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[2000] 2 C.F. 427

T-1640-99

Frontier International Shipping Corporation (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Tavros » et Passport Maritime S.A. (défendeurs)

Répertorié : Frontier International Shipping Corp. c. Tavros (Le) (1re inst.)*

Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 18 octobre et 5 novembre 1999.

Droit maritime Pratique ArbitrageLa demanderesse peut faire saisir un navire au Canada en vue d’obtenir un cautionnement à l’égard d’un arbitrage en cours à New YorkLorsque la demanderesse n’a pas d’actifs dans le ressort de la Cour, le défendeur ne peut pas demander à la Cour d’ordonner la remise d’un cautionnement à l’égard de la demande reconventionnelle présentée dans le cadre d’un arbitrage.

Pratique Frais et dépens Cautionnement pour les dépensDans une affaire de droit maritime, lorsque la demanderesse n’a pas d’actifs dans le ressort de la Cour, le défendeur ne peut pas demander à la Cour d’ordonner la remise d’un cautionnement à l’égard de la demande reconventionnelle présentée dans le cadre d’un arbitrage à l’étrangerLe défendeur ne peut pas non plus obtenir un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage puisque l’affaire relève de la compétence des arbitres, que la Cour ne peut accorder un cautionnement pour les dépens que dans une instance engagée devant elle et qu’il n’a pas été démontré en l’espèce qu’il était nécessaire d’avoir un cautionnement pour les dépensL’absence de procédure appropriée n’empêche pas le défendeur d’obtenir une mesure provisoire ou conservatoire (le cautionnement pour les dépens) au moyen d’une demande accessoire présentée dans le cadre de la requête en suspension présentée par la demanderesseLe défendeur a droit aux dépens relatifs au cautionnementLe défendeur ne peut pas bénéficier d’un cautionnement accordé dans ce ressort dans le cadre de l’arbitrage, à New York, mais l’équité exige qu’il obtienne les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale.

PratiqueSuspension d’instanceLa Cour ne peut pas assortir la suspension à la remise d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage puisque l’affaire relève de la compétence des arbitres, que la Cour ne peut accorder un cautionnement pour les dépens que dans une instance engagée devant elle et qu’il n’a pas été démontré en l’espèce qu’il était nécessaire d’avoir un cautionnement pour les dépens.

Après avoir intenté une action devant la Cour fédérale par suite de la violation d’une charte-partie, la demanderesse a fait saisir le Tavros à Vancouver et a ainsi obtenu un cautionnement sous la forme d’une lettre d’engagement applicable à l’action et à l’arbitrage en cours à New York. À l’audition de la requête que la demanderesse avait présentée en vue de faire suspendre l’action intentée devant la Cour fédérale, le propriétaire du navire défendeur, Passport Maritime S.A. ne s’est pas opposé à la suspension mais il a demandé un cautionnement à l’égard de la demande reconventionnelle qu’il avait présentée dans le cadre de l’arbitrage, un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage et un cautionnement pour les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale, et notamment à l’égard des frais de la garantie bancaire par laquelle le Tavros a fait l’objet d’une mainlevée.

Jugement : le défendeur a droit aux dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale à titre de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l’article 9 du Code d’arbitrage commercial.

Le recours à la compétence in rem d’un tribunal pour saisir un navire afin d’assurer l’obtention d’un cautionnement à l’égard d’une sentence arbitrale future a de temps en temps préoccupé les juges. Au Canada, il arrive souvent que le demandeur invoque la compétence in rem de la Cour à cette fin. Compte tenu des décisions rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale dans les affaires Atlantic Lines& Navigation Company Inc. c. Le « Didymi » et Pictou Industries Ltd. c. Secunda Marine Services Ltd. et al., la saisie n’est pas en soi inéquitable si elle vise simplement à l’obtention d’un cautionnement à l’égard de l’arbitrage.

Toutefois, l’argument du défendeur, à savoir qu’étant donné que la demanderesse bénéficie maintenant d’un cautionnement à l’égard de sa demande, l’équité exige qu’une protection soit fournie sous la forme d’une sous-garantie à l’égard de la demande reconventionnelle que le propriétaire du navire a présentée à l’arbitrage, n’est pas fondé. L’article 9 du Code d’arbitrage commercial, qui traite des mesures provisoires ou conservatoires, n’étaye pas cet argument. Les mesures provisoires de cette nature (saisies-arrêts, injonctions Mareva, saisies de navires) comportent un élément commun : elles sont fondées sur l’existence d’un actif qui se trouve dans le ressort de la Cour, lequel pourrait donner lieu à un cautionnement. En l’espèce, il n’y a pas d’actif local appartenant à la demanderesse susceptible de faire l’objet d’une demande de la part du défendeur. Le défendeur demande plutôt à la Cour de constituer un cautionnement sans qu’il existe un fondement concret ou une justification permettant de le faire sur le plan juridique, en se fondant simplement sur une forme de franc-jeu.

De plus, en l’espèce, un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage ne devrait pas être accordé au défendeur. Dans ce cas-ci, les arbitres ont clairement compétence à cet égard. La Cour ne devrait pas, si ce n’est en cas de nécessité et lorsqu’une mesure provisoire ou conservatoire peut être prise, se prononcer sur la question du cautionnement lorsqu’il est plus facile pour les arbitres de le faire. Deuxièmement, il n’est pas certain que la capacité de cette Cour d’accorder un cautionnement à l’égard des dépens, comme le prévoient les règles 415 et 416 des Règles de la Cour fédérale (1998), s’étende à autre chose qu’un cautionnement pour les dépens d’une instance engagée devant la Cour fédérale. Troisièmement, il n’a pas été démontré qu’il était nécessaire d’avoir un cautionnement pour les dépens dans ce cas-ci. Enfin, la Cour ne peut pas assortir de conditions, comme la remise d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage, la suspension qui doit être accordée en l’espèce, en raison de l’article 8 du Code d’arbitrage commercial.

Toutefois, le défendeur devrait obtenir un cautionnement pour les dépens de la présente action. Les chances que la présente action soit poursuivie, une fois qu’elle aura été suspendue aux fins de l’arbitrage, comme le voudrait la demanderesse, sont infimes. Si le demandeur a droit aux dépens et s’il doit recouvrer ces dépens, ce doit être maintenant, à titre de mesure provisoire ou conservatoire. L’absence de procédure appropriée n’empêche pas le défendeur d’obtenir une mesure provisoire ou conservatoire au moyen d’une demande accessoire présentée dans le cadre de la requête en suspension de la demanderesse. La demanderesse n’a pas été prise par surprise. En outre, le fait qu’une irrégularité procédurale de ce genre puisse être fatale irait à l’encontre de la philosophie des Règles de la Cour fédérale (1998), telle qu’elle est énoncée à la règle 3.

La demanderesse a obtenu la suspension sollicitée dans cette requête, mais les dépens de la requête ne devraient pas lui être accordés. La demanderesse a dans un certain sens utilisé la Cour comme agence de recouvrement; étant arrivée à son but, elle s’est adressée à un autre ressort. Cette approche peut être adoptée, mais elle ne devrait pas être encouragée. Par conséquent, les dépens de la présente requête sont adjugés au défendeur. La somme de 13 262 64 $, représentant les frais engagés aux fins du cautionnement et les dépens de cette requête, est adjugée au défendeur. Cela ne constitue pas une condition de la suspension. De plus, le paiement de la somme adjugée ne constitue pas non plus une condition de la suspension.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Arbitration Act, 1950 (R.-U.), 1950, ch. 27, art. 12(6).

Arbitration Act 1975 (R.-U.), 1975, ch. 3.

Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982 (R.-U.), 1982, ch. 27, art. 26.

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985), (2e suppl.), ch. 17, art. 8, 9.

Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles, le 27 septembre 1968.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 3, 415, 416, tarif B.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Atlantic Lines & Navigation Company Inc. c. Le « Didymi », [1985] 1 C.F. 240(1re inst.); Pictou Industries Ltd. c. Secunda Marine Services Ltd. et al. (1994), 78 F.T.R. 78 (C.F. 1re inst.); Trade Fortune Inc. v. Amalgamated Mill Supplies Ltd. (1994), 113 D.L.R. (4th) 116; 89 B.C.L.R. (2d) 132; 24 C.P.C. (3d) 362 (C.S.); Coppée-Lavalin SA/NV v Ken-Ren Chemicals and Fertilizers Ltd, [1994] 2 All ER 449 (H.L.); K/S A/S Bani and K/S A/S Havbulk I v. Korea Shipbuilding and Engineering Corporation, [1987] 2 Lloyd’s Rep. 445 (C.A.); Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662 (1994), 113 D.L.R. (4th) 536; 167 N.R. 294 (C.A.); World Star, The, [1986] 2 Lloyd’s Rep. 274 (Q.B. (Adm. Ct.)); Antares Shipping Corp. c. Le Capricorn, [1977] 2 C.F. 274 (1977), 17 N.R. 1 (C.A.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Silver Standard Resources Inc. v. Joint Stock Co. Geolog (1998), 168 D.L.R. (4th) 309; 115 B.C.A.C. 262; 59 B.C.L.R. (3d) 196 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Cap Bon, The, [1967] 1 Lloyd’s Rep. 543 (Adm.); Rena K, The, [1978] 1 Lloyd’s Rep. 545 (Q.B. (Adm. Ct.)); Vasso (formerly Andria), The, [1984] 1 Lloyd’s Rep. 235 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Nordglimt, The, [1987] 2 Lloyd’s Rep. 470 (Q.B. (Adm. Ct.)); Mavani v. Ralli Bros. Ltd., [1973] 1 W.L.R. 468 (Q.B.).

DOCTRINE

Holtzmann, Howard M. et Joseph E. Neuhaus. A Guide to the UNCITRAL Model Law on International Commercial Arbitration : Legislative History and Commentary. Boston : Kluwer Law and Taxation Publishers, 1989.

Paterson, Robert K. et Bonita J. Thompson (éditeurs). UNCITRAL Arbitration Model in Canada : Canadian International Commercial Arbitration Legislation. Toronto : Carswell, 1987.

Sutton, David St. John et al. Russell on Arbitration, 21st ed. Londres : Sweet & Maxwell, 1997.

REQUÊTE présentée par la demanderesse en vue de la suspension d’une action fondée sur la violation d’une charte-partie, de façon qu’il soit procédé à l’arbitrage; demande présentée par le défendeur en vue de l’obtention d’un cautionnement à l’égard de sa demande reconventionnelle, d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage et d’un cautionnement pour les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale, et notamment les frais de la garantie bancaire. La requête, qui n’a pas été contestée, a été accueillie; le défendeur a droit aux dépens et aux débours de la présente action.

ONT COMPARU :

H. Peter Swanson pour la demanderesse.

Doug G. Morrison pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Hargrave : De toute évidence, la demanderesse, qui est un affréteur, veut plaider la violation d’une charte-partie. L’action a de fait été intentée et le Tavros a été saisi à Vancouver afin d’assurer l’obtention d’un cautionnement à l’égard de toute sentence arbitrale qui pourrait être rendue dans le cadre de l’arbitrage en cours à New York. Ayant obtenu un cautionnement sous la forme d’une lettre d’engagement applicable à l’action et à l’arbitrage (laquelle a été remplacée par une garantie bancaire), permettant ainsi au Tavros d’appareiller, la demanderesse sollicite maintenant la suspension de l’action intentée devant la Cour fédérale en faveur de l’arbitrage en cours à New York.

[2]        L’article 8 du Code d’arbitrage commercial de 1985 adopté par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (le Code d’arbitrage commercial), qui a été adopté au Canada au moyen de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, exige que l’affaire soit suspendue, sous réserve de diverses exceptions. Si je comprends bien, aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce. Toutefois, le propriétaire du navire, que j’appellerai également le défendeur, soutient qu’avec la suspension ou en même temps que la suspension, bien que cela ne soit pas demandé au moyen d’une requête distincte dans ce cas-ci, il devrait y avoir un cautionnement à l’égard de sa demande reconventionnelle, un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage et un cautionnement pour les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale, et notamment à l’égard des frais de la garantie bancaire par laquelle le Tavros a fait l’objet d’une mainlevée.

[3]        La suspension en soi n’étant pas contestée, ces motifs traitent de la demande que le défendeur a présentée à l’égard d’une sous-garantie, mais étant donné que le défendeur a soulevé la question de l’équité d’une saisie visant à l’obtention d’un cautionnement à l’égard de l’arbitrage, j’examinerai d’abord cette procédure.

ANALYSE

Saisie visant à l’obtention d’un cautionnement à l’égard d’une sentence arbitrale

[4]        Il arrive souvent que le demandeur invoque la compétence in rem de la Cour en vue d’obtenir un cautionnement à l’égard de la sentence que les arbitres pourraient rendre. L’avocat du propriétaire du navire défendeur conteste l’équité de la procédure et soutient que la demanderesse devrait, comme je le dis, fournir une sous-garantie en vue de couvrir d’abord la demande reconventionnelle que le défendeur a présentée à l’égard du louage, puis les dépens de l’arbitrage, et enfin, les dépens de l’action, de façon que les diverses réclamations soient mises sur un pied d’égalité.

[5]        L’idée selon laquelle on invoque la compétence in rem d’un tribunal pour saisir un navire afin d’assurer l’obtention d’un cautionnement à l’égard d’une sentence arbitrale future a de temps en temps préoccupé les juges. Dans la décision Cap Bon, The, [1967] 1 Lloyd’s Rep. 543 (Adm.), M. le juge Brandon s’est clairement prononcé à l’encontre, en faisant les remarques suivantes aux pages 546 et 547 :

[traduction] À mon avis, lorsqu’une action réelle est intentée, le cautionnement qui est ainsi obtenu se rapporte à tout jugement qui pourrait être prononcé par le tribunal après qu’il a tenu une audience et qu’il a statué sur la demande. Le cautionnement ainsi obtenu couvre également le paiement de toute somme qui peut devenir due en vertu de l’entente par laquelle l’action est réglée. Cependant ce cautionnement ne peut pas à mon avis viser à assurer le paiement du montant adjugé dans le jugement rendu par un autre tribunal ou à assurer le paiement du montant adjugé par le tribunal d’arbitrage.

Par la suite, dans la décision Rena K, The, [1978] 1 Lloyd’s Rep. 545 (Q.B. (Adm. Ct.)), M. le juge Brandon [aux pages 554 et 555) a paraphrasé le raisonnement qu’il avait fait dans la décision The Cap Bon en disant qu’il était fondé sur deux thèses, l’une positive et l’autre négative :

[traduction] La première thèse, qui est positive, est que la saisie d’un navire dans une action réelle vise à fournir au demandeur un cautionnement à l’égard du paiement du montant accordé par tout jugement qu’il peut obtenir dans pareille action ou de toute somme qui lui sera payable par suite du règlement de pareille action. La seconde proposition, qui est négative, est que la saisie d’un navire dans une action réelle ne vise pas à fournir au demandeur un cautionnement à l’égard du paiement du montant qui peut lui être adjugé dans un arbitrage se rapportant à la même demande que celle qui est visée par l’action et que le tribunal n’a donc pas compétence pour saisir un navire ou pour maintenir la saisie du navire à quelque autre fin.

En fait, le réclamant avait le choix entre deux genres de mesures, soit poursuivre la demande devant la Cour et bénéficier d’un cautionnement, ou poursuivre la demande au moyen de l’arbitrage sans bénéficier d’un cautionnement.

[6]        Dans la décision The Rena K, M. le juge Brandon a examiné la question du cautionnement dans le contexte d’une suspension aux fins de l’arbitrage et du droit jurisprudentiel. Le juge estimait que les principes énoncés dans la décision The Cap Bon étaient justes, mais il a également reconnu qu’en accordant une suspension en faveur de l’arbitrage, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de maintenir le cautionnement, compte tenu des circonstances de l’espèce.

[7]        Le principe général voulant que l’on ne devrait pas permettre la saisie d’un navire si elle vise simplement à l’obtention d’un cautionnement à l’égard d’un arbitrage a été approuvé par la Cour d’appel dans l’arrêt Vasso (formerly Andria), The, [1984] 1 Lloyd’s Rep. 235. Toutefois, la Cour d’appel a également reconnu que le tribunal a la compétence voulue pour saisir le navire et maintenir la saisie simplement aux fins de l’obtention d’un cautionnement à l’égard de l’arbitrage (page 241). Les tribunaux britanniques, ayant d’une certaine façon omis de tenir compte de tout le fondement des procédures in rem, c’est-à-dire l’obtention d’un cautionnement à un endroit où il serait possible d’exécuter la sentence éventuelle parce que le navire est là, semblaient s’être acculés dans un coin. Cependant, ils n’ont pas eu à se sortir de cette impasse, et ce, à cause de certaines dispositions législatives : à savoir, l’article 26 du Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982 [(R.-U.), 1982, ch. 27] (dans sa forme modifiée), en vertu duquel un cautionnement peut continuer à exister à la suite d’une suspension accordée pendant l’arbitrage. Comme l’a signalé M. le juge Hobhouse dans la décision Nordglimt, The, [1982] 2 Lloyd’s Rep. 470 (Q.B. (Adm. Ct.)), à la page 481, cette disposition est conforme à la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (incluant le protocole annexé à la Convention), signée à Bruxelles, le 27 septembre 1968.

[8]        Le Canada n’a pas encore ratifié la Convention de Bruxelles de 1968. Il a édicté certaines de ses dispositions dans la législation canadienne, mais non les parties qui se rapportent à la question de la saisie d’un navire dans un ressort dans le cadre de la détermination du bien-fondé du différend dans un autre ressort. Par conséquent, la Cour fédérale a eu à examiner les arrêts anglais faisant autorité et à faire des distinctions à leur égard en vue d’accorder un cautionnement à l’égard des sentences arbitrales et de rationaliser le maintien d’un cautionnement existant lorsqu’une suspension est accordée par suite d’un arbitrage.

[9]        Dans la décision Atlantic Lines & Navigation Company Inc. c. Navire « Didymi », [1985] 1 C.F. 240 (1re inst.), Mme le juge Reed, dans une affaire où une saisie avait été demandée principalement en vue de l’obtention d’un cautionnement à l’égard d’un arbitrage, a refusé de radier la déclaration ou d’accorder une mainlevée de la saisie du navire sans cautionnement. Le juge a plutôt statué que la mainlevée pourrait être accordée moyennant la remise d’un engagement à l’égard du cautionnement.

[10]      La décision qui a été rendue dans l’affaire Didymi est pragmatique et raisonnable, puisqu’elle est fondée sur l’analyse de la majorité des arrêts-clés, sur des distinctions clairement établies à l’égard des arrêts contraires et sur l’idée selon laquelle les procédures in rem découlent de la nécessité de permettre au demandeur d’engager des poursuites dans le ressort où le navire est amarré puisque c’est là que la sentence peut être exécutée, et que les cas dans lesquels un cautionnement serait annulé sont limités, mais comprennent néanmoins les cas dans lesquels la perte du cautionnement ne causerait pas de préjudice à qui que ce soit (voir la page 251). De fait, « [c]e n’est que dans les cas exceptionnels que la Cour ordonne, en l’absence de tout consentement, la mainlevée sans cautionnement de la saisie d’un navire, même quand l’arbitrage est en cours entre les parties » (Pictou Industries Ltd. c. Secunda Marine Services Ltd. et al. (1994), 78 F.T.R. 78 (C.F. 1re inst.), à la page 80).

[11]      Compte tenu du raisonnement qui a été fait dans la décision Didymi et de la remarque claire qui a été faite dans la décision Pictou Industries, je ne crois pas qu’il soit loisible au propriétaire défendeur du Tavros de soutenir que la saisie serait en soi inéquitable si elle visait simplement à l’obtention d’un cautionnement à l’égard de l’arbitrage.

Le cautionnement relatif à la demande reconventionnelle que les défendeurs ont présentée à l’arbitrage

[12]      Le défendeur soutient qu’il doit exister un certain degré d’équité et que les règles du jeu doivent être uniformes en l’espèce : il affirme qu’étant donné que la demanderesse bénéficie maintenant d’un cautionnement à l’égard de sa demande, l’équité exige qu’une protection soit fournie sous la forme d’une sous-garantie à l’égard de la demande reconventionnelle que le propriétaire du navire a présentée à l’arbitrage. La demande reconventionnelle est d’un montant de 42 475 75 $US.

[13]      Le défendeur cite l’article 9 du Code d’arbitrage commercial, qui traite des mesures provisoires ou conservatoires que le tribunal peut prendre :

Article 9

[…]

La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la procédure arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires et l’octroi de telles mesures par un tribunal ne sont pas incompatibles avec une convention d’arbitrage.

[14]      Si je comprends bien, l’article 9 autorise le tribunal à accorder une mesure reconnue à la partie qui demande l’arbitrage ou qui y est soumise, comme une saisie-arrêt avant jugement ou, comme c’est ici le cas, la saisie du navire visant à l’obtention d’un cautionnement, ces deux mesures n’étant ni l’une ni l’autre incompatibles avec l’arbitrage. De fait, en ce qui concerne la saisie-arrêt, tel est l’avis exprimé par M. le juge Bouck, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans la décision Trade Fortune Inc. v. Amalgamated Mill Supplies Ltd. (1994), 113 D.L.R. (4th) 116. M. le juge Bouck a cité Howard M. Holtzmann et Joseph E. Neuhaus, A Guide to the UNCITRAL Model Law on International Commercial Arbitration : Legislative History and Commentary, publié par Kluwer Law and Taxation, de Boston, en 1989, et Robert K. Paterson et Bonita J. Thompson (éds.), UNCITRAL Arbitration Model in Canada : Canadian International Commercial Arbitration Legislation, publié par Carswell, de Toronto, en 1987 :

[traduction] L’article 9 n’est pas limité à un genre particulier de mesure provisoire. Par conséquent, il s’applique aux mesures visant à assurer la conservation de l’objet du différend, aux mesures visant à protéger des secrets commerciaux et des renseignements privatifs, aux mesures visant à préserver la preuve, aux saisies-arrêts avant jugement visant à assurer l’exécution d’une sentence éventuelle et à la saisie de biens […] [Holtzmann et Neuhaus, à la p. 332.]

L’article 9 établit que les demandes visant à l’obtention de mesures judiciaires provisoires ou conservatoires (comme les injonctions Mareva) ne sont pas incompatibles avec une convention d’arbitrage. UNCITRAL a cité les saisies-arrêts préalables à l’arbitrage et les mesures visant à protéger des secrets commerciaux et des renseignements privatifs comme constituant le genre de mesures qui pourraient être visées par cette disposition. [Paterson et Thompson, à la p. 118.]

[15]      M. le juge Bouck a conclu ce qui suit (à la page 121) :

[traduction] Compte tenu de cette analyse, il semble raisonnable de conclure que le concept de « mesure conservatoire », à l’article 9, comprend le droit d’une partie à l’arbitrage d’obtenir une ordonnance de saisie-arrêt avant jugement afin de garantir le paiement du montant accordé par la sentence arbitrage éventuelle. C’est ici ce qui est arrivé. Par conséquent, en l’absence d’un vice de procédure, l’ordonnance de saisie-arrêt doit être maintenue.

[16]      Il est possible de conclure que la portée de la mesure provisoire ou conservatoire prévue à l’article 9 est passablement étendue et peut comprendre la saisie-arrêt, une injonction Mareva et, comme je l’ai dit, la saisie d’un navire, visant à assurer l’obtention d’un cautionnement à l’égard de l’arbitrage. Toutefois, les mesures provisoires de cette nature comportent un élément commun : elles sont fondées sur l’existence d’un actif qui se trouve dans le ressort du tribunal, lequel pourrait donner lieu à un cautionnement.

[17]      En l’espèce, il n’y a pas d’actif local appartenant à la demanderesse susceptible de faire l’objet d’une demande de la part du défendeur. Le défendeur demande plutôt à la Cour de constituer un cautionnement sans qu’il existe un fondement concret ou une justification permettant de le faire sur le plan juridique, le cautionnement devant plutôt être simplement fondé sur une forme de franc-jeu. On ne devrait pas demander à la Cour d’adopter cette solution extraordinaire. J’examinerai maintenant le deuxième aspect de la mesure que le défendeur demande, à savoir un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage.

Le cautionnement pour les dépens de l’arbitrage

[18]      Le défendeur estime que les dépens de l’arbitrage s’élèvent à 25 000 $US; il soutient qu’étant donné que la demanderesse a maintenant, par suite de l’action intentée devant la Cour fédérale, un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage, il devrait bénéficier d’un cautionnement similaire. L’avocat de la demanderesse soutient que le défendeur aurait dû demander pareille mesure au moyen d’une requête distincte au lieu de le faire d’une façon accessoire dans le cadre de la requête en suspension que la demanderesse a présentée. Il est de fait peut-être préférable pour une partie qui se trouve dans la même situation que le propriétaire du navire défendeur de présenter une requête distincte en vue d’obtenir un cautionnement pour dépens ou de demander toute autre mesure conservatoire similaire, de façon à essayer d’être clairement visée par l’article 9 du Code d’arbitrage commercial. Toutefois, je n’ai pas ici à trancher la question car il existe un certain nombre de réponses permettant en l’espèce de ne pas accorder au défendeur un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage.

[19]      Tout d’abord : [traduction] « Il est de droit constant que si la soumission à l’arbitrage n’autorise pas expressément le tribunal à ordonner qu’un cautionnement pour dépens soit fourni, ce dernier ne possède pas pareil pouvoir » : Mavani v. Ralli Bros. Ltd., [1973] 1 W.L.R. 468 (Q.B.), à la page 472. Les articles 32 et 34 de la American Arbitration Association, International Arbitration Rules qui, soutient-on, s’appliquent au présent arbitrage prévoient clairement que les arbitres peuvent exiger un cautionnement pour les dépens du défendeur. Cela relève clairement de leur compétence. La Cour ne devrait pas, si ce n’est en cas de nécessité et lorsqu’une mesure provisoire ou conservatoire peut être prise, se prononcer sur la question du cautionnement lorsqu’il est plus facile pour les arbitres de le faire. Je citerai ici une partie de la décision que lord Mustill a rendue dans l’affaire Coppée-Lavalin SA/NV v. Ken-Ren Chemicals and Fertilizers Ltd, [1994] 2 All ER 449 (H.L.), à la page 470 :

[traduction] À mon avis, il est clair que l’approche adoptée par le tribunal national en ce qui concerne l’octroi d’une mesure provisoire devrait dépendre dans une large mesure du point jusqu’auquel la mesure en cause empiète sur la convention selon laquelle les arbitres seront les seuls à statuer sur le fond de l’affaire.

À première vue, cette approche générale peut sembler ne pas nuire à la demande présentée par Coppée étant donné qu’une ordonnance relative au cautionnement pour dépens n’a pas pour effet d’adjuger au préalable quelque chose qu’il incombe aux arbitres d’adjuger et n’exige pas une appréciation préliminaire du bien-fondé de l’affaire. Pourtant, d’une certaine façon, pareille ordonnance empiète sur la convention d’arbitrage d’une manière beaucoup plus fondamentale que ce dont il a déjà été fait mention; en effet, l’ordonnance est presque toujours assortie d’une condition, comme celle qui a été imposée en l’espèce, à savoir que tant que le cautionnement ne sera pas fourni, l’arbitrage sera suspendu. Par conséquent, même si les parties ont convenu que le réclamant peut et doit soumettre sa demande à l’arbitrage, même si l’article II de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (1958), Recueil des traités des Nations Unies (1959) 330 (voir Mustill and Boyd Commercial Arbitration (2e éd., 1989) app 2, p 725) exige que le Royaume Uni reconnaisse et exécute la convention et même si le jugement Bermer Vulkan Schiffbau Und Maschinenfabrik v South India Shipping Corp [1981] 1 All ER 289, [1981] AC 909, établit clairement le principe général selon lequel le tribunal anglais n’est pas autorisé à intervenir directement dans la conduite du renvoi, une ordonnance de cautionnement empêchera le réclamant de procéder à un arbitrage valide tant qu’il n’aura pas fourni un cautionnement et l’empêchera complètement (s’il n’est pas en mesure de le fournir ou s’il ne veut pas le fournir) de poursuivre sa demande. Cela constitue un élément contraire important. Je ne dis pas que cet élément est concluant, car il y a de nombreux arbitrages internationaux dans lesquels pareilles ordonnances sont habituellement rendues et peuvent continuer à l’être, et ce, à juste titre. Cependant, je crois que dans toute affaire inhabituelle, le tribunal devrait s’arrêter à la question et examiner minutieusement les considérations contraires et en particulier tenir compte du genre particulier d’arbitrage dans le cadre duquel la demande est présentée.

Lords Keith, Slynn et Woolf sont allés jusqu’à dire que même si le tribunal a une compétence, légale et inhérente, pour accorder un cautionnement pour dépens, l’ordonnance ne devrait être rendue qu’exceptionnellement (pages 452, 471 et 476). Or, il ne s’agit pas ici d’un cas exceptionnel.

[20]      La deuxième raison pour laquelle il convient de refuser d’accorder un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage est que je doute que la capacité de cette Cour d’accorder, à l’égard des dépens, un cautionnement comme le prévoient les règles 415 et 416 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] s’étend à autre chose qu’un cautionnement pour les dépens d’une instance engagée devant la Cour fédérale. Le paragraphe 416(1) parle de la requête que le défendeur présente en vue d’obtenir un cautionnement pour les dépens et la règle 415 permet l’octroi d’un cautionnement pour les dépens « au demandeur et au défendeur dans une demande, à l’appelant et à l’intimé dans un appel, ainsi qu’aux parties dans une demande reconventionnelle et une mise en cause ». Aucune disposition des Règles de la Cour fédérale (1998) ne confère le bénéfice d’un cautionnement pour dépens à la partie qui se présentera à l’arbitrage à moins que, comme c’est ici le cas pour la demanderesse, il n’existe dans le ressort un actif qui puisse en faire l’objet et qui permette ainsi l’octroi de pareil cautionnement. Je ferai ici remarquer que même si les tribunaux anglais semblent régulièrement accorder un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage, ils le font conformément à des dispositions législatives précises, à savoir le paragraphe 12(6) de l’Arbitrage Act, 1950 [(R.-U.), 1950, ch. 27]. Or, on ne m’a reporté à aucune disposition législative canadienne équivalente. La Loi sur l’arbitrage commercial canadienne ne renferme aucune disposition de ce genre. Le Code d’arbitrage commercial, qui a pris effet par suite de l’adoption de la Loi sur l’arbitrage commercial, parle uniquement d’une mesure provisoire ou conservatoire : je ne considère pas que cela a en soi pour effet de conférer à la Cour fédérale la compétence voulue pour accorder un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage.

[21]      Troisièmement, je ne puis voir pourquoi il est nécessaire d’avoir un cautionnement pour dépens dans ce cas-ci. À coup sûr, il n’y a rien dans les affidavits. La Cour d’appel a examiné la question de l’octroi d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage dans l’arrêt K/S A/S Bani and K/S A/S Havbulk I v. Korea Shipbuilding and Engineering Corporation, [1987] 2 Lloyd’s Rep. 445. Parmi les facteurs qui ont amené la Cour à accueillir l’appel relatif au cautionnement pour dépens, il y avait le fait que les dépens de l’arbitrage devaient être élevés, en raison de questions techniques complexes qui pourraient uniquement être examinées et tranchées à grands frais, et le fait que si la partie qui demandait le cautionnement avait gain de cause, elle pourrait, à cause de la situation financière clairement précaire de l’autre partie, avoir en fin de compte de la difficulté à recouvrer les dépens. Or, en l’espèce, il n’existe aucune preuve de ce genre.

[22]      Enfin, il y a la question de savoir si je puis assortir de conditions la suspension que je dois accorder en l’espèce, en raison de l’article 8 du Code d’arbitrage commercial.

[23]      Dans l’arrêt Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662 la Cour d’appel fédérale a souligné qu’« une fois le renvoi à l’arbitrage prononcé, la Cour n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel pour refuser de suspendre toutes les procédures entre les parties à l’arbitrage, bien qu’il puisse y avoir entre elles certains points litigieux qui ne sont pas soumis à l’arbitrage » (pages 674 et 675). L’avocat de la demanderesse soutient que ce passage veut dire qu’une fois qu’il y a renvoi à l’arbitrage, je ne puis assortir une suspension de conditions comme la remise d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage. Cette interprétation est conforme à la décision World Star, The, [1986] 2 Lloyd’s Rep. 274 (Q.B. (Adm. Ct.)), rendue par M. le juge Sheen, qui souligne que lorsque le tribunal est tenu de suspendre une procédure en raison de l’Arbitration Act 1975 [(R.-U.), 1975, ch. 3], qui prévoit la suspension obligatoire aux mêmes conditions que celles qui sont énoncées à l’article 8 du Code d’arbitrage commercial, [traduction] « il n’est pas loisible au tribunal d’imposer les conditions auxquelles la suspension est ordonnée » (page 275). Il existe un passage similaire dans la 21e édition de Russell on Arbitration, Sweet & Maxwell, 1997, aux pages 331 et 332 :

[traduction] L’imposition de conditions. Dans John Mowlem & Co. plc. v. Carleton Gate Development Co. Ltd., (51 Build. L.R. 104), le juge a dit qu’il exercerait le pouvoir discrétionnaire qu’il possède en vue d’accorder une suspension uniquement à condition que l’arbitre ait légalement qualité et connaisse l’industrie du bâtiment. Étant donné que la Cour n’a pas de pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 9 de l’Arbitration Act 1996, cette décision ne serait pas suivie.

[24]      Il est donc clair que je ne puis assortir la suspension d’une condition prévoyant la remise d’un cautionnement pour les dépens de l’arbitrage. En outre, je ne dispose d’aucun élément montrant qu’il est nécessaire d’avoir pareil cautionnement, mais les arbitres eux-mêmes sembleraient avoir le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que pareil cautionnement soit fourni si à leur avis il est opportun de le faire.

[25]      Par conséquent, aucun cautionnement ne sera accordé à l’égard des dépens de l’arbitrage. Le cautionnement pour les dépens de la présente instance repose peut-être sur un fondement différent.

Le cautionnement pour les dépens de la présente action

[26]      Le défendeur sollicite un cautionnement pour les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale, soit le coût annuel du cautionnement, de 4 256 $, montant qui est exprimé, si je comprends bien, en dollars américains, et les frais juridiques engagés à ce jour à Vancouver, qui sont de 7 000 $, montant qui semble représenter les dépens, en dollars américains, sur la base avocat-client.

[27]      Les chances que la présente action, une fois qu’elle sera suspendue comme le voudrait la demanderesse, soit poursuivie compte tenu de l’arbitrage à New York, sont infimes. Si le défendeur a droit aux dépens et s’il doit recouvrer ces dépens, ce doit être maintenant, à titre de mesure provisoire ou conservatoire.

[28]      Je ne retiens pas la position de la demanderesse selon laquelle l’absence de procédure appropriée empêche le défendeur d’obtenir une mesure provisoire ou conservatoire au moyen d’une demande accessoire présentée dans le cadre de la requête en suspension. La demanderesse cite la décision Silver Standard Resources Inc. v. Joint Stock Co. Geolog (1998), 168 D.L.R. (4th) 309 (C.A.C.-B.), à l’appui de la proposition selon laquelle toutes les mesures provisoires ou conservatoires exigent que des démarches appropriées soient faites devant la Cour et que la procédure de la Cour soit suivie d’une façon régulière et exacte. Cela étant, la demanderesse soutient que l’omission de demander les dépens au moyen d’une requête dans l’action intentée devant la Cour fédérale est fatale. Ce n’est pas ainsi que j’interprète la décision Silver Standard. La décision Silver Standard est un exemple de la façon dont une mesure provisoire ou conservatoire peut être obtenue au moyen de la procédure de la Cour, soit dans ce cas-là une procédure de saisie-arrêt, mais cette décision n’établit pas que la mesure provisoire ou conservatoire peut uniquement être obtenue au moyen de l’observation stricte des exigences procédurales lorsque la justice exige une certaine souplesse sur le plan de la procédure.

[29]      Le fait que le défendeur sollicite à titre de mesure provisoire les frais engagés à ce jour dans l’action intentée devant la Cour fédérale ne prend pas la demanderesse par surprise, car la chose est énoncée d’une façon claire dans les documents du défendeur. Il n’était peut-être pas approprié pour le défendeur de ne pas présenter une requête distincte en vue d’obtenir une mesure, mais cela n’est pas fatal, car la règle 3 des Règles de la Cour fédérale (1998) énonce la philosophie fondamentale des Règles, à savoir qu’elles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[30]      La question des dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale ne fait pas non plus nécessairement obstacle à la suspension en faveur de l’arbitrage ou à l’arbitrage lui-même.

[31]      Le montant des dépens réclamés est peu important et moins élevé encore si l’on tient compte de ce qui pourrait en réalité être taxé; il s’agit d’une somme forfaitaire. Voici ce que je me propose de faire, car il ne sert à rien de demander aux avocats de consacrer beaucoup de temps à se préparer aux fins d’une taxation et à y assister.

[32]      Cette action a été intentée à la mi-septembre. Aucune défense n’a été déposée. On a probablement passé du temps à négocier et à organiser un cautionnement et à obtenir la mainlevée de la saisie du Tavros, mais ces éléments ne sont pas taxables en vertu du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

[33]      Cette requête ayant dans une certaine mesure plus ou moins porté fruit, et je ferai ici remarquer que le défendeur ne s’oppose pas à la suspension car il sollicite simplement une mesure provisoire ou conservatoire, je ne suis pas prêt à adjuger les dépens de la requête à la demanderesse. La demanderesse a dans un certain sens utilisé la Cour comme agence de recouvrement; étant arrivée à son but, elle s’est adressée à un autre ressort. Cette approche peut être adoptée, mais elle ne devrait pas être encouragée. Par conséquent, les dépens de la présente requête, d’un montant de 750 $, sont adjugés au défendeur.

[34]      Les dépenses engagées en vue de fournir un cautionnement constituent un élément à juste titre taxable (voir Antares Shipping Corp. c. Le Capricorn, [1977] 2 C.F. 274 (C.A.), à la page 276), à 4 256 $US pour une période d’un an. On ne saurait espérer que l’arbitrage pourrait prendre moins d’un an : cela constituerait probablement l’exception plutôt que la norme. Par conséquent, à titre de mesure provisoire ou conservatoire, j’adjuge aux défendeurs une somme de 8 512 $US à l’égard des frais de cautionnement. Cette somme peut toujours être rajustée après coup si un cautionnement est nécessaire pour une période d’un an seulement.

[35]      Le défendeur aura droit aux frais qu’il a engagés en vue de fournir un cautionnement et à la somme forfaitaire que j’ai adjugée pour cette requête. Si l’on transforme les frais de cautionnement en une garantie bancaire exprimée en dollars canadiens au taux actuel et si l’on ajoute la somme de 750 $ à l’égard des dépens de la requête, on obtient un total de 13 262 64 $. Le fait que le propriétaire du navire défendeur s’est vu adjuger cette somme à l’égard des dépens ne constitue pas une condition de la suspension. De plus, le paiement de la somme adjugée ne constitue pas non plus une condition de la suspension. Il incombera au défendeur de recouvrer ses frais comme il le pourra.

CONCLUSION

[36]      Il est peut-être malheureux que la demanderesse puisse obtenir un cautionnement à l’égard de sa demande et de ses frais juridiques et transférer ce cautionnement au profit du résultat de l’arbitrage qui a lieu à New York alors que le défendeur ne peut pas le faire, mais cela n’est pas inéquitable. Le défendeur avait un actif dans ce ressort et il risquait donc d’être assujetti à une saisie et d’être obligé de fournir un cautionnement. La demanderesse n’était pas aussi vulnérable.

[37]      Le défendeur ne peut pas transférer un cautionnement de ce ressort à New York, où a lieu l’arbitrage, mais il peut obtenir les dépens de l’action intentée devant la Cour fédérale. Il s’agit d’une solution équitable, qui ne fait pas violence au principe énoncé dans la décision Nanisivik Mines (supra) car l’octroi de pareils dépens constitue une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l’article 9 du Code d’arbitrage commercial et n’influe aucunement sur la suspension de l’action intentée devant la Cour fédérale ou sur la capacité d’agir des arbitres.



* Note de l’arrêtiste : Un appel de la partie de la décision par laquelle les dépens ont été adjugés au défendeur a été accueilli. L’appel est publié à [2000] 2 C.F. 445 (1re inst.).

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