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[2000] 3 C.F. 589

A-52-98

Clayton Charles Ruby (appelant) (demandeur)

c.

Le solliciteur général (intimé) (défendeur)

A-872-97

Clayton Charles Ruby (appelant) (demandeur)

c.

La Gendarmerie royale du Canada et le ministère des Affaires extérieures (intimés) (défendeurs)

A-873-97

Clayton Charles Ruby (appelant) (demandeur)

c.

Le solliciteur général (intimé) (défendeur)

Répertorié : Ruby c. Canada (Solliciteur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Létourneau, Robertson et Sexton, J.C.A.Ottawa, 7 et 8 mars et 8 juin 2000.

Protection des renseignements personnels — Appels du rejet de recours en révision concernant le rejet par le Commissaire à la protection de la vie privée de plaintes découlant du refus du SCRS, de la GRC et du ministère des Affaires extérieures (le MAE) de communiquer des renseignements personnels — (1) Charge de la preuve — L’art. 47 de la Loi sur la protection des renseignements personnels impose au responsable de l’institution la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication — Cela comprend la charge de prouver que les conditions applicables à l’exception sont remplies et que le pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une façon régulière — Étant donné qu’un recours en révision exercé conformément à l’art. 41 remet par définition en question le bien-fondé de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, le demandeur n’a pas à en faire plus — (2) Interprétation des exceptions invoquées — (i) L’art. 22(1)a) autorise uniquement le refus de communication des renseignements personnels qui remontent à moins de 20 ans lors de la demande — Le seul document se trouvant dans le fichier de la GRC qui est en litige remonte à plus de 20 ans — (ii) Le MAE ne confirme ou ne nie jamais l’existence des renseignements demandés, en vertu d’une politique générale selon laquelle on ne confirme jamais s’il existe des renseignements dans le fichier — L’art. 16(2) prévoit que le responsable de l’institution n’est pas tenu de faire état, en vertu de l’art. 16(1), de l’existence des renseignements personnels — Il ne prévoit pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, mais précise le choix prévu à l’art. 16(1) de refuser de confirmer l’existence des renseignements — Même si l’art. 16(2) confère un pouvoir discrétionnaire, ce pouvoir n’a pas à être exercé sur une base individuelle — Étant donné la nature particulière et le but de la Loi et le contexte factuel, l’adoption de pareille politique générale constitue un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire — Le MAE a revendiqué l’exception prévue à l’art. 22(1)a) et b) si les renseignements existaient — Les motifs du juge des requêtes ne font pas expressément mention de l’art. 22(1)a) — Étant donné le doute qui existe au sujet de la question de savoir si le juge a examiné l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le MAE, un nouvel examen a été ordonné à l’égard de l’exception prévue à l’art. 22(1)a) — L’art. 22(1)b) autorise le refus de communication de renseignements dont la divulgation risquerait de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois — Il n’autorise pas un refus de communication dans les cas où la communication pourrait avoir un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête en général — (iii) Le SCRS a refusé de confirmer ou de nier l’existence des renseignements, mais il a revendiqué les exceptions prévues aux art. 19, 21, 22 et 26 — Les renseignements versés dans les fichiers du SCRS devraient être examinés de façon à permettre de découvrir quels renseignements ne sont pas visés par l’art. 22(1)b) — L’art. 19 exige que l’on refuse la communication des renseignements personnels obtenus à titre confidentiel d’un gouvernement étranger ou d’une organisation internationale d’États en l’absence de consentement — L’autorité qui revendique l’exception doit s’assurer que le tiers ne consent pas à la communication — La revendication fondée sur l’art. 19 devrait être examinée de façon à s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers — L’art. 26 permet de refuser la communication de renseignements personnels portant sur un tiers et exige que l’on refuse cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’art. 8 — Il faut interpréter les art. 8 et 26 ensemble — L’art. 8(2)m)(i) permet la communication de renseignements personnels dans les cas où des raisons d’intérêt public justifieraient une violation de la vie privée — L’appréciation des différents intérêts relève du pouvoir discrétionnaire du responsable de l’institution — On ne sait pas trop si le SCRS a tenu compte de l’art. 8(2)m)(i) et s’il a appliqué de la façon appropriée l’exception prévue à l’art. 26 — Nouvel examen des renseignements personnels en vue de déterminer si l’exception prévue à l’art. 26 a été appliquée de la façon appropriée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — L’art. 51(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que les recours visés à l’art. 41 portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements personnels est lié aux art. 19(1)a) ou b) ou à l’art. 21 font l’objet d’une audition à huis clos — L’art. 51(3) permet au responsable de l’institution de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie — L’appelant a maintenu que l’audience obligatoire à huis clos et en l’absence d’une partie empêche un individu d’obtenir des renseignements utiles au sujet de la raison pour laquelle la communication a été refusée, ce qui l’empêche de présenter des arguments intelligents au sujet de la raison pour laquelle le gouvernement a agi d’une façon irrégulière en refusant la communication des renseignements demandés — Il a soutenu que le droit doit fournir aux personnes concernées une description des renseignements retenus — La solution proposée (i) n’est pas pratique dans les cas où le responsable de l’institution est autorisé à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements; (ii) si les renseignements non divulgués mettaient en cause la sécurité nationale ou des renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel, le juge exercerait certainement son pouvoir discrétionnaire en faveur de la Couronne; (iii) la mesure proposée n’a aucun rapport avec la violation alléguée — L’art. 51(2)a) et (3) viole l’art. 2b) de la Charte, mais il se justifie au regard de l’art. premier.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — L’art. 51(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que les recours visés à l’art. 41 portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements personnels est lié aux art. 19(1)a) ou b) ou à l’art. 21 font l’objet d’une audition à huis clos — L’art. 51(3) permet au responsable de l’institution de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie — L’art. 51 est simplement une disposition procédurale visant à empêcher la communication accidentelle de renseignements touchant la sécurité nationale ou de renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel — Il est lié à une procédure qui exige que tous les renseignements personnels soient divulgués au juge pour qu’il puisse déterminer si les exceptions revendiquées sont justifiées — Pareille protection procédurale ne prive pas le demandeur de sa liberté.

Juges et tribunaux — Limitation du pouvoir discrétionnaire — L’art. 46 de la Loi sur la protection des renseignements personnels autorise le juge qui effectue l’examen à entendre les arguments en l’absence d’une partie et à tenir des audiences à huis clos lorsque la revendication d’exceptions est fondée sur des dispositions autres que les art. 19(1)a), b) ou 21 — L’audition d’arguments en l’absence d’une partie et la tenue d’audiences à huis clos sont obligatoires lorsque les art. 19(1)a) ou b) ou l’art. 21 sont en cause — Seuls des arguments écrits ont été présentés en l’absence d’une partie par suite du refus de communication de la part de la GRC, du MAE et du SCRS — Le juge qui a effectué l’examen était d’avis qu’il était censé pour la Cour d’entendre des arguments en l’absence d’une partie dans une instance visant à la contestation de pareil refus — Pareille preuve aide le juge et lui permet de s’assurer que les renseignements secrets ne seront pas communiqués lorsque l’exception est justifiée — Le juge était d’avis que l’audition d’arguments en l’absence d’une partie constitue un compromis efficace généralement sensé — Le juge n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire.

Preuve — Le juge qui a effectué l’examen dans une affaire mettant en cause la Loi sur la protection des renseignements personnels a refusé d’admettre la preuve d’expert fournie par un ancien associé du cabinet d’avocats de l’appelant pour le motif qu’elle était fort peu pertinente, que les éléments qu’elle renfermait n’étaient pas nécessaires et que le témoin n’était pas indépendant — L’affidavit aurait dû être admis aux fins du contrôle judiciaire — Il satisfaisait au critère de la pertinence logique et au critère de la pertinence juridique en ce sens que sa valeur l’emportait sur les répercussions qu’il avait sur la procédure — Il satisfaisait au critère de la nécessité étant donné qu’il énonçait des faits dépassant l’expérience et la connaissance d’un juge — Il n’aurait pas dû être exclu à cause de la partialité possible du déclarant étant donné qu’il se rapportait à la crédibilité de la preuve plutôt qu’à son admissibilité.

Il s’agissait d’appels interjetés contre le rejet de recours en révision, conformément à l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, se rapportant aux décisions prises par le Commissaire à la protection de la vie privée au sujet de plaintes concernant le refus de communication de renseignements personnels, ainsi que contre une décision portant que l’article 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’était pas inconstitutionnel. En 1988, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) avait refusé de communiquer à l’appelant tous les renseignements à son sujet conservés dans le fichier de renseignements personnels 005 pour le motif que les documents étaient inconsultables en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui confère le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication de renseignements personnels lorsqu’ils ont été obtenus par un organisme d’enquête au cours d’une enquête licite, ainsi que de l’article 27, qui confère pareil pouvoir discrétionnaire lorsque les renseignements sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. Le Commissaire à la protection de la vie privée a confirmé le refus de la GRC. Le seul document de la GRC qui est encore en litige est une lettre du ministère de la Justice au chef de la Police criminelle concernant l’opportunité de mener certaines enquêtes.

En ce qui concerne la demande que l’appelant a présentée en vue d’avoir accès au fichier 040 tenu par le ministère des Affaires extérieures (le MAE), le MAE ne confirmait ni ne niait l’existence des renseignements demandés, mais il a déclaré que si ces renseignements existaient, ils pouvaient avec raison être considérés comme inconsultables en vertu des alinéas 22(1)a) et b). L’alinéa 22(1)b) permet au responsable d’une institution de refuser la communication de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois ou au déroulement d’enquêtes licites. Le MAE avait comme politique de ne jamais communiquer les renseignements qui étaient dans le fichier 040 afin d’empêcher les tentatives de la part de personnes qui faisaient systématiquement des demandes et qui essayaient, à l’aide des réponses fournies, de découvrir le genre de renseignements que le MAE possédait. Le Commissaire a conclu que la position du MAE était raisonnable. La GRC et le MAE ont déposé des affidavits supplémentaires secrets assujettis à une ordonnance de confidentialité. La GRC a fourni les documents demandés qui renfermaient des renseignements personnels sur l’appelant alors que le MAE a indiqué à l’appelant s’il existait des renseignements personnels à son sujet dans le fichier en question et, dans l’affirmative, pourquoi les renseignements en question étaient inconsultables en vertu des alinéas 22(1)a) et b).

Enfin, le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) a refusé de confirmer ou de nier l’existence des renseignements demandés en ajoutant que, si ces renseignements existaient, ils ne pourraient être divulgués aux termes des articles 19, 21, 22 et 26. L’article 19 prévoit que le responsable d’une institution est tenu de refuser la communication des renseignements personnels qui ont été obtenus à titre confidentiel d’un gouvernement étranger ou d’une organisation internationale d’États sauf si ce gouvernement ou cette organisation consent à la communication ou rend les renseignements publics. L’article 26 prévoit que le responsable d’une institution peut refuser la communication de renseignements personnels qui portent sur un tiers et qu’il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’article 8. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) permet la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale dans les cas où des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Le Commissaire a conclu que le refus du SCRS de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels respectait les exigences du paragraphe 16(2), qui prévoit que le responsable de l’institution n’est pas obligé de faire état, en vertu du paragraphe 16(1), de l’existence de renseignements personnels.

L’article 46 autorise le juge qui effectue l’examen à entendre les arguments en l’absence d’une partie et à tenir des audiences à huis clos lorsque la revendication d’exceptions est fondée sur des dispositions autres que les alinéas 19(1)a) ou b) ou l’article 21. Toutefois, l’audition d’arguments en l’absence d’une partie et la tenue d’audiences à huis clos sont obligatoires lorsque les alinéas 19(1)a) ou b) ou l’article 21 sont en cause. Seuls des arguments écrits sous la forme d’affidavits secrets supplémentaires ont été présentés en l’absence d’une partie conformément à l’article 46 par suite du refus de communication de la part de la GRC, du MAE et du SCRS. L’appelant affirme que le juge qui a effectué l’examen a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en décidant que pareils arguments doivent être entendus dans chaque cas.

Le juge qui a effectué l’examen a refusé l’affidavit d’expert de M. Copeland, autrefois associé au cabinet d’avocats de l’appelant, pour le motif qu’il était fort peu pertinent, que la preuve qu’il renfermait n’était pas nécessaire et que M. Copeland n’était pas un expert indépendant compte tenu de son ancienne association à l’appelant et du fait qu’il avait lui-même engagé des procédures en vue d’obtenir la communication de renseignements.

Le paragraphe 51(2) prévoit que les recours visés à l’article 41 portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements personnels est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l’article 21 font l’objet d’une audition à huis clos. Le paragraphe 51(3) permet au responsable de l’institution de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie. La contestation constitutionnelle de l’article 51 est uniquement faite dans le contexte du refus du SCRS de communiquer des renseignements personnels. Le SCRS a soutenu que le déroulement des enquêtes visées par le fichier 010 serait compromis si les individus ou les organisations en cause dans ces enquêtes étaient en mesure de confirmer l’intérêt que le SCRS leur manifeste. Les renseignements versés dans le fichier 015 sont plus anciens et de nature moins délicate. Le juge des requêtes a conclu que l’alinéa 51(2)a) et le paragraphe (3) restreignent les droits garantis à l’alinéa 2b) de la Charte (la liberté d’expression), mais que les dispositions contestées se justifiaient au regard de l’article premier de la Charte.

Les questions litigieuses étaient de savoir : 1) à qui incombait la charge de prouver que les exceptions étaient légitimement revendiquées et qu’elles s’appliquaient; 2) quelle interprétation il convenait de donner à la portée des exceptions revendiquées; 3) si le juge de première instance avait limité son pouvoir discrétionnaire en recevant des arguments en l’absence d’une partie conformément à l’article 46; 4) si le juge avait commis une erreur en refusant d’admettre la preuve d’expert de M. Copeland; 5) si la procédure prévue à l’article 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels porte atteinte à l’alinéa 2b) (qui garantit la liberté d’expression) ou à l’article 7 de la Charte (qui reconnaît le droit de ne pas être privé de sa vie, de sa liberté ou de la sécurité de sa personne sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale).

Arrêt : l’appel interjeté dans le dossier A-872-97 est accueilli en partie; l’appel interjeté dans le dossier A-873-97 est accueilli; l’appel interjeté dans le dossier A-52-98 est rejeté.

1) Eu égard aux circonstances de l’espèceoù l’accessibilité à des renseignements personnels est la règle et la confidentialité l’exception, où le demandeur ne sait pas quels renseignements personnels ne sont pas communiqués, où le demandeur n’a pas accès au dossier dont dispose la Cour et où il n’a pas de moyens adéquats lui permettant de vérifier la façon dont le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication a été exercé par les autorités, et où l’article 47 de la Loi impose clairement au responsable de l’institution fédérale la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels et, par conséquent, d’établir qu’elle a exercé d’une façon régulière son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une exception précise invoqué — on ne saurait imposer la charge de la preuve au demandeur. Le demandeur qui, conformément à l’article 41, exerce un recours en révision du refus de communication des renseignements personnels, remet par définition en question le bien-fondé de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le responsable de l’institution; il n’a pas à en faire plus.

2) La question relative au seul document encore en cause dont la GRC a refusé la communication n’a plus qu’un intérêt théorique. L’alinéa 22(1)a) autorise uniquement le refus de communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui remontent à moins de 20 ans lors de la demande. Or, en l’espèce, les renseignements remontent à au moins 20 ans.

Le juge qui a effectué l’examen n’a pas commis d’erreur en concluant que les renseignements figurant dans le document avaient légitimement été classés comme étant visés par l’article 27.

(i) L’appelant a soutenu que la politique du MAE de refuser systématiquement de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels constitue un refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 16(2) ne prévoit pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou une obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire sur une base individuelle. En cas de refus de communication des renseignements demandés, le paragraphe 16(1) permet au responsable de l’institution de choisir de mentionner que le dossier n’existe pas; de dire que le dossier existe, mais qu’il est visé par une exception, ou de dire que si les renseignements existaient, ils seraient visés par une exception, la disposition précise de la Loi devant être mentionnée. La dernière solution confère au responsable de l’institution le pouvoir de répondre d’une façon hypothétique. Le paragraphe 16(2) n’ajoute rien qui n’ait pas déjà fait intrinsèquement partie du paragraphe 16(1). Il précise simplement ce qui est déjà expressément prévu au paragraphe 16(1) et le mot « may » dans la version anglaise du paragraphe 16(2) confirme simplement que le responsable de l’institution est autorisé à refuser la communication en se prévalant du choix qui lui est donné à l’alinéa 16(1)b) de refuser de confirmer l’existence de renseignements. Cela n’entraîne pas implicitement l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire. Cette interprétation est étayée par l’emploi des mots « may but is not required » figurant dans la version anglaise dans un contexte où la communication de renseignements personnels est la règle, le refus de communication étant une exception qui doit être expressément mentionnée. Ces mots indiquent l’intention du législateur de conférer au responsable de l’institution le pouvoir de refuser à un demandeur la possibilité de savoir s’il existe des renseignements personnels qu’il serait par ailleurs obligé de communiquer en l’absence du pouvoir habilitant. De plus, l’équivalent du mot « may » ne figure pas dans la version française du paragraphe 16(2) qui prévoit simplement que le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de faire état de l’existence de renseignements personnels.

Même si le paragraphe 16(2) confère un pouvoir discrétionnaire, dans le contexte factuel qui existe en l’espèce où, étant donné la nature du fichier en question, la simple divulgation de l’existence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête, et compte tenu de la nature et du but de la Loi et du paragraphe 16(2), l’adoption d’une politique générale selon laquelle on ne confirme jamais l’existence de renseignements dans le fichier en question constituait un exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire. Il s’agit ici de l’un des rares cas dans lesquels l’adoption d’une politique générale constitue en soi un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire. De plus, dans ce cas-ci, cette politique générale ne porte pas atteinte au pouvoir discrétionnaire en cause. La Loi confère au citoyen le droit de se plaindre auprès du Commissaire à la protection de la vie privée et de demander à la Cour fédérale d’examiner les actions des autorités, de sorte que cela impose une obligation au responsable de l’institution qui met en œuvre la politique générale de ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements personnels, à savoir l’obligation de veiller à ce que les renseignements soient examinés et soient de fait visés par les exceptions revendiquées d’une façon hypothétique.

Les motifs et conclusions du juge des requêtes ne faisaient pas expressément mention de l’alinéa 22(1)a), de sorte qu’ils laissent planer un doute au sujet de la question de savoir si le juge a examiné l’exercice du pouvoir discrétionnaire du MAE à l’égard de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a). Étant donné que l’un des objectifs de la Loi est d’assurer à un citoyen la communication des renseignements personnels détenus par le gouvernement, un nouvel examen devrait être effectué à l’égard de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a).

L’alinéa 22(1)b) n’autorise pas un refus de communication dans les cas où la communication pourrait avoir un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête en général. Pareil élargissement de l’alinéa 22(1)b) aurait pour effet de rendre l’alinéa 22(1)a) redondant puisque tout ce qui est fait au cours d’une enquête licite ainsi que les renseignements recueillis par suite de cette enquête seraient visés par l’alinéa 22(1)b). De plus, la période de 20 ans qui s’applique à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a) n’aurait plus aucun sens si les renseignements pouvaient désormais être conservés pour toujours conformément à l’alinéa 22(1)b). En outre, l’exception relative aux renseignements donnés par un tiers figurant à l’article 19 deviendrait inutile si les renseignements confidentiels avaient été obtenus de ce tiers au cours d’une enquête. Enfin, aucun des exemples énumérés aux sous-alinéas 22(1)b)(i), (ii) et (iii) ne se rapporte aux méthodes d’enquête en général. Le juge qui a effectué l’examen n’aurait pas dû étendre la notion de préjudice figurant à l’alinéa 22(1)b) au-delà du préjudice subi au cours d’une enquête déterminée.

(ii) Étant donné qu’il a été conclu que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) n’a pas été correctement appliquée, les renseignements versés dans les fichiers 010 et 015 du SCRS devraient être examinés à nouveau de façon à permettre de découvrir quels renseignements, le cas échéant, ne sont pas visés par cette exception.

L’exception prévue à l’article 19 n’est pas une interdiction absolue. Le paragraphe 19(2) autorise le responsable d’une institution à communiquer les renseignements si le tiers a donné son consentement. L’autorité qui revendique l’exception doit s’assurer que le tiers ne consent pas à la communication parce que le demandeur ne sait même pas s’il existe des renseignements personnels et qui est le tiers qui a fourni les renseignements; même si on lui disait qui est le tiers en question, il ne saurait pas nécessairement à qui adresser sa demande de consentement. Le demandeur ne connaît pas le contenu des renseignements et ce à quoi ils se rapportent; il n’est donc pas en mesure de fournir au tiers tous les détails pertinents nécessaires tant pour permettre de déterminer avec exactitude les questions qui se posent que pour obtenir le consentement de ce tiers. Enfin, il est injuste dans ces conditions d’imposer au demandeur une obligation à laquelle il est presque impossible de satisfaire. À toutes fins utiles, la possibilité d’obtenir une communication consensuelle des renseignements devient si éloignée qu’elle est presque inexistante. Des considérations politiques et pratiques peuvent empêcher l’obtention d’un consentement sur une base individuelle et mener à l’établissement de protocoles qui respectent l’esprit et la lettre de la Loi et de l’exception. La revendication par le défendeur, en vertu de l’article 19, d’une exception valide à l’égard de la communication des renseignements personnels devrait être examinée de façon à s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers qui avait fourni les renseignements en question.

L’équilibre entre les raisons d’intérêt public et la violation de la vie privée exigé par le sous-alinéa 8(2)m)(i), n’a pas à être établi par rapport à chaque élément d’information concernant chaque personne visée par cette information. L’appréciation des différents intérêts relève du pouvoir discrétionnaire du responsable de l’institution. Le pouvoir discrétionnaire est accordé en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) en vue de protéger l’intérêt des citoyens canadiens en matière de vie privée. Le droit à la vie privée peut être interprété d’une façon stricte comme se rapportant à la protection de la vie privée des individus ou comme un principe général, sans tenir compte d’individus particuliers. La mesure dans laquelle il devrait être tenu compte d’une façon plus ou moins précise de l’intérêt en matière de vie privée dépend en bonne partie des faits de chaque affaire. On ne savait pas trop si le SCRS avait tenu compte du sous-alinéa 8(2)m)(i) en refusant la communication de renseignements concernant des tiers et si, par conséquent, il avait appliqué de la façon appropriée l’exception revendiquée conformément à l’article 26. Il n’était pas non plus clair que le juge qui avait effectué l’examen était convaincu que le SCRS avait tenu compte de l’exception ou s’il en avait lui-même tenu compte. Il faudrait effectuer un nouvel examen des renseignements personnels versés dans les fichiers 010 et 015 qui ont été demandés en vue de déterminer si le SCRS a appliqué de la façon appropriée l’exception prévue à l’article 26 de la Loi.

3) Le juge qui a effectué l’examen était d’avis qu’il est sensé pour la Cour d’entendre des arguments en l’absence d’une partie dans une instance visant à la contestation de pareil refus. Pareille preuve aide le juge dans son examen et lui permet de s’assurer que les renseignements confidentiels ou secrets ne seront pas communiqués au public ou au demandeur lorsque l’exception revendiquée est justifiée. Le juge qui a effectué l’examen était d’avis que l’audition d’arguments en l’absence d’une partie constitue un compromis efficace généralement sensé. Cela ne veut pas pour autant dire que le juge a limité ou irrégulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en vue d’accepter pareille preuve dans ce cas-ci. Ce moyen d’appel doit être rejeté.

4) L’affidavit de M. Copeland aurait dû être admis aux fins du contrôle judiciaire. Il satisfaisait tant au critère de la pertinence logique qu’au critère de la pertinence juridique en ce sens que sa valeur l’emportait sur les répercussions qu’il avait sur la procédure, c’est-à-dire sur son effet préjudiciable. Afin de satisfaire au critère de la nécessité, l’opinion d’expert doit être nécessaire « au sens qu’elle fournit des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury ». Le déclarant énonce certains faits se rapportant aux renseignements qu’un juge qui effectue un examen est susceptible de ne pas connaître d’office. Enfin, l’affidavit Copeland n’aurait pas dû être exclu à cause de la partialité possible du déclarant. Ce facteur se rapporte à la crédibilité de la preuve plutôt qu’à son admissibilité.

5) L’appelant a maintenu que l’audience obligatoire à huis clos et en l’absence d’une partie empêche un individu d’obtenir des renseignements utiles au sujet de la raison pour laquelle la communication a été refusée, ce qui empêche la personne concernée de présenter des arguments intelligents au sujet de la raison pour laquelle le gouvernement a agi d’une façon irrégulière en refusant la communication des renseignements demandés. L’appelant a soutenu que, pour remédier à cette absence d’information, le droit doit fournir aux personnes concernées une description des renseignements retenus qui soit suffisante pour leur permettre de contester le refus de communication du gouvernement. Cet argument ne pouvait pas être retenu, et ce, pour trois raisons : 1) La solution proposée n’est pas pratique dans les cas où le défendeur est autorisé, en vertu du paragraphe 16(2), à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements ainsi que dans les cas comportant un grand nombre de documents ou un petit nombre de documents compliqués; 2) Même si l’article 51 conférait un pouvoir discrétionnaire au juge, il est presque certain que si le défendeur présentait des éléments de preuve appropriés tendant à montrer que les renseignements non divulgués mettent en cause la sécurité nationale ou des renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel, le juge exercerait son pouvoir discrétionnaire en faveur de la Couronne et entendrait l’affaire à huis clos et, sur demande, en l’absence d’une partie. En outre, le fait que la législation limite la nature obligatoire de l’article 51 à l’examen de la non-communication des renseignements décrits aux articles 19 et 21 démontre que le législateur était parfaitement au courant de la nécessité de veiller à ce que la procédure de communication soit la plus ouverte possible. Les exceptions font partie d’un sous-ensemble restreint et elles se justifient; 3) La mesure proposée par l’appelant n’a aucun rapport avec la violation alléguée de la Charte. Si l’on suppose que l’article 51 porte atteinte à la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte et qu’il ne se justifie pas au regard de l’article premier, le redressement constitutionnel logique consiste à remplacer le libellé obligatoire de l’article 51 par une disposition discrétionnaire. En fait, l’article 51 serait remplacé par les dispositions procédurales générales de l’article 46, qui n’oblige pas le juge qui effectue l’examen à préparer un sommaire judiciaire de la preuve contenue dans un affidavit confidentiel lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est exercé en vue d’accepter pareils documents à huis clos et en l’absence d’une partie. En fait, l’appelant demande à la cour de rédiger de nouveau tant les articles 46 et 51 en présumant erronément que l’article 51 est inconstitutionnel. L’alinéa 51(2)a) et le paragraphe 51(3) violent l’alinéa 2b) de la Charte, mais ils se justifient au regard de l’article premier de la Charte.

Les dispositions obligatoires de l’article 51 portant sur les audiences à huis clos et en l’absence d’une partie ne mettent pas en cause les libertés reconnues à l’article 7 de la Charte. L’article 51 est simplement une disposition procédurale visant à empêcher la communication accidentelle de renseignements touchant la sécurité nationale ou de renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel et il est lié à une procédure qui, en fin de compte, exige simplement que tous les renseignements personnels soient divulgués au juge pour qu’il puisse déterminer si les exceptions revendiquées par le responsable de l’institution sont justifiées. Pareille protection procédurale qui, dans certains cas, prévoit la tenue d’une audience à huis clos en l’absence d’une partie à l’égard d’un refus de communication, ne « prive » pas le demandeur de sa liberté. La collecte, l’utilisation et la diffusion de renseignements personnels mettent en cause le droit à la vie privée et l’article 7 de la Charte plutôt que le droit d’accès prévu à l’article 12.

LOIS ET RÉGLEMENTS

Archives Act 1983, No. 79, 1983 (Aust.).

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b), 7, 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 185 (mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 5; 1997, ch. 18, art. 8; ch. 23, art. 4), 186(1)e) (mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 6), 187 (mod., idem, art. 7), 196 (mod., idem, art. 14; 1997, ch. 23, art. 7).

Freedom of Information Act, 5 U.S.C. § 552 (1994).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 11.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 15, 16(1), 48.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 4, 5, 6, 8, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 21, 22, 26, 27, 29 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37), 30, 31, 32, 33, 34 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187), 35, 36, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51.

Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83, ch. 110, art. 4(1).

Loi sur les secrets officiels, L.R.C. (1985), ch. O-5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265; (1988), 52 D.L.R. (4th) 671; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 186 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254; (1990), 57 C.C.C. (3d) 115; 77 C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. 79; 110 N.R. 321; 41 O.A.C. 81; Julius v. Bishop of Oxford (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.); Rubin c. Canada (Ministre des Transports),[1998] 2 C.F. 430 (1997), 154 D.L.R (4th) 414; 221 N.R. 145 (C.A.); Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 54; 53 F.T.R. 147 (C.F. 1re inst.); conf. par (1993), 13 Admin. L.R. (2d) 304; 154 N.R. 319 (C.A.F.); Bland c. Canada (Commission de la capitale nationale), [1991] 3 C.F. 325(abrégé); (1991), 36 C.P.R. (3d) 289; 41 F.T.R. 202 (1re inst.); R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; (1994), 114 D.L.R. (4th) 419; 889 C.C.C. (3d) 402; 29 C.R. (4th) 243; 166 N.R. 245; 71 O.A.C. 241; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877; (1998), 38 O.R. (3d) 735; 159 D.L.R. (4th) 385; 226 N.R. 1; 109 O.A.C. 201; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; (1999), 244 A.R. 201; 180 D.L.R. (4th) 1; [2000] 2 W.W.R. 180; 75 Alta. L.R. (3d) 1; 139 C.C.C. (3d) 321; 28 C.R. (5th) 207; 248 N.R. 101.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Michaud c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 3; (1996), 138 D.L.R. (4th) 423; 109 C.C.C. (3d) 289; 1 C.R. (5th) 1; 201 N.R. 241.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. v. Finlay and Grellette (1985), 52 O.R. (2d) 632; 23 D.L.R. (4th) 532; 23 C.C.C. (3d) 48; 48 C.R. (3d) 341; 18 C.R.R. 132; 11 O.A.C. 279 (C.A.); Falconbridge Nickel Mines Ltd. and Minister of Revenue for Ontario, Re (1981), 121 D.L.R. (3d) 403; [1981] C.T.C. 120 (C.A. Ont.); Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161; Dagenais c. Société Radio-Canada., [1994] 3 R.C.S. 835; (1994), 120 D.L.R. (4th) 12; 94 C.C.C. (3d) 289; 34 C.R. (4th) 269; 25 C.R.R. (2d) 1; 175 N.R. 1; 76 O.A.C. 81.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421; (1990), 80 C.R. (3d) 317; Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (1989), 36 Admin. L.R. 251; 47 C.C.C. (3d) 104; 24 C.P.R. (3d) 129; 98 N.R. 126 (C.A.); Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229; (1988), 53 D.L.R. (4th) 568 (1re inst.); conf. par (1992), 88 D.L.R. (4th) 575; 5 Admin. L.R. (2d) 269; 140 N.R. 315 (C.A.F.); D. R. Fraser and Co., Ld. v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24 (P.C.); Dergousoff v. Dergousoff, [1999] 10 W.W.R. 633; (1999), 177 Sask. R. 64; 48 R.F.L. (4th) 1 (C.A. Sask.); Standard Trustco Ltd. (Trustee of) v. Standard Trust Co. (1995), 26 O.R. (3d) 1; 129 D.L.R. (4th) 18; 30 C.B.R. (3d) 1; 86 O.A.C. 1 (C.A.); Heare v. Insurance Corp. of British Columbia (1986), 32 D.L.R. (4th) 427; 7 B.C.L.R. (2d) 244; 23 C.C.L.I. 50; 45 M.V.R. 61 (C.S.C.-B.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (C.A.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 96; 82 C.P.R. (3d) 290; 140 F.T.R. 140 (C.F. 1re inst.); R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223; (1993), 108 D.L.R. (4th) 47; 85 C.C.C. (3d) 193; 25 C.R. (4th) 1; 159 N.R. 81; 66 O.A.C. 161; R. v. Terceira (1998), 38 O.R. (3d) 175; 123 C.C.C. (3d) 1; 15 C.R. (5th) 359; 107 O.A.C. 15 (C.A.); R. v. Buric (1996), 28 O.R. (3d) 737; 106 C.C.C. (3d) 97; 48 C.R. (4th) 149; 90 O.A.C. 321(C.A.); conf. par [1997] 1 R.C.S. 535; (1997), 32 O.R. (3d) 320; 114 C.C.C. (3d) 95; 209 N.R. 241; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 13; 55 D.L.R. (4th) 503; 229 A.P.R. 13; 45 C.C.C. (3d) 244; 66 C.R. (3d) 348; 10 M.V.R. (2d) 1; 89 N.R. 249; R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315; (1994), 122 D.L.R. (4th) 1; 26 C.R.R. (2d) 202; 176 N.R. 161; 78 O.A.C. 1; 9 R.F.L. (4th) 157; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; (1995), 130 D.L.R. (4th) 235; [1996] 2 W.W.R. 153; 68 B.C.A.C. 1; [1996] B.C.W.L.D. 337; 103 C.C.C. (3d) 1; 44 C.R. (4th) 1; 33 C.R.R. (2d) 1; 191 N.R. 1; 112 W.A.C. 1.

DOCTRINE

Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, loose-leaf ed. Toronto : Canvasback, 1998.

Canadian Law Dictionary. Toronto : Law and Business Publications (Canada) Inc., 1980, « may ».

Craig, J. D. « Invasion of Privacy and Charter Values : The Common-Law Tort Awakens » (1997), 42 R.D. McGill 355.

Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 3rd ed. loose-leaf. Aurora, Ont. : Canada Law Book.

Répertoire de renseignements personnels, 1988. Ottawa : Approvisionnements et Services, 1988.

APPELS du rejet de recours en révision concernant les décisions rendues par le Commissaire à la protection de la vie privée à l’égard de plaintes découlant du refus de la GRC et du ministère des Affaires extérieures (A-872-97) ainsi que du SCRS (A-873-87) de communiquer des renseignements personnels au sujet de l’appelant (Ruby c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [1988] 2 C.F. 351; (1997), 11 Admin. L.R. (3d) 132; 140 F.T.R. 42 (1re inst.)) et concernant la décision selon laquelle l’article 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’est pas inconstitutionnel (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [1996] 3 C.F. 134; (1996), 136 D.L.R. (4th) 74; 113 F.T.R. 13 (1re inst.)). L’appel dans le dossier A-872-97 devrait être accueilli en partie; l’appel dans le dossier A-873-97 devrait être accueilli; l’appel dans le dossier A-52-98 devrait être rejeté.

ONT COMPARU :

Clayton Ruby et Jill Copeland pour l’appelant (demandeur).

Barbara A. McIsaac, c.r. et Gregory Tzemenakis pour les intimés (défendeurs).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ruby & Edwardh, Toronto, pour l’appelant (demandeur).

McCarthy Tétrault, Ottawa, pour les intimés (défendeurs).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Les juges Létourneau et Robertson, J.C.A. : Les dossiers A-52-98, A-872-97 et A-873-97 se rapportent à trois appels interjetés contre des décisions rendues par deux juges différents de la Section de première instance [[1996] 3 C.F. 134 [1998] 2 C.F. 351. Ils se rapportent aux tentatives que l’appelant a faites pour obtenir, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la Loi) la communication de renseignements personnels détenus par la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC), le ministère des Affaires extérieures (le MAE) et le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS).

[2]        Les trois appels ont été entendus ensemble. Ils visent fondamentalement à l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que possédait le juge de la Section de première instance ainsi qu’à l’examen de l’interprétation de la portée des exceptions, y compris la charge de la preuve y afférente, sur lesquelles se fondaient les trois organismes fédéraux ici en cause pour refuser la communication de renseignements à l’appelant; ils visent également à l’obtention d’une décision relative à la constitutionnalité de certaines dispositions de l’article 51 de la Loi. À cet égard, l’appelant soutient que la procédure prévue par cette disposition viole l’alinéa 2b) (la liberté de la presse), l’article 7 (le droit à la sécurité de sa personne) et l’article 8 (le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives) de la Charte canadienne des droits et libertés[1] (la Charte).

[3]        Nous examinerons d’abord le bien-fondé de chaque appel dans les dossiers A-872-97 et A-873-97 [[1998] 2 C.F. 351 (1re inst.)], puis la question constitutionnelle qui se pose dans le dossier A-52-98 [[1996] 3 C.F. 134 (1re inst.)].

Les faits

[4]        L’appelant s’est vu refuser l’accès à des fichiers de renseignements personnels tenus par le SCRS, le MAE et la GRC. Il a d’abord demandé l’accès au fichier CMP/P-PU-005 (le fichier 005), concernant les dossiers opérationnels tenus par la GRC.

[5]        Dans une deuxième demande, l’appelant a sollicité l’accès au fichier DEA/P-PU-040 (le fichier 040) tenu par le MAE, comme le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international s’appelait alors.

[6]        Enfin, une troisième demande, qui a été rejetée par le solliciteur général du Canada, visait à l’obtention de l’accès au fichier de renseignements personnels SIS/P-PU-010 (le fichier 010) tenu par le SCRS.

[7]        Les trois fichiers auxquels l’appelant a sollicité l’accès ont été établis conformément à l’article 10 de la Loi et ont été désignés et décrits, conformément à l’article 11, dans le Répertoire de renseignements personnels, 1988 publié par le gouvernement.

La demande rejetée par la GRC dans le dossier A-872-97

[8]        Tous les documents identifiés en réponse à la demande initiale de l’appelant auraient été conservés dans un dossier d’enquête ouvert par suite d’une demande adressée à la GRC par le ministère de l’Emploi et de l’Immigration, qui demandait qu’une enquête soit menée au sujet d’une violation possible de la Loi sur les secrets officiels, L.R.C. (1985), ch. O-5. L’enquête résultait de la divulgation du Guide de l’immigration au Globe and Mail, mais aucune accusation n’a été portée.

[9]        Le 22 mars 1988, l’appelant a demandé à la GRC la communication de [traduction] « tous les renseignements à [s]on sujet conservés à Toronto et à Ottawa » dans le fichier 005; l’accès lui a été refusé quelques mois plus tard. On a informé l’appelant qu’il n’y avait aucun document à Ottawa et que les documents qui étaient à Toronto étaient inconsultables en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) et de l’article 27 de la Loi. Ces deux dispositions confèrent le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication de renseignements personnels, et ce, qu’ils aient été obtenus par un organisme d’enquête au cours d’une enquête licite (sous-alinéa 22(1)a)(ii)) ou qu’ils soient protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client (article 27).

[10]      Par une lettre datée du 18 octobre 1988, l’appelant a officiellement déposé une plainte devant le Commissaire à la protection de la vie privée au sujet du refus de la GRC. Le 31 janvier 1990, le Commissaire a confirmé le refus. L’appelant a exercé un recours en révision de la décision de refus conformément à l’article 41 de la Loi.

[11]      Après qu’une demande eut été présentée à la Section de première instance, la GRC a reconnu, en 1992, que par suite d’un changement de politique postérieur à la demande initiale de l’appelant, certains renseignements pouvaient désormais être communiqués à celui-ci. La GRC a entrepris un examen des renseignements qui avaient été identifiés et, sur 42 documents en sa possession, elle a communiqué six documents à l’appelant, en retranchant certains renseignements des pages communiquées.

[12]      Un répertoire de tous les documents qui avaient été identifiés en réponse à la demande de l’appelant a été produit. Il y est fait mention d’un document, composé de quatre pages, qui renfermerait des renseignements personnels concernant l’appelant, que la GRC a refusé de communiquer en se fondant sur les exceptions prévues au sous-alinéa 22(1)a)(ii) et à l’article 27. Ce document était décrit comme suit dans le répertoire (dossier d’appel, page 123)[2] :

[traduction] Lettre en date du 29 mars 1978 du ministère de la Justice au chef de la Police criminelle, division O, concernant l’opportunité de mener certaines enquêtes.

C’est le seul document de la GRC qui était encore en litige devant la Section de première instance et qui l’est également devant nous.

La demande rejetée par le MAE dans le dossier A-872-97

[13]      En ce qui concerne la demande que l’appelant a présentée en vue d’avoir accès au fichier 040 tenu par le MAE, une lettre datée du 8 juillet 1998 informait ce dernier que, conformément à l’article 16 de la Loi, le MAE ne confirmerait pas ou ne nierait pas l’existence des renseignements demandés, mais que si ces renseignements existaient, ils pouvaient avec raison être considérés comme inconsultables en vertu des alinéas 22(1)a) et b) de la Loi. De fait, le MAE avait comme politique de ne jamais communiquer les renseignements qui étaient dans le fichier 040.

[14]      L’auteur de l’affidavit du MAE a expliqué la raison pour laquelle on n’indiquait jamais aux demandeurs s’il y avait des renseignements personnels à leur sujet dans le fichier 040. Le MAE cherchait à empêcher les tentatives de la part de personnes qui faisaient systématiquement des demandes et qui essayaient, à l’aide des réponses fournies, de découvrir le genre de renseignements que le MAE possédait. (Voir le dossier d’appel, pages 34 et 35.)

[15]      La plainte subséquente que l’appelant a déposée devant le Commissaire à la protection de la vie privée a donné lieu à une enquête de la part du Commissaire, qui a conclu que la position du MAE constituait une application raisonnable de la Loi, en ce sens que confirmer ou nier l’existence de renseignements peut nuire au déroulement d’enquêtes licites.

[16]      La GRC et le MAE ont déposé des affidavits supplémentaires secrets assujettis à une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour. La GRC a fourni les documents demandés qui renfermaient des renseignements personnels sur l’appelant alors que le MAE a indiqué s’il existait des renseignements personnels sur l’appelant dans le fichier en question et, dans l’affirmative, pourquoi les renseignements en question étaient inconsultables en vertu des alinéas 22(1)a) et b) de la Loi. Sur ordonnance de la Cour, la preuve par affidavit serait mise à la disposition du juge de la Section de première instance chargé de l’affaire pour examen en l’absence d’une partie et à huis clos.

La demande rejetée par le SCRS dans le dossier A-873-97

[17]      Par une lettre en date du 22 mars 1988, l’appelant a demandé la communication des renseignements versés dans le fichier 010 du SCRS. Ce fichier renferme des renseignements délicats et courants d’ordre opérationnel relatifs à des individus que l’on peut soupçonner, pour des motifs raisonnables, de se livrer à des activités préjudiciables aux intérêts du Canada (à savoir, des activités d’espionnage ou de sabotage).

[18]      En réponse à la demande de l’appelant, le SCRS a refusé de confirmer ou de nier l’existence des renseignements demandés. Il a ajouté que, si ces renseignements existaient, ils ne pourraient être divulgués aux termes des articles 19, 21, 22 et 26 de la Loi.

[19]      Le SCRS a finalement fourni certains renseignements, mais pas tous les renseignements qui, de l’avis du Commissaire, devaient être communiqués, les documents fournis se trouvant dans un deuxième fichier, le fichier SIS/P-PU-015 (le fichier 015), renfermant des renseignements plus anciens qui étaient en général du même genre que ceux qui se trouvaient dans le fichier 010. Initialement, l’appelant n’avait pas mentionné le fichier 015.

[20]      L’appelant a déposé une plainte devant le Commissaire à la protection de la vie privée au sujet de la réponse donnée par le SCRS. Le Commissaire a conclu qu’en ce qui concerne le fichier 010, la plainte n’était pas fondée. Le refus du SCRS de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels dans le fichier 010 respectait les exigences du paragraphe 16(2) de la Loi.

[21]      À la suite d’une autre enquête menée par le Commissaire ainsi que d’un changement de politique du SCRS en matière de communication, des renseignements personnels additionnels versés dans le fichier 015 ont été communiqués à l’appelant. Le SCRS a affirmé que les autres documents concernant l’appelant qui se trouvaient dans le fichier 015 n’avaient pas été communiqués parce qu’ils étaient inconsultables en vertu des mêmes dispositions de la Loi que celles qui étaient invoquées à l’égard du fichier 010. Le Commissaire a confirmé le refus du SCRS de communiquer les renseignements en question, à l’exception de deux documents qui ont en fin de compte été communiqués.

[22]      L’appelant a contesté en vain devant la Cour fédérale, au moyen d’une demande de révision fondée sur l’article 41 de la Loi, les décisions que les organismes avaient prises de lui refuser l’accès aux fichiers 010 et 015 du SCRS, au fichier 005 de la GRC et au fichier 040 du MAE.

Le contexte législatif

[23]      Pour mieux comprendre les arguments des parties à l’instance ainsi que la décision du juge de la Section de première instance [[1998] 2 C.F. 351 (le juge), il faut reproduire les dispositions pertinentes de la Loi qui sont à l’origine du présent litige :

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.

[…]

accès aux renseignements personnels

Droits d’accès

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent, au sens de la Loi sur l’immigration, a le droit de se faire communiquer sur demande :

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

[…]

16. (1) En cas de refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1), l’avis prévu à l’alinéa 14a) doit mentionner, d’une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée et, d’autre part :

a) soit le fait que le dossier n’existe pas;

b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient.

(2) Le paragraphe (1) n’oblige pas le responsable de l’institution fédérale à faire état de l’existence des renseignements personnels demandés.

[…]

exceptions

Fichiers inconsultables

18. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, classer parmi les fichiers de renseignements personnels inconsultables, dénommés fichiers inconsultables dans la présente loi, ceux qui sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22.

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont versés dans des fichiers inconsultables.

(3) Tout décret pris en vertu du paragraphe (1) doit porter :

a) une mention de l’article sur lequel il se fonde;

b) de plus, dans le cas d’un fichier de renseignements personnels formé de dossiers dans chacun desquels dominent des renseignements visés au sous-alinéa 22(1)a)(ii), la mention de la loi dont il s’agit.

[…]

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus à titre confidentiel :

a) des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes;

b) des organisations internationales d’États ou de leurs organismes;

c) des gouvernements provinciaux ou de leurs organismes;

d) des administrations municipales ou régionales constituées en vertu de lois provinciales ou de leurs organismes.

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication des renseignements personnels visés au paragraphe (1) si le gouvernement, l’organisation, l’administration ou l’organisme qui les a fournis :

a) consent à la communication;

b) rend les renseignements publics.

[…]

22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait :

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête;

[…]

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)b), « enquête » s’entend de celle qui :

a) se rapporte à l’application d’une loi fédérale;

b) est autorisée sous le régime d’une loi fédérale;

c) fait partie d’une catégorie d’enquêtes précisée dans les règlements.

[…]

26. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’article 8.

27. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

[…]

révision par la cour fédérale

41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

[…]

46. (1) À l’occasion des procédures relatives aux recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c’est indiqué, par la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie, pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait ou celui de quiconque :

a) des renseignements qui justifient un refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) ou de renseignements contenus dans un document demandé sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information;

b) des renseignements faisant état de l’existence de renseignements personnels que le responsable d’une institution fédérale a refusé de communiquer sans indiquer s’ils existaient ou non.

(2) Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d’infractions aux lois fédérales ou provinciales par un cadre ou employé d’une institution fédérale, la Cour peut faire part à l’autorité compétente des renseignements qu’elle détient à cet égard.

47. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels ou le bien-fondé du versement de certains dossiers dans un fichier inconsultable classé comme tel en vertu de l’article 18 incombe à l’institution fédérale concernée.

48. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de l’individu qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication de renseignements personnels fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 49, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

49. Dans les cas où le refus de communication des renseignements personnels s’appuyait sur les articles 20 ou 21 ou sur les alinéas 22(1)b) ou c) ou 24a), la Cour, si elle conclut que le refus n’était pas fondé sur des motifs raisonnables, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu qui avait fait la demande; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

[24]      Avant d’examiner les exceptions précises invoquées par les autorités, nous nous proposons de régler une question préliminaire soulevée par l’appelant au sujet de chaque exception, soit la question de savoir qui a la charge de la preuve dans un cas comme celui-ci.

La charge de la preuve relative aux exceptions qui ont été alléguées et appliquées

[25]      En vertu de l’article 47 de la Loi, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels incombe au responsable de l’institution fédérale. L’appelant se plaint, dans le contexte des exceptions discrétionnaires, que le juge a renversé la charge en lui imposant l’obligation de démontrer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une façon irrégulière et que, par conséquent, les exceptions ont été appliquées d’une façon irrégulière. Il s’est fondé à l’appui sur le passage suivant figurant aux pages 370 et 371 de la décision du juge :

[…] à moins que le requérant ne soulève un motif suffisant pour remettre en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la Cour, dans son examen des documents dont on a refusé la communication, tient pour acquis que le responsable de l’institution fédérale ou son délégué ont respecté l’obligation publique qui leur incombe, c’est-à-dire qu’ils ont exercé régulièrement leur pouvoir discrétionnaire. Bien entendu, si à première vue ce pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé abusivement, la Cour peut elle-même le remettre en question. Dans le cas contraire ou si le requérant ne fait valoir aucun motif à cet égard, la Cour présume que le pouvoir discrétionnaire a été exercé à bon droit. Agir autrement, en imposant aux intimés la charge initiale de démontrer dans chaque cas qu’ils ont exercé régulièrement leur pouvoir discrétionnaire, entraînerait des procédures impossibles à gérer et constituerait, en l’espèce comme en d’autres affaires, une forme de contrôle judiciaire abusive.

[26]      Il est certain que l’appelant se trouve dans une situation peu enviable, sinon impossible, s’il lui incombe de contester que le responsable de l’institution a exercé d’une façon régulière son pouvoir discrétionnaire en refusant la communication des renseignements personnels demandés, et ce, parce qu’il ne sait absolument pas quels renseignements le fichier contient à son sujet, parce qu’il ne connaît pas la nature de pareils renseignements, parce qu’il ne sait pas dans quelles circonstances et de quelle façon les renseignements ont été obtenus, ou à quel moment et à quel endroit ils peuvent avoir été recueillis et parce qu’il ne connaît pas la source de ces renseignements. Sa tâche est d’autant plus ardue si l’institution refuse carrément de confirmer ou de nier l’existence de renseignements le concernant.

[27]      De fait, l’appelant allègue qu’il s’est trouvé dans une situation analogue à celle de la personne qui demandait l’accès à un paquet scellé en vertu d’une autorisation d’écoute électronique avant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Garofoli[3]; nous souscrivons à son avis. Pour avoir accès au paquet, l’accusé devait prouver la fraude ou la non-divulgation de renseignements pertinents de la part de la personne qui avait demandé l’autorisation d’écoute électronique. Comme le juge Martin, de la Cour d’appel de l’Ontario, l’a dit dans l’arrêt R. v. Finlay and Grellette[4] :

[traduction] L’avocat des appelants a affirmé que, par suite de la restriction imposée au droit d’accès de l’accusé au contenu du paquet scellé, l’accusé se trouve dans une situation impossible. Pour établir s’il y a eu fraude ou non-divulgation, il doit avoir accès au contenu du paquet scellé, mais il ne peut y avoir accès à moins de prouver la fraude ou la non-divulgation.

[28]      En l’espèce pour déterminer si le responsable de l’institution fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon irrégulière, l’appelant doit avoir accès aux renseignements personnels et au dossier de la Cour, mais il ne peut pas obtenir l’accès à ces renseignements et à ce dossier à moins d’avancer les motifs pour lesquels il conteste l’exercice dudit pouvoir discrétionnaire.

[29]      Nous sommes conscients du fait que, dans l’arrêt Michaud c. Québec (Procureur général)[5], la Cour suprême a fait une distinction entre le cas d’un accusé et celui d’une partie intéressée non accusée qui cherche à avoir accès à un paquet scellé dans une affaire d’écoute électronique. Dans cette affaire-là, le juge en chef Lamer, au nom de la majorité, a statué que, contrairement à l’accusé dont le droit constitutionnel à une défense pleine et entière est en cause, une personne non accusée doit démontrer l’existence d’un motif valable afin d’obtenir l’accès, c’est-à-dire qu’elle « doit démontrer qu’il existe plus qu’un simple soupçon que les policiers ont mal agi; elle sera habituellement tenue de produire certains éléments de preuve semblant indiquer que l’autorisation a été obtenue par fraude ou en raison d’une non-divulgation volontaire par la police ».

[30]      L’on serait tenté de trouver cette décision rassurante, compte tenu en particulier du parallèle établi par l’appelant, et de conclure que dans ce cas-ci, le juge a eu raison de présumer que les autorités ont légitimement exercé leur pouvoir discrétionnaire et d’imposer à l’appelant la charge d’avancer des motifs valables pour remettre en question pareil exercice. Toutefois, la situation est différente dans des affaires de communication de renseignements confidentiels étant donné que l’article 47 de la Loi impose au responsable de l’institution fédérale la charge de prouver l’existence d’une exception. Nous reviendrons ci-dessous sur la portée de cette obligation. Il suffit pour le moment de dire que, à notre avis, cela comprend tant la charge de prouver que les conditions applicables à l’exception sont remplies que la charge de prouver que le pouvoir discrétionnaire conféré au responsable de l’institution a été exercé d’une façon régulière. En outre, à notre avis, il y a un si grand nombre de différences fondamentales nécessaires entre la situation de l’appelant et celle d’une partie intéressée non accusée dans une affaire d’écoute électronique qu’il serait erroné de se fonder ici sur l’approche adoptée par la Cour suprême dans cette affaire-là.

[31]      Premièrement, dans un cas d’écoute électronique, c’est la règle de la confidentialité qui s’applique, l’accessibilité étant l’exception. C’est l’opposé de la règle qui est énoncée dans la Loi, où l’accessibilité est la règle, et la confidentialité l’exception. L’article 187 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 7], prévoit que tous les documents relatifs à une demande sont placés dans un paquet et qu’ils ne sont ouverts qu’à certaines fins énumérées, alors que l’article 12 de la Loi prévoit que tout citoyen canadien et tout résident permanent ont le droit de se faire communiquer sur demande des renseignements personnels sauf lorsqu’un fichier est inconsultable et lorsque des exceptions précises s’appliquent.

[32]      Deuxièmement, la demande d’accès au paquet scellé, dans une affaire d’écoute électronique, est uniquement faite après un examen judiciaire initial. En fait, le juge a déjà conclu, en se fondant sur la demande et sur les affidavits présentés à l’appui, qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un crime a été commis et qu’il convient d’intercepter les communications privées d’un citoyen. En outre, le Code criminel fournit une protection additionnelle. L’autorisation de porter atteinte à la vie privée d’un citoyen peut uniquement être demandée à des juges spécialement désignés à cette fin elle ne peut être demandée que par le procureur général, par le solliciteur général ou par des mandataires spécialement désignés[6]. Aucune de ces protections n’existe en vertu de la Loi et il n’y a pas d’examen préliminaire de la décision d’une institution fédérale de rassembler, de conserver et d’utiliser des renseignements personnels.

[33]      Troisièmement, la demande d’autorisation et l’autorisation elle-même sont assujetties à des conditions rigoureuses quant à la forme et au fond, lesquelles, compte tenu de l’examen judiciaire, fournissent une protection contre une violation indue et inutile de la vie privée[7]. Aucun contrôle a priori de ce genre n’existe en vertu de la Loi; c’est l’institution fédérale qui exerce son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la collecte, de l’utilisation et de la communication des renseignements personnels. D’où la nécessité, à notre avis, d’effectuer un contrôle judiciaire subséquent, d’examiner minutieusement l’exercice du pouvoir discrétionnaire en cause.

[34]      Quatrièmement, le citoyen qui a fait l’objet d’une interception licite de ses communications privées est avisé par écrit de la chose dans les 90 jours qui suivent la période pour laquelle l’autorisation a été donnée ou renouvelée, à moins que cette période n’ait légitimement été modifiée[8]. Puis, le citoyen ainsi avisé peut du moins soutenir qu’il a des motifs raisonnables de croire que certaines des conditions rigoureuses qui s’appliquent à la demande d’autorisation et à l’autorisation elle-même ne sont pas remplies.

[35]      C’est ce que M. Michaud avait fait; en effet, il avait soutenu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que la demande ne révélait pas son statut d’avocat, en violation de l’alinéa 185(1)e) du Code criminel. M. Michaud pouvait également soutenir que la demande résultait de pressions administratives internes indues ou qu’il avait des motifs raisonnables de croire que les intérêts de la justice ne justifiaient pas l’octroi de l’autorisation comme l’exigeait l’alinéa 186(1)e) [mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 6] du Code criminel. En d’autres termes, M. Michaud savait qu’il y avait eu violation de sa vie privée au moyen d’une interception de ses communications privées. Il savait sur quoi portaient les renseignements ainsi rassemblés et il pouvait invoquer les garanties fournies par le Code criminel en vue d’alléguer que ces garanties n’avaient pas été respectées.

[36]      Par contre, dans ce cas-ci, on n’a même pas dit à l’appelant, ou du moins le SCRS et le MAE n’ont pas dit à l’appelant, si les fichiers auxquels l’accès était demandé contenaient des renseignements personnels le concernant. Même si une personne est mise au courant du fait qu’un fichier contient de fait des renseignements personnels la concernant, comment peut-elle, puisqu’elle ne sait pas quels renseignements sont en cause, satisfaire à la charge de la preuve si elle veut contester l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité fédérale qui refuse de communiquer les renseignements?

[37]      La situation de l’appelant ou d’une personne qui se trouve dans la même situation que l’appelant est d’autant plus grave que le contrôle judiciaire a posteriori exercé par la Cour fédérale conformément à l’article 41 de la Loi, qui vise à permettre d’examiner le pouvoir discrétionnaire exercé par les autorités, peut prendre la forme d’une audience ex parte à huis clos au cours de laquelle une preuve par affidavit secrète peut être présentée par le responsable de l’institution fédérale. Un demandeur comme l’appelant ne sait pas et ne peut pas savoir si les nouveaux éléments de preuve qui sont fournis à l’appui de l’allégation selon laquelle l’institution en cause a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon régulière se rapportent à des considérations non pertinentes ou si l’institution omet de divulguer des considérations pertinentes qui auraient pu influer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question.

[38]      À notre avis, eu égard aux circonstances de l’espèce—où l’accessibilité à des renseignements personnels est la règle et la confidentialité l’exception, où le demandeur ne sait pas quels renseignements personnels ne sont pas communiqués, où le demandeur n’a pas accès au dossier dont dispose la Cour et où il n’a pas de moyens adéquats lui permettant de vérifier la façon dont le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication a été exercé par les autorités, et où l’article 47 de la Loi impose clairement au responsable de l’institution fédérale la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels et, par conséquent, d’établir qu’elle a exercé d’une façon régulière son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une exception précise invoquéeon ne saurait imposer la charge de la preuve au demandeur. Comme cette Cour l’a dit dans l’arrêt Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèque et de logement)[9], au sujet d’une loi connexe, la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, qui renferme une disposition similaire sinon identique[10] à l’article 47 de la Loi :

En vertu de cet article, le fardeau de la preuve d’une exemption incombe à l’institution fédérale qui y prétend.

La communication est la règle générale et l’exemption, l’exception, et c’est à ceux qui réclament l’exemption de prouver leur droit à cet égard.

[39]      Il incombe à la Cour, dans un recours en révision fondé sur l’article 41 de la Loi, de s’assurer que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités administratives « a été exercé dans les limites appropriées et selon les principes appropriés »[11]. C’est pourquoi la Cour qui exerce le contrôle a accès aux documents en question en vertu de l’article 45 de la Loi. À notre avis, le demandeur qui, conformément à l’article 41 de la Loi, exerce un recours en révision du refus de communication des renseignements personnels, remet par définition en question le bien-fondé de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question; il n’a pas à en faire plus. Dans ces conditions, le demandeur ne peut pas faire mieux et on ne peut lui demander d’en faire plus.

[40]      Nous nous proposons maintenant d’examiner les demandes que l’appelant a faites en vue d’avoir accès aux divers fichiers et les exceptions précises invoquées par les autorités.

Les exceptions précises revendiquées par la GRC à l’égard du fichier 005

[41]      Comme il en a déjà été fait mention, un seul document est encore en cause en ce qui concerne le fichier 005. La GRC a allégué que les renseignements étaient visés par les exceptions prévues au sous-alinéa 22(1)a)(ii) et à l’article 27 de la Loi. Le sous-alinéa 22(1)a)(ii) est ce qu’on appelle généralement une exception relative à l’application de la loi, en vertu de laquelle les renseignements obtenus par un organisme d’enquête au cours d’enquêtes licites ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales peuvent faire l’objet d’une exception. Quel qu’ait pu être le bien-fondé de l’allégation du défendeur à ce sujet, la question n’a plus qu’un intérêt théorique. L’alinéa 22(1)a) autorise uniquement le responsable d’une institution fédérale à refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui remontent à moins de 20 ans lors de la demande. Or, en l’espèce, les renseignements remontent à au moins 20 ans. Le sous-alinéa 22(1)a)(ii) ne constitue donc plus un motif valable de refus de communication.

[42]      Toutefois, le défendeur allègue que les renseignements sont également protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client et qu’ils n’ont donc pas à être communiqués conformément à l’article 27 de la Loi.

[43]      L’appelant soutient que le juge a commis une erreur en omettant d’imposer à la GRC la charge de démontrer qu’en vertu de l’article 27 de la Loi, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer si les renseignements devaient être communiqués. Selon l’argument invoqué, il ne suffit pas que le gouvernement classe les renseignements dans la catégorie des documents protégés par le secret professionnel; la GRC doit en outre exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer si le document contenant les renseignements en question sera communiqué puisque l’article 27 est simplement de nature discrétionnaire.

[44]      Le juge était convaincu que le refus de communiquer le document était fondé sur l’article 27 de la Loi et que la GRC avait exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas le communiquer. Il a également conclu que les renseignements figurant dans le document avaient légitimement été classés comme étant visés par l’article 27. Nous avons examiné le document en question et le contexte dans lequel le refus de communication a eu lieu. Nous sommes convaincus que le juge n’a pas commis d’erreur en arrivant à la conclusion qu’il a tirée.

Les exceptions précises revendiquées par le MAE à l’égard du fichier 040

1.         L’exception prévue au paragraphe 16(2) de la Loi

[45]      L’appelant a contesté la politique du MAE de ne jamais faire état de l’existence de renseignements personnels concernant le demandeur dans le fichier 040. Il soutient que cette politique générale constitue un refus d’exercer le pouvoir discrétionnaire en cause sur une base individuelle et que cela viole donc clairement le paragraphe 16(2) de la Loi. Autrement dit, cette politique de refuser systématiquement de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels constitue une atteinte, de la part du MAE, à son pouvoir discrétionnaire.

[46]      En outre, l’appelant soutient que cette politique de refus général a pour effet de transformer en fait le fichier 040 en un fichier inconsultable sans que la politique stricte établie à l’article 18 en vue de la création d’un fichier inconsultable soit suivie.

[47]      Le juge qui a procédé à l’examen était d’avis que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 16(2) pouvait être exercé sur une base individuelle ou d’une façon systématique en tant que politique.

[48]      Avant d’examiner les arguments de l’appelant, nous croyons qu’il importe de se rappeler que le fichier 040 tenu par le MAE renferme des copies de demandes de communication de renseignements personnels reçues d’organismes d’enquête fédéraux autorisés conformément à l’alinéa 8(2)e) de la Loi[12]. Ces demandes émanant d’organismes comme le SCRS, la GRC, le ministère du Revenu national, la Police militaire des Forces canadiennes, se rapportent à des enquêtes que les organismes demandeurs sont en train d’effectuer. Les renseignements qui se trouvent dans le fichier 040 sont conservés pour une période de deux ans après le traitement de toute demande reçue par le MAE, après quoi, ils sont détruits. En l’espèce, les renseignements sont protégés à cause des procédures judiciaires en cours.

[49]      Nous sommes d’accord avec le défendeur pour dire que révéler au demandeur que le fichier contient des renseignements le concernant, ce serait lui révéler qu’il fait l’objet d’une enquête, ce qui pourrait compromettre le déroulement d’enquêtes en cours de nature délicate. De plus, si le pouvoir de faire état de l’existence de renseignements personnels conféré au paragraphe 16(2) était exercé sur une base individuelle, de sorte que l’on confirmerait parfois et que l’on nierait parfois l’existence de renseignements, il ne serait pas difficile d’imaginer que, compte tenu de la nature du fichier lui-même, un individu ou un groupe d’individus parviendraient à déterminer le champ, la portée, la longueur et l’envergure d’enquêtes en cours ou d’enquêtes connexes[13].

[50]      L’article 16, en particulier le paragraphe 16(2), est libellé en des termes inhabituels qui prêtent inutilement à confusion. Nous avons déjà cité cette disposition au début des présents motifs, mais il est bon de la reproduire de nouveau :

16. (1) En cas de refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1), l’avis prévu à l’alinéa 14a) doit mentionner, d’une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée et, d’autre part :

a) soit le fait que le dossier n’existe pas;

b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient.

(2) Le paragraphe (1) n’oblige pas le responsable de l’institution fédérale à faire état de l’existence des renseignements personnels demandés.

[51]      Il n’y a rien de surprenant à l’argument de l’appelant selon lequel l’emploi du mot « may », dans la version anglaise du paragraphe 16(2), entraîne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. De fait, inférer l’existence d’un pouvoir discrétionnaire en se fondant sur l’inclusion du mot « may » est une réaction habituelle presque automatique. Toutefois, pour un certain nombre de raisons, nous ne croyons pas que le paragraphe 16(2) soit le genre de disposition qui prévoie soit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, soit une obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire sur une base individuelle.

[52]      L’article 16 se rapporte à l’avis à donner au demandeur en cas de refus de la communication des renseignements demandés. Le paragraphe 16(1) impose donc au responsable de l’institution fédérale l’une de trois obligations, celui-ci pouvant choisir celle dont il s’acquittera. De fait, le responsable de l’institution « est tenu » :

(i) de mentionner que le dossier n’existe pas;

(ii) de dire que le dossier existe, mais qu’il est visé par une exception prévue par la Loi, cette exception devant être mentionnée;

(iii) de dire que si les renseignements existaient, ils seraient visés par une exception, la disposition précise de la Loi devant être mentionnée.

La première solution (i) est énoncée à l’alinéa 16(1)a), alors que les deux autres, (ii) et (iii), sont énoncées à l’alinéa 16(1)b), où elles sont jointes par le mot « ou ». La dernière solution est donc une solution de rechange indépendante dont le responsable de l’institution peut se prévaloir.

[53]      Un examen plus approfondi montre que la solution prévue en (iii) comporte déjà logiquement le refus de l’autorité de faire état de l’existence des renseignements demandés. Le responsable de l’institution doit, selon les solutions (i) et (ii), faire état de l’existence des renseignements. Par contre, la solution (iii) confère au responsable de l’institution un pouvoir sui generis en vertu de la Loi : il ne s’agit ni d’un refus catégorique de communiquer des renseignements existants ni de la communication de pareils renseignements. Le responsable de l’institution a le pouvoir de répondre à la demande d’une façon hypothétique (« si nous avions des renseignements vous concernant, ils seraient visés par l’exception prévue à »). La solution (iii) figurant à l’alinéa 16(1)b) confère le pouvoir de refuser de confirmer l’existence des renseignements demandés. Le paragraphe 16(2) est en fait une simple confirmation de ce que laissait déjà logiquement entendre l’alinéa 16(1)b). Autrement dit, le paragraphe 16(2) n’ajoute rien qui n’ait pas déjà fait intrinsèquement partie du paragraphe 16(1) : le gouvernement peut faire état de l’existence des renseignementsen ayant recours aux solutions (i) ou (ii)ou il peut refuser de confirmer que les renseignements existenten ayant recours à la solution (iii). À notre avis, le paragraphe 16(2) précise simplement ce qui est déjà expressément prévu au paragraphe 16(1) et l’emploi du mot « may » dans la version anglaise du paragraphe 16(2) réitère simplement la solution prévue au paragraphe 16(1).

[54]      Il est vrai que le mot « may » indique souvent qu’une certaine latitude est laissée à un décideur administratif ou judiciaire. Selon l’interprétation normale donnée à ce mot dans une disposition législative, il existe une certaine latitude[14]. Dans bien des cas, l’emploi du mot « may » a certes cet effet. Toutefois, ce mot ne devrait pas être considéré comme un talisman ritualiste. Comme Driedger l’a signalé, [traduction] «[i]l est difficile de dire que les mots [d’une loi], lorsqu’ils sont interprétés isolément dans l’abstrait, ont un sens»[15].

[55]      Lorsqu’il est interprété dans son contexte, le mot « may » peut parfois avoir des fonctions autres que celle de conférer un pouvoir discrétionnaire. Il est reconnu que dans certains cas, le mot « may » (peut) peut être interprété comme signifiant « must » (doit), à l’encontre de la présomption selon laquelle le mot « may » comporte la notion d’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés énoncée à l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Toutefois, ce n’est pas tout. Le juge d’appel Thorson[16] a signalé le fait que le mot « may » peut parfois n’être qu’une indication de la part du législateur qu’un fonctionnaire ou un tribunal est autorisé à faire quelque chose :

[traduction] Dans certains contextes, bien sûr, le mot « may » n’exprime pas nécessairement une faculté ou une obligation, mais il confère plutôt un pouvoir. Sa fonction est de conférer à une personne ou à une autorité le pouvoir de faire quelque chose que celle-ci n’aurait autrement pas le pouvoir de faire.

Cette interprétation du mot « may » a été confirmée dans des décisions récentes des cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario[17].

[56]      Deux raisons montrent qu’en l’espèce, nous avons affaire à l’un des contextes dans lesquels le mot « may » est simplement employé en vue d’indiquer la capacité ou le pouvoir de faire quelque chose plutôt que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire.

[57]      Premièrement, les mots « may but is not required » figurant dans la version anglaise sont employés dans un contexte où la communication de renseignements personnels est la règle, le refus de communication étant une exception qui doit être expressément mentionnée. Ces mots indiquent l’intention du législateur de conférer à une institution fédérale le pouvoir de refuser à un demandeur la possibilité de savoir s’il existe des renseignements personnels qu’elle serait par ailleurs obligée de communiquer en l’absence du pouvoir habilitant.

[58]      Deuxièmement, la version française du paragraphe 16(2) indique encore plus clairement l’intention du législateur puisque l’équivalent du mot « may » n’y figure pas. La version française prévoit simplement que le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de faire état de l’existence de renseignements personnels. Elle montre clairement que malgré son obligation générale de communication, l’institution est autorisée à ne pas faire état de l’existence de renseignements personnels. Étant donné que l’institution n’est pas tenue de faire état de l’existence de renseignements personnels, elle a le droit ou le pouvoir de ne pas divulguer ce fait.

[59]      Au lieu d’inviter le responsable de l’institution à effectuer une appréciation discrétionnaire dans chaque cas, le mot « may » figurant au paragraphe 16(2) confirme que le responsable de l’institution est autorisé à refuser la communication en se prévalant du choix qui lui est donné à l’alinéa 16(1)b) de refuser de confirmer l’existence de renseignements. La confirmation qu’il existe un pouvoir de refuser de confirmer l’existence de renseignements n’entraîne pas implicitement l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire.

[60]      En outre, même si nous devions supposer que l’appelant a raison de soutenir que le paragraphe 16(2) confère un pouvoir discrétionnaire au responsable de l’institution fédérale, rien dans le libellé ou dans l’objectif législatif de cette disposition n’exige que le pouvoir discrétionnaire ainsi conféré soit toujours ou nécessairement exercé sur une base individuelle.

[61]      L’univers des obligations imposées aux fonctionnaires ne se divise pas simplement en deux catégories : ce qui est discrétionnaire et ce qui est obligatoire. Mme le juge L’Heureux-Dubé a fait remarquer qu’il est inexact de parler d’une dichotomie stricte entre les décisions « discrétionnaires » et les décisions « non discrétionnaires »[18]. Il est plus exact de reconnaître que les pouvoirs discrétionnaires ne sont pas toujours conférés d’une façon égale. Le juge L’Heureux-Dubé a ensuite cité le passage suivant, de D. J. M. Brown & J. M. Evans, dans Judicial Review of Administrative Action in Canada[19] :

[traduction] Le degré de discrétion dans l’attribution d’un pouvoir peut aller d’un pouvoir dans lequel le décideur est contraint seulement par les objectifs de la loi, à un pouvoir si défini que n’intervient pratiquement pas de discrétion. Entre les deux, évidemment, il existe plusieurs limites à la liberté de choix du décideur, parfois appelé une discrétion « structurée ».

[62]      Dans certains cas, à l’extrémité du spectre où est situé le pouvoir moins « structuré », les directives du législateur relatives aux circonstances dans lesquelles le pouvoir discrétionnaire conféré doit être exercé ou à la façon dont il doit l’être influeront relativement peu sur ce pouvoir. Il peut en être ainsi lorsque le mot « may » figure isolément, sans être accompagné d’expressions telles que « dans des circonstances appropriées », ou « si des motifs légitimes sont établis ». En pareil cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire sera principalement fondé sur l’objet de la législation habilitante.

[63]      On ne saurait, en se fondant sur la seule présence du mot « may » déterminer si le responsable d’une institution, à qui le pouvoir de confirmer l’existence des renseignements demandés est conféré, est tenu d’exercer ce pouvoir dans tous les cas. Il faut examiner [traduction] « le but et le texte de la loi ainsi que les faits de l’affaire ». Dans l’arrêt R. c. S.(S.)[20], le juge en chef Dickson, au nom de la Cour, a interprété le mot « may » figurant au paragraphe 4(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants [S.C. 1980-81-82-83, ch. 110] et a cité en l’approuvant la remarque incidente que lord Selborne avait faite dans la décision Julius v. Bishop of Oxford[21] :

[traduction] […] j’estime que le sens de tels mots est identique, qu’il existe ou non un devoir ou une obligation d’exercer le pouvoir qu’ils confèrent. Ils traduisent une virtualité et n’emportent jamais (par eux-mêmes) une obligation. Quant à savoir si un juge ou un fonctionnaire public investi d’un pouvoir par de tels mots est tenu d’exercer ce pouvoir dans une situation ou d’une manière déterminées, c’est une question à trancher autrement et, en général, par référence notamment au contexte, aux dispositions particulières ou à la portée générale et aux objets de la loi attributive de ce pouvoir. [Je souligne.]

[64]      La Chambre des lords interprétait les mots [traduction] « il est licite » qui, à son avis, exprimaient une faculté, mais le juge en chef Dickson a jugé cette remarque incidente pertinente.

[65]      Le contexte factuel qui existe en l’espèce est le suivant : une demande de renseignements personnels concernant des enquêtes licites a été faite. Étant donné la nature du fichier en question, la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête.

[66]      Dans ces circonstances, la nature et le but particuliers de la Loi et du paragraphe 16(2) montrent que l’adoption d’une politique générale selon laquelle on ne confirme jamais l’existence de renseignements dans le fichier en question constitue un exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire. Ailleurs dans la Loi, le gouvernement s’est vu conférer des pouvoirs étendus visant à protéger le caractère secret des fichiers ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois lorsque la chose est jugée opportune. En offrant le choix énoncé au paragraphe 16(2), à savoir refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels, le législateur a prévu un mécanisme additionnel, en donnant aux institutions fédérales la possibilité d’assurer la confidentialité des documents non seulement quant à leur contenu, mais aussi quant à leur existence. Étant donné que les espions et les criminels jouent au chat et à la souris avec les organismes d’application de la loi, si l’organisme en cause estimait être tenu de divulguer des renseignements dans certaines circonstances, cela permettrait de faire des conjectures raisonnées au sujet du contenu des fichiers de renseignements en se fondant sur le genre de réponses données. Cette menace est éliminée par l’adoption de la politique générale voulant que l’on refuse toujours de confirmer l’existence de renseignements personnels.

[67]      Étant donné le contexte particulier et l’intention du législateur tels qu’ils existent dans ce cas-ci, il semble approprié qu’un pouvoir discrétionnaire ne soit pas exercé sur une base individuelle à l’égard du fichier en question. S’il est vrai qu’en règle générale les décideurs administratifs ne devraient pas limiter leur pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique générale selon laquelle ils répondront toujours de la même façon à certaines demandes, il s’agit ici de l’un des rares cas où l’adoption d’une telle politique générale constitue en soi un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire.

[68]      Nous ne souscrivons pas non plus à la prétention de l’appelant selon laquelle, dans ce cas-ci, la politique générale porte atteinte au pouvoir discrétionnaire en cause. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel une autorité omet d’exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant catégoriquement de tenir compte d’un certain genre de demandes et décide plutôt de toujours [traduction] « les jeter dans la corbeille à papier sans les examiner »[22]. La garantie selon laquelle le responsable de l’institution doit faire quelque chose de plus découle du rôle de surveillance important qui est assigné au Commissaire à la protection de la vie privée et à la Cour fédérale. Si les renseignements existent, le responsable de l’institution, soit le responsable du MAE, qui veut suivre la politique générale de non-confirmation de l’existence des renseignements personnels devra néanmoins trouver les exceptions qui s’appliqueraient, sous peine de voir sa décision annulée par la Cour.

[69]      À cet égard, nous croyons que la Loi établit l’équilibre approprié entre l’obligation de communication qui incombe à l’institution fédérale et le pouvoir de refuser la communication, y compris la communication de l’existence même des renseignements personnels. D’une part, au moyen du pouvoir conféré à l’autorité par le paragraphe 16(2), la Loi assure l’intégrité, l’efficacité et l’applicabilité des exceptions. D’autre part, la Loi confère au citoyen des mécanismes de contrôle administratif et judiciaire permettant d’apprécier la validité et la légalité de la revendication d’exceptions.

[70]      En fait, les articles 29 à 36 [art. 29 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 37), 34 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187)] de la Loi confèrent au citoyen le droit de se plaindre auprès du Commissaire à la protection de la vie privée du refus de l’institution fédérale de lui communiquer les renseignements personnels demandés. Le Commissaire possède de vastes pouvoirs d’enquête en plus de pouvoirs lui permettant de mener d’une façon efficace une enquête, comme le pouvoir d’assigner des témoins et de les contraindre à comparaître, le pouvoir de pénétrer dans des locaux et le pouvoir d’examiner ou de se faire remettre des copies de documents. Ce qui importe, c’est que le Commissaire peut avoir accès à tout fichier et examiner les renseignements qui s’y trouvent, y compris un fichier inconsultable classé comme tel par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 18.

[71]      De plus, conformément aux articles 41 à 51 de la Loi, la Cour fédérale, à la demande d’un plaignant ou du Commissaire avec le consentement du plaignant, peut examiner les renseignements personnels demandés et déterminer si les autorités ont légitimement appliqué les exceptions. Dans le cas d’un fichier inconsultable, l’article 43 confère au Commissaire le droit de demander à la Cour d’examiner les dossiers versés dans pareil fichier.

[72]      Tout cela impose une obligation au responsable de l’institution qui met en œuvre la politique générale de ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements personnels, à savoir l’obligation de veiller à ce que les renseignements soient examinés et soient de fait visés par les exceptions revendiquées d’une façon hypothétique. On ne peut pas invoquer la politique pour refuser la communication de documents qui ne sont pas visés par une exception, car pareille utilisation de la politique serait annulée par la Cour. Par conséquent, malgré l’existence de la politique, le responsable de l’institution doit néanmoins examiner chaque demande de communication. Il ne porte pas atteinte à son pouvoir discrétionnaire, mais fait uniquement un choix raisonné au sujet des modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire lui permettant de ne pas confirmer ou nier l’existence des renseignements.

[73]      Somme toute, le paragraphe 16(2) ne peut pas être interprété de façon à créer l’obligation, à l’occasion de chaque demande de renseignements, de déterminer s’il faut confirmer ou nier l’existence des renseignements demandés : le mot « may » figurant dans la version anglaise de la disposition, lequel a été omis dans la version française, confirme simplement que le responsable de l’institution est autorisé à choisir l’une des solutions énoncées au paragraphe 16(1). Par ailleurs, si le mot « may » doit être interprété comme créant l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire, cette obligation a été, à notre avis, satisfaite d’une façon appropriée eu égard aux circonstances.

[74]      Le deuxième argument de l’appelant selon lequel l’approche adoptée par le MAE à l’égard du paragraphe 16(2) crée de fait un fichier inconsultable est à première vue attrayant, mais il ne résiste pas à un examen plus approfondi. De fait, même en cas de refus systématique de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels dans le fichier 040, le MAE doit, conformément à l’alinéa 16(1)b), mentionner la disposition précise de la Loi sur laquelle le refus pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient et, nous ajouterons, si l’existence de ces renseignements était confirmée. Aucune exigence de ce genre ne s’applique à un fichier inconsultable formé de dossiers dans lesquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22 de la Loi.

[75]      En outre, comme le juge qui a effectué l’examen l’a souligné à la page 377 de sa décision, les fichiers auxquels le paragraphe 16(2) s’applique ne sont pas aussi limités quant au contenu que les fichiers inconsultables. Ils peuvent contenir n’importe quel genre de renseignements personnels, et non seulement les renseignements visés aux articles 21 ou 22.

[76]      Enfin, alors que le contrôle judiciaire des fichiers inconsultables ne peut être demandé que par le Commissaire conformément à l’article 43 de la Loi, un plaignant conserve, en vertu de l’article 41, le droit de demander le contrôle judiciaire à l’égard de tout fichier autre qu’un fichier inconsultable.

[77]      Bref, que l’on applique d’une façon générale ou non le paragraphe 16(2) aux fichiers créés conformément aux articles 4 à 6, pareils fichiers n’ont pas les attributs d’un fichier inconsultable au sens de l’article 18 de la Loi.

[78]      Somme toute, nous concluons que les arguments invoqués par l’appelant au sujet du paragraphe 16(2) ne sont pas fondés.

2.         Exceptions prévues aux alinéas 22(1)a) et b)

[79]      L’appelant soutient que le juge qui a effectué l’examen a interprété son rôle d’une façon erronée en ce qui concerne l’exception ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois invoquée par le MAE conformément à l’alinéa 22(1)a). Il soutient que le juge a limité son examen à l’appréciation de la question de savoir si les documents appartenaient à la catégorie mentionnée dans cette disposition et qu’il a omis d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire que possède le MAE de ne pas accorder l’accès demandé. L’appelant nous a reportés à la page 381 de la décision du juge qui a effectué l’examen, lequel est ainsi libellé :

À mon avis, étant donné que j’ai conclu que dans chaque cas le refus de révéler l’existence de ces renseignements personnels avait été autorisé par la Loi, les motifs subsidiaires n’ont guère d’importance pour l’issue du présent contrôle. Après avoir examiné les affidavits supplémentaires secrets et les renseignements déposés ex parte à l’audience, et après avoir entendu les observations du requérant et des intimés, je ne suis pas convaincu que ces renseignements, s’ils existent dans les fichiers en question, selon la description qui est donnée de ces fichiers dans les répertoires publiés, seraient à tort classés dans les catégories de renseignements inconsultables, comme l’affirment les explications subsidiaires invoquées pour justifier le refus de communication.

[80]      Nous croyons que le juge a compris que l’exercice du pouvoir conféré en vertu du paragraphe 16(2) ne libérait pas le MAE de son obligation de déterminer si les exceptions, conformément aux alinéas 22(1)a) et b), étaient appliquées d’une façon légitime, même s’il semble avoir considéré la chose comme peu importante pour l’issue du contrôle. Comme nous l’avons déjà dit, un refus de faire état, en vertu du paragraphe 16(2), de l’existence de renseignements personnels dans un fichier ne fait pas obstacle d’une façon absolue à la communication de ces renseignements si, au départ, ils n’étaient pas visés de la façon appropriée par une exception ou si le pouvoir discrétionnaire de l’institution de ne pas les communiquer a été exercé d’une façon irrégulière.

[81]      La conclusion finale du juge quant à la question des exceptions précises comme motifs subsidiaires à celui prévu au paragraphe 16(2) de la Loi se trouve à la page 381 de sa décision :

Donc, il n’y a pas de fondement à partir duquel la Cour puisse conclure, aux termes de l’article 48, pour ce qui a trait à certains motifs subsidiaires, que le refus n’était pas autorisé, ou aux termes de l’article 49, pour ce qui a trait à l’article 21 ou à l’alinéa 22(1)b) expressément invoqués comme motifs subsidiaires, qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables pour justifier le refus. Les motifs subsidiaires qui ont été précisés dans les circonstances de l’espèce ne permettent pas à la Cour de modifier les décisions du MAE et du SCRS au regard des demandes du requérant concernant l’accès aux renseignements contenus dans les fichiers 040 et 010 respectivement.

[82]      Dans sa décision, le juge laisse implicitement entendre que, lors de l’examen, il a tenu compte de toutes les autres exceptions précises invoquées par le MAE à l’égard du fichier 040, y compris l’alinéa 22(1)a), bien que dans les motifs et conclusions qu’il a énoncés sur ce point aux pages 380 et 381 de sa décision, il ne fasse pas expressément mention de l’alinéa 22(1)a). Il ne semblerait y avoir aucun doute que le juge était convaincu que les renseignements demandés avaient été obtenus ou préparés au cours d’une enquête licite ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois.

[83]      À la décharge du juge, il faut dire que les trois autorités fédérales revendiquaient de nombreuses exceptions. Il a réussi remarquablement bien à les regrouper et à éviter les répétitions. S’il a omis de mentionner l’alinéa 22(1)a), c’est fort probablement par suite d’un oubli. Toutefois, ses conclusions, telles qu’elles sont énoncées, laissent planer un doute au sujet de la question de savoir s’il a de fait entrepris la deuxième étape, soit celle d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du MAE à l’égard de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a). Dans ces conditions et compte tenu des objectifs de la Loi, dont un objectif primordial est d’assurer à un citoyen la communication des renseignements personnels détenus par le gouvernement, nous croyons qu’un nouvel examen devrait être effectué à l’égard de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a).

[84]      En ce qui concerne l’alinéa 22(1)b), cette disposition autorise une institution à refuser la communication des renseignements demandés dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites. Fondamentalement, l’appelant soutient que le préjudice qui justifie l’application de l’exception est limité au préjudice causé à des enquêtes déterminées précises. De l’avis de l’appelant, le juge a commis une erreur en statuant que l’exception pourrait s’appliquer dans les cas où la communication des renseignements pourrait avoir un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête en général.

[85]      Dans son affidavit public auquel était joint un affidavit secret déposé en l’absence d’une partie, M. MacEwan, qui a présenté la preuve au nom du SCRS à l’égard de l’alinéa 22(1)b), a exprimé des craintes au sujet de ce qu’il a appelé l’« effet mosaïque » par lequel des renseignements n’ayant en apparence aucun lien entre eux pourraient être comparés les uns avec les autres pour obtenir une perspective plus globale entraînant la divulgation de sources d’information actives ou inactives ou de méthodes d’enquête. L’avocate du défendeur appuie énergiquement l’interprétation large donnée à l’alinéa 22(1)b) par le MAE, laquelle a été retenue par le juge qui a effectué l’examen, y compris la nécessité, lorsque les circonstances s’y prêtent, de refuser la communication simplement en vue de protéger les méthodes d’enquête.

[86]      Peu de temps après que le juge qui a effectué l’examen eut fait connaître ses motifs, cette Cour, dans l’arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports)[23], a rendu une décision dans laquelle elle interprétait une disposition parallèle sinon identique figurant à l’alinéa 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, lequel est ainsi libellé :

16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :

a) datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant des renseignements obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait :

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

[…]

c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête;

Nous avons également reproduit l’alinéa 16(1)a) étant donné qu’il est identique à l’alinéa 22(1)a) de la Loi.

[87]      Dans l’affaire Rubin, la Cour était parfaitement au courant des répercussions que l’interprétation donnée à l’alinéa 16(1)c) aurait sur l’interprétation d’autres exceptions prévues dans la Loi sur l’accès à l’information. Elle se rendait également bien compte que l’interprétation de l’alinéa 16(1)c) soulevait une question qui touchait à la signification et à toute l’interprétation de la législation.

[88]      Au nom de la Cour, le juge McDonald a conclu ce qui suit[24] :

a)         toutes les exceptions au droit d’accès doivent être précises et limitées et, lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit choisir celle qui porte le moins atteinte au droit du public;

b)         le mot anglais « conduct » figurant à l’alinéa 16(1)c) fait référence à quelque chose de précis concernant l’évolution ou la progression d’une enquête déterminée. Il ne fait pas référence au processus général d’enquête;

c)         on ne peut refuser de divulguer des renseignements par application de l’alinéa 16(1)c) au motif que cette divulgation aurait un effet dissuasif sur des enquêtes à venir;

d)         il est possible de protéger des renseignements relatifs au passé si une enquête déterminée est en cours ou sur le point de commencer;

e)         les exemples donnés aux sous-alinéas (i), (ii) et (iii) de l’alinéa 16(1)c) ne limitent pas la nature générale des termes employés à l’alinéa 16(1)c), mais ils sont représentatifs des genres de renseignements ou de situations qui peuvent être protégés par cet alinéa.

[89]      À notre avis, la Cour a donné à l’appui de ses conclusions des motifs convaincants qui sont ici pertinents. Nous n’avons qu’à nous reporter à trois de ces motifs pour montrer les répercussions que l’acceptation de l’« effet mosaïque » ou de l’effet dissuasif, dans le cadre de l’alinéa 22(1)b), aurait sur d’autres exceptions prévues par la Loi.

[90]      Premièrement, l’élargissement proposé de l’alinéa 22(1)b) aurait pour effet de rendre l’alinéa 22(1)a) redondant puisque tout ce qui est fait au cours d’une enquête licite ainsi que les renseignements recueillis par suite de cette enquête seraient maintenant visés par l’alinéa 22(1)b). De plus, la période de 20 ans qui s’applique à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a) n’aurait plus aucun sens si les renseignements pouvaient désormais être conservés pour toujours conformément à l’alinéa 22(1)b) à cause de l’effet dissuasif que leur communication pourrait avoir sur les méthodes d’enquête ou, comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Rubin, sur une enquête future. Il est difficile de croire que le législateur ait voulu que des renseignements de nature fort délicate se rapportant à des activités menaçant la sécurité du Canada soient communiqués après une période de 20 ans conformément à l’alinéa 22(1)a), mais qu’en même temps, des renseignements de nature beaucoup moins délicate ne soient pas, en vertu de l’alinéa 22(1)b), assujettis à pareille limitation de crainte que la chose ait un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête.

[91]      Deuxièmement, l’exception relative aux renseignements donnés par un tiers figurant à l’article 19 de la Loi deviendrait inutile si les renseignements confidentiels avaient été obtenus de ce tiers au cours d’une enquête. La non-communication de ces renseignements serait maintenant régie par les principes généraux qui s’appliquent à l’alinéa 22(1)b), éliminant ainsi la possibilité d’une communication sur consentement du tiers.

[92]      Troisièmement, aucun des exemples énumérés aux sous-alinéas (i), (ii) et (iii) de l’alinéa 22(1)b) ne se rapporte aux méthodes d’enquête en général. De fait, le sous-alinéa (i) traite expressément d’une enquête déterminée alors que le sous-alinéa (iii) traite des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête.

[93]      Comme cette Cour l’a signalé dans l’arrêt Rubin, le législateur ou le gouvernement disposent d’un recours efficace s’ils concluent que l’interprétation de l’alinéa 22(1)b) est indûment restrictive ou ne correspond pas à ce qu’ils avaient prévu. Ils peuvent demander une modification de la Loi ou le gouvernement peut demander au gouverneur en conseil de prendre un décret classant le fichier 040 du MAE parmi les fichiers inconsultables conformément à l’article 18 de la Loi.

[94]      Compte tenu de la décision rendue par cette Cour dans l’arrêt Rubin précité, nous croyons que le juge qui a effectué l’examen n’aurait pas dû étendre la notion de préjudice figurant à l’alinéa 22(1)b) au-delà du préjudice subi au cours d’une enquête déterminée, en cours ou future. Cette disposition n’autorise pas un refus de communication dans les cas où la communication pourrait avoir un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête en général.

[95]      Nous croyons qu’il serait ici utile de résumer nos conclusions au sujet des exceptions revendiquées par le MAE à l’égard du fichier 040.

[96]      Le paragraphe 16(2) de la Loi autorise le responsable d’une institution fédérale à refuser la communication de renseignements en adoptant la solution énoncée à l’alinéa 16(1)b), soit en refusant de confirmer l’existence des renseignements. Si l’emploi du mot « may » au paragraphe 16(2) va plus loin que le fait de conférer un pouvoir habilitant et vise à conférer un pouvoir discrétionnaire au responsable d’une institution fédérale, pareil pouvoir discrétionnaire n’a pas à être toujours ou nécessairement exercé sur une base individuelle. Adopter une politique générale voulant que l’existence de renseignements ne soit jamais confirmée ou niée en ce qui concerne le fichier 040, compte tenu de la nature et de l’objet particuliers de la Loi et des circonstances factuelles de cette affaire, constitue un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire. En outre, cela n’a pas l’effet de créer de fait un fichier inconsultable. Toutefois, le responsable d’une institution fédérale qui invoque le paragraphe 16(2) doit néanmoins justifier le refus de communication des renseignements en mentionnant des exceptions précises.

[97]      Il faudrait effectuer un nouvel examen des renseignements dont la communication a été refusée suite à l’exception relative à l’application de la loi (alinéa 22(1)a)) en vue de déterminer si le MAE a régulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les renseignements à l’appelant.

[98]      L’alinéa 22(1)b) de la Loi ne permet pas de refuser la communication simplement parce qu’elle pourrait avoir un effet dissuasif sur les méthodes d’enquête en général. La notion de préjudice figurant à l’alinéa 22(1)b) ne s’étend pas à un préjudice autre que celui causé à une enquête déterminée, en cours ou future. Un nouvel examen des renseignements dont la communication a été refusée devrait être effectué en conséquence.

Les exceptions précises revendiquées par le SCRS à l’égard des fichiers 010 et 015

1.         Exception prévue à l’alinéa 22(1)b)

[99]      Comme le MAE, le SCRS a invoqué la théorie de l’« effet dissuasif » sur les méthodes d’enquête en général quant à l’étendue du préjudice visé par l’alinéa 22(1)b). Étant donné que nous avons conclu que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) n’a pas été correctement appliquée, les renseignements versés dans les fichiers 010 et 015 devraient être examinés à nouveau de façon à permettre de découvrir quels renseignements, le cas échéant, ne sont pas visés par cette exception. À moins d’être protégés par une autre exception, ces renseignements devraient alors être communiqués conformément à l’article 49 de la Loi, aux conditions ou sous réserve de toute ordonnance que la Cour juge indiquées.

[100]   En outre, le juge qui a effectué l’examen a conclu, à la page 386 de sa décision, que « [l]a Cour ne peut substituer son opinion à celle du SCRS ou à celle du solliciteur général au sujet de l’évaluation du risque vraisemblable de préjudice probable ». Toutefois, nous aimerions ajouter qu’en vertu de l’article 49, il incombe notamment à la Cour de déterminer le caractère raisonnable des motifs pour lesquels le SCRS a refusé la communication. Cela étant, le juge qui a effectué l’examen aurait dû, à notre avis, examiner de plus près la question de savoir si la divulgation de renseignements et en particulier de renseignements remontant à plus de 20 ans risquait vraisemblablement de nuire aux efforts précis destinés à faire respecter les lois et à permettre la détection d’activités hostiles et, par conséquent, s’il existait un motif raisonnable justifiant le refus de communication de la part du SCRS.

2.         Exception prévue à l’article 19

[101]   L’article 19 prévoit une exception obligatoire conditionnelle : le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels obtenus à titre confidentiel d’un autre gouvernement ou d’une organisation internationale d’États à moins que ce gouvernement ou cette institution ne consente à la communication ou ne rende les renseignements publics. C’est ce que l’on appelle généralement l’exception relative aux tiers.

[102]   L’appelant a soutenu en vain devant le juge qui a effectué l’examen qu’une bonne application de l’article 19 exige que l’autorité qui invoque l’exception obtienne le consentement du tiers à l’égard de la communication avant de refuser la communication à une personne qui en fait la demande. À la page 382 de sa décision, le juge a rejeté cet argument pour le motif qu’il « va à l’encontre du but premier de l’article 19, qui est de ne pas communiquer des renseignements faisant partie de cette catégorie ».

[103]   Il est vrai que le but premier de l’exception prévue à l’article 19 est la non-communication de renseignements mais, comme nous l’avons déjà mentionné, il ne s’agit pas d’une interdiction absolue. Cette exception, comme les autres, doit être interprétée dans le contexte général de la Loi, qui favorise la communication des renseignements qui sont conservés. Le paragraphe 19(2) autorise le responsable d’une institution fédérale à communiquer les renseignements si le tiers a donné son consentement.

[104]   Nous sommes d’accord avec l’appelant pour dire que l’autorité qui revendique l’exception est la personne qui doit s’assurer que le tiers ne consent pas à la communication. Des raisons pratiques fondamentales dictent cette conclusion.

[105]   Premièrement, le demandeur dans ce cas-ci ne sait même pas s’il existe des renseignements personnels puisque le SCRS a refusé de faire état de ce fait conformément au paragraphe 16(2).

[106]   Deuxièmement, le demandeur, comme tout autre demandeur à l’encontre duquel l’article 19 est invoqué, ne sait pas qui est le tiers qui a fourni les renseignements.

[107]   Troisièmement, même si on lui disait qui est le tiers en question, le demandeur ne saurait pas nécessairement à qui adresser sa demande de consentement.

[108]   Quatrièmement, fait encore plus important, le demandeur ne connaît pas le contenu des renseignements et ce à quoi il se rapportent. Il n’est donc pas en mesure de fournir au tiers tous les détails pertinents nécessaires tant pour permettre de déterminer avec exactitude les questions qui se posent que pour obtenir le consentement de ce tiers.

[109]   Cinquièmement, il est injuste dans ces conditions d’imposer au demandeur une obligation à laquelle il est presque impossible de satisfaire. À toutes fins utiles, la possibilité d’obtenir une communication consensuelle des renseignements devient si éloignée qu’elle est presque inexistante. Par conséquent, l’article 19 constituerait une exception absolue irréfragable.

[110]   À notre avis, en demandant au responsable d’une institution fédérale la communication des renseignements personnels le concernant, le demandeur demande également au responsable de cette institution de faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement du tiers qui a fourni les renseignements en question. En tirant cette conclusion, nous voulons qu’il soit clair que nous examinons uniquement la question de la charge de la preuve et que nous ne déterminons aucunement les méthodes ou moyens par lesquels le consentement du tiers peut être demandé. Des considérations politiques et pratiques se rapportant, entre autres, à la nature des renseignements et à la quantité de renseignements peuvent empêcher l’obtention d’un consentement sur une base individuelle et mener à l’établissement de protocoles qui respectent l’esprit et la lettre de la Loi et de l’exception.

[111]   Bref, nous croyons que la revendication par le défendeur, en vertu de l’article 19 de la Loi, d’une exception valide à l’égard de la communication des renseignements personnels versés dans les fichiers 010 et 015 qui sont demandés par l’appelant devrait être examinée conformément à notre interprétation du paragraphe 19(2). Cela veut dire que le juge qui effectue l’examen devrait s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers qui avait fourni les renseignements en question. Au besoin, le juge qui effectue l’examen devrait accorder une période raisonnable au SCRS pour lui permettre de se conformer à l’exigence relative au consentement prévue à l’alinéa 19(2)a).

3.         Exception prévue à l’article 26

[112]   L’exception prévue à l’article 19 se rapporte à des renseignements personnels reçus de tiers, mais l’exception prévue à l’article 26 se rapporte aux renseignements personnels concernant des tiers. Cette disposition doit être interprétée en tenant compte de l’article 8 de la Loi. En fait, l’article 26 prévoit qu’une institution fédérale peut communiquer des renseignements personnels portant sur un tiers, mais qu’elle est tenue de refuser cette communication si les exigences énoncées à l’article 8 sont satisfaites. L’article 8 prévoit qu’à défaut du consentement de la personne que les renseignements concernent, la communication est uniquement possible dans les circonstances prévues par la loi.

[113]   En passant, nous remarquons qu’il est difficile en pratique d’appliquer l’article 26 puisque, en vertu de l’article 8, il faut obtenir le consentement du tiers. Premièrement, on ne sait pas trop à qui incombe la charge de demander ce consentement. Comme dans le cas de l’exception prévue à l’article 19, la personne qui demande la communication de renseignements la concernant ne saura probablement pas, du moins dans certains cas sinon dans la plupart des cas, qui est le tiers mentionné dans ces renseignements, ou il est peu probable qu’on le lui dise, parce que l’institution fédérale révélerait alors le fait même qu’elle possède également des renseignements concernant ce tiers. D’autre part, s’il incombe à l’institution fédérale de solliciter le consentement du tiers, le gouvernement se trouverait, le cas échéant, à révéler au tiers en question qu’il possède des renseignements le concernant alors que selon sa politique, il aurait refusé de confirmer ou de nier l’existence même de pareils renseignements conformément au paragraphe 16(2) si c’était le tiers qui avait demandé la communication.

[114]   L’appelant soutient qu’en examinant l’exception prévue à l’article 26, le juge aurait dû déterminer, conformément à l’alinéa 8(2)m), si des raisons d’intérêt public, en ce qui concerne la communication des renseignements personnels portant sur un tiers, justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée de ce tiers en cas de communication. L’appelant affirme que pour assurer l’équilibre entre les différents intérêts mentionnés au sous-alinéa 8(2)m)(i), il convient de communiquer les renseignements en question, parce qu’ils peuvent être fort anciens et que leur communication permettrait l’examen public de la conduite du SCRS et du Service de sécurité de la GRC.

[115]   La conclusion tirée par le juge qui a effectué l’examen sur ce point se trouve aux pages 382 et 383 de sa décision; elle se lit comme suit :

Je conviens avec l’avocat des intimés que le refus de communication prévu à l’article 26 est également impératif, à moins que les renseignements concernant une autre personne puissent être communiqués dans les circonstances prévues au paragraphe 8(2) de la Loi. Au nom du requérant, on fait valoir que, pour exercer de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements au sujet d’une autre personne, le chef de l’institution fédérale concernée doit tenir compte de l’alinéa m) du paragraphe 8(2), et se faire une opinion quant à savoir si l’intérêt public doit l’emporter sur toute atteinte à la vie privée qui découlerait de la communication. Encore une fois, à mon avis, cet argument ignore l’objectif poursuivi par l’ensemble de l’article 8, c’est-à-dire de ne pas communiquer de renseignements au sujet d’autres personnes à quelqu’un qui en fait la demande en vertu de la Loi, à moins de motifs exceptionnels prévus au paragraphe 8(2). Je ne suis pas convaincu que chaque demande ayant trait à une autre personne doive être considérée au regard de l’alinéa m) de cette disposition avant que le responsable de l’institution oppose son refus.

[116]   Nous souscrivons à l’avis du juge qui a effectué l’examen, à savoir que l’article 8 met l’accent sur la non-communication des renseignements concernant des tiers. Toutefois, comme le juge l’a reconnu, ce principe de la non-communication comporte des exceptions.

[117]   La conclusion tirée par le juge au sujet de la portée de l’exception prévue à l’article 26 peut être interprétée de deux façons. Selon une interprétation, le juge semble avoir cru qu’il serait possible de se fonder sur l’exception prévue à l’article 26 en affirmant simplement que le but premier de l’article 8 est la non-communication, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte des exceptions énumérées au paragraphe 8(2). À notre avis, on commettrait une erreur parce que cela signifierait qu’en pratique, l’article 8 fait de l’article 26 un obstacle à la communication dans tous les cas. Cela équivaudrait à permettre au responsable d’une institution fédérale de ne pas tenir compte du libellé exprès de l’article 26, selon lequel pareil fonctionnaire ne possède aucun pouvoir discrétionnaire à l’égard de la communication d’un renseignement si l’article 8 s’applique : le fonctionnaire « peut » refuser la communication de renseignements concernant un tiers, mais il « est tenu » de refuser la communication si les renseignements sont protégés par l’article 8. À coup sûr, le législateur voulait que le responsable d’une institution fédérale tienne compte de l’article 8 et l’applique d’une façon ou d’une autre lorsqu’il invoque l’exception prévue à l’article 26.

[118]   Toutefois, il reste à savoir ce que le responsable d’une institution fédérale doit faire pour tenir suffisamment compte de l’article 8. Une solution possible est offerte par l’autre interprétation des remarques que le juge a faites, en particulier la dernière phrase du passage cité : le juge a reconnu la nécessité de déterminer si l’une quelconque des exceptions prévues au paragraphe 8(2) s’appliquait, mais il a cru qu’il serait en général possible d’établir un équilibre entre les raisons d’intérêt public et la violation de la vie privée et qu’il n’était pas nécessaire de le faire à l’égard de chacun des tiers mentionnés dans les renseignements.

[119]   Nous sommes portés à être d’accord avec le juge qui a effectué l’examen pour dire que l’équilibre, en ce qui concerne le sous-alinéa 8(2)m)(i), n’a pas à être établi par rapport à chaque élément d’information concernant chaque personne visée par cette information. Il faut dans une certaine mesure tenir compte de l’intérêt public, mais l’appréciation des différents intérêts relève du pouvoir discrétionnaire du responsable de l’institution fédérale. Dans l’avis minoritaire qu’il a exprimé dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances)[25], le juge La Forest, en examinant une question que la majorité n’avait pas abordée, a parlé du genre de pouvoir discrétionnaire conféré au sous-alinéa 8(2)m)(i) :

Cette disposition […] prévoit que la communication de renseignements personnels est autorisée dans le cas où, de l’avis du responsable de l’institution, des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Il est difficile d’imaginer un texte législatif qui énonce un pouvoir discrétionnaire plus général. [C’est le juge qui souligne.]

[120]   Le juge La Forest a précisé que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 8(2)m) est fort général, mais il ne s’est pas demandé si le responsable de l’institution doit dans chaque cas établir l’équilibre entre les articles 26 et 8, et ce, parce que, dans l’affaire Dagg, le demandeur avait expressément demandé au ministre de tenir compte de l’intérêt public et qu’il a été conclu que le ministre en avait tenu compte[26].

[121]   Il est également possible de se fonder sur l’arrêt Kelly c. Canada (Solliciteur général)[27], dans lequel le juge Strayer a examiné l’approche générale à adopter à l’égard des exceptions discrétionnaires prévues par la loi. Voici ce qu’il a dit, à la page 58 :

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d’exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l’entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé en bonne foi [sic] et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

Cet énoncé demande à la Cour qui effectue l’examen de tenir compte de la raison pour laquelle le pouvoir discrétionnaire a été accordé en vertu de l’article 26 et du sous-alinéa 8(2)m)(i). L’article 26 visait clairement à protéger les tiers contre la communication de renseignements confidentiels les concernant. Cette disposition confère au responsable de l’institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de faire preuve de jugement en comparant les intérêts d’un tiers en matière de vie privée et les droits d’accès de la partie requérante. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) a été édicté pour qu’un équilibre discrétionnaire similaire soit maintenu entre les raisons d’intérêt public justifiant la communication et le droit à la vie privée.

[122]   La raison pour laquelle le pouvoir discrétionnaire a été accordé en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) montre comment ce pouvoir peut être exercé d’une façon sensée et responsable. Le pouvoir discrétionnaire est accordé en vue de protéger l’intérêt des citoyens canadiens en matière de vie privée. Toutefois, il faut noter que le droit à la vie privée peut s’étendre d’une façon stricte ou d’une façon générale. Au sens strict, dans chaque cas où les articles 26 et 8 sont en cause, le responsable de l’institution devrait tenir compte de la protection de la vie privée des individus désignés dans les renseignements demandés. Au sens large, le libellé fort général du sous-alinéa 8(2)m)(i) (« une éventuelle violation de la vie privée »/« any invasion of privacy ») laisserait entendre que le responsable de l’institution peut dans certains cas interpréter la protection de la vie privée comme un principe général, sans tenir compte d’individus particuliers. Comme le juge Muldoon l’a dit dans la décision Bland c. Canada (Commission de la capitale nationale)[28] :

Il est […] clair qu’on doit quantifier, du moins théoriquement, ce qu’on pourrait qualifier de « droit à la protection de la vie privée » afin d’être à même de le mettre dans la balance face à « l’intérêt public dans la divulgation ». Il s’agit là d’un exercice intellectuel par excellence, que le sous-alinéa 8(2)m)(i) exige […] des responsables d’institutions fédérales […]

Cela confirme que l’intérêt visé au sous-alinéa 8(2)m)(i) en matière de vie privée peut s’interpréter d’une façon plus ou moins abstraite. La comparaison d’une catégorie générale comme l’intérêt public et de l’intérêt en matière de vie privée exige parfois que ce dernier intérêt soit conçu en des termes généraux.

[123]   Les deux façons de concevoir la vie privée permettent une certaine souplesse dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sous-alinéa 8(2)m)(i). En général, la façon la plus évidente pour le responsable de l’institution d’exercer son pouvoir discrétionnaire consistera à déterminer les répercussions de la communication sur la vie privée des tiers individuels expressément désignés dans les renseignements demandés. Dans d’autres cas, il pourrait être opportun d’examiner la question de l’intérêt en matière de vie privée d’une façon plus abstraite, de manière à l’apprécier par rapport aux raisons d’intérêt public justifiant la communication. Cette dernière approche peut parfois constituer un exercice également légitime du pouvoir discrétionnaire général conféré au responsable de l’institution fédérale. La mesure dans laquelle il devrait être tenu compte d’une façon plus ou moins précise de l’intérêt en matière de vie privée dépend en bonne partie des faits de chaque affaire.

[124]   Toutefois, ceci dit, nous admettons que la décision rendue par le juge qui a effectué l’examen ne nous permet pas de savoir si en fait le SCRS a cherché à établir un certain genre d’équilibre discrétionnaire entre l’intérêt public et la vie privée. En d’autres termes, on ne sait pas trop si le SCRS a tenu compte du sous-alinéa 8(2)m)(i) en refusant la communication de renseignements concernant des tiers et si, par conséquent, il a appliqué de la façon appropriée l’exception revendiquée conformément à l’article 26 de la Loi. Nous ne sommes pas non plus en mesure de déterminer si le juge qui a effectué l’examen était convaincu que le SCRS avait tenu compte de l’exception ou s’il en avait lui-même tenu compte.

[125]   Dans ces conditions, il faudrait effectuer un nouvel examen des renseignements personnels versés dans les fichiers 010 et 015 qui ont été demandés en vue de déterminer si le SCRS a appliqué de la façon appropriée l’exception prévue à l’article 26 de la Loi.

Question de savoir si le juge qui a effectué l’examen a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en entendant les arguments en l’absence d’une partie conformément à l’article 46

[126]   L’article 46 de la Loi autorise le juge qui effectue l’examen à entendre les arguments en l’absence d’une partie et à tenir des audiences à huis clos lorsque la revendication d’exceptions est fondée sur des dispositions autres que les alinéas 19(1)a) ou b) ou l’article 21. Toutefois, l’audition d’arguments en l’absence d’une partie et la tenue d’audiences à huis clos sont obligatoires lorsque les alinéas 19(1)a) ou b) ou l’article 21 sont en cause.

[127]   En l’espèce, seuls des arguments écrits sous la forme d’affidavits secrets supplémentaires ont été présentés en l’absence d’une partie conformément à l’article 46 par suite du refus de communication de la part de la GRC, du MAE et du SCRS. L’appelant affirme que le juge qui a effectué l’examen a décidé, en violation de l’article 46, qu’il est nécessaire que pareils arguments soient entendus dans chaque cas. Il soutient que, ce faisant, le juge a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire.

[128]   Avec égards, nous ne croyons pas que c’est ce que le juge qui a effectué l’examen a conclu. Étant donné que la Cour est tenue de se demander si le refus de communication est justifié, le juge était d’avis qu’il est sensé pour la Cour d’entendre des arguments en l’absence d’une partie dans une instance visant à la contestation de pareil refus. Pareille preuve aide le juge dans son examen et lui permet de s’assurer que des renseignements confidentiels ou secrets ne seront pas communiqués au public ou au demandeur lorsque l’exception revendiquée est justifiée. Comme le montre sa décision, le juge qui a effectué l’examen était d’avis que l’audition d’arguments en l’absence d’une partie constitue une solution de compromis efficace et généralement sensé. Ce fait, à notre avis, ne veut pas pour autant dire que le juge a limité ou irrégulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire d’accepter pareille preuve dans ce cas-ci. Nous rejeterions ce moyen d’appel.

Question de savoir si le juge a commis une erreur en refusant d’admettre la preuve d’expert de M. Copeland

[129]   À l’audience relative à la question de la constitutionnalité de l’article 51 de la Loi, l’appelant a cherché à présenter à titre de preuve d’expert l’affidavit de M. Paul Copeland, autrefois associé à son cabinet d’avocats, et qui a également demandé, en vertu de la Loi, des renseignements personnels le concernant.

[130]   Le juge a reconnu que M. Copeland était un expert en matière de vie privée, mais il a refusé son affidavit pour trois motifs : il était fort peu pertinent, la preuve qu’il renfermait n’était pas nécessaire et M. Copeland n’était pas un expert indépendant compte tenu de son ancienne association au demandeur et du fait qu’il avait lui-même engagé des procédures en vue d’obtenir la communication de renseignements[29].

[131]   Nous avons examiné l’affidavit public de M. Copeland. Nous sommes arrivés à la conclusion que cet affidavit satisfait aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan[30] et qu’il aurait dû être admis aux fins du contrôle judiciaire.

[132]   Il est certain que l’affidavit satisfait tant au critère de la pertinence logique qu’au critère de la pertinence juridique en ce sens que sa valeur l’emporte sur les répercussions qu’il a sur la procédure, c’est-à-dire sur son effet préjudiciable. Afin de satisfaire au critère de la nécessité, l’opinion d’expert doit être nécessaire «au sens qu’elle fournit des renseignements “qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury” »[31]. Le déclarant énonce, en se fondant sur son expertise, certains faits se rapportant aux renseignements qu’un juge qui effectue un examen est susceptible de ne pas connaître d’office.

[133]   Premièrement, l’auteur de l’affidavit déclare sous serment que l’affidavit de M. MacEwan est, quant à sa nature et à sa forme, passablement semblable à tous les affidavits dont il a eu connaissance dans les affaires de sécurité nationale. Il qualifie l’affidavit de « clause de style ».

[134]   Deuxièmement, en se fondant sur son expérience, sur ses connaissances spéciales et sur son expertise, le déclarant doute sérieusement qu’il soit possible de conclure qu’un préjudice risque vraisemblablement d’être causé compte tenu du fait que les renseignements dont la communication est demandée ont plus de 20 ans.

[135]   Troisièmement, le déclarant doute également qu’il soit impossible d’assurer la protection des sources d’information, au besoin, autrement qu’en refusant la communication, étant donné que pareille protection a été assurée dans des affaires de mandat de perquisition au moyen du simple remaniement de l’information.

[136]   Quatrièmement, le déclarant attire l’attention du juge qui effectue l’examen sur le fait que les administrations publiques ont tendance à surclassifier indûment et inutilement les renseignements afin d’éviter d’embarrasser le gouvernement. Ce fait controversable n’est pas un fait dont un juge pourrait prendre connaissance d’office.

[137]   Enfin, l’affidavit Copeland n’aurait pas dû être exclu à cause de la partialité possible du déclarant. Ce facteur se rapporte à la crédibilité de la preuve plutôt qu’à son admissibilité[32].

[138]   Nous ne croyons pas que l’admission de l’affidavit de M. Copeland influe sur la constitutionnalité de l’article 51 de la Loi ou sur sa justification au regard de l’article premier de la Charte. De fait, les parties ont demandé que la question de la constitutionnalité ne soit pas renvoyée pour réexamen simplement parce que l’affidavit n’a pas été admis. Toutefois, nous croyons qu’il aurait fallu en tenir compte en appréciant la question de savoir si le SCRS et le MAE avaient légitimement revendiqué et appliqué les exceptions.

[139]   L’avocate du défendeur a demandé à être autorisée à contre-interroger M. Copeland si l’affidavit de celui-ci était jugé admissible. Nous avons hésité étant donné que la demande initiale de communication des renseignements personnels détenus par le gouvernement que l’appelant a faite remonte au mois de mars 1988. Toutefois, nous en sommes arrivés à la conclusion que la demande du défendeur devrait être accueillie, le droit de contre-interroger le témoin devant, le cas échéant, être exercé avec diligence.

La question de la constitutionnalité

[140]   L’appelant affirme que certaines dispositions de la Loi sont inconstitutionnelles en vertu de l’alinéa 2b) ainsi que des articles 7 et 8 de la Charte. Plus précisément, il est allégué que les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi violent la liberté de la presse reconnue à l’alinéa 2b) de la Charte et le droit de n’être privé de sa sécurité qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, lequel est prévu à l’article 7 de la Charte. En même temps, l’appelant soutient que les dispositions de la Loi ne se justifient pas au regard de l’article premier de la Charte. L’article 8 de la Charte est invoqué avec l’article 7 et non en tant que motif distinct de contestation.

[141]   Aux fins du règlement de la question de la constitutionnalité, le fonctionnement de la Loi est le suivant. L’article 41 de la Loi prévoit que l’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels le concernant et qui a déposé une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut solliciter le contrôle judiciaire du refus continu. Un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale entend d’une façon sommaire la demande présentée en vertu de l’article 41. Ce juge prend toutes les précautions possibles pour éviter que ne soient divulgués des renseignements dont le refus de communication peut en fin de compte être jugé justifié. Conformément à cet objectif, le paragraphe 46(1) autorise le juge qui effectue l’examen à exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider d’entendre les arguments en l’absence d’une partie et de tenir des audiences à huis clos de façon à éviter la communication accidentelle de renseignements personnels. Toutefois, dans certains cas, la Loi exige que des procédures aient lieu à huis clos et en l’absence d’une partie devant certains juges « désignés » de la Section de première instance de cette Cour. Ces juges désignés ont la responsabilité de s’occuper des affaires portant sur des questions de sécurité nationale relevant du SCRS.

[142]   L’alinéa 51(2)a) et le paragraphe 51(3) de la Loi sont deux dispositions qui montrent cette préoccupation particulière pour le caractère secret des renseignements. Ensemble, ces dispositions exigent que, lorsque le refus de communication de renseignements personnels est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l’article 21 de la Loi et que ce refus est par la suite contesté, un juge désigné de la Cour fédérale tienne une audience à huis clos et entende en l’absence d’une partie les arguments du responsable de l’institution fédérale qui refuse la communication. L’alinéa 19(1)a) prévoit que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication des renseignements personnels qui ont été obtenus à titre confidentiel des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes. L’alinéa 19(1)b) étend cette restriction aux renseignements qui ont été obtenus à titre confidentiel des organisations internationales d’États ou de leurs organismes. L’article 21 est une disposition discrétionnaire qui autorise le responsable d’une institution fédérale à refuser la communication des renseignements personnels dont la divulgation nuirait à la sécurité nationale. Plus précisément, cette disposition prévoit que le responsable peut refuser la communication de renseignements personnels dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives. (Les mots « États alliés » et « activités hostiles » sont définis à l’article 15 de la Loi sur l’accès à l’information.) Pour plus de commodité, nous appellerons les renseignements dont la communication est refusée en vertu de l’article 19 les « renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel » et les renseignements dont la communication est refusée en vertu de l’article 21 les « renseignements relatifs à la sécurité nationale ». Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus à titre confidentiel :

a) des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes;

b) des organisations internationales d’États ou de leurs organismes;

[…]

21. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada, au sens du paragraphe 15(2) de la Loi sur l’accès à l’information, ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives, au sens du paragraphe 15(2) de la même loi, notamment les renseignements visés à ses alinéas 15(1)a) à i).

[…]

41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

[…]

46. (1) À l’occasion des procédures relatives aux recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c’est indiqué, par la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie, pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait ou celui de quiconque :

a) des renseignements qui justifient un refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) ou de renseignements contenus dans un document demandé sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information;

b) des renseignements faisant état de l’existence de renseignements personnels que le responsable d’une institution fédérale a refusé de communiquer sans indiquer s’ils existaient ou non.

[…]

51. (1) Les recours visés aux articles 41 ou 42 et portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements personnels est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l’article 21 et sur les cas concernant la présence des dossiers dans chacun desquels dominent des renseignements visés à l’article 21 dans des fichiers inconsultables classés comme tels en vertu de l’article 18 sont exercés devant le juge en chef adjoint de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette Cour qu’il charge de leur audition.

(2) Les recours visés au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l’objet d’une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la capitale nationale définie à l’annexe de la Loi sur la capitale nationale si le responsable de l’institution fédérale concernée le demande.

(3) Le responsable de l’institution fédérale concernée a, au cours des auditions en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie.

[143]   Sur les trois institutions visées par les demandes de communication de l’appelant, seul le SCRS a refusé de communiquer des renseignements personnels concernant l’appelant en invoquant les articles 19 et 21 de la Loi. La contestation constitutionnelle des dispositions de l’article 51 est donc uniquement faite dans le contexte du refus du SCRS de communiquer des renseignements personnels versés dans les deux « fichiers ». (La demande de contrôle judiciaire de cette décision se rapporte au dossier T-638-91 (A-873-97).)

[144]   Il importe de se rappeler que l’appelant a demandé l’accès au fichier 010, qui porte sur les enquêtes « de nature délicate » effectuées par le SCRS. En réponse, le SCRS a refusé de confirmer ou de nier l’existence des renseignements versés dans ce fichier se rapportant à la demande de l’appelant conformément au paragraphe 16(2) de la Loi. Le SCRS a ajouté que, si les renseignements existaient, ils étaient visés par les exceptions prévues aux articles 19, 21, 22 et 26 de la Loi. Le SCRS soutient que le déroulement des enquêtes visées par le fichier 010 serait compromis si les individus ou les organisations en cause dans ces enquêtes étaient en mesure de confirmer l’intérêt que le SCRS leur manifeste. Les renseignements versés dans les fichiers 015 sont semblables à ceux qui sont versés dans le fichier 010, mais ils sont plus anciens et, par conséquent, il est soutenu qu’il s’agit de renseignements de nature moins délicate. Certains renseignements versés dans les fichiers 015 ont été communiqués à la suite d’une intervention du Commissaire à la protection de la vie privée. Toutefois, le SCRS a revendiqué une exception à l’égard des autres renseignements en vertu des articles 19 et 21 ainsi que des alinéas 22(1)a) et b) de la Loi.

[145]   L’appelant soutient fondamentalement que la nature obligatoire de l’article 51 de la Loi va à l’encontre de diverses dispositions de la Charte. Contrairement au paragraphe 46(1) de la Loi, qui confère au juge des requêtes le pouvoir discrétionnaire voulu pour déterminer si les procédures doivent se dérouler en l’absence d’une partie ou à huis clos, l’article 51 exige que les audiences portant sur les cas où le refus de donner communication de renseignements est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l’article 21 soient tenues à huis clos et que le responsable de l’institution fédérale concernée ait le droit de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie. La juge des requêtes [[1996] 3 C.F. 134 a conclu que l’alinéa 51(2)a) et le paragraphe 51(3) de la Loi restreignent les droits garantis à l’alinéa 2b) de la Charte, mais que les dispositions contestées se justifiaient au regard de l’article premier de la Charte. Le défendeur n’en a pas appelé de la conclusion tirée par la juge, à savoir que ces dispositions violent l’alinéa 2b). Quant à la question de savoir si les dispositions violaient le droit à la vie privée reconnu aux articles 7 et 8 de la Charte, la juge a conclu que ces dispositions établissent simplement les règles de procédure applicables à l’examen d’un refus de communication de renseignements personnels et, partant, qu’elles ne se rapportent pas au droit à la vie privée d’un individu. Nous traiterons d’abord de l’argument fondé sur l’alinéa 2b) que la juge des requêtes a examiné à fond. À notre avis, la juge n’a pas commis d’erreur en se prononçant contre l’appelant sur ce point.

[146]   Quant au droit que possède l’appelant d’invoquer l’alinéa 2b) à l’encontre des dispositions obligatoires de l’article 51 de la Loi prévoyant la tenue d’une audience à huis clos et en l’absence d’une partie, le juge des requêtes a fait remarquer que la liberté d’expression protège tant les auditeurs que les lecteurs. L’appelant a donc le droit de contester la disposition pour le motif que si les médias ne peuvent pas assister à une audience tenue conformément à l’article 51, l’appelant, en sa qualité de membre du public, s’est en pratique vu refuser le droit de prendre connaissance du compte rendu de l’audience dans la presse. La juge a conclu que même si, dans certains cas, la communication publique de renseignements personnels peut nuire aux intérêts protégés par les alinéas 19(1)a) et b) ainsi que par l’article 21 de la Loi, prévoir d’une façon péremptoire que pareils renseignements personnels doivent toujours être examinés à huis clos et en l’absence d’une partie va à l’encontre de l’alinéa 2b) de la Charte. La juge a exprimé l’avis selon lequel il n’est pas approprié de tenir une audience en privé à moins que, sur une base individuelle, la Couronne ne démontre à la satisfaction d’un juge qui exerce son pouvoir discrétionnaire que la tenue d’une audience à huis clos ou en l’absence d’une partie est justifiée, et ce, bien que l’intérêt public exige un système judiciaire public et responsable. La juge a ensuite examiné la question de savoir si les dispositions en question se justifiaient au regard de l’article premier de la Charte.

[147]   Après avoir appliqué le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt La Reine c. Oakes[33], la juge a conclu que la restriction imposée à l’alinéa 2b) pouvait constituer une limite raisonnable en vertu de l’article premier de la Charte. Ce cadre impose au procureur général la charge d’établir : (i) que l’objectif de la législation est urgent et important; (ii) qu’il existe un lien rationnel entre la mesure législative et l’objectif visé; (iii) que la législation empiète le moins possible sur les droits et libertés; (iv) qu’il y ait une proportionnalité entre les effets préjudiciables de la législation et ses effets bénéfiques. Les trois derniers objectifs sont souvent regroupés sous la rubrique de la « proportionnalité ».

[148]   En ce qui concerne le premier critère, la juge a statué que la preuve par affidavit présentée au sujet des opérations du SCRS, de la GRC et du MAE était suffisante pour établir que les dispositions de l’article 51 visaient à permettre la réalisation de l’objectif urgent et important de préserver les sources existantes de renseignements étrangères. La juge a conclu que, selon la preuve, les dispositions de l’article 51 visent à éviter que les alliés du Canada et ses sources d’information aient l’impression qu’une divulgation de renseignements de nature délicate puisse par inadvertance survenir.

[149]   La juge a ensuite conclu à l’existence d’un lien rationnel entre les dispositions contestées et l’objectif visé; elle a fait remarquer que, de toute évidence, la procédure à huis clos et la présentation d’arguments en l’absence d’une partie atténuent le risque de divulgation accidentelle d’une information de nature délicate.

[150]   Quant à la question de la dérogation minimale, la juge s’est demandé si, en pratique, il y avait un autre moyen d’atteindre l’objectif visant à préserver les sources existantes de renseignements étrangères, moyen qui porterait moins atteinte à la liberté de la presse. La juge a rejeté la prétention de l’appelant selon laquelle il serait possible de remplacer la procédure prévue à l’article 51 par une procédure semblable à celle qui a été approuvée par la Cour suprême du Canada pour l’examen des affidavits utilisés dans les cas d’écoute électronique. Pareille procédure peut être moins importune, mais la juge a conclu qu’elle ne serait pas pratique lorsque le défendeur refuse de confirmer ou de nier l’existence de renseignements ainsi que dans les affaires comportant un grand nombre de documents ou un petit nombre de documents compliqués. La juge s’est ensuite demandée si les régimes d’accès existant en Australie et aux États-Unis prévoyaient d’autres procédures efficaces susceptibles d’être utilisées à la place de la procédure prévue à l’article 51.

[151]   La Freedom of Information Act américaine [5 U.S.C. § 552 (1994)] prévoit que les organismes sont exemptés de la divulgation publique lorsqu’il s’agit de questions [traduction] « qu’un décret présidentiel autorise expressément, et conformément à des critères qui y sont établis, de garder secrètes dans l’intérêt de la défense nationale ou de la politique étrangère ». L’individu qui s’oppose à pareille classification des renseignements et au refus de communication en résultant peut porter plainte devant une cour de district américaine. En déterminant si l’organisme a refusé indûment la communication de renseignements, la Cour de district [traduction] « peut examiner, à huis clos le contenu des dossiers de l’organisme pour déterminer s’il faut les retenir en tout ou en partie en application de l’une ou l’autre des exceptions énoncées » [soulignement ajouté]. Il incombe à l’organisme de convaincre la Cour que la communication des documents devrait être refusée. En examinant la question de savoir si la pratique américaine voulant que les cours aient le pouvoir discrétionnaire de déterminer, sur une base individuelle, s’il faut tenir une audience à huis clos en l’absence d’une partie peut être intégralement adoptée au Canada, la juge des requêtes a statué [à la page 160] que la position du Canada à titre d’« importateur net de renseignements […] doté de beaucoup moins de ressources » lui laissait moins de liberté de manœuvre lorsqu’il s’agissait d’établir des procédures d’examen facultatives visant à permettre de déterminer si des renseignements de nature délicate devaient être communiqués à un individu. Le juge a statué qu’un changement, même mineur, pourrait faire croire aux pays alliés que le Canada n’est pas en mesure d’assurer la confidentialité des renseignements de nature délicate.

[152]   En énonçant la procédure administrative d’examen applicable en Australie en cas de refus de communication, la juge a fait remarquer que l’Archives Act 1983 [no 79, 1983] australienne prévoit la tenue obligatoire d’une audience à huis clos lorsqu’une question visée par une exception est en cause ainsi que le pouvoir discrétionnaire de procéder en l’absence d’une autre partie et d’interdire la publication. La juge a rejeté la possibilité que ce modèle puisse constituer une dérogation minimale en se fondant sur deux motifs, le premier étant que l’appelant n’a pas invoqué cet argument, préférant soutenir que la procédure de contrôle relative à l’affidavit déposé dans une affaire d’écoute électronique est le seul modèle acceptable de dérogation minimale. Deuxièmement, la juge a examiné les modifications que l’on se proposait d’apporter à la législation australienne en vue d’interdire tout appel d’une décision de l’inspecteur général des renseignements et de la sécurité d’exempter de la communication des renseignements d’origine étrangère. Cela étant, la juge a refusé de conclure que la pratique australienne constitue un exemple raisonnable de dérogation minimale.

[153]   Enfin, toujours en ce qui concerne la dérogation minimale, la juge a examiné la procédure utilisée par le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) du Canada suivant laquelle celui-ci a le droit d’obtenir tous les renseignements détenus par le SCRS, à l’exception des documents confidentiels du cabinet. En général, le protocole régissant la communication au CSARS de renseignements provenant de tiers ne prévoit aucune précaution spéciale : l’échange est davantage fondé sur un régime de confiance par lequel le CSARS s’engage par exemple à observer toutes les précautions spéciales demandée par le SCRS, à traiter tout renseignement provenant d’un tiers avec une extrême précaution et à ne pas communiquer à autrui les renseignements obtenus d’un tiers à moins d’avoir obtenu l’autorisation de ce dernier. La juge ne croyait pas que ce système de communication puisse constituer une solution de rechange acceptable par rapport à la procédure prévue à l’article 51, et ce, en bonne partie parce que le CSARS, en tant que partie intégrante du SCRS, reconnaît qu’il est important de protéger les renseignements provenant de tiers.

[154]   Quant à la question de la proportionnalité, la juge a appliqué le critère, tel qu’il a été repris par le juge en chef Lamer (tel était alors son titre) au nom de la majorité de la Cour, dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada[34]. Selon cet énoncé, la cour devait examiner : (i) la proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures restreignant un droit ou une liberté et l’objectif, et (ii) la proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et leurs effets bénéfiques. Ce critère a été révisé après que la juge eut fait connaître ses motifs de jugement. Dans l’arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général)[35], le juge Bastarache, au nom de la majorité, a statué que l’appréciation des objectifs législatifs par rapport aux effets préjudiciables de la législation est effectuée d’une façon efficace au stade de l’analyse relative à la question de l’existence d’un lien rationnel et de la dérogation minimale. Il reste à savoir si les avantages de la législation l’emportent sur ses effets préjudiciables.

[155]   Dans ses motifs, le juge des requêtes s’est fondé sur l’affidavit du professeur John M. Fraser, ancien agent du service extérieur canadien. Selon le professeur Fraser, toute modification visant à remplacer les dispositions obligatoires de l’article 51 de la Loi par des mesures de protection discrétionnaires n’échappera pas aux alliés avec qui nous échangeons des renseignements et sera perçue comme une atteinte [traduction] « appréciable » quoique [traduction] « légère » à notre aptitude à protéger les renseignements de nature délicate contre toute divulgation accidentelle. La juge convenait que cette preuve était de nature « spéculative », mais elle a admis qu’elle était digne de foi et fondée et que, eu égard aux circonstances, c’était la meilleure preuve dont on disposait. La juge a conclu que, bien que les effets salutaires soient difficiles à quantifier, les dispositions de l’article 51 préservaient la fourniture de renseignements au Canada.

[156]   Enfin, la juge a conclu que les effets préjudiciables des paragraphes 51(2) et (3) de la Loi sont minimes. La juge a fondé cette conclusion sur l’avis selon lequel, même en l’absence des dispositions obligatoires de l’article 51, il est presque certain que si le défendeur produisait des preuves suffisantes démontrant que les renseignements de nature délicate et les exceptions connexes faisant l’objet de l’examen mettaient en cause des questions de sécurité nationale ou des renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel, le juge, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 46(1), examinerait ces questions à huis clos et, sur demande, en l’absence d’une partie. Nous aimerions ajouter qu’il faudrait fort peu d’éléments de preuve pour convaincre un juge que pareilles protections procédurales sont nécessaires compte tenu du genre de renseignements dont la communication est demandée.

[157]   En appel devant cette Cour, le principal argument invoqué par l’appelant se rapportait à la question de la dérogation minimale. L’appelant maintient que l’audience obligatoire à huis clos et en l’absence d’une partie empêche un individu d’obtenir des renseignements utiles au sujet de la raison pour laquelle la communication est refusée. L’appelant affirme que cette absence d’information empêche la personne concernée de présenter des arguments intelligents quant à la raison pour laquelle le gouvernement a agi d’une façon irrégulière en refusant la communication des renseignements demandés.

[158]   L’appelant soutient que, pour remédier à cette absence d’information, le droit doit prévoir un [traduction] « pouvoir discrétionnaire judiciaire » en vue de fournir aux personnes qui sont dans la même situation que lui une description des renseignements retenus qui soit suffisante pour leur permettre de contester le refus de communication du gouvernement. Il est soutenu que la chose peut être accomplie au moyen de sommaires judiciaires, tels que ceux auxquels on a recours dans le contexte de l’écoute électronique. L’appelant soutient fondamentalement qu’à l’aide de la preuve publique et de la preuve fournie au moyen d’affidavits secrets, le juge désigné établirait des sommaires de la preuve secrète et les remettrait au demandeur. Ces sommaires informeraient le demandeur d’une façon suffisante de la nature des renseignements retenus, de sorte qu’il pourrait contester le refus de communication au moyen d’une preuve ou d’arguments. À notre avis, cet argument ne peut pas être retenu, et ce, pour trois raisons. Deux raisons ont été avancées par le juge des requêtes et sont énoncées ci-dessus. La troisième se rapporte à la mesure proposée par l’appelant.

[159]   Nous sommes d’accord avec la juge des requêtes pour dire que la solution proposée par l’appelant n’est pas pratique dans les cas où le défendeur est autorisé, en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi, à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements ainsi que dans les cas comportant un grand nombre de documents ou un petit nombre de documents compliqués. Nous souscrivons également à la remarque du juge selon laquelle même si l’article 51 conférait un pouvoir discrétionnaire au juge, il est presque certain que si le défendeur présentait des éléments de preuve appropriés tendant à montrer que les renseignements non divulgués mettent en cause la sécurité nationale ou des renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel, le juge exercerait son pouvoir discrétionnaire en faveur de la Couronne et entendrait l’affaire à huis clos et, sur demande, en l’absence d’une partie. En outre, le fait que la législation limite la nature obligatoire de l’article 51 à l’examen de la non-communication des renseignements décrits aux articles 19 et 21 démontre que le législateur était parfaitement au courant de la nécessité de veiller à ce que la procédure de communication soit la plus ouverte possible. Comme il en a ci-dessus été fait mention, les exceptions font partie d’un sous-ensemble restreint et, avec égards, elles se justifient.

[160]   La troisième raison pour laquelle l’argument de l’appelant doit être rejeté découle du fait qu’il n’y a aucun rapport entre la solution proposée par l’appelant, à savoir les sommaires judiciaires, et le tort allégué, soit la nature obligatoire de l’article 51. À notre avis, la mesure proposée par l’appelant n’a aucun rapport avec la violation alléguée de la Charte. Il est possible de le démontrer si l’on suppose que l’article 51 de la Loi porte atteinte à la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte et qu’il ne se justifie pas au regard de l’article premier de la Charte. Dans ces conditions, le redressement constitutionnel logique consiste à remplacer le libellé obligatoire de l’article 51 par une disposition discrétionnaire, c’est-à-dire à remplacer par le mot « may » par le mot « shall » figurant dans la version anglaise. Dans toute demande d’examen du refus de communication fondé sur les alinéas 19(1)a) ou b) ou sur l’article 21, le juge serait autorisé à entendre la demande à huis clos ou à recevoir les arguments du gouvernement en l’absence d’une partie. En fait, l’article 51 serait remplacé par les dispositions procédurales générales de l’article 46 et aurait uniquement à être invoqué pour que la demande soit entendue et tranchée dans la région de la capitale nationale.

[161]   Toutefois, l’appelant maintient que pareille mesure est insuffisante. De plus, il demande des sommaires judiciaires du contenu de tout affidavit confidentiel déposé par la Couronne, du moins dans la mesure où il est possible de le faire sans enfreindre les dispositions de la Loi. Avec égards, la mesure proposée n’a aucun rapport avec la présumée violation de la Charte.

[162]   À l’heure actuelle, la loi n’oblige pas le juge à préparer un sommaire judiciaire de la preuve contenue dans un affidavit confidentiel soumis par le défendeur en l’absence d’une partie. Ainsi, en l’espèce, l’affidavit MacEwan indiquerait s’il existe dans le fichier 015 des renseignements à l’égard desquels des exceptions sont revendiquées; ces renseignements seraient joints à l’affidavit et la corrélation serait établie entre chaque élément d’information et l’exception pertinente. De plus, cet affidavit indiquerait s’il existe des renseignements dans le fichier 010. Dans l’affirmative, les renseignements seraient joints à l’affidavit et les exceptions pertinentes ainsi que les justifications seraient énoncées. Comme la juge des requêtes l’a fait remarquer, la seule différence entre l’examen régi par l’article 51 et l’examen prescrit par l’article 46 de la Loi est que, dans le premier cas, un affidavit confidentiel doit être accepté et une preuve présentée en l’absence d’une partie doit être reçue, l’examen devant par ailleurs être effectué à huis clos. En vertu de l’article 46, le juge qui effectue l’examen exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré d’exclure le public; d’accepter un affidavit confidentiel ou de recevoir les arguments à huis clos ou en l’absence d’une partie. Toutefois, cette disposition n’oblige pas le juge qui effectue l’examen à fournir des sommaires des renseignements figurant dans les affidavits confidentiels lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré d’accepter pareils documents à huis clos et en l’absence d’une partie. En fait, l’appelant demande à cette Cour de rédiger de nouveau tant l’article 46 que l’article 51 de la Loi en présumant erronément que l’article 51 est inconstitutionnel. Bref, il n’y a pas de corrélation entre la présumée violation constitutionnelle et la mesure proposée par l’appelant. En conclusion, nous sommes d’avis que les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi violent l’alinéa 2b) de la Charte comme l’a conclu la juge des requêtes. Toutefois, nous sommes également d’avis que ces dispositions se justifient au regard de l’article premier de la Charte. Quoi qu’il en soit, l’ensemble de mesures que l’appelant propose en vue de rendre publique la procédure d’examen en ce qui concerne le refus de l’État de communiquer des renseignements personnels ne constitue pas un redressement approprié dans ce cas-ci.

[163]   La juge des requêtes a restreint son analyse de l’article premier à la présumée violation de l’alinéa 2b) de la Charte. La juge ne s’est pas demandé de quelle façon la disposition de sauvegarde pourrait influer sur les présumées violations des articles 7 et 8, en concluant comme elle l’avait déjà fait dans son jugement que l’application de l’article 51 de la Loi ne faisait entrer en ligne de compte ni l’une ni l’autre de ces dispositions. Aux fins de cette décision, les parties conviennent que la preuve présentée à l’égard de la présumée violation de l’alinéa 2b) de la Charte et la justification de cette violation au regard de l’article premier peuvent être utilisées, au besoin, dans l’analyse des articles 7 et 8. Malgré cette concession, nous n’estimons pas nécessaire d’examiner l’article premier, puisque nous concluons que l’article 7 n’a pas été violé et, implicitement, que l’article 8 ne l’a pas été non plus. Nous examinerons maintenant l’argument que l’appelant a invoqué au sujet de la question de savoir si la nature obligatoire de l’article 51 de la Loi viole les articles 7 et 8 de la Charte.

[164]   L’appelant soutient que la juge des requêtes a commis une erreur en statuant que les dispositions contestées de l’article 51 de la Loi ne violent pas l’article 7 et, implicitement, l’article 8 de la Charte. L’appelant soutient que le droit à la sécurité de la personne protégé par l’article 7 comprend le droit à la protection d’un ensemble de renseignements personnels de nature « biographique » auquel un individu voudrait contrôler l’accès. Cela comprendrait apparemment les renseignements qui tendent à révéler des détails de la vie intime et des choix personnels individuels. Le droit d’un individu à la vie privée n’est pas éteint du fait que le gouvernement possède ces renseignements. Étant donné que la protection des renseignements personnels comporte la capacité de contrôler la diffusion de pareils renseignements, les individus en cause ont fortement intérêt à protéger la diffusion et l’utilisation des renseignements personnels par le gouvernement. En outre, il est soutenu que ce n’est qu’en sachant quels renseignements le gouvernement possède à son sujet qu’un individu peut corriger les inexactitudes et demander un redressement à l’égard des renseignements que le gouvernement a peut-être illégalement recueillis. C’est en ce sens que l’appelant soutient que la protection des renseignements personnels que possède le gouvernement et l’accès à pareils renseignements vont de pair. Il affirme que le refus de communication de renseignements personnels violerait le droit d’un individu à la sécurité de sa personne comme c’est également le cas pour la collecte illégale de renseignements.

[165]   L’appelant a axé ses arguments sur les protections plus générales fournies par l’article 7, en soutenant que les droits en question sont régis par les articles 7 et 8 de la Charte. L’article 8 garantit le droit à la vie privée dans le contexte précis des fouilles, perquisitions et saisies. C’est dans le cadre de l’examen de cette protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives qu’une bonne partie de l’analyse des droits individuels à la vie privée figurant dans la jurisprudence de la Cour suprême a été effectuée. Il a été jugé que le but fondamental de l’article 8 de la Charte est de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées : Hunter et autres c. Southam Inc.[36] Toutefois, on exprime de plus en plus souvent l’avis selon lequel le droit d’un individu à la vie privée est également garanti par l’article 7, qui porte sur la liberté de la personne, et ce, parce que la protection de la vie privée est considérée comme étant à la base de la liberté dans une société démocratique. De fait, la jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême en matière de protection des renseignements personnels démontre que cette dernière considère pareille protection comme un droit personnel de l’individu, fondé sur l’autonomie, la dignité, la liberté et la sécurité[37].

[166]   À l’heure actuelle, le droit reconnaît trois « sphères » distinctes de vie privée. La sphère territoriale se rapporte à des lieux comme le foyer d’un individu. Le droit à la vie privée, sur le plan corporel, a trait au corps humain (le corps, des images comme des photographies, la voix et le nom). Enfin, une personne peut revendiquer le droit à la vie privée sur le plan informationnel à l’égard de questions intimes telles que la santé, l’orientation sexuelle, l’emploi, les opinions sociales, les amitiés et les associations[38].

[167]   Nous reconnaissons l’argument de l’appelant selon lequel, pour avoir un sens quant au fond, le droit à la vie privée doit se rapporter tant à l’acquisition de renseignements personnels qu’à leur utilisation subséquente, en particulier lorsque les renseignements personnels ont été recueillis à l’insu de l’individu et que c’est l’État qui les recueille. La nécessité pour l’État d’exiger et d’obtenir des renseignements personnels précis de chacun de ses résidents n’est pas contestée, mais les individus ont légitimement intérêt à savoir quels renseignements personnels l’État possède à leur sujet. Bref, la personne en cause veut être en mesure de vérifier l’exactitude des renseignements personnels et, si possible, s’assurer qu’ils ont légalement été obtenus. La Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels facilitent l’exercice de ce droit individuel d’accès et de protection des renseignements personnels en créant un régime permettant à l’individu de demander et, idéalement, d’obtenir la communication de renseignements personnels. L’article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit également que les renseignements personnels ne peuvent servir qu’aux fins auxquelles ils ont été recueillis. Par conséquent, la personne en cause a légitimement intérêt à veiller à ce que les renseignements soient recueillis d’une façon régulière et à ce qu’ils soient utilisés à des fins régulières. Il n’est pas bon d’utiliser d’une façon irrégulière des renseignements personnels, mais l’injustice est d’autant plus grande lorsque des renseignements inexacts sont utilisés d’une façon irrégulière.

[168]   Ceci dit, nous nous rendons bien compte que le sens et le contenu des garanties constitutionnelles prévues par la Charte varient selon le contexte applicable. En matière de droits à la vie privée, deux baromètres permettent d’apprécier l’étendue du droit à la vie privée que possède un individu, à savoir : le point jusqu’auquel sa liberté ou sécurité est menacée par l’intrusion de l’État dans ses affaires personnelles et la mesure dans laquelle il peut bénéficier d’une expectative raisonnable de vie privée. En ce qui concerne la question de cette attente, il est reconnu en droit que la capacité de contrôler la diffusion de renseignements personnels est un élément important. À l’appui de cet énoncé du droit, on peut citer l’arrêt R. c. Mills[39], dans lequel les juges McLachlin et Iacobucci ont fait les remarques suivantes (paragraphe 80) [page 722] :

Ce droit de ne pas être importuné par l’État comporte la capacité de contrôler la diffusion de renseignements confidentiels. Comme le juge La Forest l’a affirmé dans l’arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, aux p. 53 et 54 :

Il est […] reconnu depuis longtemps que la liberté de ne pas être obligé de partager nos confidences avec autrui est la marque certaine d’une société libre. Le juge Yates, dans la décision Millar v. Taylor (1769), 4 Burr. 2303, 98 E.R. 201, dit, à la p. 2379 et à la p. 242 :

[traduction] Il est certain que tout homme a le droit de ne pas exprimer ses opinions, s’il ne le veut pas; il a certainement le droit de juger s’il les rendra publiques ou s’il ne les livrera qu’à ses amis.

Ces préoccupations en matière de vie privée sont à leur plus fort lorsque des aspects de l’identité d’une personne sont en jeu, comme dans le cas des renseignements « relatifs au mode de vie d’une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses » : Thomson Newspapers, précité, aux pp. 517 et 518, le juge La Forest, cité avec approbation dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, au par. 62.

[169]   Dans un cas comme celui-ci où un individu n’est peut-être pas parfaitement au courant des renseignements que le gouvernement a recueillis et conservés, la capacité de contrôler la diffusion de renseignements personnels dépend d’un droit d’accès connexe, ne serait-ce que pour vérifier l’exactitude des renseignements. Bref, l’attente raisonnable en ce qui concerne l’accès est liée à l’attente raisonnable en ce qui concerne la vie privée.

[170]   À notre avis, le fait que la Loi prévoit l’acquisition et l’accumulation de renseignements personnels et leur diffusion, dans des circonstances où la personne touchée n’est peut-être pas en mesure de vérifier l’exactitude des renseignements ainsi acquis, peut mettre en cause le droit à la vie privée reconnu dans la jurisprudence de la Cour suprême et l’application possible de l’article 7 de la Charte. Il reste donc à déterminer si les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi violent l’article 7 de la Charte. Pour ce faire, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, il faut établir que la nature obligatoire de l’article 51 porte atteinte à la liberté de l’appelant. À supposer qu’il y ait pareille atteinte, il s’agit ensuite de savoir si cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale, qui comportent un élément tant procédural que substantif.

[171]   À notre avis, les dispositions obligatoires de l’article 51 de la Loi portant sur les audiences à huis clos et en l’absence d’une partie ne mettent pas en cause les libertés reconnues à l’article 7 de la Charte. Comme le juge des requêtes, nous concluons que l’article 51 est simplement une disposition procédurale visant à empêcher la communication accidentelle de renseignements touchant la sécurité nationale ou de renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel et qu’il est lié à une procédure qui, en fin de compte, exige simplement que tous les renseignements personnels soient divulgués au juge pour qu’il puisse déterminer si les exceptions revendiquées par le responsable de l’institution fédérale sont justifiées. Si, dans certains cas, la tenue d’une audience à huis clos en l’absence d’une partie est prévue à l’égard d’un refus de communication, on ne peut pas raisonnablement maintenir que pareille protection procédurale « prive » le demandeur de sa liberté.

[172]   Il importe de comparer l’article 51 et les articles 19 à 28 inclusivement de la Loi, ceux-ci interdisant la communication de renseignements personnels ou conférant le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication de pareils renseignements, malgré le droit général d’accès prévu à l’article 12 de la Loi. Il serait possible de soutenir que ces dispositions restrictives mettent en cause l’article 7 de la Charte en ce sens qu’elles portent atteinte au droit de contrôler la diffusion de renseignements exacts obtenus d’une façon régulière par l’État. Cependant, même si ces dispositions mettaient en cause l’article 7, il faudrait montrer que cette atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale et, accessoirement, déterminer si le droit que possèdent le Commissaire à la protection de la vie privée et la Cour fédérale d’examiner les renseignements afin d’apprécier la validité des exceptions revendiquées par le responsable d’une institution fédérale est conforme à ces principes non énoncés. Toutefois, aux fins du présent appel, il est important de noter que la nature obligatoire de l’article 51, en ce qui concerne les audiences à huis clos en l’absence d’une partie, ne change rien au droit d’accès prévu à l’article 12 de la Loi. Par contre, la collecte, l’utilisation et la diffusion de renseignements personnels mettent en cause le droit à la vie privée et l’article 7 de la Charte. L’article 51 n’est qu’une disposition procédurale permettant de déterminer si une exception a été légitimement revendiquée. La question de l’atteinte, si elle existe, est traitée dans d’autres dispositions de la Loi qui ne sont pas ici en cause.

[173]   En conclusion, nous sommes d’avis que les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi ne mettent pas en cause l’article 7 de la Charte; par conséquent, les arguments d’ordre constitutionnel de l’appelant doivent être rejetés.

[174]   Pour ces motifs, nous accueillerons en partie l’appel interjeté dans le dossier A-872-97, les dépens devant être versés à l’appelant par le ministère des Affaires extérieures. Nous accueillerons également l’appel avec dépens dans le dossier A-873-97.

[175]   Nous retournerions l’affaire à la Section de première instance pour qu’il y ait une nouvelle détermination conformément aux présents motifs, de la question de savoir si le SCRS a légitimement appliqué les exceptions revendiquées en vertu de l’article 19, de l’alinéa 22(1)b) et de l’article 26 de la Loi en ce qui concerne les fichiers 010 et 015, et si le MAE a légitimement appliqué les exceptions revendiquées en vertu des alinéas 22(1)a) et b) de ladite loi à l’égard du fichier 040.

[176]   Nous ordonnerions que l’affidavit de M. Paul Copeland et la transcription de son contre-interrogatoire, le cas échéant, soient déposés en preuve et qu’il en soit tenu compte dans l’appréciation de la question de savoir si le SCRS et le MAE ont légitimement appliqué ces exceptions.

[177]   En ce qui concerne le dossier A-52-98, nous rejetterions l’appel sans frais.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je suis d’accord.



[1]  Qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[2]  Le répertoire montre erronément que la lettre était datée du 29 mars 1978 alors qu’elle était datée du 28 mars 1978.

[3]  [1990] 2 R.C.S. 1421.

[4]  (1985), 52 O.R. (2d) 632 (C.A.), à la p. 661.

[5]  [1996] 3 R.C.S. 3, à la p. 39.

[6]  Code criminel, art. 185 [mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 5; 1997, ch. 18, art. 8; ch. 23, art. 4].

[7]  Ibid.

[8]  Ibid., art. 196 [mod. par L.C. 1993, ch. 40, art. 14; 1997, ch. 23, art. 7].

[9]  [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), à la p. 276. Voir également Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.), à la p. 349.

[10]  L’art. 48 de la Loi sur l’accès à l’information se lit comme suit: « Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée. »

[11]  Rubin, précité, note 9, à la p. 276.

[12]  Voir l’affidavit d’E. R. Johnston, dossier d’appel, à la p. 149, par. 6 et 7.

[13]  Voir Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), aux p. 242 et 243; conf. par (1992), 88 D.L.R. (4th) 575 (C.A.F.).

[14]  D. R. Fraser and Co., Ld. v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24 (P.C.).

[15]  E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e  éd. (Toronto: Butterworths, 1983), à la p. 3.

[16]  Dans Falconbridge Nickel Mines Ltd. and Minister of Revenue for Ontario, Re (1981), 121 D.L.R. (3d) 403 (C.A. Ont.), à la p. 408.

[17]  Voir également Dergousoff c. Dergousoff, [1999] 10 W.W.R. 633 (C.A. Sask.), au par. 46 [p. 648]; Standard Trustco Ltd. (Trustee of) v. Standard Trust Co. (1995), 26 O.R. (3d) 1 (C.A.), à la p. 22; Heare v. Insurance Corp. of British Columbia (1986), 32 D.L.R. (4th) 427 (C.S.C.-B.), à la p. 429; Driedger, supra, note 15, aux p. 13 et 14; et Canadian Law Dictionary [traduction] « peut: verbe qui, selon le contexte, dénote la capacité, la compétence, l’autorisation, la discrétion; équivaut parfois à “doit”».

[18]   Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 54 [p. 854].

[19]  Éd. en feuilles mobiles, Toronto, Canvasback, 1998, à la p. 14-47.

[20]  [1990] 2 R.C.S. 254, aux p. 274 et 275.

[21]  (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.), à la p. 235.

[22]  Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (C.A.), à la p. 1006.

[23]  [1998] 2 C.F. 430 (C.A.). Voir également Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 96 (C.F. 1re inst.), à la p. 111 où l’interprétation donnée à l’art. 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information a été appliquée à l’art. 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[24]  Ibid., aux p. 444, 448 et 449.

[25]  [1997] 2 R.C.S. 403, à la p. 456.

[26]  Ibid., à la p. 458.

[27]  (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 54 (C.F. 1re  inst.); conf. par (1993), 13 Admin. L.R. (2d) 304 (C.A.F.).

[28]  [1991] 3 C.F. 325 (1re inst.), à la p. 341.

[29]  Voir la décision que le juge a rendue au sujet de l’admissibilité, aux p. 1044 et 1045 du vol. VI du dossier conjoint d’appel.

[30]  [1994] 2 R.C.S. 9.

[31]  Ibid., à la p. 423.

[32]  R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, à la p. 224; R. v. Terceira (1998), 38 O.R. (3d) 175 (C.A.), aux p. 190 à 194; R. c. Buric (1996), 28 O.R. (3d) 737 (C.A.); conf. par [1997] 1 R.C.S. 535; McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 3e  éd., feuille mobile. Aurora, Ont.: Canada Law Book, para. 37:20530.

[33]  [1986] 1 R.C.S. 103.

[34]  [1994] 3 R.C.S. 835.

[35]  [1998] 1 R.C.S. 877.

[36]  [1984] 2 R.C.S. 145.

[37]  Voir R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411.

[38]  Voir d’une façon générale le juge La Forest dans R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417 et J. D. Craig, « Invasion of Privacy and Charter Values: The Common-Law Tort Awakens » (1997), 42 R.D. McGill 355.

[39]  [1999] 3 R.C.S. 668.

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