couverte de neige, où la neige adopte en partie la forme d’un ours.

[12]En equity, Euro Excellence prétendait qu’aucune injonction ne pouvait être émise car KCI n’était pas sans reproche. Euro Excellence soutenait que KCI était un prédateur qui essayait de tirer avantage du renom et des contacts qu’aurait établis Euro Excellence qui avait déjà été un distributeur exclusif de la gamme Côte d’Or au Canada. Euro Excellence soutenait que le seul objectif poursuivi par les intimées était de lui nuire.

[13]À cela Euro Excellence ajoutait que les disposit-ions législatives sur le droit d’auteur doivent être interprétées restrictivement afin de ne pas empiéter sur la compétence provinciale en matière de propriété et droits civils.

[14]Eu égard à l’ordre public, l’appelante faisait valoir que le droit d’auteur ne saurait être utilisé pour créer un monopole qui porte atteinte au marché du libre échange des biens.

[15]Le premier juge rejeta toutes les prétentions d’Euro Excellence.

[16]Trois droits d’auteur distincts ont été réclamés a l’égard de Côte d’Or. L’un porte sur un éléphant tourné vers la droite dont la trompe est courbée vers le haut. Le deuxième se rapporte au style d’écriture utilisé pour former  les  mots « Côte d’Or  ». Le  troisième  est  un genre de bouclier rouge qui sert de fond à la fois pour l’éléphant et pour l’écriture de Côte d’Or.

[17]Le premier juge retint de la preuve que Thierry Bigard, en sa qualité de directeur de la création au bureau européen de Landor Associates à Paris, fut responsable, en 1998, de la conception d’une nouvelle identité visuelle pour les produits Côte d’Or. La politique chez Landor Associates voulait que les droits découlant du travail créatif des employés appartenaient à Landor en sa qualité d’employeur. Cet obstacle une fois franchi, la chaîne de propriété allant de Thierry Bigard aux diverses sociétés Kraft en passant par Landor était sans reproche.

[18]S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH), le premier juge conclut que l’éléphant Côte d’Or figurant sur les emballages était d’un caractère original car il était le fruit du talent et du jugement. Même si l’éléphant avait figuré sur la marque Côte d’Or au moins depuis 1906, et qu’il avait probablement été inspiré d’un timbre‑poste de la Guinée, les concepteurs avaient réalisé plusieurs dessins de l’éléphant avant d’arrêter leur choix. Le dessin obtenu résultait d’un effort intellectuel et méritait la protection du droit d’auteur en tant qu’œuvre originale.

[19]Le premier juge fut cependant d’avis qu’on ne pouvait pas en dire autant de l’écriture Côte d’Or et du bouclier rouge. Le texte écrit était un simple changement de police de caractères, lequel ne bénéficiait pas de la protection du droit d’auteur. Le bouclier rouge, lui non plus, n’avait rien d’original et ne méritait pas la protection du droit d’auteur.

[20]Quant à l’ours Toblerone à l’intérieur de la montagne, le premier juge retint que même si la montagne représentait le Mont Cervin et que l’ours était l’emblème du canton de Berne en Suisse où sont fabriqués les chocolats, l’œuvre avait néanmoins un caractère original, et ce, même si elle n’était pas représentative de l’art abstrait.

[21]Le premier juge rejeta les prétentions d’Euro Excellence à l’égard des prétendues pratiques commer-ciales adoptées par les intimées.

[22]Sur le plan constitutionnel, le premier juge fut d’avis qu’il fallait donner pleine force et plein effet au libellé de la Loi, qui relevait de la compétence fédérale, et que l’infraction prévue au paragraphe 27(2) de la Loi ne constituait pas un empiétement sur la compétence des provinces en matière de propriété et droits civils. Il rejeta de plus les allégations d’Euro Excellence relatives à l’atteinte à l’ordre public.

[23]S’appuyant sur la jurisprudence canadienne et australienne, le premier juge conclut à l’application du paragraphe 27(2) de la Loi. Il ajouta (paragraphe 60 de ses motifs), qu’il ne s’opposait pas à ce que l’appelante remplace les emballages ou dissimule autrement le matériel protégé par le droit d’auteur. Il accorda à KCI :

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1. une injonction permanente interdisant à Euro Excellence Inc., à toute personne morale du même groupe, à ses dirigeants, administrateurs, employés, agents et à toute personne sous son autorité, de vendre, distribuer, exposer ou offrir en vente une copie de la totalité ou d’une partie importante des œuvres artisti-ques, à savoir des éléments du dessin de l’emballage désignés comme étant l’ours à l’intérieur d’une montagne relativement à Toblerone et l’éléphant relati-vement à Côte d’Or, décrits ci‑dessous :

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2. une injonction permanente obligeant Euro Excellence, toute personne morale du même groupe, ses dirigeants, administrateurs, employés, agents et toute personne sous son autorité, à prendre les mesures nécessaires, avant de vendre, distribuer, exposer ou offrir en vente tout produit de confiserie Toblerone ou Côte d’Or, notamment des tablettes de chocolat, pour faire en sorte que tout élément du dessin de l’emballage, toute liste de prix ou tout autre article ne constituent pas une contrefaçon;

3. des dommages‑intérêts de 300 000 $;

4. l’intérêt avant jugement sur ces dommages‑intérêts calculé au taux de 5% par an pour la période du 29 octobre 2002 à la date du jugement;

5. l’intérêt après jugement sur le montant accordé par jugement à un taux commercial, à savoir le taux préférentiel moyen des banques canadiennes majoré de 1%;

6. les dépens.

III. L’APPEL DEVANT NOUS

[24]Euro Excellence a repris devant nous les mêmes arguments que ceux qu’elle avait fait valoir devant le premier juge.

[25]Le premier juge n’ayant, selon nous, commis aucune erreur sur les questions traitées plus haut, sauf peut‑être sur deux, nous avons choisi d’entendre l’intimée précisément sur ces deux questions, que nous avons formulées ainsi :

A. Euro Excellence, en agissant comme elle l’a fait, contrevenait‑elle au paragraphe 27(2) de la Loi?

B. Dans l’affirmative, y a‑t‑il lieu au prononcé d’une détermination des profits comme l’a fait le premier juge?

[26]Je traiterai de ces deux questions.

[27]Je disposerai ensuite de l’appel incident.

IV. ANALYSE

[28]Avant de procéder à l’analyse des deux questions formulées plus haut, il est utile d’apporter des précisions quant aux produits vendus et à leurs emballages et quant aux licences détenues par les intimées.

[29]KCI importe et distribue au Canada des articles de confiserie sous le nom Jacobs Suchard Canada. Jacobs Suchard Canada détient, depuis le 1er janvier 2001, un permis de distribution exclusive, lequel fut porté à la connaissance d’Euro Excellence. Ce permis se lit comme suit (C.A., vol. I, page 133, paragraphe 21 et page 152)  :

La présente est pour confirmer que depuis le 1er janvier 2001, Jacobs Suchard Canada est la seule compagnie autorisée à importer les produits Côte d’Or au Canada directement des usines de production. De fait, Côte d’Or est manufacturé en Belgique sous Kraft Europe.

[30]Kraft Foods Belgium SA (KFB) fabrique les produits vendus sous la marque « Côte d’Or  ». Kraft Foods Schweiz AG (KFS) par ailleurs fabrique les produits vendus sous la marque « Toblerone  ». Les produits de confiserie vendus par KCI au Canada proviennent uniquement des usines de KFB et de KFS en Europe (affidavit de Marilyn I. Miller, « category business director  », KCI, C.A., vol. I, à la page 131, paragraphe 14). KCI et KFB sont des sociétés affiliées dont la société‑mère est Kraft Foods Inc. (C.A., vol. III, page 720 et vol. IV, page 822). Et quoique la preuve ne soit pas spécifique à ce sujet, il y a également lieu de présumer qu’il en est de même pour KFS. Le premier juge a noté (voir paragraphe 17 de ses motifs reproduits plus haut) que KCI prend soin d’offrir un produit de première classe du point de vue de son emballage. Dans certains cas, l’emballage dans les usines européennes se fait selon ses propres spécifications ou alors des étiquettes spéciales sont apposées sur les produits de manière à se conformer à la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27, la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C‑38 et la Loi sur les poids et mesures, L.R.C. (1985), ch. W‑6.

[31]KCI met sur le marché neuf produits Côte d’Or alors qu’Euro Excellence en met plus de 40. KCI a créé cinq emballages spécifiques pour le Canada pour cinq des neuf produits Côte d’Or qu’elle vend. Quant aux quatre autres produits Côte d’Or, KCI applique un collant sur l’emballage utilisé par le fabricant (C.A., vol. I, page 136, paragraphes 36a) et b)).

[32]Quant au produit Toblerone, KCI refait l’emballage des produits qu’elle reçoit de KFS de façon à ce qu’ils soient conformes aux lois canadiennes précitées.

[33]KCI n’a pu mettre en preuve aucun bon de commande rempli par Euro Excellence afin d’établir l’origine des produits vendus par Euro Excellence (contre‑interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, page 670, à la page 744). KCI a demandé à Euro Excellence d’établir la provenance des produits vendus mais celle‑ci s’est refusée à répondre (contre‑ interrogatoire de M. André Clémence, président d’Euro Excellence, C.A., vol. III, page 466, aux pages 479 à 481 et 577; contre‑interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, page 670, aux pages 742, 743, 744, 745, 755 bis., 756 et 823) ou a simplement affirmé ne pas comprendre la question, telle qu’elle était formulée (contre‑interrogatoire de M. André Clémence, C.A., vol. III, page 466, à la page 564, lignes 13 et suivantes).

[34]Les intimées admettent par ailleurs que le chocolat vendu par l’appelante est le véritable Toblerone et le véritable Côte d’Or. Le premier juge a conclu (paragraphe 1 des motifs du jugement) qu’Euro Excellence s’approvisionne « d’une source anonyme dans un pays européen non identifié; elle les importe et les distribue au Canada dans leurs papiers d’emballage européens, en y apposant une étiquette pour se conformer à la réglementation canadienne en matière d’emballage ». Rien cependant dans la preuve n’indique l’origine exacte des exemplaires des œuvres protégées sur les emballages des produits mis sur le marché canadien par Euro Excellence (contre‑interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, page 670, à la page 743, lignes 2 à 5, ligne 25 et suivantes).

[35]Les intimées ont fait état de l’enregistrement de leurs droits d’auteur et des droits dont elles sont les titulaires en vertu de la Loi (article 53 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 5; 1997, ch. 24, art. 30] de la Loi) et en vertu de contrats signés entre elles.

[36]KFB est titulaire du droit d’auteur, enregistré le 25 octobre 2002, sur les titres « Côte d’Or  » (C.A., vol. I, page 48), « Côte d’Or Shield  » (C.A., vol. I, page 52), et « Côte d’Or Éléphant  » (C.A., vol. I, page 55).

[37]KFS est titulaire du droit d’auteur dans l’œuvre « Toblerone Mountain  », lequel fut enregistré au Canada le 25 octobre 2002 (C.A., vol. I, page 98).

[38]Le même jour, soit le 25 octobre 2002, KCI obtenait l’enregistrement de deux documents, chacun intitulé « Copyright licence agreement  ». Ces documents furent signés le 9 octobre 2002. Ces documents accordaient à KCI des licences exclusives pour le Canada sur le droit d’auteur détenu par KFS et sur le droit d’auteur détenu par KFB. Les termes pertinents de ces licences sont les suivants (C.A., vol. I, page 101, à la page 103; page 120 à la page 122) :

2.01     [traduction]

Le concédant de licence accorde au licencié l’autorisation et le droit exclusifs de produire, de reproduire et d’adapter les œuvres ou toutes partie importante de celles-ci sur le Territoire, sous quelque forme matérielle que ce soit, et d’utiliser et de représenter publiquement les œuvres en liaison avec la fabrication, la distribution ou la vente au Canada de produits de confiserie notamment du chocolat;

2.02   

Le licencié n’a pas le droit d’accorder une sous-licence quant aux droits qui lui ont été conférés en vertu de la présente convention ou de consentir à ce que quiconque utilise les œuvres sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite du concédent de la licence; [Je souligne.]

[39]L’article 2.7 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 2] de la Loi confirme que les licences exclusives de KCI lui donnent le droit exclusif de produire et de reproduire les œuvres protégées (article 3 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 23, art. 2; ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi) sur le territoire canadien à l’exclusion des deux titulaires KFB et KFS :

2.7 Pour l’application de la présente loi, une licence exclusive est l’autorisation accordée au licencié d’accomplir un acte visé par un droit d’auteur de façon exclusive, qu’elle soit accordée par le titulaire du droit d’auteur ou par une personne déjà titulaire d’une licence exclusive; l’exclusion vise tous les titulaires. [Je souligne.]

[40]Euro Excellence reçut notification de l’existence de ces licences exclusives le 28 octobre 2002 (C.A., vol. I, page 142, paragraphe 47, et page 226). Ainsi, depuis le 28 octobre 2002, à la connaissance d’Euro Excellence, KCI est devenue la seule personne au Canada qui soit autorisée à produire et reproduire les œuvres sur lesquelles elle détient des licences exclusives de droits d’auteur, même à l’encontre des titulaires KFB et KFS.

[41]Les titulaires du droit d’auteur, soit KFB et KFS, n’ont aucun rôle actif dans ces procédures. Elles n’y apparaissent que pour rencontrer les exigences du paragraphe 36(2) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi.

[42]J’aborde maintenant la première question.

A.       Euro Excellence, en agissant comme elle l’a fait, contrevenait‑elle au paragraphe 27(2) de la Loi?

1. Le droit

[43]Le paragraphe 27(2) traite de la violation du droit d’auteur à une étape ultérieure. Il peut arriver, en effet, qu’un défendeur soit réputé contrevenir à un droit d’auteur même s’il n’a pas produit ou reproduit lui‑ même l’œuvre protégée.

[44]Le paragraphe 3(1) ainsi que les paragraphes 27(1) [mod., idem, art. 15], (2) et (3) [mod., idem] de la Loi se lisent comme suit :

PARTIE I

DROIT D’AUTEUR ET DROITS MORAUX SUR LES ŒUVRE

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif_ :

[. . .]

PARTIE III

VIOLATION DU DROIT D’AUTEUR ET DES DROITS MORAUX, ET CAS D’EXCEPTION

Violation du droit d’auteur

Règle générale

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

(2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci‑après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre, d’une fixation d’une prestation, d’un enregistrement sonore ou d’une fixation d’un signal de communication alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit :

a) la vente ou la location;

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but commercial;

d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c);

e) l’importation au Canada en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c).

(3) Lorsqu’il s’agit de décider si les actes visés aux alinéas (2)a) à d), dans les cas où ils se rapportent à un exemplaire importé dans les conditions visées à l’alinéa (2)e), constituent des violations du droit d’auteur, le fait que l’importateur savait ou aurait dû savoir que l’importation de l’exemplaire constituait une violation n’est pas pertinent. [Je souligne.]

[45]À cela il faut ajouter la définition du mot « contrefaçon », telle que prévue à l’article 2 [mod. idem, art. 1] de la Loi :

DÉFINITIONS ET DISPOSITIONS INTERPRÉTATIVES

définitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

« contrefaçon »

a) À l’égard d’une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, toute reproduction, y compris l’imitation déguisée, qui a été faite contrairement à la présente loi ou qui a fait l’objet d’un acte contraire à la présente loi;

[. . .]

La présente définition exclut la reproduction—autre que celle visée par l’alinéa 27(2)e) et l’article 27.1—faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production. [Je souligne.]

[46]La dernière phrase du dernier paragraphe de cette définition indique clairement que les exemplaires d’une œuvre protégée au Canada mise en circulation à l’extérieur du Canada peuvent être contrefaisants lorsqu’ils sont importés au Canada. La version française est moins claire puisqu’elle utilise le terme « reproduction » plutôt qu’importation, mais la référence à l’alinéa 27(2)e), qui ne traite que de l’importation, rend le même sens que la version anglaise du texte. La version française par ailleurs rend très claire l’idée que, hormis le cas visé par l’alinéa 27(2)e), il n’y a pas contrefaçon lorsque la reproduction est faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production.

[47]Le libellé actuel du paragraphe 27(2) de la Loi est entré en vigueur le 1er septembre 1997. Avant cet amendement, le libellé était demeuré presque inchangé depuis son adoption initiale dans la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur [S.C. 1921, ch. 24], promulguée en 1924, bien que le numérotage de ce paragraphe était distinct. Le libellé antérieur publié dans les Lois révisées du Canada (1985), ch. C‑42, était le suivant :

27. [. . .]

(4) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d’auteur quiconque, selon le cas 

a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;

b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

c) expose commercialement en public;

d) importe pour la vente ou la location au Canada,

une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d’auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada. [Je souligne.]

[48]L’amendement de 1997 a donc fait en sorte que les mots « une œuvre qui [. . .] viole le droit d’auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada  » ont été remplacés par les suivants : « exemplaire d’une œuvre [. . .] alors que [. . .] la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit [d’auteur], ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit  » (les souligne-ments sont ajoutés).

[49]L’ajout des mots « par la personne qui l’a produit » constitue un changement significatif.

[50]Avant l’ajout dans le texte des mots « par la personne qui l’a produit », la jurisprudence canadienne les avait déjà inclus. La décision de principe à ce sujet est l’affaire Clarke, Irwin & Co. v. C. Cole & Co., [1960] O.R. 117 (H.C.) (Clarke), où le juge Spence a examiné la violation du droit d’auteur en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit d’auteur de 1952 (S.R.C. 1952, ch. 55) dont le texte était presque semblable au paragraphe 27(4) de la Loi de 1985 reproduit plus haut.

[51]Le demandeur dans l’affaire Clarke était le propriétaire exclusif à l’échelle mondiale du droit d’auteur d’un livre. Le demandeur avait vendu à un tiers, Henry Holt & Co. Inc., le droit exclusif de publier l’œuvre aux États‑Unis. Le défendeur avait acheté d’un revendeur américain des exemplaires de l’édition américaine publiée par Henry Holt & Co. Inc. et les avait importés au Canada en vue de les vendre sur le marché canadien.

[52]Le juge Spence a examiné le droit jurisprudentiel britannique et australien concernant le Copyright Act, 1911 [1 & 2 Geo. 5, ch. 46] du Royaume‑Uni (sur lequel la disposition canadienne a été modelée), ainsi que le Rapport sur le droit d’auteur de la Commission royale sur les brevets, le droit d’auteur, les marques de commerce et les dessins industriels (la Commission Ilsley) (Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1958). S’appuyant sur ces autorités, le juge Spence a conclu que [à la page 122] [traduction] « les mots “violerait le droit d’auteur si elle avait été produite au Canada” signifient lorsqu’on les applique à la présente situation que l’œuvre violerait le droit d’auteur si elle avait été produite au Canada par quiconque autre que le demandeur, notamment Holt [l’éditeur américain autorisé] ».

[53]Dans la décision Clarke, le juge Spence a cité avec approbation le passage suivant du Rapport de la Commission Ilsley (provenant de la page 102 du Rapport dans la version française).

On remarquera qu’aux termes de notre article 27 [l’actuel article 44], l’importation d’exemplaires d’une œuvre n’est interdite que si ces exemplaires, s’ils étaient fabriqués au Canada, violeraient le droit d’auteur. Les mots « s’ils étaient fabriqués au Canada » doivent signifier, selon nous, « s’ils étaient fabriqués au Canada par la personne qui les a fabriqués ». Si, par exemple, le titulaire du droit d’auteur canadien au Canada et dans un pays A, avait autorisé leur fabrication par X dans le pays A, mais n’avait pas autorisé leur fabrication par X au Canada, l’article interdirait à toute personne l’importation au Canada d’exemplaires fabriqués par X, après que l’avis approprié aurait été donné. Si quelqu’un tentait d’importer de tels exemplaires, il pourrait les voir arrêter à la frontière. Il ne serait pas un contrefacteur à moins que son importation ne soit pour la vente ou la location et qu’il ne sache que l’œuvre violerait le droit d’auteur si elle avait été fabriquée au Canada. Il ne serait cependant pas capable d’importer les exemplaires. [Je souligne.]

[54]Ce passage du Rapport de la Commission Ilsley traitait de la disposition qui a trait au recours pour l’importation des exemplaires défendus (l’ancien article 27 et l’actuel article 44 [mod. par L.C. 1999, ch. 17, art. 119]) et non pas la disposition concernant la violation à une étape ultérieure par l’importation (l’ancien paragraphe 17(4) et l’actuel alinéa 27(2)e)). Dans l’arrêt Clarke, le juge Spence a cependant étendu l’application de ce raisonnement à la violation à une étape ultérieure par l’importation.

[55]Les décisions jurisprudentielles qui ont suivi n’ont fait qu’appliquer l’affaire Clarke. Voir : Roy Export Co. Establishment c. Gauthier, [1973] A.C.F. no 401, (C.F. 1re inst.) (QL); Godfrey, MacSkimming & Bacque Ltd. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1973), 1 O.R. (2d) 362 (H. C. J.); Fly by Nite Music Co. Ltd. c. Record Wherehouse Ltd., [1975] C.F. 386 (C.F. 1re inst.); A & M Records of Canada Ltd.  v. Millbank Music Corp. Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 354 (C.F. 1re inst.); Dictionnaires (Les) Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. et al., [1987] A.C.F. no 1 (C.F. 1re inst.) (QL). Dans toutes ces causes, pour établir la violation de son droit d’auteur à une étape ultérieure concernant un produit importé, les demandeurs ont prouvé qu’ils avaient le droit exclusif d’employer au Canada le droit d’auteur en question et que les exemplaires importés par les défendeurs n’avaient pas été produits par les demandeurs.

2. Application du droit aux faits

[56]Il n’y a aucune preuve directe identifiant la personne qui a reproduit en Europe les œuvres protégées sur les emballages des produits mis sur le marché canadien par Euro Excellence. Sans doute le premier juge a‑t‑il inféré des faits qui étaient devant lui que ces exemplaires des œuvres protégées avaient été produits en Europe en vertu d’une licence qui n’était pas celle de KCI puisqu’en l’absence de preuve contraire, KCI est présumée ne pas avoir outrepassé les limites de sa licence. Il s’ensuit que cette reproduction, faite vraisemblablement en Europe par KFB et KFS ou sous licences autorisées par elles, n’enfreint pas la Loi, vu les termes du dernier paragraphe de la définition de « contrefaçon » (infringing) à l’article 2 de la Loi :

2. [. . .]

La présente définition exclut la reproduction [. . .] faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production. [Je souligne.]

[57]L’importation des œuvres protégées en vue de la vente, etc., dans les circonstances décrites à l’alinéa 27(2)e) de la Loi, constitue cependant une violation à une étape ultérieure, pour les raisons qui suivent.

[58]Dans l’affaire CCH, paragraphe 81, la Cour suprême du Canada, citant avec approbation le juge Rothstein de notre Cour (CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2002] 4 C.F. 213 (C.A.F.), au paragraphe 271), affirmait que trois éléments étaient en général requis pour prouver la violation à une étape ultérieure : 1) qu’il y ait d’abord une violation initiale du droit d’auteur; 2) que l’auteur de la violation à une étape ultérieure sache ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation initiale du droit d’auteur; 3) et que cet auteur ait posé un des actes contenus dans l’énumération du paragraphe 27(2) de la Loi. La Cour suprême  du  Canada  ajoutait,  au  paragraphe 82 « [v]u l’absence de violation initiale, il ne peut y avoir de violation à une étape ultérieure ».

[59]La preuve d’une violation initiale du droit d’auteur n’est cependant pas requise dans le cas de l’alinéa 27(2)e) de la Loi. Dans le cas d’un exemplaire importé dans les circonstances visées par l’alinéa 27(2)e), la Loi reconnaît en effet, au dernier paragraphe de la définition de « contrefaçon » (“infringing”) à l’article 2 de la Loi, l’existence de la contrefaçon :

2. [. . .]

La présente définition exclut la reproduction—autre que celle visée par l’alinéa 27(2)e) [. . .] [Je souligne.]

[60]Ceci dit, de par les termes mêmes du paragraphe 27(2) de la Loi, dans le cas d’un produit importé dans les conditions visées à l’alinéa 27(2)e), il y a violation du droit d’auteur à une étape ultérieure dans l’accom-plissement des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c), quand la production ou la reproduction de l’œuvre en question constituerait une violation si elle avait été produite au Canada par la personne qui l’a produite. Ainsi, les reproductions des œuvres protégées faites hors du Canada, même par les titulaires des droits d’auteur KFB et KFS, ne peuvent être importées au Canada par Euro Excellence en vue de l’un ou l’autre des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c), sans qu’il y ait violation du droit d’auteur de KCI à une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif de reproduction pour le Canada, même à l’égard de KFB et de KFS, et qu’Euro Excellence connaissait l’enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux œuvres.

[61]Il y a donc eu violation à une étape ultérieure du droit d’auteur de KCI par Euro Excellence.

[62]J’aborde maintenant la seconde question.

B.       Dans l’affirmative, y a‑t‑il lieu au prononcé d’une détermination des profits, comme l’a fait le premier juge?

[63]Le paragraphe 35(1) de la Loi dispose :

35. (1) Quiconque viole le droit d’auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages‑intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu’il a réalisés en commettant cette violation et qui n’ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages‑intérêts. [Je souligne.]

[64]Le premier juge, au paragraphe 67 de ses motifs, a fixé à la somme de 300 000 $ les profits qui originent de la contrefaçon. Il qualifie cette somme de dommages‑ intérêts. Le premier juge a expliqué son raisonnement de la façon suivante :

Les ventes brutes d’Euro Excellence ont été divulguées dans le cadre d’une ordonnance de confidentialité et les parties ont convenu que si des dommages‑intérêts étaient accordés, ceux‑ci devraient être de l’ordre d’un pourcentage convenu des ventes brutes. Ayant cela à l’esprit, je fixe les dommages‑intérêts dus à Kraft Canada Inc. à 300 000 $.

[65]L’appelante soutient que le premier juge a fait une application erronée et non justifiée des principes en matière de remise des profits. Selon elle, les parties se sont entendues et l’appelante a admis, lors de l’audience, que la marge bénéficiaire de l’appelante sur la vente des produits en litige est de l’ordre de 25 pour cent. C’est donc, dit‑elle, de manière totalement arbitraire que le premier juge a retenu la responsabilité de l’appelante à environ 42 pour cent des profits attribuables à la vente des produits Toblerone et Côte d’Or.

[66]L’appelante prétend de plus que le premier juge a omis de déduire les coûts encourus par elle, notam-ment ceux relatifs à la machine à étiqueter (C.A., vol. II, onglet 21, page 236, paragraphe 38 et pages 352 à 354).

[67]Les intimées soumettent pour leur part, au paragraphe 123 de leur mémoire :

[traduction]

123. Toutefois, en l’espèce, les parties ont expressément convenu à l’audience de la demande que le montant des bénéfices retirés par Euro Excellence par suite de sa violation équivalait à un montant se situant entre 10 et 25 p. 100 des recettes brutes. Au cours de la période pertinente (du 28 octobre 2002 au 3 mai 2004), les recettes brutes s’élevaient au moins à 2,8 millions de dollars.

[68]Le dossier ne nous indique pas comment les intimées peuvent affirmer que durant la période pertinente du 28 octobre 2002 au 3 mai 2004, [traduction[ « les recettes brutes s’élevaient au moins à 2,8 millions de dollars ». Par ailleurs, ce dont parle l’appelante est de sa marge bénéficiaire sur la vente des produits en litige.

[69]Devant le caractère peu satisfaisant du dossier à cet égard, et dans l’intérêt de la justice, je n’ai d’autre choix que celui de retourner le dossier au premier juge pour qu’il puisse clarifier les représentations des parties et qu’il adjuge de nouveau sur les bénéfices dérivant de la contrefaçon. À cela j’ajoute la révision des intérêts, de façon à ce que ce sujet puisse être considéré dans son ensemble.

V. L’APPEL INCIDENT

[70]KCI sollicite une ordonnance de la Cour défendant à Euro Excellence de posséder ou d’importer les produits en cause au Canada en vue de l’accomplissement de l’un ou l’autre des actes prévus aux alinéas 27(2)a) à c) de la Loi.

[71]Le premier juge ne fit pas écho à ces demandes qui étaient pourtant contenues dans la demande d’injonction (C.A., vol. I, page 37, à la page 39). Il rejeta une requête à cet effet présentée par KCI après le prononcé du jugement (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 2004 CF 832, aux paragraphes 1 à 5). Il s’expliqua ainsi aux paragraphes 1 et 4 de ses motifs :

Étant donné que le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur stipule que la possession ou l’importation au Canada d’œuvres protégées à ces fins constitue une violation du droit d’auteur, Kraft soutient que j’ai omis par inadvertance d’inclure possession et importation dans l’ordonnance. Ce n’est pas le cas. J’ai délibérément exclus les termes possession et importation dans l’ordonnance.

[. . .]

Il n’est pas contraire à la Loi sur le droit d’auteur d’importer au Canada et de posséder des tablettes de chocolat Toblerone et Côte d’Or dans des emballages affichant les œuvres protégées. Ce qui importe, c’est de déterminer dans quel but elles sont importées et possédées. Un voyageur qui apporte une tablette de chocolat Toblerone ou Côte d’Or au Canada, la consomme ici, et jette l’emballage n’est pas en violation de la loi. Je n’avais pas l’intention d’interdire à Euro Excellence d’importer et de posséder les tablettes de chocolat dans leur emballage original. Je n’ai certainement pas mentionné qu’il fallait corriger le problème de la contrefaçon des emballages en Europe. Pourvu qu’Euro Excellence fasse en sorte que les emballages ne constituent pas des contrefaçons, que ce soit au Canada ou ailleurs, avant de vendre, mettre en circulation, exposer ou offrir en vente le produit en question, elle ne se trouvera pas à violer le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur.

[72]Lors de l’audition devant nous, KCI a concédé que l’ajout des interdictions contenues aux alinéas 27(2)d) et e) n’est pas nécessaire vu que le premier juge a prononcé l’injonction à l’égard de l’accomplissement des actes prévus aux alinéas 27(2)a), b) et c). Ainsi, puisqu’Euro Excellence ne peut ni vendre, ni mettre en circulation, ni offrir en vente les produits protégés, Euro Excellence ne peut non plus les posséder ou les importer en vue de les vendre, les mettre en circulation, ou les offrir en vente.

[73]Les demandes contenues dans l’appel incident sont donc superflues. L’appel incident devrait être rejeté.

VI. CONCLUSION

[74]Je rejetterais l’appel à l’égard des paragraphes 1, 2 et 6 du jugement prononcé par le premier juge. J’accueillerais l’appel à l’égard des paragraphes 3, 4 et 5, j’infirmerais la décision du premier juge à leur sujet et je lui retournerais le dossier pour une nouvelle détermination de ces paragraphes à la lumière des motifs exprimés plus haut.

[75]Je rejetterais l’appel incident.

[76]Je n’accorderais pas de dépens vu le succès partagé.

Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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