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[2000] 2 C.F. 365

T-2107-98

Eric Scheuneman (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Scheuneman c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 18 et 21 octobre et 15 novembre 1999.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Crainte raisonnable de partialitéNorme de contrôleÉquité procéduraleContrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de la C.R.T.F.P. rejetant le grief présenté par le demandeur contre son licenciementAprès la présentation des arguments du ministre, le demandeur a déposé des prétentions écrites de 349 pages, y compris des modifications pour demander un redressement additionnelL’arbitre a accepté le dépôt de toutes les pièces déposées par le ministre, y compris une lettre écrite par le demandeur et un formulaire de plainte de la CCDPTentative de continuer l’audience en après-midi, jusqu’à ce qu’on l’informe que les audiences n’étaient prévues qu’en matinée à cause de l’incapacité du demandeur (syndrome de fatigue chronique)Les motifs ne traitent que d’une partie des questions soulevées par le demandeur à l’audienceDescription de la réclamation de 10 millions de dollars comme une « contradiction », « abus ridicule de la procédure de règlement de griefs » — Rejet des modifications proposées par le demandeur1) De façon réaliste et pratique, une personne bien renseignée conclurait-elle à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de l’arbitre du fait qu’il s’en remettait constamment à l’avocat du ministre et qu’il a fait certains commentaires au sujet de la tentative du demandeur de bonifier le redressement demandéMaître de sa propre procédure, l’arbitre avait le pouvoir discrétionnaire d’accepter le formulaire de la CCDP et d’en évaluer la pertinenceCette acceptation ne peut donc en soi justifier la revendication de partialitéAucune preuve supplémentaire convaincante n’a été présentée pour indiquer l’existence de partialité2)(a) Pondérant les facteurs énoncés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) pour déterminer la norme appropriée de contrôle, l’obligation d’équité n’exige pas que les motifs écrits fassent état de toutes les questions soulevées à l’audience de la C.R.T.F.P.(i) Vu le fait que la nature de la décision de l’arbitre porte sur des droits et vu les pouvoirs que la LRTFP lui accorde, une protection procédurale plus importante est indiquée(ii) Les arbitres sont les décideurs de dernier recours en vertu du régime législatif(iii) Le fait que l’importance de la décision pour le demandeur était d’abord de nature financière fait qu’une protection procédurale importante est moins essentielle(iv) Les Règles de procédure de la C.R.T.F.P. précisent que la décision contient un « sommaire » de la preuve, ce qui va dans le sens d’une protection procédurale moins importante(b) L’art. 25 de la LRTFP donne le pouvoir à la Commission d’accepter la preuve qu’elle juge appropriée, qu’elle soit ou non admissible en justiceIndique qu’une protection procédurale minimale est nécessaire en matière d’acceptation de preuveEn pondérant avec les autres facteurs de Baker, l’arbitre n’était pas tenu en vertu des règles de l’équité procédurale de refuser le dépôt du document remis au demandeur juste avant l’audience(c) L’absence d’une transcription des procédures ne viole les règles de justice naturelle que si elle empêche les cours de statuer sur une demande d’appel ou de révisionComme la Cour peut trancher les questions au vu des documents qui lui sont présentés, l’absence d’une transcription ne constitue pas une violation des règles de la justice naturelle.

Fonction publique Fin d’emploi Contrôle judiciaire du rejet par l’arbitre de la C.R.T.F.P. d’un grief contre un licenciement après huit ans de congé sans soldeL’arbitre rejette les modifications aux actes de procédure visant à réclamer un redressement additionnelEn appliquant le critère de Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) pour déterminer les règles applicables d’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnableLe facteur décisif : la décision de l’arbitre se situe dans le domaine d’expertise de l’arbitreLa question supposait l’interprétation et l’application de règles de procédureL’expertise de l’arbitre consiste à décider de questions de procédureAucun règlement ne traite de la procédure applicable en cas de renvoi d’un grief à l’arbitrageL’art. 11 du Règlement de la C.R.T.F.P. prévoit que toute question d’ordre procédural qui survient au cours d’une procédure devant la Commission et qui n’est pas prévue au Règlement est traitée de la manière ordonnée par la CommissionAppuie la conclusion qu’une certaine retenue judiciaire est requise face à la décision de l’arbitreL’objectif de la LRTFP est de nature administrative, mais les dispositions régissant les arbitres font exception à la nature administrative de la LoiLes décisions des arbitres établissent les droits des employés et de l’administration publiqueComme le rôle de l’arbitre en vertu de l’art. 92 porte sur l’adjudication de droits, il faut pouvoir compter sur des protections procédurales plus importantesL’arbitre s’est appuyé sur Burchill c. Procureur général du CanadaL’arrêt Burchill précise qu’un employé s’estimant lésé ne peut modifier son grief en ce qui concerne la nature des gestes reprochés, dès lors que l’audition de son grief est commencéeOn ne s’est pas appuyé à tort sur cet arrêt, même si le demandeur voulait modifier le redressement demandé et non la nature des gestes reprochésL’arbitre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnableAu sujet des erreurs de fait, l’arbitre est beaucoup mieux placé que la Cour ne l’est dans le cadre du contrôle judiciaireLes conclusions contestées par le demandeur tombent toutes dans le cadre de l’expertise de l’arbitreBien que la Cour ne soit pas nécessairement toujours d’accord avec les conclusions de fait, ce n’est pas son rôle de substituer son avis à celui de l’arbitre.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l’égalité Contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique rejetant le grief présenté contre un licenciementEn 1985, le demandeur a été diagnostiqué comme souffrant du syndrome de fatigue chroniqueEn congé sans solde pendant huit ans avant son licenciementLa question de savoir si le demandeur a été victime de discrimination au motif de son incapacité ne peut faire jurisprudence et elle est abordée comme une question mixte de fait et de droit, ce qui fait que la norme applicable est celle de la décision correcteLa politique du Conseil du Trésor en vertu de laquelle le congé sans solde a été accordé est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d’une maladie prolongéeLe traitement accordé au demandeur n’est pas discriminatoire à première vue au sens de l’art. 15(1) de la CharteAucune preuve que le demandeur a fait l’objet d’une discrimination parce qu’il n’a pu obtenir une transcription de l’audience.

Il s’agissait de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique rejetant le grief présenté par le demandeur contre son licenciement par Ressources naturelles Canada. En 1985, le demandeur, un chef de section, a été diagnostiqué comme souffrant du syndrome de fatigue chronique. Après l’épuisement de ses crédits de congés de maladie en 1988, il s’est vu accorder un congé sans solde en vertu d’une politique du Conseil du Trésor qui précisait qu’un tel congé devait prendre fin après deux ans, tout en autorisant sa prolongation en cas de circonstances exceptionnelles. Après que le demandeur eût refusé de se présenter à un rendez-vous médical, il a fait l’objet d’un licenciement motivé en novembre 1996. Le demandeur a présenté un grief au sujet de son licenciement, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Le grief visait l’octroi de dommages sans préciser de somme. Après que le Ministère eût présenté ses arguments, le demandeur a déposé des prétentions écrites de 349 pages, dans lequel il fixe le montant des dommages à 200 000 $, en plus de réclamer 2 000 000 $ pour complot en vue de violer les droits que lui garantit la Charte et 10 000 000 $ de dommages punitifs connexes. L’arbitre a accepté le dépôt de toutes les pièces déposées par le ministre, y compris une lettre écrite par le demandeur et un formulaire de plainte à la Commission canadienne des droits de la personne que le demandeur avait préparé et dans lequel il portait certaines accusions contre le Ministère. L’arbitre a voulu, au moins une fois, continuer l’audience en après-midi, mais on l’a informé que les audiences n’étaient prévues qu’en matinée à cause de l’incapacité du demandeur. Il a conclu qu’il avait compétence pour entendre des arguments fondés sur la Charte et il a entendus ceux du demandeur. Dans ses motifs, l’arbitre traite d’une partie seulement des questions et objections soulevées par le demandeur à l’audience. Il a décrit la réclamation de 10 000 000 $ comme une « contradiction » et un « abus ridicule de la procédure de règlement des griefs » et rejeté toutes les modifications proposées en se fondant sur Burchill c. Procureur général du Canada. Il a aussi rejeté l’allégation du demandeur que le Ministère avait violé les droits que lui garantit la Charte.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) y avait-il une crainte raisonnable de partialité de l’arbitre vis-à-vis le demandeur par suite d’un préjugé personnel à son égard? 2) l’arbitre avait-il violé d’autres principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale? 3) l’arbitre avait-il commis une erreur de droit? 4) l’arbitre avait-il commis une erreur juridictionnelle en ne tenant pas compte de considérations pertinentes? 5) l’arbitre avait-il commis une erreur de fait? et 6) le Ministère avait-il violé les droits garantis au demandeur par la Charte?

Arrêt : la demande est rejetée.

1) Le critère applicable en matière de partialité personnelle (à distinguer de la partialité systémique) est le suivant : une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, conclurait-elle à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité? À l’appui de son allégation de partialité, le demandeur a soutenu que l’arbitre s’en remettait constamment à l’avocat du Ministère. En étudiant cette preuve de façon réaliste et pratique, la Cour ne peut conclure qu’elle établit une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur soutient aussi que l’autorisation de déposer en preuve le formulaire de plainte de la Commission canadienne des droits de la personne et les deux références à ce sujet dans les motifs de l’arbitre sont mal fondés, et qu’ils démontrent que l’arbitre a été « malveillant ». L’arbitre avait le pouvoir discrétionnaire d’accepter le formulaire et d’en évaluer la pertinence au moment de rédiger ses motifs. Le fait que le formulaire ait été accepté ne peut donc en soi justifier la revendication du demandeur; il faut un élément de preuve supplémentaire convaincant pour indiquer l’existence de partialité et le demandeur n’en a pas présenté. Quant aux commentaires de l’arbitre au sujet de la tentative du demandeur de bonifier le redressement demandé en modifiant sa réclamation, ils n’amèneraient pas une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, à conclure que l’arbitre a fait preuve de partialité envers le demandeur.

2)(i) Le demandeur soutient que le devoir d’équité oblige l’arbitre à commenter ou, au moins, à mentionner certaines questions soulevées et certaines déclarations faites par le demandeur à l’audience. Il est bien établi en droit qu’un tribunal n’est pas tenu de faire état, dans ses motifs écrits, de toutes les questions soulevées par les parties ou de toutes les conclusions qui ont mené à sa décision. Après analyse des facteurs énumérés par le juge L’Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le principe susmentionné reflète toujours l’état du droit quant au contenu des motifs d’un tribunal. Le premier facteur mentionné dans Baker est la nature de la décision rendue. La nature d’une audience d’arbitrage tient à son rôle dans la détermination des droits des employés en vertu de la convention collective, d’une sentence arbitrale, ou face aux décisions prises par l’administration publique. La détermination des droits d’un employé exige que des questions de fait et de droit soient tranchées à l’audience. Afin d’aider l’arbitre dans la conduite des audiences, la LRTFP lui accorde certains des pouvoirs d’une cour supérieure de compétence générale. Le fait que la nature de la décision de l’arbitre porte sur des droits, et les pouvoirs que la LRTFP lui accorde, vont dans le sens d’une protection procédurale plus importante. Le deuxième facteur mentionné dans Baker est la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant le tribunal. Aucun appel n’est prévu contre la décision d’un arbitre, bien qu’un employé puisse demander le contrôle judiciaire. Les arbitres sont donc les décideurs de dernier recours relativement au grief d’un employé. Le troisième facteur est l’importance de la décision pour la personne visée. Étant donné que l’importance de la décision pour le demandeur était d’abord de nature financière, une protection procédurale importante est moins essentielle. Le quatrième facteur pertinent est la pratique de l’organisme quant à sa propre procédure. L’alinéa 83c) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) porte que la décision de l’arbitre contient un « sommaire » de la preuve et des observations, ce qui va dans le sens d’une protection procédurale moins importante. Pondérant tous ces facteurs, le devoir d’équité procédurale de l’arbitre n’exige pas que tous les arguments présentés et toutes les questions soulevées dans le cadre d’une audition en vertu de la LRTFP soient mentionnés dans les motifs écrits.

(ii) Les allégations que l’arbitre a voulu accélérer le processus, ne tenant pas compte de l’incapacité du demandeur, et qu’il a fait preuve de mépris à son endroit, ne sont rien d’autre que des allégations et elles n’ont pas été retenues au vu du contenu des autres affidavits.

(iii) La troisième allégation du demandeur qui touche à l’équité procédurale veut que l’arbitre a eu tort d’admettre la preuve du défendeur, notamment un document qui a été communiqué au demandeur juste avant l’audience et le formulaire de réclamation présenté à la CCDP. Quant au premier document, les facteurs énumérés dans Baker examinés précédemment s’appliquent. De plus, l’article 25 de la LRTFP prévoit que la Commission peut recevoir et accepter les éléments de preuve qu’elle juge appropriés, qu’ils soient admissibles ou non en justice. Cet article indique fortement que seule une protection procédurale minimale est nécessaire en matière d’admission d’éléments de preuve lors d’une audience tenue en vertu de la LRTFP. En pondérant ceci avec les facteurs susmentionnés tirés de Baker, l’arbitre n’était pas tenu, en vertu des règles de l’équité procédurale, de refuser le dépôt du document remis au demandeur juste avant l’audience. Le fait d’admettre le formulaire de plainte de la CCDP ne constituait pas une contravention aux articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, non plus qu’une violation des règles de l’équité procédurale.

(iv) Le demandeur soutient que la politique de la Commission de ne pas enregistrer ses audiences enfreint une des exigences de la justice naturelle. L’absence d’une transcription ne viole les règles de justice naturelle que si elle empêche les cours de statuer sur une demande d’appel ou de révision. Comme ni la LRTFP ni le Règlement de la C.R.T.F.P. ne prescrivent la transcription, il faut décider si le dossier permet à la Cour de statuer convenablement sur la demande. La Cour est saisie des motifs écrits de l’arbitre, du dossier qui lui était présenté, et des affidavits du demandeur et du témoin du défendeur portant sur le déroulement de l’audience. Comme la Cour peut trancher les questions en l’instance au vu des documents qui lui sont présentés, l’absence de transcription ne constitue pas une violation de la justice naturelle.

3) Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur de droit en rejetant sa demande de modifier ses actes de procédure à l’audience pour réclamer un redressement additionnel. La décision en cause était de nature discrétionnaire et elle supposait l’interprétation et l’application de règles de procédure, qui est du domaine de l’expertise de l’arbitre. Aucun règlement ne traite de la procédure applicable en cas de renvoi d’un grief à l’arbitrage. L’article 11 du Règlement de la C.R.T.P.F. prévoit que toute question d’ordre procédural qui survient au cours d’une procédure devant la Commission et qui n’est pas prévue au Règlement est traitée de la manière ordonnée par la Commission. Le fait que la décision se situe dans le domaine d’expertise de l’arbitre appuie la conclusion qu’une certaine retenue judiciaire est requise face à la décision de l’arbitre. L’objectif de la LRTPF est de nature administrative, en ce qu’elle crée la Commission pour régir les relations entre les employés et leur syndicat, d’une part, et la fonction publique fédérale, d’autre part. Les dispositions régissant les arbitres font toutefois exception à la nature administrative de la Loi. Les décisions des arbitres établissent les droits des employés et de l’administration publique, il faut pouvoir compter sur des protections procédurales plus importantes. En adoptant le critère de Baker, la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Le facteur clé en l’occurrence est le fait que la décision de l’arbitre se situe dans le cadre de son expertise.

L’arrêt Burchill précise notamment qu’un employé s’estimant lésé ne peut modifier son grief en ce qui concerne la nature des gestes reprochés, dès lors que l’audition de son grief est commencée. On ne s’est pas appuyé à tort sur cet arrêt, même si le demandeur voulait modifier le redressement demandé et non la nature des gestes reprochés. Les motifs de l’arbitre n’étaient pas viciés à leur face même. L’arbitre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnable.

4) Le demandeur soutient que l’arbitre n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qu’il a présentés. Rien dans la preuve ne démontre que l’arbitre n’a pas lu tous les documents présentés avant la fin de l’audience. Le fait que l’arbitre n’a pas cité chaque élément de preuve présenté par le demandeur, mais a cité plutôt celle du défendeur, ne prouve aucunement qu’il ne l’a pas lue, mais reflète simplement le poids que l’arbitre a donné aux 349 pages après les avoir étudiées. Le fait que l’arbitre n’a pas donné raison au demandeur ne prouve nullement qu’il n’a pas examiné les prétentions du demandeur.

5) L’arbitre est beaucoup mieux placé pour juger des faits que la Cour ne l’est dans le cadre du contrôle judiciaire. Les conclusions contestées par le demandeur tombent toutes dans le cadre de l’expertise de l’arbitre. La norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Bien que la Cour n’arrivait pas nécessairement toujours aux mêmes conclusions de fait, ce n’était pas son rôle de substituer son avis à celui de l’arbitre pour ce motif.

6) Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur en ne concluant pas que le Ministère avait violé le paragraphe 15(1) de la Charte. Comme la situation du demandeur et les gestes posés par le Ministère sont de nature assez exceptionnelle, la question ne peut faire jurisprudence et elle est abordée comme une question mixte de fait et de droit. Comme l’interprétation et l’application de la Charte ne font pas partie du domaine d’expertise d’un arbitre agissant en vertu de la LRTFP, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à cette question mixte de fait et de droit.

Le motif prohibé de discrimination pertinent est l’incapacité du demandeur. La politique du Conseil du Trésor en vertu de laquelle les fonctionnaires du Ministère ont accordé un congé sans solde au demandeur en 1988 est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d’une maladie prolongée. Cette politique n’est donc pas discriminatoire à l’encontre du demandeur. Le demandeur n’a perdu le statut d’employé sans solde qu’après une absence de huit ans et seulement parce qu’il ne pouvait revenir travailler dans un avenir prévisible. Les actions des fonctionnaires du Ministère dans la mise en œuvre de la politique ne peuvent donc être qualifiées de discriminatoires. Le traitement accordé au demandeur n’est pas discriminatoire à première vue au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. L’arbitre avait donc raison de conclure comme il l’a fait sur la question de savoir s’il y avait une preuve suffisante pour étayer l’existence d’une discrimination.

Il n’y a aucune preuve que le demandeur a fait l’objet d’une discrimination parce qu’il n’a pu obtenir une transcription de l’audience.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 10, 44(4)a).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 11(2)g) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 81).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 7, 8(2)b),d).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 21(1), 25, 92(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68), 96.1 (édicté, idem, art. 70), 99, 100(1),(3).

Règlements et règles de procédure de la C.R.T.F.P. 1993, DORS/93-348, art. 83c).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; R. c. S. (R.D.), [1997] R.C.S. 484; (1997), 161 N.S.R. (2d) 241; 151 D.L.R. (4th) 193; 1 Admin. L.R. (3d) 74; 118 C.C.C. (3d) 353; 10 C.R. (5th) 1; 218 N.R. 1; Union internationale des employés de service, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; (1973), 41 D.L.R. (3d) 6; [1974] 1 W.W.R. 653; 73 CLLC 14,193; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 223 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; Perera c. Canada, [1998] 3 C.F. 381 (1998), 158 D.L.R. (4th) 341; 225 N.R. 161 (C.A.); Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (1980), 37 N.R. 530 (C.A.); Rhéaume c. Canada (1992), 11 Admin. L.R. (2d) 124; 153 N.R. 270 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079; (1998), 160 D.L.R. (4th) 1; [1999] 6 W.W.R. 453; 10 Admin. L.R. (3d) 1; 168 Sask. R. 104; 226 N.R. 319; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; (1999), 176 D.L.R. (4th) 1; [1999] 10 W.W.R. 1; 127 B.C.A.C. 161; 66 B.C.L.R. (3d) 253; 46 C.C.E.L. (2d) 206; 244 N.R. 145.

DOCTRINE

Manuel du Conseil du Trésor. Module—Gestion du personnel : Rémunération. Ottawa : Conseil du Trésor du Canada.

Shorter Oxford English Dictionary. Oxford : Clarendon Press, 1989, « summary ».

DEMANDE de contrôle judiciaire du rejet par la Commission des relations de travail dans la fonction publique du grief logé par le demandeur contre son licenciement, pour cause de partialité, violation des principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale, et violation des droits reconnus par l’article 15 de la Charte. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Eric Scheuneman, demandeur, en son propre nom.

Stéphane Arcelin pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Cullen : La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, datée du 20 octobre 1998 [[1998] C.R.T.F.P.C. no 93 (QL)], rejetant le grief présenté par le demandeur contre son licenciement par Ressources naturelles Canada. Le demandeur veut aussi obtenir une ordonnance accueillant son grief, ou, subsidiairement, une ordonnance intimant à la Commission des relations de travail dans la fonction publique de tenir une nouvelle audition de son grief.

[2]        Le premier jour de l’audience, le demandeur a fait état de son incapacité et demandé l’autorisation de fournir de nouvelles prétentions écrites en remplacement de sa plaidoirie orale. L’avocat du défendeur a accepté qu’on dépose une bonne partie des nouvelles prétentions, demandant toutefois des directives à la Cour au sujet de certaines parties auxquelles il s’objectait. Dans les circonstances, les deux parties étaient d’accord pour que la Cour se prononce expressément à ce sujet.

[3]        Les deux parties ont également convenu d’un ajournement sine die pour que la Cour puisse examiner les nouvelles prétentions et décider si elles pouvaient être déposées ou non, et pour qu’elle énonce toute question résiduelle. Cette dernière étape n’a pas été nécessaire. Quant aux prétentions en cause, la Cour ne peut autoriser le dépôt de celles qui constituent de nouveaux éléments de preuve.

Les faits

[4]        Le demandeur est l’ancien chef, Développement de la technologie et de l’industrie, Direction de la technologie de l’énergie, de Ressources naturelles Canada (ci-après le Ministère). Le 4 juin 1984, il a commencé à travailler à temps partiel à son domicile. En 1985, on a diagnostiqué une candidose et une encéphalo-myélite myalgique (ci-après le syndrome de fatigue chronique). Par la suite, le défendeur a essayé d’obtenir que le demandeur reprenne le travail à temps plein, mais cette reprise s’est soldée à l’été 1988 par un congé de maladie lié au stress. Après l’épuisement de ses crédits de congés de maladie, la direction lui a accordé un congé sans solde le 19 septembre 1988. La politique du Conseil du Trésor [Manuel du Conseil du Trésor. Module—Gestion du personnel : Rémunération, Appendice A] qui autorise ce congé prévoit (dossier du défendeur, onglet 30) :

Les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré aux employés qui ne peuvent travailler pour cause de blessure ou de maladie et qui ont épuisé leurs crédits de congé de maladie ou de congé d’accident du travail.

S’il est clair que l’employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré d’une durée suffisante pour permettre à l’employé de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d’emploi de la fonction publique pour raisons médicales.

Si la direction est convaincue qu’il y a de bonnes chances que l’employé retourne au travail dans un délai raisonnable (dont la durée variera selon les circonstances), un congé non rémunéré peut être considéré afin qu’il n’y ait pas d’interruption d’emploi. La direction doit réexaminer tous ces cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non rémunéré n’est pas prolongé sans raisons médicales valables.

La direction doit déterminer la date de cessation du congé non rémunéré en deçà d’une période de deux ans après le début du congé, bien qu’elle puisse prolonger la période de congé si des circonstances exceptionnelles le justifient.

La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d’un recyclage.

[5]        Le demandeur n’a pu retourner au travail et a été mis à pied en 1989. Cette décision a été annulée suite à un grief, et le demandeur a retrouvé le statut d’employé en congé sans solde. Le Ministère s’est enquis de l’état de santé du demandeur en 1990 et en 1992, suite à quoi il a reçu des certificats médicaux confirmant l’incapacité du demandeur. En 1994, le Ministère a cherché à savoir si le demandeur pouvait reprendre le travail ou s’il prendrait une retraite pour raisons médicales. Le demandeur a rejeté ces deux options, voulant demeurer en congé sans solde. Comme le Ministère ne voulait pas que la situation se poursuive indéfiniment, il a continué de chercher à obtenir un pronostic médical quant à la capacité du demandeur à travailler. Finalement, le demandeur a expédié au Ministère une lettre d’un médecin, datée du 12 décembre 1994. Cette lettre disait (dossier du défendeur, onglet 13) :

[traduction] Par conséquent, je ne prévois pas que M. Sheuneman [sic] sera en mesure d’occuper à temps partiel quelque emploi que ce soit dans un avenir rapproché, et je suis fermement convaincu qu’il demeurera invalide pour un nombre indéterminé d’années (de nombreuses années) encore.

[6]        L’échange de correspondance au cours des deux années suivantes indique que le demandeur se posait des questions sur la légalité des actions du Ministère, ainsi que sur les conséquences financières des options suggérées. Par exemple, dans une lettre adressée au Ministère en date du 7 décembre 1995, le demandeur écrit ceci (dossier du défendeur, onglet 17) :

[traduction] Les renseignements portant sur la retraite indiquent clairement qu’une retraite pour raisons médicales serait au détriment de mes intérêts financiers à court et à long terme.

Après que le demandeur eût refusé de se présenter à un rendez-vous médical en novembre 1996, il a fait l’objet d’un licenciement motivé le 29 novembre 1996, en vertu de l’alinéa 11(2)g) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 81] de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11. Au début de 1997, le demandeur a présenté un grief au sujet de son licenciement à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (ci-après la Commission), en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (ci-après la LRTFP). Son grief a été entendu sur une période de trois jours en septembre 1998 par l’arbitre Barry Turner. Mme Patti Bordeleau était l’observateur du Ministère.

[7]        Le grief visait notamment l’octroi de dommages sans préciser de somme. Après que le Ministère eût fini de présenter ses arguments, le demandeur a déposé des prétentions écrites de 349 pages au lieu de faire une plaidoirie. L’arbitre a accepté le dépôt de ces prétentions supplémentaires. Dans ce document de 349 pages, le demandeur fixe le montant des dommages à 200 000 $ et tente aussi d’obtenir que certains employés du Ministère fassent l’objet d’un blâme. Le demandeur cherche également à obtenir 2 millions de dollars pour complot en vue de violer les droits que lui garantit la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], ainsi que 10 millions de dollars de dommages punitifs connexes.

[8]        À l’audition, l’avocat du Ministère a déposé plus de 30 pièces. Le demandeur a présenté ses objections quant à la plupart d’entre elles (sinon toutes) pour divers motifs, mais il n’a pu convaincre l’arbitre de les exclure. Parmi ces pièces, on trouve une lettre écrite par le demandeur, qui en a reçu copie de l’avocat du Ministère la veille du début de l’audience. L’arbitre en a accepté le dépôt au motif qu’elle était manifestement pertinente. On a aussi présenté en preuve un formulaire de plainte à la Commission canadienne des droits de la personne que le demandeur avait préparé, et dans lequel il portait certaines accusations contre le Ministère. L’arbitre en a accepté le dépôt en déclarant qu’il « l’apprécierait en conséquence ».

[9]        L’arbitre a aussi tranché plusieurs autres questions de procédure, notamment en rejetant au moins deux demandes d’ajournement présentées par le demandeur, et une autre visant à obtenir un report du dernier jour d’audience. L’arbitre ayant voulu, à au moins une reprise, continuer l’audience en après-midi, on l’a informé que les audiences n’étaient prévues qu’en matinée parce que le demandeur souffrait du syndrome de fatigue chronique. Il y a divergence de vue quant à la réaction de l’arbitre face à cette situation. Dans une lettre adressée à la Commission le 19 septembre 1988, le demandeur cherchait à obtenir la récusation de l’arbitre pour cause de partialité et disait croire qu’une transcription était nécessaire pour assurer un compte rendu exact du déroulement de l’audience.

[10]      Pour sa part, l’avocat du Ministère a demandé la radiation de certaines prétentions du demandeur, y compris l’allégation que le Ministère avait violé les droits que lui garantit la Charte. Les 349 pages de prétentions écrites contiennent notamment un historique du traitement des personnes handicapées, des arguments sur le but visé par le paragraphe 15(1) de la Charte, une partie de la jurisprudence sur cette question et certains arguments juridiques. L’arbitre a conclu qu’il avait compétence pour entendre des arguments fondés sur la Charte et il a entendu ceux du demandeur.

[11]      Le grief du demandeur a été rejeté dans une décision datée du 20 octobre 1998. Dans ses motifs, l’arbitre traite d’une partie des questions et objections soulevées par le demandeur à l’audience. Il s’est arrêté sur les modifications que le demandeur a voulu apporter au redressement demandé, disant que la somme de 10 millions de dollars était une « contradiction » et « un abus ridicule de la procédure de règlement des griefs ». Il a rejeté toutes les modifications proposées en se fondant sur Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.). Il a aussi rejeté l’allégation du demandeur que le Ministère avait violé les droits que lui garantit la Charte, s’exprimant ainsi (dossier du demandeur, à la page 63) :

Toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à me convaincre, d’après l’ensemble de la preuve, que l’employeur a violé de quelque manière que ce soit la LCDP ou la Charte en le licenciant.

Les questions juridiques

[12]      Après examen de toutes les prétentions, y compris celles que le demandeur a présentées le premier jour de l’audience, et comme elles sont très nombreuses, j’ai jugé nécessaire de les regrouper en six grandes catégories. La première porte sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de l’arbitre vis-à-vis le demandeur. La deuxième porte sur la question de savoir si l’arbitre a violé d’autres principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale. La troisième vise à déterminer si l’arbitre a commis une erreur juridictionnelle en ne tenant pas compte de considérations pertinentes. La quatrième porte sur la question de savoir si l’arbitre a commis différentes erreurs de droit. La cinquième porte sur la question de savoir si l’arbitre a commis une erreur de fait. La sixième vise à déterminer si le Ministère a violé les droits garantis au demandeur par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (ci-après la Charte). La Cour n’a inclus dans aucune catégorie les prétentions qu’elle jugeait sans fondement. Une grande partie de la preuve que le demandeur voulait déposer au moyen de ses prétentions écrites le premier jour de l’audience est inadmissible.

La partialité

[13]      Le demandeur soutient que plusieurs des actions de l’arbitre [traduction] « étaient empreintes de partialité à mon égard et causaient un préjudice à ma cause » (paragraphe 149 du mémoire du demandeur). La Cour considère que ceci renvoie à la crainte du demandeur que l’arbitre ait eu un préjugé personnel à son égard. Il faut distinguer cette allégation de celle de partialité systémique, dont les prétentions écrites du demandeur ne démontrent pas l’existence.

[14]      La Cour partage l’avis du défendeur que le critère applicable en matière de partialité se trouve dans la dissidence du juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369. La Cour doit donc chercher à déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité. Elle doit se demander si une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, conclurait à l’existence d’une crainte de partialité raisonnable.

[15]      Le défendeur a aussi soutenu que les allégations de partialité ne pouvaient être admises à moins que la conduite reprochée, interprétée selon le contexte, ne crée véritablement l’impression qu’une décision a été prise sur la foi d’un préjugé ou de généralisations. L’avocat s’appuie ici sur R c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484. Dans ses motifs, le juge Cory écrit ceci [à la page 541] :

Ces exemples montrent que les allégations de crainte de partialité ne seront généralement pas admises à moins que la conduite reprochée, interprétée selon son contexte, ne crée véritablement l’impression qu’une décision a été prise sur la foi d’un préjugé ou de généralisations. Voici le principe primordial qui se dégage de cette jurisprudence : les commentaires ou la conduite reprochés ne doivent pas être examinés isolément, mais bien selon le contexte des circonstances et par rapport à l’ensemble de la procédure.

Même si cette décision portait sur les commentaires d’un juge d’un tribunal de la jeunesse, le principe énoncé s’applique aux tribunaux tels que les arbitres qui président à une audience tenue en vertu de la LRTFP.

[16]      À l’appui de son allégation de partialité le demandeur présente une preuve abondante regroupée autour de trois allégations. La première veut que l’arbitre s’en remettait constamment à l’avocat du Ministère. La preuve soumise au paragraphe 148 du mémoire du demandeur à l’appui de cette allégation ne contient pas grand-chose qui amènerait la Cour à conclure à la partialité. Il s’agit de déclarations ou de décisions de procédure de l’arbitre, dans lesquelles le demandeur voit de noirs desseins. Bien que cette preuve puisse surprendre à première vue, elle n’a pas grand poids aux yeux de la Cour au vu de l’affidavit du témoin du défendeur, Mme Patti Bordeleau. Elle était présente lors de l’audience. En étudiant cette preuve de façon réaliste et pratique, la Cour ne peut conclure qu’elle établit une crainte raisonnable de partialité.

[17]      Le deuxième groupe d’éléments de preuve sur laquelle le demandeur s’appuie porte sur l’autorisation de déposer en preuve un formulaire de la plainte à la Commission canadienne des droits de la personne que le demandeur avait préparé plus tôt. Le demandeur s’était objecté au dépôt de ce formulaire au dossier du tribunal, dépôt qu’il avait qualifié de déraisonnable, alors que l’avocat du Ministère avait soutenu que le formulaire était pertinent et que le demandeur n’en contestait pas la véracité. L’arbitre a accepté le formulaire et déclaré, dans ses motifs, qu’il « l’apprécierait en conséquence » (dossier du demandeur, à la page 56). Le demandeur soutient dans sa demande que le dépôt de ce document au dossier et les deux références à ce sujet dans les motifs de l’arbitre sont mal fondés, et que l’arbitre a été « malveillant » et avait une « attitude » chargée d’opprobre à son égard.

[18]      La décision de l’arbitre d’apprécier le formulaire « en conséquence » laisse supposer qu’il l’a accepté en vue d’en évaluer la pertinence ou la nécessité au moment de rédiger ses motifs. L’arbitre avait le pouvoir discrétionnaire de procéder ainsi, car il est le maître de sa procédure. Le fait que le formulaire ait été accepté ne peut donc en soi justifier la revendication du demandeur. Il faut un élément de preuve supplémentaire convaincant pour indiquer l’existence de partialité. Toutefois, au lieu de présenter une preuve bien étayée, le demandeur soutient qu’en acceptant le formulaire de plainte, l’arbitre a peut-être violé la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, ou une règle portant sur la recevabilité de la preuve. Ces allégations ne résistent toutefois pas à l’examen, comme on le verra plus loin. Elles ne constituent donc pas la preuve bien étayée sur laquelle la Cour, en étudiant la question en profondeur de façon réaliste et pratique, s’appuierait pour conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Cette conclusion s’applique aussi aux autres décisions de procédure prises par l’arbitre et citées par le demandeur comme démontrant l’existence de partialité contre lui. La question de savoir si le fait que l’arbitre ait accepté le formulaire de plainte viole le devoir d’équité existant envers le demandeur sera examinée plus loin.

[19]      Le troisième groupe d’éléments de preuve sur laquelle le demandeur s’appuie porte sur les commentaires de l’arbitre au sujet de sa tentative de bonifier le redressement demandé. Dans le grief présenté à la Commission, le demandeur cherche notamment à obtenir des dommages généraux pour une somme non précisée. Au cours de l’audience, le demandeur a voulu modifier sa réclamation pour chiffrer les dommages généraux à 200 000 $ et a demandé que certains employés du Ministère fassent l’objet d’un blâme. Plus tard, le demandeur a cherché à obtenir un autre redressement, visant cette fois l’obtention de 2 millions de dollars pour complot en vue de violer les droits que lui garantit la Charte et de 10 millions de dollars en tant que dommages punitifs à ce titre. Dans sa décision, l’arbitre rejette toutes les nouvelles demandes en dommages-intérêts et qualifie la réclamation de 10 millions de dollars de « contradiction » et « d’abus ridicule de la procédure de règlement de grief » (dossier du demandeur, à la page 64).

[20]      Au sujet du premier commentaire de l’arbitre, rien dans la preuve ne démontre l’existence d’une contradiction entre la réclamation finale et le premier redressement demandé. Quant au second commentaire, il fait ressortir la conviction de l’arbitre que la réclamation était non seulement un abus de procédure, mais qu’elle était probablement vexatoire compte tenu du montant de 10 millions de dollars. Le fait que ce commentaire soit exprimé en des termes si frappants n’appuie pas la prétention du demandeur dans les circonstances. Que leur contenu ait été le résultat d’une évaluation juste ou non, ces commentaires n’amèneraient pas une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, à conclure que l’arbitre a fait preuve de partialité envers le demandeur.

La violation des principes de justice naturelle ou de l’équité procédurale

[21]      Le demandeur soutient que l’arbitre a violé les principes de justice naturelle et de l’équité procédurale de façon répétée lors de l’audience et dans ses motifs. Premièrement, il soutient que le devoir d’équité oblige l’arbitre à commenter ou, au moins, à mentionner certaines questions soulevées et certaines déclarations faites par le demandeur à l’audience. Les deux parties n’ont présenté aucun argument juridique pour aider la Cour à trancher cette question.

[22]      Depuis plus de 20 ans, il est bien établi en droit qu’un tribunal n’est pas tenu de faire état, dans ses motifs écrits, de toutes les questions soulevées par les parties ou de toutes les conclusions qui ont mené à sa décision. Le juge Dickson, alors juge puîné, a écrit dans Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382 (ci-après UIES) [à la page 391] :

Les motifs de la décision de la Commission ne précisent pas le nombre de personnes employées par la S.R.N.A. et la Commission n’a pas expressément conclu que la S.R.N.A. était un employeur ou un représentant d’employeur, mais je ne considère pas que cela soit fatal à la compétence de la Commission. Un organisme n’est pas tenu de conclure explicitement par écrit sur chaque élément constitutif, si subordonné soit-il, qui mène à sa décision finale. Le rôle de la Cour dans un cas de ce genre est un rôle de surveillance, non d’appel : art. 21 de la loi.

Certains observateurs peuvent toutefois se demander si le principe énoncé par le juge Dickson est toujours pertinent, au vu de la décision récente du juge L’Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Après analyse des facteurs énumérés par le juge L’Heureux-Dubé, la Cour est d’avis que ce principe reflète toujours l’état du droit quant au contenu des motifs d’un tribunal.

[23]      Le premier facteur mentionné dans Baker, précité, est la nature de la décision rendue. La nature d’une audience d’arbitrage tient à son rôle dans la détermination des droits des employés en vertu de la convention collective, d’une sentence arbitrale, ou face aux décisions prises par l’administration publique. L’audition du grief du demandeur s’est tenue en application du sous-alinéa 92(1)b)(ii) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68] de la LRTFP, précitée :

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[…]

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

La détermination des droits d’un employé exige que des questions de fait et de droit soient tranchées à l’audience. Afin d’aider les arbitres dans la conduite des audiences, la LRTFP leur accorde certains des pouvoirs d’une cour supérieure de compétence générale. L’article 25 prévoit notamment que :

25. En ce qui concerne l’audition ou le règlement de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

a) de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment oralement ou par écrit ainsi qu’à produire les documents et objets que la Commission estime indispensables pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

b) faire prêter serment et recevoir les affirmations solennelles;

Les arbitres ont reçu ces pouvoirs en vertu de l’article 96.1 [édicté, idem, art. 70] de la LRTFP, précitée. Cet article prévoit que :

96.1 L’arbitre de grief a, dans le cadre de l’affaire dont il est saisi, tous les droits et pouvoirs de la Commission, sauf le pouvoir réglementaire prévu à l’article 22.

Le fait que la nature de la décision de l’arbitre porte sur des droits, et les pouvoirs que la LRTFP lui accorde, vont dans le sens d’une protection procédurale plus importante.

[24]      Le deuxième facteur mentionné dans Baker, précité, est la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant le tribunal. En vertu du régime législatif, comme on le voit dans l’article 92 de la LRTFP, précitée, l’arbitre est le décideur de dernier recours relativement au grief d’un employé. Aucun appel n’est prévu contre la décision d’un arbitre, bien qu’un employé puisse demander le contrôle judiciaire. Ceci va dans le sens d’une protection procédurale plus importante.

[25]      L’importance de la décision pour la personne visée est un facteur important dans la recherche des règles appropriées de l’équité procédurale. En l’instance, l’effet le plus important de la décision sur le demandeur semble, au vu de ses lettres au Ministère et des arguments présentés à l’arbitre, être lié à des questions financières comme l’indemnité de départ, la retraite, et les autres avantages auxquels il avait droit alors qu’il était en congé. À titre d’exemple, il a écrit ceci au Ministère le 7 décembre 1995 (dossier du défendeur, onglet 17) :

[traduction] Les renseignements portant sur la retraite indiquent clairement qu’une retraite pour raisons médicales serait au détriment de mes intérêts financiers à court et à long terme.

Étant donné que l’importance de la décision pour le demandeur est d’abord de nature financière, une protection procédurale importante est moins essentielle.

[26]      Le quatrième facteur pertinent est la pratique de l’organisme quant à sa propre procédure. La procédure applicable aux décisions rendues par les arbitres se fonde sur le paragraphe 100(3) de la LRTFP, précitée :

100. […]

(3) La Commission peut prendre des règlements régissant l’arbitrage des griefs, notamment en ce qui concerne :

[…]

d) la forme des décisions rendues par les arbitres.

L’alinéa 83c) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), DORS/93-348 (ci-après le Règlement de la C.R.T.F.P.) porte que :

83. La décision de l’arbitre de grief ou du conseil d’arbitrage contient :

a) un sommaire du grief;

b) un sommaire des observations des parties;

c) les motifs de la décision.

L’utilisation du terme « sommaire » (summary) suppose que la décision de l’arbitre n’a pas à consigner toutes les prétentions des parties. La Cour prend note de la définition donnée à ce mot dans le Shorter Oxford English Dictionary (Clarendon Press, Oxford : 1989), soit : [traduction] « comprenant les points principaux ou la substance d’une question ». L’alinéa 83c) du Règlement de la C.R.T.F.P., précité, va donc fortement dans le sens d’une protection procédurale moins importante.

[27]      Pondérant tous ces facteurs, la Cour en arrive à la conclusion que le devoir d’équité procédurale de l’arbitre n’exige pas que tous les arguments présentés et toutes les questions soulevées dans le cadre d’une audition en vertu de la LRTFP, précitée, notamment ceux et celles qui portent sur la partialité ou qui sont énumérés au paragraphe 151 du mémoire du demandeur, soient mentionnés dans les motifs écrits. Dans Baker, précité, le juge L’Heureux-Dubé a écrit que la liste des facteurs dont elle avait fait état n’était pas exhaustive. En l’instance, la Cour est arrivée à sa conclusion sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir d’autres facteurs qui, dans d’autres circonstances, seraient clairement pertinents pour décider du niveau approprié d’équité procédurale.

[28]      Le deuxième argument du demandeur quant à l’équité procédurale est lié à ses allégations que l’arbitre a voulu l’amener à accélérer le processus, qu’il n’a pas tenu compte de son incapacité et qu’il a fait preuve de mépris à son endroit. Il cite en exemple plusieurs tentatives de l’arbitre de continuer les procédures après midi, même si l’horaire prévoyait que chacune des séances devait se terminer à ce moment-là et qu’on l’avait rappelé à l’arbitre. Il affirme aussi que l’arbitre n’était pas content que l’audience ait eu une durée prévue de trois jours. Le défendeur nie les allégations du demandeur.

[29]      Les motifs écrits de l’arbitre n’indiquent pas vraiment de quelle façon il a tenu compte des besoins du demandeur. Il en ressort que deux demandes d’ajournement ont été rejetées et que le troisième jour de l’audience a eu lieu comme prévu, nonobstant les objections du demandeur. La Cour ne voit pas ce qu’elle pourrait reprocher à ces décisions. On voit aussi dans les motifs que l’arbitre a accepté le dépôt des prétentions écrites du demandeur à titre de plaidoirie orale, pour tenir compte de l’incapacité de ce dernier, nonobstant les objections de l’avocat du Ministère.

[30]      Le témoignage du demandeur met en cause de façon encore plus claire les actions et la motivation de l’arbitre, mais il n’équivaut qu’à des allégations que la Cour ne retient pas, au vu du contenu de l’affidavit de Mme Patti Bordeleau. Il semble que l’arbitre n’était pas au courant du calendrier fixé pour l’audience. Il a fallu que le demandeur ou l’avocat du Ministère l’en informe. Ceci ne veut toutefois pas dire qu’on peut interpréter la preuve comme indiquant que l’arbitre a tenté de bousculer le demandeur ou qu’il n’a pas tenu compte de son incapacité. La preuve ne contient donc pas de motif justifiant une demande fondée sur une violation de l’équité procédurale ou de la justice naturelle.

[31]      La troisième allégation du demandeur qui touche à l’équité procédurale veut que l’arbitre a eu tort d’admettre la preuve du défendeur. Celle-ci comprend un document qui a été communiqué au demandeur juste avant l’audience. Elle comprend également le formulaire de réclamation présenté à la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après le formulaire de réclamation) par le demandeur, auquel ce dernier attribue un caractère de confidentialité. Le formulaire contient l’allégation qu’il existe une politique du Conseil du Trésor visant le licenciement des employés souffrant d’une incapacité, contrairement à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. À l’audience, l’avocat du Ministère a notamment soutenu que ces deux documents étaient pertinents. L’arbitre a autorisé le dépôt du premier document, au motif que c’était « manifestement un document pertinent » (dossier du demandeur, à la page 45), et il a fait de même pour le formulaire de plainte en disant qu’il « l’apprécierait en conséquence » (dossier du demandeur, à la page 56).

[32]      L’allégation du demandeur que le dépôt du formulaire de plainte constitue une violation des règles de l’équité procédurale se fonde sur son affirmation que le formulaire est confidentiel en vertu des articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée. Toutefois, la Cour souligne que le formulaire n’est pas confidentiel compte tenu de l’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée :

8. […]

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;

L’alinéa 44(4)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6, prévoit que :

44. […]

(4) Après réception du rapport, la Commission :

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

La Commission canadienne des droits de la personne était donc autorisée à transmettre le formulaire au Ministère. L’alinéa 8(2)d) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, enlève aussi toute confidentialité au formulaire de plainte en l’instance :

8. […]

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

d) communication au procureur général du Canada pour usage dans des poursuites judiciaires intéressant la Couronne du chef du Canada ou le gouvernement fédéral;

Comme le formulaire de plainte n’était pas confidentiel, l’allégation n’est pas fondée et elle est rejetée.

[33]      Quant au premier document dont l’arbitre a autorisé le dépôt en preuve, il suffit que la Cour renvoie en majeure partie aux facteurs énumérés dans Baker, précité, et examinés précédemment. Le seul facteur à commenter est celui de la pratique adoptée par le tribunal. La pratique des arbitres quant à la détermination de l’admissibilité d’un élément de preuve à l’audience se fonde sur l’article 25 de la LRTFP, précitée, qui prévoit que :

25. En ce qui concerne l’audition ou le règlement de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

[…]

c) recevoir et accepter, sous serment, par affidavit ou sous toute autre forme, les éléments de preuve et les renseignements qu’elle juge appropriés, qu’ils soient admissibles ou non en justice, et notamment refuser tout élément de preuve qui n’est pas présenté dans la forme et au moment prévus par règlement;

Cet article indique fortement que seule une protection procédurale minimale est nécessaire en matière d’admission d’éléments de preuve lors d’une audience tenue en vertu de la LRTFP. En pondérant ceci avec les facteurs susmentionnés tirés de Baker, précité, la Cour conclut que l’arbitre n’était pas tenu, en vertu des règles de l’équité procédurale, de refuser le dépôt du document remis au demandeur juste avant l’audience. Bien que la Cour ait déjà conclu qu’il n’y avait pas eu contravention aux articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, dans le traitement du formulaire de plainte du demandeur, elle conclut aussi que l’autorisation de déposer un formulaire de plainte et le fait d’en faire mention ne constituent pas une violation des règles de l’équité procédurale.

[34]      Au sujet de la justice naturelle, la préoccupation du demandeur porte sur la décision de la Commission de ne pas lui remettre une transcription de l’audience. Dans une lettre envoyée à la Commission après le deuxième jour d’audience, le demandeur déclarait qu’une transcription lui permettrait de faire récuser l’arbitre plus facilement. La Commission n’a jamais répondu à cette lettre.

[35]      Le demandeur soutient que son incapacité et son manque de moyens font que la politique de la Commission de ne pas enregistrer ses audiences constitue une discrimination à son égard en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. S’appuyant sur Rhéaume c. Canada (1992), 11 Admin. L.R. (2d) 124 (C.A.F.), le demandeur soutient que l’arbitre a donc violé une des exigences de la justice naturelle. Le défendeur n’a fait aucune observation relativement à cet argument.

[36]      Contrairement à ce que le demandeur prétend, Rhéaume, précité, établit que les règles de la justice naturelle n’imposent jamais la transcription. Le juge Marceau, J.C.A. a écrit ceci [à la page 125] :

En effet, cette Cour, dans l’arrêt Kandiah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), jugement du 13 avril 1992, non rapporté, dossier A-113-90, a affirmé, de façon non équivoque, qu’elle ne croyait pas que l’obligation d’un tribunal d’assurer un enregistrement intégral de ses procédés et auditions puisse découler de sa simple soumission aux règles de justice naturelle ou de son devoir de donner plein effet aux droits fondamentaux des plaideurs protégés par la Charte.

Comme les parties n’ont fait aucune observation supplémentaire à ce sujet, la Cour souligne l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793. Dans cette affaire, le juge L’Heureux-Dubé [à la page 842] a conclu que l’absence de transcription ne violait les règles de justice naturelle que si elle empêchait les cours de statuer sur une demande d’appel ou de révision :

En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle.

Comme ni la LRTFP, précitée, ni le Règlement de la C.R.T.F.P., précité, ne prescrivent la transcription, le raisonnement du juge L’Heureux-Dubé s’applique aux audiences de la Commission.

[37]      La Cour est saisie des motifs écrits de l’arbitre, du dossier qui lui était présenté, et des affidavits du demandeur et du témoin du défendeur portant sur le déroulement de l’audience. Le demandeur a raison de souligner que certains des documents en contredisent d’autres. La Cour peut toutefois trancher les questions en l’instance au vu de ces documents. L’absence de transcription ne constitue donc pas une violation de la justice naturelle. La question de savoir si les droits garantis au demandeur par le paragraphe 15(1) de la Charte ont été violés sera tranchée dans la partie des présents motifs qui traite des contestations du demandeur fondées sur la Charte.

La commission d’une erreur dans la prise d’une décision discrétionnaire

[38]      Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur de droit en rejetant sa demande de modifier ses actes de procédure à l’audience pour réclamer un redressement additionnel. Dans son formulaire de grief présenté à la Commission, le demandeur n’avait pas précisé la somme des dommages-intérêts qu’il réclamait. Il a voulu par la suite, dans ses prétentions écrites de 349 pages, réclamer 200 000 $ de dommages généraux et 10 millions de dollars de dommages punitifs. L’arbitre s’est appuyé sur Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.) pour rejeter ces modifications.

[39]      Bien que le demandeur présente sa réclamation sous la forme d’une question de droit, la Cour considère que la décision en cause était plutôt de nature discrétionnaire. Que l’arbitre ait cité Burchill, précité, à l’appui de sa décision ne change rien au fait qu’il l’a prise dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de procédure que lui accorde la LRTFP, précitée, comme je l’explique plus loin.

[40]      Le demandeur n’a pas cité de jurisprudence au sujet de la norme de contrôle de l’erreur alléguée. Le défendeur a cité l’arrêt Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 223 (C.A.F.), dans lequel on prône la norme de la décision manifestement déraisonnable pour le contrôle de l’interprétation d’une convention collective. Dans sa décision, le juge Robertson, J.C.A. a écrit ceci [à la page 240] :

En conclusion, la norme de contrôle applicable aux décisions d’un arbitre rendues en vertu de la Loi, pour ce qui a trait à l’interprétation des dispositions d’une convention collective est de savoir si la décision est manifestement déraisonnable.

Comme la question en litige n’a rien à voir avec l’interprétation d’une convention collective, mais porte plutôt sur la question de savoir si l’arbitre a commis une erreur de droit en rejetant les modifications que voulait apporter le demandeur à son grief, Barry, précité, ne s’applique pas. L’autre arrêt cité par le défendeur, Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, ne nous aide pas non plus car il porte sur une décision prise par la Commission en vertu de l’article 99 de la LRTFP, précitée, et se fonde sur le fait que la Commission a pris une décision de nature non juridictionnelle. La Cour adopte donc le critère pragmatique et fonctionnel de l’arrêt Baker, précité, pour déterminer la norme de contrôle applicable à la question en litige.

[41]      Le premier facteur dont il faut tenir compte est que la nature même de la question tranchée par l’arbitre supposait l’interprétation et l’application de règles de procédure. Le deuxième facteur dont il faut tenir compte est le fait que l’expertise de l’arbitre se situe au niveau des décisions sur les questions de procédure, y compris celles qui sont liées à la présentation des griefs. L’article 100 de la LRTFP prévoit que :

100. (1) La Commission peut prendre des règlements relatifs à la procédure applicable aux griefs, notamment en ce qui concerne :

a) leurs mode et formalités de présentation;

[…]

(3) La Commission peut prendre des règlements régissant l’arbitrage des griefs, notamment en ce qui concerne :

a) le mode et le délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage après sa présentation jusqu’au dernier palier inclusivement;

Aucun règlement ne traite de la procédure applicable en cas de renvoi d’un grief à l’arbitrage. L’article 11 du Règlement de la C.R.T.F.P. s’applique donc. Il prévoit :

11. Toute question d’ordre procédural qui survient au cours d’une procédure devant la Commission et qui n’est pas prévue au présent règlement est traitée de la manière ordonnée par la Commission.

Le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure, prévu à l’article 11, est confié aux arbitres en vertu de l’article 96.1. Que la décision tombe sous le coup des alinéas 100(1)a) ou 100(3)a), ou sous celui de l’article 11, il est clair qu’elle se situe dans le domaine d’expertise de l’arbitre. Ce fait appuie la conclusion qu’une certaine retenue judiciaire face à la décision de l’arbitre est requise.

[42]      Le troisième facteur dont il faut tenir compte est l’objet de l’article 92 de la LRTFP, en vertu duquel les arbitres tiennent des auditions de grief, ainsi que l’objet général de la LRTFP. L’objet de la LRTFP est de nature administrative, en ce qu’elle crée la Commission pour régir les relations entre les employés et leur syndicat, d’une part, et la fonction publique fédérale, d’autre part. La Commission se décharge de cette responsabilité par le biais des régimes prévus à la LRTFP pour faciliter la négociation collective, la rédaction de conventions collectives, et le règlement des différends, des griefs et des grèves. Le paragraphe 21(1) de la LRTFP précise clairement le mandat de la Commission, comme suit :

21. (1) La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en prenant des ordonnances qui exigent l’observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu’elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

Les dispositions régissant les arbitres font toutefois exception à la nature administrative de la LRTFP. Leurs décisions établissent les droits des employés et de l’administration publique. Ces décisions se distinguent de la plupart de celles prises en vertu de la LRTFP, en ce qu’elles ne sont pas de nature polycentrique. Comme le rôle de l’arbitre en vertu de l’article 92 porte sur l’adjudication de droits, il faut pouvoir compter sur des protections procédurales plus importantes.

[43]      En pondérant tous ces facteurs, la Cour conclut que la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il est vrai que la LRTFP ne contient pas de clause privative, mais le facteur clé en l’occurrence est le fait que la décision de l’arbitre se situe dans le cadre de son expertise. Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci déclare que [à la page 773] :

L’expertise, qui en l’espèce se confond avec l’objet de la loi appliquée par le tribunal, est le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable.

[44]      L’arbitre s’est appuyé sur Burchill, précité, pour rejeter les demandes de modifications du grief du demandeur. Cet arrêt précise notamment qu’un employé s’estimant lésé ne peut modifier son grief en ce qui concerne la nature des gestes reprochés, dès lors que l’audition de son grief est commencée. Il est vrai que l’arbitre a créé de la confusion en disant que l’arrêt Burchill empêchait un employé s’estimant lésé de modifier « la nature d’un grief » (dossier du demandeur, à la page 64). En plus, le demandeur voulait modifier le redressement demandé et non la nature des gestes reprochés. Quoi qu’il en soit, la Cour ne conclut pas qu’on s’est appuyé à tort sur l’arrêt Burchill, précité. Le demandeur s’appuie sur Perera c. Canada, [1998] 3 C.F. 381 (C.A.), mais cet arrêt ne traite pas de la question de procédure en cause. En conséquence, on ne peut dire que les motifs de l’arbitre soient viciés à leur face même. Il s’ensuit que l’arbitre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnable.

L’erreur juridictionnelle

[45]      Le demandeur soutient que l’arbitre n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qu’il a présentés et qu’il considère pertinents. Si c’était le cas, il s’agirait d’une erreur juridictionnelle qui rendrait la décision nulle; voir UIES, précité. Les préoccupations du demandeur se fondent sur plusieurs allégations.

[46]      Premièrement, le demandeur soutient que l’arbitre n’a pas assimilé ses prétentions écrites de 349 pages avant le dernier jour de l’audience. Cette allégation n’est toutefois appuyée par aucun élément de preuve contenu dans le dossier du tribunal et présenté par le demandeur. De plus, le demandeur ne cite pas de jurisprudence à l’appui de sa prétention que le fait qu’un tribunal ne lise pas tout le dossier avant la fin de l’audition constitue une erreur ouvrant droit à l’intervention judiciaire.

[47]      Deuxièmement, le demandeur croit que l’avocat du défendeur a convaincu l’arbitre par la ruse que l’essentiel du contenu de ses 349 pages n’était pas pertinent. Le fait que l’arbitre n’a pas cité chaque élément de preuve présenté par le demandeur, mais a cité plutôt celle du défendeur, ne prouve aucunement qu’il ne l’a pas lue. À défaut d’une preuve plus claire à l’effet contraire, ceci reflète simplement le poids que l’arbitre a donné aux 349 pages après les avoir étudiées.

[48]      Troisièmement, le demandeur refuse de croire que l’arbitre ait pu lire ses 349 pages sans se rendre entièrement à ses arguments. Le fait que l’arbitre n’ait pas donné raison au demandeur prouve pour ce dernier qu’il n’a pas lu toutes les pages. Avec égards, cette logique ne peut amener la Cour à conclure qu’on n’a pas tenu compte des arguments du demandeur.

L’erreur de fait

[49]      Le demandeur soutient que l’arbitre a commis plusieurs erreurs de fait. Il fonde cette allégation sur la conviction que sa preuve avait un [traduction] « niveau équivalent ou plus élevé de vérification » que celle du défendeur, et qu’elle aurait donc dû lui faire donner gain de cause (mémoire du demandeur, au paragraphe 169).

[50]      La Cour souligne que la norme de contrôle applicable à cette question doit être déterminée selon le critère pragmatique et fonctionnel énoncé dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. La Cour n’a donc qu’un commentaire à ajouter à son examen des facteurs cités dans Baker, précité, savoir que l’arbitre est beaucoup mieux placé pour juger des faits que la Cour ne l’est dans le cadre du contrôle judiciaire. De plus, les conclusions citées par le demandeur aux paragraphes 169 à 187 de son mémoire tombent toutes dans le cadre de l’expertise de l’arbitre. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision manifestement déraisonnable.

[51]      En examinant la preuve présentée à l’arbitre ainsi que les motifs de ce dernier, aucune des erreurs alléguées ne vicie la décision à sa face même. Bien que la Cour n’arrive pas nécessairement toujours aux mêmes conclusions de fait, ce n’est pas son rôle de substituer son avis à celui de l’arbitre pour ce motif; Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079.

L’atteinte aux droits garantis par la Charte

[52]      Le demandeur présente bon nombre d’arguments sur les droits que lui garantit la Charte, ainsi que sur la façon dont l’arbitre y aurait contrevenu. La Cour ne doit toutefois se pencher sur ces arguments que dans la mesure où ils se rattachent au paragraphe 15(1) de la Charte, notamment la prétention suivante, contenue au paragraphe 198 du mémoire du demandeur :

[traduction] Comme démontré aux paragraphes 172 à 182, la décision évalue de façon manifestement erronée et déraisonnable les notions d’accommodement et de contrainte. Ceci veut dire que les lignes directrices énoncées par la Cour suprême et décrites dans ma présentation sur la Charte (Annexe « R ») n’ont pas été utilisées ou correctement prises en compte.

Cet argument semble assimiler à une erreur le fait que l’arbitre n’a pas conclu que le Ministère avait violé le paragraphe 15(1) de la Charte. Comme la situation du demandeur et les gestes posés par le Ministère sont de nature assez exceptionnelle, la Cour ne considère pas que la question de savoir si les actions du Ministère qui constitueraient une violation du paragraphe 15(1) de la Charte pourrait faire jurisprudence. La question sera donc abordée comme une question mixte de fait et de droit; voir Southam, précité.

[53]      En 1985, le demandeur a contracté le syndrome de fatigue chronique. À l’été 1988, il ne pouvait plus travailler et, après épuisement de ses crédits de congés de maladie, ses superviseurs lui ont accordé un congé sans solde le 19 septembre 1988. La politique du Conseil du Trésor [précitée] en vertu de laquelle les représentants du Ministère ont accordé ce congé prévoit (dossier du défendeur, à l’onglet 30) :

Les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré aux employés qui ne peuvent travailler pour cause de blessure ou de maladie et qui ont épuisé leurs crédits de congé de maladie ou de congé d’accident du travail.

S’il est clair que l’employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré d’une durée suffisante pour permettre à l’employé de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d’emploi de la fonction publique pour raisons médicales.

Si la direction est convaincue qu’il y a de bonnes chances que l’employé retourne au travail dans un délai raisonnable (dont la durée variera selon les circonstances), un congé non rémunéré peut être considéré afin qu’il n’y ait pas d’interruption d’emploi. La direction doit réexaminer tous ces cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non rémunéré n’est pas prolongé sans raisons médicales valables.

La direction doit déterminer la date de cessation du congé non rémunéré en deçà d’une période de deux ans après le début du congé, bien qu’elle puisse prolonger la période de congé si des circonstances exceptionnelles le justifient.

La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d’un recyclage.

[54]      Le Ministère s’est enquis de l’état de santé du demandeur en 1990 et en 1992 et a reçu des certificats médicaux confirmant l’incapacité du demandeur. Au début de 1994, le Ministère a cherché à savoir si le demandeur pouvait reprendre le travail ou s’il désirait prendre sa retraite pour des raisons médicales. Le demandeur a rejeté ces deux options, demandant à conserver son statut d’employé en congé sans solde. Le Ministère ne voulait toutefois pas que la situation se poursuive indéfiniment. Un médecin a écrit au Ministère le 12 décembre 1994, déclarant que (dossier du défendeur, onglet 13) :

[traduction] Par conséquent, je ne prévois pas que M. Sheuneman [sic] sera en mesure d’occuper à temps partiel quelque emploi que ce soit dans un avenir rapproché, et je suis fermement convaincu qu’il demeurera invalide pour un nombre indéterminé d’années (de nombreuses années) encore.

Après deux années d’échange de correspondance, le demandeur a fait l’objet d’un licenciement motivé le 29 novembre 1996.

[55]      À l’audition du grief, l’avocat du Ministère s’était opposé au dépôt des prétentions du demandeur alléguant la violation des droits que lui garantit la Charte. Les prétentions écrites du demandeur contiennent un historique du traitement des invalides, des considérations sur le but du paragraphe 15(1) de la Charte, une partie de la jurisprudence sur cette question et des arguments juridiques. L’arbitre a conclu qu’il avait compétence pour entendre des arguments en vertu de la Charte, qu’il a tranché de cette façon [au paragraphe 106] :

Toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à me convaincre, d’après l’ensemble de la preuve, que l’employeur a violé de quelque manière que ce soit la LCDP ou la Charte en le licenciant.

[56]      Les parties n’ont présenté aucune observation quant à la norme de contrôle que la Cour doit appliquer en évaluant les arguments du demandeur fondés sur la Charte. La Cour ne répétera pas le critère pragmatique et fonctionnel énoncé dans Pushpanathan, précité, qu’elle a déjà appliqué, et elle se contentera d’un seul commentaire. Comme l’interprétation et l’application de la Charte ne font pas partie du domaine d’expertise d’un arbitre agissant en vertu de la LRTFP, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à cette question mixte de fait et de droit.

[57]      La première question à examiner pour déterminer s’il y a eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte est celle de savoir si le demandeur a fourni une preuve suffisante à première vue qu’il a subi une discrimination pour un motif prohibé; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3. Le motif prohibé pertinent est l’incapacité du demandeur, soit le syndrome de fatigue chronique. La question est de savoir si le demandeur a fait l’objet de discrimination pour ce motif.

[58]      La politique en cause ne ressemble pas à d’autres qui avaient été appliquées sans nuances au détriment d’un petit nombre de personnes; voir Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536. La politique est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d’une maladie prolongée. Cette politique n’est donc pas discriminatoire à l’encontre du demandeur.

[59]      Le demandeur n’a perdu le statut d’employé sans solde qu’après une absence de huit ans, au lieu de deux, et seulement parce qu’il était très clair qu’il ne pouvait revenir travailler dans un avenir prévisible. Je ne peux concevoir une mise en œuvre plus sympathique et humaine d’une politique sur les congés. Le licenciement du demandeur est la conséquence de son entêtement à refuser d’accepter que ce congé soit, par sa nature même, une mesure limitée dans le temps. Les actions des fonctionnaires du Ministère dans la mise en œuvre de la politique ne peuvent donc être qualifiées de discriminatoires. En conséquence, on ne peut pas dire que le traitement accordé au demandeur est discriminatoire à première vue au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. L’arbitre avait donc raison de conclure comme il l’a fait sur la question de savoir s’il y avait une preuve suffisante pour étayer l’existence d’une discrimination.

[60]      Le demandeur soutient aussi que le défaut de lui fournir une transcription de l’audience viole les droits que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte. Il allègue avoir fait l’objet de discrimination en raison de son incapacité. Cette allégation doit être rejetée pour le motif déjà présenté, soit qu’il n’y a aucune preuve que le demandeur a fait l’objet d’une discrimination parce qu’il n’a pu obtenir une transcription de l’audience. Au contraire, la preuve démontre que le demandeur avait assez d’énergie et de présence d’esprit pour aborder plusieurs questions interlocutoires et faire une critique détaillée des gestes posés par l’arbitre au cours de l’audience.

Conclusion

[61]      Le demandeur a présenté un bon nombre d’allégations et une argumentation méticuleuse. Toutefois, comme toutes ses prétentions sont rejetées, la demande est entièrement rejetée.

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