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A‑688‑04

2006 CAF 126

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

Jung Woo Cha (intimé)

Répertorié : Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Noël et Pelletier, J.C.A.—Montréal, 2 mars; Ottawa, 29 mars 2006.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de visiteurs —  Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’une représentante du ministre de prendre une mesure d’expulsion à l’encontre de l’intimé, un étranger qui a été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies — L’agent d’immigration a établi un rapport d’interdiction de territoire en application de l’art. 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés —  La représentante du ministre a estimé que le rapport était bien fondé et elle a pris une mesure d’expulsion à l’encontre de l’intimé en application de l’art. 44(2) de la Loi —  Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la représentante du ministre avait l’obligation d’aller au‑delà de la déclaration de culpabilité de l’intimé afin de décider de prendre ou non la mesure de renvoi —  Appel accueilli.

Interprétation des lois —  Quelle est la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre lorsqu’il prend une mesure d’expulsion en application de l’art. 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le libellé des art. 36 et 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des dispositions applicables du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement —  En l’espèce, la représentante du ministre n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’aller au‑delà de la déclaration de culpabilité de l’intimé.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs —  Équité procédurale — Droit de l’intéressé de faire valoir son point de vue — L’étranger dispose d’un droit de faire valoir son point de vue relativement restreint à l’égard du rapport d’interdiction de territoire établi en application de l’art. 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés —  Il ne dispose d’aucun droit d’être informé de son droit à l’assistance d’un avocat —  Même si le défaut d’aviser l’intimé de l’objet de l’entrevue avec l’agent d’immigration constituait un manquement à l’obligation d’agir équitablement, la tenue d’une nouvelle audience devant un représentant du ministre serait inutile parce que l’issue serait la même.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’une représentante du ministre de prendre une mesure d’expulsion à l’encontre de l’intimé, un étranger qui a été déclaré coupable au Canada d’avoir conduit un véhicule alors que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. En raison de cette déclaration de culpabilité, un agent d’immigration a sommé l’intimé de se présenter à une entrevue afin qu’ils discutent tous deux de sa condamnation. Après l’entrevue, l’agent d’immigration a établi le rapport visé par le paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, où il déclarait estimer l’intimé interdit de territoire au motif de criminalité. L’intimé a alors rencontré la représentante du ministre afin de discuter du rapport avec elle, mais il n’a pu la convaincre qu’il devrait rester au Canada. Par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise contre lui en application du paragraphe 44(2) de la Loi.

Le juge de première instance a annulé la mesure, statuant que la représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur ainsi que les éléments particuliers de sa déclaration de culpabilité en vue d’établir si des circonstances atténuantes rendaient ou non déraisonnable une mesure d’expulsion.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

À première vue, le paragraphe 44(2) permet, en raison du terme « peut », au représentant du ministre d’exercer, ou non, le pouvoir discrétionnaire qui lui est confié par ce texte de prendre une mesure de renvoi à l’encontre d’un étranger. Cependant, même lorsqu’il y a lieu d’interpréter le mot « peut » comme conférant un pouvoir discrétionnaire, sa portée peut être variable : selon l’objet et le but de la disposition législative concernée, elle peut être très large, ou très étroite. Comme le paragraphe 44(2) s’applique à tous les motifs d’interdiction de territoire, il se peut donc que la portée du pouvoir discrétionnaire varie selon les motifs allégués, selon que l’intéressé est un résident permanent ou un étranger ou selon que l’affaire est ou non renvoyée à la Section de l’immigration.

L’emploi du terme « peut » au paragraphe 44(2) ne connote pas un pouvoir discrétionnaire en l’occurrence; la disposition en cause n’a qu’une portée habilitante. Le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens. L’une des conditions dont le législateur a assorti le droit d’un non‑citoyen de demeurer au Canada est qu’il ne doit pas avoir été déclaré coupable de certains actes criminels (énumérés à l’article 36 de la Loi). Le libellé des articles 36 et 44 de la Loi et des dispositions applicables du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction de territoire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi à l’égard des personnes déclarées coupables d’infractions de grande criminalité ou de criminalité au Canada, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement. La situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à leur examen. Lorsqu’ils estiment qu’une personne est interdite de territoire pour grande criminalité ou criminalité, ils ont respectivement l’obligation d’établir un rapport et d’y donner suite. Le juge de première instance a donc commis une erreur lorsqu’il a laissé entendre que la représentante du ministre pouvait aller au‑delà de la déclaration de culpabilité afin de décider de prendre ou non la mesure de renvoi.

Un examen des cinq facteurs relatifs à l’obligation d’agir équitablement énoncés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) a mené la Cour à la conclusion que l’intimé ne devait disposer que d’un droit de défendre son point de vue relativement restreint. Ces droits ont été observés en ce que : a) l’intimé s’est vu remettre une copie du rapport de l’agent d’immigration; b) l’intimé a été informé des allégations figurant dans ce rapport, de ce qu’il lui fallait démontrer et de la nature et des conséquences possibles de la décision devant être rendue; c) on a fait passer une entrevue, face à face, à l’intimé; et d) on a donné à l’intimé l’occasion de présenter des éléments de preuve pertinents et d’exprimer son point de vue. L’intimé n’avait pas le droit d’être informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Cela dit, le défaut d’aviser initialement l’intimé de l’objet de l’entrevue avec l’agent d’immigration constituait un manquement à l’obligation d’agir équitablement. Cependant, ce manquement n’entraînait pas automatiquement l’annulation de la décision. Comme une nouvelle audience devant un autre représentant du ministre ne pouvait qu’aboutir, encore une fois, à la prise d’une mesure d’expulsion, il était totalement inutile d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 10b).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 253b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59).

Décret C.P. 2003‑2061.

Décret C.P. 2003‑2063.

Décret C.P. 2005‑0482.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 11.

Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47.

Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y‑1.

Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, L.R.C. (1985), ch. P‑34.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 30 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 9; L.C. 1992, ch. 49, art. 19).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52 .


Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « étranger », « résident permanent », 3(1)h),i), 6(1),(2), 25, 33, 36, 44, 112, 167(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 17, 18 (mod. par DORS/2004‑167, art. 7), 18.1 (édicté, idem, art. 8), 66, 67 (mod., idem, art. 80(F)), 68 (mod., idem, art. 22(F)), 69 (mod., idem, art. 23), 228(1) (mod., idem, art. 63), (2), (4) (mod., idem), 229(4) (mod., idem, art. 64), 232, 233.

jurisprudence citée

décision appliquée :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions examinées :

Glykis c. Hydro‑Québec, [2004] 3 R.C.S. 285; 2004 CSC 60; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195; 2004 CAF 49.

décisions citées :

Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782; Leong c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1126; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 1 R.C.F. 3; 2005 CF 429; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 1 C.F. 219; 2002 CAF 270; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51; Lasin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

doctrine citée

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 1 : Interdiction de territoire, en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/manuals‑guides/français/index. html>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 2 : Évaluation de l’interdiction de territoire, en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/manuals‑guides/français /index.html>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 5 : Rédaction des rapports en vertu du L44(1), en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/manuals‑guides/français /index.html>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 6 : L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1), en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/manuals‑ guides/français/index.html>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 14/OP19 : Réadaptation des criminels, en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/manuals‑guides/français/index. html>.

APPEL d’une décision ([2005] 2 R.C.F. 503; 2004 CF 1507) par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’une représentante du ministre de prendre une mesure d’expulsion à l’encontre de l’intimé. Appel accueilli.

ont comparu :

Martine Valois pour l’appelant.

Personne n’a comparu pour l’intimé.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Décary, J.C.A. : Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle le juge Lemieux [2005] 2 R.C.F. 503 (C.F.) a annulé la décision d’une représentante du ministre de prendre une mesure d’expulsion à l’encontre de l’intimé. Les questions suivantes ont été certifiées :

1) Quelle est la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre lorsqu’il prend une mesure d’expulsion en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

2) Lorsque le représentant du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, envisage de prendre une mesure d’expulsion, quelle est la portée du droit de faire valoir son point de vue qui doit être accordé à l’intéressé?

[2]À l’audience, l’avocate de l’appelant a demandé l’autorisation de modifier l’intitulé de la cause, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit remplacé par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’autorisation de modifier a été accordée, puisque l’application des dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) a été transférée du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, L.R.C. (1985), ch. P-34 et des décrets C.P. 2003‑2061, 2003‑2063 et 2005‑0482.

[3]L’intimé était représenté par un avocat devant la Cour fédérale. Devant notre Cour, l’avocat de l’intimé n’a pas déposé de mémoire des faits et du droit et il n’a pas comparu à l’audience. L’intimé n’était pas présent lui non plus, comme il avait quitté le Canada en juillet 2003 du fait de l’exécution de la mesure d’expulsion en cause dans le présent appel.

Les faits

[4]L’intimé, un étranger originaire de la Corée du Sud, est entré au Canada en 1996 muni d’une autorisation d’étude qu’il a fait renouveler depuis lors. Pendant les sept années où il a séjourné au Canada, il n’a jamais achevé un cours ou un programme d’études auquel il était inscrit. En 2001, il a été déclaré coupable à Ottawa d’avoir conduit un véhicule alors que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, une infraction réprimée par l’alinéa 253b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Il s’agit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.

[5]En mars 2003, on a téléphoné à l’intimé pour lui demander de rencontrer M. Yelle, un agent d’immigration, afin qu’ils discutent tous deux de sa condamnation. Le 17 mars 2003, à 9 h 05, l’intimé a rencontré M. Yelle, qui lui a demandé de donner des précisions sur sa condamnation, sur les motifs pour lesquels il n’avait achevé aucun cours ou programme d’études et sur ses moyens de subsistance au Canada. On a également demandé à l’intimé si l’éventualité de son retour en Corée du Sud lui inspirait de la crainte. Le demandeur a donné les réponses suivantes, selon les notes de M. Yelle consignées au dossier (dossier d’appel, à la page 41) :

[traduction] Je lui ai demandé pourquoi il n’avait achevé aucun cours depuis son arrivée au Canada. Il a répondu que ses notes n’étaient pas suffisamment bonnes et qu’il avait changé de domaines d’études. Je lui ai alors demandé comment il avait pu habiter au Canada pendant plus de six ans et n’avoir rien accompli. Il a répondu : « Je ne sais pas. J’imagine que j’ai été paresseux. »

Je lui ai ensuite demandé ce qu’il avait fait d’autre au Canada ces six dernières années. Il a répondu qu’il restait à la maison pendant ses temps libres.

M. Cha a déclaré que ses parents subvenaient à ses besoins financiers. Ils paient son loyer de 960 $ par mois. M. Cha déclare disposer d’environ 3 000 $ CA dans son compte de banque et ne pas travailler.

M. Cha déclare qu’aucun membre de sa famille n’habite au Canada, toute sa famille résidant en Corée.

M. Cha a déclaré ne faire l’objet d’aucune condamnation ou accusation en instance au Canada non plus qu’en Corée.

J’ai demandé à M. Cha si retourner en Corée lui inspirait de la crainte et il a répondu « OUI ». Je lui en ai demandé le motif et il a dit qu’il désirait terminer ses études et retourner en Corée pour y trouver du travail.

Je lui ai posé des questions sur sa condamnation. Il a déclaré avoir plaidé non coupable en raison d’une formalité. Il a ensuite été reconnu coupable.

[6]L’entrevue a pris fin à 9 h 30.

[7]Tout de suite après l’entrevue, M. Yelle a établi le rapport visé par le paragraphe 44(1) de la Loi, où il déclarait estimer l’intimé interdit de territoire uniquement au motif de criminalité, aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi (dossier d’appel, à la page 22). On a remis copie de ce rapport à l’intimé.

[8]L’intimé a rencontré quelques minutes plus tard Mme Perreault, la représentante du ministre, afin de discuter du rapport avec elle. Voici la teneur du rapport suggéré d’entrevue, lequel a été rempli par la représentante; l’entrevue a débuté à 9 h 50 et s’est terminée à 10 h 30 (dossier d’appel, aux pages 54 à 56) :

[traduction] Mon nom est L.P. et je suis agente d’immigration. On m’a transmis un rapport établi en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui concerne Jung Woo Cha. Êtes‑vous Jung Woo Cha? Oui.

L.P. L’entrevue vise à me permettre d’établir si le rapport est ou non bien fondé. Si j’estime qu’il ne l’est pas, vous pourrez demeurer au Canada en conservant le statut qui est actuellement le vôtre. Si toutefois j’estime le rapport bien fondé, j’ai l’obligation en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de prendre à votre encontre une mesure de renvoi. Il vous faudra par suite de cette mesure quitter le Canada immédiatement ou dès que possible. Comprenez‑vous bien? Oui.

L.P. Le type de mesure de renvoi que je prendrais à votre endroit est une mesure d’expulsion, en application de l’article 228 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Comprenez‑vous bien? Oui. L.P. (expliquez ensuite les effets et conséquences de la mesure de renvoi en cause, puis demandez à l’intéressé si il comprend bien). Fait.

Voici un exemplaire du rapport établi à votre encontre. On y soutient que vous êtes interdit de territoire au Canada, en vertu de l’alinéa 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, parce que vous avez été déclaré coupable au Canada de conduite avec facultés affaiblies (lisez ce qui est écrit dans le rapport). Comprenez‑vous bien? Oui.

L.P. Je commencerai par vous poser des questions au sujet des allégations formulées dans le rapport. Après, j’examinerai tout élément de preuve que l’agent concerné a pu soumettre pour étayer son rapport. Je vous offrirai ensuite la possibilité de présenter des éléments de preuve et de formuler des explications relativement au rapport. Comprenez‑vous bien? Oui.

L.P. (Interrogez l’intéressé en fonction de ce qui est allégué. Commencez en obtenant confirmation du nom au complet de l’intéressé, de sa date et de son lieu de naissance ainsi que de son pays de citoyenneté, puis adaptez vos questions selon les allégations en cause. Lorsque cela est fait, examinez tout élément de preuve produit pour étayer le rapport, et donnez aussi à l’intéressé la possibilité d’en faire l’examen. Donnez‑lui ensuite la possibilité de produire des éléments de preuve et de faire valoir ses explications. Inscrivez ci‑dessous vos questions ainsi que les réponses fournies. Utilisez une autre feuille au besoin.)

Rapport avec renseignements confirmés par l’intéressé lu. Aucun élément de preuve présenté.

Je vais maintenant vous faire état de ma décision relativement au rapport. J’estime, compte tenu de la preuve sur laquelle il s’appuie, de vos réponses à mes questions et des explications que vous avez fournies, que le rapport est bien fondé. J’estime que vous êtes bien tel que le décrit le rapport. Je prends par conséquent la présente mesure d’expulsion. Comprenez‑vous bien? Oui.

Comme il vous a déjà été expliqué, vous devrez par suite de la présente décision quitter le Canada sans délai. Comprenez‑ vous bien? Oui.

L.P. (Si une mesure de renvoi est prise, établissez‑en la teneur et signifiez le document à l’intéressé. Passez le document en revue, faites‑le signer par l’intéressé et remettez‑lui en une copie. Informez alors l’intéressé de son droit de présenter une demande à la Cour fédérale, s’il le désire, dans les 15 jours. Informez‑le finalement de la possibilité de présenter une demande d’ERAR, et lui faire dûment confirmer son intention par écrit.)

Remarques (le cas échant)

N’a pu convaincre la RM qu’il devrait demeurer au Canada. Il ne semble pas prendre ses études au sérieux. Il est au Canada depuis six ans. Pas de diplôme. Fréquents déménagements. Pas de motifs d’ordre humanitaire.

                                                                                                                                                                                            LPerreault.

[9]La représentante du ministre a pris le même jour la mesure d’expulsion (dossier d’appel, à la page 11), où figure une déclaration signée de l’intimé portant qu’il comprend la décision et ses conséquences.

[10]Il y a eu contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre par le juge Lemieux, qui a annulé la mesure d’expulsion. La contestation de l’appelant porte principalement sur les paragraphes 59 à 62 des motifs du jugement, qui traitent de la portée du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 44(2) de la Loi, ainsi que sur les paragraphes 66 à 68, qui portent sur le droit de l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion de faire valoir son point de vue :

Je suis d’avis, par conséquent, que la représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur ainsi que les éléments particuliers de sa déclaration de culpabilité en vue d’établir si des circonstances atténuantes rendaient ou non déraisonnable une mesure d’expulsion.

Je souscris à l’opinion de certains voulant qu’il y ait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire dans les cas où un étranger a commis une infraction mineure qui, techniquement parlant, est punissable par mise en accusation mais pour laquelle la prise automatique d’une mesure d’expulsion ne favoriserait en rien l’intérêt public.

Cela laisserait à penser que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 44(2) de la Loi peut être restreint, et que ce pouvoir ne devrait pas faire obstacle à l’exercice par le ministre de sa compétence fondée, en vertu de l’article 25 de la Loi, sur des circonstances d’ordre humanitaire, et ce, bien que des directives ministérielles puissent venir s’appliquer à divers éléments communs aux deux situations.

Sur la foi du dossier, il me semble manifeste que tant la représentante du ministre que l’agent d’immigration estimaient disposer d’un pouvoir discrétionnaire et pouvoir tenir compte—ce qu’ils ont fait—de facteurs d’ordre humanitaire.

[. . .]

Compte tenu des faits de l’espèce, qui n’ont pas trait à une exclusion au point d’entrée, j’estime justifié que le demandeur dispose d’assez larges droits de participation à l’étape finale que constitue la prise d’une mesure d’expulsion par la représentante du ministre.

Voici divers facteurs qui militent en faveur du caractère assez rigoureux de l’obligation d’équité procédurale dans le cas de la prise d’une mesure d’expulsion par un représentant du ministre :

1) le caractère définitif de la décision prise par le représentant sans que l’intéressé dispose d’un droit d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration, sous réserve uniquement d’un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, sur autorisation;

2) les graves conséquences d’une expulsion pour une personne dans une situation telle que celle du demandeur, soit notamment la fin de ses études sans qu’il ait obtenu un diplôme et l’exclusion à vie du Canada, sauf si le ministre consent à un retour, et le fait que la représentante n’a pas de pouvoir discrétionnaire quant à la prise d’une mesure d’expulsion.

J’estime qu’en l’espèce le demandeur disposait des droits de participation qui suivent, qu’on lui a déniés pour la plupart :

1) Une entrevue avec la représentante du ministre, un droit qu’on a accordé au demandeur.

2) Un avis l’informant que la procédure pour laquelle il était convoqué pouvait résulter en une ordonnance d’expulsion. On a dénié ce droit au demandeur. Ce dernier savait que l’agent d’immigration désirait l’interroger au sujet de sa condamnation, mais il ne savait pas de quoi il retournait. On ne lui a parlé de la mesure d’expulsion qu’au moment de l’entrevue avec la représentante du ministre. Je déduis en outre du déroulement de l’entrevue que le demandeur ne savait pas quelles seraient les conséquences pour lui de la prise d’une mesure d’expulsion, puisqu’on ne lui a pas donné d’explications à ce sujet.

3) Un avis informant le demandeur de son droit à la présence d’un avocat lors de l’entrevue. Il y a eu déni de ce droit de participation.

4) L’occasion raisonnable de présenter des éléments de preuve. Le déroulement de l’entrevue m’amène à conclure que le demandeur n’a pas disposé de pareille occasion raisonnable, parce qu’on ne l’a pas informé de ce qu’il lui fallait démontrer, et en particulier qu’il pouvait faire valoir des circonstances atténuantes.

[11]Cela a donné lieu à la certification des questions énoncées au début des présents motifs.

[12]La décision en cause est celle qui a été prise par Mme Perreault, représentante du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la Loi. Bien que cette disposition confère au ministre lui‑même le pouvoir de prendre la décision, ce dernier peut déléguer ce pouvoir en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi, ce qu’il a d’ailleurs fait au profit de la personne normalement dite « représentant du ministre ». Par contre, l’agent d’immigration qui a établi le rapport visé au paragraphe 44(1), M. Yelle, est désigné en application du paragraphe 6(1). Nous verrons plus loin l’importance de cette distinction.

[13]Le présent appel a trait aux étrangers à l’égard desquels l’agent d’immigration a établi un rapport d’interdiction de territoire uniquement au motif de criminalité au Canada et le représentant du ministre a pris une mesure d’expulsion. L’appel n’a pas trait aux résidents permanents, ni aux autres motifs d’interdiction de territoire ni au renvoi d’une affaire à la Section de l’immigration. Je n’entends statuer que sur la question en litige très précise dont la Cour est saisie. Je ferai mention à l’occasion, dans les présents motifs, de décisions de la Cour fédérale concernant des résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité au Canada (Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782; Leong c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1126; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 1 R.C.F. 3 (C.F.) et Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437). Bien que je cite ces causes, je ne souhaite pas qu’on en déduise que j’approuve ou désapprouve les décisions qu’on y a rendues.

[14]J’ai examiné les Débats de la Chambre des communes ainsi que les témoignages rendus en 2001, avant l’adoption de la Loi, devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. J’ai également examiné le Guide de l’immigration : Exécution de la Loi (ENF) (le Guide) publié par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), en particulier le chapitre ENF 1 « Interdiction de territoire », le chapitre ENF 2 « Évaluation de l’interdiction de territoire », le chapitre ENF 5 « Rédaction des rapports en vertu du L 44(1) », le chapitre ENF 6 « L’examen des rapports établis en vertu de la L 44(1) », ainsi que le chapitre ENF 14/OP19 « Réadaptation des criminels ». On peut consulter le Guide, mis à jour régulièrement, sur le site Web de CIC.

[15]Le droit est bien fixé : ces débats, témoignages et lignes directrices du gouvernement ne lient pas les entités gouvernementales et encore moins les tribunaux, mais il est par ailleurs reconnu que ceux‑ci peuvent s’avérer utiles pour mieux comprendre le contexte, l’objet et le sens des textes légaux concernés (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003_] 1 C.F. 219 (C.A.F.), au paragraphe 37; Hernandez, aux paragraphes 34 et 35).

Dispositions légales pertinentes

Loi  sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [art. 2(1) « étranger », « résident permanent », 3(1)h), i), 25(1), 33, 36, 44, 112(1), 167(1)]

[Sanctionnée le 1er novembre 2001]

définitions et interprétation

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

« étranger » Personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent; la présente définition vise également les apatrides.

« résident permanent » Personne qui a le statut de résident permanent et n’a pas perdu ce statut au titre de l’article 46.

[. . .]

objet de la loi

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[. . .]

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

[. . .]

PARTIE 1

IMMIGRATION AU CANADA

[. . .]

Section 3

Entrée et séjour au Canada

[. . .]

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger—compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché—ou l’intérêt public le justifient.

[. . .]

Section 4

Interdictions de territoire

33. Les faits—actes ou omissions—mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[. . .]

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou de réhabilitation—sauf cas de révocation ou de nullité—au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

[. . .]

e) l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ni sur une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants.

[. . .]

Section 5

Perte de statut et renvoi

[. . .]

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(3) L’agent ou la Section de l’immigration peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution, au résident permanent ou à l’étranger qui fait l’objet d’un rapport ou d’une enquête ou, étant au Canada, d’une mesure de renvoi.

[. . .]

PARTIE 2

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

[. . .]

Section 3

Examen des risques avant renvoi                                                                

[. . .]

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

PARTIE 4

COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[. . .]

Attributions communes

[. . .]

167. (1) L’intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [art. 17, 18(1), 228(1) (mod. par DORS/2004-167, art. 63), (2), (4) (mod., idem), 229(4) (mod., idem, art. 64), 232, 233]

PARTIE 3

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

[. . .]

17. Pour l’application de l’alinéa 36(3)c) de la Loi, le délai réglementaire est de cinq ans à compter :

[. . .]

18. (1) Pour l’application de l’alinéa 36(3)c) de la Loi, la catégorie des personnes présumées réadaptées est une catégorie réglementaire.

[. . .]

PARTIE 13

RENVOI

[. . .]

section 2

mesures de renvoi à prendre

228. (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

a) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour grande criminalité ou criminalité au titre des alinéas 36(1)a) ou (2)a) de la Loi, l’expulsion;

b) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)c) de la Loi, l’expulsion;

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

(i) l’obligation prévue à la partie 1 de la Loi de se présenter au contrôle complémentaire ou à l’enquête, l’exclusion,

(ii) l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’agent aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi, l’expulsion,

(iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

(iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion,

(v) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de se conformer aux conditions imposées à l’article 184, l’exclusion;

[. . .]

(2) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, si le résident permanent manque à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi, la mesure de renvoi qui peut être prise à son égard est l’interdiction de séjour.

[. . .]

(4) Pour l’application du paragraphe (1), l’affaire ne vise pas l’affaire à l’égard d’un étranger qui :

a) soit est âgé de moins de dix‑huit ans et n’est pas accompagné par un parent ou un adulte qui en est légalement responsable;

b) soit n’est pas, selon le ministre, en mesure de comprendre la nature de la procédure et n’est pas accompagné par un parent ou un adulte qui en est légalement responsable.

[. . .]

229. [. . .]

(4) Si la Section de l’immigration prend une mesure de renvoi à l’égard d’un étranger pour tout motif d’interdiction de territoire visé par l’une des circonstances prévues à l’article 228, elle prend, selon le cas :

a) la mesure de renvoi que le ministre aurait prise si l’affaire ne lui avait pas été déférée en application du paragraphe 44(2) de la Loi;

b) dans le cas de l’étranger visé aux alinéas 228(4)a) ou b), la mesure de renvoi que le ministre aurait prise si l’étranger n’avait pas été visé à ces alinéas.

[. . .]

section 3

sursis

[. . .]

232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu’il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. [. . .]

[. . .]

233. La décision du ministre prise au titre du paragraphe 25(1) de la Loi selon laquelle il estime que des circonstances d’ordre humanitaire existent ou que l’intérêt public le justifie emporte sursis de la mesure de renvoi visant l’étranger et les membres de sa famille jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande de résidence permanente.

La norme de contrôle judiciaire

[16]C’est à juste titre que le juge Lemieux a dit que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la portée de l’obligation d’agir équitablement était celle de la décision correcte. Il en va de même pour ce qui est de la portée du pouvoir discrétionnaire dont jouirait le représentant du ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, car il s’agit d’une question de droit. Le juge ayant appliqué les normes appropriées, la Cour a pour rôle de dire s’il a commis ou non une erreur de droit lorsqu’il a répondu aux deux questions qu’il a certifiées.

Principes d’interprétation des lois

[17]Comme l’a fait remarquer la juge Deschamps dans l’arrêt Glykis c. Hydro‑Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, au paragraphe 5:

La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La disposition en cause et l’emploi du mot « peut »

[18]La disposition en cause est le paragraphe 44(2) de la Loi. À première vue, en raison du terme « peut », le représentant du ministre est libre d’exercer, ou non, le pouvoir discrétionnaire qui lui est confié par ce texte de prendre lui‑même une mesure de renvoi à l’encontre d’un étranger.

[19]Dans la décision Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.), aux pages 623 à 626, le juge Létourneau nous a rappelé que l’emploi du terme « peut » indique souvent qu’une certaine latitude a été laissée au décideur administratif. Selon le contexte, le terme « peut » peut parfois être interprété comme signifiant « doit »; la présomption selon laquelle le mot « peut » exprime la notion d’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés, énoncée à l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21 peut alors être réfutée. Il peut aussi n’être qu’une indication de la part du législateur que le fonctionnaire est autorisé à faire quelque chose. En outre, même lorsqu’il y a lieu d’interpréter le mot « peut » comme conférant un pouvoir discrétionnaire, sa portée peut être variable : selon l’objet et le but de la disposition législative concernée, elle peut être très large, ou très étroite.

[20]En l’espèce, le ministre ne soutient pas qu’il faille interpréter le terme « peut » comme signifiant « doit ». Il fait plutôt valoir que le pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre de ne pas prendre une mesure d’expulsion est de portée très étroite et ne doit être exercé que dans de très rares circonstances.

[21]Le paragraphe 44(2) de la Loi s’applique à tous les motifs d’interdiction de territoire. Ces motifs se rattachent à des domaines aussi divers que la sécurité, les atteintes aux droits humains ou au droit international, la grande criminalité, la criminalité, les activités de criminalité organisée, l’état de santé, la situation financière, les fausses déclarations et les violations de la Loi. La complexité des faits en cause varie selon le motif concerné. Certains motifs comportent des aspects juridiques et d’autres pas. Le paragraphe 44(2) s’applique tant aux résidents permanents qu’aux étrangers, lesquels ne font habituellement pas l’objet d’un traitement identique dans la Loi. Il vise tant le pouvoir du représentant du ministre de déférer l’affaire à la Section de l’immigration que celui de prendre lui‑même la mesure de renvoi.

[22]Il se peut donc que, en fin de compte, la portée du pouvoir discrétionnaire varie selon les motifs allégués, selon que l’intéressé est un résident permanent ou un étranger ou selon que l’affaire est ou non renvoyée à la Section de l’immigration. Dans certains cas mais pas dans d’autres, il peut y avoir une marge d’appréciation. C’est pour cette raison qu’il a été sage de la part du législateur d’utiliser le terme « peut ».

Considérations générales sur l’objet de la loi et l’inten-tion du législateur

[23]L’immigration est un privilège et non un droit. Les non‑citoyens ne disposent pas du droit absolu d’entrer au pays et d’y demeurer. Le législateur fédéral a le droit d’adopter des textes légaux prévoyant les conditions en vertu desquels les non‑citoyens pourront entrer et demeurer au Canada. La Loi et le Règlement traitent donc les citoyens différemment des résidents permanents, qui eux‑mêmes sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, qui eux‑mêmes enfin sont traités différemment des autres étrangers; voir Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 57; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 733 et 734; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46. On peut dire à juste titre qu’en comparaison avec d’autres genres de non‑citoyens, la Loi n’accorde aux étrangers qui sont des résidents temporaires que peu de mesures de protection sur le plan de la forme ou du fond.

[24]Le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens. Deux des objectifs de la Loi se rapportent à la criminalité :

— protéger la santé des Canadiens et garantir leur sécurité (alinéa 3(1)h) de la Loi);

— promouvoir la justice et la sécurité par l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité (alinéa 3(1)i) de la Loi).

La Cour suprême du Canada a récemment dit que les objectifs déclarés dans la nouvelle Loi révèlent l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité et que, pour atteindre ce dernier objectif, il faut notamment renvoyer du Canada les demandeurs qui ont un casier judiciaire. Le législateur a manifesté la ferme volonté de traiter les criminels avec moins d’indulgence que le faisait l’ancienne Loi (Medovarski, au paragraphe 10).

[25]L’une des conditions dont le législateur a assorti le droit d’un non‑citoyen de demeurer au Canada est qu’il ne doit pas avoir été déclaré coupable de certains actes criminels (article 36 de la Loi). Comme l’a observé le juge Sopinka à la page 734 de l’arrêt Chiarelli, alors qu’il formulait des commentaires relativement à l’ancienne Loi sur l’immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] :

Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d’un cas où il n’est pas dans l’intérêt public de permettre à un non‑citoyen de rester au pays. L’exigence que l’infraction donne lieu à une peine de cinq ans d’emprisonnement indique l’intention du législateur de limiter cette condition aux infractions relativement graves. Les circonstances personnelles de ceux qui manquent à cette condition peuvent certes varier énormément. La gravité des infractions visées au sous‑al. 27(1)d)(ii) varie également, comme le peuvent aussi les faits entourant la perpétration d’une infraction en particulier. Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous‑al. 27(1)d)(ii) ont cependant un point commun : elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu’il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d’y demeurer ne va nullement à l’encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l’expulsion permet d’atteindre ce résultat. Une ordonnance impérative n’a rien d’intrinsèquement injuste. La violation délibérée de la condition prescrite par le sous‑al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d’expulsion. Point n’est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au‑delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes. [Non souligné dans l’original.]

Interdiction de territoire pour grande criminalité et pour criminalité

[26]L’objet de l’article 36 est clair : les non‑citoyens qui commettent certains types d’infractions criminelles ne doivent pas entrer ou demeurer au Canada.

[27]On fait une distinction à l’article 36 entre la criminalité des résidents permanents et celle des autres étrangers. Une distinction est également établie entre les infractions commises au Canada et celles commises à l’extérieur du Canada. Une autre distinction est établie entre les infractions constituant ce qu’on qualifie de « grande » criminalité (les infractions punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou les infractions pour lesquelles un emprisonnement de plus de six mois est infligée) et les infractions que, faute d’un meilleur terme, je qualifierai de « simples » (une infraction punissable par mise en accusation ou deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits).

[28]Le législateur souhaitait, par conséquent, que certaines personnes ayant commis certaines infractions dans certains territoires soient interdites de territoire, quelle que soit la peine infligée. Les paragraphes 36(1) et (2) de la Loi ont été rédigés avec soin. Rien n’a été laissé au hasard et il ny a pas non plus matière à interprétation.

[29]On n’a guère prêté attention lors des débats ou dans la jurisprudence au paragraphe 36(3) de la Loi. Ce texte a néanmoins, selon moi, un caractère déterminant lorsqu’il s’agit d’apprécier le rôle respectif des agents d’immigration et des représentants du ministre dans le cadre de l’enquête.

[30]Selon mon interprétation du paragraphe 36(3), le législateur a promulgué un code exhaustif, détaillé et clair prescrivant la manière dont les agents d’immigration et les représentants du ministre doivent exercer les pouvoirs qui leur sont respectivement conférés par l’article 44 de la Loi. Les infractions mixtes commises au Canada sont assimilées à des infractions punissables par mise en accusation indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu (alinéa 36(3)a)). Les déclarations de culpabilité n’entrent pas en ligne de compte en cas de réhabilitation ou en cas de verdict d’acquittement (alinéa 36(3)b)). On ne peut par ailleurs prendre en compte la réhabilitation que dans certaines circonstances déterminées (alinéa 36(3)c)). La gravité relative de l’infraction et l’âge du contrevenant ne sont des facteurs pertinents que lorsque la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y‑1 sont en jeu (alinéa 36(3)e)).

[31]J’estime révélatrice la façon dont la réhabilitation a été traitée. La personne déclarée coupable d’une infraction à l’extérieur du Canada peut échapper à l’interdiction de territoire si elle convainc le représentant du ministre (non pas l’agent d’immigration) que, depuis cinq ans, elle n’a pas été déclarée coupable d’une autre infraction ou qu’elle appartient à une catégorie de personnes visées par le Règlement (alinéa 36(3)c) de la Loi et articles 17 et 18 [mod. par DORS/2004-167, art. 7] du Règlement). Les étrangers déclarés coupables au Canada ou plus de deux infractions punissables par procédure sommaire peuvent échapper à l’interdiction de territoire si au moins cinq ans se sont écoulés depuis le moment où les peines imposées ont été purgées (article 18.1 [édicté, idem, art. 8] du Règlement).

[32]L’âge et l’état mental de l’intéressé sont également des facteurs dont, selon le paragraphe 228(4) du Règlement, le représentant du ministre (non pas l’agent d’immigration) doit tenir compte avant de prendre contre un étranger une mesure de renvoi.

[33]À mon sens, lorsqu’un agent d’immigration constate qu’un étranger a été déclaré coupable au Canada de certaines infractions, visées aux alinéas 36(1)a) ou 36(1)b) de la Loi, il est censé établir le rapport visé au paragraphe 44(1) de la Loi, sauf en cas de réhabilitation ou de gain de cause en appel, ou lorsque l’interdiction de territoire a résulté d’une déclaration de culpabilité pour deux infractions punissables uniquement par procédure sommaire et que l’étranger n’a été déclaré coupable d’aucune infraction pendant les cinq années qui se sont écoulées depuis le moment où les peines imposées ont été purgées, ou encore lorsque l’infraction est qualifiée de contravention aux termes de la Loi sur les contraventions ou lorsqu’elle est réprimée par la Loi sur les jeunes contrevenants.

[34]Lorsque le rapport établi par un agent d’immigration contre un étranger ne se fonde sur aucun motif d’interdiction de territoire autre que la grande ou la simple criminalité au Canada, en vertu du paragraphe 228(1) du Règlement, le représentant du ministre est censé prendre une mesure d’expulsion s’il estime le rapport bien fondé (c’est‑à‑dire que l’agent d’immigration a conclu à juste titre que toutes les conditions énoncées plus haut sont réunies) et s’il conclut en outre qu’on n’a pas octroyé la réhabilitation à l’étranger au sens de l’article 18.1 du Règlement et que ce dernier remplit les conditions d’âge et d’état mental prévues par le paragraphe 228(4) du Règlement.

[35]Je conclus que le libellé des articles 36 et 44 de la Loi et des dispositions applicables du Règlement n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction de territoire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi à l’égard de personnes déclarées coupables d’infractions de grande ou de simple criminalité, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement. La mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, rien de plus, rien de moins. La situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à leur examen. Lorsqu’ils estiment qu’une personne est interdite de territoire pour grande ou simple criminalité, ils ont respectivement l’obligation d’établir un rapport et d’y donner suite.

[36]Ce point de vue est conforme à celui exprimé par le juge Sopinka dans Chiarelli. Pour le paraphraser, cette condition (ne pas avoir commis certaines infractions au Canada), traduit le choix légitime et non arbitraire du législateur : il y a des cas où il n’est pas dans l’intérêt public de permettre à un non‑citoyen de rester au pays. Il est bien vrai que la situation personnelle peut varier énormément d’un criminel à l’autre. La gravité des infractions varie également, comme peuvent aussi varier les faits entourant la perpétration de telle ou telle infraction. Il n’en demeure pas moins que tous les criminels concernés ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu’il leur soit permis de rester au Canada. Point n’est besoin de chercher, au‑delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

[37]Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi (voir Correia, aux paragraphes 20 et 21; Leong, au paragraphe 21; Kim, au paragraphe 65; Lasin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356, au paragraphe 18).

[38]L’intention du législateur est claire. Le représentant du ministre est uniquement autorisé en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi à prendre une mesure de renvoi dans les cas précisés, clairs et ne prêtant pas à controverse, et lorsque les faits rendent tout simplement incontournable la prise de cette mesure. Selon le Guide (ENF 6, au paragraphe 3), c’est précisément parce qu’il n’y a rien d’autre à prendre en compte que des faits objectifs qu’il a été accordé au représentant du ministre le pouvoir de prendre des mesures de renvoi sans que l’affaire ait à être déférée à la Section de l’immigration. L’emploi du terme « peut » ne connote pas un pouvoir discrétionnaire en l’occurrence; la disposition en cause n’a qu’une portée habilitante. Ce terme n’est rien de plus, pour reprendre les termes du juge Létourneau dans Ruby [au paragraphe 55], « qu’une indication de la part du législateur qu’un fonctionnaire [. . .] est autorisé à faire quelque chose ». Le ministre ou son représentant préfèreront éventuellement, dans l’exercice de leurs fonctions, suspendre ou différer la prise de la mesure d’expulsion lorsque, par exemple, l’intéressé fait déjà l’objet d’une telle mesure, a déjà pris des arrangements pour quitter le Canada ou a été assigné comme témoin dans un procès à venir.

[39]Lorsque le juge Lemieux a laissé entendre que la représentante du ministre pouvait prendre en compte la gravité de l’infraction, la situation particulière de M. Cha ainsi que la déclaration de culpabilité le visant afin de décider de prendre ou non la mesure de renvoi, il a commis une erreur. En effet, il n’est tout simplement pas loisible au représentant de ministre d’aller, indirectement ou accessoirement, au‑delà de la déclaration de culpabilité en cause. S’il le faisait, cela irait à l’encontre de l’intention clairement exprimée par le législateur de conférer un caractère déterminant à l’inobservation de la condition de non‑criminalité.

[40]Si un étranger désire faire valoir des motifs humanitaires, il lui est loisible de présenter une demande en ce sens au ministre, en vertu des articles 25 de la Loi et 66 à 69 [art. 67 (mod. par DORS/2004-167, art. 80(F)), 68 (mod., idem, art. 22(F)), 69 (mod., idem, art. 23)] du Règlement, ou de demander le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en vertu de l’article 233 du Règlement. Il peut également faire une demande d’examen des risques avant renvoi en vertu de l’article 112 de la Loi et de l’article 233 du Règlement. Or, M. Cha n’a présenté aucune pareille demande.

[41]Je sais que, devant le Comité permanent, le ministre et des hauts fonctionnaires ont exprimé l’avis que la situation personnelle du contrevenant serait prise en compte au stade initial du processus avant que soit prise la décision de le renvoyer du Canada (Hernandez, au paragraphe 18). Je sais également que certaines déclarations allant dans le même sens figurent dans le Guide (Hernandez, aux paragraphes 20 à 23). Ces avis et déclarations n’avaient trait, toutefois, qu’aux résidents permanents déclarés coupables de graves infractions au Canada. On n’a donné aucune assurance de même ordre visant spécifiquement les autres étrangers. Je n’ai donc pas à décider quel poids, le cas échéant, j’aurais donné à de telles assurances en l’espèce. Quant à savoir si on a accordé le poids approprié aux assurances données dans la décision Hernandez (où la question en litige était la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre de déférer à la Section de l’immigration une affaire concernant un résident permanent), il vaut mieux laisser cette question à trancher une autre fois. Je signale que des questions ont été certifiées dans la décision Hernandez, mais qu’il y a eu abandon d’appel (A‑197‑05).

Le droit de l’intéressé de défendre son point de vue

[42]Pour déterminer si a été respectée ou non l’obligation d’agir équitablement, il faut examiner les cinq facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28 :

a) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b) la nature du régime législatif;

c) l’importance de la décision pour la personne visée;

d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même.

a) La nature de la décision et des procédures

[43]Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Baker, au paragraphe 23, plus le processus prévu, la fonction du décideur, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’équité procédurale sera de large portée.

[44]En l’espèce, nous touchons au cœur même de décisions administratives de pure routine où est essentiellement en cause l’appréciation de certains faits objectifs ayant trait à la condamnation au pénal d’étrangers au Canada. Il est impossible d’être plus éloigné d’une prise de décision judiciaire. C’est précisément parce que la décision à prendre au sujet d’actes de grande ou de simple criminalité commis par l’étranger au Canada est simple et est tributaire des faits que, selon le Guide, la responsabilité en est confiée au représentant du ministre (ENF 6, au paragraphe 3). La décision est prise au terme de vérifications de pure routine, ce qui explique que, en ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Guide précise que la norme est soit la prépondérance des probabilités, soit les motifs raisonnables quant à tous les motifs d’interdiction de territoire, à l’exception de la grande ou simple criminalité, à l’égard de laquelle on ne mentionne pas la question du fardeau (ENF 1).

[45]Il s’agit donc de décisions purement administratives, pour lesquelles l’obligation d’agir équitablement est minimale.

b) La nature du régime législatif et

c) L’importance de la décision

[46]La jurisprudence (Correia, Leong, Hernandez) n’a trait qu’à des étrangers ayant eu la possibilité de contester devant la Section de l’immigration tant le rapport de l’agent d’immigration que la décision du représentant du ministre; par contre, en l’espèce, l’étranger ne peut contester le rapport de l’agent que lorsqu’il se présente devant le représentant du ministre. Comme ce dernier est chargé de confirmer le rapport de l’agent d’immigration et de prendre la mesure de renvoi, sa décision est déterminante quant à l’interdiction de territoire et ce n’est que lorsqu’il se présente devant lui que l’étranger a la possibilité de contester ce rapport. Étant donné les conséquences de la décision sur son droit de séjourner au Canada et qu’il s’agit là véritablement de sa dernière chance (hormis le contrôle judiciaire) d’échapper à l’interdiction de territoire, cela indique que l’obligation d’agir équitablement est plus élevée que dans les cas où l’affaire est déférée à la Section de l’immigration.

[47]Cela dit, toutefois, et bien que la décision ait, en fin de compte, une grande importance pour l’étranger, le fait demeure que celui‑ci est entré au Canada muni d’une autorisation d’étude renouvelable, nous a‑t‑on dit, tous les six mois, qu’on lui a accordé le privilège de demeurer au Canada pour une certaine période de temps et à certaines conditions, qu’il n’a jamais eu ni ne pouvait avoir d’attentes quant au fait qu’il serait autorisé à demeurer au Canada et, enfin, qu’il a violé une condition importante de son droit d’entrée. La décision de l’expulser était parfaitement prévisible dans les circonstances et elle sera maintenue, à moins que l’intimé ne puisse mettre en question le fait objectif de la déclaration de culpabilité le visant ou montrer qu’il est visé par l’une des exceptions précises (comme la réhabilitation), ce qui peut aussi être facilement et objectivement vérifié. Une audition longue et complexe n’est pas sur ce point nécessaire. Ce facteur indique donc que l’obligation d’agir équitablement est plus faible.

[48]En outre, même lorsque la question de l’interdiction de territoire a été tranchée, l’étranger peut encore demander qu’il soit sursis à la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire (article 233 du Règlement) ou faire une demande d’examen des risques avant renvoi (article 232 du Règlement). L’intimé n’est pas encore hors du Canada, ni n’a épuisé tous ses recours. Ce facteur indique lui aussi que l’obligation d’agir équitablement est plus faible.

d) Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision

[49]Le Guide du Ministère établit des règles que sont censés respecter les décideurs. Il est prévu au chapitre ENF 6, à la page 10 de la version du 31 octobre 2005 du Guide, qu’on doit prendre des notes et remplir les formulaires prescrits de la façon la plus détaillée possible, que l’intéressé doit être informé des allégations formulées contre lui et se voir donner la possibilité d’y répondre, que les observations de ce dernier doivent être notées et prises en compte et qu’on doit procéder aux entrevues en présence de l’intéressé ou, dans certains cas, par téléphone.

[50]Le demandeur a le droit de s’attendre à ce que ces règles seront suivies. Ces règles, toutefois, sont parmi les moins contraignantes sur le plan de la protection procédurale.

e) Le choix de procédure fait par le décideur

[51]La loi laisse au décideur la possibilité de choisir sa propre procédure. Comme l’a dit la Cour suprême au paragraphe 27 de l’arrêt Baker, ce choix doit être respecté.

[52]En fin de compte je suis en désaccord, en tout déférence, avec la conclusion du juge Lemieux (au paragraphe 66), qui estime « justifié que le demandeur dispose d’assez larges droits de participation ». L’examen des cinq facteurs énoncés dans Baker me conduit, bien au contraire, à conclure que l’intéressé ne devrait disposer que d’un droit de faire valoir son point de vue relativement restreint. Je suis ainsi convaincu que les mesures suivantes satisfont aux exigences de l’obligation d’agir équitablement :

‑ remettre à l’intéressé copie du rapport de l’agent d’immigration

‑ informer l’intéressé des allégations figurant dans ce rapport, de ce qu’il lui faudra démontrer et de la nature et des conséquences possibles de la décision devant être rendue

‑ faire passer une entrevue à l’intéressé, face à face, par vidéoconférence ou par téléphone

‑ donner à l’intéressé l’occasion de présenter des éléments de preuve pertinents et d’exprimer son point de vue.

[53]Je conteste qu’il faille aviser l’intéressé de son droit à un avocat, comme l’a conclu le juge Lemieux.

[54]Mis à part le droit, garanti par l’alinéa 10b) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], d’être informé de son droit à l’assistance d’un avocat en cas d’arrestation ou de détention, je n’ai trouvé aucune autorité enseignant que l’intéressé a le droit d’être avisé avant l’audience qu’il dispose du droit, en vertu de la loi ou de l’obligation d’agir équitablement, à l’assistance d’un avocat. Le décideur n’est tenu à rien faire de plus, lorsque l’intéressé est informé de manière suffisante de l’objet et des conséquences possibles de l’audience à venir; si l’avis n’est pas suffisant, la décision prise sera vraisemblablement annulée.

[55]Il peut être sage d’aviser dans certains cas l’intéressé à l’avance qu’il peut être assisté par un avocat, mais aucune obligation n’existe en ce sens à moins que la loi ne le prescrive. C’est à l’intéressé qu’il incombe de demander au décideur l’autorisation de se faire accompagner d’un avocat ou de se présenter à l’audience accompagné d’un avocat. Si l’autorisation n’est pas accordée ou si l’on ne permet pas à l’avocat d’être présent, la question peut être soulevée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue en fin de compte. Si la Cour saisie de la demande de contrôle est d’avis que l’obligation d’agir équitablement comportait en l’espèce le droit à l’assistance d’un avocat, la décision pourra alors être éventuellement annulée.

[56]Je relève que dans Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195, où la Cour s’est récemment penchée sur le droit à l’assistance d’un avocat dans une affaire où était soulevée la question de l’obligation d’agir équitablement, les appelants avaient informé l’agent des visas qu’ils seraient accompagnés d’un avocat qui ne ferait qu’observer et prendre des notes. L’agent n’a pas autorisé la présence de l’avocat à l’entrevue. La Cour a conclu qu’il y avait eu en l’espèce manquement à l’obligation d’équité et a ajouté, au paragraphe 65 :

[. . .] la Cour ne déclare pas que l’obligation d’équité exige toujours la présence d’un avocat. Les agents des visas doivent examiner les circonstances particulières de chaque cas.

La décision Ha n’enseigne pas que l’agent des visas a l’obligation d’informer l’intéressé de son droit à la présence d’un avocat. C’est l’intéressé qui doit prendre l’initiative à cet égard.

[57]Il n’est pas inutile de signaler qu’il y a eu une évolution au fil des ans des textes légaux portant sur le droit à l’assistance d’un avocat lors des enquêtes.

[58]Jusqu’en 1992, l’article 30 de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985) ch. I-2] prévoyait l’obligation d’informer les intéressés de leur droit à l’assistance d’un avocat. La Loi prévoyait même, dans certains cas, le droit à l’assistance d’un avocat aux frais du ministre (article 30 tel qu’il a été modifié par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 9).

[59]En 1992 (L.C. 1992, ch. 49, art. 19), l’article 30 a été modifié; il disposait alors que :

30. L’intéressé doit être informé qu’il a le droit de se faire représenter par un avocat ou un autre conseiller et se voir accorder la possibilité de le choisir, à ses frais.

[60]Dans la récente Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le droit d’être informé du droit à l’assistance d’un avocat quant aux questions d’interdiction de territoire a disparu et ce droit n’a été maintenu que pour les audiences devant la Section de l’immigration (paragraphe 167(1) de la Loi). Aucune disposition ne prévoit le droit à l’assistance d’un avocat lors d’une procédure devant l’agent d’immigration ou le représentant du ministre en application des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi.

[61]En l’espèce, M. Cha n’ayant pas demandé d’autorisation pour qu’un avocat soit présent lors de l’entrevue ou pour qu’il l’y accompagne, je n’ai pas à décider si, dans les circonstances, la représentante du ministre aurait manqué à l’obligation d’agir équitablement si elle s’était opposée à la présence d’un avocat.

[62]Cela dit, je suis néanmoins d’avis, comme le juge Lemieux, que le défaut en l’espèce d’aviser initialement M. Cha de l’objet de l’entrevue avec l’agent d’immigration constituait un manquement à l’obligation d’agir équitablement.

[63]La chaîne des événements est révélatrice à cet égard. M. Yelle, l’agent d’immigration, a appelé M. Cha avant le 14 mars 2003 pour l’informer que l’objet de l’entrevue fixée au 17 mars 2003 était de discuter de sa condamnation. On n’a pas informé M. Cha du fait que son statut d’étranger autorisé à demeurer au Canada serait mis en question.

[64]Le 17 mars 2003, M. Yelle a fait passer une entrevue à M. Cha. L’entrevue a débuté à 9 h 05 pour prendre fin à 9 h 30. M. Yelle a ensuite immédiatement établi un rapport d’interdiction de territoire.

[65]Ce rapport a immédiatement été transmis à Mme Perreault, la représentante du ministre. Cette dernière a fait passer une entrevue à M. Cha 20 minutes plus tard. Au terme de l’entrevue, qui s’est déroulée de 9 h 50 à 10 h 30, on a informé M. Cha qu’une mesure d’expul-sion était prise contre lui.

[66]Dans ces circonstances, le juge Lemieux pouvait à bon droit conclure que l’absence d’un avis approprié quant à l’objet de la première entrevue avec l’agent d’immigration constituait un manquement à l’obligation d’agir équitablement.

[67]Cela ne clôt toutefois pas la question. Les manquements à l’obligation d’agir équitablement n’entraînent pas automatiquement l’annulation de la décision administrative en cause (voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228; Correia, au paragraphe 36). M. Cha était représenté par un avocat devant la Cour fédérale. Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, il a reconnu avoir été déclaré coupable parce que [traduction] « son alcoolémie était supérieure au taux autorisé par la loi » (dossier d’appel, page 13). Ni M. Cha ni son avocat n’ont donné à entendre que l’intimé avait été réhabilité, que l’infraction était visée par la Loi sur les jeunes contrevenants, ou que l’intimé était âgé de moins de 18 ans ou ne pouvait comprendre la nature de la procédure. Comme une nouvelle audience devant un autre agent d’immigration ne pourrait qu’aboutir, encore une fois, à la prise d’une mesure d’expulsion, il serait totalement inutile d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.

DÉCISION

[68]J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et je rétablirais la mesure d’expulsion prise contre M. Cha.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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