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[2000] 2 C.F. 553

T-289-97

Novopharm Limited (appelante)

c.

Bayer Inc. et le registraire des marques de commerce (intimés)

Répertorié : Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans—Toronto, 9 mars et 28 octobre 1999.

Marques de commerce Enregistrement Le registraire a rejeté l’opposition à l’enregistrement de la marque de commerce « Circle Design » employée en liaison avec la nifédipine, sous le nom de marque « Adalat » — L’opposition de l’appelante faisait état d’irrégularités, d’une couleur revendiqué au titre de marque de commerce et de la confusion avec des marques de commerce existantesLe dessin n’est pas une représentation exacte de la marque de commerce comme l’exige l’art. 30h) de la Loi sur les marques de commerceIl contredit la descriptionLa demande n’est pas un modèle de clarté, de précision et d’exactitudeLa marque est-elle distinctive des marchandises visées?L’argument du « producteur unique » invoqué par l’appelante n’est pas étayé en jurisprudenceL’absence d’interchangeabilité du produit à l’époque en cause n’est pas concluanteIl n’est pas prouvé que les médecins et les pharmaciens reconnaissaient l’« Adalat » à sa couleur et à sa formeIl est plus vraisemblable que les patients identifient le médicament par son nom de marque et le nom de son fabricant que par sa couleur, sa forme et la grosseur des comprimésLa couleur, la forme et la grosseur des comprimés « Adalat » ne sont pas distinctives du produitCelui qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce doit prouver son caractère distinctif pour établir l’équilibre entre les considérations d’intérêt public concurrentesCette preuve n’a pas été faite.

Il s’agit d’un appel contestant le rejet par le registraire des marques de commerce de l’opposition formulée par l’appelante contre l’enregistrement de la marque de commerce « Circle Design » employée en liaison avec des « préparations pharmaceutiques, nommément nifédipine ». Bayer a commencé à vendre la nifédipine dans des capsules jaunes, sous le nom de marque « Adalat », puis elle a fabriqué ce produit en comprimés à libération progressive, de couleur rose antique et de forme ronde avec des côtés biconvexes. Cette substance est utilisée pour le traitement de l’hypertension artérielle et de l’angine. En 1992, lorsque l’appelante a produit son opposition à la demande d’enregistrement de la marque, Bayer était le seul fournisseur au Canada de nifédipine à libération progressive, et cette substance n’était interchangeable avec aucun autre produit pharmaceutique. Lors de l’opposition, l’appelante a d’abord soutenu que la demande d’enregistrement était entachée d’irrégularités, savoir que le dessin de la marque était représenté par une circonférence formée d’un trait continu et par des hachures horizontales, deuxièmement que la marque revendiquée visait une couleur, rose antique, et qu’une couleur ne peut constituer une marque de commerce aux fins de la Loi et, troisièmement que la couleur rose antique appliquée aux surfaces de petits comprimés ronds n’a pas le « caractère distinctif » requis pour constituer une marque de commerce. Le registraire des marques de commerce a rejeté chacun de ces motifs d’opposition et a conclu que Bayer avait établi selon la probalité la plus forte que la marque dont Bayer demandait l’enregistrement était distinctive de son produit de nifédipine et constituait donc une marque de commerce. Deux questions se posaient à l’instruction : 1) la marque était-elle adéquatement décrite dans la demande et 2) était-elle « distinctive » des marchandises visées?

Jugement : il y a lieu d’accueillir l’appel.

1) Le registraire n’a pas commis d’erreur en concluant que la marque de commerce visée par la demande ne se limitait pas à la couleur, mais s’entendait de la couleur rose antique appliquée à l’ensemble de l’extérieur des comprimés que représente le spécimen. Le dessin publié dans le Journal des marques de commerce, qui, contrairement à ce qui est dit dans la description contenue dans l’annonce, montre un trait continu et non un pointillé, n’aurait pas induit en erreur les opposants éventuels qui, autrement, auraient pu s’opposer à la demande afin de protéger leurs intérêts commerciaux. L’appelante a prétendu que le registraire, en traitant le dessin joint à la demande comme s’il était hachuré pour désigner la couleur rose plutôt que la couleur bleue, a en fait modifié la demande et a ainsi commis une erreur. Malgré la nature apparemment technique de l’erreur sur laquelle s’est fondée l’appelante, le dessin n’était pas une représentation exacte de la marque de commerce comme l’exige l’alinéa 30h) de la Loi. Lorsque la couleur est l’élément le plus important d’une revendication, c’est une erreur fondamentale que d’indiquer sur le dessin une couleur différente de celle qui est revendiquée dans la description. Lorsque le registraire a rejeté l’opposition pour ce motif, il a bel et bien modifié la marque après l’annonce, contrairement à ce que prévoit l’article 37 du Règlement sur les marques de commerce. Étant donné la complète inexactitude du dessin, la description et le dépôt d’un spécimen ne pouvaient servir à établir que la confusion était improbable et qu’elle n’était pas prouvée. Lorsque l’État octroie un monopole, les concurrents et le public ont le droit d’insister sur le respect rigoureux des termes de la législation qui autorise cet octroi. La préservation de l’exactitude du registre en tant que relevé public des marques de commerce comporte un intérêt public qui dépasse la question de savoir s’il existe un risque immédiat de confusion. La Loi n’établit pas que le spécimen fait partie intégrante de la demande. Par conséquent, le registraire a commis une erreur en concluant que le défaut de produire un dessin ou une autre représentation exacte de la marque n’invalidait pas la demande. En ce qui concerne la grosseur du comprimé, le registraire avait raison de conclure que la demande incluait dans la marque la grosseur du comprimé de 10 mg qui avait été déposé au Bureau en même temps. Le dépôt du spécimen indiquait implicitement que la demande visait aussi la grosseur de celui-ci. Relativement à la date de premier emploi, le registraire a accordé à Bayer le degré de latitude voulu en statuant que la grosseur très ressemblante des comprimés de 10 et de 20 mg permettait de tenir compte de l’emploi que cette société avait fait de la marque en liaison avec les comprimés de 20 mg, à partir de la date indiquée dans la demande. Il est à la fois pratique et justifié, eu égard aux considérations d’intérêt public qui sous-tendent l’alinéa 30b) de la Loi, de permettre à Bayer d’invoquer l’emploi antérieur qu’elle avait fait du comprimé de 20 mg afin de satisfaire à cette exigence d’origine législative. L’inclusion d’un dessin qui, fondamentalement, ne représente pas la bonne couleur du comprimé enfreint l’alinéa 30h). La demande de Bayer était loin d’être un modèle de clarté, de précision et d’exactitude.

2) L’appelante a également soutenu que la marque de Bayer n’est pas une « marque de commerce » parce qu’elle n’a pas été employée par cette dernière de façon à distinguer ses marchandises de celles des autres. Tant au cours de la procédure d’opposition devant le registraire qu’en appel devant la Cour, le fardeau d’établir le caractère distinctif de la marque incombe à la requérante. Ainsi, Bayer devait établir selon la probabilité la plus forte qu’en 1992, lorsque l’appelante a déposé son opposition à la demande, les consommateurs ordinaires associaient les comprimés de 10 mg à libération progressive « Adalat » ronds et rose antique à Bayer ou à un seul fournisseur ou fabricant. Les « consommateurs ordinaires » sont non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les « consommateurs ultimes », c’est-à-dire les patients pour lesquels les comprimés « Adalat » sont prescrits. Bien qu’en droit, la couleur, la forme et la taille d’un produit puissent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d’être faible. L’appelante a soutenu que, puisqu’en 1992 il n’y avait sur le marché aucun autre produit qui était interchangeable avec celui de Bayer, la couleur, la forme et la grosseur des comprimés ne pouvaient servir à les distinguer des comprimés de nifédipine fabriqués par d’autres parce qu’il n’y en avait pas d’autres. Aucun précédent n’étayant cet argument, celui-ci ne pouvait être accepté. Il ne faut pas donner à la définition d’une marque de commerce une interprétation qui exige qu’elle soit employée pour distinguer les marchandises d’un requérant de celles qui sont actuellement fabriquées ou vendues par d’autres. Pour appuyer son argument relatif au « caractère distinctif », l’appelante a également fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour étayer une conclusion de fait selon laquelle, en 1992, des consommateurs de nifédipine associaient celle-ci à une seule source, en raison de la couleur rose antique des comprimés, de leur forme biconvexe et de leur grosseur. Le fait que Bayer ait été le seul fabricant de nifédipine au Canada à cette époque ne réussit pas, à lui seul, à établir qu’en raison de leur apparence, les comprimés auraient été associés à une seule source. Quant à la présence et à la prédominance de l’« Adalat » sur le marché en 1992, la réponse était que l’absence d’interchangeabilité du produit à l’époque en cause n’était pas concluante parce qu’autrement, les brevetés seraient capables d’étendre leur droit exclusif de commercialiser un produit bien après l’expiration de leur brevet. La preuve n’a pas démontré que les médecins ou les pharmaciens se fient de façon importante à la couleur et à la forme pour identifier l’« Adalat ». La preuve a également permis d’inférer qu’il est plus vraisemblable que les patients identifient le produit de Bayer par son nom de marque ou par son fabricant que par sa couleur, sa forme ou sa grosseur. La couleur, la forme et la grosseur d’« Adalat » ne sont pas distinctives du produit. Bayer n’a produit aucune preuve directe montrant que les patients associaient la couleur et la forme des comprimés « Adalat » à une seule source.

Bien qu’elle paraisse se résumer à un examen factuel, cette affaire a soulevé deux considérations d’intérêt publique concurrentes. Il a d’abord été question d’éviter la manipulation du marché et la limitation indûe de la concurrence empêcheraient les fabricants de médicaments génériques de vendre un produit interchangeable d’apparence identique au produit d’origine. Ensuite, il est possible que le produit interchangeable cause des effets secondaires indésirables chez certains patients en raison d’ingrédients non médicinaux et que tous les fabricants n’exercent pas le même contrôle de la qualité. Ces deux préoccupations concernent la protection du consommateur. Il incombe au requérant d’une marque de commerce d’établir le caractère distinctif de sa marque afin qu’un équilibre entre ces deux considérations d’intérêt public soit atteint. Toutefois, le droit des marques de commerce est un instrument mieux adapté à la protection de la libre concurrence qu’à celle de la santé des personnes. Bayer ne s’est pas acquittée de ce fardeau de la preuve relativement à la marque visée par sa demande en liaison avec ses comprimés de nifédipine à libération progressive.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques des commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « distinctive », « marque de commerce », « signe distinctif », 16(1)c), 30b),h), 38(2), 56.

Règlement sur les marques de commerce, C.R.C., ch. 1559, art. 37a).

Règlement sur les marques de commerce (1996), DORS/96-195, art. 28.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Calumet Manufacturing Ltd. c. Mennen Canada Inc.; Gillette Canada Inc. c. Mennen Canada Inc. (1991), 40 C.P.R. (3d) 76; 50 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION NON SUIVIE :

Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag, [1999] T.M.O.B. no 124 (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Young Drivers of Canada Enterprises Ltd. c. Chan, [1999] F.C.J. no 1321 (1re inst.) (QL); Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag, [1997] T.M.O.B. no 303 (QL); Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120; (1992), 95 D.L.R. (4th) 385; 143 N.R. 241; Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289; 83 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 147 D.L.R. (4th) 673; 73 C.P.R. (3d) 371; 130 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (1975), 25 C.P.R. (2d) 126; 11 N.R. 560 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Benson & Hedges (Canada) Limited c. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; (1968), 1 D.L.R. (3d) 462; 57 C.P.R. 1; 39 Fox Pat. C. 207; McDonald’s Corp. c. Silverwood Industries Ltd. (1989), 23 C.I.P.R. 292; 24 C.P.R. (3d) 207; 25 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.); Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 C.F. 633 (1987), 12 C.I.P.R. 204; 9 F.T.R. 129 (1re inst.); Wampole & Co. Ltd. (Henry K.) v. Hervay Chemical Company of Canada Ltd., [1929] R.C.É. 78; conf. par [1930] R.C.S. 336; McDonald’s Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1989] 3 C.F. 267 (1989), 23 C.I.P.R. 161; 24 C.P.R. (3d) 463; 100 N.R. 396 (C.A.); Structureco, Inc. c. Jean (1997), 79 C.P.R. (3d) 331 (C.O.M.C.); Gainers c. Sugarplum Desserts Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 256 (T.M.O.B.); Imperial Developments Ltd. c. Imperial Oil Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.); Esprit de Corp c. S.C. Johnson & Co. (1986), 11 C.I.P.R. 192; 13 C.P.R. (3d) 235; 8 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.); Heavy Duty Cycles Ltd. c. Harley-Davidson Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 527; 128 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.); Sportcam Co. c. Breck’s Sporting Goods Co., [1973] C.F. 360; (1973), 10 C.P.R. (2d) 28 (C.A.); Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store (1998), 81 C.P.R. (3d) 203; 147 F.T.R. 54 (C.F. 1reinst.); Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106; (1971), 1 C.P.R. (2d) 155 (1re inst.); conf. par [1976] 2 C.F. iv; (1976) 26 C.P.R. (2d) 288 n (C.A.); Cellular Clothing Company v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326 (H.L.); Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329; [1939] 3 D.L.R. 641; Novopharm Ltd. c. Searle Canada Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 400 (T.M.O.B.).

APPEL du rejet par le registraire des marques de commerce de l’opposition de l’appelante à l’enregistrement de la marque de commerce « Circle design » employée en liaison avec des « préparations pharmaceutiques, nommément nifédipine ». Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Carol V. E. Hitchman et Bill Mayo pour l’appelante.

John Bochnovic et Steven B. Garland pour l’intimée Bayer Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hitchman & Sprigings, Toronto, pour l’appelante.

Smart & Biggar, Ottawa, pour l’intimée Bayer Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans :

A.        INTRODUCTION

[1]        Le présent appel, interjeté par Novopharm Ltd. conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, conteste le rejet, prononcé le 23 décembre 1996 par le registraire des marques de commerce, de l’opposition formulée par Novopharm contre la demande canadienne no 657,397 visant l’enregistrement de la marque de commerce « Circle Design » par Bayer Inc. pour être employée en liaison avec des [traduction] « préparations pharmaceutiques, nommément nifédipine ».

[2]        C’est en 1990 que Bayer a d’abord déposé une demande pour l’enregistrement de cette marque. Elle a modifié sa demande en 1991.

[3]        Novopharm prétend que le registraire a commis une erreur en rejetant son opposition parce que la demande d’enregistrement de la marque de commerce ne satisfait pas aux exigences de la loi, tant pour la forme que pour le fond, et parce que la preuve n’étaye pas sa conclusion que la marque distingue effectivement les comprimés de nifédipine de Bayer des autres produits pharmaceutiques sur le marché.

[4]        L’avocate de l’appelante ne conteste pas la doctrine conventionnelle selon laquelle, lorsqu’il y a appel d’une décision du registraire, celle-ci est susceptible de révision suivant le critère de la décision correcte, même si la Cour doit s’abstenir, en exerçant sa compétence d’appel, d’annuler à la légère une décision prononcée par des agents d’audition qui possèdent une vaste expérience en matière d’oppositions formulées contre des demandes d’enregistrement de marques de commerce : voir les arrêts Benson & Hedges (Canada) Limited c. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; McDonald’s Corp. c. Silverwood Industries Ltd. (1989), 23 C.I.P.R. 292 (C.F. 1re inst.).

[5]        Plus récemment, cependant, dans l’affaire Young Drivers of Canada Enterprises Ltd. c. Chan, [1999] F.C.J. no 1321 (1re inst.) (QL), le juge Lutfy a judicieusement fait remarquer qu’il était peut-être opportun de reconsidérer ou de reformuler la norme de contrôle applicable aux appels interjetés en matière de marques de commerce pour tenir compte de la jurisprudence contemporaine en droit administratif qui porte sur la norme de contrôle applicable aux décisions des tribunaux spécialisés. La contradiction apparente qui existe entre les deux parties de l’énoncé du droit exposé dans le paragraphe précédent donne aussi à penser qu’un tel exercice arriverait à point nommé.

[6]        Néanmoins, la doctrine de la retenue judiciaire ne s’applique guère aux conclusions du registraire relativement auxquelles, conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, beaucoup de nouveaux éléments de preuve ont été produits devant la Cour. Les éléments de preuve qui m’ont été présentés et qui n’étaient pas devant le registraire, plus particulièrement sur la question essentielle du caractère distinctif de la marque (voir les affidavits versés aux onglets A, B, C, et D du dossier de demande de la demanderesse), sont suffisamment importants pour me convaincre que le critère applicable au présent cas est celui de la décision correcte.

[7]        Par conséquent, même si les nouveaux affidavits déposés pour le compte de Novopharm ne semblent pas avoir fait l’objet d’un contre-interrogatoire, la présente affaire ne fournit pas l’occasion de relever le défi posé par le juge Lutfy dans l’affaire Young Drivers, précitée.

B.        RAPPEL DE CERTAINS FAITS

[8]        Bayer a commencé à vendre de la nifédipine au Canada en 1982 dans des capsules jaunes, qu’elle a commercialisées sous le nom de marque « Adalat ». En 1987, sous le même nom, elle a commencé à fabriquer ce produit dans des comprimés à libération progressive, de couleur rose antique et de forme ronde avec des côtés biconvexes. Ces comprimés sont les marchandises en liaison avec lesquelles la marque « Circle Design » est employée.

[9]        Quand Bayer a commencé à vendre de la nifédipine à libération progressive, les comprimés étaient d’une seule grosseur avec une forme posologique de 20 mg. Toutefois, par la suite, Bayer a produit des comprimés de forme posologique et de grosseur différentes : un comprimé de 10 mg de la même grosseur que celui de 20 mg et des comprimés de 30 mg et de 60 mg qui sont pas mal plus gros que ceux de 10 et de 20 mg.

[10]      Au Canada, il n’a toujours été possible d’obtenir la nifédipine que sur ordonnance médicale. Cette substance est utilisée dans le traitement de l’hypertension artérielle et de l’angine. Les pharmaciens reçoivent les comprimés dans des bouteilles et des emballages qui portent en gros caractères le nom de marque « Adalat » et le nom du fabricant.

[11]      En 1992, lorsque que Novopharm a produit son opposition à la demande d’enregistrement de la marque, Bayer était le seul fournisseur au Canada de nifédipine à libération progressive et cette substance n’était interchangeable avec aucun autre produit pharmaceutique; ainsi, lorsqu’un médecin prescrivait de l’« Adalat », ou des comprimés de nifédipine à libération progressive, les pharmaciens ne pouvaient délivrer que le produit Bayer. Ces comprimés ont connu un grand succès commercial : au milieu de l’année 1993, les ventes de Bayer avaient atteint presque 373 millions de dollars au Canada.

C.        LA DÉCISION DU REGISTRAIRE

1.         Irrégularités de la demande

[12]      La marque de commerce « Circle Design » est décrite de la façon suivante dans la demande modifiée :

[traduction] Sur la marque de commerce, toute la surface visible du comprimé est rose antique, telle qu’elle est illustrée par le spécimen fourni avec le formulaire de demande. Le comprimé en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce.

Un comprimé « Adalat » de 10 mg a été déposé au Bureau des marques de commerce comme spécimen.

[13]      Le dessin fourni avec la demande originale représentait un cercle dont la circonférence était formée par un trait continu et dont l’intérieur était hachuré de lignes verticales, ce qui, d’après le paragraphe 28(2) du Règlement sur les marques de commerce (1996) [DORS/96-195], sert à désigner la couleur rose.

[14]      La demande a été modifiée et un autre dessin a été fourni pour remplacer le premier, et ce, pour le faire correspondre à la description : la circonférence formée d’un trait continu a été remplacée par une ligne pointillée. Malheureusement, pendant qu’on corrigeait une erreur, on en commettait une autre. Le dessin de la marque joint à la demande modifiée est hachuré horizontalement plutôt que verticalement ce qui, suivant le Règlement, désigne la couleur bleue.

[15]      L’annonce publiée dans le Journal des marques de commerce convient encore moins : elle combine l’erreur de la demande originale avec celle la demande modifiée; ainsi le dessin de la marque est représenté par une circonférence formée d’un trait continu et les hachures sont horizontales. La description qui y est faite correspond essentiellement à celle de la demande modifiée, sauf que toute mention du dépôt d’un spécimen auprès du Bureau des marques de commerce en a été retirée.

[16]      Le registraire a statué que ces irrégularités n’invalidaient pas la demande. À l’audience sur l’opposition, les deux parties comprenaient très bien que la demande visait une marque de la couleur rose appliquée aux surfaces d’un comprimé et qu’un spécimen avait été déposé au Bureau. Par conséquent, le registraire a conclu que personne n’avait subi de préjudice puisque les erreurs contenues soit dans la demande modifiée, soit dans l’annonce publiée dans le Journal pour les fins de l’opposition, n’avaient trompé personne.

[17]      Le registraire a ensuite statué que la demande était conforme à l’alinéa 30h) de la Loi parce qu’elle incluait [traduction] « un dessin représentant avec exactitude au moins une perspective d’un comprimé » et que la description de la marque dans la demande signalait le dépôt du spécimen auprès du Bureau.

[18]      Le registraire s’est aussi interrogé sur la revendication faite dans la demande au sujet du premier emploi de la marque, qui remonterait à 1987. Cette revendication n’est pas tout à fait exacte parce que ce n’est pas avant 1989 que Bayer a commencé à vendre le comprimé de 10 mg, le spécimen déposé auprès du Bureau. Toutefois, depuis 1987, Bayer commercialise un comprimé de 20 mg qui n’est que légèrement plus gros que celui de 10 mg.

[19]      Le registraire a donc statué qu’aucun préjudice ne serait causé s’il permettait à Bayer d’invoquer l’emploi qu’il fait de la marque depuis 1987 en liaison avec le comprimé de 20 mg pour étayer sa demande d’enregistrement de marque de commerce pour le comprimé de 10 mg. Les comprimés de 20 mg ont continué d’être vendus après l’introduction des comprimés d’une autre grosseur. Ces éléments sont suffisants pour satisfaire à l’exigence prévue à l’alinéa 30b) de la Loi qui prescrit que la demande doit inclure la date à compter de laquelle la marque a été employée en liaison avec les marchandises qui sont décrites dans la demande.

2.         Une couleur peut-elle être une « marque de commerce »?

[20]      Novopharm s’est aussi opposée à la demande au motif que la marque revendiquée vise une couleur, rose antique, et qu’une couleur ne peut constituer une marque de commerce pour l’application de la Loi.

[21]      Le registraire a rejeté cet argument parce que la marque demandée vise la couleur rose antique appliquée à la surface d’un comprimé d’une grosseur et d’une forme particulières. La couleur ne représente donc qu’une caractéristique de la marque et, en tant que telle, elle peut constituer une marque de commerce : voir la décision Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 C.F. 633 (1re inst.), à la page 636.

3.         Confusion avec des marques de commerce existantes

[22]      L’alinéa 16(1)c) de la Loi prévoit qu’une marque de commerce ne peut être enregistrée si, à la date où elle a été employée en premier lieu, elle crée de la confusion avec une marque existante employée au Canada par une autre personne. Novopharm soutient qu’en 1987, date de premier emploi revendiquée par Bayer, dans sa demande, elle commercialisait, elle-même, au Canada des comprimés de couleur rose antique.

[23]      Le registraire a rejeté ce motif d’opposition parce que Novopharm n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui des faits mentionnés dans son allégation.

4.         Le caractère distinctif de la marque

[24]      Novopharm prétend que la marque dont l’enregistrement a été demandé n’est pas une « marque de commerce » au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle n’était pas employée « pour distinguer » ou « de façon à distinguer » les marchandises fabriquées par Bayer des marchandises fabriquées par d’autres. En d’autres termes, elle soutient que la couleur rose antique appliquée aux surfaces de petits comprimés ronds n’a pas le « caractère distinctif » requis pour constituer une marque de commerce.

[25]      Le registraire était disposé à déduire de la preuve de l’opposante qu’à la date où Novopharm a présenté son opposition, il y avait des douzaines de comprimés roses de différentes grosseurs sur le marché des produits pharmaceutiques. Toutefois, rien n’indiquait que l’une ou l’autre d’entre elles avait acquis une réputation au Canada.

[26]      En outre, la preuve qui lui a été soumise l’a convaincu que, compte tenu de l’absence de produit interchangeable avec la nifédipine à libération progressive de Bayer, les pharmaciens se servaient de la couleur, de la grosseur et de la forme des comprimés pour faire une deuxième vérification et s’assurer qu’ils délivraient bien « Adalat ». En outre, comme le nom de marque « Adalat » et le nom du fabricant apparaissent en gros sur l’emballage, il n’était pas improbable que le consommateur ultime, le patient, associe avec Bayer ou avec le nom de marque « Adalat » la marque visée par la demande.

[27]      Par conséquent, le registraire a conclu que la requérante avait établi selon la probabilitée la plus forte que la marque dont Bayer demandait l’enregistrement était distinctive de son produit de nifédipine et constituait donc une marque de commerce.

D.        LA LOI

[28]      Les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce sont pertinentes par rapport au présent appel.

2. […]

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. « signe distinctif » Selon le cas :

[…]

« signe distinctif » Selon le cas :

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

[…]

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, […] par elle, des marchandises fabriquées, vendues, […] par d’autres.

[…]

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, […] par elle, des marchandises fabriquées, vendues, […] par d’autres;

[…]

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

[…]

30. Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle la requérante ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

[…]

h) sauf si la demande ne vise que l’enregistrement d’un mot ou de mots non décrits en une forme spéciale, un dessin de la marque de commerce, ainsi que le nombre, qui peut être prescrit, de représentations exactes de cette marque;

[…]

38. […]

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

[…]

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

E.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

1.         La marque est-elle adéquatement décrite dans la demande?

[29]      Il est possible de résumer de la manière suivante l’argument avancé par Novopharm sous cette rubrique : les erreurs et les omissions qui entachent la demande et l’annonce publiée dans le Journal se combinent pour obscurcir la portée précise de la marque revendiquée par Bayer pour ses comprimés de nifédipine, de sorte que la demande et l’annonce ne peuvent constituer un avis suffisant adressé aux intéressés qui, si les renseignements avaient été exacts, auraient pu se considérer lésés par la demande et ainsi décider de s’y opposer pour protéger leurs intérêts commerciaux.

[30]      Par ailleurs, pour assurer l’intégrité du registre, les personnes qui sollicitent un enregistrement doivent définir clairement la portée du monopole qu’elles revendiquent et ainsi donner un avis suffisant à leurs concurrents de l’étendue des droits revendiqués.

[31]      J’examinerai en temps utile les diverses irrégularités techniques qui entachent la demande de Bayer selon les prétentions avancées par Novopharm à l’appui de son appel.

a)         revendication de la couleur seulement

[32]      Novopharm soutient qu’il est possible d’interpréter la demande comme revendiquant la couleur rose antique en tant que marque de commerce parce que le dessin joint à la description porte la mention suivante [traduction] « le comprimé en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce ». Si tel est le cas, alors la demande est irrégulière puisqu’une couleur seule ne peut constituer une marque de commerce : voir l’arrêt Wampole & Co. Ltd. (Henry K.) c. Hervay Chemical Company of Canada Ltd., [1929] R.C.É. 78; confirmé par [1930] R.C.S. 336.

[33]      J’estime que cette prétention est dépourvue de bien-fondé. Les mots tirés de la description contenue dans la demande visent à préciser que la marque revendiquée n’est pas le comprimé lui-même, mais seulement la couleur telle qu’elle est appliquée aux surfaces externes de celui-ci comme le montre le spécimen déposé auprès du Bureau des marques de commerce.

[34]      Il ressort d’une autre affaire qui ressemble à la présente, l’affaire Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag, [1997] T.M.O.B. no 303 (QL), que les mots [au paragraphe 1] [traduction] « le comprimé en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce » sont inclus, à la demande du Bureau, pour la fin expliquée précédemment. J’estime que ces mots parviennent effectivement à établir la distinction voulue entre le produit lui-même et ses propriétés physiques de forme et de couleur extérieure.

[35]      Quoi qu’il en soit, si j’avais eu le moindre doute sur cette question, j’aurais accordé beaucoup de poids à l’opinion du registraire étant donné qu’il s’agit d’une question de pratique et de procédure suivie par le Bureau relativement aux demandes de marque de commerce.

[36]      J’estime donc que le registraire n’a pas commis d’erreur en concluant que la marque de commerce visée par la demande ne se limitait pas à la couleur, mais s’entendait de la couleur rose antique appliquée à l’ensemble de l’extérieur des comprimés que représente le spécimen.

[37]      En outre, en l’absence de preuve du contraire, je ne saurais conclure que le dessin publié dans le Journal, qui, contrairement à ce qui est dit dans la description contenue dans l’annonce, montre un trait continu et non un pointillé, aurait induit en erreur les opposants éventuels qui, autrement, auraient pu s’opposer à la demande afin de protéger leurs propres intérêts commerciaux.

b)         rose ou bleu?

[38]      Novopharm prétend que le registraire, en traitant le dessin joint à la demande comme s’il était hachuré pour désigner la couleur rose plutôt que, comme il l’était effectivement, pour désigner la couleur bleue, a en fait modifié la demande et a ainsi commis une erreur.

[39]      Le registraire n’a pas le pouvoir discrétionnaire de modifier la demande en lui apportant des changements après l’annonce : voir l’alinéa 37a) du Règlement [Règlement sur les marques de commerce, C.R.C., ch. 1559]. Un tel pouvoir discrétionnaire irait à l’encontre de la raison qui sous-tend l’obligation de faire une annonce avant l’enregistrement d’une marque de commerce, à savoir aviser les autres de la demande afin de leur permettre de décider s’ils vont ou non s’opposer à l’enregistrement d’une marque susceptible de menacer leurs intérêts : voir l’arrêt McDonald’s Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1989] 3 C.F. 267 (C.A.), à la page 271.

[40]      L’avocate de l’appelante fait valoir que le défaut de Bayer de joindre à sa demande un dessin ou une autre représentation exacte de la marque de commerce, comme l’exige l’alinéa 30h) de la Loi n’est pas excusé du fait que Novopharm n’a pas été induite en erreur par la demande ou par l’annonce et s’est opposée à la demande, comprenant que la couleur en question était le rose et non le bleu comme le montrait le dessin. La préservation de l’intégrité du registre en tant que relevé auquel il est possible de se fier pour connaître avec certitude la portée précise du monopole revendiqué par une marque de commerce met en jeu un intérêt public important.

[41]      L’avocate soutient aussi que le dépôt d’un spécimen ne suffit pas non plus pour permettre au registraire de conclure que l’erreur que présente le dessin est sans importance. Après tout, les spécimens peuvent se détériorer avec le temps et ne fourniront donc pas nécessairement le degré de certitude auquel les concurrents et le public en général ont droit au sujet des limites précises de la marque.

[42]      En outre, l’annonce publiée dans le Journal ne mentionnait pas le dépôt d’un spécimen et les opposants éventuels peuvent donc ne pas avoir été en mesure de résoudre les contradictions entre la description écrite de la marque visée par la demande et le dessin qui y était joint.

[43]      À l’appui de son argument, l’avocate invoque l’extrait suivant tiré du jugement prononcé par le juge MacKay dans l’affaire Calumet Manufacturing Ltd. c. Mennen Canada Inc.; Gillette Canada Inc. c. Mennen Canada Inc. (1991), 40 C.P.R. (3d) 76 (C.F. 1re inst.), à la page 87 :

Sauf dans le cas où la marque est constituée uniquement d’un mot ou de mots non décrits en une forme spéciale, la Loi oblige à produire avec la demande d’enregistrement un dessin de la marque de commerce, ainsi que des représentations exactes de cette marque. C’est la marque ainsi illustrée dans le dessin et qui peut être reproduite grâce à un certificat d’enregistrement qui informe alors les tiers du droit de propriété que possède le propriétaire ou l’usager inscrit à l’égard de la marque de commerce et qui constitue le fondement de preuve dans une action en contrefaçon ou en radiation. Aussi utiles que des photographies et des échantillons d’une marque de commerce, y compris d’un signe distinctif, puissent être dans une demande d’enregistrement pour s’assurer que le dessin constitue une représentation raisonnable de la marque de commerce revendiquée, elles ne font pas partie, à mon avis, de la marque de commerce aux fins de l’enregistrement et pour toute autre fin visée par la Loi.

[44]      Malgré la nature apparemment technique de l’erreur sur laquelle se fonde Novopharm, il est difficile de résister à la conclusion que le dessin n’est pas une représentation exacte de la marque de commerce conforme à ce qu’exige l’alinéa 30h). Lorsque la couleur est l’élément le plus important d’une revendication, c’est une erreur fondamentale que d’indiquer sur le dessin une couleur différente de celle qui est précisée dans la description. Lorsque le registraire a rejeté l’opposition pour ce motif, il a bel et bien modifié la marque après l’annonce, contrairement à ce que prévoit l’article 37 du Règlement.

[45]      La réponse de l’avocat de Bayer consiste essentiellement à dire que l’inexactitude du dessin était sans importance. L’article 28 du Règlement n’oblige à hachurer le cercle que dans le cas où la couleur n’est pas claire d’après la description fournie dans la demande, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[46]      Pour répondre à cet argument, il suffit de préciser que, même si les dispositions législatives n’obligent pas à ajouter des hachures, lorsque des hachures sont effectivement ajoutées et qu’une erreur est commise, le dessin qui en résulte ne représente pas exactement la marque, contrairement à ce qu’exige l’alinéa 30h) de la Loi. Par conséquent, les dispositions applicables de la Loi n’ont pas été respectées.

[47]      Il ne fait aucun doute que l’avocat a raison de soutenir qu’étant donné le niveau d’expertise des membres de l’industrie pharmaceutique et de leurs conseillers, il est peu probable que le défaut de Bayer d’inclure un dessin exact de la marque ait créé de la confusion parce que la description précise clairement que la couleur en question est le rose et non le bleu. Le dépôt d’un spécimen rose réduisait encore la possibilité d’un doute légitime quant à la couleur revendiquée.

[48]      Toutefois, étant donné la complète inexactitude du dessin, la description et le dépôt d’un spécimen ne peuvent servir à établir que la confusion était improbable et certainement pas prouvée. D’abord, l’alinéa 30h) ne prévoit pas expressément que le risque de confusion au sujet de la nature de la marque revendiquée détermine la portée de l’obligation qui incombe à un requérant de fournir un dessin ou une autre représentation exacte de la marque.

[49]      Bien sûr, la logique qui sous-tend l’exigence d’un dessin exact est d’éviter la confusion en clarifiant ce qui aurait pu autrement paraître obscur à la lecture de la description faite dans la demande. J’estime, toutefois, que cela ne règle pas le présent cas : en l’espèce, le dessin contredit carrément la description.

[50]      De plus, je suis d’accord avec l’avocate de Novopharm quand elle avance que, lorsque l’État octroie un monopole, les concurrents et le public en général ont le droit d’insister sur le respect rigoureux des termes de la législation qui autorise cet octroi. La préservation de l’exactitude du registre en tant que relevé public des marques de commerce comporte un intérêt public qui dépasse la question de savoir s’il existe un risque immédiat de confusion. Les droits que le titulaire d’une marque de commerce pourra faire exécuter dans le futur sont définis par les termes de la demande telle qu’elle est enregistrée, ce qui comprend le dessin, et les concurrents devraient pouvoir considérer que les termes de l’enregistrement sont définitifs quant aux droits que la Loi reconnaît au déposant.

[51]      Après l’audience, l’avocat a attiré mon attention et a fait des observations écrites sur une décision très récente, à savoir Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag, [1999] T.M.O.B. no 124 (QL) dans laquelle M. Herzig, l’auteur de la décision visée par le présent contrôle, a statué [au paragraphe 4] que, lorsque [traduction] « la demande, telle qu’elle a été déposée, indique clairement que le rose est une caractéristique de la marque […] le requérant n’est pas obligé de suivre le système de couleurs prévu dans le Règlement ». Par conséquent, il a rejeté l’opposition formulée contre la demande d’enregistrement de la marque, même si la description et le dessin de la couleur ne correspondaient pas.

[52]      Pour les motifs que j’ai exposés précédemment, je ne peux souscrire à cette interprétation de l’article 28 du Règlement. Si aucun spécimen n’est déposé, pourquoi devrait-on présumer que c’est le dessin qui est erroné et non la description?

[53]      En outre, même si, contrairement à l’opinion exprimée par le juge MacKay dans la décision Calumet Manufacturing, précitée, la Cour estimait qu’un spécimen déposé auprès du Bureau et mentionné dans la demande (mais qui, en l’espèce, n’a pas aussi été mentionné dans l’annonce) faisait partie de la demande, cette conclusion n’aurait pas pour effet de rendre le dessin exact, même si elle pouvait, à brève échéance, aider à résoudre toute confusion possible au sujet des termes de la demande. Il n’en reste pas moins, comme l’a fait remarquer l’avocate de Novopharm, que des spécimens se détériorent avec le temps et qu’il n’est pas possible d’affirmer maintenant que le spécimen déposé par Bayer en liaison avec la demande sous examen en l’espèce conservera sa couleur indéfiniment.

[54]      À mon avis, cependant, il est préférable d’adopter l’opinion exprimée par le juge MacKay dans l’affaire Calumet Manufacturing, précitée, lorsqu’il a statué qu’il ressort de la Loi que le spécimen ne fait pas partie intégrante de la demande. Par conséquent, le registraire a commis une erreur en concluant que le défaut de produire un dessin ou une autre représentation exacte de la marque n’invalidait pas la demande.

c)         grosseur

[55]      L’avocate de Novopharm fait valoir que la demande était également irrégulière parce qu’elle n’indiquait pas clairement si la grosseur du comprimé auquel la couleur rose antique s’appliquait faisait partie de la marque. D’une part, le dépôt par Bayer d’un spécimen mentionné dans la demande constituait une indication que la marque incluait des comprimés ronds et roses de la grosseur du spécimen, de sorte que les autres fabricants puissent commercialiser des comprimés ronds et roses beaucoup plus petits ou beaucoup plus gros que le spécimen sans contrefaire la marque de Bayer.

[56]      D’autre part, il semble, selon l’affidavit souscrit pour les fins du présent appel par Peter Alexander, directeur des produits de groupe—produits cardio-vasculaires à Miles Inc., le prédécesseur de Bayer, que Bayer n’estimait pas que la demande était limitée par la grosseur.

[57]      L’avocat de Bayer fait valoir qu’il était légitime pour sa cliente de considérer que la grosseur faisait partie de la demande déposée pour la première fois, parce que la compagnie ne fabriquait alors qu’une seule grosseur de comprimés « Adalat ». Toutefois, la demande ne précise pas que la marque de commerce comprend la grosseur. En outre, la grosseur ne peut plus être considérée comme faisant partie de la marque puisque, à l’époque où cette marque de commerce a été enregistrée, Bayer fabriquait « Adalat » dans des formes posologiques plus faibles et plus fortes, contenues dans des comprimés correspondants plus petits ou plus gros. En conséquence, la marque comprend des comprimés de nifédipine biconvexes, ronds et roses, sans égard à la grosseur.

[58]      Le registraire, rappelons-nous, a statué que, d’après la demande, la marque incluait la grosseur du comprimé de 10 mg qui avait été déposé au Bureau en même temps qu’elle et auquel elle faisait référence. Bayer n’a pas formé d’appel incident relativement à cette conclusion du registraire.

[59]      J’estime que le registraire n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation de la demande. Le dépôt du spécimen indiquait implicitement que la demande visait aussi la grosseur de celui-ci. L’explication fournie ultérieurement par M. Alexander, signalant les dates auxquelles les différentes grosseurs ont été introduites par la suite, ne porte pas atteinte à la conclusion du registraire.

[60]      Il y a lieu de remarquer aussi que les comprimés de 30 et de 60 mg diffèrent des comprimés plus petits de 10 et de 20 mg, non seulement par leur grosseur, mais aussi par la présence, sur une de leurs faces, des mots facilement lisibles « Adalat 30 » et « Adalat 60 », respectivement, écrits en lettres noires. Par contre, les chiffres 10 et 20 gravés sur les plus petits comprimés et le nom, « Miles », ne sont pas du tout faciles à voir.

[61]      Comme Bayer fabriquait des comprimés de grosseurs légèrement différentes en 1991, année où elle a produit sa demande modifiée, elle aurait pu soit déclarer que la demande ne visait pas la grosseur, soit déposer des spécimens des comprimés de 10 et de 20 mg. Toutefois, elle n’a fait ni l’un ni l’autre et il convient d’interpréter strictement la portée d’une demande de monopole.

[62]      Par conséquent, rien ne m’autorise à modifier la conclusion du registraire selon laquelle la demande modifiée de Bayer comprend la grosseur et était limitée à la grosseur du comprimé d’« Adalat » de 10 mg déposé comme spécimen. Le fait que, pour différentes raisons, aucune des parties n’ait soutenu la décision du registraire dans le présent appel n’est pas déterminant.

d)         date de premier emploi

[63]      L’avocate de Novopharm a invoqué d’autres décisions rendues par M. Herzig à titre de précédents étayant la proposition selon laquelle une demande doit préciser la date exacte de premier emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises du requérant, ou de son prédécesseur, telle qu’elle est décrite dans la demande : voir la décision Structureco, Inc. c. Jean (1997), 79 C.P.R. (3d) 331 (C.O.M.C.), à la page 335; Gainers c. Sugarplum Desserts Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 256 (C.O.M.C.), aux pages 258 et 259. L’alinéa 30b) de la Loi exige expressément que ce renseignement soit inclus dans la demande d’enregistrement d’une marque de commerce.

[64]      À mon avis, le registraire a accordé à Bayer le degré de latitude voulu en statuant que la grosseur très ressemblante des comprimés de 10 et de 20 mg permettait de tenir compte de l’emploi que cette société avait fait de la marque en liaison avec les comprimés de 20 mg, à partir de la date indiquée dans la demande, même si le premier emploi de la marque en liaison avec le comprimé de 10 mg datait de 1989, année où Bayer a commencé à commercialiser ces comprimés.

[65]      Vu ces circonstances, il est à la fois pratique et justifié, eu égard aux considérations d’intérêt public qui sous-tendent l’alinéa 30b), de permettre à Bayer d’invoquer l’emploi antérieur qu’elle avait fait du comprimé de 20 mg afin de satisfaire à cette exigence d’origine législative.

[66]      Si, contrairement à ce que je pense, le registraire a commis une erreur sur ce point, je ne considérerais pas que celle-ci exige d’accueillir le présent appel. Je suis d’accord avec l’avocat de Bayer : la question de la date de premier emploi ne faisait pas partie des motifs d’opposition déposés par Novopharm; par conséquent, ni le registraire ni la Cour, en appel, ne devrait se pencher sur cette question. Voir les décisions Imperial Developments Ltd. c. Imperial Oil Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.), à la page 21; Esprit de Corp. c. S.C. Johnson & Co. (1986), 11 C.I.P.R. 192 (C.F. 1re inst.), aux pages 203 et 204.

e)         conclusion

[67]      L’inclusion d’un dessin qui, fondamentalement, ne représente pas la bonne couleur du comprimé enfreint l’alinéa 30h) et m’autorise à faire droit à l’appel. En outre, même si je ne suis pas convaincu que le registraire a commis une erreur en concluant que la requérante avait respecté les autres exigences de l’article 30, la demande de Bayer était loin d’être un modèle de clarté, de précision et d’exactitude.

2. La marque était-elle « distinctive » des marchandises visées?

[68]      Malgré la conclusion tirée précédemment, il convient aussi d’examiner le fond de l’opposition formulée par Novopharm, qui soutient que la marque de Bayer n’est pas une « marque de commerce » parce qu’elle n’a pas été employée par cette dernière de façon à distinguer ses marchandises de celles des autres.

[69]      L’adjectif « distinctive » est défini à l’article 2 de la Loi. Ainsi, pour être distinctive, la marque de commerce visée par la demande de Bayer doit « distingue[r] véritablement les marchandises […] en liaison avec lesquel[le]s elle est employée par son propriétaire, des marchandises […] d’autres propriétaires ».

[70]      La question de savoir si une marque ou un signe particulier est distinctif est une question de fait et doit être tranchée en fonction du message que la marque transmet aux consommateurs : voir les décisions Heavy Duty Cycles Ltd. c. Harley-Davidson Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 527 (C.F. 1re inst.); Sportcam Co. c. Breck’s Sporting Goods Co., [1973] C.F. 360 (C.A.). La Cour doit donc se demander si l’on a clairement laissé entendre au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et en liaison avec lesquelles elle est employée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles d’une autre personne : voir l’affaire Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store (1998), 81 C.P.R. (3d) 203 (C.F. 1re inst.).

a)         principes juridiques applicables

[71]      Avant d’aborder la preuve, il peut s’avérer utile d’exposer certains des principes juridiques qui serviront de cadre à son analyse.

[72]      Tout d’abord, il y a lieu d’indiquer que, tant au cours de la procédure d’opposition tenue devant le registraire que dans le cadre de la procédure d’appel qui se déroule devant cette Cour, le fardeau d’établir le caractère distinctif de la marque incombe à la requérante. Ainsi, Bayer doit établir selon la probabilité la plus forte qu’en 1992, lorsque Novopharm a déposé son opposition à la demande, les consommateurs ordinaires associaient les comprimés de 10 mg à libération progressive « Adalat » ronds et rose antique à Bayer ou à un seul fournisseur ou fabricant : voir Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 123; confirmé par [1976] 2 C.F. iv (C.A.).

[73]      Deuxièmement, pour répondre à cette question, les « consommateurs ordinaires » dont il faut tenir compte sont non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les « consommateurs ultimes », c’est-à-dire les patients pour lesquels les comprimés « Adalat » sont prescrits et à qui ils sont fournis, même si ceux-ci ne peuvent se procurer de la nifédipine que sur ordonnance médicale : voir l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.

[74]      Dans l’arrêt Ciba-Geigy, la Cour a statué que les éléments du délit de passing-off (ou commercialisation trompeuse) s’appliquaient aux produits pharmaceutiques comme à tout autre produit. Par conséquent, il convenait d’examiner si l’« apparence » des produits de la demanderesse avait acquis un caractère distinctif susceptible d’amener les patients à identifier cette « apparence » à une seule source, de sorte qu’ils risquent de croire à tort que le produit de quelqu’un d’autre, d’apparence similaire, émane de la même source que ceux de la demanderesse.

[75]      Il faut aussi remarquer que, bien que les actions engagées pour le délit de passing-off (ou de commercialisation trompeuse) et les procédures d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce se distinguent par des différences évidentes, elles ont aussi un lien important qui les unit. Le rejet de l’opposition de Novopharm permettra à Bayer d’empêcher ses concurrents de commercialiser un produit interchangeable avec « Adalat » sous forme de comprimés ayant une apparence similaire à ses comprimés de nifédipine.

[76]      Par conséquent, Bayer, dans toute poursuite qu’elle engagerait pour la contrefaçon de sa marque de commerce, ne serait pas tenue de prouver que la couleur, la forme et la taille de son produit ont une notoriété propre, comme elle devrait le faire dans une action en passing-off (commercialisation trompeuse) si elle n’était pas titulaire d’une marque de commerce valide. En vertu de la définition que la Loi donne d’une marque de commerce, l’enregistrement valide de la marque en litige dans la présente procédure établit effectivement, et de façon irréfutable, que les consommateurs relient la présentation des comprimés « Adalat » à une seule source.

[77]      Troisièmement, bien que j’accepte qu’en droit, la couleur, la forme et la taille d’un produit peuvent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d’être faible : voir la décision Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerces), [1987] 2 C.F. 633 (1re inst.), aux pages 634 à 636.

[78]      En l’espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s’acquitter d’un lourd fardeau pour établir, selon la probabilité la plus forte, qu’en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés à une seule source : voir la décision Standard Coil, précitée, à la page 123. Le fait qu’à l’époque du dépôt de l’opposition de Novopharm, « Adalat » était le seul comprimé de nifédipine à libération progressive sur le marché n’est pas suffisant en soi pour établir une notoriété propre : voir les arrêts Cellular Clothing Company v. Maxton& Murray, [1899] A.C. 326 (H.L.), à la page 346; Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329.

[79]      Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

b)         la décision du registraire

[80]      Le registraire a conclu que la marque de la requérante était distinctive en se basant sur les faits suivants :

a) l’absence de preuve que d’autres produits pharmaceutiques d’apparence similaire aient joui d’une certaine réputation au Canada;

b) le recours par les pharmaciens à l’apparence des comprimés en tant que deuxième vérification pour s’assurer qu’ils délivrent bien de la nifédipine;

c) l’absence d’un produit interchangeable avec « Adalat », et

d) le fait que la présence du nom du fabricant sur l’emballage contenant les comprimés a tendance à amener les consommateurs ordinaires à associer les comprimés de cette apparence à Bayer ou, en tout cas, à ne seule source.

c) l’argument du « producteur unique »

[81]      Novopharm prétend que le registraire a commis une erreur en concluant que la marque de Bayer était distinctive de ses comprimés de nifédipine à libération progressive au moment pertinent. Cet argument comporte deux volets : premièrement, dit-on, on présume que le marché visé pour décider de l’existence d’un caractère distinctif est celui des comprimés de nifédipine à libération progressive par opposition aux autres produits contenant de la nifédipine, aux comprimés qui contiennent d’autres principes actifs et qui sont utilisés dans le traitement des troubles cardio-vasculaires ou aux produits pharmaceutiques en général. Ainsi, comme, en 1992, il n’y avait sur le marché aucun autre produit qui était interchangeable avec celui de Bayer, la couleur, la forme et la grosseur des comprimés ne pouvaient servir à les distinguer des autres comprimés de nifédipine fabriqués par d’autres parce qu’il n’y avait personne d’autre de qui Bayer pouvait se distinguer.

[82]      L’avocate de Novopharm n’a cité aucun précédent pour étayer cette prétention. Comme l’a signalé l’avocat de Bayer, cet argument comporte la proposition pour le moins surprenante selon laquelle la première personne à commercialiser un nouveau produit n’aurait pas le droit d’enregistrer une marque de commerce employée en liaison avec son produit tant que personne d’autre n’est entré sur le marché en fabriquant des produits similaires au sien. À ce moment-là, si le concurrent emploie une marque similaire qui prête à confusion avec celle du premier producteur, celui-ci peut subir un préjudice parce qu’il n’a pas déjà enregistré sa marque.

[83]      En l’absence d’un texte officiel m’obligeant à accepter cette proposition, j’estime que tel ne peut être le droit. Je ne vois pas pourquoi une société innovatrice serait privée de l’avantage qu’offre une marque de commerce déposée jusqu’à ce que des concurrents soient entrés sur le marché, alors qu’un préjudice peut déjà avoir été causé tant au producteur original qu’aux consommateurs. En fait, l’argument de l’appelante aurait aussi comme résultat de rendre invalide une marque de commerce valide advenant le cas où les autres marchandises par rapport auxquelles elle distingue les biens du titulaire cessaient d’être vendues.

[84]      Ma conclusion peut s’appuyer sur une interprétation de la définition d’une marque de commerce qu’on trouve dans la Loi et qui évite d’attribuer une connotation temporelle aux mots « marchandises […] fabriquées […] [ou] […] vendues […] par d’autres ». Ainsi, pourvu que la marque identifie véritablement des marchandises comme provenant d’une seule source, il ne faut pas donner à la définition d’une marque de commerce une interprétation qui exige qu’elle soit employée pour distinguer les marchandises d’un requérant de celles qui sont actuellement fabriquées ou vendues par d’autres.

d)         « caractère distinctif en fait »

[85]      En revanche, la deuxième branche de l’argument sur le caractère distinctif que soulève l’appelante est plus coriace. L’avocate prétend qu’il n’y a tout simplement pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour étayer une conclusion de fait selon laquelle, en 1992, des « consommateurs » de nifédipine associaient celle-ci à une seule source, en raison de la couleur rose antique des comprimés, de leur forme biconvexe et de la grosseur des comprimés de 10 ou de 20 mg.

[86]      Le fait que Bayer ait été le seul fabricant de nifédipine au Canada à cette époque ne réussit pas, à lui seul, à établir qu’en raison de leur apparence, les comprimés auraient ainsi été associés à une seule source. Le fait que Bayer ait choisi la couleur rose antique uniquement pour des motifs de commercialisation, plutôt que pour des raisons liées à la fonction du produit, ne signifie pas non plus que cette couleur sert de marque de commerce lorsqu’elle est appliquée aux comprimés ronds de nifédipine à libération progressive.

[87]      Devant le registraire, et au cours du présent appel, Bayer s’est fortement appuyée sur une preuve circonstancielle ou indirecte pour établir qu’un nombre important de « consommateurs », plus précisément des médecins, des pharmaciens et des patients, associaient les comprimés de nifédipine rose antique, ronds et biconvexes à une seule source et, plus particulièrement à Bayer ou à son prédécesseur, Miles. En d’autres termes, elle a soutenu que l’apparence des comprimés a acquis une notoriété propre et indique donc que les comprimés proviennent de Bayer ou, à tout le moins, d’une seule source.

[88]      On m’a mentionné une affaire relativement semblable à la présente, l’affaire Ciba-Geigy Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la demanderesse a obtenu une injonction interlocutoire pour empêcher la défenderesse de faire passer son produit pharmaceutique pour celui de la demanderesse. Les deux parties fabriquaient des comprimés ayant le même principe actif et la même apparence : de couleur rose foncé et de forme ronde et biconvexe.

[89]      Le juge Rothstein (tel était alors son titre) a conclu que la preuve avait établi l’existence d’une question sérieuse à trancher. Suivant les motifs donnés par la Cour suprême du Canada dans l’autre affaire Ciba-Geigy mentionnée précédemment, il s’est plus particulièrement intéressé à la mesure dans laquelle la preuve indiquait que les patients risquaient probablement d’être induits en erreur par la similarité d’apparence entre les deux produits.

[90]      Dans l’affaire dont le juge Rothstein était saisi, les produits étaient interchangeables et, si les patients identifiaient le produit de la demanderesse par son apparence, la commercialisation par la défenderesse de comprimés dont l’apparence était tellement semblable qu’elle créait de la confusion aurait empêché les patients d’exercer leur choix, comme consommateurs, en précisant quel produit ils voulaient qu’on leur prescrive. Le juge a ajouté, par ailleurs, qu’il était peu probable que les médecins et les pharmaciens identifient les produits pharmaceutiques par leur aspect physique.

[91]      Cette affaire sert aussi la cause de Bayer parce que le juge Rothstein a conclu en faveur de la demanderesse, même si elle n’avait produit aucune preuve directe de confusion de la part des patients. Le juge était disposé à s’appuyer sur les affidavits souscrits par des médecins et des pharmaciens qui, selon lui, étaient suffisamment près de la « ligne de front » et, dans le cas des pharmaciens, suffisamment exposés aux réalités du commerce au détail pour fournir des témoignages fiables à partir de leurs propres connaissances et de leur expérience du comportement d’un nombre important de patients.

[92]      D’un autre côté, la pertinence de cette décision est limitée parce que la seule préoccupation du juge Rothstein était de savoir s’il y avait une question sérieuse à trancher. En ce qui me concerne, je suis appelé à décider si la preuve du présent cas établit selon la probabilité la plus forte que la couleur, la forme et la grosseur des comprimés « Adalat » avaient acquis une notoriété propre en 1992.

[93]      Pour contrer la décision du juge Rothstein dans l’affaire Ciba-Geigy, précitée, qui a été invoquée par l’avocat de Bayer, l’avocate de Novopharm m’a mentionné les motifs prononcés par Mme le juge Reed dans l’affaire Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 147 D.L.R. (4th) 673 (C.F. 1re inst.). Ces deux affaires portent sur des actions en passing-off (ou en commercialisation trompeuse) dans lesquelles une compagnie pharmaceutique innovatrice tente d’empêcher un fabricant de médicaments génériques de commercialiser des produits pharmaceutiques dont l’apparence est similaire à celle de ses produits.

[94]      Je répète que le juge Rothstein a conclu que la preuve produite devant lui sur la question du caractère distinctif de l’apparence du produit de la demanderesse était suffisante uniquement pour établir qu’il y avait une question sérieuse à trancher. En revanche, le juge Reed, dans l’affaire Eli Lilly, précitée, a statué, à la fin du procès, que la demanderesse n’avait pas établi selon la probabilité la plus forte qu’un nombre suffisant de patients reliaient l’apparence de son produit à un seul fournisseur. Par conséquent, elle a rejeté l’action en passing-off de la demanderesse.

[95]      Il ressort clairement des motifs du juge Reed que celle-ci avait devant elle une preuve volumineuse sur des questions comme celle de savoir comment les pharmaciens identifient les produits pharmaceutiques, quelles sont les pratiques des médecins en matière d’ordonnances ainsi qu’une preuve par sondage sur la connaissance qu’avaient les patients des noms de marque. Certains éléments de preuve indiquaient aussi qu’au Canada, il est courant que les fabricants de médicaments génériques commercialisent leur produit dans une couleur, une taille et une forme similaires à celles du produit d’origine avec lequel ils sont interchangeables, soit après l’expiration du brevet du médicament d’origine, soit après la mise au point d’une façon de fabriquer un produit interchangeable, doté de la même biodisponibilité, qui ne contrevient pas au brevet.

[96]      Même si une partie de la preuve soumise dans l’affaire Eli Lilly ne se limitait pas au produit visé dans cette affaire, il me faut trancher l’appel dont je suis saisi en fonction des éléments de preuve beaucoup moins nombreux qui ont été produits en l’espèce. Étant donné que les décisions rendues dans les affaires Ciba-Geigy et Eli Lilly, ainsi que dans d’autres affaires similaires, se fondent largement sur des conclusions de fait tirées à partir de la preuve produite dans chaque cas, l’aide directe qu’elles peuvent m’apporter est restreinte. J’exposerai les éléments de preuve invoqués pour établir le caractère distinctif de la couleur rose antique appliquée aux comprimés « Adalat ».

(i)         prédominance sur le marché et réputation

[97]      Bayer a produit des éléments de preuve sur la présence et la prédominance d’« Adalat » sur le marché en 1992 afin d’étayer sa prétention suivant laquelle le produit avait acquis un caractère distinctif suffisant à la date en cause.

[98]      Premièrement, l’avocat de Bayer prétend que le fait qu’en 1992, « Adalat » ait été le seul produit de nifédipine à libération progressive sur le marché permet d’inférer que les consommateurs ont dû associer son apparence à une seule source. Je reconnais que l’absence d’interchangeabilité du produit à l’époque en cause étaye la prétention de Bayer, mais je ne la considère pas concluante parce qu’autrement, les brevetés seraient capable d’étendre leur droit exclusif de commercialiser un produit bien après l’expiration de leur brevet : voir les arrêts Cellular Clothing et Canadian Shredded Wheat, précités.

[99]      Il est bien possible que les consommateurs identifient l’apparence d’un produit pharmaceutique à ses fins thérapeutiques, plutôt qu’à un seul fabricant, et ce, même lorsque ce produit n’est, en fait, interchangeable avec aucun autre. Il est possible que les patients mentionnent simplement la couleur et la forme d’un comprimé pour identifier le médicament qu’ils prennent pour un trouble particulier. Ainsi ils diront : « ce sont les petites pilules roses que je prends pour mon angine » et non « les comprimés pour traiter mon angine sont rose antique et ronds, donc je sais qu’ils viennent du même fabricant ».

[100]   Deuxièmement, des éléments de preuve révèlent qu’en 1992, lorsque Novopharm a déposé son opposition à la présente demande, les comprimés « Adalat » jouissaient, tant par leur nom que par leur apparence, d’une importante réputation au Canada. Dans son affidavit, M. Alexander déclare que les ventes d’« Adalat » au Canada, à cette époque, dépassaient largement les 300 millions de dollars et que plusieurs millions de dollars avaient été consacrés à la publicité et à d’autre documentation commerciale, contenant souvent à la fois le nom du fabricant et des photos ou une autre représentation ressemblante des comprimés. De plus, Bayer avait gratuitement fourni aux médecins plus de 17 millions d’échantillons d’« Adalat ». Toutes ces activités, prétend-on, tendaient à associer l’apparence des comprimés à une seule source et plus particulièrement à Bayer ou Miles, bien sûr.

[101]   M. Alexander a aussi expliqué que le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, un ouvrage de référence publié par l’Association pharmaceutique canadienne et largement distribué aux médecins et aux pharmaciens au Canada, comprend une « Section d’identification des produits » qui vise à familiariser les lecteurs à l’aspect physique des produits disponibles au Canada, de manière à leur permettre de les associer à leur fabricant et de les reconnaître par leur apparence. « Adalat » a fait son apparition dans la Section d’identification des produits avant 1992 et s’y trouve toujours depuis.

(ii)        reconnaissance par les médecins et les pharmaciens

[102]   Bayer s’est aussi appuyée sur le témoignage de médecins et de pharmaciens qui ont affirmé que les comprimés « Adalat » étaient, par leur apparence, associés à un seul fabricant.

[103]   Bayer invoque une déclaration faite par M. Dan, président de Novopharm, qui, en répondant à une question posée par l’avocat de Bayer, a mentionné que les pharmaciens se fient à la couleur, à la grosseur et à la forme pour identifier les médicaments au moment où ils les délivrent. Toutefois, M. Dan a aussi ajouté qu’il ne s’agissait que d’une « deuxième vérification », la première source d’identification utilisée par les pharmaciens étant l’étiquette apposée sur le contenant dans lequel le produit est fourni.

[104]   Selon d’autres éléments de preuve produits par Novopharm, il ressort que, pour les besoins de l’identification, les médecins et les pharmaciens ne se fient que très peu, voire pas du tout, à la couleur d’« Adalat », et même de tous les médicaments d’ordonnance.

[105]   Par exemple, dans un des affidavits qui n’a pas été présenté au registraire, le Dr Mitchell Levine, un médecin, a indiqué que la grosseur et la forme d’un produit pharmaceutique ne jouaient aucun rôle dans sa décision de le prescrire.

[106]   D’autres éléments de preuve indiquent aussi que ce n’est qu’à dans un degré très limité que les pharmaciens identifient la nifédipine de Bayer par la couleur et la grosseur du comprimé, et ce, surtout parce qu’il existe sur le marché beaucoup de pilules roses, dont celles qui sont prescrites pour le traitement des troubles cardio-vasculaires. Ainsi, par exemple, outre le témoignage de M. Dan qui affirme qu’il n’a recours à la couleur que pour effectuer une « deuxième vérification », M. Joseph Newton, un autre pharmacien, a dit qu’en assurant la surveillance de ses assistants, il se fiait surtout à l’étiquette apposée sur les bouteilles du fabricant et qu’il ne regardait pas toujours la couleur des pilules dans la bouteille.

[107]   Deux autres pharmaciens, M. Organ et M. Haber, ont témoigné que, lorsqu’ils se servaient de l’apparence d’un comprimé pour les aider à l’identifier, ils regardaient aussi les inscriptions faites dessus. Toutefois, les inscriptions faites sur le comprimé de nifédipine à libération progressive de Bayer ne font pas partie de la marque visée par la demande examinée en l’espèce.

[108]   À mon avis, la preuve n’établit pas que les médecins ou les pharmaciens se fient de façon importante à la couleur et à la forme pour identifier « Adalat ».

(iii)       reconnaissance par les patients

[109]   Bayer a également cherché à établir qu’« Adalat » était un produit largement reconnu par les consommateurs ultimes du produit, à savoir les patients, pour qui il était prescrit et à qui il était vendu. Dans ce contexte, elle a mis l’accent sur le fait qu’« Adalat » était généralement prescrit pour une longue période de sorte que les patients avaient largement l’occasion d’associer l’apparence des comprimés avec le fait qu’ils provenaient d’un fabricant en particulier.

[110]   Il a été également établi que les pharmaciens vendaient souvent « Adalat » dans des boîtes contenant un approvisionnement de plusieurs semaines pour un patient en particulier. Le nom de marque et le nom du fabricant sont écrits en gros sur les boîtes. En outre, le nom du principe actif et celui du fabricant apparaissent sur l’étiquette apposée sur le flacon dans lequel les comprimés sont remis au patient.

[111]   De tous ces éléments de preuve, il est possible de déduire, selon ce qu’a reconnu un pharmacien au cours du contre-interrogatoire sur son affidavit, que bien des patients associeraient les pilules roses et rondes qu’ils prennent pour leur angine avec le nom de marque « Adalat », ou son seul fabricant, surtout qu’un grand pourcentage de patients sont des consommateurs chroniques de ces comprimés.

[112]   Mais, il serait possible de considérer ces mêmes éléments de preuve comme permettant de déduire exactement le contraire, c’est-à-dire que la place qu’occupe le nom « Adalat » sur l’emballage, plutôt que la couleur, la forme et la grosseur des comprimés eux-mêmes, aurait tendance à amener les patients à identifier leur médicament au nom de marque ou à celui du fabricant. Ainsi les patients, s’ils sont satisfaits de l’effet thérapeutique d’« Adalat », pourraient être en mesure de demander ce produit par son nom de marque ou par celui du fabricant.

[113]   Au cours du contre-interrogatoire fait par l’avocat de Bayer, le Dr Paul Pitt a déclaré que les personnes qui ont obtenu des effets bénéfiques d’un médicament vont souvent identifier celui-ci par sa couleur, sa forme et sa grosseur. Toutefois, cette déclaration ne me semble pas faire beaucoup avancer la cause de Bayer parce que, comme ce médecin l’a indiqué par la suite, pour beaucoup de personnes, la couleur, la grosseur et la forme des comprimés ne signifient guère plus que « c’est la pilule que je prends pour mon angine ». Son témoignage ne parvient donc pas à établir que les consommateurs identifient l’apparence des comprimés « Adalat » à une seule source.

[114]   Le Dr Levine a aussi indiqué que les patients, même s’ils peuvent identifier un médicament par sa couleur, sa forme et sa grosseur, le font pour reconnaître le comprimé qu’ils prennent pour un trouble particulier, surtout lorsqu’ils prennent plusieurs comprimés pour différentes fins. D’après son expérience, cependant, ils n’associent généralement pas le médicament à une source particulière, même s’il admet que son opinion ne repose sur aucune déclaration que des patients lui auraient faite.

(iv)       le caractère distinctif sur le marché plus vaste des médicaments délivrés sur ordonnance

[115]   L’avocate de Novopharm a fait valoir que, contrairement à l’opinion exprimée par le registraire dans le présent cas, le fait qu’« Adalat » ne soit pas le seul produit pharmaceutique sur le marché à être vendu dans des comprimés roses et ronds aurait tendance à empêcher de conclure à son caractère distinctif, même si aucune preuve n’établit que ces autres produits jouissaient au Canada d’une réputation ayant pour effet d’entraîner l’association de leur apparence à une seule source de fabrication.

[116]   Le juge Thurlow (tel était alors son titre) s’est penché sur cette question dans l’affaire E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (C.A.), aux pages 8 et 9, dans laquelle il était également question de la contestation d’une demande d’enregistrement d’une marque au motif qu’elle n’avait pas de caractère distinctif. La Cour a statué qu’il était difficile de conclure que la marque en question servait véritablement à distinguer les marchandises de la demanderesse lorsqu’elle était utilisée aussi par plusieurs autres compagnies en liaison avec leurs marchandises. Comme il ne s’agissait pas d’établir si ces autres producteurs avaient le droit de monopoliser l’emploi de la marque, il importait peu de savoir si les consommateurs associaient ou non ce nom aux marchandises des autres producteurs.

[117]   M. Donald Macdonald, un pharmacien, a souscrit, pour les fins du présent appel, un affidavit qui n’a pas été présenté au registraire. Il y dresse une liste de près de quarante médicaments roses qu’on peut obtenir au Canada pour traiter l’hypertension artérielle et l’angine. Il joint à son affidavit des extraits de la Section d’identification des produits du CPS de 1992 qui montrent des comprimés roses qu’on peut obtenir au Canada, entre autres la plupart de ceux qui sont répertoriés dans le corps de son affidavit.

[118]   Cette preuve, il est vrai, ne porte pas toujours à la fois sur la couleur et la forme et la grosseur des médicaments autres qu’« Adalat ». Toutefois, à mon avis, elle tend à réduire à néant la prétention de Bayer selon laquelle la couleur et la forme d’« Adalat » sont distinctives du produit, surtout que la couleur rose appliquée à une petite pilule ronde, biconvexe peut difficilement être considérée comme ayant un caractère distinctif inhérent : Novopharm Ltd. c. Searle Canada Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 400 (C.O.M.C.).

[119]   Dans un autre affidavit qui n’a pas été présenté au registraire, le Dr Levine a confirmé qu’en 1992, au Canada, il y avait quelques vingt comprimés roses susceptibles d’être prescrits pour le traitement des problèmes cardiaques. Il a également déclaré qu’il avait fait passer certains patients d’un comprimé rose à un autre s’il semblait que le premier n’apportait pas d’effet bénéfique à un patient en particulier.

(v)        conclusion

[120]   D’après la preuve produite au cours du présent appel, et qui est loin d’avoir toute été soumise au registraire, je ne saurais conclure que la couleur, la forme et la grosseur d’« Adalat » sont distinctives du produit. La preuve selon laquelle les comprimés roses servant au traitement des troubles cardio-vasculaires étaient courants au Canada en 1992 bat sérieusement en brèche la prétention de Bayer, compte tenu de la faiblesse inhérente de la marque et du fait qu’elle ne comprend pas les inscriptions qui, dans une certaine mesure, semblent servir à identifier « Adalat ».

[121]   Bien que l’absence de produit interchangeable avec la nifédipine en 1992 étaye dans une certaine mesure son caractère distinctif, cela n’est pas, selon moi, suffisant en soi pour établir la notoriété propre qui est nécessaire. Bayer n’a produit aucune preuve directe montrant que les patients associaient la couleur et la forme des comprimés « Adalat » à une seule source.

[122]   Même si une telle preuve peut ne pas être nécessaire, son absence est préjudiciable lorsque des éléments de preuve provenant de pharmaciens et de médecins indiquent qu’habituellement les patients n’associent pas l’apparence d’un médicament à une seule source. De plus, dans le présent cas, la preuve relative à l’emballage d’« Adalat » laisse croire qu’il est plus vraisemblable que les patients identifient le produit de Bayer par son nom de marque ou par son fabricant que par sa couleur, sa forme ou sa grosseur.

[123]   Compte tenu de cette conclusion, l’utilisation très limitée que les pharmaciens font de l’apparence du médicament pour l’identifier est loin d’être suffisante pour établir le caractère distinctif nécessaire pour qu’une marque de commerce valide.

F.         CONCLUSIONS

[124]   Derrière la question essentiellement factuelle qui consiste à décider si Bayer a établi que la couleur rose antique de ses comprimés ronds d’« Adalat » a acquis une notoriété propre se cachent deux considérations d’intérêt public concurrentes, qui s’ajoutent à l’intérêt du fabricant de protéger la part du marché qu’il s’est taillée en investissant dans la publicité et la mise au point d’un produit auquel s’attache une clientèle.

[125]   D’un côté, il a été question d’éviter la manipulation du marché et, par conséquent, la limitation indue de la concurrence, qui empêcheraient les fabricants de médicaments génériques de vendre un produit interchangeable, de même biodisponibilité et d’apparence identique au produit d’origine.

[126]   Lorsque le ministre de la Santé est convaincu que le produit générique est, à tous égards, identique, sur le plan fonctionnel, au produit d’origine, cela signifie que, dans la plupart des cas, il importe peu, pour les fins thérapeutiques, que l’un ou autre produit soit fourni au patient. C’est le prix, et non l’apparence, qui dictera la décision de fournir ou d’acheter. Le fait d’exiger du fabricant de médicaments génériques qu’il commercialise un produit interchangeable, de même biodisponibilité, dans une forme différente de celle à laquelle les consommateurs sont habitués peut susciter chez le consommateur une résistance totalement dénuée de fondement rationnel.

[127]   D’un autre côté, il est possible qu’un produit, mais non l’autre, cause des effets secondaires indésirables chez certains patients et ce, même s’ils sont interchangeables et qu’ils ont la même biodisponibilité. Les ingrédients non médicinaux, ou excipients, qui servent à la fabrication des produits pharmaceutiques peuvent avoir des effets différents selon les personnes.

[128]   De plus, tous les fabricants n’exercent pas le même contrôle de la qualité. Par conséquent, les consommateurs qui ont trouvé qu’un produit de marque avait eu des effets très bénéfiques pour eux peuvent ne pas vouloir que leur ordonnance soit remplie avec un produit générique interchangeable au cas où sa qualité serait moins fiable que celle du médicament qu’ils ont pris.

[129]   Refuser d’accorder à un requérant une marque relative à l’apparence d’un produit pharmaceutique pourrait léser les membres de ces deux groupes de consommateurs, surtout qu’il est difficile d’identifier autrement un comprimé à une seule source. Une patiente qui signale des symptômes à son médecin peut ne pas les attribuer au fait qu’elle est passée d’un produit d’origine à un produit générique si elle ne s’en aperçoit pas parce que les médicaments ont la même apparence.

[130]   Il est possible de dire que ces deux préoccupations concernent la protection du consommateur. La première tend à une réduction du prix des médicaments en ce qu’elle évite la limitation de la concurrence par l’attribution d’un monopole sur l’apparence d’un produit. La seconde maximise la liberté de choix des consommateurs en ce qui a trait au médicament qu’ils achètent ou qu’ils ingèrent.

[131]   Dans le contexte du présent litige, l’obligation faite au requérant d’une marque de commerce d’établir le caractère distinctif de sa marque permet de trouver un équilibre entre ces deux considérations d’intérêt public concurrentes. Toutefois, le droit des marques de commerce est un instrument mieux adapté à la protection de la libre concurrence qu’à celle de la santé des personnes, surtout, comme en l’espèce, que la description des marchandises auxquelles la marque est associée comprend un principe actif, la nifédipine, mais pas d’excipients, lesquels font aussi partie du produit pharmaceutique en question. Le droit des marques de commerce n’empêcherait pas Bayer de changer les excipients d’« Adalat », ni n’exigerait qu’elle avertisse les consommateurs d’un tel changement.

[132]   Par conséquent, un requérant qui cherche à faire enregistrer comme marque de commerce la couleur et la forme d’un produit pharmaceutique délivré sur ordonnance doit produire une preuve qui établit clairement, selon la probabilité la plus forte, qu’un nombre important de consommateurs associent l’apparence de son produit à une seule source.

[133]   Vu la preuve qui m’est soumise et les considérations mentionnées précédemment, je conclus que Bayer ne s’est pas acquittée de ce fardeau de la preuve relativement à la marque visée par sa demande en liaison avec ses comprimés de nifédipine à libération progressive. L’appel de Novopharm est donc accueilli.

[134]   Les parties peuvent me présenter des observations écrites sur les dépens dans les 14 jours qui suivent la date du présent jugement.

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