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IMM‑9245‑04

2005 CF 1632

Mujahid Hamid, Ali Hamid, Bilal Hamid (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Snider—Toronto, 17 octobre; Ottawa, 1er décembre 2005.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a retiré deux des fils du demandeur principal de sa demande de résidence permanente au Canada au motif qu’ils ne répondaient pas à la définition d’« enfant à charge » de l’art. 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il avait présenté sa demande en qualité de membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés et il y a inclus des demandes pour son épouse et trois fils — Lorsque la demande a été présentée, les deux fils retirés de la demande, âgés de 23 et 22 ans, étudiaient à temps plein dans des universités américaines, mais ils ont obtenu leur diplôme avant qu’eut été délivré le visa — Il a été indiqué pour la première fois que la demande était en cours de traitement 15 mois après qu’elle eut été présentée — Les art. 75 et 76 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés précisent les conditions auxquelles doit répondre l’étranger lorsqu’il veut immigrer en qualité de travailleur qualifié — Selon l’art. 77, ces conditions doivent l’être tant au moment de la présentation de la demande qu’à celui où le visa est délivré — Les art. 84 et 85 énoncent les exigences applicables aux membres de la famille des travailleurs qualifiés — L’expression « membre de la famille » englobe celle d’« enfant à charge » — Faut‑il répondre à la définition d’« enfant à charge » tant au moment du dépôt de la demande qu’au moment de la délivrance du visa? — Il y a une apparente anomalie consistant à traiter les enfants différemment selon l’âge ou la dépendance financière — Aux termes de l’art. 2 du Règlement, pour être « à charge », l’enfant doit être âgé de moins de 22 ans, être un étudiant qui dépend du soutien financier du parent ou ne pas pouvoir subvenir à ses besoins — Le traitement de la demande de résidence peut durer des années — Le Règlement ne précise pas que l’âge ou la dépendance financière des enfants à charge du travailleur qualifié sont appréciés à la date où la demande est présentée plutôt qu’à celle de la délivrance du visa — En l’absence de dispositions expresses, il faut présumer que la demande doit être traitée en fonction du moment où elle a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada — On ne doit pas pénaliser le demandeur pour des considérations qu’il ne contrôle pas — Il fallait apprécier la situation des deux fils retirés de la demande à la date où la demande a été présentée — La famille n’avait aucun contrôle sur le calendrier du traitement de la demande — Si l’on applique la notion de gel (évaluation de la demande au moment où elle a été présentée) à l’âge, il doit en aller de même pour la dépendance financière — Les questions suivantes ont été certifiées : le principe de la date déterminante (ou du gel) s’applique‑t‑il à la définition de « membre de la famille » dans le cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et l’enfant qui répondait aux critères lors de la présentation de la demande du parent, mais non plus ultérieurement, doit‑il être inclus dans celle‑ci?

Interprétation des lois — Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a retiré deux des fils du demandeur principal de sa demande de résidence permanente au Canada au motif qu’ils ne répondaient pas à la définition d’« enfant à charge » du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il faut lire les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur — Aux termes de l’art. 12 de la Loi d’interprétation, tout texte s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet — La Cour a examiné le contexte de la disposition afin de dire s’il en ressortait une intention contraire à la présomption de gel en ce qui concerne la dépendance financière des enfants — Selon l’art. 77 du Règlement, les critères qui doivent être remplis doivent l’être tant au moment de la présentation de la demande qu’à celui où le visa est délivré — Ce texte ne précise pas qu’ils sont aussi applicables aux membres de la famille inclus dans la demande du demandeur principal — Le silence de l’art. 77 concernant les membres de la famille constitue une nette indication que l’âge et la dépendance doivent être déterminés à la date de présentation de la demande — Le principe d’interprétation des lois connu sous le brocard expressio unius est exclusio alterius n’est pas concluant; cependant, il aide l’interprète — Si le législateur a expressément prévu des cas où la notion de gel n’est pas applicable, son intention était de la rendre applicable aux autres cas qui n’ont pas été précisés — Cela est conforme à l’objet de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et à l’intention du législateur — La détermination de la dépendance financière à la date de la présentation de la demande n’est pas contraire à l’objet de la LIPR et va dans le sens du principe directeur de la réunification des familles — Les art. 77 et 121 du Règlement prévoient des cas où est expressément exclue la présomption selon laquelle la date déterminante pour ce qui est de certains faits est celle de la présentation de la demande — Vu que le Règlement ne prévoit pas d’exceptions semblables concernant la dépendance financière d’enfants de demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés, il était manifeste que le Règlement vise à restreindre l’appréciation de certains facteurs à la date de délivrance du visa aux cas prévus par ces dispositions — Par conséquent, la date déterminante pour tous les facteurs énoncés dans la définition de l’expression « enfant à charge » est celle de la présentation de la demande.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 28 septembre 2004, par laquelle un agent des visas a retiré deux des fils du demandeur principal de sa demande de résidence permanente au Canada au motif qu’ils ne répondaient pas à la définition d’« enfant à charge » de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur principal a présenté sa demande de résidence permanente le 25 février 2002 en qualité de membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés. Il a inclus des demandes pour son épouse et trois fils à titre de membres de la famille. Lorsque la demande a été présentée, les deux fils retirés de la demande, âgés de 23 et 22 ans, étudiaient à temps plein dans des universités américaines, mais ils avaient tous deux obtenu leur diplôme en mai 2003 lorsqu’il a été indiqué pour la première fois qu’elle était en cours de traitement. Les articles 75 et 76 du Règlement énoncent les conditions précises que l’étranger doit remplir lorsqu’il veut être accepté au Canada en qualité de « travailleur qualifié ». Les conditions relatives aux membres de la famille de la personne qui a fait sa demande de résidence à titre de travailleur qualifié sont énoncées aux articles 84 et 85. La définition de l’expression « membre de la famille » (paragraphe 1(3)) englobe celle d’« enfant à charge ». Seul répond à la définition d’« enfant à charge » de l’alinéa 2b) du Règlement l’enfant qui est âgé de moins de 22 ans, ou qui est un étudiant dépendant du soutien financier du parent ou qui ne peut pas subvenir à ses besoins. La question en litige était la suivante : l’agent des visas a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il fallait répondre à la définition d’« enfant à charge » tant au moment du dépôt de la demande qu’au moment de la délivrance du visa?

Jugement : la demande est accueillie.

Il faut lire les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Aux termes de l’article 12 de la Loi d’interprétation, tout texte s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

La pratique de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) consistant à prendre en compte la dépendance financière au moment de la délivrance du visa se démarque de celle qui consiste à considérer comme déterminante la date de la présentation de la demande pour ce qui est de l’âge, peu importe l’âge de l’enfant au moment de la délivrance du visa. Il y a donc une apparente anomalie consistant à traiter les enfants différemment selon l’âge ou la dépendance financière. On parle de « gel » ou de « date déterminante » lorsque la demande doit être évaluée à la date où elle a été présentée plutôt qu’à celle de la délivrance du visa. Le traitement de la demande peut durer plusieurs années. Le Règlement régissant la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ne précise pas que l’âge ou la dépendance financière sont appréciés à la date où la demande est reçue. Rien dans la définition ou dans les articles 84 et 85 du Règlement ne porte directement sur la question du gel. En l’absence de dispositions expresses dans le Règlement, il faut présumer que le demandeur de résidence a le droit de voir sa demande traitée en fonction du moment où elle a été reçue par CIC. Le principe sous‑jacent à cette présomption est que l’on ne doit pas pénaliser le demandeur qui remplit par ailleurs les critères de sélection des immigrants au Canada pour des considérations qu’il ne contrôle pas. La jurisprudence enseigne que la famille ne doit pas subir une séparation en raison du caractère arbitraire du calendrier de traitement de la demande. Selon ce principe, il fallait apprécier la situation des deux fils retirés de la demande à la date où la demande a été présentée. La famille n’avait aucun contrôle sur le calendrier du traitement de la demande. Ce retrait était arbitraire et il aurait été évité si le Règlement avait été interprété de manière à imposer la notion de gel à la dépendance financière. Si l’on applique la notion de gel à l’âge, il doit logiquement en aller de même pour la dépendance financière.

La Cour a examiné le contexte de la disposition afin de dire s’il en ressortait une intention contraire à la présomption de gel. Les articles 75 et 76 du Règlement, qui définissent les membres de cette catégorie et les critères de sélection servant à l’évaluation de leur demande, renvoient aux facteurs d’évaluation énoncés dans les articles 78 à 83. Toutes ces dispositions sont muettes quant aux membres de la famille; elles portent exclusivement sur les demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Selon l’article 77, le demandeur doit répondre aux critères applicables à la fois au moment de la présentation de la demande et au moment où le visa lui est délivré. Cependant, cette exigence n’englobe pas expressé-ment les membres de la famille qui sont inclus dans sa demande en vertu des articles 84 et 85. Le silence de l’article 77 du Règlement concernant les membres de la famille constitue une nette indication que la date déterminante pour ce qui est de l’âge et de la dépendance est celle de la présentation de la demande.

En outre, il y a une différence évidente entre l’article 84 du Règlement (visant les enfants à charge des travailleurs qualifiés), et l’alinéa 121a) (visant les enfants à charge des demandeurs appartenant à la catégorie du regroupement familial). En effet, l’alinéa 121a) retient la notion de gel pour ce qui est de l’âge de l’enfant à charge et prévoit qu’il n’en va pas de même pour certains autres facteurs, alors que l’article 84 est muet en ce qui concerne la date déterminante. Une seule interprétation découle logiquement de cette omission : si une disposition ne prévoit pas une exigence donnée et qu’une disposition comparable la prévoit, on doit admettre que cette exigence n’est pas applicable lorsque la première est en jeu. Si l’on devait admettre que, d’un tel silence, il faut inférer que la date déterminante n’est pas celle de la présentation de la demande, l’alinéa 121a) serait redondant et ne voudrait plus rien dire. Le principe d’interprétation des lois connu sous le brocard expressio unius est exclusio alterius n’est jamais concluant; cependant, il aidait l’interprète en l’espèce. Si le législateur a expressément prévu des cas où la notion de gel n’est pas applicable, son intention était de la rendre applicable à d’autres cas qui n’ont pas été précisés.

Le législateur dit explicitement que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) a notamment pour objet de veiller à la réunification des familles au Canada. Cependant, si le Règlement peut imposer aux enfants à charge des demandeurs de la catégorie du regroupement familial l’obligation de maintenir leur statut de dépendant tout au long du processus d’obtention du visa tout en respectant l’intention du législateur, qui peut comporter des aspects divergents, il n’a pas été donné à cet objet particulier beaucoup de poids. Néanmoins, dire que la date déterminante pour ce qui est de la dépendance financière est celle de la présentation de la demande n’est pas, de prime abord, contraire à l’objet de la LIPR et va dans le sens du principe directeur de la réunification des familles. Le Règlement a le même objet que la loi habilitante. Des dispositions spécifiques (les articles 77 et 121) prévoient des cas où est expressément exclue la présomption selon laquelle la date déterminante pour ce qui est de certains faits est celle de la présentation de la demande. Vu que le Règlement ne prévoit pas d’exceptions semblables concernant la dépendance financière des enfants de demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés, il était manifeste que le Règlement vise à restreindre l’appréciation de certains facteurs à la date de délivrance du visa aux cas prévus par les articles 77 et 121. Par conséquent, la date déterminante, aux fins des articles 84 et 85 du Règlement, pour tous les facteurs énoncés dans la définition de l’expression « enfant à charge » est celle de la présentation de la demande. L’état de dépendance des fils retirés de la demande aurait dû être apprécié à la date de la présentation de celle‑ci.

Les questions de portée générale suivantes ont été certifiées : a) Le principe de la date déterminante, ou de gel, consacré par la jurisprudence s’applique‑t‑il à la définition de membres de la famille dans le cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?; b) Si l’enfant de plus de 22 ans, qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent parce qu’il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental, ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l’article 2 du Règlement au moment de la délivrance du visa, doit‑il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

lois et règlements cités

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 9(3),(4) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d), f), 5, 14.

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, art. 11(3)b) (mod. par DORS/81‑461, art. 1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 1(3) (mod. par DORS/2004‑217, art. 1), 2 « enfant à charge », 75 (mod. par DORS/2004‑167, art. 27, 80b)(F)), 76 (mod., idem, art. 28(F)), 77, 78, 79 (mod., idem, art. 29), 80, 81, 82 (mod., idem, art. 30), 83, 84, 85, 121 (mod., idem, art. 42).

jurisprudence

décision appliquée :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions différenciées :

Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 81 (1re inst.) (QL); Shabashkevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 361; Belousyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 746.

décision examinée :

Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.).

décisions citées :

Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312; Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 108 (C.F. 1re inst.) (QL); Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 307 (1re inst.) (QL); Wong c. Canada (Ministrede l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.); Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (Re), [1986] 3 C.F. 275 (C.A.).

doctrine citée

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent des visas a retiré deux des fils du demandeur principal, Ali et Bilal, de sa demande de résidence permanente au Canada au motif qu’ils ne répondaient pas à la définition d’« enfant à charge » du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ont comparu :

Lorne Waldman pour les demandeurs.

Neeta Logsetty pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Waldman & Associates, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]La juge Snider : M. Mujahid Hamid, désirant immigrer au Canada avec sa famille, a présenté sa demande de résidence permanente le 25 février 2002 en qualité de membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés. Il a inclu des demandes pour son épouse et trois fils, Ali, Bilal et As’ad. Lorsque la demande a été présentée, Ali avait 23 ans, Bilal 22 ans, et As’ad 20 ans; de plus, Ali et Bilal étudiaient à temps plein dans des universités américaines. Ali a obtenu son diplôme en juin 2002, et Bilal en mai 2003.

[2]Dans la décision du 28 septembre 2004, un agent d’immigration (l’agent des visas) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé M. Hamid que Ali et Bilal seraient retirés de la demande [traduction] « parce qu’ils ne peuvent être considérés comme vos dépendants ». L’agent des visas a invoqué les motifs suivants :

[traduction] Vos fils, Ali et Bilal avaient plus de 22 ans lorsque votre demande a été reçue par notre bureau; par conséquent, ils doivent répondre aux critères du sous‑alinéa 2b)(ii) ou du sous‑alinéa 2b)(iii) du [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement)] […] J’ai conclu qu’ils ne répondent à la définition de l’expression « enfant à charge  » du [Règlement]. Si l’enfant de plus de 22 ans est considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande aux termes du sous alinéa 2b)(ii) ou du sous‑alinéa 2b)(iii) du Règlement—dépendant du soutien financier du parent parce qu’il est étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental—cela doit toujours être le cas au moment de la délivrance du visa pour qu’il soit inclus dans la demande du parent.

Les demandeurs, M. Hamid, ainsi que ses fils Ali et Bilal, demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige

[3]La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question d’interprétation des lois. Plus précisément :

1. L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu que Ali et Bilal devaient répondre à la définition d’« enfant à charge » du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) au moment de la délivrance du visa?

La norme de contrôle

[4]En l’espèce, les faits ne sont pas matière à controverse. C’est une question d’interprétation des lois dont je suis saisie : aux termes du Règlement, faut‑il déterminer l’état d’enfant à charge uniquement au moment où la demande est faite, ou aussi au moment ou le visa est délivré? La réponse à cette question de droit constitue un préalable à l’exercice par l’agent de son pouvoir discrétionnaire. Lorsque l’agent des visas décide, en fin de compte, d’exclure des personnes en exerçant son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle de cette décision est plus élevée (Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, au paragraphe 12); cependant, en l’espèce, la norme est la suivante : l’agente a‑t‑elle correctement interprété le Règlement applicable?

Le cadre réglementaire pertinent

[5]M. Hamid a demandé la résidence permanente pour lui‑même et sa famille à titre de membre de la « catégorie des travailleurs qualifiés (Fédéral) » visée par l’article 75 [mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80(F)], à la section 1 du Règlement. Les articles 75 et 76 [mod., idem, art. 28(F)] du Règlement énoncent les exigences précises que l’étranger doit remplir lorsqu’il veut être accepté au Canada en qualité de « travailleur qualifié », ce qui est le cas de M. Hamid en l’espèce. En outre, l’article 77 est particulièrement pertinent; il se lit comme suit :

77. Pour l’application de la partie 5, les exigences et critères prévus aux articles 75 et 76 doivent être remplis au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré.

[6]Les exigences relatives aux membres de la famille de la personne qui a fait sa demande de résidence à titre de travailleur qualifié sont énoncées aux articles 84 et 85 :

84. L’exigence applicable à l’égard des membres de la famille du travailleur qualifié qui présente une demande de visa de résident permanent en vertu de la section 6 de la partie 5 est que l’intéressé doit, dans les faits, être un membre de la famille du travailleur qualifié.

85. L’étranger qui est membre de la famille de la personne qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) devient résident permanent s’il est établi, l’issue d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire.

[7]La définition de l’expression « membre de la famille » dans le paragraphe 1(3) [mod. par DORS/2004-217, art. 1] englobe celle d’« enfant à charge », et celle‑ci est définie ainsi à l’article 2 de la manière suivante :

2. [. . .]

« enfant à charge » L’enfant qui :

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(i) il est âgé de moins de vingt‑deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(iii) il est âgé de vingt‑deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

La pratique de CIC

[8]La pratique de CIC consistant à prendre en compte la dépendance financière au moment de la délivrance du visa se démarque de celle qui consiste à considérer comme déterminante la date de présentation de la demande pour ce qui est de l’âge, peu importe l’âge de l’enfant au moment de la délivrance du visa. Dans la note interne de CIC du 13 septembre 2004, rédigée au sujet de la demande de M. Hamid, un employé de CIC a formulé cette pratique de la manière suivante :

[traduction] La date déterminante (pour ce qui est de l’âge) est celle de la présentation de la demande; cependant, ce n’est pas le cas pour la dépendance. Si l’enfant a moins de 22 ans au jour de la demande, mais 23 ans lorsque le visa est délivré, il peut encore figurer dans la demande du parent à titre de dépendant qui l’accompagne. Si l’enfant de plus de 22 ans est considéré comme dépendant le jour de la présentation de la demande aux termes des sous‑alinéas 2b)(ii) ou (iii) du Règlement—dépendant du soutien financier du parent parce qu’il est étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental—cela doit toujours être le cas au moment de la délivrance du visa pour qu’il soit inclus dans la demande du parent.

[9]Cette notion de gel, selon laquelle la date de présentation de la demande constitue la date déterminante (pour ce qui est de l’âge) fait aussi l’objet d’observations dans le paragraphe 5.24 de OP 1 Procédures de CIC, où sont énoncées les lignes directrices suivantes au sujet du gel (on y parle de « date limite ») :

5.24. Date limite

La date limite est un point de repère pour la détermination de certains facteurs qui interviennent dans le traitement d’une demande. Ni la Loi ni le Règlement ne définissent la date limite. Celle‑ci est sans effet sur les exigences de la Loi et du Règlement auxquelles un demandeur doit se soumettre lorsqu’un agent lui accorde une autorisation de séjour.

[. . .]

Catégories des réfugiés et de l’immigration économique : La date limite (pour ce qui est de l’âge) est la date où un bureau des visas a accepté une présentation comme une demande.

[10]Je ne suis pas directement appelée à me pronon-cer sur la question de savoir si la date déterminante pour ce qui est de l’âge est la date de présentation de la demande; cependant, il m’est impossible d’examiner les dispositions pertinentes sans remarquer l’apparente anomalie consistant à traiter les enfants différemment selon l’âge ou la dépendance financière.

Analyse

[11]Une question d’interprétation des lois est au cœur du présent différend. À plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a donné des indications sur l’approche à suivre en la matière. Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, le juge Iacobucci, exprimant l’avis unanime de la Cour, a avalisé le passage suivant de Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[12]Je signale aussi l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, qui se lit comme suit :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[13]Guidée par ce cadre, ma tâche ne peut pas se limiter à tenter de comprendre les termes ou les expressions en les isolant du reste de la disposition dans laquelle ils figurent. Je dois aussi tenir compte de leur contexte et de l’objet de la Loi. Je vais donc effectuer l’analyse suivante :

· Je commencerai par examiner le texte des articles 84 et 85 du Règlement, les définitions des expressions « membre de la famille » et « enfant à charge » et la jurisprudence pertinente. Le texte même des dispositions pertinentes ou la jurisprudence qui s’y rapporte portent‑ils sur cette question? Y a‑t‑il une présomption qui oriente l’interprétation de ces dispositions?

· Pour me guider, je me pencherai ensuite sur les dispositions voisines de la section 1, partie 6, du Règlement qui ont trait aux travailleurs qualifiés, parce que la question dont je suis saisie se pose à l’égard d’une demande d’admission au Canada en qualité de travailleur qualifié et, pour élargir mes horizons, je me pencherai sur les dispositions du Règlement qui portent aussi sur l’admission au Canada des membres de la famille, plus précisément celles qui ont trait à la catégorie du regroupement familial et qui figurent dans la partie 7, section 1 du Règlement. Le régime de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27] et du Règlement confirme‑t‑il ou réfute‑t‑il une interprétation donnée?

· Enfin, j’examinerai l’objet général de la Loi et apprécierai l’économie de la loi et du règlement. Y a‑t‑il un objet ou intention expresse ou implicite qui confirme ou réfute une interprétation donnée?

Que disent les dispositions directement applicables sur cette question?

[14]Aux termes de la définition d’« enfant à charge », il doit remplir l’une des trois conditions suivantes énoncées à l’alinéa b). En général, l’enfant :

· est âgé de moins de 22 ans;

· est un étudiant qui dépend du soutien financier du parent;

· ne peut pas subvenir à ses besoins.

[15]On parle de gel lorsque la demande doit être évaluée à la date où elle a été présentée plutôt qu’à celle de la délivrance du visa; c’est la première qui est déterminante. Comme il faut parfois des années après la présentation de la demande de résidence pour achever ce traitement, l’idée de gel prend toute son importance en matière d’immigration.

[16]En ce qui a trait aux enfants à charge, le Règlement régissant la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ne précise pas que l’âge (définition, sous‑alinéa 2b)(i)) ou la dépendance financière (définition, sous‑alinéas 2b)(ii) et (iii)) sont appréciés à la date où la demande est présentée. Rien dans la définition ou dans les articles 84 et 85 du Règlement ne porte directement sur la question du gel.

[17]Le défendeur signale que, aux termes de la définition, l’enfant ne doit pas avoir « cessé d’être inscrit » à un établissement d’enseignement et qu’il doit suivre « activement » des cours et il soutient qu’il s’agit là d’une exigence continue qui ne saurait souffrir d’interruptions. Si je me penche d’abord sur l’expression « suit activement », celle‑ci n’indique de nulle manière le cadre temporel que l’agent doit respecter. Elle n’indique pas plus une obligation continue que l’exigence d’âge; cette exigence peut être comparée à une photographie prise à la date pertinente. En ce qui concerne un enfant à charge, cette photographie doit montrer un enfant qui, au jour en question, suit activement ses cours.

[18]Cependant, l’expression « n’a pas cessé » connote une continuité dans le temps. On ne peut pas dire que l’intéressé n’a pas cessé de se livrer à une activité à une date précise; il faut examiner ce qui s’est produit avant et après cette date pour déterminer si l’activité n’a pas cessé. Voilà qui va dans le sens de la thèse du défendeur, qui a soutenu que le statut scolaire de l’enfant doit être maintenu tout au long du processus de traitement de la demande. Par contre, on pourrait aussi soutenir que cette disposition veut dire que l’étudiant ne doit pas avoir cessé d’être inscrit préalablement au jour de la présentation de la demande. Par exemple, il est possible que l’enfant qui a interrompu ses études pendant deux ans pour voyager en Europe avec son sac à dos ne respecterait pas cette exigence, contrairement à celui qui a poursuivi ses études sans interruption jusqu’à ce jour. Selon cette interprétation, le Règlement est muet sur la question de savoir si l’enfant doit maintenir son statut scolaire pendant la période allant du jour de la présentation de la demande à celui de la délivrance du visa. Vu le flou de l’expression « n’a pas cessé d’être inscrit », je ne suis pas disposée à avaliser l’argument du défendeur et à m’appuyer sur lui pour tirer une conclusion définitive sur la question de l’application du gel.

Comme le Règlement applicable ne prévoit pas directement de gel, y a‑t‑il une présomption qu’il y en a un?

[19]Les demandeurs soutiennent que, en l’absence de dispositions expresses dans le Règlement, il faut présumer que le demandeur de résidence a le droit de voir sa demande traitée en fonction du moment où elle a été reçue par CIC. Ils affirment que ce mode de traitement des demandes est équitable, vu les longs délais entre le dépôt de la demande et l’aboutissement de celle‑ci, dont le demandeur n’est pas responsable. Les demandeurs citent toute une jurisprudence à l’appui de cette thèse : Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 108 (1re inst.) (QL) (gel pour ce qui est de l’âge); Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.) (gel pour ce qui est des exigences d’évaluation professionnelle); Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 307 (1re inst.) (QL) (gel pour ce qui est des exigences d’évaluation professionnelle); Wong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.) (gel pour ce qui est de l’âge).

[20]Cette jurisprudence a bien fixé le droit : la date déterminante pour ce qui est de l’âge et des exigences d’évaluation professionnelle est le jour de la présentation de la demande (sauf si cette présomption est modifiée par des dispositions légales explicites). À mon avis, le principe sur lequel ces décisions reposent est simple : on ne doit pas pénaliser le demandeur qui remplit par ailleurs les critères de sélection des immigrants au Canada pour des considérations qu’il ne contrôle pas. Dans une affaire concernant un enfant qui a son 23e anniversaire au moment où le parent attend toujours l’achèvement du traitement de la demande, il a été statué que la famille ne doit pas subir une séparation en raison du caractère arbitraire du calendrier de traitement de la demande. « La date de la demande est la seule date qui dépend de la volonté du demandeur et elle est par conséquent la seule date qui peut être établie de façon non arbitraire » (Choi, au paragraphe 8).

[21]Si j’applique ce principe en l’espèce, cela m’amène à conclure que la situation d’Ali et de Bilal devrait être appréciée à la date où la demande a été présentée. Nul doute que la famille n’a aucun contrôle sur le calendrier du traitement de la demande. La demande d’origine a été présentée le 25 février 2002. La première indication qu’elle était en cours de traitement a été donnée le 1er mai 2003—quelque 15 mois après qu’eut été présentée la demande. Si la demande de M. Hamid avait été étudiée avant juin 2002, lorsque Ali a obtenu son diplôme, Ali et Bilal auraient été inclus à titre de membres de la famille. Si le traitement de la demande avait été achevé avant mai 2003, lorsque Bilal a obtenu son diplôme, Bilal—mais non pas Ali—aurait été inclus. Après mai 2003, les deux fils sont rejetés. On évite des résultats arbitraires tout simplement en interprétant le Règlement de telle manière qu’il impose comme date déterminante celle de la présentation de la demande pour ce qui est de la dépendance financière. Par conséquent, je conclus que si l’on applique la notion de gel à l’âge, il doit logiquement en aller de même pour la dépendance financière.

[22]Le défendeur invoque la jurisprudence qui semble établir que cette notion ne s’applique pas forcément à telle ou telle demande, et que l’agent des visas doit apprécier les circonstances au moment où il prend sa décision (Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 81 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 9 à 13; Shabashkevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 361, aux paragraphes 17 à 18); Belousyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 746, aux paragraphes 18‑19)). L’examen de cette jurisprudence révèle qu’il faut faire des distinctions importantes.

[23]Dans l’affaire Lau, l’agent des visas avait des réserves quant à la capacité du demandeur s’établir avec succès au Canada. L’alinéa 11(3)b) [mod. par DORS/81-461, art. 1] du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172 (qui a été remplacé par le Règlement actuel) prévoyait que l’agent des visas pouvait refuser un visa d’immigrant à un immigrant s’il était d’avis « qu’il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d’appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier […] de s’établir avec succès au Canada ». Selon cette disposition, l’agent avait très précisément l’obligation de déterminer si le demandeur en question pourrait s’établir avec succès à son arrivée au Canada et non pas seulement au jour de la présentation de la demande. Il devait donc forcément examiner la situation du demandeur au moment de décider s’il devait délivrer le visa et, le cas échéant, les circonstances ayant changé. Dans l’affaire Lau, les offres d’emploi sur lesquelles s’était appuyé le demandeur avaient été retirées au moment de la délivrance du visa, ce qui a amené l’agent à conclure que le demandeur ne pourrait sans doute pas s’établir avec succès au Canada. Je suis d’avis que cette décision n’établit pas pour principe que l’appréciation de tous les facteurs doit être faite à la date de la délivrance du visa.

[24]Dans la décision Shabashkevich, le demandeur avait fait une demande d’immigration au Canada à titre d’entrepreneur et il était tout autant visé par l’alinéa 11(3)b), qui confère un pouvoir discrétionnaire à l’agent des visas, que celui dans l’affaire Lau. La Cour a expressément suivi la décision Lau.

[25]Dans la décision Belousyuk, la juge Gauthier a déclaré au paragraphe 19 que « l’agent des visas doit évaluer la demande de résidence permanente en se fondant sur les faits tels qu’ils existent au moment de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ». On ne peut pas isoler ces observations de leur contexte. L’agent des visas avait rejeté la demande au motif que le demandeur avait donné une fausse indication sur un fait important, contrairement au paragraphe 9(3) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (abrogée depuis), et qu’il ne s’était pas conformé la demande de l’agente des visas de fournir des documents supplémentaires (paragraphe 9(4) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4]). La juge Gauthier a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que l’agente des visas avait correctement conclu que le demandeur n’avait pas respecté le paragraphe 9(3) et que ce seul motif justifiait le rejet de sa demande. Les observations de la Cour au sujet de la notion de date déterminante avaient un caractère incident. Quoiqu’il en soit, elles ne visaient que des faits semblables à ceux qui étaient en cause dans les affaires Lau et Shabashkevich. Là encore, la décision Belousyuk ne conforte pas la thèse du défendeur.

[26]Pour résumer sur ce point, le principe sous‑jacent à la notion de gel qui a été appliquée à l’exigence d’âge des enfants à charge est tout aussi pertinent quant à l’exigence de dépendance financière. Par conséquent, je suis d’avis qu’il y a une présomption de gel, sauf lorsque la disposition légale applicable exige que l’appréciation se fasse à un autre moment.

Cette interprétation concorde‑t‑elle avec le régime légal?

[27]En principe donc, la dépendance financière doit être déterminée à la date de la présentation de la demande; je dois maintenant examiner le contexte de la disposition afin de décider s’il en ressort une intention contraire. Je commence avec la section 1 de la partie 6 du Règlement qui donne le cadre d’évaluation des demandes d’immigration au Canada à titre de travailleur qualifié. M. Hamid a fait sa demande en vertu de ces dispositions.

[28]Les articles 75 et 76 du Règlement définissent les membres de cette catégorie et les critères de sélection servant à l’évaluation de leur demande, et ils renvoient aux facteurs d’évaluation énoncés dans les articles 78, 79 [mod. par DORS/2004-167, art. 29], 80, 81, 82 [mod., idem, art. 30] et 83. Toutes ces dispositions sont muettes quant aux membres de la famille; elles portent exclusivement sur les demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. L’article 77 du Règlement revêt une importance particulière; il se lit comme suit :

77. Pour l’application de la partie 5, les exigences et critères prévus aux articles 75 et 76 doivent être remplis au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré.

[29]L’article 77 est clair : M. Hamid doit remplir les critères prévus par les articles 75, 76 et 78 à 83 qui le concernent à la fois au moment de la présentation de la demande et au moment où le visa lui est délivré. Cependant, cette exigence n’englobe pas expressément les membres de la famille qui sont inclus dans sa demande en vertu des articles 84 et 85 du Règlement. Le silence de l’article 77 du Règlement concernant les membres de la famille constitue une nette indication que l’âge et la dépendance doivent être déterminés à la date de présentation de la demande. Cette omission est éloquente.

[30]Je peux aussi faire une comparaison entre l’article 84 du Règlement, qui s’applique aux enfants à charge des demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés, et l’article 121 [mod. par DORS/2004-167, art. 42], qui s’applique aux enfants à charge des demandeurs appartenant à la catégorie du regroupement familial.

121. Les exigences applicables à l’égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

a) l’intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu’il ait atteint l’âge de vingt‑deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande. 

[31]Il y a une différence évidente entre ces deux dispositions et il faut en tenir compte pour interpréter la loi dans son ensemble. L’alinéa 121a) va même plus loin : il retient comme date déterminante pour ce qui est de l’âge de l’enfant à charge celle de présentation de la demande et prévoit précisément qu’il n’en va pas de même pour certains autres facteurs. Par contre, l’article 84 est muet en ce qui concerne la date déterminante.

[32]Je suis d’avis qu’une seule interprétation découle logiquement de cette omission. Si une disposition ne prévoit pas une exigence donnée et qu’une disposition comparable la prévoit, on doit admettre que cette exigence n’est pas applicable lorsque la première est en jeu. Si l’on devait admettre que, d’un tel silence, il faut inférer que la date déterminante n’est pas celle de la présentation de la demande, comme il a été statué dans la décision Lau, et dans les autres décisions, l’alinéa 121a) serait redondant et ne voudrait plus rien dire.

[33]Le principe d’interprétation des lois connu sous le brocard expressio unius est exclusio alterius n’est jamais concluant; cependant, il aide l’interprète en l’espèce. En effet, si le législateur a expressément prévu des cas où la notion de gel n’est pas applicable, on peut en inférer que son intention était de la rendre applicable dans d’autres cas qui n’ont pas été précisés (Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (Re), [1986] 3 C.F. 275 (C.A.), à la page 289).

[34]Le défendeur soutient que le Règlement encadrant les demandeurs de la catégorie de la famille n’a aucune pertinence quant au droit applicable aux demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Les deux régimes sont très différents; en qui concerne le premier, le parent qui fait le parrainage se trouve déjà au Canada, et dans le deuxième, le parent immigre au Canada avec les enfants.

[35]En ce qui concerne ce point, je ne trouve pas les arguments du défendeur convaincants. Je conviens que la loi traite différemment les deux catégories d’immigrants à bien des égards; cependant, si je me penche sur les demandeurs de la catégorie du regroupement familial, mon seul but est de voir ce que dit le Règlement sur le calendrier de traitement de la demande. Sous cet angle, l’article 121 est utile parce qu’il permet de démontrer, là encore, que le Règlement aurait pu comprendre une disposition prévoyant le « blocage » de la situation des membres de la famille de la catégorie des travailleurs qualifiés, ce qui n’est pas le cas. On doit en inférer logiquement que, pour ces personnes, c’est la date de la présentation de la demande qui est déterminante.

Cette interprétation concorde‑t‑elle avec l’objet de la LIPR et avec l’intention du législateur?

[36]L’étape finale de mon analyse consiste à déterminer si la notion de gel relative à la dépendance financière est conforme à l’objet de la LIPR et à l’intention du législateur.

[37]Le législateur dit explicitement que la LIPR a notamment pour objet « de veiller à la réunification des familles au Canada » (alinéa 3(1)d)). Si la dépendance financière des fils de M. Hamid était appréciée à la date de la présentation de la demande, cela permettrait à la famille de M. Hamid de rester ensemble, ce qui correspond à cet objet. Cependant, j’hésite à accorder beaucoup d’importance à ce facteur. Les demandeurs ont eux‑même signalé que, aux termes de l’article 121 du Règlement, les enfants à charge des demandeurs de la catégorie du regroupement familial sont tenus de maintenir leur statut de dépendants tout au long du processus d’obtention du visa. Si le Règlement peut imposer cette restriction tout en respectant l’intention du législateur, et je suppose que c’est le cas, les mêmes restrictions pourraient alors s’appliquer aux enfants à charge des demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés sans non plus porter atteinte à cette intention. En outre, je remarque aussi que la LIPR vise aussi, aux termes de l’alinéa 3(1)f), à permettre au législateur de promouvoir ses objectifs en matière d’immigration par le truchement de la LIPR, qui pourraient éventuellement se traduire par l’exclusion des enfants à charge qui ne sont plus dépendants au moment de la délivrance du visa. Cet aspect particulier de la Loi n’aide donc pas beaucoup l’interprète; tout ce que l’on peut dire est que la détermination de la dépendance financière à la date de la présentation de la demande n’est pas, de prime abord, contraire à l’objet de la LIPR et que le principe directeur de la réunification des familles va dans ce sens.

[38]Les dispositions visées par la présente demande de contrôle judiciaire figurent dans le Règlement. Le législateur fédéral a conféré au pouvoir exécutif un très large pouvoir réglementaire (articles 5 et 14 de la LIPR). Le Règlement est très précis et sa formulation soignée. Il ne fait pas état d’un objet distinct; cependant, son objet doit être celui de la loi habilitante. Ce Règlement prévoit des cas où est expressément exclue la présomption selon laquelle la date déterminante pour ce qui est de certains faits est celle de la présentation de la demande; plus précisément, il s’agit des articles 77 et 121. Le Règlement aurait pu prévoir des exceptions semblables concernant la dépendance financière d’enfants de demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Ce n’est pas le cas. Je pense donc qu’il est manifeste que le Règlement vise à restreindre l’appréciation de certains facteurs à la date de délivrance du visa aux cas prévus par les articles 77 et 121. En ce qui a trait à Ali et à Bilal, leur dépendance aurait dû être appréciée à la date de la présentation de la demande.

Conclusion

[39]En résumé, si on lit les dispositions pertinentes du Règlement dans leur sens ordinaire, au regard de leur contexte, de l’objet de ce texte et du régime général instauré par lui et la LIPR et de l’intention du législateur, la date déterminante, aux fins des articles 84 et 85 du Règlement, pour tous les facteurs (notamment la dépendance financière) énoncés dans la définition de l’expression « enfant à charge » est celle de la présentation de la demande.

[40]Cependant, une mise en garde s’impose. Lorsque je parle de la date de la présentation de la demande, je parle de la date où le demandeur a déposé un dossier complet, conformément aux exigences du Règlement. En l’espèce, je ne me prononce pas sur la question de savoir si la demande était complète au 25 février 2002. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai tenu pour acquis que tel était le cas.

[41]Je conclus donc que l’agent des visas a commis une erreur et que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

Question certifiée

[42] À la conclusion de l’audience, j’ai invité les parties à envisager de demander que soit certifiée une question. Le défendeur demande que soit certifiée la question suivante :

Si l’enfant de plus de 22 ans qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent parce qu’il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑22, au moment de la délivrance du visa, doit‑il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

[43]Le demandeur soutient que, outre la question proposée par le défendeur, il faut d’abord poser la question suivante :

Le principe du gel consacré par la jurisprudence s’applique‑t‑il à la définition de membres de la famille dans le cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?

[44]Je suis d’avis que ces deux questions ont une portée générale et qu’elles doivent être certifiées. Les tribunaux ne se sont pas penchés sur la question de la date déterminante pour ce qui est de la dépendance financière. Les réponses à ces questions sont au cœur de ma décision. De plus, vu le nombre d’immigrants qui font une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, il me semble que les observations d’un tribunal plus élevé seraient utiles à tous.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour réexamen;

2. Les questions de portée générale suivantes sont certifiées :

(a) Le principe de la date déterminante consacré par la jurisprudence s’applique‑t‑il à la définition de membres de la famille dans la cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?

(b) Si l’enfant de plus de 22 ans qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent parce qu’il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, au moment de la délivrance du visa, doit‑il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

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