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IMM‑7498‑05

2006 CF 1310

Zaheer Mohiuddin Mohammed (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié  : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge von Finckenstein—Ottawa, 30 octobre 2006.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Requête en interdiction de divulgation du dossier du tribunal administratif pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité publique présentée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire du rejet, par l’agent d’immigration, d’une demande de résidence permanente —  Les art. 86 et 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) traitent de l’interdiction de divulgation de documents en matière d’immigration —  Bien que l’art. 87 de la LIPR s’applique à une demande de contrôle judiciaire, il ne vise que les renseignements pris en compte dans le cadre des art. 11, 86(1), 112 et 115 —  Ces renseignements ne comprennent pas les circonstances de l’affaire du demandeur —  Les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales (RCF), qui prévoient une procédure permettant à un tribunal administratif de s’opposer à la divulgation de certains documents, n’ont pas été intégrées par renvoi dans les Règles en matière d’immigration et de protection des réfugiés —  Application de la règle 4 des RCF (« règle des lacunes ») — La règle 318(3) a été invoquée —  La procédure énoncée à l’art. 87 de la LIPR a été suivie —  Les renseignements non divulgués porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes — Requête accueillie.

Pratique — Règle des « lacunes » —  Requête en interdiction de divulgation du dossier du tribunal administratif pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité publique présentée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire du rejet, par l’agent d’immigration, d’une demande de résidence permanente —  La règle 4 des Règles des Cours fédérales (RCF) énonce la « règle des lacunes » pour corriger une lacune dans les règles concernant les renseignements sensibles qu’un tribunal administratif ne veut pas divulguer dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue en matière d’immigration —  La règle 4 a été invoquée pour appliquer la règle 318(3) des RCF afin de suivre la procédure énoncée à l’art. 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés —  Requête accueillie.

Il s’agissait d’une requête en interdiction de divulgation du dossier du tribunal administratif pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité publique présentée par le défendeur et en vue d’obtenir un jugement déclarant que le tribunal administratif est autorisé à s’opposer à la divulgation en signifiant une objection écrite. La requête a été soumise dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire du rejet, par un agent d’immigration (le tribunal), de la demande de résidence permanente après que le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Le refus reposait sur l’appartenance du demandeur au Mouvement Mohajir Quami (MQM), une organisation qui a été reconnue comme ayant commis des actes de terrorisme, et le demandeur a été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le dossier certifié du tribunal administratif a été signifié aux parties après le prononcé de l’ordonnance autorisant le demandeur à présenter une demande de contrôle judiciaire. Cependant, le tribunal a conservé plusieurs pages des documents en sa possession parce que la divulgation des documents « porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes ». Le demandeur a alors présenté une requête pour savoir si le défendeur pouvait fournir un dossier du tribunal administratif incomplet sans avoir d’abord obtenu des directives de la Cour sur la question contrairement à ce que prévoient les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales (les RCF). Le défendeur a reçu l’ordre de transmettre à la Cour, sous pli scellé, les documents qui n’étaient pas contenus dans le dossier du tribunal administratif et de présenter une requête en interdiction de divulgation des parties du dossier qu’il ne voulait pas divulguer au demandeur. Les dates de l’audience relatives à la requête ont été fixées par la suite.

La question en litige était celle de savoir quelle procédure doit être suivie et permet de déterminer si une partie du dossier du tribunal administratif ne doit pas être divulguée pour des raisons de sécurité nationale.

Jugement : la requête doit être accueillie.

Les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire sont régies par les articles 15, 16 et 17 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés. Ces dispositions ne prévoient pas que la divulgation du dossier puisse être refusée pour quelque raison que ce soit, y compris pour des raisons de sécurité nationale. Les articles 86 et 87 de la LIPR traitent de l’interdiction de divulgation de documents en matière d’immigration. Bien que l’article 87 s’applique normalement à une demande de contrôle judiciaire, il ne vise que les renseignements protégés au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115 de la LIPR. La demande du demandeur n’a aucun lien avec ces dispositions parce qu’il a présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada et il a été déclaré interdit de territoire. La règle 4 des Règles en matière d’immigration et de protection des réfugiés (les règles) intègre par renvoi des parties des RCF, mais pas la partie 5 où se trouvent les règles 317 et 318; ces dispositions décrivent une procédure qui permet à un tribunal administratif de s’opposer à la divulgation de certains documents. Il semble donc y avoir une lacune dans les règles en ce qui concerne les renseignements sensibles qu’un tribunal administratif ne veut pas divulguer dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue en matière d’immigration. La règle 4 des RCF renferme une « règle des lacunes » pour corriger ce genre de lacune. Comme la question en l’espèce n’était pas visée par les règles ni les RCF, la règle 4 s’appliquait et elle a été invoquée pour permettre à la Cour d’utiliser les règles 317 et 318 des RCF. En invoquant le paragraphe 318(3) des RCF, la procédure énoncée à l’article 87 de la LIPR a été suivie parce qu’elle s’applique expressément aux contrôles judiciaires et la Cour doit, lorsqu’elle comble une lacune, respecter autant que possible l’intention originale du législateur. Le législateur voulait manifestement que ce soit l’article 87 de la LIPR qui régisse l’interdiction de divulgation dans les cas de contrôle judiciaire. De plus, bien que le demandeur ait droit à un résumé des renseignements supprimés si la procédure énoncée à l’article 86 de la LIPR est suivie, les renseignements que le défendeur ne souhaitait pas divulguer en l’espèce seraient difficilement résumés car ils ne seraient d’aucune utilité pour le demandeur alors que leur préparation représenterait un travail considérable pour le défendeur.

Enfin, la divulgation des renseignements que l’on souhaitait ne pas divulguer porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes. Par conséquent, la divulgation des renseignements a été autorisée, sous réserve des suppressions qui y étaient indiquées.

lois et règlements cités

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, art. 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11, 34(1), 78 (mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(A)), 86, 87, 112, 115.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 4, 317 (mod. par DORS/2002‑417, art. 19), 318.

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (mod. par DORS/2005‑339, art. 1), règles 4 (mod., idem, art. 3), 15 (mod. par DORS/2002‑232, art. 8), 16, 17 (mod., idem, art. 14).

jurisprudence citée

décision citée :

Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le juge Lemieux, IMM‑5395‑05, 29‑5‑06 (C.F.).

REQUÊTE en interdiction de divulgation d’une partie du dossier du tribunal administratif pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité publique présentée dans le cadre du contrôle judiciaire du rejet, par un agent d’immigration, d’une demande de résidence permanente. Requête accueillie.

ont comparu :

Lorne Waldman pour le demandeur.

Lorne McClenaghan et Marcel R. Larouche pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

Le juge von Finckenstein :

Le contexte

[1]Zaheer Mohiuddin Mohammed (le demandeur) a présenté une demande de résidence permanente au Canada après s’être vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. La demande a été rejetée le 4 novembre 2005, en application du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), au motif que le demandeur était membre du Mouvement Mohajir Quami (le MQM), une organisation ayant commis des actes de terrorisme. Le demandeur ne conteste pas son appartenance au MQM, mais le fait que cette organisation a commis des actes de terrorisme.

[2]Le 27 juillet 2006, le juge Barnes a rendu une ordonnance autorisant le demandeur à présenter une demande de contrôle judiciaire. L’ordonnance enjoignait aussi au tribunal administratif de faire parvenir des copies de son dossier aux parties et au greffe de la Cour au plus tard le 17 août 2006.

[3]Le tribunal administratif, un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], a préparé son dossier, l’a certifié et l’a transmis à la Cour et aux parties, accompagné d’une lettre de June Levato (la lettre de Mme Levato), qui affirmait que plusieurs pages de documents en la possession du tribunal administratif ne se trouvaient pas dans le dossier parce que leur divulgation [traduction] « porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes ».

[4]Le 6 septembre 2006, le demandeur a présenté une requête afin de savoir si le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) pouvait fournir un dossier du tribunal administratif incomplet sans avoir d’abord obtenu des directives de la Cour sur la question, contrairement à ce que prévoient les règles 317 [mod. par DORS/2002-417, art. 19] et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-238, art. 2)] (les RCF), ou l’article 38 [mod. par L.C. 2001, ch. 44, art. 43, 141] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 (la LPC).

[5]Le protonotaire Lafrenière a ordonné le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) de transmettre à la Cour, sous pli scellé, les documents qui n’étaient pas contenus dans le dossier du tribunal administratif. Il lui a aussi ordonné de présenter une requête en interdiction de divulgation des parties du dossier qu’il ne voulait pas divulguer au demandeur.

[6]En conséquence, le défendeur a déposé sa requête en interdiction de divulgation afin d’obtenir :

1. un jugement déclarant que, pour des raisons de sécurité nationale et de sécurité publique, il n’est pas tenu de divulguer les parties du dossier certifié du tribunal administratif qui ont été supprimées;

2. un jugement déclarant que le tribunal administratif a été autorisé à s’opposer à la divulgation en signifiant une objection écrite.

[7]Le 11 octobre 2006, le juge en chef Lutfy a ordonné :

a) la tenue d’une audience ex parte à huis clos au cours de la matinée du 25 octobre 2006, en l’absence de l’avocat du demandeur;

b) l’audition publique de la requête du défendeur au cours de l’après‑midi du 25 octobre 2006, à laquelle seraient présents les avocats des deux parties.

La question en litige

[8]Les deux parties ont convenu, lors de l’audience publique, qu’une seule question devait être tranchée en l’espèce, à savoir :

a. Quelle procédure doit être suivie et permet de déterminer si une partie du dossier du tribunal administratif ne doit pas être divulguée pour des raisons de sécurité nationale?

Analyse

[9]Les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire en matière d’immigration sont régies par les règles 15 [mod. par DORS/2002-232, art. 8], 16 et 17 [mod., idem, art. 14] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés [DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1)] (les Règles en matière d’immigration) :

15. (1) L’ordonnance faisant droit à la demande d’autorisation :

a) spécifie la langue ainsi que la date et le lieu fixés en application des alinéas 74a) et b) de la Loi pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire;

b) spécifie le délai accordé au tribunal administratif pour envoyer des copies de son dossier, prévu à la règle 17;

c) spécifie le délai de signification et de dépôt d’autres documents, le cas échéant, dont les affidavits, la transcription des contre‑interrogatoires et les mémoires;

d) spécifie le délai dans lequel les contre‑interrogatoires sur les affidavits, le cas échéant, doivent être terminés;

e) peut spécifier toute autre question que le juge estime nécessaire ou pratique pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

(2) Le greffe envoie immédiatement au tribunal une copie de l’ordonnance faisant droit à la demande d’autorisation.

(3) Le tribunal administratif est réputé avoir reçu une copie de l’ordonnance le dixième jour après sa mise à la poste par le greffe.

16. Lorsque la demande d’autorisation est accueillie, le greffe garde les documents déposés à l’occasion de la demande, pour que le juge puisse en tenir compte à l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

17. Dès réception de l’ordonnance visée à la règle 15, le tribunal administratif constitue un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

a) la décision, l’ordonnance ou la mesure visée par la demande de contrôle judiciaire, ainsi que les motifs écrits y afférents;

b) tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif,

c) les affidavits et autres documents déposés lors de l’audition,

d) la transcription, s’il y a lieu, de tout témoignage donné de vive voix à l’audition qui a abouti à la décision, à l’ordonnance, à la mesure ou à la question visée par la demande de contrôle judiciaire,

dont il envoie à chacune des parties une copie certifiée conforme par un fonctionnaire compétent et au greffe deux copies de ces documents.

[10]Il faut souligner que ces dispositions ne prévoient pas que la divulgation du dossier puisse être refusée pour quelque raison que ce soit, par exemple, pour des raisons de sécurité nationale comme celles qui sont invoquées en l’espèce.

[11]Les articles 86 et 87 de la LIPR traitent de l’interdiction de divulgation de documents en matière d’immigration :

86. (1) Le ministre peut, dans le cadre de l’appel devant la Section d’appel de l’immigration, du contrôle de la détention ou de l’enquête demander l’interdiction de la divulgation des renseignements.

(2) L’article 78 s’applique à l’examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, la mention de juge valant mention de la section compétente de la Commission.

87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander au juge d’interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

(2) L’article 78 s’applique à l’examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de fournir un résumé et au délai.

[12]La présente affaire concernant une demande de contrôle judiciaire, l’article 87 devrait normalement s’appliquer. Cette disposition vise cependant seulement les renseignements protégés au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115. En l’espèce, le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié et a présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada. Sa demande n’a aucun lien avec le paragraphe 86(1) ou les articles 11, 112 ou 115 de la LIPR. Il a plutôt été interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[13]Les Règles en matière d’immigration incorporent par renvoi des dispositions des RCF. La règle 4 [mod. par DORS/2005-339, art. 3] des Règles en matière d’immigration prévoit :

4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire et l’appel sont régis par les parties 1, 2, 3, 6, 7, 10 et 11 et les règles 383 à 385 des Règles des Cours fédérales, sauf dans le cas où ces dispositions sont incompatibles avec la Loi ou les présentes règles.

(2) La règle 133 des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas à la signification d’une demande d’autorisation ou d’une demande de contrôle judiciaire.

[14]Les règles 317 et 318 des RCF décrivent une procédure qui permet à un tribunal administratif de s’opposer à la divulgation de certains documents :

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l’office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

(3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

[15]Malheureusement, ces dispositions se trouvent dans la partie 5 des RCF et la règle 4 des Règles en matière d’immigration n’incorpore pas cette partie dans ces règles.

[16]Il semble donc y avoir une lacune dans les règles en ce qui concerne les renseignements sensibles qu’un tribunal administratif ne veut pas divulguer dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue en matière d’immigration.

[17]C’est pour corriger ce genre de lacune que les RCF renferment ce qu’on appelle une « règle des lacunes », à la règle 4 :

4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.

[18]Il me paraît évident que la règle 4 des RCF s’applique directement en l’espèce, où les parties ont déposé une requête me demandant de me prononcer sur une question que ni les Règles en matière d’immigration ni les RCF n’abordent.

[19]J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que personne n’a prétendu devant moi que des renseignements et des documents qui portent atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes doivent être divulgués parce qu’il n’existe pas de procédure concernant leur non‑divulgation. Les deux parties ont seulement affirmé que c’est à la Cour et non au défendeur seul de décider si des documents ou des renseignements doivent ou non être divulgués. Je suis parfaitement d’accord avec elles.

[20]La meilleure analogie se trouve dans les règles 317 et 318 des RCF. Je vais donc appliquer la règle 4 des RCF à l’objet de la présente requête de façon à pouvoir utiliser les règles 317 et 318 des RCF.

[21]Le paragraphe 318(3) des RCF prévoit que des directives peuvent être données sur la façon de procéder. La question est donc de savoir quelle procédure devrait être utilisée.

[22]Les parties reconnaissent unanimement que trois procédures analogues peuvent être utilisées :

a) celle prévue à l’article 38 de la LPC;

b) celle prévue à l’article 86 de la LIPR;

c) celle prévue à l’article 87 de la LIPR.

[23]Les parties reconnaissent également que la procédure prévue à l’article 38 de la LPC est inutilement compliquée, qu’elle exigerait qu’une demande distincte soit présentée et qu’elle concernerait aussi une autre partie, le procureur général du Canada. Je suis d’accord avec elles et, comme les demandes de contrôle judiciaire doivent être traitées rapidement, j’écarte la procédure prévue par la LPC.

[24]La différence entre les articles 86 et 87 réside dans le fait que le demandeur a droit, en vertu du premier, à un résumé des renseignements supprimés, mais non en vertu du deuxième.

[25]Le défendeur préconise la procédure décrite à l’article 87, alors que, selon le demandeur, celle prévue à l’article 86 convient mieux. Le demandeur fait valoir que, bien qu’il ne doive pas prendre connaissance des documents et renseignements ayant un lien avec la sécurité nationale, il a droit à un résumé afin de savoir au moins quelle est la portée des renseignements qui lui sont défavorables.

[26]En l’espèce, le demandeur a appris que le statut de résident permanent lui était refusé parce qu’il était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR au motif qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle était, avait été ou serait l’auteur d’actes de terrorisme. Dans la décision du 4 novembre 2005 qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire en cause, l’agent de CIC, T. Argyrides, a écrit :

[traduction] J’ai examiné la preuve documentaire produite par l’avocat de M. Mohammed, le fait qu’il a reconnu son appartenance au MQM (faction Altaf) et son appui à l’idéologie et aux principes de cette organisation. J’estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Mohammed est membre du groupe Altaf du MQM, une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est ou a été l’auteur  d’actes  de  terrorisme.  [Dossier du demandeur, à la p. 9.]

[27]Le demandeur sait donc que c’est à cause de son appartenance au MQM qu’il a été déclaré interdit de territoire par l’agent d’immigration.

[28]L’article 87 s’applique expressément aux contrôles judiciaires, alors que l’article 86 vise plus particulièrement les enquêtes fondées sur des certificats du ministre. La Cour doit, lorsqu’elle comble une lacune, respecter autant que possible l’intention du législateur. Dans la présente affaire, le législateur voulait manifestement que ce soit l’article 87 qui régisse l’interdiction de divulgation dans les cas de contrôle judiciaire. Par conséquent, il me semble que la procédure prévue par cette disposition est la plus appropriée dans les circonstances.

[29]J’aimerais ajouter qu’il est extrêmement difficile de résumer certains des renseignements que l’on souhaite normalement ne pas divulguer (renseignements concernant les procédures du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité], numéros de dossier, personnes‑ressources, relations de travail et noms des employés du SCRS). De plus, un tel résumé ne serait d’aucune utilité pour le demandeur, alors que sa préparation représente un travail considérable pour le défendeur. Finalement, je constate que mon collègue le juge Lemieux a accueilli une requête en vertu de l’article 87 dans Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dossier IMM‑5395‑05, le 29 mai 2006, une affaire semblable à celle dont je suis actuellement saisi.

[30]Ce matin, j’ai examiné à huis clos, en l’absence de l’avocat du demandeur, les renseignements que le défendeur souhaite ne pas divulguer. Je suis convaincu que la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité des personnes. Par conséquent, j’ai autorisé la divulgation des renseignements, sous réserve des suppressions qui y sont indiquées.

[31]Le dossier du tribunal administratif renfermera, aux fins de la demande de contrôle judiciaire :

a) les renseignements déjà transmis au demandeur;

b) les renseignements qui restent une fois certaines parties supprimées conformément à mon ordonnance du 27 octobre 2006.

[32]Adaptant l’article 78 [mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(A)] à une demande de contrôle judiciaire (comme l’exige le paragraphe 87(2)), je suis d’avis :

1. que l’audience sur le fond devrait se dérouler en deux parties :

· une audience publique au cours de la matinée du 20 novembre 2006, en présence des avocats des deux parties;

· une audience ex parte à huis clos au cours de l’après‑midi du 20 novembre 2006, en l’absence de l’avocat du demandeur;

2. que, lorsqu’elle statuera sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, la Cour prendra en considération :

· le dossier public du tribunal administratif;

· les renseignements supprimés du dossier du tribunal administratif qui auront été divulgués au cours de l’audience à huis clos, dans la mesure, le cas échéant, où ils concernent le demandeur.

[33]Finalement, la présente affaire aurait dû être soumise à la Cour au moyen d’une requête présentée par le défendeur demandant à la Cour d’adopter la procédure décrite ci‑dessus. Il faut espérer que les choses se passeront ainsi à l’avenir. Étant donné que le demandeur a dû soumettre la question à la Cour, une ordonnance lui accordant les dépens sera rendue.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La requête en interdiction de divulgation d’une partie du dossier du tribunal administratif est accueillie. Le défendeur doit déposer à la Cour et signifier au demandeur la version expurgée du dossier du tribunal administratif jointe à mon ordonnance du 27 octobre 2006.

2. L’audition de la demande sur le fond, qui aura lieu le 20 novembre 2006, se déroulera en deux parties :

· une audience publique aura lieu au cours de la matinée du 20 novembre 2006, en présence des avocats des deux parties;

· une audience ex parte à huis clos aura lieu au cours de l’après‑midi du 20 novembre 2006, en l’absence de l’avocat du demandeur.

3. Le demandeur a droit aux dépens de la présente requête.

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