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[2000] 1 C.F. 494

T-2463-97

Air Canada (demanderesse)

c.

Arthur E. Lorenz et Le procureur général du Canada (défendeurs)

Répertorié : Air Canada c. Lorenz (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans—Toronto, 26 août; Ottawa, 10 septembre 1999.

Droit administratif Contrôle judiciaire Un avocat pratiquant en droit du travail et de l’emploi a été nommé arbitre dans une affaire de congédiement injusteAprès cinq jours d’audience, l’employeur a appris que l’arbitre représentait un employé différent contre un employeur différent dans un litige sous le régime d’une loi provinciale analogueL’arbitre a refusé de se récuser pour cause de partialitéL’instruction a été suspendue deux ans, jusqu’à ce que la demande soit tranchéeLa Cour ne doit pas se prononcer sur la partialité avant que l’arbitre n’ait rendu sa décision finale sur la plainte de congédiement injusteL’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser tout redressement au motif que la demande est prématurée exigeait la pondération d’éléments contradictoiresFacteurs examinés : le préjudice causé à la demanderesse, le gaspillage, les retards, la division des questions en litige, le bien-fondé des prétentions de la demanderesse, le contexte législatifUn retard important est incompatible avec l’objet de la loi sous-jacent à la création d’un tribunal spécialisé en matière de plaintes de congédiement injusteLa division des questions en une multitude de litiges demeure une possibilitéLa possibilité de gaspillage a été atténuée par le fait que l’instance était enclenchée et qu’il n’était pas manifeste que l’arbitre avait un parti-prisUne allégation de partialité n’équivaut pas à une contestation constitutionnelle de l’existence même du tribunal.

Relations du travail Contrôle judiciaire du refus de l’arbitre de se récuser au motif de partialitéCinq jours après le début de l’audition d’une plainte de congédiement injuste qui devait durer 23 jours, l’employeur a appris que l’arbitre représentait à titre d’avocat un employé dans une affaire de congédiement injuste sous le régime d’une loi provinciale analogueLe fait que cette question n’ait jamais fait l’objet d’un litige tend à démontrer que les avocats pratiquant en droit du travail ne considèrent pas que cela est incompatible avec la fonction d’arbitreInstruction retardée presque deux ans dans l’attente de l’issue de la présente demandeL’absence de droit d’appel et l’inclusion d’une disposition limitative étanche dans le Code du travail démontre l’intention du législateur de réduire au minimum la surveillance judiciaire des instances dont sont saisis les arbitresLa Cour agirait de façon incompatible avec les dispositions du Code en matière de congédiement injuste en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’une manière susceptible d’accroître les retard et les coûts liés à l’arbitrageL’évitement des retards et la division des questions en litige ont beaucoup de poids dans le contexte du régime législatifEn l’espèce, le retard important et la possibilité réelle de division des questions en litige doivent être évaluées par rapport à la possibilité atténuée de gaspillage et au fondement de l’allégation.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire du refus d’un arbitre de se récuser. Jacques V. Marchessault, c.r., a été nommé arbitre pour qu’il se prononce sur la plainte de congédiement injuste déposée contre Air Canada par Arthur Lorenz. Après cinq jours d’audience, Air Canada a appris que M. Marchessault pratiquait en droit du travail et de l’emploi et qu’il représentait à ce moment-là un employé qui avait déposé une plainte de congédiement injuste contre un employeur autre qu’Air Canada en vertu de la loi québécoise analogue. M. Marchessault a alors refusé de fournir des renseignements au sujet de cette affaire ainsi qu’au sujet de toute autre affaire de congédiement injuste dont il s’occupait. M. Marchessault a rejeté une requête demandant sa récusation pour cause de partialité, concluant que sa conduite n’avait pas donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. L’audition de la plainte de M. Lorenz a été suspendue pendant presque deux ans, jusqu’à ce que la décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire soit rendue.

La question en litige était de savoir si la demande était prématurée.

Jugement : la demande est rejetée.

Il serait inapproprié que la Cour se prononce avant que l’arbitre n’ait rendu une décision finale relativement à la plainte de congédiement injuste. Si l’arbitre donne gain de cause à l’employé, Air Canada pourra présenter une demande de contrôle judiciaire fondée sur la partialité et pourra, par la même occasion, soulever toute autre erreur justifiant le contrôle. Si l’arbitre rejette la plainte, la question de la partialité deviendra sans objet.

La Cour avait compétence pour refuser tout redressement en raison du caractère prématuré de la demande. En l’espèce, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour reposait sur l’examen de deux éléments contradictoires : les préjudices éventuels causés à Air Canada ainsi que le temps et les ressources qui auront été gaspillés si la question de la partialité n’est pas tranchée avant la fin de l’instance dont est saisi l’arbitre versus les conséquences négatives liées au fait de retarder le processus administratif et de favoriser la multiplication des litiges.

La demanderesse a soutenu qu’une partie ne devait pas faire l’objet de l’exercice des pouvoirs conférés par la loi à un tribunal dont la compétence même pour entendre le litige a été mise en doute par cette partie. Ce facteur ne peut toutefois pas être déterminant, car, s’il en était autrement, une cour de révision aurait toujours l’obligation de se prononcer sur les allégations de partialité et d’accorder un redressement lorsqu’elle conclurait à leur bien-fondé, même si celles-ci étaient faites avant la fin du processus administratif. Une cour n’aurait donc pas le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de contrôle judiciaire fondée sur la partialité en raison de son caractère prématuré. Tel n’est pas l’état du droit.

La durée prévue de l’instruction était de 23 jours. Air Canada a soutenu que si elle était obligée de retarder sa contestation de l’instance, qui était fondée sur la crainte de partialité de l’arbitre, jusqu’à la fin de cette instruction et que sa demande était ensuite accueillie, les ressources consacrées aux dix-huit derniers jours de l’instruction auraient été gaspillées. Cette préoccupation n’est pertinente que s’il est conclu qu’Air Canada a congédié injustement M. Lorenz.

L’achèvement de l’instruction devant l’arbitre a été retardé par la présente demande de contrôle judiciaire. Le retard est un facteur dont il faut tenir compte, étant donné qu’il peut toucher non seulement les parties à la présente affaire, mais aussi la conduite d’autres instances administratives. Si la Cour devait se prononcer avant la fin du processus administratif sur les allégations de partialité faites par Air Canada, il est probable que des parties à d’autres instances administratives recourent à la demande de contrôle judiciaire fondée sur ce motif en vue de retarder les procédures ou de forcer les parties plus vulnérables à abandonner ou à régler le litige.

Le fait de se prononcer maintenant sur l’allégation de partialité faite par Air Canada est également susceptible de donner lieu à la multiplication des procédures. Si l’allégation était alors jugée mal fondée, une partie s’estimant lésée par la décision finale rendue par un autre arbitre pourrait déposer une seconde demande de contrôle judiciaire, relativement à d’autres questions. La division des questions en litige soulevées lors d’une instance administrative constitue un gaspillage des ressources judiciaires et impose un fardeau indu pour l’administration des programmes publics.

Le fait qu’aucune cour n’ait dû se prononcer jusqu’à maintenant sur la question soulevée par Air Canada peut tendre à démontrer que les praticiens en droit du travail et de l’emploi ne considèrent pas que le fait que la même personne ait la fonction d’arbitre et celle d’avocat praticien dans ce domaine donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, surtout lorsque l’arbitre représente tant la direction que les employés dans sa pratique du droit. Il n’y avait cependant aucune preuve au sujet de la proportion des nominations d’arbitres qui pratiquent activement en droit du travail et de l’emploi. Bien qu’Air Canada n’ait pas démontré qu’il s’agissait d’un cas manifeste de partialité, ses préoccupations ne peuvent pas être qualifiées de frivoles.

L’absence de droit d’appel et l’inclusion d’une disposition limitative étanche dans le Code démontre l’intention du législateur de ne conserver qu’un examen judiciaire minimal des instances dont sont saisis les arbitres. La Cour semblerait agir de façon incompatible avec les dispositions du Code en matière de congédiement injuste en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’une manière susceptible d’accroître les retards et les coûts liés à l’arbitrage. L’évitement des retards et la division des questions en litige doivent être considérés comme ayant beaucoup de poids dans le contexte de ce régime législatif.

Le fondement factuel et juridique de chaque affaire rend difficile toute généralisation. Il a été dit que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire invoquant la partialité et lorsqu’il n’existe aucun droit d’appel des décisions du tribunal auprès d’un autre organisme administratif, une cour ne devait intervenir avant que le tribunal ait rendu sa décision finale que dans des « circonstances exceptionnelles ». Il n’y avait aucun arrêt appuyant la proposition qu’une allégation de partialité constitue ipso facto des « circonstances exceptionnelles » qui justifient le contrôle judiciaire avant que le tribunal n’ait rendu sa décision finale. Le fait qu’un motif de contrôle touche à la compétence ne prive pas en soi une cour de révision de sa discrétion dans l’exercice de son pouvoir de surveillance.

Un retard important est incompatible avec l’objet de la loi qui est sous-jacent à la création d’un tribunal spécialisé dont le rôle est de se prononcer sur les demandes relatives au congédiement injuste. La division des questions en une multitude de litiges demeure une possibilité réelle. La possibilité de gaspillage était atténuée par le fait que l’instance dont était saisi l’arbitre était déjà bien enclenchée, même si l’instruction n’en était qu’au quart de sa durée prévue, et par le fait qu’il n’était pas manifeste que l’arbitre avait un parti-pris. Une allégation non frivole de partialité qui n’est pas appuyée par une preuve blindée ne constitue pas en soi des « circonstances exceptionnelles », même lorsque la fin de l’audience devant le tribunal n’est pas proche et qu’il n’y a aucun droit d’appel de portée générale contre les décisions du tribunal. Une telle allégation de partialité n’équivaut pas non plus à une contestation constitutionnelle à l’encontre de « l’existence même du tribunal ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 242(1), 243.

JURISPRUDENCE

DÉCISION NON SUIVIE :

Con-Way Central Express Inc. c. Armstrong et al. (1997), 153 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Woloshyn v. Yukon Teachers Assn., [1999] Y.J. No. 69 (C.S.) (QL); Refrigeration Workers Union, Local 516 and Labour Relations Board of British Columbia et al., Re (1986), 27 D.L.R. (4th) 676; [1986] 4 W.W.R. 223; 2 B.C.L.R. (2d) 1; 19 Admin. L.R. 73 (C.A.C.-B.); R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; (1991), 64 C.C.C. (3d) 513; 5 C.R.R. (2d) 31; 5 M.P.L.R. (2d) 113; 128 N.R. 1; 39 Q.A.C. 241; Zündel c. Citron, [1999] 3 C.F. 409 (1re inst.); Coopers & Lybrand Ltd. v. Wacyk (1996), 23 C.C.E.L. (2d) 165; 94 O.A.C. 292 (C. div. Ont.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756; (1971), 18 D.L.R. (3d) 1; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; Ontario College of Art v. Ontario (Human Rights Commission) (1993), 11 O.R. (3d) 798; 99 D.L.R. (4th) 738; 63 O.A.C. 393 (C. div.); Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. v. Ontario (Minister of Citizenship) et al. (1993), 62 O.A.C. 1 (C. div. Ont.); Cannon c. Canada (Commissaire adjoint, GRC), [1998] 2 C.F. 104 (1re inst.); Bissett c. Canada (Ministre du Travail), [1995] 3 C.F. 762 (1995), 102 F.T.R. 172 (1re inst.); Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1996), 42 C.B.R. (3d) 245; 116 F.T.R. 173 (1re inst.); University of Toronto v. Canadian Union of Education Workers, Local 2 (1988), 28 O.A.C. 295 (C. div. Ont.).

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus d’un arbitre de se récuser dans le cadre de l’audition d’une plainte de congédiement injuste cinq jours après le début d’une instruction d’une durée prévue de 23 jours pour cause de partialité parce qu’il pratiquait à titre d’avocat en droit du travail et de l’emploi. Demande rejetée en raison de son caractère prématuré.

ONT COMPARU :

Richard J. Charney pour la demanderesse.

Guy Lemay pour le défendeur A. E. Lorenz.

Joanne Fox et Scott McCrossin pour le défendeur Procureur général du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie, Toronto, pour la demanderesse.

Lavery, de Billy, Montréal, pour le défendeur A. E. Lorenz.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur Procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Evans :

A.        INTRODUCTION

[1]        Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Air Canada demande à la Cour de répondre à la question suivante. Un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2] pour trancher une plainte de congédiement injuste est-il inhabile à siéger pour cause de partialité au motif que, à titre d’avocat praticien, il représentait à ce moment-là un client ayant fait une demande fondée sur le congédiement injuste contre un autre employeur en vertu d’une loi provinciale en matière de normes du travail?

[2]        L’avocat a soutenu que ces faits donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité. Un observateur informé qui aurait examiné la question de façon attentive et pratique penserait raisonnablement que l’arbitre pourrait formuler une décision dont il se servirait en tant que précédent dans l’affaire où il agit à titre d’avocat. Par conséquent, la Cour devrait suspendre immédiatement l’instance dont l’arbitre est saisi.

[3]        Après avoir entendu les arguments des parties sur cette question intéressante, j’ai néanmoins conclu qu’il serait inapproprié que la Cour se prononce avant que l’arbitre n’ait rendu une décision finale relativement à la plainte de congédiement injuste. Air Canada a fait inscrire au dossier son opposition fondée sur la partialité et, si l’arbitre donne gain de cause à l’employé, Air Canada pourra présenter une demande de contrôle judiciaire fondée sur la partialité et pourra, par la même occasion, soulever toute autre erreur justifiant le contrôle que comporte la décision de l’arbitre, selon elle. Si l’arbitre rejette la plainte, la question de la partialité deviendra naturellement sans objet.

B.        LES FAITS

[4]        En avril 1997, Jacques V. Marchessault, c.r., a été nommé arbitre par Ressources humaines Canada en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, pour qu’il se prononce sur la plainte de congédiement injuste faite contre Air Canada par Arthur E. Lorenz, qui avait été avocat principal dans le service juridique d’Air Canada.

[5]        Cinq jours d’audience ont été tenus en octobre 1997 sur la question préliminaire de savoir si M. Lorenz était un « cadre » et si, à ce titre, il était exclu de l’application des dispositions du Code en matière de congédiement injuste. Peu de temps après la reprise de l’instruction au début de novembre, l’avocat d’Air Canada a appris que M. Marchessault pratiquait en droit du travail et de l’emploi et qu’il représentait à ce moment-là un employé qui avait fait une plainte de congédiement injuste contre un employeur autre qu’Air Canada en vertu de la loi québécoise analogue.

[6]        L’avocat d’Air Canada a demandé à M. Marchessault des renseignements au sujet de l’affaire dans laquelle il agissait à titre d’avocat ainsi qu’au sujet de toute autre affaire de congédiement injuste dont il s’occupait également à l’époque. M. Marchessault a refusé.

[7]        L’avocat a alors présenté une requête demandant à M. Marchessault de se récuser pour cause de partialité. Dans une décision motivée d’une longueur de plus de cinq pages et demi à simple interligne, M. Marchessault a examiné la jurisprudence et a conclu que sa conduite n’avait pas donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il a refusé de se récuser.

[8]        L’audition de la plainte de M. Lorenz a été suspendue dans l’attente de la décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire. Des requêtes incidentes ont été présentées, et les auteurs des affidavits ont été contre-interrogés. Près de deux ans se sont écoulés sans que l’audition de la plainte de M. Lorenz ne progresse de quelque façon. J’ignore si M. Marchessault représente actuellement un ou des clients dans le cadre de plaintes pour congédiement injuste.

C.        ANALYSE

[9]        J’ai invité les avocats à présenter leurs observations sur la question de savoir si la présente demande de contrôle judiciaire devait être rejetée en raison de son caractère prématuré dans le cadre de leurs arguments au fond, et non dans le cadre d’une opposition préliminaire. Le fait d’entendre l’affaire en entier m’a fourni un contexte utile, dans lequel je peux décider si j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en matière de redressement.

[10]      Cela ne signifie toutefois pas nécessairement que l’allégation de partialité doive faire l’objet d’une décision avant que la Cour ne se prononce sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de redressement. Comme le juge Vertes l’a souligné dans la décision Woloshyn v. Yukon Teachers Assn., [1999] Y.J. no 69 (C.S.) (QL), il semblerait vraiment inapproprié d’obliger un demandeur à terminer une instruction administrative devant un tribunal qu’une cour de révision a jugé inhabile à siéger pour cause de partialité.

[11]      Mais il ne s’ensuit pas non plus qu’un demandeur a le droit de faire trancher une question de partialité à n’importe quel moment de son choix, sur simple demande. Le temps et les ressources consacrés à la préparation des observations écrites et à la présentation des arguments oraux ne sont pas nécessairement perdus si cette question n’est pas tranchée. Si l’affaire devait être déférée de nouveau à la Cour sur la question de la partialité après la décision finale du tribunal, l’avocat aura déjà effectué la majeure partie du travail nécessaire.

[12]      Les avocats ont convenu que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur la partialité, la Cour avait compétence pour refuser tout redressement en raison du caractère prématuré de la demande. L’avocate du procureur général a fait valoir que ce n’est que dans les cas les plus inusités et exceptionnels que la Cour interviendra dans une instance administrative avant que la décision finale ne soit rendue. L’avocat d’Air Canada a, pour sa part, soutenu que les allégations de partialité constituaient une exception à la plupart des autres motifs de contrôle et que les tribunaux hésitaient moins à intervenir pour ce motif que pour d’autres motifs avant que le processus administratif ne soit terminé.

[13]      En règle générale, il est beaucoup plus difficile de nos jours pour une partie de convaincre une cour d’intervenir avant que le demandeur n’ait épuisé les recours administratifs disponibles que cela l’était lorsque l’arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756, a été rendu.

[14]      Par conséquent, un redressement peut être refusé au motif qu’une partie ne s’est pas prévalue de son droit d’appel auprès d’un tribunal administratif lorsque celui-ci constitue un recours subsidiaire adéquat à une demande de contrôle judiciaire, même lorsque le motif de contrôle est la privation injuste d’un droit de participation en contravention de l’obligation d’équité (Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561), ou même lorsque le motif est une erreur grave touchant à la compétence (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3).

[15]      De la même manière, les cours hésitent à modifier une décision provisoire ou interlocutoire avant la fin de l’instance dont est saisi un tribunal administratif. Il existe plusieurs décisions ayant refusé le redressement demandé dans les cas où le demandeur avait contesté la procédure suivie par un tribunal des droits de la personne antérieurement à la prise de sa décision finale, dont des décisions portant sur des allégations de partialité : voir, par exemple, Ontario College of Art v. Ontario (Human Rights Commission) (1993), 11 O.R. (3d) 798 (C. div.).

[16]      Dans d’autres affaires, toutefois, la Cour a conclu qu’il fallait se prononcer sur les allégations de partialité contre un tribunal sans exiger du demandeur qu’il termine l’audience administrative et attende la décision : Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. v. Ontario (Minister of Citizenship) et al. (1993), 62 O.A.C. 1 (C. div. Ont.). Plus récemment, on a conclu qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité relativement à l’un des membres d’un tribunal canadien des droits de la personne. On a interdit au tribunal de tenir l’instruction avec la même formation, même si l’instruction avait duré environ 40 jours et ne devait se terminer que plusieurs jours après : Zündel c. Citron, [1999] 3 C.F. 409 (1re inst.). La question du caractère prématuré de l’octroi d’un redressement ne semble toutefois pas avoir été abordée par la Cour, peut-être parce que la Cour a permis au tribunal de poursuivre en l’absence du membre inhabile à siéger.

[17]      Je dois souligner que, contrairement aux affaires susmentionnées (à l’exception de Zündel), il n’y a en l’espèce aucun droit d’appel de portée générale conféré par la loi d’une décision de l’arbitre auprès d’un autre tribunal administratif ou de la Cour. Il ne s’agit pas non plus d’une affaire où l’absence d’intervention peut être justifiée par le principe de la retenue judiciaire face à l’expertise des tribunaux administratifs. Malgré les remarques incidentes contraires dans l’arrêt Refrigeration Workers Union, Local 516 and Labour Relations Board of British Columbia et al., Re (1986), 27 D.L.R. (4th) 676 (C.A.C.-B.), aux pages 681 et 682, la question de savoir si M. Marchessault est inhabile à siéger doit être tranchée de façon indépendante par une cour de révision appliquant la norme de la décision correcte. Il ne s’agit pas non plus d’une affaire où le dossier sera plus étoffé pour les fins du contrôle judiciaire relativement à la question de la partialité si ce dernier est retardé jusqu’à ce que l’arbitre ait rendu sa décision finale.

[18]      Au contraire, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour repose principalement sur l’examen de deux éléments contradictoires. D’une part, il y a les préjudices éventuels causés à Air Canada ainsi que le temps et les ressources qui auront été gaspillés si la question de la partialité n’est pas tranchée avant la fin de l’instance dont est saisi l’arbitre. D’autre part, il y a les conséquences négatives liées au fait de retarder le processus administratif et de favoriser l’existence d’une multitude de litiges.

(i)         Les facteurs devant être examinés

a)    le préjudice subi par la demanderesse

[19]      L’avocat a soutenu qu’une allégation de partialité remettait en cause la légitimité de toute l’instance dont est saisi l’arbitre et que le fait d’obliger Air Canada à continuer jusqu’à la fin sans que cette question ne soit résolue aurait pour effet de causer de graves préjudices. Une partie ne devrait pas faire l’objet de l’exercice des pouvoirs conférés par la loi à un tribunal dont la compétence même pour entendre le litige a été mise en doute par cette partie.

[20]      Ce facteur ne peut toutefois pas être déterminant, car, s’il en était autrement, une cour de révision aurait toujours l’obligation de se prononcer sur les allégations de partialité et d’accorder un redressement lorsqu’elle conclurait à leur bien-fondé, même si celles-ci étaient faites avant la fin du processus administratif. En pratique, cela signifierait qu’une cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de contrôle judiciaire fondée sur la partialité en raison de son caractère prématuré ou, autrement dit, qu’une allégation de partialité constitue toujours une « circonstance exceptionnelle » qui justifie l’intervention judiciaire avant la fin du processus administratif. Je suis d’avis que tel n’est pas l’état du droit.

[21]      L’avocat a également prétendu que, même si l’arbitre donnait finalement gain de cause à Air Canada, il était susceptible de rendre des décisions qui seraient défavorables à cette dernière dans le cadre de ses motifs et que celle-ci n’aurait aucun moyen de contester, que ce soit par voie de demande de contrôle judiciaire ou autrement. Cela ne me semble pas être une préoccupation particulièrement urgente.

b)    le gaspillage

[22]      Air Canada a soulevé la question de la partialité lors de ce qui aurait été le sixième jour d’une instruction dont la durée totale prévue est de 23 jours en tout. Si Air Canada est obligée de retarder sa contestation de l’instance, qui est fondée sur la crainte de partialité de l’arbitre, jusqu’à la fin de cette instruction et que sa demande est ensuite accueillie, les ressources consacrées aux 18 derniers jours de l’instruction auront été gaspillées.

[23]      Cette préoccupation n’est cependant pertinente que s’il est conclu qu’Air Canada a congédié injustement M. Lorenz, ce qu’on ne sait toujours pas.

c)    le retard

[24]      Il ne fait aucun doute que l’achèvement de l’instruction devant l’arbitre a été retardé par la demande de contrôle judiciaire présentée par Air Canada : le dernier jour où la plainte de M. Lorenz a été entendue sur le fond était en octobre 1997, il y a presque deux ans. Par conséquent, si la demande d’Air Canada est rejetée quant au fond, elle aura néanmoins retardé la décision sur les questions de fond soulevées par la plainte de M. Lorenz.

[25]      Le retard est un facteur dont il faut tenir compte, étant donné qu’il peut toucher non seulement les parties à la présente affaire, mais aussi la conduite d’autres instances administratives. Si la Cour devait se prononcer avant la fin du processus administratif sur les allégations de partialité faites par Air Canada, il n’est que trop probable que des parties à d’autres instances administratives recourent à la demande de contrôle judiciaire fondée sur ce motif en vue de retarder les procédures ou de forcer les parties plus vulnérables à abandonner ou à régler le litige.

d)    la division

[26]      Le fait de se prononcer maintenant sur l’allégation de partialité faite par Air Canada est également susceptible de donner lieu à la multiplication des procédures. Si l’allégation était alors jugée mal fondée, une partie s’estimant lésée par la décision finale rendue par un autre arbitre pourrait déposer une seconde demande de contrôle judiciaire, relativement à d’autres questions. La division des questions soulevées lors d’une instance administrative constitue un gaspillage des ressources judiciaires et impose un fardeau indû pour l’administration des programmes publics.

e)    le bien-fondé des prétentions

[27]      Les effets préjudiciables du fait de décider ou non du bien-fondé de la présente demande de contrôle judiciaire avant l’issue du processus administratif reposent en grande partie sur le succès ou l’échec de l’allégation de partialité. Il est donc opportun d’examiner le bien-fondé des prétentions de la demanderesse.

[28]      L’avocat d’Air Canada a reconnu que la question sur laquelle il a demandé à la Cour de se prononcer est en grande partie fondée sur une première impression. Bien qu’il n’y ait aucun arrêt portant directement sur cette question, il a prétendu que, dans l’arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, la Cour suprême du Canada avait exprimé l’avis qu’en l’absence de mesures de protection adéquates, la nomination de juges à temps partiel qui continuaient à pratiquer le droit ne respectait pas l’exigence constitutionnelle d’impartialité institutionnelle et d’indépendance.

[29]      La question de savoir si les préoccupations de cette nature s’appliquent aux tribunaux administratifs spécialisés est discutable. Par exemple, la conclusion que M. Marchessault est inhabile à siéger en tant qu’arbitre en l’espèce aurait pour effet que les avocats qui pratiquent en droit du travail et de l’emploi ne seraient généralement pas admissibles à être nommés en vertu de l’article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] du Code canadien du travail. Cela pourrait entraîner la perte d’une source précieuse d’expertise pertinente. Cependant, en l’absence de preuve relative à la fréquence où les arbitres sont choisis parmi les avocats pratiquant en droit du travail et de l’emploi, je ne peux tirer aucune conclusion sur cette question.

[30]      Bien entendu, une demande n’est pas automatiquement rejetée en raison de sa nouveauté en droit ou des conséquences pratiques de son succès. Il n’en demeure pas moins qu’aucune cour ne paraît avoir déjà dû se prononcer sur la question soulevée par Air Canada en l’espèce. Cela peut tendre à démontrer qu’au moins certains praticiens en droit du travail et de l’emploi ne considèrent pas que le fait que la même personne ait la fonction d’arbitre et celle d’avocat praticien dans ce domaine donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, surtout lorsque, comme en l’espèce, l’arbitre représente tant la direction que les employés dans sa pratique du droit.

[31]      Je dois cependant répéter que je n’étais saisi d’aucune preuve au sujet de la proportion des nominations d’arbitres qui pratiquent activement en droit du travail et de l’emploi. Je ne sais donc pas à quelle fréquence cela se produit. En effet, le seul élément de preuve qui figure au dossier sur cette question est la surprise manifestée par un associé du bureau d’avocats représentant Air Canada en l’espèce relativement au fait que l’arbitre pratiquait aussi de façon active en droit du travail et de l’emploi. Cela indique qu’il est peut-être inhabituel pour les arbitres de représenter par ailleurs des clients dans ce domaine de droit.

[32]      Air Canada ne m’a pas convaincu qu’il s’agissait d’un cas manifeste de partialité. Par ailleurs, il est clair que cette question ne peut pas non plus être qualifiée de frivole. Les préoccupations exprimées dans l’arrêt Lippé, précité, et, dans une moindre mesure, les codes de déontologie que l’on retrouve dans d’autres juridictions et qui ont été produits en preuve par l’avocat indiquent que l’allégation de partialité faite par Air Canada n’était aucunement exagérée.

f)     le contexte législatif

[33]      Les facteurs susmentionnés doivent être évalués non seulement à la lumière des faits de l’espèce, mais aussi dans le contexte du régime législatif dont découle la demande de contrôle judiciaire. Le législateur a conféré aux arbitres, qui sont nommés ad hoc, la compétence pour trancher les plaintes de congédiement injuste afin de minimiser les frais et les délais auxquels auraient pu s’attendre à faire face auprès des tribunaux les employés congédiés, qui sont souvent sans emploi et qui sont généralement loin de se situer parmi ceux qui gagnent les revenus les plus élevés. L’absence de droit d’appel et l’inclusion d’une disposition limitative étanche dans le Code (article 243) démontre l’intention du législateur de ne conserver qu’un examen judiciaire minimal des instances dont sont saisis les arbitres.

[34]      Bien que le facteur temps n’ait peut-être pas tout à fait la même importance dans les affaires de congédiement injuste que dans les litiges industriels et les accréditations syndicales contestées, la Cour semblerait vraiment agir de façon incompatible avec les dispositions du Code en matière de congédiement injuste en exerçant son pouvoir discrétionnaire de manière susceptible d’accroître les retards et les coûts liés à l’arbitrage.

[35]      Je suis donc d’avis que l’évitement des retards et la division des questions en litige constituent des facteurs qui doivent être considérés comme ayant beaucoup de poids dans le contexte de ce régime législatif. Par conséquent, lorsque la compétence d’un arbitre est contestée pour cause de partialité, ce n’est que très rarement, en fait, que la Cour devra déterminer le bien-fondé de la demande avant le prononcé de la décision finale de cet arbitre, comme lorsque l’allégation indique l’existence d’un cas très manifeste de partialité et que la question est soulevée au début d’une instruction que l’on prévoit durer longtemps.

(ii)        La jurisprudence

[36]      Les décisions antérieures portant sur le pouvoir discrétionnaire peuvent fournir des indications utiles quant au critère à appliquer et à la méthode devant généralement être suivie relativement à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Elles peuvent également indiquer les facteurs dont un juge doit tenir compte lorsqu’il rend une décision. Toutefois, l’examen du dispositif de décisions particulières ne peut, en soi, fournir qu’une aide limitée et indirecte à l’égard de la manière dont le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé dans une affaire donnée. Le fondement factuel et juridique de chaque affaire rend difficile toute généralisation.

[37]      Il y a des arrêts portant sur le critère à appliquer à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire lorsque le demandeur prétend qu’un tribunal administratif était partial et qu’il n’existe aucun droit d’appel des décisions de ce tribunal auprès d’un autre organisme administratif. Il a ainsi été dit qu’une cour ne devait intervenir avant que le tribunal n’ait rendu sa décision finale que dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles » (University of Toronto v. Canadian Union of Education Workers, Local 2 (1988), 28 O.A.C. 295 (C. div. Ont.), à la page 306), dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles ou extraordinaires » (Ontario College of Art v. Ontario (Human Rights Commission), précité, à la page 799), ou lorsque la question est dirigée à l’encontre de « l’existence même du tribunal » (Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1re inst.), à la page 596).

[38]      En d’autres termes, le critère utilisé lorsque d’autres motifs de contrôle sont invoqués s’applique de la même manière aux allégations de partialité. Cependant, le contrôle judiciaire pour cause de partialité ne rend pas applicable le principe de la retenue judiciaire face à l’expertise du tribunal, ni celui voulant que le contrôle soit retardé jusqu’à ce que tous les faits figurent au dossier. Par conséquent, je conviens qu’il peut être un peu plus facile de relever le fardeau de démontrer l’existence de « circonstances exceptionnelles » lorsque l’impartialité du tribunal est contestée par voie de demande de contrôle judiciaire présentée avant la fin du processus administratif que lorsque le demandeur invoque d’autres erreurs justifiant le contrôle.

[39]      Je ne trouve néanmoins aucun arrêt appuyant la proposition qu’une allégation de partialité constitue ipso facto des « circonstances exceptionnelles » qui justifient un contrôle judiciaire avant que le tribunal n’ait rendu sa décision finale. Avec égards, je ne peux pas souscrire à la proposition mise de l’avant par mon collègue le juge Muldoon dans Con-Way Central Express Inc. c. Armstrong et al. (1997), 153 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), à la page 163, selon laquelle le fait qu’une demande de contrôle judiciaire soulève « une question de compétence » la situe dans la catégorie des « circonstances spéciales ».

[40]      Même un arrêt où le demandeur avait un droit d’appel auprès d’un autre tribunal, soit l’arrêt Canadien Pacifique, précité, paraît indiquer clairement que le fait que le motif de contrôle touche à la compétence ne prive pas en soi une cour de révision de sa discrétion dans l’exercice de son pouvoir de surveillance.

[41]      L’avocat d’Air Canada a également invoqué la déclaration faite par le juge Cory dans l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 645, selon laquelle « du moment que la crainte raisonnable de partialité est établie », la décision du tribunal y faisant suite « ne peut être simplement annulable et être validée ensuite par la décision subséquente du tribunal ». Ces observations ne sont toutefois pas pertinentes à l’égard de la question en litige en l’espèce puisqu’aucune conclusion de partialité n’a été tirée; elles ne s’appliquent pas au pouvoir discrétionnaire de la Cour de rejeter une demande en raison de son caractère prématuré sans déterminer si une crainte raisonnable de partialité existait.

[42]      L’avocat d’Air Canada a tenté de faire la distinction d’avec les décisions dans lesquelles la Cour avait refusé d’intervenir en raison du caractère prématuré lorsque la partialité était alléguée et qu’il n’y avait aucun droit d’appel administratif. Par exemple, dans l’affaire Ontario College of Art, précitée, l’allégation portait sur la partialité de l’agent nommé par la Commission des droits de la personne de l’Ontario pour enquêter sur la plainte, et non sur celle de la commission d’enquête nommée pour se prononcer sur cette plainte. Il était présumé que la commission était capable de tenir compte, dans sa décision, de toute partialité possible de la part de son personnel.

[43]      L’avocat a fait remarquer que, dans l’affaire Coopers & Lybrand Ltd. v. Wacyk (1996), 23 C.C.E.L. (2d) 165 (C. div. Ont.), la demande de contrôle judiciaire avait été déposée 13 mois après que la décision contestée eut été rendue. Lorsqu’elle a examiné la question du caractère prématuré, la Cour n’a toutefois pas indiqué que le dépôt tardif de la demande constituait un motif pour refuser le redressement. La Cour s’est plutôt contentée de s’appuyer sur les décisions ayant établi qu’un redressement ne devait être accordé avant que le tribunal ait rendu sa décision finale que dans des circonstances exceptionnelles. Il est évident que l’allégation de partialité et l’absence de droit d’appel contre les décisions du tribunal ont été considérées comme insuffisantes dans Coopers & Lybrand pour constituer des « circonstances exceptionnelles ».

[44]      Une cour de révision peut aussi être plus encline à intervenir dans les cas où le demandeur prétend que la loi habilitante du tribunal n’est pas conforme à la Constitution : Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), précité; Cannon c. Canada (Commissaire adjoint, GRC), [1998] 2 C.F. 104 (1re inst.). Cependant, même dans de tels cas, une contestation peut être rejetée en raison de son caractère prématuré si plus de documents factuels sont requis afin d’examiner correctement la question de l’indépendance du tribunal : Bissett c. Canada (Ministre du travail), [1995] 3 C.F. 762 (1re inst.).

[45]      L’avocat d’Air Canada a également insisté fortement sur les motifs dissidents du juge Laskin dans l’arrêt Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.), aux pages 502 à 507, où celui-ci a conclu que l’omission de divulguer le rapport d’enquête sur une plainte à un organisme de réglementation professionnel constituait un manquement à l’obligation d’équité et que la demande de contrôle judiciaire n’était pas prématurée. Cependant, il a aussi été dit dans cet arrêt (à la page 506) que :

[traduction] Il n’y aurait aucune division ni prolongation des procédures puisque l’instruction n’avait pas commencé.

[46]      Cela n’est évidemment pas le cas dans la présente affaire, où cinq jours d’audience ont déjà eu lieu. De plus, dans la mesure où les motifs du juge Laskin reposaient sur la prémisse que les tribunaux doivent généralement être prêts à intervenir chaque fois qu’une erreur de compétence est alléguée, y compris la privation de l’équité procédurale, ces motifs ont été atténués par la décision rendue par la suite par la Cour suprême du Canada dans Canadien Pacifique, précité.

D.        CONCLUSION

[47]      On ne conteste naturellement pas le droit d’Air Canada d’avoir une audience équitable devant un arbitre qui ne fait pas l’objet d’une crainte raisonnable de partialité. La question qui se pose toutefois en l’espèce est de savoir à quel moment, dans le processus administratif, le demandeur a droit à une décision sur son allégation et à l’octroi d’un redressement s’il a gain de cause.

[48]      Je suis d’avis que le retard important qui a découlé de la présente demande de contrôle judiciaire constitue un exemple frappant des dangers d’une pratique qui, sauf dans des cas vraiment exceptionnels, ne cherche pas à décourager fortement la présentation de demandes de contrôle judiciaire avant que le tribunal administratif n’ait rendu sa décision. Un retard de ce genre est incompatible avec l’objet de la loi qui est sous-jacent à la création d’un tribunal spécialisé dont le rôle est de se prononcer sur les demandes présentées par les employés congédiés au motif que leur congédiement était injuste. La division des questions en une multitude de litiges demeure une possibilité réelle.

[49]      Le fait que l’instance dont était saisi l’arbitre était bien enclenchée atténue le facteur du gaspillage dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, même si l’audience n’en était qu’au quart de sa durée prévue. La possibilité de gaspillage est également atténuée par le fait qu’on ne peut pas dire qu’il est manifeste en droit que les actes de l’arbitre le rendaient inhabile à siéger pour cause de partialité.

[50]      Une allégation non frivole de partialité qui n’est pas appuyée par une preuve blindée ne constitue pas en soi des « circonstances exceptionnelles », même lorsque la fin de l’instruction devant le tribunal n’est pas proche et qu’il n’y a aucun droit d’appel de portée générale contre les décisions du tribunal. Une telle allégation n’équivaut pas non plus à la contestation constitutionnelle à l’encontre de « l’existence même du tribunal » qui a été examinée dans l’arrêt Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), précité.

[51]      Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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