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DES‑3‑03

2005 CF 1670

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat et son dépôt en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 à 80 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT la décision du ministre de la Citoyenneté et de l’immigration de protéger ou non une personne visée par un certificat de sécurité, en vertu des articles, paragraphes et alinéas 95(1)c), 112(3)d), 113b), c) et d) i) et ii) et 115(2), 77(2), 101(1)f) et 104 de la LIPR et des articles 167 à 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR) et de la remise en question constitutionnelle de ces articles et paragraphes;

ET DANS L’AFFAIRE CONCERNANT M. Adil Charkaoui.

Répertorié : Charkaoui (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël—Montréal, 4 octobre; Ottawa, 9 décembre 2005.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Le demandeur contestait la validité d’un certificat de sécurité émis en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) parce que les ministres étaient convaincus qu’il était membre d’une organisation terroriste — Il contestait la validité constitutionnelle des dispositions de la LIPR régissant la demande de protection, l’examen des risques avant renvoi, l’application du principe de non‑refoulement et la sécurité nationale — Le régime de demande de protection établi par la LIPR n’est pas inconstitutionnel — Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Le demandeur contestait la validité d’un certificat de sécurité émis par les ministres en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il soutenait que, par leurs agissements, omissions et décisions, les ministres lui ont fait subir un traitement interdit par les art. 7, 12 et 15 de la Charte — L’instance introduite par les ministres contre le demandeur était très grave et comportait des conséquences sérieuses pour sa vie — Cependant, il ne s’agissait pas d’un traitement cruel ou inusité au sens de la Charte — Le déroulement normal du processus administratif et judiciaire n’est pas contraire à l’art. 12 de la Charte — Le fait qu’un régime particulier s’applique aux non‑citoyens, comme le demandeur, ne constitue pas une violation des art. 7 et 15 de la Charte — Le demandeur n’a pas subi la torture, ni des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Déclaration des droits — Le demandeur soutenait que les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ayant trait à la demande de protection sont contraires aux principes défendus par la Déclaration canadienne des droits et certains instruments de droit international — La distinction faite entre citoyens et non‑citoyens canadiens justifie le traitement différent dont a fait l’objet le demandeur par rapport aux citoyens canadiens — Le fait qu’un régime particulier s’applique aux non‑citoyens, comme le demandeur, n’est pas contraire à l’art. 1b) de la Déclaration des droits — Les dispositions de la LIPR ayant trait à la demande de protection ne sont contraires ni aux instruments de droit international, ni à la Déclaration des droits.

Droit administratif — Le demandeur soutenait que les agissements des ministres et de leurs représentants ont donné lieu à une crainte raisonnable de partialité et que les décideurs ne pouvaient plus respecter les obligations que leur imposait la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) à son égard — Ces agissements ne constituaient pas des mauvais traitements et n’ont pas donné lieu à une apparence de partialité chez les décideurs puisqu’ils se sont conformés à la LIPR — Une personne sensée et raisonnable ayant une bonne connaissance du dossier en arriverait à la même conclusion.

Interprétation des lois — L’art. 3(3)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) dispose que l’interprétation et la mise en œuvre de la présente Loi doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire — L’examen des objets de la LIPR a révélé l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité — L’art. 3(3)f) de la LIPR est une disposition générale et interprétative n’ayant pas pour effet d’incorporer le droit international au droit interne.

Pratique — Suspension d’instance — Le demandeur (qui serait membre d’une organisation terroriste) soutenait que la procédure suivie et les décisions prises relativement à la signature du certificat de sécurité, à sa mise en détention préventive, à sa mise en liberté sous conditions et à sa demande de protection constituaient un abus de procédure justifiant la suspension de l’instance — La suspension de l’instance constitue une mesure draconienne et exceptionnelle — Le demandeur n’a subi aucun abu de procédure et n’a pas fait l’objet d’actes oppressifs ou vexatoires — Les principes de justice fondamentale ont été respectés dès le départ — Il y va de l’intérêt de la justice et de celui du demandeur que l’instruction du présent dossier aille jusqu’à son terme.

Il s’agissait d’une demande contestant la validité d’un certificat de sécurité émis par le solliciteur général du Canada (maintenant désigné sous le titre de ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) et par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres) en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Ce certificat de sécurité était fondé sur la conviction des ministres que le demandeur avait été et était toujours membre du réseau d’Oussama Ben Laden, une organisation qui a été, est ou sera l’auteur d’actes de terrorisme. Le demandeur est résident permanent au Canada depuis 1995. Le 16 mai 2003, un certificat de sécurité et un mandat d’arrestation ont été signés par les ministres. Ultérieurement cette année‑là, la Cour fédérale a rendu un jugement déclarant valide la détention du demandeur pour motif de danger à la sécurité nationale et un autre jugement déclarant constitutionnelles les dispositions ayant trait aux certificats de sécurité. Les dispositions contestées par le demandeur ont trait à la demande de protection de la personne visée par un certificat de sécurité. La LIPR prévoit que, avant qu’une personne soit renvoyée dans son pays d’origine, celle‑ci peut faire une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Dans le cas où l’intéressé n’est pas visé par un certificat de sécurité, si l’évaluation révèle qu’il risque de subir la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, l’asile lui est accordé et il n’est pas renvoyé. La personne visée par un certificat de sécurité peut aussi faire une demande d’ERAR mais elle doit la déposer avant qu’une décision soit rendue quant au caractère raisonnable du certificat. Lorsqu’une personne est visée par un certificat de sécurité, une procédure particulière encadre l’instruction de sa demande. Le ministre, ou son délégué, doit concilier le risque auquel donnerait lieu le renvoi de l’intéressé, et la protection de la sécurité nationale, en conformité avec la jurisprudence pertinente. La constitutionnalité de cette procédure était contestée en l’espèce. Le demandeur a fait valoir cinq arguments principaux correspondant aux cinq questions dont il a saisi la Cour. Premièrement, le demandeur a soutenu que les ministres ont commis un acte de délégation de pouvoir interdit par le paragraphe 6(3) de la LIPR lorsqu’ils ont décidé de signer le certificat de sécurité et le mandat d’arrestation le concernant sans avoir devant eux tout le dossier du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Deuxième-ment, le demandeur a contesté la validité constitutionnelle des dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection, l’examen des risques avant renvoi, l’application du principe de non-refoulement et la sécurité nationale. Troisièmement, le demandeur a soutenu que, par leurs agissements, omissions et décisions, les ministres ont créé un climat qui lui a fait subir un traitement interdit par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants puisqu’ils l’ont exposé depuis mai 2003 à la possibilité d’être renvoyé au Maroc, un pays où il risque d’être torturé. Quatrièmement, le demandeur a soutenu que les ministres ont créé, par leurs décisions, une apparence de partialité les disqualifiant comme décideurs et ne leur permettant pas de remplir les fonctions que la LIPR leur a conférées. Enfin, le demandeur a soutenu que sa situation et la procédure le visant justifiaient la suspension permanente de l’instance.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Il n’y avait aucune preuve montrant que les ministres ne disposaient que du rapport du SCRS, à l’exclusion de la preuve sur le fondement de laquelle il a été établi ou qu’ils ne disposaient que d’un rapport incomplet avant de décider de signer, ou non, le certificat de sécurité. On ne peut pas dire le droit en se fondant sur des hypothèses ou des conjectures. La Cour a donné une réponse négative à la question de savoir si les ministres et le gouvernement canadien avaient outrepassé leur compétence ou par ailleurs agi illégalement et de manière inconstitutionnelle en signant et déposant un mandat d’arrestation et un certificat de sécurité visant le demandeur sur la base du rapport du SCRS et sans examiner eux‑mêmes la preuve le concernant.

2) L’instruction de la demande de protection est régie par une procédure comportant deux volets selon laquelle le décideur doit apprécier le risque lié au renvoi de la personne visée par un certificat de sécurité vers son pays d’origine, et le danger que cette personne peut constituer pour la sécurité nationale. Le ministre doit concilier ces deux facteurs avant de se prononcer. La Cour était liée par l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans lequel la Cour suprême du Canada a validé cette approche qui était prescrite par l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui se retrouve maintenant au sous‑alinéa 113d)(ii) et au paragraphe 115(2) de la LIPR et à l’article 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR). Le demandeur a tenté de distinguer sa situation de celle de l’arrêt Suresh, en invoquant l’alinéa 3(3)f) de la LIPR (nouveau), qui dispose que l’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. Il ne faut pas donner à ce texte une portée dépassant l’intention du législateur. Dans un arrêt récent, la Cour suprême du Canada a rappelé que l’interprétation des lois ne suit désormais qu’une règle unique : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. L’examen des objets de la LIPR, selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada, a révélé l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité. Lues dans leur ensemble, les dispositions de la LIPR sont conçues pour éviter que des personnes soient renvoyées vers des pays où elles risquent de subir la torture. Cependant, le législateur était aussi soucieux d’assurer la sécurité du Canada en promulguant le paragraphe 34(1) de la LIPR, qui prévoit la règle générale de l’interdiction de territoire pour motifs de sécurité. Le législateur a choisi de traiter d’une façon particulière les personnes qui sont visées par un certificat de sécurité, et la clarté des dispositions dont le demandeur conteste la validité reflète cette intention. Le législateur n’aurait pas édicté des dispositions très spécifiques et précises concernant les personnes visées par un certificat de sécurité s’il avait eu l’intention de les neutraliser ou de les annuler. L’alinéa 3(3)f) de la LIPR est une disposition générale et interprétative n’ayant pas pour effet d’incorporer le droit international au droit interne. La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques accordent une grande importance aux objectifs de sécurité nationale et d’ordre public et prévoient donc des exceptions. Le texte de ces conventions internationales s’harmonise très bien avec le droit canadien.

Quant à la Déclaration canadienne des droits et au droit à l’égalité (alinéa 1b), la distinction faite entre citoyens et non‑citoyens canadiens justifie le traitement différent dont fait l’objet le demandeur par rapport aux citoyens canadiens. Le demandeur, en tant que résident permanent, est soumis à la LIPR, contrairement aux citoyens canadiens. Cette loi constitue en soi un code de l’immigration qui fait une distinction claire entre les citoyens et les non‑citoyens. Le fait qu’un régime particulier s’applique aux non‑citoyens, comme le demandeur, ne constitue donc pas une violation de l’alinéa 1b) de la Déclaration des droits. Les dispositions de la LIPR ayant trait aux demandes de protection ne vont à l’encontre ni de la Charte, ni des instruments de droit international mentionnés plus haut, ni de la Déclaration des droits.

3) Le demandeur soutenait que les ministres, par quatre différents actes et omissions, lui ont infligé un traitement interdit par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et par la Convention contre la torture. Son premier argument, selon lequel la menace de renvoi vers un pays où il y risquait d’y être torturé constituait une forme de torture, a été rejeté. L’instance engagée par les ministres contre le demandeur n’était pas contraire à l’article 7 de la Charte. Elle était très grave et comportait des conséquences sérieuses pour sa vie. Cependant, il ne s’agissait pas d’un traitement que l’on pouvait qualifier de cruel ou d’inusité au sens de l’article 12 de la Charte. Le déroulement normal du processus administratif et judiciaire n’est pas contraire à l’article 12 de la Charte; l’instance doit suivre son cours dans l’intérêt de la justice. Les deux principaux facteurs ayant contribué à la durée de l’instance dirigée contre le demandeur sont la complexité du processus lui‑même et des décisions prises par les ministres et leurs représentants d’une part et, d’autre part, les décisions prises par le demandeur dans le cadre du présent dossier. Outre les nombreuses requêtes qu’il a déposées, le demandeur a sollicité à deux reprises la suspension de l’instance, qui lui a été accordée chaque fois. Nulle décision ne pouvait être rendue sur le caractère raisonnable du certificat pendant ces suspensions et l’instance ne pouvait prendre fin avant que fût rendue cette décision. Le fait qu’un régime particulier s’applique aux non‑citoyens, comme le demandeur, n’est pas contraire aux articles 7 et 15 de la Charte. En outre, le libellé du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention contre la torture indique qu’un processus administratif ou judiciaire ne peut pas être considéré comme une forme de torture. Le demandeur n’a pas subi la torture, ni des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Deuxièmement, le demandeur a fait valoir que le fait que huit mois se sont écoulés entre la date à laquelle a été complété le rapport d’ERAR (le 21 août 2003), concluant à un risque de torture en cas de renvoi vers le Maroc et la date où ce rapport lui a été communiqué (le 2 avril 2004) constituait un mauvais traitement. Il n’y a pas eu dissimulation du rapport d’ERAR, mais les ministres étaient tenus, en vertu du RIPR, de remettre les deux rapports en même temps au demandeur. Troisièmement, le demandeur a qualifié de mauvais traitement l’opinion exprimée dans la note diplomatique des Affaires étrangères Canada en date du 18 février 2004, le qualifiant de menace à la sécurité du Canada. Cette lettre visait à obtenir du Maroc certains renseignements et des assurances sur le plan du respect des droits humains au cas où le demandeur y serait renvoyé. L’opinion selon laquelle le demandeur constituait une menace à la sécurité du Canada a été très médiatisée. Ce n’est que lorsqu’il sera statué sur le caractère raisonnable du certificat que l’on pourra dire s’il s’agit d’une opinion fondée, ou non. Cela ne pouvait donc pas être retenu comme  un fait constitutif de mauvais traitement. Quatrièmement, le demandeur a allégué que le temps pris pour répondre à ses demandes de protection était constitutif de mauvais traitement. L’instruction de la première demande a duré 12 mois; celle de la deuxième demande de protection est toujours en cours. Dans les demandes de ce genre, il faut prendre en considération les faits découlant du passage du temps. En l’espèce, la durée de l’instruction de la demande de protection du demandeur ne constituait pas un mauvais traitement. La situation du demandeur ne constituait pas en soi un traitement cruel ou inusité au sens des dispositions de la Charte invoquées par le demandeur ou au sens de la Convention contre la torture. La conduite des ministres ne constituait pas non plus un traitement cruel ou inusité au sens de ces textes.

4) Le demandeur soutenait que les agissements du gouvernement canadien ont globalement donné lieu à une crainte raisonnable de partialité et que les décideurs ne pouvaient plus respecter les obligations que leur imposait la LIPR à son égard. Ces agissements n’ont pas donné lieu à une apparence de partialité chez les décideurs puisqu’ils se sont conformés à la LIPR. Une personne sensée et raisonnable ayant une bonne connaissance du dossier en arriverait à la même conclusion. Les agissements des ministres et du gouvernement canadien n’ont pas donné lieu à une apparence de partialité qui les disqualifiait comme décideurs et les empêchait de remplir les fonctions que la Loi leur attribuait.

5) Le demandeur soutenait que la procédure suivie et les décisions prises constituaient un abus de procédure justifiant la suspension de l’instance. Dans un arrêt récent, la Cour suprême du Canada a rappelé que la suspension de l’instance constitue une mesure draconienne et exceptionnelle. Le demandeur n’a subi aucun agissement oppressif ou vexatoire et les principes de justice fondamentale ont été respectés dès le départ. La Cour n’a constaté aucun abus de procédure justifiant la suspension permanente de l’instance, que ce soit en ce qui a trait à la signature du certificat de sécurité, à la détention préventive, à la libération sous conditions ou à la demande de protection. Il y va de l’intérêt de la justice et de celui du demandeur que la présente instance se déroule jusqu’à son terme. En l’espèce, les faits ne constituaient pas un abus de procédure justifiant la suspension permanente de l’instance.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12, 15, 24.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1, 3, 16.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 9, 32, 33(2).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art 1b), 2b).

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948, art. 29(2).

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 50, 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19(F); 2002, ch. 8, art. 54).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 53(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)d),f), 6(3), 33, 34(1)c),d),f), 35, 36, 76 « juge » (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 77 (mod., idem), 78, 79 [mod., idem], 80, 81, 82, 83, 84, 85, 95(1)c), 97(1), 98, 101(1)f), 102(1), 104, 112(3)d), 113b),c),d), 114(1),(2),(3), 115, annexe.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 12(3), 13, 14(1), 19(3)b), 21, 22(2).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 138 « besoin urgent de protection », 160, 162, 163, 164, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 230.

jurisprudence citée

décision suivie :

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1.

décisions appliquées :

Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141; 2005 CSC 62; [2005] A.C.S. no 63 (QL); Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 91; 2005 CSC 39; R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979.

décisions examinées :

De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162; 2004 CF 1276; Agiza c. Sweden, [2005] UNCAT 9.

décisions citées :

Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32; 2003 CF 1419; Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528; 2003 CF 882; Charkaoui (Re), 2004 CF 107; [2004] A.C.F. no 78 (QL); Charkaoui (Re), 2004 CF 624; [2004] A.C.F. no 757 (QL); Charkaoui (Re), 2004 CF 1031; [2004] A.C.F. no 1236 (QL); Charkaoui (Re), [2005] 3 R.C.F. 389; 2005 CF 248; Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299; 2004 CAF 421; autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée, [2005] C.S.C.R. no 66 (QL); Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 517; 2004 CF 853; Charkaoui (Re), 2004 CF 1562; [2004] A.C.F. no 1922 (QL); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 142; 2005 CAF 54; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297; 2002 CSC 12; R. c. Khan, [2001] 3 R.C.S. 823; 2001 CSC 86; Harkat (Re), [2005] 2 R.C.F. 416; 2004 CF 1717.

doctrine citée

Canada. Parlement. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Premier rapport, projet de loi C‑11, Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re sess., 37e Lég., 28 mai 2001.

Canada. Parlement. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, no 062, 2e sess., 37e Lég., 27 mai 2003.

Canada. Parlement. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 2e sess., 37e Lég. Témoignages : Réunion 11, 26 avril 2001; Réunion 12, 30 avril 2001; Réunion 16, 2 mai 2001; Réunion 20, 4 mai 2001; Réunion 22, 8 mai 2001; Réunion 24, 15 mai 2001.

DEMANDE par laquelle est contestée la validité d’un certificat de sécurité émis par le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ont comparu :

J. Daniel Roussy, J.C. Luc Cadieux et Daniel Latulippe pour le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Dominique Larochelle et Johanne Doyon pour Adil Charkaoui.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Des Longchamps Bourassa Trudeau & LaFrance, Montréal, et Doyon, Morin, Montréal, pour Adil Charkaoui.

Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus en français par

Le juge Noël :

I. INTRODUCTION

[1]Le requérant, M. Adil Charkaoui (M. Charkaoui), fait l’objet d’un certificat de sécurité en vertu de l’article 77 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Ce certificat de sécurité est fondé sur la conviction du solliciteur général du Canada (maintenant désigné sous le titre de ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) et du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (ministre de l’immigra-tion) (ci‑après les ministres) que M. Charkaoui a été et est toujours membre du réseau d’Oussama ben Laden, une organisation qui a été, est ou sera l’auteur d’actes de terrorisme, qu’à ce titre, il s’est livré, se livre ou se livrera au terrorisme et qu’en conséquence, M. Charkaoui a constitué, constitue ou constituera un danger pour la sécurité du Canada (voir les alinéas 34(1)c), d) et f) de la LIPR).

[2]La présente requête est la deuxième requête de nature constitutionnelle de M. Charkaoui. La première contestait la validité constitutionnelle des articles 33 et 77 à 85 [art. 79 (mod., idem] (les dispositions sur le certificat et sur la mise en détention) de la LIPR. La Cour fédérale (Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32 et la Cour d’appel fédérale (Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299) ont conclu à la validité constitutionnelle de ces dispositions. La demande d’autorisation d’en appeler du jugement de la Cour d’appel fédérale à la Cour suprême du Canada fut accordée et l’audition est prévue pour le début de l’été 2006 [[2005] C.S.C.R. no 66 (QL)].

[3]M. Charkaoui présente cinq arguments principaux qui correspondent aux cinq questions qu’il adresse à la Cour.

[4]Premièrement, M. Charkaoui est d’avis que les ministres ont commis un acte de délégation prohibé par le paragraphe 6(3) de la LIPR, puisqu’ils auraient pris la décision de signer le certificat de sécurité et le mandat d’arrestation à son égard sans avoir devant eux tout le dossier du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Selon M. Charkaoui, le décideur ne disposait que d’un rapport du SCRS.

[5]Deuxièmement, M. Charkaoui attaque la validité constitutionnelle des dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection, l’examen des risques avant renvoi, l’application du principe de non-refoulement et la sécurité nationale, à savoir les alinéas 95(1)c), 112(3)d), 113b), c) et les sous-alinéas d)(i) et (ii) et les paragraphes 115(2), 77(2), l’alinéa 101(1)f) et l’article 104 (l’alinéa 101(1)f) et l’article 104 ne figuraient pas dans l’avis de question constitutionnelle, mais seulement dans le mémoire des faits et du droit de M. Charkaoui, ci‑après « mémoire de M. Charkaoui ») et les articles 167 à 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR). Un avis de question constitutionnelle fut signifié au procureur général du Canada et à ceux des provinces, le tout conformément à l’article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19(F); 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] (LCF). La question posée à la Cour est formulée ainsi dans l’avis (les erreurs typographiques ne sont pas corrigées) :

Est‑ce que les dispositions de la LIPR [. . .] régissant les demandes de protection soit les articles 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b),c) et d) i) et ii) et 115(2) de la LIPR en lien avec les articles 77(2) et les dispositions réglementaires correspondantes, soit les articles 167 à 172 du RIPR violent :

i)             La Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, R.T. Can 1987, No. 36?

ii)            La Convention relative au statut de réfugié; R.T. Can 1969, no 6, préambule, art. 33.?

iii)           Les articles 7, 12, 15 de la Charte canadienne; Loi de 1982 sur le Canada, Annexe B?

iv)           La Déclaration canadienne des droits; 8‑9, Elizabeth II, c. 44, L.R.C. (1985), app. III?

v)            Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. R.T. Can. 1976, no 47?

vi)           La Déclaration universelle des droits de l’homme A.G. Rés. 217 A(III), Doc. A/810 N.U., à la page 171 (1948)?

[6]Troisièmement, M. Charkaoui soutient que les faits, gestes, omissions et décisions des ministres à son égard créent un contexte dont les effets constituent un traitement prohibé par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte canadienne) et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36 (entrée en vigueur le 26 juin 1987) (Convention contre la torture) en l’exposant depuis mai 2003 à une possibilité de renvoi au Royaume du Maroc (Maroc), pays où il y a un risque de torture.

[7]Quatrièmement, M. Charkaoui soutient que les ministres ont créé, par leurs décisions, une apparence de partialité les disqualifiant comme décideurs et ne leur permettant pas d’assumer les fonctions que la LIPR leur attribue.

[8]Finalement, M. Charkaoui plaide que les circonstances et la procédure auxquelles il est sujet justifient la suspension permanente de l’instance.

II. CONCLUSIONS RECHERCHÉES

[9]Les conclusions recherchées par M. Charkaoui sont les suivantes :

‑ Une suspension permanente des procédures contre lui;

‑ Une déclaration à l’effet que le certificat de sécurité et le mandat d’arrestation signés et émis contre lui sont invalides et inopérants, le tout selon les articles 7, 12, 15 et le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne et l’article 50 de la LCF (cet article permet en fait la suspension des procédures et non une déclaration d’invalidité);

‑ Une déclaration selon laquelle les dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection selon l’alinéa 95(1)c) in fine, l’article 98, les alinéas 112(3)d), 113b), c) et les sous-alinéas d) (i) et (ii) en lien avec le paragraphe 77(2), l’alinéa 101(1)f) et l’article 104 et les dispositions réglementaires correspondantes, soit les articles 167 à 172 du RIPR sont inconstitutionnels et inopérants à son égard selon l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (LC 1982);

‑ Rendre toutes autres ordonnances qui seront demandées ou qu’il plaira à la Cour d’ordonner à titre de réparation pour la violation alléguée des droits de M. Charkaoui selon l’article 24 de la Charte canadienne;

‑ Rendre un jugement réservant à l’intéressé ses autres recours;

‑ Le tout avec dépens.

(Voir le mémoire de M. Charkaoui, 27 mai 2005, au paragraphe 94 sous le titre « Nature de l’ordonnance demandée ».)

III. SOMMAIRE DE LA SITUATION DE DROIT ET DES FAITS

a)            Les dispositions concernant les demandes de protection et la sécurité nationale

[10]Les dispositions attaquées par M. Charkaoui sont celles qui touchent les demandes de protection des personnes visées par un certificat de sécurité. Il s’agit de l’alinéa 95(1)c), l’article 98, les alinéas 112(3)d), 113b), c) et les sous-alinéas 113d) (i) et (ii) et le paragraphe 115(2) de la LIPR, le tout en tenant compte du paragraphe 77(2), l’alinéa 101(1)f), l’article 104, les paragraphes 114(1), (2), (3), 79(2), 80(1) et les alinéas 81a), b), c) de la LIPR. Quant au RIPR, les articles 167 à 172 sont pertinents. L’ensemble de ces dispositions sont reproduites à l’annexe 1.

[11]La LIPR prévoit qu’avant de renvoyer une personne dans son pays d’origine, celle‑ci peut demander une évaluation des risques avant renvoi (demande d’ERAR). Dans le cas des personnes non visées par un certificat de sécurité, si l’évaluation révèle qu’il y a possibilité de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, l’asile est accordé et la personne ne sera pas renvoyée.

[12]Les personnes visées par un certificat de sécurité peuvent elles aussi faire une demande d’ERAR mais elles doivent la déposer avant qu’une décision soit prise quant à la raisonnabilité du certificat. En effet, il n’est pas possible pour ces personnes de faire une demande de protection une fois la raisonnabilité du certificat confirmée par le juge désigné (articles 80 et 81 de la LIPR). Autre différence majeure : deux évaluations sont faites au lieu d’une seule. D’une part, une évaluation d’examen des risques avant renvoi (« évaluation d’ERAR »—rapport soumis selon l’article 97 et l’alinéa 113d) de la LIPR) sera faite (voir le paragraphe 112(1) et les alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR). D’autre part, une évaluation des restrictions sera produite (rapport soumis selon le sous-alinéa 113d)(ii) et le paragraphe 112(3) de la LIPR), dont l’objectif sera de déterminer si la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité des actes passés ou du danger que la personne constitue pour la sécurité du Canada (voir l’alinéa 113d)(ii) de la LIPR). Par la suite, ces rapports seront acheminés au ministre ou à son délégué pour décision finale (paragraphe 172(1) du RIPR). Il peut arriver que le ministre ou son délégué soit saisi d’un dossier comprenant d’une part une évaluation d’ERAR concluant que le renvoi vers le pays d’origine est risqué, et d’autre part, une évaluation des restrictions selon laquelle la personne visée constitue un danger à la sécurité nationale. Le ministre ou son délégué doit alors analyser les deux rapports ainsi que la réplique écrite de la personne le cas échéant. Le ministre ou son délégué doit ensuite faire une pondération ou une mise en balance des rapports qu’il a entre les mains et en arriver à une décision finale en tenant compte de la réplique écrite du demandeur (voir l’article 172 du RIPR). Dans sa démarche, le ministre ou son délégué doit suivre les enseignements découlant des arrêts Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 et Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 517 (C.F.). Lors de l’analyse, nous allons voir en détail les principes applicables en de telles circonstances, tels qu’élaborés par les tribunaux. Quoi qu’il en soit, si le ministre conclut que la protection doit être accordée, la personne visée par le certificat de sécurité n’aura pas droit à l’asile, mais seulement à un sursis (paragraphe 114(1) de la LIPR). En dernier lieu, la décision du ministre ou de son délégué est sujette à un contrôle de la légalité par un juge désigné (voir article 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194], définition de l’expression « juge » et l’article 80 de la LIPR).

[13]En somme, le fait qu’une personne soit visée par un certificat de sécurité la rend sujette à une procédure particulière lorsqu’elle fait une demande de protection. Le ministre ou son délégué doit soupeser le risque de renvoi d’une part et l’objectif de la sécurité nationale, le tout en conformité avec la jurisprudence applicable. C’est cette procédure qui est remise en question par la présente requête constitutionnelle.

b) Chronologie détaillée des événements

[14]Pour bien comprendre les questions de droit soulevées par la présente procédure, il est important de rappeler certains faits du dossier, par ordre chronologique :

‑ M. Charkaoui est résident permanent depuis 1995;

‑ Le 16 mai 2003, un certificat de sécurité et un mandat d’arrestation sont signés par les ministres et le certificat est déposé au greffe de la Cour fédérale;

‑ Le 21 mai 2003, le mandat d’arrestation est exécuté;

‑ Le 30 mai 2003, l’avis prévu à l’article 160 du RIPR (Avis concernant l’examen de risques avant renvoi : personnes nommées à un certificat de sécurité) est envoyé à M. Charkaoui par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Cet avis informe M. Charkaoui qu’il a le droit de déposer une demande d’ERAR. L’avis indique que si M. Charkaoui souhaite se prévaloir de ce droit, un formulaire doit être envoyé au plus tard le 14 juin 2003 et des observations écrites au plus tard le 29 juin 2003 (le délai est prévu à l’article 164 du RIPR);

‑ Le 15 juillet 2003, le soussigné rendait un jugement dans lequel la détention de M. Charkaoui était validée pour raison de danger à la sécurité nationale [[2004] 1 R.C.F. 528 (C.F.)];

‑ Ayant obtenu une extension de délai pour déposer ses observations, M. Charkaoui les fait parvenir à la fin juillet 2003 à CIC (elles sont datées du 31 juillet) (voir articles 162 et 163 du RIPR). Dans ses observations, M. Charkaoui met l’accent sur les motifs qui lui font craindre d’être victime de torture en cas de renvoi vers le Maroc;

‑ Le 21 août 2003, l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi finalisait son évaluation et concluait qu’il « existe une probabilité de torture, de menaces à la vie, d’être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités si il [M. Charkaoui] retourne au Maroc ». Cette évaluation d’ERAR fut communiquée à M. Charkaoui le 2 avril 2004, soit plus de 7 mois plus tard;

‑ En date du 5 décembre 2003, le soussigné rendait un jugement déclarant constitutionnelles, les dispositions concernant le certificat de sécurité (voir Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.));

‑ Le 23 décembre 2003, la procureure de M. Charkaoui envoie une mise en demeure à CIC dans laquelle on souligne qu’un délai de cinq mois s’est écoulé depuis le dépôt de la demande d’ERAR. Dans cette mise en demeure, M. Charkaoui demande d’obtenir l’évaluation d’ERAR sans délai;

‑ Par ordonnance datée du 8 janvier 2004, le soussigné décide que l’audition concernant la raisonnabilité du certificat se tiendra du 5 au 8 avril 2004;

‑ En date du 23 janvier 2004, la Cour rend un second jugement maintenant la détention [2004 CF 107];

‑ Le 31 janvier 2004, M. Charkaoui se voit accorder une première suspension des procédures, conformément au paragraphe 79(1) de la LIPR. L’audition devant permettre de décider de la raisonnabilité du certificat, prévue pour le début du mois d’avril (voir l’ordonnance du 8 janvier 2004), est annulée;

‑ En date du 18 février 2004, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (Affaires étrangères Canada) envoie une note diplomatique (note diplomatique) informant le ministère des Affaires étrangères et de la coopération du Maroc (Affaires étrangères marocaines) de la procédure prise contre M. Charkaoui « en vue de l’expulser du Canada et de le renvoyer au Maroc parce qu’il constitue une menace pour la sécurité du Canada ». Dans cette note, les Affaires étrangères Canada demandent au Maroc de s’engager, dans l’éventualité d’un renvoi, à traiter M. Charkaoui de façon humaine et de ne pas le soumettre à la torture ou à d’autres actes cruels, inhumains ou dégradants. Cette lettre fut communiquée à M. Charkaoui le 8 juin 2004;

‑ Le 10 mars 2004, M. Charkaoui dépose une requête en récusation. Cette requête est rejetée par ordonnance du soussigné en date du 28 avril 2004 [2004 CF 624];

‑ Le 2 avril 2004, CIC envoie à M. Charkaoui une lettre à laquelle sont joints trois rapports :

‑ L’évaluation d’ERAR du 21 août 2003;

‑ Une évaluation des restrictions datée du 24 février 2004, qui ne sera pas présentée à la déléguée du ministre, étant incomplète;

‑ Une autre évaluation des restrictions datée du 1er avril 2004.

Dans la lettre, M. Charkaoui est invité à commenter ces rapports, ce qu’il fît le 17 avril 2004.

‑ Le 18 avril 2004, le Maroc répond à la note diplomatique des Affaires étrangères Canada. Dans sa lettre, le Maroc indique que M. Charkaoui n’est pas sujet à des procédures judiciaires, qu’il n’y a aucune démarche en vue de son extradition, que la protection contre la violence, la torture, etc. est garantie par la constitution marocaine et que le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales relatives aux droits de l’homme, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (entrée en vigueur : 23 mars 1976) (Pacte international) et la Convention contre la torture;

‑ Le 8 juin 2004, l’Agence des services frontaliers du Canada envoie à M. Charkaoui la note diplomatique des Affaires étrangères Canada datée du 18 février 2004 et la réponse du Maroc datée du 18 avril 2004 afin que celui‑ci puisse les commenter, de sorte que le tout puisse être présenté à la déléguée du ministre. M. Charkaoui soumettra ses observations à la fin juillet 2004, ayant obtenu une extension de délai;

‑ Par ordonnance datée du 23 juillet 2004, le soussigné maintenait, pour la troisième fois, la détention de M. Charkaoui [2004 CF 1031];

‑ Le 6 août 2004, une décision de la déléguée du ministre (décision du 6 août 2004) refusait la demande de protection. Elle concluait qu’en vertu de l’alinéa 113d) de la LIPR, M. Charkaoui n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR et qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada. Cette décision est complétée par un addenda daté du 20 août 2004 (addenda du 20 août 2004);

‑ Le 10 septembre 2004, le Maroc signait un mandat d’arrêt international de M. Charkaoui (mandat d’arrêt) mentionnant entre autres qu’il était membre actif du Groupe islamique des Combattants marocains (GICM). Ce mandat fut rectifié le 17 mars 2005. Il est en vigueur actuellement;

‑ Le ou vers le 23 décembre 2004, le père de M. Charkaoui rencontre le Consul du Maroc à Montréal et on l’informe que M. Charkaoui n’est pas recherché au Maroc;

‑ Le 17 février 2005, le soussigné a libéré M. Charkaoui, estimant que le danger était neutralisé compte tenu des circonstances. Par la même ordonnance, 15 conditions préventives sont imposées à M. Charkaoui (voir Charkaoui (Re), [2005] 3 R.C.F. 389 (C.F.) ainsi que la mise à jour des conditions de libération Charkaoui (Re) (10 novembre 2005), Ottawa DES‑3‑03);

‑ En date du 16 mars 2005, les ministres déposent une requête en annulation de la décision de la déléguée du ministre datée du 6 août 2004 (y incluant l’addenda du 20 août 2004) refusant la protection à M. Charkaoui. La requête des ministres est fondée sur la survenance de faits nouveaux nécessitant une telle demande (la délivrance du mandat d’arrêt). Un jugement daté du 22 mars 2005 accorde l’annulation;

‑ En date du 16 mars 2005, M. Charkaoui demande pour la deuxième fois la suspension de l’instance, en vertu du paragraphe 79(1) de la LIPR. Cette demande est accordée par ordonnance datée du 22 mars 2005. La même ordonnance annule la décision de la déléguée du ministre ainsi que l’audition prévue du 4 au 8 avril 2005 (voir l’ordonnance du 9 novembre 2004 [2004 CF 1562]), qui devait permettre de statuer sur la raisonnabilité du certificat de sécurité;

‑ Les 6 et 21 avril 2005, M. Charkaoui fait parvenir deux mises en demeure à CIC dans lesquelles il est demandé de prendre, à brève échéance, une décision lui accordant la protection;

‑ Le 11 mai 2005, M. Charkaoui dépose la présente procédure. Par ordonnance du 30 juin 2005, l’audition est fixée pour les 4, 5 et 6 octobre 2005;

‑ Le 11 mai 2005, Citoyenneté et Immigration Canada informe M. Charkaoui qu’un nouveau délégué du ministre sera « sous peu » saisi du dossier et qu’il en serait informé. En date de ce jour, le soussigné n’a pas été informé qu’un nouveau délégué du ministre a été choisi;

‑ L’audition de la présente requête s’est tenue les 4 et 5 octobre 2005.

IV. CINQ QUESTIONS EN LITIGE ET PLAN DE L’ANALYSE

[15]Les procureurs de M. Charkaoui présentent à la Cour une multitude d’arguments constitutionnels, de droit international, procéduraux et d’interprétation des faits. Certains arguments sont entremêlés dans le mémoire de M. Charkaoui. Dans ce contexte, il n’est pas facile pour la Cour de s’assurer que tous les éléments du litige sont présentés et traités. Dans le but de m’assurer, dans la mesure du possible, que je répondrai à l’ensemble des préoccupations soulevées, j’entends reprendre les questions telles que formulées par M. Charkaoui dans son mémoire.

[16]Les cinq questions en litige sont les suivantes. Elles seront abordées dans cet ordre :

i)             Est‑ce que les ministres et le Gouvernement canadien ont excédé leur compétence ou autrement agit [sic] illégalement et de manière inconstitutionnelle en signant et déposant un mandat d’arrestation et un certificat de sécurité contre le requérant sur la base d’un rapport du SCRS et en ne considérant pas eux même [sic] la preuve concernant le requérant?

ii)             Est‑ce que le texte de la LIPR par les articles 95(1)c) in fine, 98,112(3)d), 113b), c) et d) i) et ii) et 115(2) de la LIPR en lien avec les articles 77(2), 101(1)f) et 104 et les dispositions réglementaires correspondantes, soit les articles 167 à 172 du RIPR violent les articles 7, 12, 15 de la Charte canadienne et la Déclaration canadienne des droits de même que les conventions internationales dont est signataire le Canada?

iii)            Est‑ce que les ministres et le Gouvernement canadien ont, par leurs agissements ou leurs omissions, traité le requérant de manière prohibée par l’article 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et par la Convention contre la torture en l’exposant, comme ils l’ont fait et le font toujours, à un renvoi vers un pays où il risque la torture dans les circonstances des dispositions des articles 77 à 85 de la LIPR?

iv)           Est‑ce que les ministres et le Gouvernement canadien ont par leurs agissements créés [sic] une apparence de partialité qui les disqualifient [sic] comme décideur [sic] et les empêchent [sic] d’assumer les fonctions que la loi leur attribue?

v)            Est‑ce que le traitement auquel a été exposé et est toujours exposé le requérant et les agissements du gouvernement canadien envers lui justifient la suspension permanente de l’instance engagée contre le requérant et les autres ordonnances recherchées?

(Voir le mémoire de M. Charkaoui, paragraphes 16, 14, 13, 15, 17.)

V) L’ANALYSE

i)             Est‑ce que les ministres et le gouvernement canadien ont excédé leur compétence ou autrement agie illégalement et de manière inconstitutionnelle en signant et déposant un mandat d’arrestation et un certificat de sécurité contre le requérant sur la base d’un rapport du SCRS et en ne considérant pas eux- même la preuve concernant le requérant?

[17]M. Charkaoui soutient que lorsque les ministres ont signé le certificat de sécurité et le mandat d’arrestation en mai 2003, ils n’avaient devant eux qu’un rapport du SCRS et non toute la preuve. Pour le démontrer, M. Charkaoui a déposé en preuve un extrait du témoignage de Me Robert Batt, avocat du SCRS. Les paroles rapportées ont été prononcées par Me Batt lors de son intervention devant les membres du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes (Comité CI), le 27 mai 2003 (voir Canada, Parlement, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 2e sess., 37e Lég., Témoignages, numéro 062, 27 mai 2003, « Me Robert Batt »). Me Batt expliquait alors la procédure relative au certificat de sécurité :

Essentiellement, le point de départ, ce sont les renseignements qu’on possède comme quoi une personne est membre d’un groupe terroriste, d’un groupe appartenant au crime organisé ou qu’elle est pour une raison ou une autre, inadmissible. Ces informations sont regroupées sous forme d’un rapport de renseignement de sécurité qui est ensuite présenté aux deux ministres compétents, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le Solliciteur général du Canada. Le rapport doit de toute nécessité être vu par ces deux ministres. Si les deux sont d’accord, ils signent un certificat indiquant que, à leur avis, les renseignements sont raisonnables et que l’intéressé ne saurait être admis au Canada.

Le certificat et le rapport de renseignement de sécurité, qui est un document classifié, sont ensuite déposés à la Cour fédérale.

[18]Selon M. Charkaoui, cet extrait révèle que la décision des ministres a été prise à la lumière d’un rapport uniquement et non en tenant compte de toute la preuve le concernant. Selon lui, il s’agit d’une délégation illégale d’attribution du pouvoir des ministres (paragraphe 6(3) de la LIPR) au SCRS devant entraîner l’annulation du certificat de sécurité et du mandat d’arrestation. Le paragraphe 6(3) de la LIPR se lit comme suit :

6. [. . .]

(3) Ne peuvent toutefois être déléguées les attributions conférées par le paragraphe 77(1) et la prise de décision au titre des dispositions suivantes : 34(2), 35(2) et 37(2)a).

[19]Pour leur part, les ministres estiment qu’il n’y a pas de preuve démontrant que l’information transmise au ministre était partielle. Ils soutiennent avoir signé le certificat de sécurité en ayant devant eux toute la preuve disponible et qu’en agissant ainsi, ils ont pleinement exercé leur compétence.

[20]À mon avis, le point de vue de M. Charkaoui ne peut être retenu. Il n’y a aucune preuve démontrant que les ministres ne disposaient que du rapport du SCRS, à l’exclusion de la preuve à l’appui dudit rapport. Un rapport incluant de nombreuses annexes en plusieurs volumes fut déposé au greffe de la Cour avec le certificat de sécurité en mai 2003. Aussi, la partie publique de ce rapport fut remise à M. Charkaoui et elle était accompagnée d’un résumé de la preuve ne pouvant être dévoilée pour des raisons de sécurité nationale, conformément au paragraphe 77(1) et les alinéas 78g) et h) de la LIPR. Je n’ai devant moi aucune preuve démontrant que les ministres ne disposaient que d’un rapport incomplet pour décider de signer ou non le certificat de sécurité. Je ne peux pas fonder une conclusion de droit sur des hypothèses ou des suppositions.

[21]Je réponds donc par la négative à la première question, faute de preuve.

ii)             Est‑ce que le texte de la LIPR par l’alinéa 95(1)c) in fine, l’article 98, les alinéas 112(3)d), 113b), c) et les sous alinéas 113d)i) et ii) et le paragraphe 115(2) de la LIPR en lien avec le paragraphes 77(2), l’alinéa 101(1)f) et l’article 104 et les dispositions réglementaires correspondantes, soit les articles 167 à 172 du RIPR violent les articles 7, 12, 15 de la Charte canadienne et la Déclaration canadienne des droits de même que les conventions internationales dont est signataire le Canada?

[22]M. Charkaoui est d’avis que la procédure à laquelle il est assujetti enfreint ses droits constitutionnels. Selon lui, les dispositions de la LIPR touchant les demandes de protection vont à l’encontre des principes protégés par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne, par la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III (DCD) et par certains instruments de droit international. Plus précisément, M. Charkaoui estime que ces dispositions prohibent la prise en compte du danger à la sécurité nationale et ne permettent en aucun cas de retourner une personne dans un pays où l’on pratique ou tolère la torture. Pour M. Charkaoui, l’encadrement législatif et réglementaire des demandes de protection autorise le renvoi vers la torture en permettant au décideur de tenir compte de l’évaluation des restrictions d’une part et de l’évaluation d’ERAR d’autre part.

[23]En réponse, les ministres soutiennent que la demande de protection prévoit un double exercice dont la validité a été confirmée par la Cour suprême du Canada. Selon eux, le décideur doit d’une part apprécier le risque lié au retour de la personne visée par un certificat de sécurité dans son pays d’origine et d’autre part le danger que cette personne peut constituer pour la sécurité nationale. Le ministre doit faire, selon eux, une pondération entre ces deux facteurs avant de conclure. Les ministres suggèrent de plus que le renvoi à la torture est condamné au Canada, mais qu’un tel renvoi n’est pas exclu par la Cour suprême du Canada en autant que des circonstances extraordinaires s’apparentant à la force majeure (Act of God) existent. Selon eux, chaque cas doit être étudiés individuellement et seul l’exercice illégal du pouvoir décisionnel par le ministre ou son délégué peut, en se fondant sur les faits, donner lieu à une déclaration d’inconstitutionnalité. Les ministres s’appuient sur l’arrêt Suresh, et sur l’alinéa 53(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (l’ancienne Loi), tout en précisant que cet alinéa s’apparente au nouvel article 113 de la LIPR. Les ministres sont d’avis, en outre, que l’exercice de pondération contenu dans la LIPR et le RIPR a déjà subi et passé le test constitutionnel, la Cour suprême l’ayant validé dans Suresh. Pour les raisons qui suivent, je partage le point de vue des ministres.

[24]Je traiterai, dans un premier temps, des arguments fondés sur la Charte canadienne et sur le droit international, puisque les deux arguments sont étroitement liés. Je terminerai en traitant brièvement de la DCD.

La Charte canadienne et les instruments de droit international

[25]L’arrêt Suresh, traite de l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi. Cet alinéa interdisait qu’une personne (un réfugié ou une personne à qui ce statut a été refusé pour l’une des raisons énumérées à l’ancienne Loi) soit renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques sauf si :

53. (1) [. . .]

[. . .] elle appartient à l’une des catégories non admissibles visées:

[. . .]

b) aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;

[26]L’équivalent de l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi se trouve maintenant au sous-alinéa 113d)(ii) et à l’article 115 de la LIPR :

113. [. . .]

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

[. . .]

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[. . .]

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

[. . .]

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

(Voir aussi l’article 172 du RIPR.)

[27]Le processus de pondération prévu à l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi a été validé dans l’arrêt Suresh. Dans cet arrêt unanime signé par « la Cour », il est écrit, au paragraphe 58 :

La jurisprudence canadienne n’indique pas que le Canada ne peut jamais expulser une personne vers un pays où elle risque un traitement qui serait inconstitutionnel s’il était infligé directement par le Canada, en sol canadien. Comme nous l’avons dit plus tôt, la démarche qu’il convient d’appliquer est essentiellement un processus de pondération dont l’issue dépend non seulement de considérations inhérentes au contexte général, mais également de facteurs liés aux circonstances et à la situation de la personne que l’État veut expulser. D’un côté, il y a l’intérêt légitime qu’a le Canada à combattre le terrorisme, à empêcher que notre pays devienne un refuge pour les terroristes et à protéger la sécurité publique. De l’autre côté, il y a l’engagement constitutionnel du Canada envers la liberté et l’équité procédurale. Cela dit, la jurisprudence indique que le résultat de cette mise en balance s’opposera généralement à l’expulsion de la personne visée vers un pays où elle risque la torture.

[28]Ayant validé le processus de pondération ou de mise en balance, la Cour envisageait la possibilité d’un renvoi vers un pays où il y a risque de torture dans des circonstances exceptionnelles. Au paragraphe 78, elle écrit :

Nous n’excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l’art. 7 de la Charte [canadienne] soit au regard de l’article premier de celle‑ci. (Une violation de l’art. 7 est justifiée au regard de l’article premier « seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d’hostilités, les épidémies et ainsi de suite » : voir Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, p. 518, et Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 99.) Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle sera torturée dans le pays de destination, ce n’est pas parce que l’art. 3 de la [Convention contre la torture] limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l’art. 7 de la Charte [canadienne] fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture. Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l’expulsion lorsqu’il existe un risque sérieux de torture. Toutefois, comme tout est affaire d’importance relative, il est difficile de prédire avec précision quel sera le résultat. L’étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d’expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures.

[29]M. Charkaoui souligne qu’il y a une nouvelle Loi, la LIPR, comprenant de nouveaux articles, une nouvelle rédaction et un article d’interprétation qui précise que l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. (Voir l’alinéa 3(3)f) de la LIPR.) Pour cette raison, l’arrêt Suresh ne serait pas applicable selon M. Charkaoui. L’article 3 de la Convention contre la torture, que le Canada a signé et ratifié, se lit comme suit :

Article 3

1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’Etat intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

M. Charkaoui ajoute que l’enseignement découlant de l’arrêt Suresh ne s’applique pas à sa situation, cet arrêt traitant du pouvoir discrétionnaire du ministre alors que ce sont les dispositions de la LIPR qui sont contestées.

[30]À mon avis, l’arrêt Suresh validait l’exercice de pondération prévu à l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi. Le même exercice de pondération se retrouve maintenant au sous-alinéa 113d)ii) et le paragraphe 115(2) de la LIPR et l’article 172 du RIPR. On demande au ministre, dans l’ancienne Loi comme dans la LIPR, de mettre en balance la possibilité d’un renvoi vers un pays où il y a risque de torture et l’évaluation d’un danger à la sécurité nationale. Dans les deux cas, la personne était visée par un certificat de sécurité. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de distinguer l’affaire Suresh et je ne vois pas comment je pourrais ne pas être lié par ce que la Cour suprême a décidé dans cet arrêt.

[31]Il est vrai que les demandes de protection sont maintenant encadrées par de nouvelles dispositions de la LIPR et du RIPR, et que celles‑ci sont rédigées différemment. Toutefois, le principe de la pondération demeure avec la nouvelle Loi, n’ayant pas été substantiellement modifié par la LIPR. Il n’y a donc pas lieu d’envisager une approche différente de celle mise de l’avant dans l’arrêt Suresh. Je note en outre que dans l’arrêt Suresh, la Cour a pris soin de préciser au paragraphe 78, que « [l]’étendue du pouvoir discrétion-naire exceptionnel d’expulser une personne risquant la torture dans un pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures ».

[32]Je crois qu’il faut garder cet extrait en tête pour décider de la question de savoir si la mise en balance est constitutionnelle. Il faut aussi retenir qu’il y a d’autres possibilités à envisager que le renvoi lorsqu’à la fois une personne représente un danger et qu’il y a risque de torture en cas de renvoi. Bien qu’il y ait risque de torture dans un pays, il se pourrait que le renvoi ait néanmoins lieu parce que le pays en question aurait négocié un protocole de renvoi incluant un plan de supervision de la détention satisfaisant. Dans un cas comme celui‑là, il y aurait lieu de décider s’il y a ou non contravention à la Charte canadienne. Sans me prononcer sur la validité constitutionnelle ou autrement de telles solutions de remplacement au renvoi, l’exemple qui suit illustre qu’il existe des solutions autres que la déportation pure et simple.

[33]Dans l’affaire Agiza par exemple, le gouverne-ment suédois a renvoyé une personne condamnée ex parte, en Egypte, pour activités terroristes. Dans cette affaire, le gouvernement avait donné des assurances jugées suffisantes par le gouvernement suédois. Un mécanisme de visites régulières et de supervision diplomatique avaient été prévus. Le Comité contre la torture de l’Organisation des Nations Unies (ONU), a décidé que compte tenu des circonstances très précises de cette affaire, l’article 3 de la Convention contre la torture avait été violé (voir Agiza c. Suède, Communica-tion No. 233/2003, Doc. NU CAT/C/34/D/233/2003 [[2005] UNCAT 9 (24 mai 2005)], au paragraphe 13.4). Le mécanisme en lui même, par contre, n’a pas été considéré par le Comité contre la torture comme contrevenant à la Convention sur la torture. Je mentionne ceci seulement comme exemple de recherche sur le plan international à titre d’option à la déportation comme telle.

[34]Cet exemple montre qu’il est pensable, compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême dans Suresh, que les personnes qui sont visées par un certificat de sécurité, mais qui ne peuvent être renvoyées compte tenu du risque de torture pourraient faire l’objet d’un traitement particulier. Ces traitements pourraient passer ou non le test constitutionnel. Il n’appartient pas à cette Cour en l’espèce, de décider si ces traitements seraient ou non conformes à la Charte canadienne ou aux engagements internationaux du Canada. Au stade où en sont les présentes procédures, il s’agit d’une question hypothétique. Je dois tenir compte du passage précité de l’affaire Suresh. M. Charkaoui est en attente d’une évaluation ERAR et aucune mesure d’expulsion vers un pays où il y a risque de torture n’a été prise. Ni exercice de pondération en particulier, ni décision dans laquelle la discrétion en découlant est exercée n’est à l’étude. Il ne revient pas non plus à la Cour fédérale d’élaborer des solutions conformes à la Charte canadienne. Conformément à Suresh, la Cour ne pourra examiner la question de savoir s’il y a une violation à la Charte canadienne que lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire aura donné lieu à une décision, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[35]M. Charkaoui, dans sa tentative de distinguer sa situation de celle de l’arrêt Suresh, souligne l’existence de nouvelles dispositions d’interprétation et de mise en œuvre dans la LIPR. En particulier, M. Charkaoui mentionne l’alinéa 3(3)f) de la LIPR. Ce paragraphe se lit comme suit :

3. (1) [. . .]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[. . .]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

M. Charkaoui plaide qu’un renvoi vers un pays où il y a risque de torture va à l’encontre de l’article 3 de la Convention contre la torture et qu’à ce titre, les dispositions touchant les demandes de protection sont invalides car elles envisagent une possibilité d’un tel renvoi.

[36]Il ne faut pas donner à l’alinéa 3(3)f) un rôle plus étendu que celui prévu par le législateur. Dans l’affaire De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162 (C.F.), le juge Kelen a précisé la signification de l’alinéa 3(3)f). Il écrit au paragraphe 53 :

[. . .] [l]’alinéa 3(3)f) de la LIPR codifie le principe fondamental d’interprétation législative en common law selon lequel les lois internes devraient être interprétées de façon à refléter les valeurs contenues dans les conventions internationales portant sur les droits de l’homme auxquelles le Canada a adhéré. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a statué, au paragraphe 70, que les valeurs exprimées à l’égard des droits de la personne dans les conventions internationales peuvent « être prises en compte dans l’approche contextuelle » de l’interprétation des lois. Cependant, l’alinéa 3(3)f) de la LIPR n’incorpore pas les conventions internationales portant sur les droits de l’homme dans la législation canadienne pas plus qu’il n’énonce qu’elles outrepassent les termes simples d’une loi. L’alinéa 3(3)f) de la LIPR signifie que les conventions devraient être considérées par la Cour comme un « contexte » lorsqu’elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d’immigration. Je suis d’avis que l’alinéa 117(9)d) du Règlement est simple, clair et sans ambiguïté. Il ne laisse pas de place à une telle interprétation.

[37]Tout en prenant note de l’opinion du juge Kelen, je crois qu’il y a lieu d’aller plus loin dans l’analyse, compte tenu du libellé très particulier de l’alinéa 3(3)f). La Cour suprême du Canada a récemment rappelé, dans Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 9, que l’interprétation des lois ne suit désormais qu’une seule règle :

Comme notre Cour l’a maintes fois répété : « [traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26). Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (par. 21).

[38]Pour bien interpréter l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, il convient de rappeler d’entrée de jeu les objectifs de la LIPR tels qu’interprétés par la Cour suprême du Canada. Tout récemment, dans l’arrêt rendu unanimement Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.R. 539, la juge en chef McLachlin de la Cour suprême du Canada commentait la LIPR et certains principes applicables en droit de l’immigration de la façon suivante, aux paragraphes 10 et 46 :

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, l’al. 3(1)i) LIPR comparativement à l’al 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)e) LIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)h) LIPR comparativement à l’al 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

[. . .]

Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733. À elle seule, l’expulsion d’un noncitoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[39]Il est vrai que le libellé employé dans l’alinéa 3(3)f) utilise les termes « de se conformer »— « complies » (par comparaison à l’expression « d’assurer » —« ensures » employée à l’alinéa 3(3)d)). Il faut néanmoins lire la LIPR dans son ensemble pour faire ressortir l’intention du législateur. Les dispositions de cette Loi et du RIPR montrent que le législateur est animé d’un souci réel de lutter contre la torture. Par exemple, les articles 35 et 36 et l’annexe de la LIPR visent à éviter que des personnes ayant commis des actes de torture puissent être admises au Canada. Les dispositions de la LIPR ont également pour objectif d’éviter de renvoyer des personnes vers des pays où celles‑ci risquent la torture. Par exemple, le paragraphe 97(1) de la LIPR prévoit qu’en règle générale, les personnes qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels ou inusités sont des personnes à protéger. Le paragraphe 102(1) prévoit d’ailleurs un pouvoir de réglementation permettant d’identifier les pays qui pratiquent la torture. La définition de l’expression « besoin urgent de protection » que l’on retrouve à l’article 138 du RIPR témoigne également du souci du législateur de ne pas renvoyer des personnes vers des pays où elles risquent d’être maltraitées. Cependant, le législateur est aussi soucieux d’assurer la sécurité du Canada. Le paragraphe 34(1) de la LIPR prévoit la règle générale de l’interdiction de territoire pour motif de sécurité. Ces règles générales sont raffinées par tout un ensemble d’autres règles qui cherchent à faire l’équilibre entre la sécurité nationale et la protection contre la torture (voir l’alinéa 3(1)h) et la Section 9 de la LIPR). Selon l’article 230 du RIPR, le ministre dispose d’un pouvoir d’imposer un sursis de renvoi vers un pays où l’ensemble de la population serait exposée à un danger, mais le même article prévoit que le sursis n’est pas applicable aux personnes interdites de territoire pour des raisons de sécurité. De même, en vertu de l’alinéa 101(1)f) [de la LIPR], la demande d’asile, normalement accordée lorsqu’une personne risque la torture, est irrecevable lorsqu’une personne est interdite de territoire pour raison de sécurité.

[40]À mon avis, le législateur a choisi de traiter d’une façon particulière les personnes qui sont visées par un certificat de sécurité, et la clarté des dispositions dont M. Charkaoui attaque la validité illustrent cette intention. Je vois mal pourquoi le législateur aurait pris la peine d’édicter des dispositions très spécifiques et précises touchant les personnes visées par un certificat de sécurité s’il avait eu l’intention de les neutraliser ou de les annuler par l’alinéa 3(3)f) de la LIPR.

[41]Finalement, l’origine de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, ainsi que les travaux préparatoires ayant mené à son adoption permettent de faire la lumière sur sa portée exacte. L’adoption de la nouvelle LIPR, en 2002, a introduit tout un ensemble de changements importants. Certains de ces changements intègrent des modifications faisant suite à des engagements internationaux pris par le Canada. Tel est le cas, par exemple, de l’inclusion des personnes qui risquent la torture parmi les personnes ayant droit à la protection du Canada (article 97 de la LIPR). Le projet de loi C‑11, Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re sess., 37e Lég. 2001 (sanctionné le 1er novembre 2001) incluait l’alinéa 3(3)f), proposé par le Comité CI dans son rapport du 28 mai 2001 (Canada, Parlement, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 1re sess., 37e Parl., Premier rapport, 28 mai 2001). L’alinéa 3(3)f) sera adopté par les deux Chambres et sanctionné avec le même libellé.

[42]Devant le Comité CI, plusieurs intervenants ont été entendus. Certains d’entre eux ont proposé d’inclure une disposition faisant référence au droit international (voir par exemple Canada, Parlement, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 1re sess., 37e Lég., Témoignages : Réunion 12, 30 avril 2001 « M. Chilwin Cheng »; Réunion 16, 2 mai 2001 « M. Andrew Brouwer »; Réunion 20 « Me Darlène Dubuisson‑Balthazar »). L’étude du projet de loi article par article a suivi, lors des Réunions 22 du 8 mai 2001 et 24 du 15 mai 2001 (la réunion 23 du 10 mai 2001 s’est tenue à huis clos). Certains extraits de ces débats se trouvent à l’annexe 2 des présents motifs à titre d’éclairage seulement. À mon avis, il ressort de ces débats que la volonté des parlementaires n’était pas de faire en sorte que le droit international ait pour effet d’annuler ou de neutraliser l’application des dispositions claires de la LIPR. Si telle avait été la volonté du législateur, il l’aurait indiqué clairement, considérant que pareille disposition aurait eu des impacts extrêmement importants sur le droit interne. Je crois plutôt, comme les paroles des parlementaires le laissent transparaître, que l’objectif était d’identifier clairement les valeurs du pays d’accueil, de s’assurer que les nouvelles conventions internationales signées par le Canada soient incluses, de permettre une interprétation évolutive de la LIPR et de souligner la volonté du législateur de respecter ses obligations internationales. Je ne crois pas qu’il faut y voir plus que cela.

[43]M. Charkaoui soutient en outre qu’en plus d’avoir un rôle interprétatif, l’alinéa 3(3)f) doit également guider la mise en œuvre de la LIPR. Même si M. Charkaoui avait raison sur ce point, je ne crois pas que l’article 3 de la Convention sur la torture serait irréconciliable avec la « mise en œuvre » du processus de pondération prévu à la LIPR. À cet égard, je crois qu’il faut retenir que la Cour suprême, dans l’arrêt Suresh a clairement validé l’exercice de pondération prévu à la LIPR, tout en tenant compte de la Convention contre la torture sur laquelle s’appuie M. Charkaoui. En l’espèce, la « mise en œuvre » de la LIPR ne pourrait pas avoir pour effet de contrevenir à l’article 3 de la Convention sur la torture, même si cette convention était importée en droit interne, puisqu’à ce jour, M. Charkaoui ne fait l’objet d’aucune mesure susceptible de contrevenir à l’article 3 de la Convention sur la torture. Le droit canadien applicable (les dispositions contestées de la LIPR et l’arrêt Suresh) s’harmonise très bien avec la Convention sur la torture, tant et aussi longtemps qu’aucune mesure de renvoi vers un pays où il y a risque de torture n’est décidée. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’il pourrait y avoir contravention.

[44]En somme, l’arrêt Suresh a validé le mécanisme de mise en balance prévu à la LIPR. L’interprétation de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR mène à la conclusion qu’il s’agit d’une disposition générale et interprétative n’ayant pas pour effet de faire pénétrer le droit international en droit interne. Cette disposition n’a pas pour effet de donner à des normes de droit international un statut égal ou supérieur au droit interne, ni le pouvoir de l’invalider.

[45]C’est en gardant tout cela à l’esprit qu’il faut examiner les autres instruments de droit international invoqués par M. Charkaoui. En plus de la Convention sur la torture dont je viens de traiter, il plaide la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (Convention relative au statut des réfugiés) et le Pacte international. Aucune disposition précise n’est alléguée.

[46]Après avoir pris connaissance des deux conventions précitées, j’en viens à la conclusion qu’il y a lieu de rejeter cet argument. En effet, l’explication que j’ai donné concernant le rôle des conventions interna-tionales en droit interne s’applique à ces traités. De plus, sans reproduire ici le texte de ces conventions ou en faire une analyse exhaustive, je souhaite mentionner plusieurs dispositions qui montrent que ces deux conventions accordent une grande importance aux objectifs de sécurité nationale et d’ordre public et prévoient des exceptions en conséquence (Convention relative au statut des réfugiés, articles 9 et 32 et le paragraphe 33(2); Pacte international, articles, paragraphe 12(3), article 13, paragraphe 14(1), alinéa 19(3)b), article 21 et le paragraphe 22(2)). À mon avis, le texte de ces conventions internationales s’harmonise très bien avec le droit canadien.

[47]Je crois que l’on peut dire la même chose de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU. (Déclaration universelle), également invoquée par M. Charkaoui (voir paragraphe 29(2)). La Déclaration universelle n’est de toute façon pas une convention internationale, mais une résolution de l’assemblée générale de l’ONU. À ce titre, elle n’a pas de force obligatoire. Les juges Létourneau et Décary l’ont d’ailleurs déjà rappelé au requérant en décembre 2004 (voir Charkaoui (Re) [[2005] 2 R.C.F. 299 (C.A.F.)], au paragraphe 138).

[48]Quant à la DCD, je note que M. Charkaoui n’a pas expliqué dans son mémoire sur quelles dispositions je devrais selon lui me fonder pour invalider des dispositions de la LIPR. Les aloinéas 1b) (droit à l’égalité) et 2b) (interdiction des peines et traitements cruels ou inusités) m’apparaissent pertinents. Sur le droit à l’égalité d’abord, il faut rappeler la distinction qui s’impose entre citoyens et non citoyens canadiens, qui justifie le traitement différent dont fait l’objet M. Charkaoui par rapport aux citoyens canadiens. M. Charkaoui, en tant que résident permanent, est assujetti à la LIPR contrairement aux citoyens canadiens. Cette Loi est en soi un code de l’immigration qui fait une distinction claire entre citoyens et non citoyens (voir Medovarski, Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, et Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.), au paragraphe 62). Le fait qu’un régime particulier s’applique aux non citoyens comme M. Charkaoui n’est donc pas contraire à l’alinéa 1b) de la DCD. Finalement, j’aborderai en détail l’interdiction des traitements et peines cruels ou inusités (alinéa 2b) de la DCD) dans ma réponse à la question iii), puisque M. Charkaoui invoque plusieurs autres raisons pour fonder ses prétentions.

[49]En résumé, les dispositions de la LIPR touchant les demandes de protection ne vont ni à l’encontre de la Charte canadienne, ni des instruments de droit international précités, ni de la DCD. Je réponds donc par la négative à la deuxième question.

iii)            Est‑ce que les ministres et le gouvernement canadien ont, par leurs agissements ou leurs omissions, traité le requérant de manière prohibée par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et par la Convention contre la torture en l’exposant, comme ils l’ont fait et le font toujours, à un renvoi vers un pays où il risque la torture dans les circonstances des dispositions des articles 77 à 85 de la LIPR?

[50]Pour M. Charkaoui, le fait que les ministres envisagent toujours de le retourner au Maroc, et ce depuis mars 2003, équivaut à un traitement à son égard qui est prohibé par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne et par la Convention contre la torture. Les faits, agissements et omissions, tels que présentés par M. Charkaoui, établissant à son avis un mauvais traitement qui irait à l’encontre des articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne et de la Convention contre la torture sont les suivants :

‑               La menace de renvoi vers la torture qu’exerce le Gouvernement canadien à l’égard de M. Charkaoui depuis plus d’un an équivaut à une forme de torture ou de traitement inhumain et dégradant, ce qui constitue en soi une violation de la Convention contre la torture en plus d’une violation de la Charte [. . .] D’ailleurs, M. Charkaoui est affecté par cette situation au point de nécessiter un suivi médical en psychiatrie [voir mémoire de M. Charkaoui, aux paragraphes 24 et 37];

‑              On a dissimulé le rapport ERAR en date du 21 août 2003 qui concluait à un risque de torture si M. Charkaoui était renvoyé au Maroc pendant huit (8) mois [voir mémoire de M. Charkaoui, aux paragraphes 43 et 68 (en fait, le délai est d’un peu plus de 7 mois, soit du 21 août 2003 au 2 avril 2004)];

‑              Dans une note diplomatique en date du 18 février 2004 envoyée au Maroc, les Affaires étrangères canadiennes émettaient l’opinion que M. Charkaoui « constitue une menace pour la sécurité du Canada » et ce, avant même d’avoir procédé à l’étude du dossier à cet égard [voir mémoire de M. Charkaoui, aux paragraphes 66 et 67];

‑              La déléguée du ministre a pris en considération la réponse diplomatique du Maroc en date du 18 avril 2004 et en a tenu compte en tant qu’assurance sérieuse. Selon M. Charkoui, il ne s’agit pas d’une véritable assurance sérieuse [voir mémoire de M. Charkaoui, paragraphes 6 et 31];

‑              M. Charkaoui trouve inacceptable le délai de douze (12) mois pour obtenir la réponse à la première demande de protection (31 juillet 2003, date à laquelle les observations furent fournies, jusqu’au 6 août 2004, date du rapport). M. Charkaoui trouve aussi inacceptable le délai de sept (7) mois écoulé depuis sa mise en demeure de rendre une décision favorable, datant d’avril 2005 (du 6 avril 2005, date de la première mise en demeure, à la date de l’audition sur la présente requête, soit les 4 et 5 octobre 2005).

[51]Pour leur part, les ministres allèguent que les délais en jeu ne sont pas exagérés et que M. Charkaoui n’est pas traité différemment des autres personnes assujetties à semblables procédures.

La situation de M. Charkaoui

[52]M. Charkaoui allègue que la menace de renvoi vers un pays où il y a risque de torture équivaut à une forme de torture. M. Charkaoui se plaint de l’anxiété que suscite chez lui l’attente d’une décision sur la demande de protection faite en juillet 2003 et qu’il a réitérée par des mises en demeure en avril 2005 (la demande initiale a autorisé un renvoi vers le Maroc, mais fut annulée par la Cour). Il ajoute qu’il y a toujours possibilité qu’il y ait un refus de sa demande de protection et qu’en conséquence, il soit renvoyé vers le Maroc, pays où il risquerait d’être torturé.

[53]À mon avis, cet argument doit être rejeté. D’abord, concernant l’article 7 de la Charte canadienne, M. Charkaoui n’a fait mention, dans son mémoire, d’aucun jugement me démontrant que les procédures auxquelles il est soumis constituent une violation de cet article. M. Charkaoui n’a pas précisé non plus sur quel volet de l’article il s’appuie.

[54]Quant à l’article 12 de la Charte canadienne, je n’ai pas de doute que la procédure en question constitue un « traitement » au sens de cet article, comme M. Charkaoui le prétend. Cependant, il ne s’agit pas d’un traitement que l’on peut qualifier de cruel ou d’inusité au sens de la Charte canadienne. Les seules autorités auxquelles renvoie M. Charkaoui dans son mémoire sont des rapports produits par l’organisation intéressée Physicians for Human Rights. Je crois qu’il faut garder à l’esprit que les procédures émises par les ministres contre M. Charkaoui sont très sérieuses et impliquent nécessairement des conséquences graves sur sa vie. Les motifs à la base du certificat de sécurité, le mandat d’arrestation, la détention préventive révisée périodiquement et la libération assortie de 15 conditions limitent certainement sa liberté et son autonomie, ainsi que celles de ses proches. Les conséquences de ces procédures sont hors de l’ordinaire. Elles causent assurément un stress et sont, j’en suis convaincu, une préoccupation constante pour M. Charkaoui. Toute procédure judiciaire (qu’elle soit civile, criminelle ou d’immigration) a pour conséquence de toucher les personnes impliquées. Elles ont en commun de causer du stress chez ces personnes. Certes, le degré variera selon l’importance de la procédure et des intérêts susceptibles d’êtres atteints. Il s’agit là d’une conséquence inévitable inhérente au processus judiciaire, et je vois mal comment la marche normale d’un processus administratif et judiciaire pourrait être contraire à l’article 12 de la Charte canadienne. Je sympathise avec M. Charkaoui à ce sujet mais la procédure doit suivre son cours et ce, dans l’intérêt de la justice.

[55]Par ailleurs, il faut noter que deux principaux facteurs ont contribué à la durée des procédures dans le dossier de M. Charkaoui. D’une part, il y a la complexité du processus lui‑même et les décisions prises par les ministres et leurs représentants. D’autre part, il y a les décisions prises par M. Charkaoui dans le cadre du présent dossier.

[56]D’abord, une demande de protection touchant une personne visée par le certificat de sécurité, implique plusieurs joueurs assumant différentes tâches. Il y a l’agent d’ERAR qui évalue la situation des droits de la personne dans le pays où il y a possibilité de renvoi tout en tenant compte des observations fournies par la personne visée par le certificat. Il y a l’implication des Affaires étrangères Canada et du Maroc dans un échange de lettres diplomatiques. Il y a l’agent de la direction générale des renseignements qui, dans le cadre d’une évaluation des restrictions, analyse les faits pour se former une opinion quant au risque que pose la personne visée à la sécurité du Canada. Il y a l’implication de la personne visée qui a à commenter les différents documents qu’on soumet à tout moment de l’étude de la demande de protection. À la toute fin, il y a le rôle du ministre ou de son délégué qui doit disposer de la demande de protection. Il y a fort probablement d’autres personnes qui contribuent au processus d’étude. À la fin de ce processus, le ministre ou son délégué a à assumer le pouvoir discrétionnaire découlant de l’exercice de pondération. Dans certains cas, comme je l’ai mentionné en réponse à la question ii), des solutions de remplacement peuvent être envisagées en vue d’éviter le renvoi vers un pays susceptible de torturer une personne représentant par ailleurs un risque à la sécurité. Dans ces cas, élaborer pareilles solutions peut être long, en raison de leur nature même. Puis, la décision finale est elle même sujette à un contrôle de la légalité par le juge désigné (paragraphe 80(1) de la LIPR). En somme, le processus est fort complexe et nécessite inévitablement le passage du temps. Ce ne serait certainement pas rendre justice à la personne visée que de prendre une décision rapide sans disposer d’une période permettant une réflexion complète sur les enjeux, les faits et les options à envisager. En l’espèce, la première demande de protection est annulée et la procédure est suspendue. Il faut maintenant attendre une décision sur la demande de protection, réitérée en avril 2005 par M. Charkaoui. En date du présent jugement, le délai est compréhensible. (Voir Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 142 (C.A.F.), au paragraphe 86.)

[57]Par ailleurs, les décisions prises par M. Charkaoui sont pertinentes. Bien que le législateur ait voulu que ces procédures procèdent « sans formalisme et selon la procédure expéditive » (alinéa 78c) de la LIPR) et que le soussigné a toujours voulu vider le fond du litige avec diligence tout en tenant compte des intérêts des parties, ce fut impossible. Il y a eu de nombreuses requêtes prises dans le cadre des présentes procédures (premier débat constitutionnel concernant le certificat de sécurité et la détention préventive, révisions de la détention préventive, requête en récusation, en plus du présent débat constitutionnel et procédural) qui ont accaparé temps et énergie des parties et de la Cour. En tout, les procédures ont été suspendues pendant plus de 13 mois, à deux reprises sur demande de M. Charkaoui, en vertu du paragraphe 79(1) de la LIPR. À chaque fois que la Cour fixait des dates pour l’audition de la raisonnabilité du certificat, elles devaient être annulées à cause d’une demande de suspension ou pour une autre raison. Je n’en fais pas le reproche à M. Charkaoui, qui a choisi d’exercer des droits qui lui sont conférés par la loi. Cependant, ces faits, gestes et décisions contribuent à la durée des procédures et je dois en tenir compte. Le juge La Forest, dans l’affaire Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, faisait le commentaire suivant, à la page 838 :

L’appelant a accordé beaucoup d’importance au syndrome du « couloir de la mort » et à la méthode d’exécution. Le syndrome du couloir de la mort doit son existence en grande partie au fait qu’il n’est pas rare que des prisonniers passent un grand nombre d’années dans le couloir de la mort en attendant l’issue de leurs divers appels dans le système judiciaire des États‑Unis. La lourdeur et la lenteur de ce processus d’appel généreux a fait l’objet de nombreuses critiques aux États‑Unis au cours des dernières années et des efforts sont faits actuellement pour le réformer. On ne peut pas écarter à la légère le stress psychologique inhérent au syndrome du couloir de la mort, mais il perd de son importance lorsqu’on le compare à la peine de mort. En outre, le fait demeure qu’un défendeur n’est jamais obligé d’avoir recours à la procédure d’appel dans son entier, mais la grande majorité choisit de le faire. Il serait paradoxal qu’un retard causé par le fait qu’un appelant tire avantage de toutes les voies de recours généreuses auxquelles il a droit soit considéré comme une violation de la justice fondamentale; voir Richmond v. Lewis, 921 F.2d 933 (9th Cir. 1990), à la p. 950. Comme dans l’arrêt Soering, précité, il peut y avoir des situations où l’âge et la capacité mentale du fugitif peuvent avoir un effet sur la question mais, encore une fois, ce n’est pas le cas en l’espèce.

Bien que cette affaire en est une d’extradition et que le commentaire du juge portait sur l’article 7 de la Charte canadienne, je crois que son raisonnement peut être en partie repris dans l’analyse de la portée de l’article 12 de la Charte canadienne. Une personne qui « tire avantage de toutes les voies de recours généreuses » à sa disposition d’une part peut difficilement prétendre avec succès que ses droits sont mis en péril en vertu de la Charte canadienne d’autre part. Dans notre cas, M. Charkaoui a demandé à deux reprises la suspension des procédures, ce qui lui fut accordé. La détermination sur la raisonnabilité du certificat ne peut être faite étant donné ces suspensions. Les procédures ne pourront prendre fin que s’il y a une telle détermination qui est faite. Si le certificat était déclaré non‑raisonnable, ce serait la fin des procédures et M. Charkaoui récupérerait sa pleine liberté. Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme un blâme envers M. Charkaoui en raison des décisions qu’il a prises. La Cour lui reconnaît le droit de les prendre. C’est son droit. Toutefois, il y a des conséquences.

[58]Quant à l’article 15 de la Charte canadienne, j’ai déjà cité la jurisprudence pertinente selon laquelle le fait qu’un régime particulier s’applique aux non citoyens, comme M. Charkaoui n’est pas contraire aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne (Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) et Charkaoui (Re) [[2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.)]).

[59]M. Charkaoui s’appuie également sur la Convention contre la torture, mais n’invoque aucune autorité à l’appui de sa prétention voulant que les procédures auxquelles il est sujet violeraient cette Convention. Le libellé du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention contre la torture semble plutôt indiquer qu’un processus administratif ou judiciaire ne peut pas être considéré comme de la torture :

1. Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

Les peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ne sont définis nulle part dans la Convention contre la torture. Toutefois, si les rédacteurs de cette Convention avaient voulu permettre que des procédures puissent constituer non pas de la torture, mais une peine ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sous l’article 16 de cette Convention, ils n’auraient pas pris la peine de les exclure expressément dans l’article premier. Finalement, dans ma réponse à la question ii), j’ai expliqué de quelle nature est le rôle de la Conven-tion contre la torture (et des traités internationaux en général) dans le contexte de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR. Tenant compte de cette interprétation et des raisons mentionnées ci‑dessus (tant dans mes motifs portant sur la Charte canadienne que dans ceux portant sur la Convention contre la torture), je suis d’avis que M. Charkaoui ne fait ni l’objet de torture, ni d’une peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Le délai dans la communication de l’évaluation d’ERAR du 21 août 2003

[60]M. Charkaoui se plaint qu’un délai de huit mois se soit écoulé entre la date (le 21 août 2003) à laquelle a été finalisée l’évaluation d’ERAR concluant à un risque de torture en cas de renvoi vers le Maroc et la date où ce rapport lui a été communiqué (le 2 avril 2004). Selon M. Charkaoui, il s’agit d’un fait de nature à démontrer qu’il est sujet à de mauvais traitements.

[61]Les paragraphes 172(1), (2) et (3) du RIPR prévoient une procédure pour communiquer l’évaluation d’ERAR et l’évaluation des restrictions. Les paragraphes 172(1) et (2) de la LIPR se lisent comme suit :

172. (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles‑ci.

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi, selon le cas.

[62]Si l’on se fie au libellé des paragraphes précités, il semblerait que les évaluations doivent être envoyées ensemble de façon à permettre une réplique écrite dans les 15 jours suivant la réception. Le dossier révèle que les deux évaluations furent communiquées à M. Charkaoui le 2 avril 2004. À mon avis, il n’y a pas eu dissimulation de l’évaluation d’ERAR. Un laps de temps s’est effectivement écoulé entre le moment où l’évaluation d’ERAR a été terminée et le moment où l’évaluation des restrictions l’a été. Les ministres étaient cependant tenus, en vertu du RIPR, de remettre les deux rapports en même temps à M. Charkaoui pour lui permettre de répondre au contenu de ces rapports en disposant essentiellement (à l’exclusion de la preuve confidentielle pour des raisons de sécurité) des mêmes éléments que le décideur. Il est logique que le RIPR soit ainsi rédigé, puisqu’il serait inutile de remettre à la personne visée par le certificat de sécurité, un dossier incomplet dans les cas où l’évaluation d’ERAR est terminée avant l’évaluation des restrictions. Un rapport incomplet ne pourrait donner lieu qu’à une réplique prématurée et partielle. Ayant dit ceci, il y aurait peut être lieu de rédiger plus clairement les paragraphes en question de façon à s’assurer que lorsque les rapports sont finalisés, ils sont envoyés en même temps à la personne visée pour obtenir sa réplique dans les 15 jours ou encore de permettre la communication de l’évaluation d’ERAR ou de l’évaluation des restrictions dès qu’elles sont finalisées.

La note diplomatique du 18 février 2004

[63]Le troisième fait que M. Charkaoui a qualifié de mauvais traitement est l’opinion exprimée dans la note diplomatique des Affaires étrangères Canada en date du 18 février 2004, selon laquelle il est une menace à la sécurité du Canada.

[64]À mon avis, l’objectif de cette lettre était d’obtenir du Maroc certaines informations et des assurances concernant les droits de la personne si M. Charkaoui était retourné. L’opinion qui y est exprimée reprend intégralement l’opinion des ministres telle que contenue dans le certificat de sécurité daté du 16 mai 2003. Il ne s’agit pas de l’opinion de la déléguée du ministre car son opinion quant au danger que représente M. Charkaoui n’a été officialisée que le 6 août 2004, soit plus de cinq mois après l’envoi de la note diplomatique. De plus, l’opinion incluse dans la note diplomatique n’a rien de nouveau. L’opinion selon laquelle M. Charkaoui est une menace à la sécurité du Canada a été largement médiatisée. Ce n’est que la décision sur la raisonnabilité du certificat qui permettra de dire s’il s’agit d’une opinion bien fondée ou non. Cela ne peut donc pas être retenu comme étant un fait équivalent à un mauvais traitement.

[65]M. Charkaoui a semblé dans son mémoire ajouter aux faits en prétendant que la déléguée du ministre n’aurait pas dû utiliser la note diplomatique du Maroc en date du 18 avril 2004 dans le cadre de son analyse de la première demande de protection (paragraphe 6 du mémoire de M. Charkaoui). Cette décision ayant été annulée par ordonnance en date du 21 mars 2005, je n’ai pas à me prononcer sur la pertinence de l’emploi de la note diplomatique dans la prise de décision. Toutefois, je note que le dossier révèle que M. Charkaoui, par l’entremise de son avocate, a communiqué ses observations concernant l’échange de correspondance entre les Affaires étrangères Canada et du Maroc (voir la lettre de Me Doyon datée du 27 juillet 2004 au dossier de la Cour). J’ajoute que ce genre d’échange de notes diplomatiques ferait partie de la preuve pertinente pour décider de la légalité d’une décision traitant d’une demande de protection (voir paragraphe 80(1) de la LIPR). Ce fait ne constitue donc pas un mauvais traitement.

Les délais de réponse aux demandes de protection

[66]Les derniers faits reprochés sont les délais pris pour répondre aux demandes de protection. La première demande fut traitée pendant une période de 12 mois. La deuxième demande de protection est actuellement à l’étude et ce, depuis sept mois. J’ai déjà fait état, dans mon analyse de la situation de M. Charkaoui, de ma compréhension de la procédure suivie à la suite d’une demande de protection. J’ajoute qu’une telle demande doit prendre en considération les faits découlant du passage du temps. Une situation peut changer avec le temps. À titre d’exemple, ce n’est qu’en septembre 2004 qu’un mandat d’arrêt international a été émis par le Maroc contre M. Charkaoui. Lors de la rédaction de la note diplomatique du Maroc en date du 18 avril 2004 et de la décision de la déléguée du ministre en date du 6 août 2004, le mandat d’arrêt international n’était pas émis. Ceci démontre que des événements peuvent avoir un impact certain sur le processus d’étude d’une demande de protection. Ainsi, je ne peux conclure que les délais qui se sont écoulés en l’espèce pour étudier la demande de protection de M. Charkaoui, constituent un mauvais traitement. La présente conclusion est basée sur les délais actuellement écoulés. Leur raisonnabilité pourra éventuellement être réévaluée dans le futur.

[67]Pour ces raisons, j’estime que la situation de M. Charkaoui en soi ne constitue pas un traitement cruel ou inusité au sens des articles de la Charte canadienne invoqués par M. Charkaoui ou au sens de la Convention contre la torture. Quant à la conduite des ministres (que ce soit en raison des délais de communication de l’évaluation ERAR, du libellé de la note diplomatique ou des délais de traitement de la demande de protection), je ne crois pas qu’elle constitue non plus un traitement cruel ou inusité au sens de ces mêmes textes.

iv)           Est‑ce que les ministres et le gouvernement canadien ont par leurs agissements créé une apparence de partialité qui les disqualifie comme décideurs et les empêche d’assumer les fonctions que la loi leur attribue?

[68]M. Charkaoui fait valoir, en outre, que le gouvernement canadien, les ministres et leurs employés ont posé, lors du traitement de la demande de protection, des gestes créant une apparence de partialité les empêchant de prendre à l’avenir des décisions objectives et impartiales en vertu de la LIPR. Pour démontrer l’existence d’une apparence de partialité, M. Charkaoui invoque les mêmes éléments (voir paragraphe 65 de son mémoire) que ceux qu’il emploie pour démontrer qu’il est victime d’un traitement cruel et inusité (voir les motifs du présent jugement en réponse à la question iii)).

[69]M. Charkaoui soutient que les faits et gestes du gouvernement canadien, soit les ministres et leurs représentants, pris dans leur ensemble, font naître une crainte raisonnable de partialité et que de cette situation, les décideurs ne peuvent plus assumer leurs obligations découlant de la LIPR à son égard. M. Charkaoui plaide l’affaire Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673 pour définir le test permettant de déterminer s’il y a crainte raisonnable de partialité. Il s’agit de se demander si une personne sensée et raisonnable qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique en arriverait à la conclusion qu’il y a crainte de partialité. Les motifs de crainte doivent être sérieux.

[70]J’ai expliqué dans ma réponse à la question iii) pourquoi je considère que les faits et gestes qu’invoque M. Charkaoui n’équivalent pas à un mauvais traitement. J’ajoute que dans leur ensemble, ils ne m’apparaissent pas comme étant des faits et gestes indiquant une apparence de partialité des décideurs puisqu’il s’agit de gestes posés en conformité avec la LIPR. C’est pourquoi je conclus que la personne sensée et raisonnable ayant une connaissance en profondeur du dossier en arriverait à la même constatation.

[71]Je réponds donc par la négative à la question iv).

v)            Est‑ce que le traitement auquel a été exposé et est toujours exposé le requérant et les agissements du gouvernement canadien envers lui justifient la suspension permanent de l’instance engagée contre le requérant et les autres ordonnances recherchées? 

[72]Comme je l’ai mentionné dans ma réponse à la question iii), M. Charkaoui a allégué qu’il est sujet à une procédure et à des circonstances dont l’effet s’apparente à de la torture ou encore à une forme de torture ou de traitement inhumain et dégradant. En outre, M. Charkaoui est d’avis que la procédure suivie et les décisions prises équivalent à de l’abus de procédure justifiant la suspension de l’instance.

[73]En réponse, les ministres plaident que rien ne justifie la suspension de l’instance. Ils soutiennent que la suspension des procédures est une mesure ultime et qu’il n’y a pas de situation justifiant une constatation d’abus de procédure. Selon eux, les procédures pour le dépôt d’un certificat de sécurité, le mandat d’arrestation, la détention et les révisions de la détention ont été adéquatement suivies.

[74]Dans l’affaire récente Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 91, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de rappeler que la suspension des procédures constitue une forme de réparation draconienne et exceptionnelle :

[. . .] la jurisprudence de notre Cour a statué qu’il faut réserver la réparation que constitue l’arrêt des procédures aux cas les plus graves, notamment dans les situations d’abus de la part de la poursuite (R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297, 2002 CSC 12, par. 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, par. 59; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 59 et 68).

[75]La dissidence de la juge McLachlin [maintenant juge en chef] dans l’arrêt R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, à la page 1007, citée avec approbation dans R. c. Regan,_[2002] 1 R.C.S. 297, au paragraphe 50, résume bien la signification de la notion d’abus de procédure :

En résumé, l’abus de procédure peut avoir lieu si : (1) les procédures sont oppressives ou vexatoires; et (2) elles violent les principes fondamentaux de justice sous‑jacents au sens de l’équité et de la décence de la société. La première condition, à savoir que les poursuites sont oppressives ou vexatoires, se rapporte au droit de l’accusé d’avoir un procès équitable. Cependant, la notion fait aussi appel à l’intérêt du public à un régime de procès justes et équitables et à la bonne administration de la justice. J’ajouterais que j’interprète ces conditions de façon cumulative.

[76]Ayant à répondre en détail à quatre questions depuis le début de cette analyse et ne voulant pas me répéter, je souligne simplement que je n’ai pas identifié quoi que ce soit qui équivaille à un abus de procédure à l’égard de M. Charkaoui. Je n’y vois rien d’oppressif ou de vexatoire et les principes fondamentaux de justice ont été suivis depuis le début. En l’espèce, la procédure suivie lors de la signature du certificat de sécurité, de la détention, de la libération sous conditions, suivent la démarche prévue à la LIPR et au RIPR. Il en est de même des demandes de protection, bien que les faits aient changé en cours de route. En dernier lieu, j’ajoute que la Cour a eu à réviser certaines décisions prises dans le cours du présent dossier et qu’aucun abus de procédure justifiant une suspension permanente n’a été constaté, que ce soit en ce qui a trait à la signature du certificat de sécurité, à la détention préventive, à la libération sous conditions ou à la demande de protection. Au contraire, il est dans l’intérêt de la justice que le présent dossier chemine jusqu’à sa finalité. Il en va de même de l’intérêt de M. Charkaoui.

[77]Je réponds donc à cette cinquième question par la négative. Je ne vois pas en l’espèce de situation de faits pouvant équivaloir à un abus de procédure justifiant une suspension permanente des procédures. J’ajoute que si j’avais constaté qu’il y avait une situation de faits pouvant s’y apparenter, j’aurais eu à prendre en considération des mesures réparatrices de rechange afin de corriger la situation de faits avant d’envisager une suspension permanente des procédures (voir R. c. Khan, [2001] 3 R.C.S. 823, au paragraphe 80).

VI. AUTRES SUJETS

[78]M. Charkaoui présente de façon brève et peu motivée, des arguments additionnels. Je tenterai de tous les aborder.

La violation des droits des membres de la communauté arabe et musulmane

[79]Selon M. Charkaoui, la démarche suivie par les ministres dans le présent dossier est une utilisation abusive et inconstitutionnelle de la LIPR. Selon lui, cette démarche « expose les membres de la communauté arabe et musulmane comme, [sic] le requérant à la violation de leurs droits fondamentaux les plus vitaux et aux erreurs administratives et judiciaires » (voir mémoire de M. Charkaoui, paragraphe 27). Ayant attentivement examiné les affidavits à l’appui de la requête, je n’ai retracé aucun élément de preuve à ce sujet. Je n’ai donc pas à y répondre spécifiquement.

Le droit à l’avocat spécial

[80]J’ai aussi noté que M. Charkaoui demande, au paragraphe 4 de son affidavit daté du 9 mai 2005, que le droit à un avocat spécial lui soit accordé pour représenter ses intérêts et pour répondre à la preuve demeurée confidentiel­le pour des raisons de sécurité nationale. Ce sujet n’a pas été abordé lors de la plaidoirie et n’est pas traité spécifiquement dans le mémoire de M. Charkaoui. Je n’ai donc pas à y répondre. Toutefois, je fais remarquer au requérant que ce sujet a été traité par la Cour d’appel fédérale dans Charkaoui (Re) [[2005] 2 R.C.F. 299], aux paragraphes 123 à 126 et par la juge Dawson de notre Cour dans l’arrêt Harkat (Re), [2005] 2 R.C.F. 416. Dans ces deux affaires, les Cours ont refusé de reconnaître ce droit aux personnes visées par un certificat de sécurité. Je n’ai donc pas à traiter plus en détail de cet argument.

Les pouvoirs décisionnels confiés à l’exécutif

[81]Finalement, M. Charkaoui prétend que le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et ses fonctionnaires ne constituent pas une instance appropriée au sens de l’article 14 du Pacte international. Cet article prévoit que :

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

[82]Les explications données en réponse à la question ii) s’appliquent ici pour déterminer quel est le rôle du Pacte international par rapport au droit interne. Par ailleurs, dans les lois canadiennes, le législateur confie souvent à l’exécutif et à des décideurs administratifs le pouvoir de prendre des décisions qui affectent les droits des justiciables. Dans le domaine de l’immigration, l’exécutif joue un rôle important (notamment en matière d’interdiction de territoire et de demandes de protection). Ces décisions sont révisables par la Cour fédérale. Il en va de même d’une décision concernant une demande de protection (par une personne assujettie à un certificat de sécurité, voir paragraphe 80(1) de la LIPR).

[83]Le même sujet fut abordé lors du premier débat constitutionnel. Il s’agissait de la décision des ministres de signer un certificat de sécurité et un mandat d’arrestation. Les mêmes principes s’appliquent au présent dossier. Sous la LIPR, l’exécutif a un rôle à assumer. Le pouvoir judiciaire intervient s’il y a lieu. Ce système fut validé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Charkaoui (Re), au paragraphe 65 :

Il est indéniable que la décision initiale d’interdiction de territoire est prise par le pouvoir exécutif, comme d’ailleurs des milliers d’autres décisions prises par les ministres du gouvernement, mais elle est sujette à intervention du pouvoir judiciaire comme c’est aussi souvent le cas pour les décisions d’organismes fédéraux ou une multitude de décisions ministérielles ou gouvernementales. Il n’y a donc rien d’illégal, encore moins d’anormal, à ce qu’une décision d’intérêt public soit prise par un ministre du gouvernement, chargé de l’applicati­on de la loi en vertu de laquelle cette décision est prise.

(La demande d’autorisation d’en appeler de ce jugement fut accordée par la Cour suprême du Canada [[2005] C.S.C.R. no 66 (QL)] et l’audition est prévue dans la première partie de 2006).

[84]À l’appui de cet extrait, je prends note de ce que la Cour suprême écrivait dans l’arrêt Suresh, au paragraphe 121, au sujet de l’article de mise en balance de l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi et de l’opportunité de tenir une audience :

Après pondération de ce facteur et de toutes les circonstances, nous estimons que les garanties procédurales dictées par l’art. 7 en l’espèce ne vont pas jusqu’à obliger la ministre à tenir une audience ou une instance judiciaire complète. Elles commandent toutefois davantage que la procédure que requiert l’alinéa 53(1)b) de la Loi—c’est‑à‑dire, aucune—et que celle dont M. Suresh a bénéficié.

[85]L’article 116 de la LIPR et la section 4 du RIPR donnent d’ailleurs plus de droits à la personne visée par un certificat de sécurité que l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi. De façon sommaire, on prévoit la possibilité d’une audience lorsque la crédibilité de la personne visée est en jeu, une procédure de communication des documents et le droit à la réplique et l’obligation du décideur de prendre en considération tous les éléments du dossier (voir les articles 167, 173, 174 du RIPR).

[86]Finalement, il est pour le moins surprenant que le requérant avance cet argument, puisqu’un argument similaire a été rejeté par la Cour d’appel fédérale dans Charkaoui (Re), aux paragraphes 139 à 143. L’argument est donc de nouveau rejeté.

VII.CONCLUSION

[87]Dans la mesure du possible et tout en tenant compte de la requête, des affidavits, des documents déposés, des mémoires des faits et de droit ainsi que des plaidoiries, j’ai répondu à toutes les questions posées en tenant compte de la Charte canadienne, de la LIPR, du RIPR, de la DCD et des instruments de droit interna-tional invoqués par M. Charkaoui. Dans leurs plaidoiries, les procureurs ont davantage insisté sur certains des textes, mais tous ont été pris en considération.

[88]Ayant étudié en détail la question constitutionnelle posée (voir le point ii) de l’analyse), je réponds que les dispositions de la LIPR régissant les demandes de protection (les alinéas 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b), c) et les sous-alinéas d)(i) et (ii) et le paragraphe 115(2) en lien avec le paragraphe 77(2)) et les articles 167 à 172 du RIPR ne violent pas les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne, ni la DCD, la Convention contre la torture, la Convention relative au statut des réfugiés, le Pacte international ou la Déclaration universelle. Sommairemen­t, M. Charkaoui n’a pas réussi à convaincre la Cour que le système de demande de protection mis sur pied par la LIPR était inconstitutionnel. M. Charkaoui n’a pas démontré que la LIPR, son application à son égard ou les décisions prises, équivalaient à un traitement de torture, de traitement inhumain ou de traitement dégradant. La procédure normale a suivi son cours et sa durée pour le moment est due à sa complexité inhérente et aux décisions légitimes prises par M. Charkaoui, ses représentants, les ministres et leurs représentants.

[89]Le système mis en place par le législateur pour protéger les personnes visées par un certificat de sécurité est donc déclaré valide. Il convient toutefois d’insister sur le fait que toute mesure d’expulsion d’une personne visée par un certificat de sécurité demeure pleinement sujette à un contrôle de la légalité, en tenant compte de la Charte canadienne, de l’arrêt Suresh. Dans la présente affaire, la Cour n’était pas saisie d’une telle décision.

[90]Ayant révisé les cinq questions soulevées par M. Charkaoui, reproduites au paragraphe 29 du présent jugement, je réponds à chacune de ces questions par la négative. Sauf omission, j’ai également répondu à toutes les préoccupations additionnelles soulevées par M. Charkaoui dans son mémoire. En conséquence, la requête et les conclusions recherchées sont rejetées.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

‑ La requête de M. Charkaoui soit rejetée.

ANNEXE 1

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Section 9

Examen de renseignements à protéger

Examen à la demande du ministre et du solliciteur général

[. . .]

77. (1) [. . .]

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l’étranger au titre de la présente loi tant qu’il n’a pas été statué sur le certificat; n’est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

[. . .]

partie 2

protection des réfugiés

Section 1

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas_ :

[. . .]

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

[. . .]

Section 2

Réfugiés et personnes à protéger

[. . .]

Examen de la recevabilité par l’agent

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants_ :

[. . .]

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux—excepti­on faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) —, grande criminalité ou criminalité organisée.

[. . .]

Interruption de l’étude de la demande d’asile

[. . .]

104. (1) L’agent donne un avis portant, en ce qui touche une demande d’asile dont la Section de protection des réfugiés est saisie ou dans le cas visé à l’alinéa d) dont la Section de protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés sont ou ont été saisies, que_ :

a) il y a eu constat d’irrecevabilité au titre des alinéas 101(1)a) à e);

b) il y a eu constat d’irrecevabilité au seul titre de l’alinéa 101(1)f);

c) la demande n’étant pas recevable par ailleurs, la recevabilité résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait;

d) la demande n’est pas la première reçue par un agent.

(2) L’avis a pour effet, s’il est donné au titre :

a) des alinéas (1)a) à c), de mettre fin à l’affaire en cours devant la Section de protection des réfugiés;

b) de l’alinéa (1)d), de mettre fin à l’affaire en cours et d’annuler toute décision ne portant pas sur la demande initiale

[. . .]

Section 3

Examen des risques avant renvoi

Protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants_ :

[. . .]

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

113. Il est disposé de la demande comme il suit_ :

[. . .]

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part_ :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoi-re pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[. . .]

Principe du non‑refoulement

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire_ :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

Section 4

Examen des risques avant renvoi

[. . .]

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

168. Si une audience est requise, les règles suivantes s’appliquent :

a) un avis qui indique les date, heure et lieu de l’audience et mentionne les questions de fait qui y seront soulevées est envoyé au demandeur;

b) l’audience ne porte que sur les points relatifs aux questions de fait mentionnées dans l’avis, à moins que l’agent qui tient l’audience n’estime que les déclarations du demandeur faites à l’audience soulèvent d’autres questions de fait;

c) le demandeur doit répondre aux questions posées par l’agent et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil;

d) la déposition d’un tiers doit être produite par écrit et l’agent peut interroger ce dernier pour vérifier l’information fournie.

169. Le désistement d’une demande de protection est prononcé :

a) dans le cas où le demandeur omet de se présenter à une audience, lorsqu’il omet de se présenter à une audience ultérieure dont il a reçu avis;

b) dans le cas où le demandeur quitte volontairement le Canada, lorsque la mesure de renvoi est exécutée en application de l’article 240 ou lorsqu’il quitte autrement le Canada.

170. En tout temps, le demandeur peut retirer sa demande en faisant parvenir au ministre un avis écrit à cet effet. Le retrait est prononcé sur réception de l’avis.

171. La demande de protection est rejetée lorsqu’il est décidé de ne pas l’accorder ou lorsque le désistement ou le retrait est prononcé. Demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi.

172. (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles‑ci.

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi, selon le cas.

(3) Les évaluations sont fournies soit par remise en personne, soit par courrier, auquel cas elles sont réputées avoir été fournies à l’expiration d’un délai de sept jours suivant leur envoi à la dernière adresse communiquée au ministère par le demandeur.

(4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

b) la demande de protection est rejetée.

ANNEXE 2

Extraits des témoignages du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (Canada, Parlement, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 1re sess., 37e Lég.) concernant le P.L. C‑11, Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re sess., 37e Lég., 2001 (sanctionné le 1er novembre 2001)

* Certains extraits sont traduits de l’anglais

Réunion 11 du 26 avril 2001

Mme Joan Atkinson (sous‑ministre adjointe, Développement des politiques et programmes, Citoyenne­té et Immigration Canada) :

[. . .]

Permettez‑moi de dire quelques mots au sujet de la Convention contre la torture. Certains groupes ont soulevé des questions ou exprimé des préoccupations. Je pense que de nombreux groupes ont été ravis de voir que nous avons incorporé les dispositions de la Convention contre la torture dans la loi, dans le cadre de la prise de décisions consolidée aux mains de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Toutefois, d’aucuns voudraient aller plus loin et incorporer dans la loi l’article 3 de la convention, qui interdit le refouleme­nt de toute personne dans une situation où elle serait exposée à la torture.

Nous tenons évidemment à protéger ces personnes qui risqueraient la torture si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine. Mais un autre objectif important pour nous est d’assurer que les grands criminels et ceux qui présentent un danger pour le public soient expulsés du Canada. Afin de remplir notre double mandat, celui d’assurer la sécurité des Canadiens et, en règle générale, ne pas exposer de personnes à la torture, le projet de loi C‑11 instaure l’évaluation de risque avant renvoi. Cette dernière prendra en considération les critères de la Convention contre la torture relatifs aux risques de torture en cas de refoulement et examinera tant le risque pour la personne que le risque pour la sécurité du public canadien.

Enfin, toujours en ce qui concerne l’évaluation de risque avant renvoi, certains groupes ont émis l’avis qu’elle devrait être effectuée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et non le ministère. Nous avons soigneusement pesé cette option avant de retenir ce que nous proposons dans le projet de loi C‑11, notre conclusion étant que CIC est le mieux à même de prendre cette décision, pour plusieurs raisons.

Actuellement, le ministère effectue les évaluations de risque avant renvoi, si bien que nous avons cette expérience et nous disposons d’une infrastructure initiale que nous pourrons étoffer. Le mandat de la CISR est d’examiner le risque couru par une personne après renvoi et son besoin de protection. Il ne couvre pas l’examen du risque pour le Canada ou la sécurité publique lorsqu’elle prend ces décisions de protection.

En revanche, une évaluation de risque avant renvoi menée par CIC permet au ministre de prendre en considération et le risque pour la personne et le risque pour le public et permet aux décisions de protection d’être prises rapidement, en conjonction avec nos priorités de renvoi.

Voilà donc, monsieur le président, certaines des questions clés au sujet desquelles, nous le savons, des préoccupations ont été exprimées par d’aucuns.

Réunion 12 du 30 avril 2001

Mme Elizabeth Briemberg (présidente, Conseil d’administration, MOSAIC) :

[. . .]

MOSAIC est une organisation très importante à Vancouver depuis 1972. Il s’agit d’une organisation multiculturelle et multilingue sans but lucratif dont l’objet est d’aider les immigrants et les réfugiés à s’établir, et elle offre des services linguistiques, d’aide à l’établissement, d’emploi, etc.

[. . .]

M. Chilwin Cheng (vice‑président, Conseil d’administration, MOSAIC) :

[. . .]

Merci, monsieur le président.

Il y a deux points auxquels j’aimerais réagir. Premièrement, la question de savoir comment faire mieux cadrer cela avec nos valeurs. En ma qualité d’avocat, je sais que les tribunaux tendent depuis dix ans vers une interprétation de la loi dans son entier. Ils ne se contentent pas d’examiner seulement certains articles de loi. Ils se penchent de plus en plus sur la fin et les objets des dispositions en vue de déterminer comment interpréter les lois. À cet égard, je vois qu’il n’y a dans les articles 3 et 4 du projet de loi aucune référence à la Charte des droits et libertés, ni aux motifs humanitaires et de compassion du Canada. La loi passe donc sous silence les valeurs qui sous‑tendent le projet de loi. Une suggestion fort simple que je ferais serait d’insérer aux articles 3 et 4 une référence à la Charte et aux obligations internationales canadiennes en matière de motifs humanitaires et de compassion.

Le président : Chilwin, vous voudrez peut‑être, pour votre gouverne, examiner l’alinéa 3(3)d) du projet de loi, qui fait état de la Charte des droits et libertés.

M. Chilwin Cheng : Il n’y a cependant aucune référence explicite, plus loin dans le projet de loi, quant à la façon dont la loi doit être comprise. Je vous soumets que les obligations internationales demeurent.

Quant à l’incidence de cela sur les femmes et les enfants en particulier, nous en faisons état dans notre mémoire. Le problème, est qu’il y a une faille conceptuelle dans le projet de loi. Aucune distinction n’est faite entre les réfugiés et les résidents permanents qui arrivent au pays en vertu de la classe économique, et ainsi de suite. Les questions—je me suis efforcé d’être bilingue tout à l’heure et certaines choses sont peut‑être mal passées—sont différentes. Dans le cas de réfugiés, l’on parle de personnes qui viennent de pays déchirés par la guerre, par la famine, par la pauvreté, où les considérations économiques n’entrent pas en ligne de compte. Lorsque ces personnes arrivent au Canada, elles fuient une situation pénible. Ce que nous soulignons dans notre mémoire est que les femmes et les enfants sont pour la plupart ceux qui sont le plus touchés, car dans nombre de pays ils n’ont aucun statut légal. Il n’existe pour eux aucun papier d’identité. Ils n’ont pas pu faire d’économies car ils comptent sur d’autres sources de revenu. Par conséquent, l’insertion de facteurs économiques dans le processus de détermination du statut de réfugié touche directement les femmes et les enfants.

Réunion 16 du 2 mai 2001

M. Andrew Brouwer (directeur, Recherche et politiques, Maytree Foundation) : Je remercie le président et les honorables députés.

Je m’appelle Andrew Brouwer. J’appartiens à la Maytree Foundation, une fondation charitable installée ici même à Toronto. L’objectif de notre programme s’appliquant aux réfugiés et aux immigrants est double. Il s’agit tout d’abord de faciliter l’accès des nouveaux arrivants aux métiers et aux professions et, en second lieu, de réduire les retards inutiles s’opposant à l’arrivée des réfugiés qui se trouvent dans les limbes sur le plan juridique. Ce sont ces deux domaines que je vais aborder aujourd’hui.

[. . .]

M. Andrew Brouwer : L’une des propositions que j’ai faites dans mon mémoire, c’est la recommandation numéro trois, renvoie à l’objectif du projet de loi. Je pense que si l’on amendait le paragraphe 3(3) en disposant que la loi doit être interprétée et appliquée de manière à se conformer aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, y compris aux conventions sur les réfugiés, contre la torture et relative aux droits de l’enfant, on aurait en fin de compte une base d’interprétation solide. Je pense que cette simple modification est absolument fondamentale.

Réunion 20 du 4 mai 2001

Maître Marlène Dubuisson‑Balthazar (avocate et membre du conseil d’administration, Association nationale de la femme et du droit) : Bonjour, monsieur le président, ainsi que vous, membres du comité permanent. J’ai avec moi Andrée Côté, directrice des affaires juridiques à l’Association nationale de la femme et du droit.

L’Association nationale de la femme et du droit est une organisation féministe sans but lucratif qui a pour objectif de promouvoir la justice sociale et le droits des femmes à l’égalité, par un travail d’éducation et la réforme du droit. Les membres de cette association comprennent des avocates, des juges, des professeures et des étudiantes en droit et d’autres personnes intéressées à la promotion des droits des femmes.

En plus des organismes qui ont participé à la rédaction du mémoire, deux autres groupes, le Fonds d’action et d’éducation juridique de la côte ouest et le Mouvement ontarien des femmes immigrantes francophones, nous ont récemment donné leur appui.

Aujourd’hui, compte tenu du temps qui nous est alloué, nous voulons attirer votre attention sur trois points de notre mémoire qui sont pour nous d’une importance capitale. Nous aimerions tout d’abord : souligner l’importance d’assurer, dans le cadre de la loi, le respect et la promotion des droits humains de tous les immigrants et immigrantes et de tous les réfugiés; aborder le cas des personnes appartenant à la catégorie de la famille; et soulever le cas des travailleuses domestiques qui semblent avoir été oubliées dans le projet de loi C‑11.

Nous constatons avec plaisir que le projet de loi C‑11 fait explicitement référence à la Charte canadienne des droits et libertés. Nous déplorons cependant qu’on n’ait fait aucune mention des obligations internationales du Canada et des instruments internationaux dont il est signataire.

C’est au point que nous recommandons que le projet de loi C‑11 incorpore explicitement les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne et que le paragraphe (3) de l’article 3 soit amendé pour stipuler que la loi doit être interprétée et appliquée de façon à se conformer aux normes internationales en matière de droits de la personne et aux instruments internationaux dont le Canada est signataire.

Réunion 22 du 8 mai 2001

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral (Laval‑Centre, BQ) :

[. . .]

Un certain nombre de préoccupations sont revenues, et j’aimerais vous en faire part pour voir si cela reçoit aussi votre aval, notamment que soient inscrits dans la loi tous les traités et conventions internationaux qui ont été entérinés par le Canada, ce qui permettrait d’identifier très clairement les valeurs du Canada et du Québec. Par exemple, il y a tout ce qui touche la torture, et les gens étaient contents de cela, mais il y a aussi d’autres choses qui touchent la violence faite aux femmes, par exemple, et des trucs comme ceux‑là.

Il y a certainement une façon de rédiger quelque chose qui soit très inclusif. D’ici 25 ans, il y aura sûrement d’autres conventions qui seront signées et, à ce moment‑là, on n’aura pas besoin de changer la loi. J’aimerais donc savoir si vous êtes plutôt favorable à quelque chose de ce genre.

[. . .]

Mme Elinor Caplan : Merci beaucoup de votre question.

[. . .]

Pour ce qui est des conventions et des traités, la Convention contre la torture est rappelée dans la loi, où d’ailleurs, parmi les principes qui y sont énoncés, on trouve l’intérêt des enfants. Il y a également un rappel de la Convention de Genève. Il n’est tout simplement pas possible de citer dans la loi tous les traités et conventions, sinon, nous aurions un document très épais, une longue liste de toutes les conventions que nous avons signées. Vous avez raison de dire qu’à l’avenir, il y aura d’autres conventions.

Vous avez, je pense, évoqué une chose que je veux signaler au comité : je ne connais aucun autre pays du monde qui a intégré l’article 3 de la Convention contre la torture dans sa législation. J’attire simplement votre attention sur ce point.

Au gouvernement—je l’ai répété à maintes occasions—nous avons pour principe de prendre très au sérieux nos obligations internationales, et nous continuerons à le faire.

[. . .]

M. John McCallum (Markham, Lib.) : Merci.

[. . .]

Deuxièmement, même si je ne suis pas sûr de l’énoncé que l’on devrait adopter, sans pour autant changer le fond du projet de loi, serait‑il possible de mettre davantage l’accent sur notre volonté d’accueillir les gens et moins sur nos préoccupations vis‑à‑vis les criminels, de développer les objectifs, à l’article 3, d’inclure quelques mots sur notre engagement vis‑à‑vis l’immigration, notre engagement vis‑à‑vis la justice et le traitement humanitaire des populations à travers le monde, ce genre de chose, ou peut‑être d’intégrer cela au préambule pour lui donner un ton plus positif?

[. . .]

Mme Elinor Caplan : Permettez‑moi de commencer par la suggestion qui a été faite au sujet du mot « étranger ». C’est une idée intéressante, je pense. Toutefois, un résident permanent devrait être également décrit comme un non‑citoyen, car dans le projet de loi, il faut faire la distinction entre les citoyens et ceux qui ne le sont pas. Donc, s’il devait y avoir comme vous le dites trois catégories, ce serait les citoyens, les résidents permanents non‑citoyens et les étrangers. Je le répète, je suis ouverte aux suggestions du comité, mais il est important que dans le projet de loi, on fasse, d’une manière ou d’une autre, la distinction entre les droits des citoyens et ceux des non‑citoyens, qu’il y ait trois catégories ou davantage. Il faut que cela soit intégré au projet de loi, car les résidents permanents ne jouissent pas de tous les droits reconnus aux citoyens dans ce texte législatif, pour des raisons évidentes.

Pour ce qui est de donner une deuxième chance, la réponse est oui, bien entendu. Offrir la possibilité de s’adresser à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour obtenir une décision émane, je pense, d’une très bonne politique. Toutefois, dans les cas où il y a eu un changement de circonstances ou dans le genre de situation que vous avez décrite si éloquemment, c’est dans le cadre de l’ERAR ou sous le couvert de considérations humanitaires qu’il existe la possibilité d’avoir une deuxième chance. Et il est toujours possible de faire appel auprès du ministre, et une personne, pour quelque raison que ce soit, notamment si elle fait l’objet de violences, peut demander directement que l’on révise son dossier à cause d’un changement de circonstances avant que l’on décide de la renvoyer.

[. . .]

Mme Judy Wasylycia‑Leis (Winnipeg‑Centre‑Nord, NPD) :

[. . .]

La deuxième réserve porte sur la question soulevée par Madeleine lorsqu’elle a parlé de la refonte d’un projet de loi dont le dernier examen approfondi date de 25 ans. Nous ne pouvons pas manquer l’occasion de nous assurer que ce texte est conforme à nos obligations internationales, et je pense qu’à cet égard, la question à laquelle vous n’avez pas répondu est celle‑ci : Qu’y aurait‑il de mal à dire dans la déclaration de principes que le Canada est déterminé à se conformer aux conventions internationales dont nous sommes signataires? Qu’y aurait‑il de mal à préciser que nous nous conformons aux dispositions des conventions des Nations Unies sur les réfugiés, sur la torture et sur les droits de l’enfant?

[. . .]

Mme Elinor Caplan : Avant de partir, il y a une chose que je voulais souligner et qui a trait aux conventions. J’aimerais attirer l’attention du Comité sur la page 3 du projet de loi où, sous le titre « Objectifs », à l’alinéa 3(2)b), on peut lire :

de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller

Tel est l’engagement qui est pris dans le cadre des objectifs : nous assurer de respecter nos obligations internationales.

Réunion 24 du 15 mai 2001

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : BQ4.

D’accord. Voilà. Ce qui manque là, ce sont les obligations internationales du Canada, actuelles et à venir. On a fait une liste des principales obligations, à la demande de gens qui trouvaient cela important, notamment les groupes de femmes, qui ont demandé que la loi contienne clairement ce qui touche l’élimination de la violence faite aux femmes et de la discrimination à l’égard des femmes. Je pense qu’en ajoutant la liste de ces lois et qu’en ajoutant « actuelles et à venir » à la suite de « du Canada », cela indiquerait clairement à quelle enseigne loge la loi.

Le président : Puis‑je vous aider?

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : Oui.

Le président : L’amendement G3 vient d’introduire un nouvel alinéa 3(3)e), au sujet de collectivités de langues minoritaires. Dans votre amendement, l’alinéa 3(3)e) traiterait des obligations internationales. Pour que les choses soient claires, pouvons‑nous considérer que ce serait un nouvel alinéa 3(3)f), maintenant que nous avons adopté le G3?

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : Oui. Tout à fait.

Le président : Oui?

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : Bien sûr. On ne savait pas que le gouvernement présenterait un nouvel alinéa, soit le 3(3)e). Je prends donc cet alinéa 3(3)f) avec plaisir.

Le président : Voulez‑vous nous parler de votre nouvel alinéa 3(3)f), à l’amendement BQ4?

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : J’espère que ce sera notre nouvel alinéa 3(3)f). Voilà, c’est tout ce que j’ai à. . .

Le président : D’accord. Joan, avez‑vous un avis sur l’amendement BQ4, qui dit :

assurer le respect des obligations internationales du Canada au chapitre des droits de la personne [. . .]

À votre avis, cela est‑il couvert quelque part dans le paragraphe 3(2)?

Mme Joan Atkinson : Oui, nous faisons expressément mention de nos obligations découlant de la Convention de Genève et de la Convention contre la torture, ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais, plus généralement, à l’alinéa 3(2)e), nous parlons du respect « des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain », et à l’alinéa 3(2)b) de « remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées » et « d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller ». Nous pensons donc couvrir dans ces domaines la volonté du gouvernement canadien de remplir ses obligations internationales au titre de divers instruments.

Le président : Il y a un point d’interrogation dont nous avons parlé la semaine dernière avec beaucoup de témoins. Nous sommes tous d’accord avec ce que vous venez de dire sur les obligations internationales. La question est de savoir s’il nous faut dresser la liste de toutes ces conventions internationales dont nous sommes signataires ou bien si elles sont automatiquement couvertes. C’est ce que Madeleine et d’autres visent à faire : pourquoi ne pas mentionner toutes ces conventions? C’est là‑dessus que portaient toutes ces discussions la semaine dernière.

Mme Joan Atkinson : Je commencerais par dire qu’il me paraît impossible de dresser une liste exhaustive, car il en manquera toujours une qui nous impose des obligations. Il est donc un peu dangereux d’essayer de dresser une liste de ces conventions, et la liste deviendra incomplète chaque fois que le Canada en signera une nouvelle. Il n’est pas possible de citer tous les traités et obligations et conventions qui peuvent avoir un effet dans le domaine de l’immigration ou de l’asile.

Daniel, voulez‑vous répondre à la question spécifique sur les implications juridiques?

M. Daniel Therrien : Pour assurer cette flexibilité, j’ajouterais qu’il y a déjà une disposition dans les articles de fond du projet de loi, soit le paragraphe 97(2). Dans la définition de « personne à protéger », on vise les personnes qui sont à risque et qui sont protégées par la Convention contre la torture, soit le paragraphe 97(1), grosso modo. Mais le paragraphe 97(2) donne cette flexibilité pour qu’on puisse étendre la définition de  « personne à protéger » et viser des personnes qui seraient protégées en vertu de conventions à venir. On croit que c’est là où on peut donner la flexibilité voulue.

Le président : D’accord. Y a‑t‑il d’autres commentaires? Judy.

Mme Judy Wasylycia‑Leis : Oui. Je veux appuyer l’amendement de Madeleine. Vous remarquerez qu’il est assez similaire au suivant, l’amendement NDP9, avec une liste un peu différente des conventions et protocoles.

Je tiens à faire valoir l’importance de faire référence à nos obligations internationales et aux conventions internationales dans le paragraphe 3(3), qui traite de l’application de la loi.

Il est vrai que nos obligations en droit international sont déjà mentionnées dans le paragraphe 3(2) qui précède. Mais je pense qu’il faut les réitérer également dans celui‑ci. Je ne pense pas que le nouvel alinéa 3(3)d), qui fait état de la Charte des droits, couvre les obligations internationales. Je pense qu’il faut énoncer explicitement notre volonté d’appliquer les obligations et conventions internationales relatives aux droits de la personne.

S’il est trop difficile de dresser une liste complète, et manifes-tement ce n’est pas facile car je vois déjà des différences entre nos deux listes, ne pourrait‑on pas résoudre le problème en disant simplement :

L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

e) d’assurer le respect des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne dont le Canada est signataire.

Cela réglerait le problème. Mais je pense qu’il faut ajouter une mention ici.

Le président : D’accord. Merci de cette proposition.

Joan, pourrais‑je vous demander, où, d’un point de vue technique, on pourrait insérer cela? Tout le monde dit que c’est probablement mentionné dans l’objet de la loi, mais qu’il faudrait l’inscrire aussi au paragraphe 3(3), sur la mise en œuvre de la loi.

Que répondez‑vous à Judy?

Mme Joan Atkinson : C’est possible, bien entendu.

S’agissant de dresser une liste des instruments, comme je l’ai dit, on risque d’en oublier qui existent déjà et omettre les conventions et instruments que nous pourrions signer à l’avenir en matière d’immigration et d’asile. Il y a un réel danger lorsqu’on dresse des listes d’instruments.

Le président : Si nous ne le faisions pas et suivions la proposition de Judy, soit mentionner simplement les instruments internationaux dont le Canada est signataire, cela poserait‑il des difficultés?

Mme Joan Atkinson : Il est certainement possible de faire cela.

Le président : Dans ce cas, puis‑je suggérer, Madeleine et Judy, de reporter les amendements BQ4 et NDP9, le temps de trouver quelque chose d’acceptable?

Mme Judy Wasylycia‑Leis : J’ai un libellé que je peux vous communiquer.

Le président : Débarrassons‑nous des amendements BQ4 et NDP9 et voyons cela tout de suite.

Voulez‑vous retirer l’amendement BQ4, Madeleine?

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : Oui. Il m’apparaît clair qu’il sera retiré de toute façon. Je pense qu’on a intérêt à travailler pour arriver à quelque chose qui sera acceptable pour tout le monde et qui démontrerait notre volonté d’insister sur les engagements internationaux autres que la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention contre la torture, etc.

Le président : Les amendements BQ4 et NDP9 sont retirés.

Judy, voyons ce que vous avez.

Mme Judy Wasylycia‑Leis : Je propose l’ajout d’un nouveau paragraphe 3(3)f), disant :

L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

f) d’assurer le respect des instruments internationaux en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire.

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : Celles que le Canada a déjà signées et qu’il signera dans le futur.

Mme Judy Wasylycia‑Leis : Oui. D’accord.

Mme Madeleine Dalphond‑Guiral : D’accord?

Mme Judy Wasylycia‑Leis : Absolument.

Le président : D’accord.

Pourrais‑je vous demander, Joan et Daniel, si vous avez des réserves sur cet amendement? Aucune?

Mme Joan Atkinson : Non, je pense que nous faisons déjà référence à ces dispositions plus loin, au sujet de la protection des réfugiés, de l’évaluation de risque avant renvoi, etc.

Le président : Il y a donc un nouvel alinéa 3(3)f). Tout le monde en a‑t‑il saisi la teneur? Y a‑t‑il des objections? Aucune. D’accord, c’est l’alinéa 3(3)f). Pouvons‑nous en faire une motion du gouvernement?

Mme Judy Wasylycia‑Leis : Certainement.

Le président : D’accord, très bien. Je vous remercie. Nous allons faire de l’alinéa 3(3)f) une motion du gouvernement. Nous sommes tous d’accord de toute façon, alors peu importe.

(L’amendement est adopté—[Voir le Procès‑verbal])

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