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T‑410‑05

2005 CF 1489

Shaun Joshua Deacon (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Deacon c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, le juge Teitelbaum—Vancouver, 25 octobre; Ottawa, 4 novembre 2005.

Libération conditionnelle — Contrôle judiciaire de conditions discrétionnaires confirmées par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) dans une décision validant toutes les conditions discrétionnaires de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur — Le demandeur est un pédophile homosexuel ayant de lourds antécédents d’infractions d’ordre sexuel sur des enfants — Il a été déclaré délinquant à contrôler en vertu de l’art. 753.1(1) du Code criminel et a fait l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée pour la période maximale de dix ans prévue — La CNLC a assorti la surveillance de longue durée du demandeur à deux conditions : 1) n’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgées de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle; 2) prendre les médicaments prescrits par un médecin — Le demandeur a contesté la compétence de la CNLC pour l’obliger à prendre les médicaments prescrits par un médecin — Il a demandé l’annulation de la condition l’obligeant à prendre des médicaments et l’annulation de la condition lui interdisant toute communication avec des « mères ou des gardiennes d’enfants âgées de moins de 16 ans » — La CNLC a compétence en matière de surveillance des contrevenants déclarés délinquants à contrôler — L’art. 134.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC) traite des conditions que la CNLC peut imposer au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée — Double intention du législateur de protéger le public et de favoriser la réinsertion du délinquant par la surveillance au sein de la collectivité — Suivant la jurisprudence, le libellé large de l’art. 134.1(2) visait à laisser à la CNLC un large pouvoir discrétionnaire pour imposer les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société — Il serait contraire au double objectif poursuivi d’écarter la compétence de la CNLC d’imposer une condition de traitement lorsqu’elle juge cette condition raisonnable — La surveillance de longue durée ne s’apparente pas à une « libération d’office » normale; il s’agit plutôt d’une forme de libération conditionnelle d’office — La preuve démontrait que le risque de récidive du demandeur augmenterait considérablement sans médication — La CNLC avait compétence pour imposer une condition de traitement dans l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur et cette décision était appropriée — La condition d’interdiction de communication a été imposée par crainte que le demandeur n’établisse des liens avec un parent vulnérable ou une gardienne en vue d’avoir accès aux enfants — La CNLC avait parfaitement raison d’être préoccupée par le bien‑être des jeunes enfants — Compte tenu du dossier du demandeur et de son comportement avec les enfants, cette condition était raisonnable.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire des deux conditions discrétionnaires confirmées par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) dans une décision validant toutes les conditions discrétionnaires de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur — Les conditions imposées au demandeur étaient les suivantes : 1) n’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgées de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle; 2) prendre les médicaments prescrits par un médecin — Le demandeur sollicitait une ordonnance annulant la condition l’obligeant à prendre des médicaments au motif que la CNLC a enfreint son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, qui est garanti à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — La condition relative aux médicaments ne violait pas un principe de justice fondamentale en portant atteinte au droit du demandeur à la sécurité de sa personne d’une manière non autorisée par une règle de droit, mais violait peut‑être le principe de justice fondamentale voulant que toute personne saine d’esprit ait le droit d’être exemptée d’un traitement médical dont elle ne veut pas — Si le demandeur refusait le traitement, il violerait une condition de sa mise en liberté et serait susceptible d’être à nouveau emprisonné — Le demandeur a été forcé de choisir entre le droit à la sécurité de la personne et le droit à la liberté — Ce choix entre les droits garantis à l’art. 7 de la Charte n’est pas un choix que l’État devrait normalement imposer à une personne — Il y avait à première vue violation des droits garantis à l’art. 7 de la Charte — Cette atteinte se justifiait toutefois en vertu de l’article premier, parce que la protection du public est un objectif urgent et réel et que la condition imposée par la CNLC était rationnellement liée à cet objectif — La condition était adaptée de façon que l’atteinte aux droits ne dépassait pas ce qui était nécessaire.

Interprétation des lois — Contrôle judiciaire des deux conditions discrétionnaires confirmées par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) dans une décision validant toutes les conditions discrétionnaires de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur — Les dispositions législatives qui visent principalement à protéger le public contre les délinquants présentant un risque grave doivent être interprétés de manière à éviter les résultats absurdes — Il serait absurde d’interpréter l’art. 134.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC) comme s’il n’accordait pas à la CNLC le pouvoir d’imposer une condition de résidence alors qu’elle possède ce pouvoir à l’égard des individus bénéficiant d’une libération conditionnelle et qui représentent un faible risque — Lorsqu’une disposition peut être interprétée de plusieurs manières, la Cour doit retenir l’interprétation qui est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de deux conditions discrétionnaires que la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) a confirmées dans une décision validant toutes les conditions discrétionnaires de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur. Le demandeur, qui a de lourds antécédents d’infractions d’ordre sexuel sur des enfants, a été déclaré pédophile homosexuel. Les infractions commises suivent une tendance prévisible où le demandeur gagne l’affection et la confiance des enfants avant de les agresser sexuellement. Le demandeur a été déclaré délinquant à contrôler en vertu du paragraphe 753.1(1) du Code criminel et il a fait l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée pour la période maximale de dix ans prévue. La CNLC a établi les conditions de la surveillance de longue durée du demandeur. Les deux conditions établies par la CNLC sont les suivantes : 1) n’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgées de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle; 2) prendre les médicaments prescrits par un médecin. Le demandeur conteste la seconde condition ainsi que la partie de la première condition relative aux « mères ou gardiennes d’enfants âgées de moins de 16 ans ». Il a sollicité une ordonnance annulant la condition l’obligeant à prendre les médicaments prescrits par un médecin au motif que la CNLC a enfreint le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, qui est garanti à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et au motif que la CNLC a agi sans compétence. Il a également demandé l’annulation de la condition interdisant les communications et son renvoi pour un nouvel examen au motif que cette condition ne respecte pas les exigences du Manuel des politiques de la CNLC, qui exige que les conditions imposées à la libération soient « claires, raisonnables et applicables » parce que cette condition était trop générale et qu’il serait impossible au demandeur de s’y conformer. Il s’agissait de savoir si la CNLC a eu raison de confirmer les deux conditions qu’elle avait antérieurement établies.

Jugement : la demande est rejetée.

Pour réviser la décision de la CNLC, il était nécessaire d’examiner le régime législatif des ordonnances de surveillance de longue durée. Le délinquant qui est déclaré délinquant à contrôler en vertu du Code criminel fait l’objet d’une période de surveillance, qui relève de la compétence de la CNLC. L’article 99.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC) prévoit qu’une personne qui est soumise à une ordonnance de surveillance est assimilée à un délinquant. L’article 101 établit les principes qui guident la CNLC dans la réalisation de ses objectifs en matière de mise en liberté sous condition. L’article 134.1 traite des conditions que la CNLC peut imposer au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée. Le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition autorise la CNLC à imposer certaines conditions générales de surveillance. Le législateur avait la double intention de protéger le public et de favoriser la réinsertion par la surveillance au sein de la collectivité. La question de savoir si la CNLC avait le pouvoir d’imposer une condition relative à la prise de médicaments était purement une question de droit à l’égard de laquelle la Cour était mieux placée pour répondre. La norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision correcte.

Il est de jurisprudence constante que, par le libellé large employé au paragraphe 134.1(2) de la LSCMLC, le législateur souhaitait laisser à la CNLC un large pouvoir discrétionnaire pour imposer les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société. Il serait contraire au double objectif de protéger la société et de favoriser la réinsertion sociale du délinquant d’écarter la compétence de la CNLC d’imposer une condition de traitement lorsqu’elle juge que cette condition est raisonnable. Dans la présente affaire, la CNLC a souligné que le traitement médical réduirait le risque de récidive. Si la CNLC n’avait pas le pouvoir d’imposer des conditions médicales dans une ordonnance de surveillance de longue durée, il est probable que le demandeur ferait l’objet d’une procédure visant à le faire déclarer délinquant dangereux. La surveillance de longue durée ne s’apparente pas à une « libération d’office » normale; il s’agit plutôt d’une forme de libération conditionnelle d’office. Si les conditions établies sur mesure par la CNLC ne sont pas respectées, le délinquant est alors coupable d’un acte criminel. Comme la preuve démontrait que le risque de récidive du demandeur augmenterait considérablement sans médication, autoriser sa remise en liberté dans le cadre d’une ordonnance de surveillance de longue durée sans imposer de condition médicale, alors que cette condition est nécessaire, serait également un résultat déraisonnable. Il semblait donc clair que le demandeur ne réintégrerait pas la collectivité et que le risque qu’il représentait ne serait pas suffisamment réduit sans traitement médical. Il s’ensuivait donc que la décision de la CNLC d’imposer une condition de traitement dans l’ordonnance de surveillance de longue durée visant le demandeur était appropriée.

À l’égard des questions d’interprétation législative, la Cour suprême du Canada applique le principe selon lequel il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Il est également de jurisprudence constante que les dispositions législatives qui visent principalement à protéger le public contre les délinquants représentant un risque grave doivent être interprétés de manière à éviter les résultats absurdes. Il serait absurde d’interpréter l’article 134.1 comme s’il n’accordait pas à la CNLC le pouvoir d’imposer une condition de résidence ou une condition de traitement alors qu’elle possède ce pouvoir à l’égard des individus bénéficiant d’une libération conditionnelle et qui représentent un faible risque. Les termes clairs de cet article laissaient par ailleurs entendre que la CNLC a le pouvoir d’imposer toute condition qu’elle juge raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Enfin, lorsqu’une disposition peut être interprétée de plusieurs manières, la Cour doit retenir l’interprétation qui est conforme à la Charte.

La condition relative au traitement médical exigé ne violait pas un principe de justice fondamentale en portant atteinte au droit du demandeur à la sécurité de sa personne d’une manière non autorisée par une règle de droit. Bien qu’il n’existe aucun texte législatif désignant expressément le traitement médical comme une condition possible, il ressortait à l’évidence du régime législatif et de l’intention du législateur que la CNLC est investie du pouvoir discrétionnaire d’imposer cette condition. Par ailleurs, la condition a pu violer le principe de justice fondamentale voulant que les personnes aient le droit d’être exemptées d’un traitement médical dont elles ne veulent pas. Si le demandeur refusait le traitement, il violerait une condition de sa mise en liberté et serait susceptible d’être à nouveau emprisonné. Lorsque le demandeur doit décider s’il prendra les médicaments prescrits par un médecin, il est forcé de choisir entre le droit à la sécurité de la personne et le droit à la liberté. Ce choix entre les droits garantis à l’article 7 de la Charte n’est pas un choix que l’État devrait normalement imposer à une personne. Il existait donc à première vue une violation des droits garantis à l’article 7 de la Charte. L’atteinte aux droits garantis à l’article 7 se justifiait toutefois en vertu de l’article premier, parce que la protection du public est un objectif urgent et réel et que la condition imposée par la CNLC était rationnellement liée à cet objectif. De plus, il était très peu probable que le demandeur ait pu obtenir une liberté surveillée sans la condition relative à la prise des médicaments prescrits par un médecin, compte tenu de ses lourds antécédents en matière d’infractions à caractère sexuel sur des enfants. Cette condition était adaptée de façon que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui était nécessaire. La CNLC avait le pouvoir d’imposer comme condition que le demandeur prenne les médicaments prescrits par un médecin. Par conséquent, la Cour n’a pas modifié cette condition.

La norme de la décision raisonnable simpliciter s’appliquait à la question de savoir si la CNLC aurait dû modifier cette condition contenue dans l’ordonnance du délinquant, puisqu’il s’agissait d’une question de droit et de fait. La CNLC a estimé que la condition était imposée par crainte que le demandeur n’établisse des liens avec un parent vulnérable ou une gardienne en vue d’avoir accès aux enfants. La CNLC avait parfaitement raison d’être préoccupée par le bien‑être des jeunes enfants. Compte tenu du dossier du demandeur et de son comportement avec les enfants, cette condition était raisonnable.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 672.38 (édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4; 1997, ch. 18, art. 83), 672.39 (édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4), 672.4 (édicté, idem), 672.41 (édicté, idem), 672.55(1) (édicté, idem; 1997, ch. 18, art. 86), 672.58 (édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4), 753.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4; 2002, ch. 13, art. 76), 753.2 (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4), 753.3(1) (édicté, idem).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 88(3),(5), 99.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18), 100, 101, 109, 110, 111, 134.1 (édicté, idem, art. 30).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57 (mod., idem, art. 54).

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, art. 161.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

R. v. V.M., [2003] O.J. no 436 (C.S.J.) (QL); La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Normandin c. Canada (Procureur général), [2005] 2 R.C.F. 373; 2005 CF 1404; conf. par [2006] 2 R.C.F. 112; 2005 CAF 345.

décisions examinées :

R. v. Deacon (2004), 193 B.C.A.C. 228; 182 C.C.C. (3d) 257; 2004 BCCA 78; McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2004 CF 462; R. v. Rogers (1990), 61 C.C.C. (3d) 481; 2 C.R. (4th) 192 (C.A.C.‑B.); Fleming v. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74; 82 D.L.R. (4th) 298; 48 O.A.C. 46 (C.A.); R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607; R. v. Kieling (1991), 92 Sask. R. 281; 64 C.C.C. (3d) 124 (C.A.); R. v. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156; [2001] O.T.C. 15 (C.S.J. Ont.); R. v. W. (H.P.) (2003), 327 A.R. 170; [2003] 10 W.W.R. 36; 18 Alta. L.R. (4th) 20; 175 C.C.C. (3d) 56; 2003 ABCA 31; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143.

décisions citées :

Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑ Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; Fehr c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1995] A.C.F. no 552 (1re inst.) (QL); Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1re inst.); R. c. Clark, [2005] 1 R.C.S. 6; 2005 CSC 2; Nouveau‑ Brunswick  (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; Tehrankari c. Canada (Service correctionnel),  [2000]  A.C.F.  no 495, (1re inst.) (Q.L.); R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357;  2003 CSC 46; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317; 2002 FCA 384; Bryntwick c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 2 C.F. 184 (T.D.); Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455; 2000 CSC 18; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

doctrine citée

Canada. Commission de réforme du droit. Le traitement médical et le droit criminel (Document de travail no 26), Ottawa : Commission de réforme du droit du Canada, 1980.

Canada. Commission nationale des libérations conditionnelles. Manuel des politiques de la CNLC.

DEMANDE de contrôle judiciaire de deux conditions discrétionnaires confirmées par la Commission nationale des libérations conditionnelles dans sa décision du 8 février 2005 validant toutes les conditions discrétion-naires de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur. Demande rejetée.

ont comparu :

Garth Barriere pour le demandeur.

Curtis S. Workun et Graham Stark pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Garth Barriere, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Teitelbaum : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Shaun Joshua Deacon (le demandeur) à l’égard de deux conditions discrétion-naires que la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) a confirmées dans une décision datée du 8 février 2005 validant toutes les conditions discrétionnaires de l’ordonnance de surveillance de longue durée visant le demandeur.

[2]Le demandeur a une longue histoire d’infractions d’ordre sexuel sur des enfants. Il a été déclaré pédophile homosexuel. La Cour d’appel de la Colombie‑ Britannique dans R. v. Deacon (2004), 193 B.C.A.C. 228, résume clairement le dossier des infractions d’ordre sexuel du demandeur. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de reproduire ici tout le dossier criminel, il importe de noter que les infractions commises suivent une tendance prévisible où le demandeur gagne l’affection et la confiance des enfants avant de les agresser sexuellement (Deacon, au paragraphe 4).

[3]M. Deacon a été déclaré délinquant à contrôler en vertu du paragraphe 753.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, le 4 août 1998 et il a fait l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée pour la période maximale de dix ans prévue. Le 22 octobre 2004, la CNLC a établi les conditions de la surveillance de longue durée de M. Deacon.

[4]M. Deacon a contesté les deux conditions discrétionnaires suivantes établies par la CNLC :

[traduction]

1.             N’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle (la partie contestée est soulignée).

2.             Prendre les médicaments prescrits par un médecin.

[5]Le 8 février 2005, la CNLC a confirmé toutes les conditions discrétionnaires qu’elle avait antérieurement établies. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la CNLC de maintenir ces deux conditions discrétionnaires.

[6]Les parties ont présenté plusieurs observations qui sont fondées sur l’interprétation des lois ou qui nécessitent l’examen des dispositions législatives à l’origine du programme de délinquant à contrôler. Il est donc nécessaire de donner un aperçu du régime législatif des ordonnances de surveillance de longue durée.

[7]Un délinquant à contrôler peut faire l’objet d’une période de surveillance additionnelle à l’expiration de la peine purgée (article 753.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4; 2002, ch. 13, art. 76] du Code criminel). La surveillance relève de la compétence de la CNLC.

[8]L’article 99.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch 20 (LSCMLC), prévoit qu’une personne qui est soumise à une ordonnance de surveillance est assimilée à un délinquant. De plus, l’article 99.1 prévoit expressément que les articles 100 (objet), 101 (principes) et 109 à 111 (annulation ou modification d’une ordonnance, recours en grâce et échange de renseignements), ainsi que les articles décrivant divers droits liés aux audiences de révision, s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux délinquants faisant l’objet d’une surveillance de longue durée.

[9]L’article 101 établit les principes qui guident la CNLC. Bien que la protection de la société demeure « le critère déterminant dans tous les cas » (alinéa 101a)), « le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible » (alinéa 101d)). Comme le juge Russell l’explique dans McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2004 CF 462, au paragraphe 26 :

Un des objectifs officiels du système correctionnel fédéral est de faciliter la réinsertion sociale des délinquants, y compris celle des personnes visées par une ordonnance de surveillance de longue durée, ainsi que leur réintégration dans la collectivité en tant que citoyen respectueux des lois. Un des principes destinés à guider le Service correctionnel du Canada dans la réalisation de ses objectifs est la présomption en faveur de la liberté. Cela veut dire que les contrevenants conservent tous les droits et privilèges des citoyens, sauf ceux qu’il est nécessaire de supprimer ou de limiter du fait de l’existence d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

[10]Le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [DORS/92-620] (le Règlement) établit le pouvoir de la CNLC d’imposer certaines conditions générales de surveillance. Ainsi, cette disposition exige que le délinquant demeure à tout moment dans les limites territoriales spécifiées par son surveillant (alinéa 161(1)b)), qu’il respecte la loi et ne trouble pas l’ordre public (alinéa 161(1)c)) et qu’il informe son surveillant des changements qui, selon ce qui peut être raisonnablement prévu, pourraient avoir une incidence sur sa capacité de respecter les conditions de sa libération conditionnelle ou d’office (sous‑alinéa 161(1)g)(iv)).

[11]En outre des conditions générales prescrites par le paragraphe 161(1) du Règlement, les paragraphes 134.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 30] et (2) [édicté, idem] de la LSCMLC prévoient ce qui suit :

134.1 (1) Sous réserve du paragraphe (4), les conditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

Ni l’une ni l’autre de ces dispositions ne prévoit expressément l’imposition par la CNLC d’une condition suivant laquelle le délinquant serait tenu de prendre les médicaments prescrits par un médecin.

[12]Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la condition lui imposant de prendre les médicaments prescrits par un médecin. Il demande également l’annulation de la condition interdisant les communi-cations et son renvoi pour un nouvel examen.

1. La condition relative à la prise de médicaments

[13]Le demandeur soutient que la CNLC a fait erreur en confirmant la première condition. Dans sa contestation, il prétend d’une part que la CNLC a enfreint le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, qui est garanti à l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], et d’autre part qu’elle a agi sans compétence.

a) La condition porte atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte

Norme de contrôle applicable

[14]Le demandeur soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard de motifs constitutionnels doit être examiné suivant la norme de contrôle applicable en vertu de la Charte, au lieu de celle applicable en droit administratif (Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au paragraphe 32). Le demandeur prétend que la Cour ne devrait faire preuve d’aucune retenue quant aux décisions de la CNLC concernant la Charte (Fehr c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1995] A.C.F. no 552 (1re inst.) (QL), au paragraphe 30).

La CNLC n’avait pas compétence pour confirmer la condition

[15]Le demandeur avance que la CNLC a agi sans compétence en confirmant la condition. Elle aurait seulement compétence pour établir des conditions raisonnables (paragraphe 134.1(2) de la LSCMLC). Le demandeur allègue que la condition porte atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte et qu’elle est donc déraisonnable. Il s’ensuit que la CNLC a agi sans compétence en confirmant la condition. Subsidiaire-ment, le demandeur allègue que la CNLC a excédé sa compétence en confirmant la condition avec une ordonnance contraire à la Charte. Même si la CNLC jouit d’une compétence étendue en matière d’ordonnan-ce, elle « excède sa compétence » si elle rend une ordonnance qui contrevient à la Charte (Ross, aux paragraphes 31 et 32). Le demandeur soutient que ces deux approches mènent à la conclusion que la condition porte atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de sa personne qui sont garantis par l’article 7 de la Charte.

La condition est une atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne

[16]Le demandeur fait valoir que la condition impose l’ingestion de médicaments prescrits, ce qui porte atteinte à ses droits à l’intégrité physique et psychologi-que et à la sécurité de sa personne. Il affirme que les médicaments troublent son état d’esprit et lui occasion-nent des effets secondaires, tels que des vomissements et de larges taches de décoloration visibles sur son corps, ainsi que des effets secondaires plus importants tels que la perte de densité osseuse. Ces effets secondaires lui causent un stress psychologique important.

[17]Le demandeur allègue également que la condition le prive de sa liberté (R. v. Rogers (1990), 61 C.C.C. (3d) 481 (C.A.C.‑B.), à la page 488; Fleming v. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74 (C.A.), à la page 88).

L’atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale

[18]Le demandeur affirme que l’atteinte à la sécurité de sa personne n’est pas autorisée par une règle de droit. Il affirme de plus que l’atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de sa personne n’est pas conforme au principe de justice fondamentale voulant que toute personne saine d’esprit ait le droit d’être exemptée d’un traitement médical dont elle ne veut pas.

i) L’atteinte n’est pas conforme au principe de justice fondamentale parce qu’elle n’est pas autorisée par une règle de droit

[19]Le demandeur allègue, comme principe de justice fondamentale, que le décideur désigné par la loi ne peut porter atteinte au droit à la sécurité d’une personne que si le législateur a expressément prévu ce pouvoir dans un texte de loi clair. Et, même si ces conditions sont remplies, la disposition en question peut être contestée en vertu de l’article 7 de la Charte (Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1re inst.); Fleming v. Reid).

[20]Le demandeur invoque le Document de travail no 26 de la Commission de réforme du droit du Canada intitulé Le traitement médical et le droit criminel (1980) à l’appui de la proposition suivant laquelle il existerait seulement deux exceptions, les urgences et le « traitement obligatoire, imposé par l’État », au principe de justice fondamentale voulant que le traitement ne soit pas administré malgré son refus par la personne concernée. Le « traitement obligatoire, imposé par l’État », au dire du demandeur, doit être une situation pour laquelle il existe un texte de loi clair et précis qui écarte la nécessité du consentement.

[21]Le demandeur fait valoir que la Cour suprême du Canada a fait ressortir la nécessité d’une autorisation expresse pour une atteinte au droit à la sécurité de la personne. Dans R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, la Cour suprême a jugé que le prélèvement de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements buccaux qui sont faits sans autorisation d’origine législative violent le droit individuel garanti à l’article 8 de la Charte et constituent également une atteinte à la sécurité de la personne (R. c. Stillman, au paragraphe 51). Le demandeur soutient que le principe voulant que les atteintes à la sécurité de la personne autorisées par l’État doivent être exprimées clairement découle de la gravité de la violation de « l’intégrité physique d’une personne » (R. c. Stillman, au paragraphe 39).

[22]Le demandeur prétend que, si le prélèvement forcé de substances corporelles (R. c. Stillman) constitue une atteinte à la sécurité de la personne, l’ingestion obligatoire d’un médicament doit également constituer une atteinte au droit garanti à l’article 7 de la Charte. Comme je l’expliquerai plus loin, je ne suis pas d’accord avec cet argument.

[23]Le demandeur se tourne vers l’intention du législateur pour étayer l’argument suivant lequel l’atteinte à ses droits garantis par l’article 7 n’a pas été autorisée par une règle de droit. Il fait remarquer que le législateur a établi une loi qui prévoit que le consente-ment d’un détenu n’est pas vicié du seul fait que le traitement est imposé comme condition à une permission de sortir, à un placement à l’extérieur ou à une libération conditionnelle et que le refus du traitement peut lui faire perdre la possibilité de tirer avantage de ces programmes de mise en liberté discrétionnaire (paragra-phe 88(3) de la LSCMLC). Le demandeur soutient que le législateur n’a pas employé les termes « libération d’office » ou « surveillance de longue durée » dans cette exception à la règle interdisant le traitement sans consentement et que cette omission doit être interprétée comme un choix législatif délibéré (R. c. Clark, [2005] 1 R.C.S. 6, au paragraphe 53).

[24]Comme il n’existe en l’espèce aucun texte législatif clair autorisant la CNLC à priver les délinquants à contrôler du droit à la sécurité de leur personne, le demandeur soutient avoir été privé de son droit de common law de refuser le traitement médical et du droit à la sécurité de sa personne qui lui est garanti à l’article 7 de la Charte.

[25]Le demandeur rappelle également à la Cour que les délinquants à contrôler qui ont fini de purger leur peine ont droit à une plus grande liberté que les délinquants dont la peine n’a pas été entièrement purgée (McMurray c. Canada, au paragraphe 61).

ii) Les atteintes aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne du demandeur ne sont pas conformes au principe de justice fondamentale voulant que toute personne saine d’esprit ait le droit d’être exemptée d’un traitement médical dont elle ne veut pas

[26]Le demandeur soutient qu’il existe de très rares exceptions au principe fondamental voulant qu’une personne ait le droit d’être exemptée d’un traitement médical dont elle ne veut pas. Il affirme que, parmi les rares exceptions à ce principe, se trouvent l’inaptitude d’une personne à prendre des décisions, l’urgence médicale, la lutte contre les maladies infectieuses et l’inaptitude d’une personne à subir son procès (Fleming v. Reid, à la page 85; Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail no 26, aux pages 73 et 74; article 672.58 [édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4] du Code criminel). Le demandeur soutient que les circonstances de l’espèce n’entrent pas dans ces exceptions.

[27]Le demandeur souligne que, dans Fleming v. Reid, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé l’exception du traitement forcé des patients en placement non volontaire inaptes à prendre des décisions, mais seulement après avoir conclu que la loi violait l’article 7 de la Charte.

[28]Dans R. v. Rogers, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé que le traitement forcé d’une personne saine d’esprit en contexte criminel violait les droits garantis à l’article 7 de la Charte parce que l’ordonnance de traitement n’était pas conforme aux principes de justice fondamentale. L’ordonnance ne se justifiait pas en vertu de l’article premier.

[29]Le demandeur soutient que la Cour devrait s’en remettre à l’analyse fondée sur la Charte élaborée dans R. v. Rogers. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné la protection du public comme seule justification à l’égard de l’article premier. Le demandeur affirme que la protection du public contre les infractions criminelles n’est pas une exception au principe de justice fondamentale voulant qu’une personne saine d’esprit ait le droit d’être exemptée d’un traitement médical dont elle ne veut pas.

La condition ne peut se justifier en vertu de l’article premier

[30]À propos de l’article premier, le demandeur allègue que, si l’atteinte au droit à la sécurité du demandeur n’est pas autorisée par une règle de droit, l’article premier ne s’applique pas parce que la restriction de ce droit n’est pas [traduction] « prescrite par la loi ».

[31]Par ailleurs, si une analyse complète s’avère nécessaire au titre de l’article premier, le demandeur soutient que cette disposition ne peut préserver la constitutionnalité des violations de l’article 7 que dans des circonstances « rares » et « exceptionnelles » (Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 99).

[32]Le demandeur prétend que la présente affaire s’apparente à R. v. Rogers, où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé que l’ordonnance de probation obligeant un accusé à suivre un traitement psychiatrique ou à prendre des médicaments violait les droits individuels prévus à l’article 7 de la Charte et ne pouvait se justifier en vertu de l’article premier parce qu’il existait d’autres [traduction] « moyens moins radicaux » pour protéger le public (R. v. Rogers, à la page 488). La Cour dans R. v. Rogers n’a pas conclu à l’existence de [traduction] « circonstances exceptionnelles » (R. v. Rogers, à la page 488) qui justifieraient l’ordonnance de probation contestée.

[33]Le demandeur avance qu’il existe des moyens moins radicaux pour protéger le public en l’espèce. Il propose qu’obliger M. Deacon à communiquer son refus de prendre les médicaments prescrits serait un moyen moins radical d’assurer la protection du public. Il souligne que, suivant cette condition moins radicale, l’agent de libération conditionnelle dans la collectivité pourrait quand même être informé de la possibilité d’un risque accru pour le public et, au besoin, il pourrait demander d’autres conditions discrétionnaires.

b) La CNLC a agi sans compétence en confirmant la condition relative à la prise des médicaments

[34]Outre l’argument de la Charte, le demandeur soulève que la CNLC a agi sans compétence en confirmant la condition du traitement. Il soutient que les dispositions législatives concernant les délinquants à contrôler et les actions du législateur ne révèlent aucune intention d’habiliter la CNLC à imposer la prise de médicaments à des délinquants à contrôler.

[35]Le demandeur fait valoir que, lorsqu’un décideur exerçant un pouvoir discrétionnaire n’est pas habilité à prendre une décision, la décision doit être annulée, quelque raisonnable ou utile qu’elle puisse être (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412, à la page 440).

[36]Le demandeur soutient que le législateur n’avait pas l’intention de supprimer son droit de common law de refuser le traitement. Lorsqu’un tribunal prononce une ordonnance de surveillance de longue durée dans la collectivité en vertu de l’article 753.2 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel, il « ordonne qu’il soit soumis […] à une surveillance au sein de la collectivité » (paragraphe 753.1(3); le terme souligné l’a été par le demandeur). Le demandeur fait remarquer que le terme « surveillance » n’est pas défini dans le Code criminel ni dans la LSCMLC, mais que les conditions imposées aux délinquants à contrôler par la loi jouent un rôle dans l’interprétation de la compétence de la CNLC pour établir des conditions discrétionnaires (article 134.1 de la LSCMLC et paragraphe 161(1) du Règlement).

[37]Le demandeur souligne que, dans R. c. Kieling (1991), 92 Sask. R. 281, la Cour d’appel de la Saskatchewan a déclaré que les juges qui imposent la peine n’ont pas compétence pour exiger des délinquants en probation qu’ils se soumettent à un traitement médical. Il avance que la compétence résiduelle des juges qui imposent la peine pour prescrire des conditions de probation s’articule presque de la même manière que celle prévue au paragraphe 134.1(2) de la LSCMLC, lequel établit le pouvoir discrétionnaire de la CNLC d’imposer aux délinquants les conditions de la surveillance de longue durée. Le demandeur soutient que le raisonnement de l’arrêt Kieling s’applique également au régime législatif régissant les conditions imposées aux délinquants à contrôler.

[38]Le demandeur prétend également que si le législateur avait voulu donner à la CNLC le pouvoir d’imposer des conditions de traitement, il aurait créé une commission plus spécialisée. Il compare la CNLC aux commissions d’examen chargées de rendre des décisions concernant les accusés qui ont été déclarés inaptes à subir leur procès ou qui ont obtenu un verdict de non‑responsabilité criminelle. Outre l’expertise que les commissions d’examen ont dans ces domaines, le demandeur note qu’elles peuvent ordonner à l’accusé de se soumettre à un traitement seulement s’il y consent (les articles 672.38 [édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4; 1997,  ch.  18,  art. 83], 672.39  [édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4], 672.4 [édicté, idem] et 672.41 [édicté,  idem] et le paragraphe 672.55(1) [édicté, idem; 1997, ch. 18, art. 86] du Code criminel).

[39]Le demandeur fait en outre remarquer que, tel qu’il l’a mentionné précédemment dans ses observations concernant la Charte, en vertu des paragraphes 88(3) et 88(5) de la LSCMLC, certains détenus sont réputés avoir consenti au traitement dans certains cas, mais que les délinquants à contrôler ne sont pas visés par ces articles.

[40]Le demandeur reconnaît qu’il existe de la jurisprudence à l’appui de la conclusion suivant laquelle la CNLC a compétence pour imposer une condition contraignant un délinquant à contrôler à suivre un traitement médical. Par ailleurs, il prétend que ces décisions sont toutes fondées sur R. v. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156 (C.S.J. Ont.), aux paragraphes 133 à 138. Il soutient que toutes ces décisions constituent des opinions incidentes et que les cours dans ces affaires avaient omis de faire d’abord l’exercice requis en matière d’interprétation législative. Le demandeur soutient que l’analyse législative révèle que le législa-teur avait l’intention de respecter le droit de common law de refuser le traitement médical et qu’il n’a donc pas habilité la CNLC à supprimer ce droit. Selon le deman-deur, la CNLC a agi sans compétence en confirmant la condition contraignant le demandeur à prendre les médicaments prescrits par un médecin.

2. La condition interdisant les communications

[41]L’avocat du demandeur s’appuie exclusivement sur ses observations écrites, croyant qu’il n’était pas nécessaire de présenter des observations verbales sur ce point. Je crois qu’il était judicieux de procéder comme il l’a fait, puisque je suis convaincu que la condition interdisant les communications est tout à fait le genre de condition que la CNLC a pour mandat d’imposer. Néanmoins, je dois discuter des observations écrites du demandeur.

[42]Le demandeur soutient que la CNLC doit appliquer les normes juridiques du caractère raisonnable et nécessaire pour établir une condition de surveillance de longue durée et que la norme de contrôle applicable dans ce cas est celle de la décision raisonnable (Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 495 (1re inst.) (QL), au paragraphe 44).

[43]Le demandeur note que le Manuel des politiques de la CNLC exige que les conditions discrétionnaires imposées à la libération doivent être des conditions auxquelles le délinquant peut satisfaire et qui doivent, dans leur formulation, être « claires, raisonnables et applicables » (Manuel des politiques de la CNLC articles 7.1 et 8.3).

[44]Le demandeur soutient que la condition suivant laquelle il ne peut communiquer avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans ne satisfait pas aux exigences du Manuel des politiques de la CNLC parce qu’elle est trop générale. Le demandeur affirme qu’il est impossible pour lui de se conformer à cette exigence, parce qu’il ne peut pas savoir si ces personnes ont des enfants ou gardent des enfants âgés de moins de 16 ans.

[45]Comme la préoccupation sous‑jacente à l’imposition de la condition veut que le demandeur établisse [traduction] « une relation avec une femme vulnérable qui a des enfants », le demandeur affirme que la condition interdisant la communication devrait être modifiée comme suit (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 119) :

[traduction] N’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle, et ne développer aucun lien avec des parents ou des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans, à moins d’autorisation du surveillant de liberté conditionnelle.

[46]Le défendeur dit que le demandeur tente d’établir ses propres conditions de liberté. Il soutient que les conditions ont permis d’éviter que le demandeur soit considéré comme un délinquant dangereux, ce qui aurait pu entraîner une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée. Le défendeur allègue que le délinquant ne s’est pas opposé à l’imposition de conditions pour lui permettre d’obtenir la liberté surveillée. Il dit que l’objection subséquente à l’imposition des conditions ne peut être valide. Il prétend que les dispositions relatives aux délinquants à contrôler n’avaient jamais eu pour but de permettre à une personne d’accepter un traitement obligatoire en vue d’obtenir davantage de liberté et ensuite, une fois en liberté, de contester les conditions de manière à obtenir la liberté sans condition.

[47]Le défendeur fait valoir que l’objectif premier de la peine infligée à un délinquant à contrôler est la protection du public (R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357, au paragraphe 29). Il rappelle à la Cour que les délinquants à contrôler peuvent faire l’objet de périodes de surveillance additionnelles et que la CNLC a compétence pour examiner les circonstances. Il soutient que la CNLC est guidée par des principes fondés sur la protection de la société (article 101 de la LSCMLC; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75).

[48]Le défendeur soutient que le législateur a conféré à la CNLC le pouvoir d’imposer des conditions de surveillance aux délinquants à contrôler pour assurer la réalisation de l’objectif de protection de la société (paragraphe 134.1(1) de la LSCMLC). Le défendeur allègue que, en l’espèce, la CNLC a décidé que plusieurs conditions spéciales étaient nécessaires pour la surveillance de longue durée du demandeur afin de réduire le risque qu’il présente pour le public à un niveau acceptable.

Norme de contrôle applicable

[49]Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable aux décisions de la CNLC pour les questions de droit est celle de la décision raisonnable et, pour les questions de faits, celle de la décision manifestement déraisonnable (Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317 (C.A.F.)). Compte tenu de la vaste expertise de la CNLC en la matière, de l’équilibre entre les droits individuels et ceux de la société et de la nature du problème, qui constitue essentiellement un exercice d’appréciation des faits, le défendeur préconise que la Cour devrait faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de la décision de la CNLC.

1. La condition relative à la prise de médicaments

[50]Le défendeur soutient que la condition relative au traitement doit être considérée dans le contexte de la désignation du délinquant à contrôler. Il affirme que l’objet principal des dispositions concernant le délinquant à contrôler est d’éviter l’emprisonnement si le risque de récidive peut être géré dans la collectivité. Il avance que la possibilité de gérer ce risque dans la collectivité est une condition préalable à la mise en liberté d’un délinquant à contrôler. Si cette gestion n’est pas possible, le délinquant peut alors être déclaré délinquant dangereux et ainsi se voir infliger une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée.

[51]L’objectif en est un de gestion et non de réadap-tation, si bien que le législateur a reconnu que le choix de l’individu quant à ces questions est subordonné aux besoins de la société.

[52]Le défendeur fait remarquer que la condition « prendre les médicaments prescrits par un médecin » n’impose pas la prise de médicaments contre la volonté de quelqu’un. Le demandeur peut choisir de ne pas prendre les médicaments. Le défendeur souligne que, même si ce choix est susceptible d’entraîner l’emprison-nement, il n’en demeure pas moins que ce choix appartient au délinquant. Il n’est pas imposé par la CNLC.

[53]Le défendeur soutient que les tribunaux ont examiné la question de l’imposition de conditions relatives à des traitements. Dans R. v. W. (H.P.) (2003), 327 A.R. 170, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé la condition voulant qu’une personne s’abstienne de consommer de l’alcool. Il allègue que cette condition n’est pas différente de la condition relative à la prise de médicaments et que le défaut de respecter pareille condition est un choix que fait le délinquant.

[54]Le défendeur affirme également que le deman-deur ne peut invoquer l’arrêt R. v. Rogers, à l’égard d’une affaire intéressant un délinquant à contrôler. Dans cette décision, la Cour a jugé qu’une condition de libération conditionnelle imposant la prise de médicaments à un accusé souffrant de schizophrénie contrevenait à l’article 7 de la Charte et elle a estimé que, [traduction] « sauf circonstances exceptionnel-les », pareille ordonnance ne pouvait être justifiée (R. v. Rogers (1990), 61 C.C.C. (3d) 481 (C.A.C.‑B.), à la page 488).

[55]La Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans R. v. V.M., [2003] O.J. no 436 (QL), a écarté l’applica-tion de R. v. Rogers parce que l’affaire intéressait un délinquant à contrôler. Elle a examiné la question de savoir si la condition imposant la prise de disulfirame et de médicaments pour réduire les pulsions sexuelles était applicable si M. V.M. cessait par la suite de consentir au traitement. La Cour a déclaré au paragraphe 126 :

[traduction] […] qu’il était acceptable au plan constitutionnel pour la CNLC d’imposer une condition obligeant un délinquant à suivre un traitement médical prescrit par un médecin dans le cadre d’une ordonnance de surveillance de longue durée. Cette condition comprend l’exigence de prendre les médicaments prescrits.

[56]La Cour dans R. v. V.M. a jugé que la condition relative au traitement médical constituait une [traduction] « circonstance exceptionnelle » comme l’envisageait l’arrêt R. v. Rogers (au paragraphe 132).

Observations concernant la Charte

[57]Le défendeur invoque la décision R. v. V.M., où la Cour supérieure de justice de l’Ontario a jugé qu’il avait été porté atteinte aux droits de M. V.M. garantis par l’article 7 de la Charte en conformité avec les principes de justice fondamentale (R. v. V.M., au paragraphe 135). La Cour a conclu que l’ordonnance de surveillance exigeant la prise de médicaments permettait d’éviter le traitement médical forcé. L’ordonnance n’obligeait pas le médecin à imposer un traitement, et M. V.M. pouvait refuser le traitement (R. v. V.M., au paragraphe 136). Même si le refus du traitement équivalait à une violation de l’ordonnance et justifiait sa suspension, la Cour a néanmoins jugé que la décision définitive quant à la prise des médicaments appartenait au délinquant.

[58]Le défendeur soutient également que les principes de justice fondamentale dans le contexte de l’article 7 supposent un équilibre entre les droits fondamentaux de la personne et la protection de la société. Dans Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, à la page 152, la Cour a déclaré que « [l]’équilibre est atteint par la restriction de l’attente qu’a le détenu par rapport à la façon dont la peine doit être purgée ».

[59]À propos de la présente affaire, le défendeur allègue que le demandeur a peut‑être purgé sa peine, mais que l’emprise exercée par l’État sur son droit à la liberté demeure. Le risque de récidive atteint un niveau inacceptable lorsque le demandeur refuse le traitement. À ce moment‑là, le risque pour la société devient trop grand.

[60]Même si la Cour concluait qu’il y avait atteinte aux droits garantis à l’article 7, la condition de traitement contestée devrait être justifiée en vertu de l’article premier puisque le défendeur satisfait au critère de justification énoncé dans La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Le défendeur soutient que le régime législatif applicable aux délinquants à contrôler vise à protéger le public et que cet objectif est urgent et réel. L’imposition de conditions atténuant le risque que les délinquants peuvent présenter pour la société est rationnellement liée à cet objectif. En outre, le défendeur soutient que les dispositions du régime portent minimalement atteinte aux droits tout en procurant une plus grande liberté à des personnes qui autrement pourraient faire l’objet d’une peine d’emprisonnement d’une durée indéfinie. Les effets préjudiciables de ces dispositions—une personne pouvant refuser le traitement et éventuellement être remise en détention—sont compensés en faisant en sorte que la société soit protégée des délinquants à l’égard desquels le succès au plan de la gestion du risque de récidive dépend du traitement.

[61]Le défendeur rappelle à la Cour qu’il ne serait pas en mesure de réduire les risques pour la société à un niveau acceptable s’il ne pouvait pas imposer des conditions de traitement aux délinquants et il soutient que la condition en l’espèce ne viole pas les droits du demandeur protégés par la Charte.

2. La condition interdisant les communications

[62]Le défendeur rappelle à la Cour que la condition interdisant au demandeur de communiquer directement ou indirectement avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans reposait sur le fait qu’il avait exercé une emprise sur des mères et des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans en vue d’avoir accès aux enfants.

[63]Le défendeur soutient qu’il se peut que la condition soit générale, mais qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner la portée maintenant. Elle pourra par ailleurs l’être par un tribunal compétent si le demandeur est accusé de ne pas l’avoir respectée.

[64]Le défendeur propose l’emploi d’une autre formulation. Il soutient que la formulation proposée par le demandeur suivant laquelle il ne doit [traduction] « développer aucun lien » à moins d’autorisation de son surveillant de liberté conditionnelle est problématique. Le demandeur pourrait fermer délibérément les yeux sur la question jusqu’à ce qu’il ait violé les conditions. Le défendeur soutient que la formulation [traduction] « n’avoir intentionnellement aucune communication » pourrait être plus appropriée, pareil libellé ayant déjà été examiné dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et considéré comme n’étant pas trop général (Bryntwick c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 2 C.F. 184 (1re inst.)).

[65]Toutefois, le défendeur signale en fin de compte que la tâche de trouver une autre formulation devrait être laissée à la CNLC, plutôt qu’à la Cour.

ANALYSE

1. La condition relative à la prise de médicaments

a) Arguments de droit administratif

Norme de contrôle applicable

[66]Le défendeur avance que la Cour devrait faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de la décision de la CNLC, tandis que le demandeur soutient qu’elle ne devrait avoir aucune retenue. Pour déterminer la norme de contrôle applicable, il faut procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226). Les quatre facteurs à prendre en compte sont les suivants : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative; l’objet de la loi dans son ensemble et de la disposition particulière; l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; et la nature de la question.

[67]Dans la décision Normandin c. Canada (Procureur général), [2005] 2 R.C.F. 373 (C.F.), on a demandé à la Cour de décider si la CNLC avait le pouvoir d’imposer une condition d’assignation à résidence. La juge Tremblay‑Lamer a donné les motifs suivants aux paragraphes 19 et 20 de la décision :

L’objectif principal de la Loi est contenu à l’article 100 de la Loi. Il vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en permettant à la CNLC d’imposer des conditions nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion du délinquant. Le mandat de la CNCL est guidé par les principes énoncés à l’article 101 de la Loi. Il ne fait aucun doute que l’intention du législateur est que la CNLC emploie son expertise dans la prise de décisions appropriées qui permettront de protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant. La Cour devra faire preuve d’une plus grande retenue pour ce type d’expertise.

Cependant, lorsque la question se limite à décider si la CNLC a la compétence, compte tenu des dispositions législatives pertinentes, d’imposer une condition d’assignation à résidence, il s’agit d’une pure question de droit qui appelle à peu ou pas de déférence. Les questions d’interprétation législative sont soumises couramment aux tribunaux judiciaires et ne relèvent pas de l’expertise de la CNLC. La Cour est donc mieux placée que la CNLC pour décider de la question. C’est donc la norme de la décision correcte qui est appropriée. C’est d’ailleurs la norme de contrôle qui a été appliquée dans l’affaire McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (2004), 249 F.T.R. 118 (C.F.), où le juge Russell avait à déterminer si le législateur avait eu l’intention de donner aux délinquants à contrôler le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel [de la Commission nationale des libérations conditionnelles].

[68]De la même manière en l’espèce, la question de savoir si la CNLC avait le pouvoir d’imposer une condition relative à la prise de médicaments est purement une question de droit à l’égard de laquelle la Cour est mieux placée pour répondre. La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte.

Application de la norme de la décision correcte

[69]À l’égard des questions d’interprétation législative, la Cour suprême du Canada applique le principe selon lequel « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).

[70]Le demandeur fait valoir que le pouvoir d’imposer des conditions de traitement n’a pas été expressément conféré à la CNLC et qu’il s’ensuit que ce pouvoir n’a pas été conféré du tout. L’article 134.1 établit les conditions qui peuvent être imposées par la CNLC à un délinquant faisant l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

[71]Le paragraphe 161(1) du Règlement dresse une liste de conditions dont aucune ne rapporte à la question des traitements.

[72]Dans Normandin c. Canada (Procureur général), la juge Tremblay‑Lamer a estimé que les conditions énumérées au paragraphe 161(1) du Règlement constituent les conditions de base et que le législateur avait voulu, par le libellé suffisamment large du paragraphe 134.1(2) de la LSCMLC, laisser à la CNLC un large pouvoir discrétionnaire pour imposer les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société (Normandin c. Canada, au paragraphe 36). La décision de la juge Tremblay‑Lamer sur cette question a récemment été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Normandin c. Canada (Procureur général), [2006] 2 R.C.F. 112, aux paragra-phes 44 à 46, 52 et 64.

[73]En outre, le demandeur établit la comparaison avec la compétence résiduelle des juges qui infligent les peines et il fait valoir que, à l’instar de l’affaire Kieling la Cour a conclu que le juge qui avait imposé la peine n’avait pas compétence pour obliger des délinquants en probation à se soumettre à un traitement médical, la CNLC en l’espèce n’avait pas compétence pour obliger un délinquant à contrôler à se soumettre à un traitement médical.

[74]Un argument semblable a été soulevé dans Normandin c. Canada, en ce qui a trait à l’imposition de conditions d’assignation à résidence à des délinquants dangereux. La juge Tremblay‑Lamer a déclaré ce qui suit au paragraphe 37 :

Le législateur a édicté une disposition législative résiduelle souple qui dessert l’objet général de la Loi et l’intention du législateur de protéger la société tout en favorisant la réinsertion du délinquant. Il serait contraire à l’économie de la Loi lue conjointement avec les dispositions pertinentes du C. cr. applicables, d’écarter la compétence de la CNLC d’imposer une condition d’assignation à résidence à un délinquant à contrôler lorsqu’une telle condition est jugée raisonnable et nécessaire dans la situation particulière d’un délinquant mais qui ne le serait pas dans le cas d’un autre délinquant.

[75]Encore là, cette décision de la juge Tremblay‑ Lamer a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Même si cette analyse se rapporte au cas d’un délinquant dangereux, elle s’applique tout autant à la présente affaire. Il serait contraire aux deux objectifs poursuivis, à savoir protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant (paragraphe 134.1(2) de la LSCMLC), d’écarter la compétence de la CNLC d’imposer une condition de traitement lorsqu’elle juge que cette condition est raisonnable. Dans la présente affaire, la CNLC a souligné que le traitement médical réduira le risque de récidive.

[76]Dans McMurray, le juge Russell a fait remarquer au paragraphe 84 que les termes clairs de l’article laissaient entendre que lA CNLC « a le pouvoir d’imposer toute condition qu’elle juge raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». Le juge Russell a également souligné que, dans l’affaire R. v. V.M., la juge Wilson a analysé trois autres règles générales d’interprétation législative pour conclure que la CNLC avait effectivement compétence pour imposer des conditions de résidence. Je vais examiner ces règles puisque le raisonnement s’applique à la présente affaire.

[77]La juge Wilson a déclaré ce qui suit dans R. v. V.M., au paragraphe 157 :

[traduction] Tout d’abord, lorsqu’une disposition d’une loi pénale est susceptible de deux interprétations, il convient de l’interpréter de la manière la plus favorable à l’accusé. Si la CNLC n’avait pas le pouvoir d’imposer des conditions de résidence dans une ordonnance de surveillance de longue durée, le risque que posent de nombreux délinquants ne pourrait alors être maîtrisé au sein de la collectivité. Selon toute probabilité, ces délinquants seraient ainsi déclarés être des délinquants dangereux.

[78]Cet argument a été avancé par le défendeur relativement aux conditions de traitement, et les faits de la présente affaire m’amènent à lui donner raison sur ce point. Si la CNLC n’avait pas le pouvoir d’imposer des conditions médicales dans une ordonnance de surveillance de longue durée, il est probable que le demandeur ferait l’objet d’une procédure visant à le faire déclarer délinquant dangereux. Comme le mentionne le bulletin de décision prélibératoire de la CNLC (22 octobre 2004), le risque de récidive [traduction] « s’accroîtra grandement sans cette médication » (dossier du demandeur, volume I, à la page 79).

[79]Dans R. v. V.M., la juge Wilson a également soutenu que les textes législatifs doivent être interprétés de manière à éviter les résultats absurdes. Elle a déclaré au paragraphe 158 qu’il serait absurde [traduction] « d’interpréter  une  disposition  législative  qui  vise principalement à protéger le public contre les délinquants représentant un risque grave comme si elle n’accordait pas le pouvoir d’imposer une condition de résidence alors que ce pouvoir existe à l’égard des individus bénéficiant d’une libération conditionnelle et qui représentent un faible risque ».

[80]Dans la présente affaire, il s’agit de savoir s’il serait déraisonnable de conclure que la CNLC n’a pas compétence pour imposer une condition de traitement, traitement dans le sens de médication. Le demandeur allègue que le paragraphe 88(3) de la LSCMLC prévoit que le consentement d’un détenu n’est pas vicié du seul fait que le traitement est imposé comme condition à une permission de sortir, à un placement à l’extérieur ou à une libération conditionnelle et que le refus du traitement peut lui faire perdre la possibilité de tirer avantage des programmes de mise en liberté discrétionnaire. Le demandeur laisse entendre que le législateur a volontairement omis les termes « libération d’office » et « surveillance de longue durée » et il soutient que le traitement imposé dans une ordonnance de surveillance de longue durée exige le consentement.

[81]L’argument du demandeur ne peut être retenu. La surveillance de longue durée ne s’apparente pas à une « libération d’office » normale. Il s’agit plutôt d’une forme de libération conditionnelle d’office. La CNLC impose des conditions établies sur mesure. Si les conditions ne sont pas respectées, le délinquant est alors coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans (paragraphe 753.3(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4; 2002, ch. 13, art. 76] du Code criminel). Qui plus est, l’article 99.1 de la LSCMLC prévoit qu’une personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant. Conclure que l’omission du terme « surveillance de longue durée » empêche la CNLC d’imposer des restrictions d’ordre médical dans une ordonnance de surveillance de longue durée mènerait également au résultat absurde où le pouvoir d’imposer une condition de traitement existe à l’égard des individus bénéficiant d’une libération conditionnelle et qui représentent un faible risque, mais pas à l’égard des délinquants à contrôler faisant l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

[82]Autoriser la remise en liberté dans le cadre d’une ordonnance de surveillance de longue durée sans condition médicale, alors que cette condition est nécessaire, serait également un résultat déraisonnable. Le législateur avait la double intention de protéger le public et de favoriser la réinsertion par la surveillance au sein de la collectivité. En l’espèce, il semble clair que le demandeur ne réintégrerait pas la collectivité et que le risque qu’il représente ne serait pas suffisamment réduit sans traitement médical.

[83]Sans la condition de traitement, le demandeur aurait vraisemblablement été désigné délinquant dangereux.

[84]Finalement, la juge Wilson a affirmé que lorsqu’une disposition peut être interprétée de plusieurs manières, la Cour doit retenir l’interprétation qui est conforme à la Charte (R. v. V.M., au paragraphe 195, avec renvoi à R. c. Wust,  [2000] 1 R.C.S. 455, au paragraphe 34). Je vais aborder les questions touchant la Charte un peu plus loin et je propose que la condition résiste à un examen fondé sur la Charte.

[85]Il s’ensuit donc que la décision de la CNLC d’imposer une condition de traitement dans l’ordonnance de surveillance de longue durée visant le demandeur était appropriée.

b) Considérations entourant la Charte

[86]Le défendeur a présenté une requête suivant laquelle il aurait été nécessaire, pour présenter des observations concernant la Charte, que le demandeur signifie au procureur général du Canada et au procureur général de chacune des provinces un avis au titre de l’article 57 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 54 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)]. Dans la mesure où il a été conclu que les arguments présentés par le demandeur concernant la Charte mènent en fait à une justification au titre de l’article premier, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la Cour doit examiner ou non les observations concernant l’article 57.

[87]Tel qu’il a été mentionné précédemment dans l’analyse du droit administratif, la condition ne viole pas un principe de justice fondamentale en portant atteinte au droit du demandeur à la sécurité de sa personne d’une manière non autorisée par une règle de droit. Bien qu’il n’existe aucun texte législatif désignant expressément le traitement médical comme une condition possible, il apparaît clair en tenant compte du régime législatif et de l’intention du législateur que la CNLC est investie du pouvoir discrétionnaire d’imposer cette condition.

[88]Par ailleurs, la condition peut violer le principe de justice fondamentale voulant que les personnes aient le droit d’être exemptées d’un traitement médical dont elles ne veulent pas. À mon avis, il ne suffit pas, pour le défendeur, de dire qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte parce que le demandeur conserve en définitive le droit de refuser le traitement. Le défendeur reconnaît que, si le demandeur refusait le traitement, il violerait une condition de sa mise en liberté et serait susceptible d’être à nouveau emprisonné. Lorsque le demandeur doit décider s’il prendra les médicaments prescrits par un médecin, il est forcé de choisir entre le droit à la sécurité de la personne et le droit à la liberté. Dans ces circonstances, le demandeur peut être contraint de prendre des médicaments contre son gré. Ce choix entre les droits garantis à l’article 7 de la Charte n’est pas un choix que l’État devrait normalement imposer à une personne. Il existe donc à première vue une violation des droits garantis à l’article 7 de la Charte.

[89]Je suis convaincu que l’atteinte aux droits garantis à l’article 7 se justifie en vertu de l’article premier. La protection du public est un objectif urgent et réel et la condition imposée par la CNLC est rationnellement liée à cet objectif. La condition satisfait à l’exigence d’atteinte minimale du critère énoncé dans l’arrêt Oakes. En l’espèce, il est très peu probable que le demandeur ait pu obtenir une liberté surveillée sans la condition relative à la prise des médicaments prescrits par un médecin. En l’espèce, la condition est adaptée de façon que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 160).

[90]Le demandeur soutient que la condition aurait pu être moins radicale. La CNLC aurait pu exiger qu’il communique son refus de prendre des médicaments au lieu de lui imposer de prendre les médicaments prescrits. Même si la condition proposée constituait une atteinte moins importante aux droits du demandeur, elle ne serait pas suffisante pour protéger le public. La longue histoire du demandeur en matière d’infractions à caractère sexuel sur des enfants a amené la CNLC à trancher que son cas ne pouvait être géré qu’avec l’aide d’un traitement médical. L’agent de libération conditionnelle ne devrait pas avoir à demander d’autres conditions discrétionnaires lorsqu’il apprend que le demandeur a refusé le traitement. Par ailleurs, la CNLC a à juste titre décidé que la protection du public exigeait que le demandeur prenne les médicaments prescrits et que tout manquement à cette condition entraînait immédiatement une violation de l’ordonnance de surveillance de longue durée.

[91]Contrairement à l’arrêt R. v. Rogers, où il existait d’autres [traduction] « moyens moins radicaux » de protéger le public (R. c. Rogers, à la page 488), en l’espèce, l’imposition de la condition relative à la prise des médicaments prescrits était nécessaire. Cette situation constitue l’une des [traduction] « circonstances exceptionnelles » (R. v. Rogers, à la page 488) qui justifieraient une ordonnance de probation.

[92]L’atteinte aux droits de l’article 7 de la Charte peut être justifiée en vertu de l’article premier. La CNLC avait le pouvoir d’imposer comme condition que le demandeur prenne les médicaments prescrits par un médecin. Par conséquent, la Cour ne modifiera pas cette condition.

2. La condition d’interdiction de communication

[93]La norme de la décision raisonnable simpliciter s’applique à la question de savoir si la CNLC aurait dû modifier cette condition contenue dans l’ordonnance du délinquant, puisqu’il s’agit d’une question de droit et de fait.

[94]La condition d’interdiction de communication est rédigée comme suit :

N’avoir aucune communication directe ou indirecte avec des enfants âgés de moins de 16 ans et avec des mères ou des gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans, à moins d’autorisation préalable du surveillant de liberté conditionnelle. [La partie contestée est soulignée.]

[95]La CNLC a déterminé que la condition était imposée par crainte que le demandeur n’établisse des liens avec un parent vulnérable ou une gardienne en vue d’avoir accès aux enfants. Je suis convaincu que la CNLC avait parfaitement raison d’être préoccupée par le bien‑être des jeunes enfants. Compte tenu du dossier du demandeur et de son comportement avec les enfants, je suis convaincu que cette condition est raisonnable.

CONCLUSION

[96]La condition imposant au demandeur qu’il prenne les médicaments prescrits par un médecin est maintenue.

[97]La condition interdisant au demandeur de communiquer avec des enfants âgés de moins de 16 ans ou avec un parent ou une gardienne d’enfants âgés de moins de 16 ans est maintenue.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les dépens seront adjugés au défendeur, s’ils sont demandés.

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