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T‑917‑05

2006 CF 138

Finger‑Shield (UK) Limited et Frank Joseph Garvey (demandeurs)

c.

Le commissaire aux brevets (défendeur)

Répertorié : Finger‑Shield (UK) Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.F.)

Cour fédérale, juge suppléant Strayer—Saskatoon (Saskatchewan), 13 janvier; Ottawa, 6 février 2006.

Brevets — Pratique — Contrôle judiciaire de la décision du commissaire aux brevets par laquelle il a refusé l’entrée d’un brevet dans la phase nationale au Canada — La demande initiale a été présentée en Suisse au mois d’août 1999 — En février 2003, les demandeurs ont présenté une demande d’entrée dans la phase nationale du Canada — Ils y ont joint une autorisation de paiement permettant le prélèvement sur leur compte permanent du montant de la taxe nationale de base et de la taxe annuelle pour le maintien de la demande exigée aux termes des Règles sur les brevets — Les demandeurs n’ont versé la surtaxe pour paiement en souffrance qu’en avril 2003 lorsque le versement a été exigé — On les a plus tard informé que la surtaxe ne serait pas acceptée parce que le paiement n’avait pas été effectué dans le délai de 42 mois prévu à l’art. 58(3)b) — Interprétation de l’art. 58(3)b) — Cette règle exigeait que la surtaxe pour le paiement en souffrance soit versée dans les 42 mois suivant la date du dépôt de la demande internationale, c’est‑à‑dire avant février 2003.

lois et règlements cités

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 18 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Règles sur les brevets, DORS/96‑423, art. 3.1 (édicté par DORS/2003‑208, art. 2), 58(1),(2),(3) (mod. par DORS/2002‑120, art. 1), ann. II, art. 10a) (mod. par DORS/2003‑208, art. 15), 11.

Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22.

jurisprudence citée

décision suivie :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions examinées :

Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325; 2001 CFPI 879; conf. par [2003] 4 C.F. 67; 2003 CAF 121; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2003] 3 R.C.S. vi.; Thinkstream Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 894.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du commissaire aux brevets refusant l’entrée d’un brevet dans la phase nationale au Canada parce que le versement du paiement en souffrance était hors délai. Demande rejetée.

ont comparu :

Cory J. Furman et Scott E. Davidson pour les demandeurs.

Marlon J. Miller pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Furman & Kallio, Régina (Saskatchewan), pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge suppléant Strayer :

INTRODUCTION

[1]Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 septembre 2004, et confirmée après réexamen le 9 décembre 2004, par laquelle le commissaire aux brevets a refusé l’entrée d’un brevet dans la phase nationale au Canada.

LES FAITS

[2]Le demandeur, Frank Garvey, est l’inventeur d’un dispositif appelé « Finger Protector Device », et Finger‑Shield (UK) Limited est le cessionnaire du brevet. La demande initiale a été présentée à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), en Suisse, le 9 août 1999.

[3]Le 4 février 2003, les demandeurs ont présenté à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) une demande d’entrée dans la phase nationale du Canada pour la demande de brevet déjà déposée en Europe, conformément au Traité de coopération en matière de brevets [19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 2] (PCT) (1970). Les demandeurs y ont joint une autorisation de paiement permettant le prélèvement sur leur compte permanent du montant de la taxe nationale de base prévue à l’alinéa 10a) [mod. par DORS/2003-208, art. 15] de l’annexe II des Règles sur les brevets, DORS/96‑423. Les règles prévoient également une taxe annuelle pour le maintien de la demande en état à partir du deuxième anniversaire suivant la date de priorité, qui aurait été en l’occurrence le 9 août 2001; le 6 février 2003, les demandeurs ont autorisé le paiement de ces frais sur leur compte. À ce moment‑là, les demandeurs n’avaient pas versé la « surtaxe pour paiement en souffrance » prévue à l’article 11 de l’annexe II, et le versement de cette surtaxe a été exigé par l’OPIC le 16 avril 2003. Le même jour, les demandeurs ont envoyé à l’OPIC une autorisation de paiement de la surtaxe à même leur compte permanent. Cependant, le 24 septembre 2004, l’OPIC a informé les demandeurs qu’il n’accepterait pas la surtaxe qui aurait été versée le 16 avril 2003 parce que le paiement n’avait pas été effectué dans le délai prévu à l’alinéa 58(3)b) [mod. par DORS/2002-120, art. 1] des Règles sur les brevets. Le 4 novembre 2004, les demandeurs ont demandé le réexamen du refus et, le 6 janvier 2005, l’OPIC les a informés que, après réexamen, il maintenait sa position, à savoir que la surtaxe avait été versée après l’expiration du délai prévu à l’alinéa 58(3)b) des Règles sur les brevets.

[4]Les paragraphes 58(1), (2) et (3) des Règles sur les brevets prévoient ce qui suit :

58. (1) Le demandeur qui, dans une demande internationale, désigne le Canada ou désigne et élit le Canada est tenu, dans le délai prévu au paragraphe (3) :

a) lorsque le Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle n’a pas publié la demande internationale, de remettre au commissaire une copie de cette demande;

b) lorsque la demande internationale n’est ni en français ni en anglais, de remettre au commissaire la traduction française ou anglaise de cette demande;

c) de verser la taxe nationale de base prévue à l’article 10 de l’annexe II.

(2) Le demandeur qui se conforme aux exigences du paragraphe (1) après le deuxième anniversaire de la date du dépôt international verse, dans le délai visé au paragraphe (3), la taxe prévue à l’article 30 de l’annexe II qui aurait été exigible selon les articles 99 ou 154 si la demande internationale avait été déposée au Canada à titre de demande canadienne à la date du dépôt international.

(3) Le demandeur se conforme aux exigences du paragraphe (1) et, s’il y a lieu, du paragraphe (2) dans le délai suivant :

a) dans les trente mois suivant la date de priorité;

b) s’il verse la surtaxe pour paiement en souffrance prévue à l’article 11 de l’annexe II, dans les quarante‑deux mois suivant la date de priorité.

[5]Les demandeurs soutiennent que l’alinéa 58(3)b) n’exige pas que la surtaxe pour paiement en souffrance soit versée dans les 42 mois suivant la date du dépôt de la demande internationale. Le paragraphe 58(3) exige simplement que le demandeur ait remis au commissaire aux brevets une copie de la demande internationale en français ou en anglais, ait versé, comme le prévoit le paragraphe 58(1), la taxe nationale de base pour l’entrée dans la phase nationale et ait versé les taxes périodiques pour le maintien de la demande en état comme l’exige le paragraphe 58(2). Ils font valoir qu’ils ont satisfait aux exigences des premières lignes du paragraphe 58(3), car ils ont respecté les dispositions des paragraphes (1) et (2), le tout dans le délai de 42 mois prévu à l’alinéa 58(3)b). Selon eux, il suffisait de respecter les exigences prévues à l’alinéa 58(3)b) pourvu qu’ils aient, à un moment donné, versé la surtaxe pour paiement en souffrance, ce qu’ils peuvent faire après l’expiration du délai de 42 mois. (Le délai de 42 mois expirait le 9 février 2003; les demandeurs ont présenté une autorisation de versement de la surtaxe pour paiement en souffrance le 16 avril 2003.)

QUESTIONS EN LITIGE

[6]1) Quelle est la norme de contrôle?

2) Le commissaire aux brevets a‑t‑il refusé à bon droit l’entrée dans la phase nationale?

ANALYSE

La norme de contrôle

[7]Les parties s’entendent pour dire que la norme applicable est celle de la décision correcte, puisque la décision comporte l’interprétation d’un texte législatif, à savoir l’alinéa 58(3)b) des Règles sur les brevets. Je pense que cette position est justifiée au regard de l’analyse pragmatique et fonctionnelle.

[8]Dans Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325 (1re inst.), la juge Dawson a examiné la norme de contrôle d’une décision rendue par le commissaire aux brevets relativement à l’interprétation des exigences énoncées dans les Règles sur les brevets au sujet du paiement de la taxe pour le maintien en état. Elle a conclu que les seules dispositions privatives étaient les articles 18 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], qui établissent clairement que le commissaire est assujetti au contrôle judiciaire. Elle a estimé que l’expertise du commissaire ne s’étend pas à l’interprétation des lois et textes réglementaires et que toute décision en ce sens a titre de précédent. Selon elle, l’objet de la Loi est plutôt de définir les droits des parties, et les décisions relatives au paiement des taxes prescrites par les Règles sur les brevets ne sont pas de nature polycentrique et n’emportent pas l’application d’un critère de pondération. La question en litige est une question de droit. Compte tenu de ces considérations, la juge a conclu qu’un degré de retenue moins élevé s’imposait et que la norme de la décision correcte s’appliquait. Sa conclusion à cet égard a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2003] 4 C.F. 67, au paragraphe 23; demande d’autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. rejetée [2003] 3 R.C.S. vi. Je crois que les mêmes considérations s’appliquent en l’espèce à l’interprétation des Règles sur les brevets concernant le versement de la surtaxe pour paiement en souffrance.

[9]La question fondamentale en l’espèce est le sens de l’alinéa 58(3)b) des Règles sur les brevets, qui autorise le demandeur à entrer dans une phase nationale (s’il n’a pas respecté les exigences dans le délai habituel de 30 mois) pour se conformer aux paragraphes 58(1) et (2)

58. (3) [. . .]

b) s’il verse la surtaxe pour paiement en souffrance prévue à l’article 11 de l’annexe II, dans les quarante‑deux mois suivant la date de priorité.

Les demandeurs soutiennent que l’alinéa 58(3)b) ne précise pas quand la surtaxe pour paiement en souffrance doit être versée. Il suffit que les documents utiles et la taxe nationale de base soient remis au commissaire, accompagnés le cas échéant des taxes pour le maintien de la demande en état, le tout dans un délai de 42 mois, ce qui a été fait en l’espèce. Même s’il est également exigé que la surtaxe pour paiement en souffrance soit versée à un moment donné, il n’est pas exigé qu’elle le soit dans le délai de 42 mois. Je conviens que la disposition peut être interprétée de cette façon. Elle peut aussi être interprétée comme si elle exigeait que la surtaxe pour paiement en souffrance soit versée avant l’expiration du délai de 42 mois. La disposition est effectivement un peu ambiguë et, par conséquent, sujette à interprétation. Et je crois que c’est le deuxième sens qu’il faut attribuer à cet alinéa.

[10]Premièrement, il me semble que c’est le sens le plus probable de cet alinéa compte tenu de son libellé même. En vertu du paragraphe 58(3), le demandeur doit fournir les documents nécessaires, payer la taxe nationale de base et les taxes pour le maintien de la demande en état dans un délai de 42 mois suivant la date de priorité « s’il verse la surtaxe pour paiement en souffrance ». Cela suppose, selon moi, que des mesures doivent être prises pour remplir ces conditions avant ou en même temps que les autres conditions.

[11]Les demandeurs estiment, et je suis d’accord avec eux, qu’une disposition législative ambiguë devrait être interprétée à l’aide des principes qu’a résumés le juge Iacobucci dans ses motifs dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Il me semble cependant difficile d’accepter que l’interprétation proposée par les demandeurs, à savoir qu’il n’y a pas relativement au versement de la surtaxe pour paiement en souffrance de délai limite, s’harmonise avec l’esprit de la Loi. Cela voudrait dire, en effet, que s’il veut étendre au Canada une demande de brevet international, le breveté doit agir, au plus tard, dans un délai de 42 mois, mais qu’il pourrait, par ailleurs, verser la surtaxe n’importe quand par la suite. Entre‑temps, il serait impossible pour l’Office de la propriété intellectuelle ou pour quiconque de savoir s’il a été donné suite à la demande d’entrée dans la phase nationale au Canada. Apparemment, lorsque le gouverneur en conseil a adopté les Règles sur les brevets, il a estimé qu’il était nécessaire d’imposer des délais pour le dépôt des documents pertinents et le versement des taxes de base et des taxes pour le maintien en état. Il ne voulait certainement pas que le statut d’une demande reste indéfiniment incertain, c’est‑à‑dire que la demande soit susceptible d’être activée par le demandeur qui verse à une date ultérieure la surtaxe pour paiement en souffrance ou qu’elle soit éventuellement considérée comme nulle et non avenue parce que cette surtaxe pourrait ne jamais être versée. L’avocat des demandeurs a laissé entendre dans sa plaidoirie que les cas de paiement tardif de la surtaxe sont rares et que cela ne devrait pas influencer l’interprétation de l’alinéa 58(3)c). Je ne pense pas que l’interprétation de cet alinéa puisse reposer sur une telle considération et aucune preuve n’a été soumise quant au nombre de fois où ce genre de situation se produit. L’avocat a ajouté que le cadre établi prévoit d’autres délais qui empêcheraient qu’une demande d’entrée dans la phase nationale ne devienne du « bois mort » pour le simple motif que la surtaxe pour paiement en souffrance n’a pas été versée. Là encore, je ne pense pas que cet argument ait un rapport avec l’interprétation correcte de l’alinéa 58(3)c) et avec l’opportunité que l’Office et d’autres personnes sachent si le demandeur poursuit sérieusement sa demande lorsqu’il s’est déjà écoulé 42 mois depuis le dépôt de la demande internationale.

[12]Mon point de vue est étayé par la décision de la Cour dans Thinkstream Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 894. Les faits de l’espèce étaient semblables : le demandeur d’entrée dans la phase nationale avait versé la surtaxe pour paiement en souffrance après l’expiration du délai de 42 mois suivant la date de priorité. Les parties et la Cour semblent avoir présumé dans cette affaire qu’il n’était pas possible, suivant l’alinéa 58(3)b), de demander l’entrée dans la phase nationale à moins que s’applique une nouvelle disposition, l’article 3.1 [édicté par DORS/2003-208, art. 2] des Règles sur les brevets, qui confère une certaine latitude en ce qui a trait à l’expiration des délais impartis pour le versement des taxes. Même si cette nouvelle disposition aurait pu avoir une certaine utilité dans des circonstances similaires, le juge Blais a statué qu’elle ne s’appliquait pas à l’espèce parce que tous les faits pertinents s’étaient produits avant l’entrée en vigueur de la disposition. Il n’aurait pas été nécessaire d’analyser cette question si l’alinéa 58(3)b) n’était pas réputé interdire de donner suite à la demande.

[13]L’avocat du défendeur a fait valoir, dans sa plaidoirie, que le commissaire n’était pas légalement tenu d’aider ou de conseiller les demandeurs pour veiller à ce qu’ils respectent les Règles, mais l’avocat des demandeurs n’a pas abordé cette question, et je m’en garderai également.

DÉCISION

[14]La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Le défendeur ne sollicite pas les dépens.

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