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T-657-05

2005 CF 1361

Fondation Redeemer (demanderesse)

c.        

Le ministre du Revenu national (défendeur)

Répertorié : Fondation Redeemer c. M.R.N. (C.F.)

Cour fédérale, juge Hughes-- Toronto, 28 septembre; 4 octobre 2005.

Impôt sur le revenu -- Pratique -- Contrôle judiciaire de la décision prise par un vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) de réclamer à la demanderesse des renseignements et de la documentation sur les donateurs tiers présumément en vertu des art. 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu -- L'ADRC a soumis la demanderesse, un organisme de bienfaisance enregistré, à trois vérifications -- L'ADRC a demandé et obtenu de la demanderesse des renseignements au sujet de la liste des donateurs -- L'ADRC a écrit aux donateurs concernant l'établissement possible d'une nouvelle cotisation à leur endroit et le refus de leur accorder les crédits d'impôt demandés -- L'ADRC a ensuite demandé verbalement à la demanderesse de fournir des renseignements de même nature pour d'autres années d'imposition et la demanderesse s'est pliée à sa demande -- Le ministre n'a jamais demandé ni obtenu d'ordonnance judiciaire à l'égard des renseignements en question -- L'art. 231.2 de la Loi prévoit que le ministre peut exiger d'un tiers qu'il fournisse des renseignements pour déterminer s'il se conforme à la Loi -- L'art. 231.2 a clairement pour objet de protéger les tiers contre la communication de renseignements concernant leurs activités par d'autres personnes soumises à une vérification du ministre à des fins d'imposition -- Il est illégal d'obtenir, au cours de la vérification visant un contribuable, des renseignements sur d'autres contribuables afin d'établir à leur endroit une nouvelle cotisation, sans avoir obtenu au préalable une ordonnance judiciaire en ce sens.

Pratique -- Parties -- Qualité pour agir -- La demanderesse, un organisme de bienfaisance enregistré, contestait la demande d'un vérificateur de l'ADRC visant à obtenir la liste des donateurs -- La Cour a conclu à l'illégalité de la demande -- Selon l'art. 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, « quiconque est directement touché » par une mesure peut contester celle-ci -- La demanderesse avait qualité pour contester la mesure illégale prise par le ministre parce qu'elle a tenu et produit les renseignements en question -- Lorsqu'il demande des renseignements, le vérificateur n'est pas un « office » et il ne prend pas une « décision ».

Compétence de la Cour fédérale -- Réparation -- L'art. 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour les pouvoirs d'accorder une réparation et d'annuler une mesure illicite -- La Cour a conclu que le vérificateur de l'ADRC avait demandé à tort les renseignements et qu'il était inapproprié pour le ministre de s'en servir -- La demanderesse a manifestement droit à un jugement déclaratoire portant que la demande de renseignements était illicite et à la remise du matériel obtenu de manière illicite -- L'art. 18.1(3) est suffisamment large pour viser les actes découlant de l'acte fautif initial -- La Cour a annulé les nouvelles cotisations fondées sur les renseignements obtenus de façon illégale.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par un vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) au nom du défendeur, le ministre du Revenu national, de réclamer à la demanderesse des renseignements et de la documentation sur les donateurs tiers, présumément en vertu des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La demanderesse, un organisme de bienfaisance enregistré, gère un fonds, le Programme des prêts à remboursement conditionnel (le PPRC), qui est semble-t-il affecté à l'avancement de l'apprentissage fondé sur les enseignements chrétiens du Collège universitaire Redeemer. Ce programme prévoit notamment la fourniture de fonds à la Fondation par des « donateurs », soit les parents et d'autres personnes entretenant des rapports étroits avec les étudiants du Collège. L'ADRC a soumis la demanderesse à trois vérifications entre 1998 et 2003. Lors de la deuxième vérification, l'ADRC a obtenu sur demande de la demanderesse une liste des donateurs du PPRC. À la suite des deux premières vérifications, l'ADRC a écrit à plusieurs de ces donateurs pour leur faire part de son intention de réexaminer leur assujettissement à l'impôt et de refuser certains crédits demandés à l'égard de leurs dons au PPRC. L'ADRC a avisé par la suite les donateurs qu'il n'y aurait pas de nouvelle cotisation et qu'aucune modification ne serait apportée aux crédits demandés. Pendant la dernière vérification, un vérificateur de l'ADRC a demandé verbalement à la demanderesse des renseignements au sujet des donateurs du PPRC pour les années d'imposition 2001 et 2002 et la demanderesse lui a fournis les renseignements en cause de son plein gré. La demande de contrôle judiciaire portait uniquement sur ces renseignements. La demanderesse a appris ensuite que l'ADRC communiquait avec plusieurs des donateurs dont le nom figurait sur la liste fournie. En 2004, l'ADRC a de nouveau demandé à la demanderesse des renseignements de même nature. La demanderesse avait reçu entre-temps un avis selon lequel il serait inapproprié de fournir des renseignements de ce genre à d'autres fins qu'une vérification visant la demanderesse, sans que l'ADRC ait obtenu au préalable une ordonnance judiciaire, ordonnance que le ministre n'a jamais demandé. La question en litige était de savoir si la Cour peut empêcher le ministre d'établir des cotisations sur la foi de renseignements obtenus de manière illicite et si elle peut contraindre le ministre à annuler ou à retirer une cotisation déjà établie.

Jugement : la demande doit être accueillie.

En vertu du régime prévu à l'article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre peut exiger d'un tiers qu'il fournisse des renseignements et des documents utiles pour déterminer s'il se conforme à la loi. Il ne peut toutefois exiger du tiers qu'il fournisse des renseignements ou des documents concernant des personnes non désignées nommément sur lesquelles il souhaite mener une enquête, sans avoir obtenu préalablement une ordonnance judiciaire. En examinant l'article 231.2 d'un point de vue fonctionnel et pragmatique, il ressort clairement que cette disposition avait pour objet de protéger les tiers contre la communication de renseignements sur leurs activités par d'autres personnes soumises à une vérification du ministre, qui utiliserait ensuite ces renseignements à des fins d'imposition. Bien que l'article 231.2 prévoie la présentation par le ministre d'une demande écrite en ce sens, de même que le refus d'accéder à cette demande, l'obligation d'obtenir au préalable une ordonnance ne saurait se limiter aux situations particulières de ce genre. S'il en était autrement, cela inciterait le ministre à tenter par d'autres moyens d'obtenir les renseignements en question. L'article 231.2 n'aurait pas établi l'obligation d'obtenir préalablement une ordonnance judiciaire s'il était tellement facile de contourner cette disposition. Il est donc inapproprié d'obtenir, au moyen de la vérification visant un contribuable, des renseignements sur d'autres contribuables en vue d'utiliser ces renseignements pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de ces autres contribuables sans avoir obtenu au préalable une ordonnance judiciaire. Le vérificateur de l'ADRC a commis une faute en demandant ces renseignements, et le ministre a fait de même en s'en servant.

Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales autorise « quiconque est directement touché » par une mesure à contester celle-ci. La demanderesse avait qualité pour présenter la demande dont il était question en l'espèce, vu qu'elle a tenu et produit les renseignements en cause. L'utilisation de ces renseignements a manifestement compromis la relation entre la demanderesse et les donateurs dont le nom figurait dans les renseignements. De toute évidence, la demanderesse était « directement touchée » par les actes en cause. Le vérificateur, en demandant les renseignements en question, n'a pas agi en tant qu'« office », et il n'a pris aucune « décision ». Il a simplement commis un acte illégal en outrepassant les limites de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le paragraphe 18.1(3) confère à la Cour les pouvoirs d'accorder une réparation et d'annuler, de prohiber ou de restreindre toute décision, ordonnance ou tout autre acte. L'obtention de renseignements sur les donateurs a été annulée au motif qu'elle était illégale. Cet acte illégal a entraîné l'établissement de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs en question. Le paragraphe 18.1(3) ne vise pas uniquement la décision en cause; il est suffisamment large pour viser les actes commis à la suite de l'acte illégal initial. Par conséquent, les nouvelles cotisations établies par le ministre sur la foi des renseignements obtenus illégalement ont été annulées.

lois et règlements cités

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppL.), ch. 1, art. 231.1(1), 231.2(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176), (2), (3) (mod. par L.C. 1996, ch. 21, art. 58).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), tarif B, colonne III.

jurisprudence citée

décision appliquée :

Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229; (1993), 102 D.L.R. (4th) 696; 10 C.E.L.R. (N.S.) 204; 61 F.T.R. 4 (1re inst.).

décisions examinées :

Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] 2 C.T.C. 25; 2005 DTC 5165; 330 N.R. 378; 2005 CAF 68; M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44; [1995] 2 C.T.C. 140; (1995), 95 DTC 5358 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision prise par un vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada au nom du défendeur, le ministre du Revenu national, de réclamer à la demanderesse des renseigne-ments et de la documentation sur les donateurs tiers, présumément en vertu des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Demande accueillie.

ont comparu :

Jacqueline L. King et Erin M. Tully pour la demanderesse.

Peter A. Vita, c.r. et Aleksandrs Zemdegs pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Miller Thompson SENCRL, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1] Le juge Hughes : Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par un vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) au nom du défendeur, le ministre du Revenu national, de réclamer le 14 mai 2003 à la demanderesse des renseignements et de la documentation sur les donateurs tiers, présumément en vertu des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) [mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176] de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, et ses modifications (la Loi).

[2]La demanderesse, la Fondation Redeemer (la Fondation), se présente comme un organisme de bienfaisance enregistré qui exerce ses activités depuis 1987. Elle gère un fonds, le Programme des prêts à remboursement conditionnel (PPRC), que l'ont dit être affecté exclusivement à l'avancement de l'apprentissage fondé sur les enseignements chrétiens du Collège universitaire Redeemer (le Collège). Ce programme prévoit notamment la fourniture de fonds à la Fondation par les parents et d'autres personnes entretenant des rapports étroits avec les étudiants du Collège. On appelle ces personnes des donateurs. À un moment donné au début de la prestation du programme, une décision en matière d'impôt a été obtenue relativement à certains aspects du régime administré par la Fondation.

[3]L'ADRD a soumis la Fondation à trois vérifications : la première en 1998 (pour l'année d'imposition 1997), la deuxième en 2001 (pour les années d'imposition 1998 à 2000), et la troisième en 2003 (pour les années d'imposition 2001 et 2002). En octobre 1998, l'ADRC a assujetti la Fondation à une vérification à la suite de laquelle elle a identifié des personnes qui avaient versé des dons au PPRC durant l'année d'imposition 1997. Pendant la vérification de 2001, l'ADRC a obtenu sur demande de la Fondation une liste des donateurs du PPRC. À la suite de ces deux vérifications, l'ADRC a envoyé à plusieurs de ces donateurs une lettre dans laquelle elle faisait part de son intention de réexaminer leur assujettissement à l'impôt et de refuser certains crédits demandés à l'égard de leurs dons au PPRC. L'ADRC a envoyé par la suite aux donateurs une autre lettre les avisant, sans donner d'autres explications, qu'il n'y aurait pas de nouvelle cotisation et qu'aucune modification ne serait apportée aux crédits demandés.

[4]Le 14 mai 2003, lors d'une rencontre avec les représentants de la Fondation, un vérificateur de l'ADRC leur a demandé verbalement des renseignements de même nature au sujet des donateurs du PPRC pour les années d'imposition 2001 et 2002. La Fondation a encore une fois fourni une liste des donateurs pour ces années-là. Vers la fin de 2004 ou au début de 2005, la Fondation a appris que l'ADRC communiquait avec plusieurs des donateurs dont le nom figurait sur la liste fournie pour les aviser qu'elle établirait de nouvelles cotisations à leur endroit et refuserait de leur accorder un crédit à l'égard du PPRC.

[5]De plus, l'ADRC a de nouveau demandé à la Fondation, en mai 2004, de lui communiquer des renseignements sur l'identité des donateurs du PPRC et sur ses transactions avec ceux-ci. La Fondation avait reçu entre-temps un avis selon lequel il serait inapproprié pour l'ADRC de recevoir des renseignements de ce genre à d'autres fins qu'une vérification visant la demanderesse sans avoir obtenu au préalable de la Cour une ordonnance en vertu des paragraphes 231.2(2) et (3) [mod. par L.C. 1996, ch. 21, art. 58] de la Loi de l'impôt sur le revenu. La Fondation a donc refusé de communiquer ces renseignements. Le ministre n'a ni demandé ni obtenu une ordonnance de cette nature, et il n'a pris aucune autre mesure se rapportant à la demande de ces renseignements.

[6]La présente demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur la liste des donateurs et sur les renseignements connexes que l'ADRC a demandés verbalement le 14 mai 2003 et que la Fondation lui a communiqués « volontairement ». On n'a jamais demandé ou obtenu de la Cour une ordonnance à l'égard des renseignements susmentionnés avant la présentation de la demande. La Fondation réclame un jugement déclaratoire portant que la demande de ces renseignements est inappropriée, qu'il faut remettre les documents renfermant ces renseignements et que le ministre ne peut agir sur la foi de tels renseignements, par exemple, en établissant de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs identifiés.

[7]Les dispositions pertinentes dans la présente instance de contrôle judiciaire sont l'alinéa 231.1(1)a) et les paragraphes 231.2(1), (2) et (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui se lisent comme suit :

231.1. (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l'application et l'exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d'une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi

[. . .]

231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque--appelé « tiers  » au présent article--la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d'un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d'une personne non désignée nommément--appelée « groupe » au présent article --, s'il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

[8]Les circonstances de la demande de l'ADRC, représentée par M. Consoli, sont exposées aux paragraphes 21, 22 et 23 de l'affidavit de M. van Staalduinen, directeur général de la Fondation. Il y affirme ce qui suit :

[traduction]

21. Le 14 mai 2003, j'ai rencontré M. Dominic Consoli, un autre vérificateur de l'évitement fiscal du bureau de M. Walmsley. M.Consoli a demandé différents articles, dont une liste des personnes ayant versé des dons au PPRC au cours des années d'imposition 2001 et 2002 et des reçus de dons renfermant notamment le nom du donateur, le montant et la date du don et le numéro de reçu. Selon les notes manuscrites que j'ai prises durant la rencontre, M. Consoli était censé communiquer à nouveau avec moi « avant que l'ADRC établisse de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs, et elle devait nous donner l'occasion de présenter des observations et de faire appel à nos conseillers juridiques et à nos conseillers comptables ». Cette mention va dans le sens de mon opinion suivant laquelle M. Consoli avait demandé le nom des donateurs pour les années d'imposition 2001 et 2002 afin d'enquêter sur les déductions pour don de bienfaisance réclamées par les donateurs. Ci-joint à titre de pièce « I » copie des notes manuscrites que j'ai prises lors de cette rencontre.

22. J'ai remis à M. Consoli, par lettre datée du 20 mai 2003, la liste des donateurs de la Fondation pour les années d'imposition 2001 et 2002 qu'il avait demandée lors de notre rencontre du 14 mai 2003. Une copie de ma lettre du 20 mai 2003 adressée à M. Consoli qui accompagnait la liste des donateurs pour ces années est jointe à la présente à titre de pièce « J ». Près de 1 000 noms et dates, montants et numéros de reçu des dons figurent dans la liste des donateurs. Cette liste a été exclue de la pièce « J » pour protéger les renseignements personnels concernant les donateurs. La liste sera mise, si nécessaire, à la disposition de la Cour.

23. J'ai remis les documents à M. Consoli parce que je croyais que la Fondation était tenue par la loi de le faire.

[9]La position adoptée par la Fondation dans la présente demande de contrôle judiciaire est qu'une telle demande de renseignements, même lorsqu'elle est faite verbalement et qu'on y a accédé volontairement à ce moment-là, est nulle au motif qu'une ordonnance prévue au paragraphe 231.2(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'a pas été obtenue ou demandée par le ministre. Par conséquent, il faut remettre à la Fondation les documents contenant les renseignements demandés et annuler toute mesure prise à l'endroit des donateurs ainsi identifiés.

[10]Selon le ministre défendeur, il était tout à fait approprié pour le vérificateur de l'ADRC de demander ces renseignements dans l'exercice du pouvoir de vérification que lui confère le paragraphe 231.1(1) de la Loi. Si les renseignements sont communiqués volontairement, le ministre n'est pas tenu d'avoir recours à l'article 231.2, une disposition applicable seulement en cas de refus d'accéder volontairement à la demande. Le ministre allègue aussi que la Fondation n'a pas qualité pour contester les mesures prises par le ministre, notamment l'établissement de nouvelles cotisations à l'endroit des donateurs; seuls les donateurs ont qualité pour contester ces mesures. En outre, le ministre conteste la compétence de la Cour pour l'empêcher de prendre des mesures sur la foi de ces renseignements.

[11]La Cour d'appel fédérale a récemment examiné la nature et l'effet des dispositions figurant aux paragraphes 231.2(1), (2) et (3) dans l'arrêt Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] 2 C.T.C. 25. La Cour d'appel y a étudié les pouvoirs invoqués par le ministre en l'espèce, et a avancé les mêmes arguments que ceux du ministre. Le juge Rothstein a conclu ce qui suit aux paragraphes 8 à 11 de cet arrêt [2005 CAF 68] :

Tel que je comprends le régime prévu à l'article 231.2, le ministre peut exiger d'un tiers qu'il fournisse des renseignements et des documents utiles pour déterminer s'il se conforme à la Loi. Il ne peut toutefois pas exiger du tiers qu'il fournisse des renseignements ou des documents concernant des personnes non désignées nommément sur lesquelles il souhaite mener une enquête, sans y être au préalable autorisé par un juge. Le juge peut autoriser le ministre à exiger la fourniture de ces renseignements ou de ces documents seulement si les personnes non désignées nommément sont identifiables et s'il est convaincu que la fourniture est nécessaire pour vérifier si ces personnes se conforment à la Loi.

Le ministre dit que la restriction visant l'obtention de renseignements ou de documents concernant des personnes non désignées nommément s'applique seulement si le tiers ne fait pas lui-même l'objet d'une enquête. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le tiers, Artistic, fait l'objet d'une enquête, le paragraphe 231.2(2) ne s'applique pas. Le ministre se fonde sur des arrêts comme James Richardson and Sons, Ltd. c. M.R.N., [1984] 1 R.C.S. 614 et Banque canadienne de commerce c. Procureur général du Canada, [1962] R.C.S. 729, pour soutenir que son pouvoir d'obtenir le nom de personnes non désignées nommément est très large et que le fait que les documents demandés puissent contenir des renseignements confidentiels concernant des personnes non désignées nommément est hors de propos. Il prétend que le paragraphe 231.2(2) s'applique seulement de manière à l'empêcher de faire une « recherche à l'aveuglette » au sujet d'autres contribuables lorsque le tiers ne fait pas lui-même l'objet d'une enquête. Ces arrêts sont antérieurs aux paragraphes 231.2(2) et (3), dont l'adoption semble cependant avoir été motivée, à tout le moins en partie, par l'arrêt Richardson. Bien que ces arrêts fournissent des renseignements généraux utiles, les dispositions législatives applicables ont changé depuis qu'ils ont été rendus.

Selon la preuve en l'espèce, ce sont les donateurs qui sont censés faire l'objet d'enquêtes, de la part du ministre. Il s'agit précisément des personnes auxquelles les paragraphes 231.2(2) et (3) s'appliquent. Si le ministre veut qu'Artistic lui communique leur nom, il doit obtenir l'autorisation d'un juge. Or, une telle autorisation n'a pas été obtenue en l'espèce et le ministre ne peut pas, par conséquent, exiger d'Artistic qu'elle fournisse des renseignements concernant les donateurs.

Par contre, les paragraphes 231.2(2) et (3) ne s'appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles-mêmes l'objet d'une enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour l'enquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément, vu que le paragraphe 231.2(2) vise seulement les personnes non désignées nommément à l'égard desquelles le ministre peut obtenir l'autorisation d'un juge en vertu du paragraphe 231.2(3).

[12]En l'espèce, des preuves révèlent que le ministre s'est servi des renseignements fournis par la Fondation en réponse à la demande du 14 mai 2003 pour communiquer avec les donateurs identifiés dans le but d'établir de nouvelles cotisations à leur égard. À l'alinéa 32a) de son affidavit, M. van Staalduinen affirme personnellement savoir que près de 25 donateurs ont reçu un avis de nouvelle cotisation. Il a dit en contre- interrogatoire que ce nombre se situe probablement entre 45 et 50 (question 302).

[13]La situation est-elle différente lorsque le ministre fait une demande verbale plutôt qu'écrite et que le contribuable lui fournit volontairement les renseignements demandés? Le mal auquel devait s'attaquer l'article 231.2 a été étudié par le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans la décision M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.), aux pages 51 à 53 :

Bien que les arrêts Richardson et Bruyneel permettent de faire une mise en contexte utile, il est important de remarquer que la loi applicable aujourd'hui est différente de celle qui s'appliquait alors. Le point de vue restrictif adopté dans ces arrêts était justifié par l'ampleur de la disposition, qui, interprétée trop libéralement, aurait ouvert la porte à des abus de la part du fisc.

[. . .]

L'avocat du ministre avance, et je suis d'accord, que l'article 231.2 a été adopté pour régler ces difficultés. À la différence du paragraphe 231(3), les paragraphes 231.2(2) et (3) indiquent expressément le processus que le ministre doit suivre pour obtenir que des tiers lui fournissent des renseignements ou des documents se rapportant à des contribuables non désignés nommément. Une demande ministérielle adressée à des tiers afin d'obtenir des renseignements au sujet des affaires fiscales d'une autre personne nécessite maintenant l'autorisation d'un tribunal. En vertu du paragraphe 231.2(3), il doit y avoir dénonciation sous serment portant que : la personne est identifiable; le but poursuivi est celui de vérifier l'observation de la Loi par la personne; il est raisonnable de s'attendre, pour n'importe quel motif, à découvrir une infraction à la Loi; il n'est pas possible d'obtenir plus facilement les renseignements recherchés. Forcer le ministre à se conformer à cette procédure règle la question des effets néfastes décrits dans l'arrêt Richardson, et a aussi pour but de prévenir les recherches à l'aveuglette.

[]

Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux-mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c'est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d'exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l'autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu'une fois qu'il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3). Cependant, si l'on satisfait aux exigences de ce paragraphe, cette atteinte à la vie privée est autorisée. Il n'y a pas d'interdiction absolue d'obtenir de tiers le nom de contribuables et, de fait, l'article 231.2 prévoit maintenant une procédure par laquelle on peut obtenir ces renseignements.

[14]En examinant cette loi d'un point de vue fonctionnel et pragmatique, il ressort clairement que le législateur avait l'intention de protéger les tiers contre la communication de renseignements sur leurs activités par d'autres personnes soumises à une vérification du ministre, qui utiliserait ensuite ces renseignements à des fins d'imposition. Bien que l'article 231.2 prévoie la présentation par le ministre d'une demande écrite en ce sens, de même que le refus d'accéder à cette demande, l'obligation d'obtenir au préalable une ordonnance ne saurait se limiter aux situations particulières de ce genre. S'il en était autrement, cela inciterait les fonctionnaires et les agents du ministres à tenter par d'autres moyens, notamment en employant la manière douce, le subterfuge ou la ruse ou en profitant de l'innocence, de l'étourderie ou d'une erreur d'un contribuable, d'obtenir des renseignements par ailleurs non disponibles au sujet d'un tiers. Le législateur n'aurait pas établi l'exigence d'obtenir une ordonnance judiciaire avant de recevoir de tels renseignements s'il était tellement facile de contourner cette disposition.

[15]Il est donc inapproprié d'obtenir, au moyen de la vérification visant un contribuable, des renseignements sur un autre contribuable en vue d'utiliser ces renseignements pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de cet autre contribuable sans avoir d'abord obtenu comme il se doit une ordonnance de la Cour. En l'espèce, le vérificateur de l'ADRC a commis une faute en demandant ces renseignements, et le ministre a fait de même en s'en servant.

[16]L'avocat du ministre soutient en l'espèce que, même en supposant que ces actes soient fautifs, la Fondation n'a pas qualité pour les contester. Selon l'avocat du ministre, l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], autorise seulement le procureur général ou « quiconque est directement touché » [soulignement ajouté] par l'objet de la demande à présenter celle-ci. Un argument semblable a été formulé dans Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229 (1re inst.), où la juge Reed a étudié en profondeur le contexte de l'article 18.1 et conclu ce qui suit à la page 283 :

Je suis d'avis que le libellé du paragraphe 18.1(1) attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l'espèce et le type d'intérêt qu'a le requérant justifient cette reconnaissance.

[17]Ce sont les renseignements détenus par la demanderesse qui font l'objet du présent litige. La demanderesse les a tenus et produits. Il sont utilisés d'une manière qui compromet manifestement la relation entre la demanderesse et les donateurs dont le nom figure dans les renseignements. De toute évidence, la demanderesse est directement touchée par les actes en cause et a qualité pour présenter la demande dont il est question en l'espèce.

[18]Le ministre allègue que le vérificateur, en demandant les renseignements en question, a agi en tant qu'office fédéral, et a pris une décision à laquelle s'applique la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le vérificateur n'est pas un « office », et il n'a pris aucune « décision ». Le vérificateur a simplement outrepassé les limites de la Loi. Il a commis un acte illégal. Il ne peut pas être question de retenue en l'espèce.

[19]La question qui se pose alors est la nature de la réparation qui peut être accordée, le cas échéant. De toute évidence, la demanderesse a droit à un jugement déclaratoire en sa faveur et à la remise des documents et du matériel en la possession du ministre qui ont été obtenus de manière illicite. La Cour peut-elle interdire au ministre d'agir sur la foi de tels renseignements?

[20]Le ministre fait valoir que seule la Cour cana-dienne de l'impôt peut examiner et annuler une cotisation, mais là n'est pas la question en l'espèce. La question en l'espèce est de savoir si la Cour peut empêcher le ministre d'établir en premier lieu une cotisation sur la foi de renseignements obtenus de manière illicite et si elle peut contraindre le ministre à annuler ou à retirer une cotisation déjà établie. Il n'existe, semble-t-il, aucun précédent en la matière.

[21]Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour le pouvoir d'accorder une réparation dans des circonstances comme celles prévues ci-dessous :

18.1 [. . .]

(3) Sur présentation dune demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

[22]Ces pouvoirs comprennent les suivants : « infirmer [] prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance ou [] acte » [soulignement ajouté]. En l'espèce, l'acte fautif initial, qui sera annulé, consistait à obtenir illégalement des renseignements sur les donateurs. Cet acte illégal a entraîné l'établissement de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs en question. Le paragraphe 18.1(3) ne vise pas uniquement la décision en cause : le mot « décision », tel qu'employé dans cette disposition, est suffisamment général pour englober les actes commis à la suite de l'acte illégal initial. Les nouvelles cotisations établies par le ministre sur la foi des renseignements obtenus illégalement seront donc annulées.

[23]Comme elle a eu gain de cause, la demanderesse a droit à ses dépens selon la valeur la plus élevée du tarif B de la colonne III [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

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