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[2000] 2 C.F. 501

T-52-99

Cheung Kong (Holdings) Limited (demanderesse)

c.

Living Realty Inc. (défenderesse)

Répertorié : Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans—Ottawa, 24 novembre; Winnipeg, 15 décembre 1999.

Marques de commerce Enregistrement Marque de commerce composée de mots ou de caractères chinoisLes risques de confusion doivent être évalués du point de vue, non pas de la « personne moyenne », mais de la « personne moyenne qui est susceptible de consommer les marchandises ou services en question » — La connaissance d’une langue ou de caractères étrangers constitue un facteur dont il faut tenir compte (en tant que « circonstance de l’espèce ») lorsqu’un pourcentage important des consommateurs probables connaissent bien les caractères chinois dans la ville où la compagnie exerce la plupart de ses activitésFardeau de la preuve de l’opposantRadiation et inférence de non-utilisation.

La défenderesse Living Realty Inc. demandait l’enregistrement d’une marque composée de caractères chinois (dont la translittération est Cheung Kong SA IP, qui, en français, veut dire « entreprise immobilière du long fleuve ») en vue de l’employer en liaison avec des services de promotion et de placement immobiliers, surtout à Toronto et dans les environs. Cheung Kong (Holdings) Limited, une compagnie de Hong Kong qui est le propriétaire enregistré de la marque de commerce canadienne Cheung Kong utilisée au Canada par sa filiale canadienne Cheung Kong Holdings (Canada) Limited, s’est opposée à la demande. Cette dernière marque est employée en liaison avec certains services, notamment la promotion et le placement immobiliers. Une marque antérieure, identique à celle qui fait l’objet du présent appel, était employée depuis 1985 en liaison avec des services immobiliers et de placement, mais avait été radiée du registre en 1993 en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. Son propriétaire enregistré, Longines Realty Corp., l’avait cédée à Living Realty en 1991, alors que cette dernière avait acquise l’entreprise de Longines, y compris ses marques de commerce. Living Realty visait la communauté chinoise de Toronto, mais n’excluait pas les autres communautés. Living Realty annonçait aussi à Hong Kong des propriétés de la région de Toronto qu’elle avait pour mandat de vendre.

La Commission des oppositions des marques de commerce (le registraire) a rejeté l’opposition. Il a jugé mal fondé l’argument de Cheung Kong suivant lequel, compte tenu de la radiation, il n’y avait aucun élément de preuve qui appuyait la date à laquelle Living Realty prétendait dans sa demande avoir utilisé sa marque pour la première fois, en l’occurrence 1985. Le simple argument de la radiation était insuffisant en soi pour permettre à l’opposante de se décharger du fardeau qui lui incombait de faire planer suffisamment de doutes sur la demande de Living Realty pour obliger cette dernière à établir le bien-fondé de ses prétentions.

Le registraire a également conclu qu’il n’y avait pas de risque probable de confusion entre les marques, principalement parce qu’il n’y avait pas de « ressemblance entre les marques de commerce […] dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’[elles] suggèrent ». Il a jugé que la perception d’une ressemblance dans les idées suggérées par une marque doit être évaluée du point de vue du « consommateur canadien moyen », une personne fictive qui « ne connaît pas le chinois ». Il s’agit d’un appel de la décision du registraire.

Jugement : l’appel est accueilli.

On ne peut déduire de la radiation de la marque de Longines en 1993 que celle-ci n’a pas commencé à l’utiliser en 1985. La radiation pourrait toutefois fort bien appuyer l’inférence qu’au moment de la procédure de radiation, la marque n’était plus utilisée et que la période de non-utilisation n’était pas négligeable. L’obligation contenue à l’alinéa 30b) devrait être interprétée comme visant non seulement le moment précis dans le temps où l’utilisation de la marque a commencé, mais également la date à partir de laquelle son utilisation a commencé et s’est poursuivie sans interruption marquée. Pour cette raison, le dossier de radiation permet à l’opposante de s’acquitter de son fardeau de présentation de la preuve, ce qui obligeait Living Realty à démontrer que la marque est employée depuis 1985 par elle ou par Longines d’autant plus que la requérante est mieux placée que l’opposante pour le savoir. Living Realty ne s’est toutefois pas acquittée de la charge ultime qui lui incombait de prouver qu’elle s’était conformée à l’alinéa 30b). Le fait que la défenderesse invoque l’utilisation de la marque par une autre compagnie en vertu d’un contrat de licence consensuel est insuffisant pour être considéré comme une preuve d’utilisation par Living Realty au sens du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce. Living Realty n’a pas exercé le « contrôle direct ou indirect exigé sur la nature ou la qualité des marchandises ou des services » fournis par le titulaire de la licence consensuelle.

Sur la question principale, le registraire a commis une erreur en examinant la possibilité de confusion en se plaçant du point de vue du Canadien moyen qui ne comprend pas les caractères chinois et qui ne pourrait donc pas savoir que la translittération des deux premiers caractères de la marque de Living Realty correspond à « Cheung Kong », ce qui veut dire « long fleuve », ce qui exclut tout risque de confusion avec la marque de commerce déposée de l’opposante. La question de savoir si l’obligation que la Loi fait au registraire, au paragraphe 6(5), de tenir compte « de toutes les circonstances de l’espèce » en plus des facteurs expressément énumérés au paragraphe 6(5), pourrait obliger le registraire à examiner les risques de confusion du point de vue du « consommateur moyen » de la marchandise ou du service en cause qui connaît bien une langue déterminée en plus de connaître une des deux langues officielles du Canada est une question d’interprétation de la loi. La question de savoir s’il y a lieu, vu l’ensemble des faits de l’espèce, d’attribuer au consommateur moyen la connaissance d’une langue ou de caractères étrangers suppose l’application d’une norme juridique à des faits déterminés, ce qui favorise normalement l’application d’une norme de contrôle qui appelle un plus grand degré de retenue.

Les faits permettent de penser qu’un nombre important des consommateurs des services offerts par Living Realty comprennent le sens des caractères chinois qui composent la marque proposée. En premier lieu, les activités commerciales de Living Realty sont centrées sur la vente immobilière à Toronto, bien qu’elle vende aussi des propriétés dans les régions avoisinantes. La Cour prend connaissance d’office de l’existence d’une importante communauté chinoise à Toronto. En second lieu, M. Chan a affirmé que Living Realty avait « ciblé » la communauté chinoise, sans toutefois exclure les autres clientèles. Il serait par conséquent difficile de prétendre qu’un nombre important de clients effectifs ne risquent pas de confondre la marque de Living Realty avec celle de Cheung Kong en raison de l’identité et du caractère distinctif des idées évoquées par les marques, compte tenu surtout des similitudes que présentent les services offerts par les parties.

Comme les risques de confusion doivent être évalués du point de vue de la « personne moyenne » qui est susceptible de consommer les marchandises ou services en question, si

l’on peut inférer de la preuve qu’un pourcentage important des consommateurs probables des services offerts par Living Realty connaissent bien les caractères chinois, le registraire aurait dû tenir compte de ce facteur en tant que « circonstances de l’espèce » pour statuer sur les risques de confusion avec la marque de Cheung Kong. Si le registraire a effectivement fondé sa conclusion sur le fait que le « Canadien moyen » ne peut pas lire les caractères chinois, sans tenir compte de la question de savoir si la preuve administrée en l’espèce démontre qu’un nombre important de clients effectifs de Living Realty sont probablement en mesure de faire la translittération des deux premiers caractères de la marque proposée pour lire Cheung Kong ou pour traduire ces mots par « long fleuve », il a commis une erreur de droit.

Il ne convient pas en l’espèce de renvoyer l’affaire au registraire en raison du caractère inusité de la question centrale en litige, de l’absence de tout différend en ce qui concerne les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) et de l’importance critique que revêt la question de la similitude des idées suggérées par les marques pour ce qui est de la décision finale.

Il est possible d’inférer qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un nombre important ou significatif des clients de Living Realty associe la marque libellée en caractères chinois avec la marque Cheung Kong.

Le caractère distinctif inhérent des marques aux yeux de ceux qui sont en mesure de lire les marques des deux parties, le chevauchement des services associés aux marques et l’idée identique qu’ils suggèrent, en l’occurrence « long fleuve », étaient suffisants pour empêcher Living Realty de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait aucun risque probable de confusion entre les marques de parties.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 6(5), 12(1)d), 30b), 45, 50(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69), 56, 63(3).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Garbo Groups Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] F.C.J. no 1763 (1re inst.) (QL); Labatt Brewing Co. c. Benson & Hedges (Canada) Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 258; 110 F.T.R. 180 (C.F. 1re inst.); MCI Communications Corp. c. MCI Multinet Communications Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 245 (C.O.M.C.); Dynatech Automation Systems Inc. c. Dynatech Corp. (1995), 64 C.P.R. (3d) 101 (C.O.M.C.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th)1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 463; 76 F.T.R. 281 (C.F. 1re inst.); conf. par (1996), 68 C.P.R. (3d) 168; 199 N.R. 106 (C.A.F.).

DÉCISION NON SUIVIE :

Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 342 (C.O.M.C.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Krazy Glue, Inc. c. Grupo Cyanomex, S.A. de C.V. (1992), 45 C.P.R. (3d) 161; 57 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.); Robert Bosch GmbH v. Grupo Bler de Mexico, S.A. de C.V. (1997), 76 C.P.R. (3d) 397 (C.O.M.C.); Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Saint Anna Bakery Ltd. (1992), 46 C.P.R. (3d) 261 (C.O.M.C.).

DÉCISION EXAMINÉE :

John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293; 36 F.T.R. 70 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Imperial Tobacco Ltd. c. Philip Morris Products Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 410 (C.O.M.C.).

APPEL d’une décision par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté l’opposition formée par la demanderesse à l’enregistrement d’une marque de commerce composée de caractères chinois. L’appel est accueilli.

ONT COMPARU :

Mirko Bibic pour la demanderesse.

Elizabeth G. Elliott pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman, Elliott, Ottawa, pour la demanderesse.

Macera & Jarzyna, Ottawa, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Evans :

A.        INTRODUCTION

[1]        En octobre 1991, Living Realty Inc. a déposé une demande en vue de faire enregistrer une marque libellée en caractères chinois et un dessin en liaison avec des services immobiliers et de placement :

Image

La translittération de ces caractères est Cheung Kong SA IP, qui en français, veut dire « entreprise immobilière du long fleuve ». Living Realty est une entreprise de courtage et de promotion immobiliers qui exerce ses activités commerciales principalement à Toronto et dans la région.

[2]        Cheung Kong (Holdings) Limited, une compagnie de Hong Kong qui est le propriétaire enregistré de la marque de commerce canadienne 385,395 « Cheung Kong », s’est opposée à la demande. Cette dernière marque est employée en liaison avec certains services, notamment la promotion et le placement immobiliers. Cheung Kong exerce ses activités commerciales au Canada par l’entremise de sa filiale canadienne, Cheung Kong Holdings (Canada) Limited.

[3]        M. Myer Herzig, de la Commission des oppositions des marques de commerce, que je désignerai désormais sous le nom de registraire, a rejeté l’opposition. En l’espèce, l’opposante déboutée, Cheung Kong, interjette appel de cette décision en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.

[4]        Cheung Kong a invoqué deux moyens d’appel dans son mémoire et lors des débats. Elle affirme tout d’abord que, contrairement à ce qu’elle prétend dans sa demande, Living Realty n’emploie pas sa marque depuis 1985. En second lieu, le consommateur moyen qui utilise les services de Living Realty confondrait probablement la marque projetée de Living Realty avec la marque déposée de Cheung Kong, d’autant plus que Living Realty vise la communauté chinoise du Canada, et particulièrement celle de Toronto.

B.        RAPPEL DES FAITS

[5]        Le registraire disposait de peu d’éléments de preuve au sujet des activités de Cheung Kong au Canada. Wayne E. Shaw, dirigeant et administrateur de Cheung Kong Canada, a affirmé dans son affidavit et au cours de son contre-interrogatoire que la société mère était une des plus importantes sociétés immobilières du monde, qu’elle avait fait l’objet d’un très grand nombre d’articles de journaux et de magazines au cours des dix dernières années et que le nom Cheung Kong est largement répandu au Canada et qu’il est associé à la promotion et aux placements immobiliers. Dans son affidavit, Eric Chan, président de Living Realty, a reconnu qu’il avait effectivement entendu parler de Cheung Kong.

[6]        Cheung Kong fait de la promotion immobilière et offre des services de placements immobiliers au Canada en liaison avec le nom Cheung Kong depuis au moins le milieu des années quatre-vingts. Elle a toutefois attendu jusqu’en juin 1991 pour faire enregistrer sa marque de commerce au Canada.

[7]        Le registraire disposait également de très peu d’éléments de preuve au sujet de Living Realty, hormis ceux qui étaient contenus dans la demande d’enregistrement de la marque de commerce. Le président de la compagnie, M. Chan, a toutefois souscrit un affidavit dans le cadre du présent appel et a été contre-interrogé au sujet de cet affidavit.

[8]        Cheung Kong a également présenté lors de l’appel des éléments de preuve au sujet d’une marque antérieure, qui avait été déposée sous le numéro 310,471, une marque libellée en caractères chinois et un dessin. Cette marque était identique à la marque qui fait l’objet du présent appel et elle était employée en liaison avec des « services immobiliers et de placement », mais avait été radiée du registre en 1993 en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce à la suite d’une demande présentée par le cabinet d’avocats Stikeman, Elliott qui occupe pour Cheung Kong en l’espèce.

[9]        Avant la radiation de sa marque, son propriétaire enregistré était Longines Realty Corp., qui l’avait cédée à Living Realty en août 1991, lors de l’acquisition par Living Realty de l’entreprise de Longines et notamment de ses marques de commerce. L’année à laquelle remonterait la première utilisation de la marque qui était revendiquée dans la demande était 1985, tout comme dans la demande de Living Realty dont le tribunal est saisi en l’espèce. Aucune observation n’a été formulée en réponse aux avis informant Longines de la demande de radiation de sa marque présentée par le cabinet Stikeman, Elliott. Un appel a été interjeté de la décision de radier la marque, mais aucune suite n’y a été donnée et la Cour a par conséquent rejeté cet appel.

[10]      M. Chan a également affirmé que Living Realty avait concédé une licence d’utilisation de sa marque libellée en caractères chinois à une autre compagnie, Head River Development, dont lui et son associé avaient le contrôle. Il a par ailleurs déclaré que Living Realty visait la communauté chinoise de Toronto, mais qu’elle n’excluait pas les autres communautés. Living Realty aidait ses clients à acheter des immeubles soit comme résidence, soit comme placement et elle annonçait à Hong Kong des propriétés de la région de Toronto qu’elle avait pour mandat de vendre.

C.        LA DÉCISION DU REGISTRAIRE

[11]      Il suffit, dans les présents motifs, de s’arrêter sur les passages des motifs du registraire qui se rapportent aux questions en litige dans le présent appel. M. Herzig a d’abord examiné l’argument de Cheung Kong suivant lequel la demande de Living Realty était entachée d’irrégularités parce qu’elle ne respectait pas l’alinéa 30b) de la Loi. Cette disposition oblige quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce à produire au bureau du registraire une demande précisant notamment « la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites [sic ] dans la demande ».

[12]      Le registraire a jugé mal fondé l’argument de Cheung Kong suivant lequel il n’y avait aucun élément de preuve qui appuyait la date à laquelle Living Realty prétendait dans sa demande avoir utilisé sa marque pour la première fois, en l’occurrence 1985. L’allégation non étayée de Cheung Kong que la marque qui avait initialement été enregistrée au nom de Longines avait été radiée était insuffisante en soi pour permettre à l’opposante de se décharger du fardeau qui lui incombait de faire planer suffisamment de doutes sur la demande de Living Realty pour obliger cette dernière à établir le bien-fondé de ses prétentions.

[13]      En deuxième lieu, après avoir examiné chacun des facteurs précis énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, le registraire a conclu qu’il n’y avait pas de risque probable de confusion entre les marques, principalement parce qu’il n’y avait pas de « ressemblance entre les marques de commerce […] dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’[elles] suggèrent ». Le registraire a jugé que la perception d’une ressemblance dans les idées suggérées par une marque doit être évaluée du point de vue du « consommateur canadien moyen », une personne fictive qui [traduction] « ne connaît pas le chinois ».

D.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

1.         Conformité avec l’alinéa 30b)

a)         la preuve

[14]      Cheung Kong a tenté de compenser l’insuffisance des éléments de preuve contenus dans sa demande en produisant le dossier de radiation, qui prouve que le Bureau des marques de commerce a suivi la procédure appropriée en donnant les avis requis à Longines, notamment en avisant le cabinet d’avocats qui représentait Longines et qui occupe également pour Living Realty dans le présent dossier. Malgré les nombreuses occasions qui lui ont été offertes de répondre, Longines est restée muette jusqu’au moment où elle a déposé un avis d’appel après avoir été avisée que la marque avait été radiée.

[15]      Cheung Kong invoque par ailleurs les réponses données par M. Chan au cours du contre-interrogatoire qu’il a subi au sujet de son affidavit. L’avocat fait notamment valoir qu’il ressort de ces réponses qu’on ne peut accorder beaucoup de poids à l’affirmation que M. Chan a faite dans son affidavit suivant laquelle la première utilisation de la marque de Longines remonte à 1985 et que cette marque a été utilisée sans interruption jusqu’à sa cession à Living Realty en 1991. Cette situation s’explique par le fait que M. Chan a reconnu qu’il ne savait personnellement rien des affaires de Longines avant son acquisition par Living Realty, bien que, comme il était un concurrent, il fût au courant de l’utilisation par Longines de la marque libellée en caractères chinois.

[16]      Qui plus est, les annonces immobilières qui étaient annexées aux affidavits et sur lesquelles figurait le nom de la marque libellée en caractères chinois ne mentionnent pas les noms de Longines, de Head River ou de Living Realty. M. Chan a reconnu que les annonces lui avaient été communiquées par son avocat et qu’il ignorait personnellement tout de leur provenance. Il a également joint à son affidavit la carte d’affaires qu’il utilisait en 1993 à titre de président de Living Realty : la marque libellée en caractères chinois y figure.

[17]      Enfin, M. Chan affirme qu’en 1993, Living Realty avait octroyé à Head River Developments, une compagnie qui était également contrôlée par lui et par son associé de Living Realty, une licence d’utilisation de la marque libellée en caractères chinois en liaison avec ses activités commerciales.

[18]      En raison des éléments de preuve substantiels qui ont été présentés au sujet de cette question lors de l’appel et qui n’avaient pas été portés à la connaissance du registraire, il suffit pour la demanderesse de me convaincre, à la lumière de ces éléments de preuve, que la décision du registraire est erronée : Garbo Groups Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] F.C.J. no 1763 (1re inst.) (QL).

b)         la charge de présentation de la preuve

i)          thèse de la demanderesse

[19]      L’avocat de Cheung Kong soutient que les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du registraire lui permettent de s’acquitter de la charge de présentation de la preuve nécessaire pour obliger Living Realty, en tant que demandeur de l’enregistrement de la marque de commerce, d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la date de première utilisation de la marque libellée en caractères chinois revendiquée par Living Realty dans sa demande. Il table sur les éléments qui suivent pour étayer sa thèse.

[20]      L’avocat soutient tout d’abord que, dans le présent contexte, le fardeau de présentation de la preuve qui incombe à l’opposante est léger. En d’autres termes, il suffit de peu d’éléments de preuve pour mettre en litige la question de l’utilisation de la marque depuis la date revendiquée et pour obliger ainsi le requérant à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il s’est conformé à l’alinéa 30b).

[21]      Deuxièmement, l’avocat me renvoie aux passages des motifs de sa décision dans lequel le registraire aborde cette question pour en conclure que la radiation d’une marque n’est pas une décision qui statue au fond sur la question de la non-utilisation d’une marque en ce sens que, bien qu’elle puisse constituer une preuve de non-utilisation, la radiation n’empêche pas une partie de présenter ultérieurement de nouveaux éléments de preuve pour démontrer que la marque a effectivement été utilisée.

[22]      Pour cette raison, faute de preuve présentée par l’opposante au sujet de la radiation, le registraire n’était pas lui-même disposé à consulter le registre et à inférer de l’inscription faisant état de la radiation que la marque n’avait pas été employée depuis sa présumée date de première utilisation. Toutefois, comme Cheung Kong a depuis produit des éléments de preuve tirés du registre des radiations, on peut inférer de ses motifs que M. Herzig aurait accueilli l’opposition et qu’il n’aurait pas enregistré la marque libellée en caractères chinois.

[23]      Troisièmement, l’avocat cite la décision invoquée par le registraire dans ce contexte, la décision Imperial Tobacco Ltd. c. Philip Morris Products Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 410 (C.O.M.C.) dans laquelle il a été jugé que la radiation d’une marque identique, et les éléments de preuve produits à cet égard, suffisaient pour permettre à l’opposant de s’acquitter de la charge de la preuve.

[24]      Quatrièmement, si tant est qu’il appuie l’utilisation revendiquée, l’affidavit de M. Chan devrait se voir accorder une valeur très limitée, parce que M. Chan n’avait aucune connaissance personnelle des activités de Longines avant son acquisition par Living Realty, notamment en ce qui concerne l’utilisation de la marque libellée en caractères chinois au cours de la période en cause. Living Realty n’avait présenté aucun élément de preuve provenant d’une personne ayant eu des rapports avec Longines à l’époque.

ii)         thèse de la défenderesse

[25]      En réponse, l’avocate de Living Realty soulève deux points. Elle signale dans un premier temps que le registraire n’a jamais laissé entendre qu’il aurait suffi pour Cheung Kong de produire le dossier de radiation à l’audience d’opposition pour s’acquitter du fardeau de présentation de la preuve. Voici comme elle interprète le passage pertinent des motifs : faute de preuve de la part de Cheung Kong au sujet de la non-utilisation de la marque de Living Realty depuis 1981, le registraire n’était pas disposé à créer une nouvelle exception au principe général suivant lequel l’opposant doit faire la preuve de tous les aspects de sa cause. Cette situation tient au fait que la radiation ne tranche pas au fond la question de la non-utilisation de la marque depuis la date de première utilisation revendiquée.

[traduction] Je ne suis pas convaincu qu’il existe des raisons suffisantes justifiant la création d’une nouvelle exception au principe général suivant lequel un opposant est tenu de faire la preuve de tous les aspects de sa cause. Si l’opposant avait fait la preuve de tous les aspects de sa cause dans le cadre de la présente procédure, il se serait alors acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait et, faute de preuve de la part du requérant, il aurait obtenu gain de cause en ce qui concerne le moyen d’opposition qu’il tire de l’alinéa 30b).

[26]      Par conséquent, pour décider si Cheung Kong s’est acquittée du fardeau de présentation qui lui était imposé, il est nécessaire de se demander si les inscriptions portées au dossier de radiation suffisaient, en l’espèce, pour démontrer que la marque libellée en caractères chinois n’était pas utilisée en 1985. L’avocate soutient que Cheung Kong ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, étant donné que, contrairement à la situation en cause dans l’affaire Imperial Tobacco, aucun élément de preuve n’a été soumis en l’espèce au sujet de la non-utilisation. En conséquence, le simple fait de la radiation de la marque n’a pas pour effet de réfuter les allégations contenues dans l’affidavit qui accompagnait la demande d’enregistrement de la marque de Longines suivant lesquelles la première utilisation de la marque remonte à 1985.

[27]      En l’espèce, la procédure de radiation a eu lieu à peu près en même temps que l’acquisition de Longines par Living Realty. Living Realty n’a pas été avisée, parce que la marque n’avait pas encore été cédée. Qui plus est, comme la marque a été radiée plus de six ans après la présumée date de première utilisation et que la procédure de radiation vise l’utilisation actuelle de la marque, le fait de la radiation n’a aucune valeur probante en ce qui concerne la date de première utilisation.

[28]      L’avocate invoque le jugement John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.) à l’appui de la proposition que le fardeau de preuve imposé à l’opposant est loin d’être négligeable. Elle insiste particulièrement sur le passage suivant des motifs du juge McNair (à la page 298) :

Ce fardeau de la preuve suppose que l’intimé doit produire des éléments de preuve suffisants pour convaincre le juge des faits que les faits allégués sont véridiques […]

[29]      Je tiens toutefois à signaler que le juge McNair a également cité et approuvé le principe suivant lequel il est plus facile de s’acquitter du fardeau de la preuve lorsque la partie sur qui repose le fardeau ultime de la preuve (en l’occurrence, Living Realty en tant que demandeur de la marque) peut plus facilement se renseigner que celle à qui incombe la charge de présentation de la preuve (en l’espèce, Cheung Kong, l’opposante).

[30]      Quoi qu’il en soit, l’avocate m’a cité le passage suivant tiré de la décision Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 342 (C.O.M.C.), à la page 347 suivant laquelle, selon elle, on s’attend à ce que l’opposant se renseigne lui-même au sujet de l’emploi que le requérant a fait de la marque depuis la date de sa présumée première utilisation, ce que Cheung Kong n’a pas fait en l’espèce :

[traduction] […] la charge initiale qui incombe à l’opposant consiste à prendre tous les moyens raisonnables qui s’offrent à lui pour savoir si le requérant s’est conformé aux dispositions de [l’art. 30b)] de la Loi sur les marques de commerce, en tenant évidemment compte des difficultés qu’éprouvera l’opposant pour essayer d’établir que le requérant ne s’y est pas conformé.

iii)        analyse

[31]      À mon avis, lorsque M. Herzig a affirmé que l’opposante devait établir le bien-fondé de sa cause en ce qui concerne l’allégation que la requérante n’a pas employé sa marque depuis la date de première utilisation revendiquée parce que la marque libellée en question a été radiée, il voulait simplement dire qu’il ne consulterait pas lui-même le registre pour vérifier le bien-fondé de cette allégation. L’opposante doit faire la preuve de la radiation. Il a conclu que, si Cheung Kong avait fourni cette preuve, elle se serait en conséquence acquittée du fardeau de présentation de la preuve et, en l’absence de preuve de la part de la requérante, elle aurait démontré que la demande n’était pas conforme à l’alinéa 30b).

[32]      J’ai du mal à comprendre comment on peut déduire de la radiation de la marque de Longines en 1993 que celle-ci n’a pas commencé à l’utiliser en 1985. La radiation pourrait toutefois fort bien appuyer l’inférence qu’au moment de la procédure de radiation, la marque n’était plus utilisée et que la période de non-utilisation n’était pas négligeable.

[33]      À mon avis, l’obligation contenue à l’alinéa 30b) devrait être interprétée comme visant non seulement le moment précis dans le temps où l’utilisation de la marque a commencé, mais également la date à partir de laquelle son utilisation a commencé et s’est poursuivie sans interruption marquée. Pour cette raison, je suis d’accord pour dire que le dossier de radiation permet à l’opposante de s’acquitter de son fardeau de présentation de la preuve.

[34]      L’avocate de Living Realty affirme qu’il serait injuste pour la requérante d’interpréter l’allégation de l’opposante comme étant fondée sur la continuité plutôt que sur le début de l’utilisation de la marque. Elle fonde son argument sur le fait que Cheung Kong avait déclaré, dans son avis de demande, lorsqu’elle a interjeté appel de la décision du registraire que [traduction] « la défenderesse ne peut invoquer la date de première utilisation revendiquée » dans sa demande d’enregistrement de marque de commerce en se fondant sur la radiation d’une marque identique dont la première utilisation remonte à la même date.

[35]      Il ressort toutefois de l’exposé des moyens d’opposition que l’opposante a soumis avant l’audience présidée par M. Herzig que Cheung Kong se fondait effectivement sur la radiation pour démontrer que Living Realty ou ses prédécesseurs n’utilisent plus la marque depuis 1985. Cette conclusion s’accorde avec l’alinéa 30b), qui oblige le requérant à préciser « la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce ». D’ailleurs, dans le jugement Brasserie Labatt Ltée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée (1996), 67 C.P.R. (3d) 258, (C.F. 1re inst.), à la page 262, le juge Simpson a interprété cet alinéa comme exigeant un « emploi ininterrompu dans la pratique normale du commerce » à compter de la date de premier emploi revendiquée dans la demande.

[36]      Il ressort en outre du mémoire déposé pour le compte de Living Realty dans le cadre du présent appel que l’avocat qui l’a rédigé croyait comprendre que l’objection de Cheung Kong était fondée sur une allégation de [traduction] « période de non-emploi » (paragraphe 36). De plus, il est indiqué, au paragraphe 34 du même mémoire, que Living Realty avait présenté des éléments de preuve au sujet d’un emploi de la marque par son prédécesseur [traduction] « qui remonte au moins à 1985 »

[37]      Compte tenu surtout du nombre peu élevé d’éléments de preuve qui ont été présentés pour appuyer la date de première utilisation revendiquée, le fait que Longines, qui était le propriétaire enregistré de la marque immédiatement avant sa radiation, n’ait pas répondu aux avis envoyés par le Bureau des marques de commerce et qu’elle n’ait pas exercé son droit d’appeler de la décision de radier la marque ne prive pas la radiation de la force probante suffisante pour obliger Living Realty à établir le bien-fondé de ses prétentions. Il est également sans intérêt que Living Realty n’ait pas reçu d’avis de radiation, étant donné que la marque ne lui avait pas encore été cédée à ce moment-là.

[38]      Il est vrai que Cheung Kong aurait bien pu se renseigner elle-même au sujet de l’utilisation antérieure de la marque par Longines, mais on ne peut guère douter que Living Realty, acquéreur de Longines, était mieux placée pour le faire. Malgré le ton catégorique de l’énoncé précité tiré du jugement Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., précité, le défaut de l’opposant de se renseigner lui-même au sujet de la date de premier emploi revendiquée par le requérant n’est qu’un des facteurs dont il y a lieu de tenir compte pour décider, vu l’ensemble de la preuve, si l’opposant s’est acquitté de son fardeau de présentation de la preuve.

[39]      Ainsi, en démontrant que la marque avait été radiée en 1993 pour cause de non-emploi à la suite de la procédure de radiation qui avait été entamée en 1991 à la demande de l’opposante, Cheung Kong s’est acquittée du fardeau de présentation de la preuve, ce qui oblige Living Realty à démontrer que la marque est employée depuis 1985 par elle ou par Longines (c’est-à-dire qu’elle l’a employée sans interruption depuis cette date) d’autant plus que la requérante est mieux placée que l’opposante pour le savoir.

c)         la charge ultime de la preuve

[40]      L’avocate de Living Realty fait valoir à titre subsidiaire que si je conclus, comme je l’ai fait, que Cheung Kong a réussi à s’acquitter du fardeau de présentation de la preuve, l’affidavit de M. Chan suffit pour établir selon la prépondérance des probabilités que Living Realty emploie depuis 1985 la marque libellée en caractères chinois et le dessin y afférent.

[41]      Elle se fonde en particulier sur l’assertion que M. Chan a formulée en ce sens et sur l’octroi d’une licence d’utilisation de la marque à Head River Developments par Living Realty. En outre, il serait logique que M.Chan ait été au courant de l’emploi de la marque par Longines, étant donné que cette dernière était une concurrente de Living Realty.

[42]      Malgré ces observations, j’en arrive à la conclusion que Living Realty ne s’est pas acquittée de la charge ultime qui lui incombait de prouver qu’elle s’est conformée à l’alinéa 30b). Tout d’abord, ainsi que je l’ai indiqué, M. Chan n’était personnellement au courant de rien en ce qui concerne l’emploi que Longines avait pu faire de la marque libellée entre 1985 et son acquisition par Living Realty en 1991. En conséquence, je ne peux accorder que peu de poids aux assertions que M. Chan a faites dans son affidavit au sujet de l’utilisation de la marque.

[43]      Deuxièmement, la preuve administrée par Living Realty est loin de répondre aux exigences prescrites pour ce qui est de s’acquitter du fardeau ultime de la preuve. En particulier, malgré le fait que la marque libellée en caractères chinois figurait sur la carte d’affaires qu’il utilisait en sa qualité de président de Living Realty, M. Chan a concédé qu’il n’avait utilisé cette carte que pendant une seule année, en 1993. De plus, les annonces immobilières n’ont aucune valeur probante, parce qu’elles ne portent aucune date et qu’elles ne contiennent pas le nom de Longines, de Living Realty ou de Head River.

[44]      Troisièmement, le fait que M. Chan invoque l’utilisation de la marque par Head River en vertu d’un contrat de licence consensuel est insuffisant pour être considéré comme une preuve d’utilisation par Living Realty au sens du paragraphe 50(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69]. Rien ne permet de conclure que Living Realty s’est conformée à ce paragraphe en exerçant le contrôle direct ou indirect exigé sur la nature ou la qualité des marchandises ou des services fournis par le titulaire de la licence consensuelle.

[45]      Le fait que M. Chan et son associé contrôlent Head River ne suffit pas pour démontrer un contrôle effectif de la qualité des services en liaison avec lesquelles la marque était employée, plutôt qu’une simple possibilité de contrôle (MCI Communications Corp. c. MCI Multinet Communications Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 245 (C.O.M.C.), à la page 254; Dynatech Automation Systems Inc. c. Dynatech Corp. (1995), 64 C.P.R. (3d) 101, (C.O.M.C.), à la page 106. Il n’y a également aucun élément de preuve concernant la nature des marchandises ou des services du titulaire de la licence auxquels la marque était associée.

[46]      À mon avis, lorsqu’on tient compte à la fois de la radiation de la marque pour non-utilisation et du peu d’éléments de preuve contenus dans l’affidavit qui a été déposé au nom de Longines et qui était joint à sa demande au sujet de l’utilisation par Longines de la marque libellée en 1985, force est de constater que Living Realty n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’elle emploie la marque depuis 1985. Compte tenu de la faiblesse de l’affidavit de M. Chan, surtout à la lumière de son contre-interrogatoire, son affirmation que la marque est employée depuis 1985 n’est pas suffisante pour permettre à la requérante de s’acquitter de la charge ultime de la preuve.

2.         Confusion : la question du consommateur moyen

[47]      Les parties s’entendent pour dire que la conclusion cruciale qui a amené le registraire à repousser l’opposition de Cheung Kong au motif que Living Realty ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 12(1)d) était qu’il n’y avait pas de ressemblance dans les idées évoquées par les deux marques et que Living Realty n’avait par conséquent pas établi que sa marque ne créait pas « de la confusion avec une marque de commerce déposée », en l’occurrence la marque Cheung Kong de l’opposante.

[48]      La question précise en litige est celle de savoir si, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, le registraire a commis une erreur en examinant la possibilité de confusion en se plaçant du point de vue du Canadien moyen qui ne comprend pas les caractères chinois et qui ne pourrait donc pas savoir que la translittération des deux premiers caractères de la marque de Living Realty correspond à « Cheung Kong », ce qui veut dire « long fleuve », ce qui exclut tout risque de confusion avec la marque de commerce déposée de l’opposante.

a)         la norme de contrôle

[49]      La question de savoir si l’obligation que la Loi fait au registraire, au paragraphe 6(5), de tenir compte « de toutes les circonstances de l’espèce » en plus des facteurs expressément énumérés au paragraphe 6(5), pourrait obliger le registraire à examiner les risques de confusion du point de vue du « consommateur moyen » de la marchandise ou du service en cause qui connaît bien une langue déterminée en plus de connaître une des deux langues officielles du Canada est une question d’interprétation de la loi.

[50]      La question de savoir si cette considération peut être pertinente constitue une question générale de droit, en ce sens qu’elle est susceptible de se poser dans d’autres causes. C’est une question d’interprétation de la loi au sujet de laquelle l’expérience du juge est au moins aussi précieuse que celle du registraire et que celle des personnes à qui des pouvoirs décisionnels sont délégués en vertu du paragraphe 63(3) (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 766 à 768). De plus, pour éviter la possibilité que la réponse à la question de savoir si le « consommateur moyen » pourrait être une personne qui comprend une langue ou des caractères étrangers dépende de l’identité de l’auteur de la décision, on aurait tort d’appliquer une autre norme de contrôle judiciaire que celle de la décision correcte.

[51]      En revanche, l’existence du vaste droit d’appel qui est prévu à l’article 56, le caractère individuel des décisions en cause et le fait que bon nombre des questions de droit en cause ressemblent à celles que soulève le délit de commercialisation trompeuse constituent tous des facteurs qui appuient l’adoption d’une norme de contrôle qui appelle un degré moins élevé de retenue sur la question.

[52]      Cependant, même si le fait qu’une marque déterminée risque de créer de la confusion chez un nombre important de consommateurs d’une marchandise ou d’un service déterminé parce qu’ils connaissent la langue ou les caractères étrangers dans lesquels la marque est formulée et que ce facteur pourrait constituer une des circonstances dont on peut tenir compte en vertu du paragraphe 6(5), c’est encore au registraire qu’il appartient de décider si ce facteur est pertinent ou non dans une situation donnée. La question de savoir s’il y a lieu, vu l’ensemble des faits de l’espèce, d’attribuer au consommateur moyen la connaissance d’une langue ou de caractères étrangers suppose l’application d’une norme juridique à des faits déterminés, ce qui favorise normalement l’application d’une norme de contrôle qui appelle un plus grand degré de retenue (arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., précité, à la page 771).

b)         la jurisprudence

[53]      L’avocat de Cheung Kong n’a pas pu me citer de décision dans laquelle il aurait été jugé que, pour trancher la question des risques de confusion créés par une marque composée de mots ou de caractères étrangers, le registraire doit examiner la question en se plaçant du point de vue du consommateur moyen qui comprend la langue dans laquelle la marque est libellée.

[54]      D’ailleurs, les précédents qui existent sur la question semblent aller dans le sens contraire. Ainsi, dans l’affaire Krazy Glue, Inc. c. Grupo Cyanomex, S.A. de C.V. (1992), 45 C.P.R. (3d) 161 (C.F. 1re inst.), la Cour a jugé que la marque proposée, « Kola Loka », qui signifie « crazy glue » en espagnol ne risquait pas d’être confondue avec la marque de l’opposante « Krazy Glue ». Le juge McGillis a notamment fait observer ce qui suit (à la page 171) :

Toutefois, j’ai conclu qu’il est de fait que seulement une proportion minimale de la population canadienne parle l’espagnol comme langue maternelle ou comprend l’espagnol suffisamment pour pouvoir faire la traduction. Je conclus donc des faits établis par la preuve que le consommateur moyen, ayant un souvenir vague ou imparfait de la marque de commerce déposée KRAZY GLUE, ne trouverait aucun degré de ressemblance dans les idées suggérées par KOLA LOKA et KRAZY GLUE. De plus, j’aurais tiré la même conclusion même si la preuve produite en appel avait établi l’existence des communautés espagnoles à Toronto et à Québec. Le simple fait que des enclaves ethniques existent dans deux centres urbains du pays ne suffirait pas à supplanter le critère bien établi du consommateur moyen. Au lieu de cela, un tel fait, s’il est établi selon la preuve, constituerait un élément additionnel à examiner dans l’examen de la principale question de la probabilité de confusion.

[55]      Après un examen plus attentif de ce passage, je ne crois pas que le juge McGillis ait catégoriquement exclu la possibilité que, sur présentation d’éléments de preuve appropriés, l’existence d’un nombre important d’hispanophones parmi les consommateurs des marchandises en question n’aurait pas pour effet d’écarter les connaissances linguistiques qui peuvent être imputées à l’ensemble de la population. Elle a fait sienne la conclusion du registraire que moins d’un pour cent de la population canadienne comprend l’espagnol, et rien ne permet de penser que le produit de la demanderesse n’était pas vendu à l’échelle du pays. Ainsi, les faits de l’affaire ne l’autorisaient pas à s’écarter de la règle habituelle sur les connaissances linguistiques du « consommateur moyen ».

[56]      Je tiens à souligner qu’en l’espèce, malgré l’absence de preuve directe présentée au registraire ou à la Cour au sujet du nombre de clients ou de clients éventuels de Living Realty qui comprennent que la translittération des deux premiers caractères de sa marque se rend par « Cheung Kong », les faits de l’espèce sont fondamentalement différents de ceux de l’affaire Krazy Glue, précitée.

[57]      D’ailleurs, les faits permettent de penser qu’un nombre important des consommateurs des services offerts par Living Realty comprennent le sens des caractères chinois qui composent la marque proposée. En premier lieu, les activités commerciales de Living Realty sont centrées sur la vente immobilière à Toronto, bien qu’elle vende aussi des propriétés dans les régions avoisinantes. Je suis disposé à prendre connaissance d’office de l’existence d’une importante communauté chinoise à Toronto. En second lieu, M. Chan a affirmé que Living Realty avait « ciblé » la communauté chinoise, sans toutefois exclure les autres clientèles.

[58]      À la lumière de ces faits, il serait difficile de prétendre qu’un nombre important de clients effectifs ne risquent pas de confondre la marque de Living Realty avec celle de Cheung Kong en raison de l’identité et du caractère distinctif des idées évoquées par les marques, compte tenu surtout des similitudes que présentent les services offerts par les parties.

[59]      Dans deux décisions rendues après le jugement Krazy Glue, précité, qui portaient sur des caractères et des mots étrangers dont le sens était semblable à celui du mot anglais employé dans une marque déposée, le risque de confusion n’a pas été estimé en fonction du point de vue de la personne qui connaît bien la langue et les caractères étrangers en cause.

[60]      Ainsi, dans la décision Robert Bosch GmbH c. Grupo Bler de Mexico, S.A. de C.V. (1997), 76 C.P.R. (3d) 397, (C.O.M.C.), à la page 403 le président de l’audience a conclu que, malgré la similitude qui existait entre les marchandises auxquelles les marques étaient associées, en l’occurrence des radios et d’autres appareils électroniques, il n’existait aucun risque de confusion entre elles parce qu’il n’y avait aucune ressemblance entre la marque de la requérante, « Blue Point », et la marque déposée de l’opposante, « Blaupunkt », qui, en allemand, veut dire « blue point », tant dans leur apparence que dans le son et dans les idées qu’elles suggéraient.

[traduction] L’opposante soutient que la personne moyenne saurait ou devinerait que [blue point] est la traduction de « BLAUPUNKT ». Aucun élément de preuve n’a cependant été présenté pour démontrer que les Canadiens comprennent l’allemand et aucun élément de preuve, comme un sondage, n’a été présenté pour justifier la prétention que le consommateur moyen devinerait le sens de ce mot.

Tout comme le jugement Krazy Glue précité, la décision Blaupunkt semble reposer sur l’absence de toute preuve démontrant que le consommateur moyen des marchandises concernées avait quelque connaissance que ce soit de l’allemand.

[61]      Enfin, dans l’affaire Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Saint Anna Bakery Ltd. (1992), 46 C.P.R. (3d) 261 (C.O.M.C.), les marques des parties contenaient des mots anglais et des caractères chinois. Toutefois, les caractères chinois et les mots anglais de la marque n’avaient pas le même sens. L’avocat de l’opposante avait invité le registraire à examiner la question de la confusion du point de vue d’un membre de la communauté chinoise qui voyait la marque de la requérante. Le registraire n’a toutefois tenu compte que du « Canadien moyen » (à la page 268) pour qui la marque de la requérante ne créerait pas de confusion avec celle de l’opposante.

[traduction] Je puis prendre connaissance d’office du fait qu’il y a certains Canadiens qui parlent couramment le chinois et qui reconnaîtraient sans peine les CARACTÈRES CHINOIS qui composent la marque projetée. Toutefois, faute de preuve sur cette question, il m’est impossible de conclure que le nombre de Canadiens qui parlent couramment le chinois serait important.

[62]      Une fois de plus, suivant mon interprétation, le registraire a voulu dire que, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, il ne pouvait conclure qu’un nombre « important » de consommateurs des marchandises auxquelles les marques en question sont associées reconnaîtraient la similitude des caractères chinois figurant sur les deux marques. Je ne crois pas que le registraire ait affirmé que, pour ce qui est de déterminer les risques de confusion, le « Canadien moyen » ne pourrait jamais être une personne qui ne comprend pas la langue étrangère en cause et qu’en droit, la langue comprise par le « consommateur moyen » des marchandises ou services en cause ne saurait faire partie des « circonstances de l’espèce » dont le registraire doit tenir compte.

[63]      L’avocate de l’opposante m’a cité certaines décisions à l’appui de la proposition plus générale suivant laquelle le critère applicable en matière de confusion est celui de la confusion créée dans l’esprit du « consommateur moyen ». Elle ajoute que cette personne fictive doit être identifiée en fonction des consommateurs effectifs du produit auquel la marque est associée. Ainsi, la question de savoir si une marque risque de créer de la confusion est une question qui doit être posée, non pas dans l’abstrait, mais en fonction du marché concret dans lequel les marchandises ou services sont offerts.

[64]      Ainsi, dans le jugement Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach a fait remarquer (à la page 5) :

Lorsqu’il s’agit de dire si deux marques de commerce peuvent être confondues, il faut prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c’est-à-dire les personnes qui forment habituellement le marché, c’est-à-dire les consommateurs.

On trouve une proposition semblable dans le jugement McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 463 (C.F. 1re inst.), à la page 475; confirmé par (1996), 68 C.P.R. (3d) 168 (C.A.F.), dans lequel la Cour affirme que les risques de confusion doivent être évalués, non pas du point de vue de la « personne moyenne », mais de celui de la « personne moyenne qui est susceptible de consommer les marchandises ou services en question ».

[65]      L’application de ce principe à la question en litige en l’espèce ferait en sorte que, si l’on peut inférer de la preuve qu’un pourcentage important des consommateurs probables des services offerts par Living Realty connaissent bien les caractères chinois, le registraire devrait tenir compte de ce facteur en tant que « circonstances de l’espèce » pour statuer sur les risques de confusion avec la marque de Cheung Kong.

[66]      Dans les motifs de sa décision, M. Herzig a conclu son analyse du moyen d’opposition tiré de la confusion en faisant cette remarque (à la page 8) :

[traduction] Enfin, le Canadien moyen qui ne connaît pas le chinois ne trouverait aucune ressemblance entre les marques en litige que ce soit sur le plan visuel ou dans le son ou les idées qu’elles suggèrent […]

[67]      M. Herzig a finalement conclu qu’il n’existait aucun risque probable de confusion [traduction] « compte tenu en particulier de la dissimilitude qui existe entre les marques en litige ». Si M. Herzig a effectivement fondé sa conclusion sur le fait que le « Canadien moyen » ne peut pas lire les caractères chinois, sans tenir compte de la question de savoir si la preuve administrée en l’espèce démontre qu’un nombre important de clients effectifs de Living Realty sont probablement en mesure de faire la translittération des deux premiers caractères de la marque proposée pour lire Cheung Kong ou pour traduire ces mots par « long fleuve », je crois alors, en toute déférence, qu’il a commis une erreur de droit.

[68]      Ni le jugement Krazy Glue, précité, ni la décision Blaupunkt, précitée, ne vont aussi loin. Les deux décisions reposent essentiellement sur l’absence de preuve au sujet du nombre de consommateurs en mesure de traduire en anglais des marques libellées en une langue étrangère.

[69]      L’avocate de Living Realty avance la proposition que l’on commettrait une erreur de principe si l’on essayait de savoir si des marques libellées dans une langue ou dans des caractères étrangers créent de la confusion du point de vue du membre d’une minorité linguistique étrangère, sauf peut-être dans le cas de marchandises qui ne s’adressent par définition qu’à ceux qui sont capables de comprendre la langue en question, comme par exemple un journal ou des livres rédigés en chinois.

[70]      Il semble que l’avocate soit préoccupée par le fait que le marché des marchandises et services en cause n’avait rien de statique et que l’enregistrabilité d’une marque ne saurait varier selon la clientèle probable d’une marchandise à un moment précis. Ainsi, même s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’une proportion importante de la clientèle de Living Realty est en mesure de faire la translittération de sa marque libellée en caractères chinois, il n’en serait plus ainsi si Living Realty élargissait son marché de telle sorte que le pourcentage de sa clientèle qui serait capable de lire les caractères chinois ne dépassait pas la proportion des gens dans la population générale qui sont en mesure de les lire.

[71]      Cet argument peut être réfuté de deux façons. Premièrement, je ne vois pas pourquoi une personne dont la marque a été refusée pour cause de confusion ne pourrait pas présenter une nouvelle demande une fois que la nouvelle situation découlant de l’ouverture de nouveaux débouchés aurait fait disparaître le motif justifiant la conclusion de confusion. La date pertinente pour déterminer les risques de conclusion est la date de la décision rendue à l’issue de l’audience d’opposition.

[72]      En second lieu, l’alinéa 12(1)d) vise notamment à protéger les consommateurs en empêchant qu’ils ne soient induits en erreur au sujet de la provenance des marchandises et des services, et à permettre aux fournisseurs d’identifier leurs marchandises et leurs services et de les protéger contre toute concurrence déloyale. Il me semble donc que, pour décider si de la confusion risque d’être créée dans l’esprit d’un nombre « important » de consommateurs, il y a lieu de tenir compte non seulement de la proportion d’entre eux qui seraient induits en erreur, mais également, dans certaines circonstances, du nombre absolu de consommateurs. En tant que critère juridique du risque de confusion, l’impression du « Canadien moyen » ou même du « consommateur moyen » suppose probablement une plus grande homogénéité chez les consommateurs effectifs du service ou de la marchandise en cause que celle qui existe en réalité au sein d’une société aussi richement diversifiée que la société canadienne contemporaine.

c)         conclusion

[73]      Si j’ai raison de statuer qu’il est peut-être nécessaire de tenir compte de l’éventuelle confusion que les caractères chinois et le dessin y afférent risquent de créer dans l’esprit de ceux qui comprennent l’anglais et le chinois, il reste à savoir si, vu l’ensemble de la preuve portée à ma connaissance, le registraire a eu tort de conclure qu’il n’existait aucun risque probable de confusion, principalement parce qu’il n’y avait aucune similitude dans l’idée que les marques suggéreraient au « Canadien moyen ».

[74]      Malgré le vaste droit d’appel auquel sont assujetties les décisions du registraire, la Cour refuse normalement de substituer son opinion à celle du registraire en ce qui concerne les risques de confusion entre les marques. En l’espèce toutefois, parce qu’il a commis une erreur de droit en ne tenant vraisemblablement pas compte du nombre de clients de Living Realty qui comprennent les caractères chinois et leur translittération, force est de reconnaître que le registraire n’a pas examiné la question des risques de confusion conformément à la loi. Le registraire ne disposait à cet égard ni de l’affidavit de M. Chan, ni du contre-interrogatoire de ce dernier.

[75]      Dans ces conditions, deux partis s’offrent à moi. Je peux renvoyer l’affaire au tribunal administratif spécialisé compétent pour qu’il tire les conclusions de fait qui s’imposent ainsi que les conclusions mixtes de droit et de fait que suppose l’application des normes législatives. Ou je pourrais me prononcer moi-même sur ces questions. À mon avis, il ne convient pas en l’espèce de renvoyer l’affaire au registraire en raison du caractère inusité de la question centrale en litige, de l’absence de tout différend en ce qui concerne les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) et de l’importance critique que revêt la question de la similitude des idées suggérées par les marques pour ce qui est de la décision finale.

[76]      En conséquence, la question que je dois me poser est celle de savoir si, faute de preuve directe au sujet du nombre de locuteurs chinois que compte la clientèle de Living Realty, il est possible d’inférer de la preuve indirecte qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un nombre important ou significatif d’entre eux associe la marque libellée en caractères chinois avec la marque Cheung Kong. J’estime que c’est effectivement le cas.

[77]      Les réponses données par M. Chan revêtent une importance particulière en l’espèce, surtout sa déclaration que Living Realty « cible » la communauté chinoise de Toronto. J’en déduis qu’un pourcentage important de la clientèle de Living Realty fait partie de cette communauté. Et, ainsi que je l’ai déjà dit, je suis également disposé à prendre connaissance d’office du fait qu’il existe une importante communauté chinoise à Toronto, où Living Realty et Head River Developments, un licencié d’une marque antérieure, ont exercé la plus grande partie de leurs activités immobilières. Qui plus est, une grande partie de la croissance de cette communauté est suffisamment récente pour que bon nombre de ses membres comprennent les caractères chinois. Le fait que M. Chan se rende à Hong Kong pour vendre des immeubles de Toronto à des clients qui se trouvent là-bas et dont certains peuvent acheter une future résidence à Toronto est un autre indice de l’importance des membres de la communauté chinoise de Toronto qui font partie de la clientèle de Living Realty. Enfin, bien sûr, le fait même que Living Realty souhaite utiliser des caractères chinois dans sa marque permet en soi de penser qu’elle croit que bon nombre de ses clients seront en mesure de les lire.

[78]      Le caractère distinctif inhérent des marques aux yeux de ceux qui sont en mesure de lire les marques des deux parties, le chevauchement des services associés aux marques et l’idée identique qu’ils suggèrent, en l’occurrence « long fleuve », suffisent à mon avis pour empêcher Living Realty de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucun risque probable de confusion entre les marques de parties.

E.        DISPOSITIF

[79]      Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli et la défenderesse est condamnée aux dépens entre parties.

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