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[2000] 3 C.F. 27

A-405-98

Joan Mohammed (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor (intimée)

A-724-98

Ross Robert Boutilier (appelant)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

et

La Commission des relations de travail dans la fonction publique (intervenante)

A-56-99

Rose O’Hagan, Susan Field, Janice Nachtegaele et Edith Nelson (appelantes)

et

Le procureur général du Canada (Solliciteur général—Service correctionnel du Canada) (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Boutilier (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et Sexton, J.C.A.— Ottawa, 9, 10 novembre et 2 décembre 1999.

Fonction publique Compétence CRTFPAppels à l’encontre de décisions rendues par la C.F. 1re inst. selon lesquelles les arbitres sont incompétents pour connaître des litiges liés aux droits de la personne dans le cadre d’une convention collectiveL’art. 91 de la LRTFP accorde le droit de déposer un grief relativement à l’interprétation ou à l’application d’une loi portant sur des conditions d’emploi à l’égard desquelles « aucun autre recours administratif de réparation » n’est prévu sous le régime d’une loi fédéraleLa C.A.F. et la C.F. 1re inst. ont constamment statué que, à la lumière du libellé de l’art. 91, l’intention du législateur était d’exclure de la procédure normale de règlement des griefs prévue sous le régime de la LRTFP certains sujets spécialisésCette interprétation est appuyée par la version française de l’articleDe plus, l’interdiction de la loi contenue à l’art. 91 n’a pas été imposée unilatéralement aux fonctionnaires, puisque la convention cadre exclut le recours à la procédure normale de règlement des griefs lorsqu’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du ParlementEn matière de relations de travail sous le régime fédéral, si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable » — Ce recours n’a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu’il traite la plainte de façon raisonnable et efficace quant au fond du griefLes délais qui peuvent survenir au cours du processus menant à l’obtention de la réparation ne sont pas significatifs, à moins d’être à ce point excessifs que la situation équivaut à priver le plaignant d’une réparation véritableLes différences existantes entre les recours administratif n’ont pas pour effet d’anéantir toute possibilité de réparationLa plupart des questions de compétence devraient être tranchées par l’arbitre au début des procédures de règlement des griefs, mais la conséquence incontournable du libellé de l’art. 91 est la possibilité qu’une question liée aux droits de la personne soit soulevée au cours d’une audience, faisant ainsi perdre à l’arbitre sa compétence pour connaître du litigeLes parties doivent faire un effort pour déterminer à l’avance si des questions liées aux droits de la personne sont en cause et agir en conséquence.

Droits de la personne Appels à l’encontre de décisions rendues par la C.F. 1re inst. selon lesquelles les arbitres sont incompétents pour connaître des litiges liés aux droits de la personne dans le cadre d’une convention collectiveL’art. 91 de la LRTFP accorde le droit de déposer un grief relativement à l’interprétation ou à l’application d’une loi portant sur des conditions d’emploi à l’égard desquelles « aucun autre recours administratif de réparation » n’est prévu sous le régime d’une loi fédéraleLes tribunaux ont constamment statué que, à la lumière du libellé de l’art. 91, l’intention du législateur était d’exclure de la procédure normale de règlement des griefs prévue sous le régime de la LRTFP certains sujets spécialisésEn matière de relations de travail sous le régime fédéral, si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable » — Le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne et des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciauxC’est à la Commission des droits de la personne qu’il revient, aux termes de l’art. 41, de décider de renvoyer des dossiers à l’arbitrage lorsqu’elle le juge approprié.

Il s’agit d’appels interjetés à l’encontre de décisions rendues par la Section de première instance selon lesquelles les arbitres dans chaque affaire ont été déclarés incompétents pour connaître de litiges nés de la convention collective relativement aux droits de la personne. L’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) accorde le droit de déposer un grief à l’employé qui s’estime lésé par l’interprétation ou l’application d’une loi portant sur des conditions d’emploi à l’égard desquelles « aucun autre recours administratif de réparation » ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale.

Dans l’affaire Mohammed, l’arbitre a conclu qu’il n’était pas habilité à connaître d’un grief pour harcèlement fondé sur la religion, la race et la couleur de peau, déposé en vertu d’un article contenu dans la convention cadre, étant donné que la Loi canadienne sur les droits de la personne avait prévu un recours administratif de réparation. Le juge de première instance a confirmé cette décision. Dans l’affaire Boutilier, l’arbitre a tranché en faveur de l’appelant, qui avait déposé un grief après qu’on eut refusé de lui accorder le bénéfice d’une disposition prévoyant un congé de mariage de cinq jours contenue dans sa convention collective, pour le motif qu’on estimait qu’une cérémonie dans laquelle deux personnes du même sexe s’épousent ne constituait pas un « mariage » au sens de la convention. Le juge de première instance a annulé la décision de l’arbitre pour le motif que ce dernier n’avait pas compétence en raison de l’application du paragraphe 91(1). Dans l’affaire O’Hagan, l’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence pour trancher les griefs déposés, en vertu d’un article dans leur convention collective interdisant le harcèlement sexuel, par plusieurs infirmières qui alléguaient avoir fait l’objet de harcèlement sexuel. L’arbitre a conclu au défaut de compétence et le juge de première instance a maintenu cette décision.

La question en litige consiste à savoir si l’expression « recours administratif de réparation » contenue à l’article 91 de la LRTFP équivaut à une interdiction imposée par la loi quant à l’exercice de la compétence d’un arbitre de trancher un litige touchant aux droits de la personne.

Arrêt : les appels sont rejetés.

La Cour d’appel fédérale et la Section de première instance ont constamment statué que, à la lumière du libellé de l’article 91, l’intention du législateur était d’exclure de la procédure normale de règlement des griefs prévue sous le régime de la LRTFP certains sujets spécialisés qu’il estimait devoir être régis par le processus administratif instauré par la législation visant ces mêmes sujets. Cette interprétation est appuyée par la version française de l’article 91. De plus, l’interdiction de la loi contenue au paragraphe 91(1) n’a pas été imposée unilatéralement aux fonctionnaires, puisque ce sont leurs représentants syndicaux qui y ont consenti dans la convention cadre, qui comprend une disposition excluant le recours à la procédure normale de règlement des griefs « s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter [la] plainte particulière [de l’employé-e] ».

En matière de relations de travail sous le régime fédéral, si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable ». Ce recours n’a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu’il traite la plainte « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l’employé ». Les délais qui peuvent survenir au cours du processus administratif menant à l’obtention de la réparation ne sont pas en soi significatifs, à moins d’être à ce point excessifs que la situation équivaut à priver le plaignant d’une réparation véritable. Que le recours administratif soit différent, même s’il s’agit d’une « réparation moindre », il n’en demeure pas moins un recours.

Ce principe n’empêche pas les syndicats de négocier des droits dont la portée va au-delà du domaine visé par un code des droits de la personne, vu que le plaignant peut recourir à l’arbitrage dans la mesure où la Commission des droits de la personne n’a prévu aucune mesure réparatrice visant à défendre ces nouveaux droits. Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux. La LRTFP diffère de la plupart des codes du travail, qui prescrivent que l’arbitrage constitue la mesure exclusive de réparation. C’est à la Commission des droits de la personne qu’il revient, aux termes de l’article 41, de décider de renvoyer des dossiers à l’arbitrage lorsqu’elle le juge approprié. Toute autre interprétation aurait pour effet de rendre les termes du paragraphe 91(1) vides de sens. Il serait idéal que la plupart de ces questions de compétence puissent être tranchées par l’arbitre au début des procédures de règlement des griefs, mais la conséquence incontournable du libellé de l’article 91 est la possibilité qu’une question liée aux droits de la personne soit soulevée au cours d’une audience, faisant ainsi perdre à l’arbitre sa compétence pour connaître du litige. Les parties doivent faire un effort pour déterminer à l’avance si des questions liées aux droits de la personne sont en cause et, dans l’affirmative, agir en conséquence.

Le législateur a prévu une méthode plutôt complexe, coûteuse et lente pour résoudre des litiges liés aux droits de la personne dans le cadre d’une convention collective, mais jusqu’à ce que le législateur soit convaincu qu’il doit modifier la loi, la Cour respectera ce choix législatif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 242(3.1)b) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 41(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 49).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91, 99 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 72).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354(1995), 126 D.L.R. (4th) 679; 95 CLLC 210-045; 185 N.R. 107 (C.A.); Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445(1995), 100 F.T.R. 226 (1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Cooper (In re), [1974] 2 C.F. 407(1974), 50 D.L.R. (3d) 294; 5 N.R. 373 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449[1995] 1 C.N.L.R. 184; (1994), 79 F.T.R. 53 (1re inst.); Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; (1998), 156 D.L.R. (4th) 385; Rosenberg v. Canada (Attorney General) (1998), 38 O.R. (3d) 577; 156 D.L.R. (4th) 664 (C.A.); Newfoundland Association of Public Employees c. Terre-Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 R.C.S. 3; (1996), 134 D.L.R. (4th) 1; 39 Admin. L.R. (2d) 1; 196 N.R. 212; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; (1995), 125 D.L.R. (4th) 583; 30 Admin. L.R. (2d) 1; 12 C.C.E.L. (2d) 1; 24 C.C.L.T. (2d) 217; 30 C.R.R. (2d) 1; 183 N.R. 241; 82 O.A.C. 321; Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1999] A.C.F. no 705 (C.A.) (QL).

DOCTRINE

Canada. Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes des Relations employeur-employés dans la Fonction publique, Procès-verbaux et témoignages, Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1966.

APPEL à l’encontre de décisions rendues par la C.F. 1re inst. selon lesquelles les arbitres n’ont pas compétence pour connaître de litiges liés aux droits de la personne dans le cadre d’une convention collective (Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459(1998), 154 F.T.R. 40 (1re inst.); inf. Boutilier et Conseil du Trésor (Ressources naturelles), [1997] C.R.T.F.P.C. no 54 (QL); Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor) (1998), 148 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.); conf. Mohammed et Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [1997] C.R.T.F.P.C. no 49 (QL); O’Hagan c. Canada (Procureur général) (1999), 162 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.); conf. O’Hagan et Conseil du Trésor (Solliciteur généralService correctionnel du Canada), [1995] C.R.T.F.P.C. no 104 (QL)). Appels rejetés.

ONT COMPARU :

Andrew J. Raven pour l’appelante dans le dossier A-405-98.

Dougald E. Brown et Pamela J. MacEachern pour les appelants dans les dossiers A-724-98 et A-56-99.

Harvey A. Newman et Micheline Langlois pour l’intimé.

Steven R. Chaplin pour l’intervenante (Commission des relations de travail dans la fonction publique) dans le dossier A-724-98.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l’appelante dans le dossier A-405-98.

Nelligan Power, Ottawa, pour les appelants dans les dossiers A-724-98 et A-56-99.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Chaplin Law Offices, Ottawa, pour l’intervenante (Commission des relations de travail dans la fonction publique) dans le dossier A-724-98.

Ce qui suit et la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Linden, J.C.A. : Les trois présents appels soulèvent des questions essentiellement semblables : un arbitre de grief nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la LRTFP)], a-t-il compétence pour trancher un litige né de la convention collective relativement aux droits de la personne protégés par cette convention, ou l’expression « recours administratif de réparation » contenue à l’article 91 de la LRTFP équivaut-elle à une interdiction imposée par la loi quant à l’exercice de cette compétence? L’article 91 prévoit :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit d’une disposition législative, d’un règlement—administratif ou autre—, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(2) Le fonctionnaire n’est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d’une directive, d’une instruction ou d’un règlement conforme à l’article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l’interprétation ou à l’application à son égard d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

(3) Le fonctionnaire ne faisant pas partie d’une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée peut demander l’aide de n’importe quelle organisation syndicale et, s’il le désire, être représenté par celle-ci à l’occasion du dépôt d’un grief ou de son renvoi à l’arbitrage.

(4) Le fonctionnaire faisant partie d’une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée ne peut être représenté par une autre organisation syndicale à l’occasion du dépôt d’un grief ou de son renvoi à l’arbitrage.

[2]        Dans deux des trois affaires, soit Mohammed et Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) [[1997] C.R.T.F.P.C. no 49 (QL)] et O’Hagan et le Conseil du Trésor (Solliciteur généralService correctionnel du Canada) [[1995] C.R.T.F.P.C. no 104 (QL)], l’arbitre s’est déclaré incompétent pour connaître du litige, tandis que l’arbitre a exercé sa compétence dans l’affaire Boutilier et Conseil du Trésor (Ressources naturelles) [[1997] C.R.T.F.P.C. no 54 (QL)]. En contrôle judiciaire de ces trois décisions, les juges de première instance de la Cour ont maintenu les décisions rendues dans les affaires Mohammed [(1998), 148 F.T.R. 260] et O’Hagan [(1999), 162 F.T.R. 15] et ont infirmé la décision rendue dans l’affaire Boutilier [[1999] 1 C.F. 459 Ces trois décisions font l’objet des présents appels qui ont été entendus conjointement, à l’occasion desquels M. Raven (pour l’affaire Mohammed ainsi que M. Brown et Mme MacEachern (pour les affaires Boutilier et O’Hagan) ont plaidé avec éloquence en faveur du point de vue selon lequel la procédure de règlement des conflits de travail prévue dans les conventions collectives ne devrait pas être écartée par l’application de l’article 91. Selon eux, écarter cette procédure équivaudrait à priver les employés de droits que ces derniers ont acquis et pour lesquels ils ont fait des compromis lors des négociations relatives à la convention collective; à titre d’exemple, les clauses de non-discrimination contenues dans les conventions collectives ne seraient d’aucune utilité si les employés étaient privés de leur droit de recourir à la procédure de règlement des griefs et s’ils étaient obligés de déposer leur plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) à l’instar de tous les autres Canadiens. Ils ont soutenu que l’expression « recours administratif de réparation » ne comprenait pas le droit de déposer une plainte devant la CCDP étant donné que, dans le cadre de la procédure relative aux droits de la personne, le syndicat et le plaignant ne sont pas des parties, le droit à une audience devant un tribunal est inexistant, les procédures sont différentes, l’intérêt général est en cause et les délais sont considérables. Ils se sont également fondés sur l’article 99 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 72] de la LRTFP qui prévoit expressément la possibilité que le syndicat renvoie une affaire directement devant la CRTFP, ce qui laisse entendre qu’un grief déposé par un plaignant doit recevoir un traitement semblable. Selon eux, le législateur n’a pu avoir eu l’intention de priver les employés de leur droit de recourir à la procédure de règlement des griefs en vertu de leur convention collective dans ces cas-là. M. Newman, pour l’intimée, s’est simplement appuyé sur le libellé de l’article et sur la jurisprudence étayant le point de vue opposé, à savoir que le législateur avait eu l’intention d’écarter la procédure de règlement des griefs dans ces cas-là. Il a fait observer que, d’une certaine manière, la CCDP était investie d’un pouvoir réparateur plus important que l’arbitre sous le régime de la LRTFP.

1.         La jurisprudence

[3]        Je suis d’avis que les observations présentées par les appelants, quoique intéressantes, ne sont pas convaincantes. La Cour, de même que la Section de première instance de la Cour, a constamment statué que, à la lumière du libellé de l’article en cause, l’intention du législateur était d’exclure de la procédure normale de règlement des griefs prévue sous le régime de la LRTFP certains sujets spécialisés qu’il estimait devoir être régis par le processus administratif instauré par la législation visant ces mêmes sujets. Dès 1974, le juge Pratte avait déclaré dans l’affaire In re Cooper[1] :

Aux termes de l’article 90, on ne peut pas présenter un grief s’il se rapporte à une question à l’égard de laquelle « une procédure administrative de réparation est prévue en vertu d’une loi du Parlement ». Lorsqu’il existe une telle procédure, l’employé qui s’estime lésé ne peut recourir à la procédure applicable aux griefs établie par les articles 90 et 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, mais doit soumettre sa plainte à l’organisme administratif qui détient, en vertu de la Loi applicable, le pouvoir de l’examiner. Un employé qui s’estime insatisfait de la décision de cet organisme ne peut présenter un grief à cet égard en vertu des articles 90 et 91.

[4]        De manière analogue, dans l’arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich[2], le juge Strayer avait interprété une expression semblable employée à l’alinéa 242(3.1)b) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16] du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2], soit « autre recours », dans ces termes [à la page 378] :

Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l’autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l’autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l’arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n’exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. [Souligné dans l’original.] Elle exige simplement qu’un autre recours existe à l’égard de la même plainte. [Souligné dans l’original.] Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation. [Soulignement ajouté.]

Le juge Strayer a ajouté [aux pages 379 et 380] :

[…] lorsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d’examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d’examiner la même question.

[5]        Ce principe a été suivi en matière de droits de la personne par Mme le juge Simpson dans l’affaire Chopra c. Canada (Conseil du Trésor)[3] de la façon suivante [à la page 452] :

Le paragraphe 91(1) a été incorporé à la LRTFP comme article 90 en 1966 [S.C. 1966-67, ch. 72]. Il n’a pas été contesté qu’il avait pour objet à l’époque de prévenir le chevauchement des procédures prévues par la LRTFP et la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [maintenant L.R.C. (1985), ch. P-33]. Cependant, le paragraphe 91(1) ne précisait pas qu’il s’appliquait seulement à la LRTFP et à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Cela signifie qu’une loi, par exemple la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], adoptée par la suite peut faire partie de celles prévues par le paragraphe 91(1) si elle prévoit d’autres recours administratifs de réparation. [Soulignement ajouté.]

[6]        Par conséquent, le fait qu’une seule loi, soit la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33], ait été mentionnée à titre d’exemple au cours du témoignage du Dr Davidson devant le Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes au sujet des relations employeur-employé dans la fonction publique du Canada[4] ne signifie pas que d’autres législations n’auraient pas pu être visées par ces termes soit à cette époque-là, soit ultérieurement.

[7]        Il ressort d’autant plus clairement que l’arrêt Byers Transport donne une interprétation juste du libellé de l’article 91 lorsque l’on examine l’ordre qui prévaut dans l’énoncé de la version française officielle de cet article. L’expression pertinente apparaît presque en tête de l’article, et précise que « si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale », le plaignant peut alors recourir à la procédure normale de règlement des griefs, mais pas autrement.

[8]        Il convient de souligner en outre que la convention cadre existante qui a été signée par les représentants des deux parties aux conventions collectives qui font l’objet des présents appels—soit l’Alliance de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor—comprend une disposition qui, à l’instar du paragraphe 91(1), exclut le recours à la procédure normale de règlement des griefs « s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter [la] plainte particulière [de l’employé-e] ». Dans sa version intégrale, l’article M-38.02 prévoit ce qui suit :

M-38.02 Sous réserve de l’article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions dudit article, l’employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l’inaction de l’employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite à la clause M-38.05, compte tenu des réserves suivantes :

a)   s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie,

[9]        L’on ne peut affirmer par conséquent que cette interdiction de la loi contenue au paragraphe 91(1) ait été imposée unilatéralement aux fonctionnaires, puisque ce sont leurs représentants syndicaux qui y ont consenti dans la convention cadre.

[10]      Nous n’avons pas été convaincus en l’espèce qu’il convenait de s’écarter des décisions de principe bien établies, qui ont été suivies par les trois juges de première instance dans les présentes affaires.

2.         Les décisions en l’espèce

[11]      Dans l’affaire Mohammed, l’arbitre a conclu le 22 mai 1997 qu’il n’était pas habilité à connaître d’un grief pour harcèlement, étant donné que la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] avait prévu un « recours administratif de réparation ». La plaignante, appelante dans la présente instance, a allégué en 1997 que le harcèlement était fondé sur sa religion musulmane, sa race et la couleur de sa peau. Elle s’est appuyée sur l’article M-16.01 de la convention cadre, qui prévoit :

M-16.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d’exercée ou d’appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale et physique ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

[12]      Par une lettre datée du 11 avril 1997, l’intimée a soulevé une objection quant à la compétence de l’arbitre en se fondant sur l’article 91 et sur la LCDP[5]. Suivant l’affaire Chopra, l’arbitre a conclu que l’article M-16.01 constituait le fondement de la demande et a par conséquent reconnu qu’il n’était pas habilité à connaître du litige. La Section de première instance a confirmé sa décision et a ainsi rejeté la demande de contrôle judiciaire en invoquant l’arrêt Byers Transport en ces termes [à la page 270] :

Il ressort des remarques [du juge Strayer dans l’arrêt Byers, infra] que le recours administratif de réparation mentionné à l’art. 91(1) n’a pas à être identique à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP. De plus, les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n’ont pas à être identiques; la partie en cause devrait plutôt être en mesure d’obtenir une « réparation véritable » qui pourrait être avantageuse pour le plaignant. Le paragraphe 91(1) exige uniquement l’existence d’un autre recours de réparation lorsque la réparation à laquelle peut donner lieu ce recours est dans une certaine mesure avantageuse pour le plaignant lui-même.

[13]      À mon sens, le juge des requêtes a rendu une décision correcte et a suivi un raisonnement juste. L’appel dans l’affaire Mohammed est rejeté avec dépens.

[14]      Dans l’affaire Boutilier, l’arbitre a tranché le 4 juin 1997 en faveur de l’appelant, qui avait déposé un grief le 18 août 1994 après qu’on eut refusé de lui accorder le bénéfice d’une disposition prévoyant un congé de mariage de cinq jours contenue dans sa convention collective, pour le motif qu’on estimait qu’une cérémonie dans laquelle deux personnes du même sexe s’épousent ne constituait pas un « mariage » au sens de la convention. L’employeur n’a pas soulevé la question de la compétence lors de l’audience d’arbitrage, mais l’a fait par la suite en instance de contrôle judiciaire devant la Section de première instance. La Section de première instance de la Cour a annulé la décision de l’arbitre pour le motif que ce dernier n’avait pas compétence en raison de l’application du paragraphe 91(1).

[15]      L’appelant, spécialiste des sciences physiques au ministère des Ressources naturelles à Halifax (N.-É.), était assujetti à la convention collective du Groupe des sciences physiques (222/91) signée par l’Institut professionnel de la fonction publique et le Conseil du Trésor. L’article 20.09 de cette convention prévoit :

20.09 […]

b) L’employeur accordera un congé payé dans les circonstances suivantes :

[…]

(iv) un congé de mariage de cinq (5) jours dans le but de se marier, pourvu que l’employé donne à l’employeur un préavis d’au moins cinq (5) jours.

Aucune définition de « mariage » n’y figurait. La convention collective comprenait une clause de « non-discrimination » dans les termes suivants :

31.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, sa langue officielle, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

[16]      Se fondant sur la jurisprudence récente en matière d’égalité et sur des décisions récentes ayant interprété la LCDP comme incluant l’orientation sexuelle[6], l’arbitre a donné une interprétation du terme « mariage » qui comprenait l’union entre deux personnes du même sexe dont faisait partie le plaignant, mais a pris soin de préciser que le plaignant n’avait pas contracté un « mariage légitime en vertu des lois de la Nouvelle-Écosse ».

[17]      En dépit du fait que l’intimé ne s’était pas opposé sur la question de la compétence au cours de l’audience d’arbitrage, Mme le juge McGillis a conclu que l’arbitre n’était pas habilité à connaître du litige, qui, selon elle, soulevait clairement une « question […] fondamentale relativement aux droits de la personne ». Elle a expliqué que c’est à la CCDP que revenait la compétence principale en matière de droits de la personne. Malgré l’argument valable présenté par Mme MacEachern et par M. Chaplin, l’avocat de l’intervenante (la CRTFP), suivant lequel l’affaire Boutilier se distinguait des affaires Mohammed et O’Hagan en ce que le droit qui faisait l’objet du litige—soit le congé de mariage—était né exclusivement de la convention collective et ne pouvait être réclamé au moyen d’aucun autre « recours administratif de réparation », je suis d’avis que Mme le juge McGillis avait entièrement raison quant à la décision qu’elle a rendue et quant aux motifs y afférents, dont voici l’extrait suivant [aux pages 471, 472 et 476] :

Un examen du régime législatif révèle qu’un employé n’a qu’un droit restreint de déposer un grief à chacun des paliers de la procédure prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. En particulier, le droit d’un employé de déposer un grief est limité à deux égards : selon l’exigence énoncée au paragraphe 91(1), par le fait qu’aucun autre recours administratif de réparation ne lui soit ouvert sous le régime d’une loi fédérale, et selon l’exigence énoncée au paragraphe 91(2), par le fait qu’il doit d’abord avoir obtenu l’approbation de son agent négociateur et être représenté par lui. En outre, en vertu de l’article 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l’arbitrage qu’après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable. Dans le cas où un employé n’a pas le droit de déposer un grief à chacun des paliers de cette procédure, du fait de l’application d’une restriction légale prévue au paragraphe 91(1) ou au paragraphe 91(2), le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92. Autrement dit, lorsqu’une restriction énoncée au paragraphe 91(1) ou (2) prive un employé de son droit non absolu de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite envisager de renvoyer le grief à l’arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). Si un employé essaie d’agir de la sorte, l’arbitre n’a pas compétence pour connaître de ce grief.

[…]

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu’un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d’acte discriminatoire dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l’employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L’affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d’abord être épuisée.

[18]      Le juge McGillis a aussi expliqué que la CCDP pouvait, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du paragraphe 41(1) [mod par L.C. 1995, ch. 44, art. 49] de la LCDP, renvoyer l’affaire à la procédure de grief [aux pages 475 et 476] :

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d’importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d’assumer son rôle dans le traitement d’une plainte et, dans les cas appropriés, d’obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d’actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d’autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l’autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.

[19]      L’appel dans l’affaire Boutilier est par conséquent rejeté avec dépens.

[20]      Dans l’appel concernant l’affaire O’Hagan, l’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence pour trancher les griefs déposés par plusieurs infirmières de l’unité de Clearwater du Service correctionnel du Canada, membres de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, qui alléguaient avoir fait l’objet de harcèlement sexuel sur une période de deux ans et demi. Elles s’appuyaient sur l’article 43.01 de leur convention collective, qui prévoit :

43.01 L’Institut et l’employeur reconnaissent le droit des employés de travailler dans un milieu libre de harcèlement sexuel, et ils conviennent que le harcèlement sexuel ne sera pas toléré sur le lieu de travail.

[21]      Après que l’employeur se fut opposé à la compétence de l’arbitre, ce dernier a conclu au défaut de compétence en se fondant sur le paragraphe 91(1). La Section de première instance de la Cour a, à juste titre, maintenu cette décision en suivant les décisions rendues dans les affaires Chopra, Mohammed et Boutilier, bien qu’elle ait reconnu que les faits n’étaient pas identiques dans toutes ces affaires.

[22]      L’appel dans l’affaire O’Hagan est également rejeté.

[23]      Essentiellement, c’est le principe énoncé dans l’arrêt Byers Transport qui détermine l’issue des affaires en l’espèce. Ce principe est compatible avec le libellé et l’objet de la loi, avec la décision rendue dans Cooper, de même qu’avec presque toute la jurisprudence de la Cour. Le mode de règlement des litiges en matière de relations de travail sous le régime fédéral n’est donc pas aussi simple qu’on pourrait être porté à le croire. Si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable ». Ce recours n’a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu’il traite la plainte « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l’employé »[7]. Les délais qui peuvent survenir au cours du processus administratif menant à l’obtention de la réparation ne sont pas en soi significatifs, à moins d’être à ce point excessifs que la situation équivaut à priver le plaignant d’une réparation véritable. Que le recours administratif soit différent, même s’il s’agit d’une « réparation moindre », il n’en demeure pas moins un recours.

[24]      Ce principe n’empêche pas les syndicats de négocier des droits dont la portée va au-delà du domaine visé par un code des droits de la personne[8], vu que le plaignant peut recourir à l’arbitrage dans la mesure où la Commission des droits de la personne n’a prévu aucune mesure réparatrice visant à défendre ces nouveaux droits. Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux. La LRTFP diffère de la plupart des codes du travail, qui prescrivent que l’arbitrage constitue la mesure exclusive de réparation[9]. C’est à la Commission des droits de la personne qu’il revient, aux termes de l’article 41, de décider de renvoyer des dossiers à l’arbitrage lorsqu’elle le juge approprié[10]. Toute autre interprétation aurait pour effet de rendre les termes du paragraphe 91(1) vides de sens ou de les pervertir considérablement.

[25]      Un arbitre doit par conséquent examiner ces questions de compétence, soit avant le début des audiences, soit au cours de celles-ci; mais il serait idéal que la plupart de ces questions puissent être tranchées au début des procédures de règlement des griefs.

3.         Quelques questions de principe

[26]      Les avocats des appelants et de l’intervenante ont exprimé leurs craintes au sujet de l’incertitude découlant de cette interprétation du paragraphe 91(1). Ils ont soutenu qu’il était possible qu’une question liée aux droits de la personne soit soulevée au cours d’une audience tenue devant un arbitre relativement à l’interprétation d’une convention collective, faisant ainsi perdre à l’arbitre sa compétence pour connaître du litige. Ce scénario peut se concevoir, mais il s’agit de la conséquence incontournable du libellé de l’article. L’on peut seulement espérer que les parties puissent, à l’avenir, faire un effort pour déterminer à l’avance si des questions liées aux droits de la personne sont en cause et, dans l’affirmative, agir en conséquence.

[27]      La possibilité que des employeurs fassent une interprétation abusive du libellé de l’article soulève une crainte additionnelle, en ce sens que ces employeurs pourraient, au lieu de fournir le motif véritable d’un congédiement par exemple, fonder ce congédiement sur des motifs de race, de sexe ou d’autres motifs de discrimination prévus et ainsi contourner l’application de la procédure normale de règlement de griefs, produisant ainsi un imbroglio judiciaire devant la Commission canadienne des droits de la personne des années durant. Cet argument me semble tiré par les cheveux; un employeur ne gagne rien à avoir une réputation d’employeur aux pratiques discriminatoires et à être talonné par les enquêteurs de la CCDP. Le prix à payer pour une plainte liée aux droits de la personne peut être considérable à l’égard de l’employeur sur le plan des finances et des relations publiques. Quoi qu’il en soit, il est non seulement tout indiqué pour l’employeur de faire preuve d’honnêteté et d’équité et de fournir le motif véritable sous-tendant sa décision, puis de soumettre le litige à l’organisme pertinent si ce motif est contesté, mais il est également dans son intérêt de le faire.

[28]      Si l’interprétation des appelants à l’égard du paragraphe 91(1) est juste, à savoir que tout litige né d’une convention collective doit normalement être tranché au moyen de la procédure de règlement des griefs, une crainte additionnelle qui n’a pas été soulevée par les avocats des appelants renvoie à la possibilité que la portée d’une convention collective puisse s’étendre à certains sujets déjà visés par d’autres procédures administratives et ce, dans le but d’exclure la compétence de ces organismes administratifs et de privilégier le recours à la procédure de règlement des griefs. Il est peu vraisemblable que ce scénario reflète l’intention du législateur.

[29]      Je suis d’avis que ces craintes ne sont pas réalistes. Nous sommes en présence de parties qui sont responsables et qui ont des points de vue différents quant à l’interprétation du libellé d’une loi et qui ne s’entendent pas sur la manière à privilégier lorsqu’il s’agit de résoudre des litiges liés aux droits de la personne dans le cadre d’une convention collective. À mon sens, le législateur a prévu une méthode précise pour traiter ces questions, une méthode plutôt complexe, coûteuse et lente j’en conviens, mais jusqu’à ce que le législateur soit convaincu qu’il doit modifier la loi, la Cour respectera ce choix législatif, comme en témoigne de façon constante sa jurisprudence au cours des années.

[30]      En conclusion, ces trois appels sont rejetés avec dépens.

Le juge Stone J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1] [1974] 2 C.F. 407 (C.A.), à la p. 412.

[2] [1995] 3 C.F. 354 (C.A.). La Cour a exprimé des doutes quant aux remarques qui avaient été faites dans le cadre de l’affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449 (1re inst.), suivant lesquelles une « réparation moindre » ne suffisait pas.

[3] [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.).

[4] Procès-verbaux et témoignages, le 26 novembre 1966.

[5] Par ailleurs, au cours de l’été 1993, l’appelante avait également déposé une plainte devant la Commission des accidents du travail, qui l’a rejetée.

[6] Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; Rosenberg v. Canada (Attorney General) (1998), 38 O.R. (3d) 577 (C.A.).

[7] Voir Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.), à la p. 456.

[8] Newfoundland Association of Public Employees c. Terre-Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 R.C.S. 3.

[9] Voir Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929.

[10] Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1999] A.C.F. no 705 (C.A.) (QL).

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