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A‑448‑05

2007 CAF 135

Specialized Bicycle Components Canada, Inc. (demanderesse)

c.

Groupe Procycle Inc. et Raleigh Canada Limited (défenderesses)

Répertorié : Specialized Bicycle Components Canada, Inc. c. Groupe Procycle Inc. (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, O.T. Stinson—Vancouver, 3 avril 2007.

Pratique — Frais et dépens — Les défenderesses sollicitaient les dépens afférents aux requêtes en prolongation de délai — Les ordonnances relatives aux requêtes étaient muettes au sujet des dépens — La règle 410(2) des Règles des Cours fédérales prévoit que sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à une requête visant la prolongation d’un délai sont à la charge du requérant — Cependant, selon la pratique adoptée par la Cour, il doit y avoir une ordonnance prévoyant expressément que le requérant doit verser les dépens — Les dépens des défenderesses afférents aux requêtes en prolongation de délai sont annulés.

Il s’agissait de la taxation sur dossier du mémoire de dépens présenté par les défenderesses après que la demanderesse s’est désistée de sa demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur. Le paragraphe 410(2) des Règles des Cours fédérales dispose que « sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à une requête visant la prolongation d’un délai sont à la charge du requérant ». Il s’agissait de savoir si la demanderesse était tenue de payer aux défenderesses les dépens afférents à ses requêtes en prolongation de délai puisque la Cour n’avait pas ordonné le contraire (les ordonnances relatives aux requêtes étaient muettes au sujet des dépens).

Jugement : les défenderesses n’avaient pas droit aux dépens afférents aux requêtes en prolongation de délai; leur mémoire de dépens a été taxé au montant de 1 239,80 $.

Diverses dispositions des Règles des Cours fédérales et des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés ont été examinées. En outre, des ouvrages pertinents de doctrine ont été examinés, notamment Halsbury’s Laws of England. Il semble acceptable d’interpréter le paragraphe 410(2) de façon à ce qu’il impose par défaut au requérant l’obligation de payer les dépens à la partie intimée sans qu’une ordonnance expresse à ce sujet soit nécessaire. Malheureusement, la pratique suivie jusqu’ici va en sens contraire. Les dépens des défenderesses afférents aux requêtes en prolongation de délai sont annulés.

lois et règlements cités

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, art. 52(1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par  DORS/2004‑283,  art.  2),  293,  299.41(1)  (édictée par  DORS/2002‑417,  art.  17),  400   (mod.,   idem,  art. 25(F)),  402, 407, 408(3), 410(2), 465(3), 472f), 494,  tarif B,  art. 2,  5,  21a),  26,  28, colonnes III et IV.


Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (mod. par DORS/2005‑339, art. 1), règles 4(1) (mod., idem, art. 3), 22 (mod. par DORS/2002‑232, art. 11).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Nature’s Path Foods Inc. c. Country Fresh Enterprises Inc., 2007 CF 116; Air Canada c. Canada (Ministre des Transports), [2000] A.C.F. no 101 (1re inst.) (QL).

décisions examinées :

Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c. Olivieri Foods Ltd., [1999] A.C.F. no 213 (1re inst.) (QL); Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 631; conf. par 2006 CAF 323; See You In‑Canadian Athletes Fund Corp. c. Comité olympique canadien, 2006 CF 740; Richards c. M.R.N., 2005 CF 24; Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c. Olivieri Foods Ltd., [1998] A.C.F. no 1171 (1re inst.) (QL); Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. v. Hyundai Auto Canada, une division de Hyundai Motor America, 2005 CF 1266; Assoc. olympique canadienne c. Olymel, société en commandite, 2001 CFPI 105; Mercantile Lighterage Company, Limited (In re), [1906] 1 Ch. 491; Adlington v. Conyngham, [1898] 2 Q.B. 492.

décisions citées :

Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), 2004 CAF 123; Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., 2005 CF 1170; Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1333; Morris c. Canada, 2005 CAF 437.

doctrine citée

Halsbury’s Laws of England, 4e éd., réimpression, vol. 37. London : Butterworths, 2001.

Saunders, Brian J. et al. Federal Courts Practice 2007. Toronto : Thomson Carswell, 2006.

TAXATION sur dossier du mémoire de dépens des défenderesses. Ces dernières n’avaient pas droit aux dépens afférents aux requêtes en prolongation de délai en vertu de la règle 410(2) des Règles des Cours fédérales.

ont comparu :

Paul K. Lepsoe pour la demanderesse.

Keith D. Cameron et Martin G. Masse pour les défenderesses.

avocats inscrits au dossier :

McFarlane Lepsoe, Ottawa, pour la demanderesse.

Lang Michener LLP, Ottawa, pour les défenderesses.

Ce qui suit est la version française des motifs pour la taxation des dépens rendus par

[1]Stinson l’officier taxateur : La demanderesse s’est désistée de sa demande de contrôle judiciaire (qui visait une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur concernant l’importation de bicyclettes). J’ai établi un échéancier pour la taxation sur dossier du mémoire de dépens présenté par les défenderesses en vertu de la règle 402 des [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

I. La position des défenderesses

[2]Les défenderesses ont invoqué le paragraphe 410(2) des Règles qui prévoit que « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à une requête visant la prolongation d’un délai sont à la charge du requérant » et elles ont soutenu en outre que, conformé-ment à la décision Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c. Olivieri Foods Ltd., [1999] A.C.F. no 213 (1re inst.) (QL) (Maison des Pâtes), étant donné que la Cour n’a pas rendu d’ordonnance contraire, la demanderesse doit assumer les dépens des défenderesses afférents à quatre requêtes en prolongation de délai, quelle que soit l’issue desdites requêtes. D’une façon générale, en ce qui concerne l’alinéa 400(3)i) des Règles (conduite qui a pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance), le dossier justifie une augmentation des dépens en raison de la conduite de la demanderesse, c’est‑à‑dire le recours à des mesures dilatoires si flagrantes qu’elles ont donné lieu à un avis d’examen de l’état de l’instance pour justifier le retard. Pour ce qui est de l’alinéa 400(3)g) des Règles (charge de travail), le dossier indique que la conduite de la demanderesse a imposé un travail excessif aux défenderesses, c’est‑à‑dire une correspondance considérable se rapportant aux observations et à des désaccords procéduraux dépassant la portée des dossiers de requête. Pour ce qui est de l’alinéa 400(3)e) des Règles (offre de règlement), l’offre de bonne foi qu’ont présentée les défenderesses en vue de transiger sur la question des dépens pour un montant de 9 150,50 $, qui représentait moins de la moitié du montant réel des frais engagés, a fait l’objet d’une contre‑offre déraisonnable de la part de la demanderesse qui a proposé 300 $ seulement. Ces divers facteurs justifient le montant de 9 487,85 $ demandé par les défenderesses au titre des dépens.

[3]Les défenderesses ont soutenu que la jurisprudence qu’a citée la demanderesse s’applique dans les cas où les Règles sont muettes au sujet des dépens et n’est donc pas pertinente étant donné le libellé impératif du paragraphe 410(2) des Règles qui dicte les conséquences sur le plan des dépens des requêtes en prolongation de délai. L’argument de la demanderesse, c’est‑à‑dire que le paragraphe 410(2) des Règles n’est pas applicable parce que les demandes de prolongation de délai étaient associées à d’autres demandes de réparation, n’est pas fondé en droit parce que le véritable objet de chacune des requêtes était la prolongation d’un délai. Il est absurde de soutenir qu’une partie peut faire fi des délais prévus par les Règles, obliger les parties adverses à assumer les frais de réponse associés aux requêtes qui en découlent et se soustraire ensuite à l’effet du paragraphe 410(2) des Règles sur les dépens en ajoutant simplement une demande de réparation supplémentaire à une requête en prolongation de délai. De plus, la jurisprudence citée par la demanderesse n’est pas pertinente parce qu’elle ne concerne pas les conséquences du paragraphe 410(2) des Règles sur le plan des dépens. L’article 5 [du tarif B des Règles] concernant les honoraires d’avocat n’exige pas que la Cour rende une ordonnance adjugeant les dépens engagés pour s’opposer à des requêtes.

II. La position de la demanderesse

[4]De façon générale, la demanderesse a affirmé que les seules activités officielles dont fait état le dossier, à l’exception des documents introductifs d’instance de la demanderesse et de l’avis de comparution des défenderesses, étaient les avis de requête de la demanderesse. Les défenderesses se sont opposées à ces requêtes et, de façon générale, la réparation demandée a été accordée, sans toutefois que des dépens soient adjugés pour ces requêtes. C’est la raison pour laquelle la demanderesse a offert un montant minime de 300 $ pour le désistement en remplacement des dépens taxés, étant donné que les défenderesses n’ont présenté aucun élément justifiant l’attribution d’une somme plus élevée. Les défenderesses ont reconnu dans leurs observations que la plupart de leurs frais concernaient les diverses requêtes présentées par la demanderesse. Aucun montant ne devrait être accordé pour l’article 2 [du tarif B des Règles] (dossier de demande) parce que la présente instance n’a pas suffisamment progressé pour que les parties déposent des dossiers de demande et des mémoires des faits et du droit concernant le fond de la demande de contrôle judiciaire, qui a fait l’objet d’un désistement avant d’être inscrite au rôle. La demanderesse a affirmé que la nécessité de présenter des requêtes pour régulariser la signification à des entités étrangères ne constituait pas une mesure dilatoire et elle a souligné qu’il n’y avait aucune preuve concernant cette prétendue conduite dilatoire. Le gouvernement fédéral a renoncé à la décision contestée, indépendamment de la demande de contrôle judiciaire.

[5]La demanderesse a fait remarquer que son avis de requête ex parte daté du 11 octobre 2005 visant à obtenir la signification substitutive à plusieurs entrepri-ses de fabrication en Asie et à certains gouvernements étrangers comprenait une requête en prolongation du délai au‑delà du délai prévu par les Règles et a été accueilli dans une ordonnance qui était muette au sujet des dépens. Son avis de requête, daté du 12 décembre 2005, visant à obtenir un délai pour le dépôt du dossier de demande dans l’attente d’autres réparations concer-nant la réunion d’instances et une autre prolongation du délai de signification à certains gouvernements étrangers (visés par la requête précédente) a été, dans l’ensemble, accueilli dans une ordonnance qui était muette au sujet des dépens. Dans les observations qu’elles ont présentées pour s’opposer aux requêtes, les défenderesses ont sollicité les dépens de ladite requête. L’avis de requête daté du 22 février 2006 visait huit chefs distincts de réparation, c’est‑à‑dire une audience commune avec deux autres dossiers et les réparations procédurales connexes, la dernière étant une autre prolongation du délai de signification aux gouverne-ments étrangers, et il a été, pour l’essentiel, rejeté dans une ordonnance qui était muette au sujet des dépens. L’avis de requête daté du 27 avril 2006, qui concernait la signification substitutive au gouvernement de Taïwan et une autre demande de prolongation du délai de signification connexe, a été accueilli dans une ordonnance qui était muette au sujet des dépens.

[6]La demanderesse a cité plusieurs décisions qui montrent qu’il n’est pas possible de taxer les dépens en vertu d’une ordonnance muette sur la question des dépens, c’est‑à‑dire Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), 2004 CAF 123, au paragraphe 6; et Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., 2005 CF 1170, au paragraphe 10 (plus diverses autres décisions appliquant les décisions Balisky et Aird ci‑dessus). Selon d’autres décisions, une ordonnance interlocutoire qui est muette au sujet des dépens signifie qu’aucuns dépens n’ont été adjugés à une partie; il s’agit de Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 631, confirmée par 2006 CAF 323; et Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1333. Le paragraphe 410(2) des Règles ne va pas à l’encontre de ce dernier énoncé de principe. Il prévoit simplement qu’en matière de demandes de prolongation de délai, la Cour ne devrait pas appliquer le principe général selon lequel les dépens suivent l’issue de l’instance (See You In‑Canadian Athletes Fund Corp. c. Comité olympique canadien, 2006 CF 740 (See You)). De toute façon, le paragraphe 410(2) des Règles ne s’applique pas étant donné qu’aucune des requêtes ne se limitait à une demande de prolongation de délai, mais que chacune sollicitait également d’autres mesures de réparation distinctes et plus importantes.

[7]La demanderesse a soutenu, à titre subsidiaire, que s’il est jugé que le paragraphe 410(2) des Règles s’applique aux requêtes en question, la décision Maison des Pâtes dont il est question plus haut ne confirme pas l’argument avancé par les défenderesses, c’est‑à‑dire qu’étant donné que la Cour n’a pas ordonné le contraire, la demanderesse doit payer aux défenderesses les dépens afférents à chacune des requêtes. En fait, la Cour a simplement indiqué (aux paragraphe 13 à 15 inclusivement) que le requérant n’a pas droit, par défaut, aux dépens. En l’espèce, la Cour aurait peut être dû adjuger aux défenderesses les dépens prévus par le paragraphe 410(2) des Règles. La Cour a peut‑être estimé que la conduite des défenderesses justifiait de ne pas adjuger ces dépens. Le recours qu’aurait pu exercer les défenderesses était peut‑être des appels ou des requêtes en modification, mais il est certain, conformément aux décisions Balisky et Aird, précitées, qu’elles ne peuvent pas obtenir cette réparation au moyen de la présente taxation des dépens. L’offre de règlement de 300 $ présentée par la demanderesse pour les dépens est supérieure au montant prévu par le tarif, y compris les débours, auquel auraient droit les défenderesses pour l’avis de comparution. Par conséquent, étant donné que la présente taxation des dépens était inutile, les défenderesses ne devraient pas obtenir les dépens de l’article 26 [du tarif B des Règles] (taxation) et la demanderesse devrait plutôt obtenir des dépens conformément au paragraphe 408(3) des Règles, soit 434,60 $ (360 $ pour l’article 26 + 74,60 $ pour les photocopies et la TPS).

III. Taxation

[8]Après que les documents eurent été déposés conformément à l’échéancier que j’avais établi, l’avocat de la demanderesse a exprimé certains doutes sur l’exactitude des résumés de ses documents figurant dans les observations des défenderesses. La correspondance des deux parties fait référence à l’une de mes décisions, c’est‑à‑dire Morris c. Canada, 2005 CAF 437, dont on pourrait dire qu’elle traduit une certaine idée préconçue de ma part, mais je n’ai pas résumé les positions respectives des parties qui ressortent de cette correspondance étant donné que l’analyse qui suit constitue la première occasion où le paragraphe 410(2) des Règles a été soulevé devant moi. Je pense que le texte du paragraphe 410(2) des Règles, qui prévoit que « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à une requête visant la prolongation de délai sont à la charge du requérant », pourrait donner lieu à divers scénarios.

[9]Si l’on présume que l’expression « les dépens afférents à une requête » n’est pas limitative et n’interdit pas à la Cour d’obliger le requérant à assumer les dépens de la partie adverse (partie intimée), on pourrait penser qu’elle vise les dépens des deux parties. Le paragraphe 400(1) des Règles [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] prévoit que la Cour a « le pouvoir discrétionnaire […] de les [les dépens] répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». La jurisprudence exige généralement que la Cour exerce le large pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 400(1) des Règles conformément au principe selon lequel les dépens suivent l’issue de la cause. Le reste de la règle 400 ne vient pas modifier ou limiter ledit paragraphe 400(1) des Règles, mais il précise certains domaines de compétence. On pourrait toutefois soutenir que le paragraphe 410(2) des Règles limite ou modifie le large pouvoir discrétionnaire attribué à la Cour par le paragraphe 400(1) des Règles parce qu’il crée une présomption quant au résultat, même s’il laisse à la Cour la latitude nécessaire pour écarter le résultat présumé. Selon un autre scénario, le paragraphe 410(2) des Règles, exception faite du pouvoir discrétionnaire résiduel qui permet à la Cour de rendre une ordonnance contraire, va complètement à l’encontre du pouvoir discrétionnaire attribué à la Cour par le paragraphe 400(1) des Règles, ce qui veut dire que le requérant doit, par défaut, assumer les dépens de la partie intimée quelle que soit l’issue de la requête (c’est essentiellement la thèse défendue par les défenderesses en l’espèce). Selon un autre scénario, et en tenant pour acquis que le paragraphe 410(2) des Règles vise uniquement les dépens de la partie requérante, le paragraphe 410(2) des Règles interdit à la Cour, à l’exception de son pouvoir discrétionnaire résiduel, d’ordonner que la partie intimée assume les dépens de la partie requérante. Si on présume que les circonstances d’une demande de prolongation de délai sont généralement si simples qu’elles ne justifieraient pas l’adoption d’une règle particulière, distincte du large pouvoir discrétionnaire déjà prévu par le paragraphe 400(1) des Règles, le paragraphe 410(2) des Règles pourrait avoir pour effet de réfuter directement la présomption selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. Il se pourrait que les rédacteurs de la disposition aient estimé qu’il était nécessaire de formuler un énoncé de principe solide pour tenir compte des situations fréquentes dans lesquelles la Cour aurait tendance à accorder une prolongation de délai dans l’intérêt de la justice, mais en la libérant de la jurisprudence constante en matière de dépens qui désavantage la partie intimée alors que celle‑ci n’exerce pas véritablement de contrôle sur la situation à l’origine de la requête.

[10]Si l’on compare l’expression « dépens sans délai » de la règle 402 (payables à la partie contre laquelle une instance a fait l’objet d’un désistement) avec l’expression « dépens afférents à une requête » du paragraphe 410(2) des Règles, on constate que les deux dispositions autorisent la Cour à rendre une ordonnance contraire. Il existe une différence apparente, à savoir que la règle 402, s’il elle ne fait pas expressément référence à la partie qui se désiste, précise néanmoins clairement que cette partie est tenue de payer les dépens de l’autre partie. Il n’est pas nécessaire que la Cour ait rendu une ordonnance expresse en ce sens pour qu’il y ait taxation de ces dépens. Le paragraphe 410(2) des Règles mentionne une seule partie, c’est‑à‑dire le requérant, et est muet au sujet de l’autre partie, c’est‑à‑dire la partie intimée. Ainsi, par rapport à la règle 402 et au concept de partie s’étant désistée, le paragraphe 410(2) des Règles est plus vague pour ce qui est de la notion de responsabilité du requérant à l’égard des dépens de la partie intimée.

[11]Ces scénarios se compliquent si on les examine en fonction d’autres dispositions relatives aux dépens qui s’ajoutent au paragraphe 400(1) des Règles. Par exemple, la règle 22 [mod. par DORS/2002-232, art. 11] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés [DORS/93-22 (mod. par DORS/2002-339, art. 1)] (Règles d’immigration) prévoit que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande [. . .] introduit[e] en application des présen-tes règles ne donn[e] pas lieu à des dépens ». Cette disposition semble clairement viser les deux parties et son libellé, même s’il est toutefois plus restrictif que celui de la règle 402 et du paragraphe 410(2) des Règles, autorise la Cour à se prononcer autrement. La note éditoriale de Brian J. Saunders et al., dans Federal Courts Practice 2007, Toronto : Thomson Carswell, 2006, à la page 1124, porte que [traduction] « La règle 22 a pour effet de remplacer le large pouvoir discrétion-naire conféré en matière de dépens par la règle 400 des Règles des Cours fédérales ». Le paragraphe 4(1) [mod. par DORS/2005-339, art. 3] des Règles d’immigration énonce que « les parties 1 [. . .] et 11 [. . .] des Règles des Cours fédérales [s’appliquent] sauf dans les cas où ces dispositions sont incompatibles avec [. . .] les présentes règles ». Je ne pense pas que le paragraphe 4(1) a pour effet de modifier l’effet combiné de la règle 400 des Règles des Cours fédérales et la règle 22 des Règles d’immigration par rapport à l’effet combiné des règles 400 et 402 des Règles des Cours fédérales ou même de celui de la règle 400 et du paragraphe 410(2) des Règles. C’est‑à‑dire que je ne suis pas convaincu que l’on puisse affirmer que la règle 22 [des Règles d’immigration] et la règle 402 et le paragraphe 410(2) des Règles ont pour effet de remplacer intégralement le large pouvoir discrétionnaire conféré en matière de dépens par la règle 400 des Règles des Cours fédérales parce que j’estime que c’est toujours le paragraphe 400(1) des Règles qui confère à la Cour, lorsqu’elle rend une ordonnance en vertu d’une exception prévue par une règle donnée, le pouvoir de fixer les dépens à l’intérieur d’une fourchette qui va du montant prévu par les dispositions de la règle 407 des Règles applicable par défaut qui attribuent des dépens taxés selon la colonne III des dépens [du tarif B] (ou à un niveau inférieur) aux dépens calculés intégralement sur la base avocat‑client, c’est‑à‑dire le niveau ou le montant de l’indemnisation pour les dépens.

[12]Dans la décision Richards c. M.R.N, 2005 CF 24, la Cour a examiné l’appel interjeté de la décision d’un officier taxateur en matière de dépens. Une demande de contrôle judiciaire concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P‑21] avait été rejetée dans une ordonnance qui était muette au sujet des dépens. Le défendeur a néanmoins présenté un mémoire de dépens pour qu’il soit taxé conformément au paragraphe 52(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui prévoit que « les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal ». Après avoir effectué une analyse approfondie, l’officier taxateur a décidé qu’il n’avait pas le pouvoir de taxer les dépens dans le cas d’une ordonnance qui était muette au sujet des dépens. La Cour en a décidé autrement (aux paragraphes 11 à 17) :

J’ai conclu que l’officier taxateur a commis une erreur, et que le mémoire de frais doit lui être renvoyé pour taxation, parce que, en droit, l’ordonnance du juge Lemieux est réputée comprendre une ordonnance pour les dépens.

Le principe fondamental en l’espèce est que l’adjudication des dépens relève d’un pouvoir discrétionnaire. Les paragraphes 400(1) et (2) des Règles édictent : [. . .]

Si un jugement ne comporte pas d’ordonnance au sujet des dépens, une partie peut demander des directives conformément à l’article 403 des Règles.

Cependant, la loi ou le règlement habilitant peut contenir des dispositions applicables par défaut en ce qui concerne les dépens. L’article 52 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une disposition de ce genre. Comme le tribunal possède une compétence inhérente pour accorder les dépens à une partie qui n’a pas eu gain de cause, pour les adjuger à une autre partie à l’instance ou pour ordonner à une autre partie à l’instance, et parfois même à un tiers, de les payer, l’article 52 doit être interprété littéralement.

Une autre disposition applicable par défaut ayant l’effet inverse est l’article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration et de protection des réfugiés. Il prévoit : [. . .]

En raison de l’existence de cette règle, les ordonnances portant sur les affaires en matière d’immigration et de la protection des réfugiés ne font habituellement pas état des frais de justice. Il n’est pas nécessaire de préciser qu’« aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens » ou que « chaque partie supportera ses propres dépens » parce que les Règles prévoient déjà que ce sera le cas, à moins que la Cour n’en décide autrement.

Pour ces motifs, la requête est accueillie et l’affaire est renvoyée à l’officier taxateur pour qu’il procède à la taxation des dépens. Cependant, étant donné l’absence de précédents portant directement sur la question soulevée en l’espèce, aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente requête.

Le paragraphe 410(2) des Règles ne peut pas être comparé directement à l’article 52 [de la Loi sur la protection des renseignements personnels] ou à la règle 22 des Règles de l’immigration à cause de certaines différences de formulation, c’est‑à‑dire que les dépens suivent le sort du principal ou la mention des deux parties, mais son libellé n’est pas si différent de celui de ces deux dernières dispositions qu’il ne puisse pas être également qualifié de disposition applicable par défaut au sens de la décision Richards, précitée. De plus, le fait que l’expression « chaque partie supportera ses propres dépens » n’a pas été utilisée au lieu de l’expression suivante dans le paragraphe 410(2) des Règles, « les dépens [. . .] sont à la charge du requérant », renforce l’idée ou laisse entendre que le paragraphe 410(2) des Règles a pour effet d’obliger le requérant à payer les dépens de la partie intimée, la seule question restant à déterminer étant celle de savoir s’il s’agit d’une disposition applicable par défaut au sens de la décision Richards, précitée, ou si elle exige, à titre de condition préalable, une ordonnance expresse de la Cour.

[13]La règle 293, qui traite des réclamations exagérées dans les actions simplifiées, prévoit que la Cour peut condamner aux dépens toute partie. La note éditoriale que l’on trouve dans Federal Courts Practice 2007, op.cit., à la page 666, indique que la Cour peut tenir compte de ce facteur applicable aux actions simplifiées lorsqu’elle adjuge des dépens conformément à l’alinéa 400(3)n) des Règles. Cela correspond à mon opinion selon laquelle certaines règles peuvent modifier ou préciser, en ce qui concerne le droit aux dépens, l’application du paragraphe 400(1) des Règles, sans toutefois limiter le large pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 400(1) des Règles, c’est‑à‑dire le montant des dépens. Le paragraphe 299.41(1) [édicté par DORS/2002-417, art. 17] des Règles interdit à la Cour d’adjuger des dépens dans un recours collectif, sauf conformément aux paragraphes (2) et (3) de cette disposition. La note éditoriale dans Federal Courts Practice 2007, op.cit., à la page 690, précise que cette disposition [traduction] « a pour effet de remplacer le large pouvoir discrétionnaire habituellement conféré à la Cour en matière de dépens ». Je ne pense pas que cela facilite l’interprétation du paragraphe 410(2) des Règles.

[14]Le paragraphe 465(3) des Règles, qui traite des frais payables à une partie ou à une personne autre qu’une partie ayant un intérêt dans des fonds et dans l’exécution d’une ordonnance, ne fait que modifier ou préciser le paragraphe 400(1) des Règles et n’est d’aucun secours pour interpréter le paragraphe 410(2) des Règles. Il en va de même de l’alinéa 472f) des Règles qui concerne l’outrage au tribunal. La règle 494 prévoit que la personne qui a déposé un caveat (il peut s’agir d’une personne autre qu’une partie) est condamnée aux dépens et dommages‑intérêts en résultant, à moins qu’elle ne convainque la Cour qu’elle ne devrait pas l’être. En raison de la possibilité que les dépens et dommages‑intérêts soient considérablement plus élevés que les dépens d’une requête en prolongation de délai, il ne s’agit probablement pas d’une obligation de dédommager l’autre partie qui s’applique par défaut, mais cela exige plutôt une conclusion expresse de la Cour sur ce point. C’est‑à‑dire que l’expression « est condamné à » à la règle 494 n’est pas suffisamment large pour créer un droit reconnu par défaut et exige en fait une ordonnance expresse de la Cour, en particulier à cause du fardeau qui est imposé en matière de dommages‑intérêts à la personne qui a déposé un caveat.

[15]La décision de l’officier taxateur, qui est rapportée à [1998] A.C.F. no 1171 (1re inst.) (QL) et faisait l’objet d’un appel dans la décision Maison des Pâtes, précitée, portait qu’en l’absence d’une ordonnance expresse en ce qui concerne les dépens relatifs à une demande de prolongation de délai, la requérante ne pouvait pas demander le paiement de ses dépens par la partie intimée et devait les assumer elle‑même. L’officier taxateur, tout comme la Cour ayant entendu l’appel et approuvé ses conclusions, n’a pas analysé si le paragraphe 410(2) des Règles pouvait constituer une disposition obligeant, par défaut, la partie requérante à payer les dépens de la partie intimée. Cette décision n’appuie pas la thèse des défenderesses en l’espèce parce que l’élément déterminant dans cette affaire était que l’adjudication de dépens avocat‑client à la suite du désistement dans une requête en radiation ne pouvait s’appliquer également à une requête en prolongation de délai.

[16]Cette question n’a pas été soulevée devant moi, mais je souligne que, dans la décision Maison des Pâtes, précitée, la Section de première instance a statué (décision datée du 12 février 1999), en se fondant sur une certaine jurisprudence ontarienne, que l’officier taxateur avait commis une erreur de droit parce qu’il n’avait pas conclu que l’ordonnance accordant des dépens avocat‑client avait l’effet de « compléter » l’adjudication interlocutoire antérieure d’une somme globale au titre des dépens. Le raisonnement, d’après ce que je comprends, était que s’il était reconnu que la question des dépens interlocutoires entre parties était chose jugée, les parties risqueraient de s’abstenir de demander de la façon habituelle les dépens afférents à une requête afin de préserver le droit, qu’elles pourraient invoquer plus tard dans le cadre d’un jugement sur les questions de fond du litige, à des dépens avocat‑client pour l’ensemble de l’affaire, plus précisément pour prolonger et englober les demandes interlocutoires. Autrement dit, si l’on prend comme exemple les faits de la décision Maison des Pâtes, précitée, la première adjudication par la Cour dans cette affaire de dépens (interlocutoires) entre parties sous la forme d’une somme globale de 3 500 $ pourrait être complétée par l’adjudication postérieure (définitive) de dépens avocat‑client pour l’ensemble de l’affaire au motif que le juge qui a procédé à la seconde adjudication était mieux placé que le premier juge pour évaluer l’importance des mesures interlocutoires par rapport au résultat final. Avec égards, et je fais cette remarque dans le seul but d’exprimer à nouveau mon point de vue sur l’effet de l’adjudication interlocutoire de dépens, je ne peux pas souscrire à ce raisonnement. Une des décisions invoquées par la demanderesse en l’espèce à l’appui de la proposition selon laquelle aucuns dépens taxés ne peuvent être accordés à la suite d’ordonnances muettes au sujet des dépens était Merck & Co. c. Apotex Inc., précitée. Dans cette décision, la Cour fédérale a voulu « compléter » les dépens en modifiant l’adjudication interlocutoire de dépens réputés devoir être calculés selon la colonne III conformément à la règle 407, en ordonnant qu’ils soient taxés et payés selon l’échelon supérieur de la colonne IV. En appel, la Cour d’appel fédérale (décision du 10 octobre 2006, précitée) s’est appuyée sur une certaine jurisprudence, notamment sur la décision Aird, précitée, pour conclure qu’il était interdit d’ainsi « compléter » les dépens parce que l’adjudication interlocutoire de dépens en cause était chose jugée.

[17]Dans la décision See‑You, précitée, la Cour fédérale a examiné et a rejeté un appel interjeté par la partie intimée d’une ordonnance d’une protonotaire accordant une prolongation du délai de dépôt d’un dossier de demande et portant qu’il ne serait pas adjugé de dépens dans le cadre de la requête. Ni la protonotaire, ni la Cour en appel n’ont déclaré que le paragraphe 410(2) des Règles accordait par défaut à la partie intimée le droit d’obtenir les dépens en l’absence d’une ordonnance contraire. En fait, étant donné que la protonotaire avait expressément affirmé dans sa décision qu’elle refusait de condamner la requérante aux dépens en raison de la conduite de la partie intimée, il semble que l’on puisse présumer, même si cela n’est pas mentionné, que la protonotaire a reconnu que le paragraphe 410(2) des Règles obligeait, par défaut, la requérante à payer les dépens à la partie intimée et qu’elle a rendu l’ordonnance nécessaire en utilisant l’exception prévue au paragraphe 410(2) des Règles pour écarter cette obligation. Il s’agit là d’une hypothèse qui n’est d’aucun secours pour les défenderesses en l’espèce.

[18]Il est question dans Federal Courts Practice 2007, op.cit., à la page 895, de deux décisions qu’il convient de mentionner. Dans la décision Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, une division de Hyundai Motor America 2005 CF 1266, la Cour fédérale a commencé par déclarer que « [l]e présent appel est interjeté à l’encontre d’une ordonnance par laquelle le protonotaire [. . .] a accordé [. . .] une prorogation de délai à la défenderesse pour lui permettre de déposer un avis de comparution, en omettant d’adjuger les dépens aux demanderesses ». La Cour a rejeté la partie de l’appel portant sur la prolongation de délai. Cependant, au paragraphe 13, elle a examiné la question des dépens et a dit : « je ne vois pas pourquoi le protonotaire a écarté le paragraphe 410(2) des Règles », la « partie qui demande une prolongation de délai est normalement responsable des dépens afférents à la requête » et le « fait que les demanderesses aient présenté une requête en jugement par défaut ne les prive pas du droit de recouvrer les dépens ». La Cour a ensuite accordé les dépens afférents à la requête en prolongation de délai aux parties intimées devant le protonotaire. Cette décision récente (datée du 14 septembre 2005) ne confirme pas la position des défenderesses en l’espèce. C’est‑à‑dire que le principe selon lequel le paragraphe 410(2) des Règles impose par défaut à la partie requérante l’obligation de payer les dépens de la partie intimée n’a pas été reconnu. En fait, la décision a appliqué la règle selon laquelle il faut que les dépens soient adjugés expressément, le droit aux dépens étant toutefois habituellement reconnu à la partie intimée.

[19]Dans la décision Assoc. olympique canadienne c. Olymel, société en commandite, 2001 CFPI 105, la Cour fédérale a fait droit à une requête en prolongation du délai pour interjeter appel et a ordonné à la partie requérante de verser à la partie intimée des dépens sous la forme d’une somme globale de 1 500 $. Rien n’indique que la Cour a considéré que le paragraphe 410(2) des Règles n’exigeait pas une ordonnance prévoyant expressément que la partie requérante verse à la partie intimée des dépens calculés selon la colonne III (tel que le prescrit la règle 407). Le fait que l’adjudication des dépens ait pris la forme d’une somme globale découlait simplement, à mon avis, de l’exercice du large pouvoir discrétionnaire accordé par le paragraphe 400(1) des Règles en ce qui a trait au montant des dépens, sans que cette disposition soit modifiée par le paragraphe 410(2) des Règles qui traite du droit aux dépens.

[20]Pour préciser la façon dont je conçois mes pouvoirs lorsqu’il s’agit d’une pratique apparemment adoptée par la Cour, c’est‑à‑dire la nécessité d’une ordonnance prévoyant expressément que le requérant doit verser à la partie intimée les dépens prévus par le paragraphe 410(2) des Règles, par rapport à l’autre solution apparemment raisonnable (selon moi) avancée en l’espèce par les défenderesses, à savoir que le paragraphe 410(2) des Règles exige par défaut, en l’absence d’une ordonnance expresse, que le requérant verse à la partie intimée les dépens prévus par le paragraphe 410(2) des Règles, je me réfère à l’ouvrage intitulé Halsbury’s Laws of England, 4e éd., réimpression, vol. 37, Londres, Butterworths, 2001, aux pages 9 à 22, paragraphes 1 à 14 inclusivement, c’est‑à‑dire [traduction] « Introduction à la pratique et à la procédure ». Il est affirmé au paragraphe 1 que la procédure civile constitue une branche du droit distincte, qui comprend la pratique et la procédure. Les paragraphes 3 et 4 traitent des rapports entre le droit substantiel, c’est‑à‑dire celui qui crée les droits et les obligations reconnus juridiquement, et la procédure civile, c’est‑à‑dire les mécanismes utilisés pour appliquer les règles du droit substantiel et leur donner effet. Le paragraphe 4 émet l’hypothèse selon laquelle [traduction] « le mot “pratique” a peut‑être un sens plus étroit que celui du mot “procédure” étant donné que la pratique est parfois limitée à l’utilisation habituelle, répétitive ou continue de méthodes ou de façons de procéder concrètes, alors que la “procédure” fait référence à la conduite des instances judiciaires, qu’elles concernent ou non, en tout ou en partie, une action » et souligne que [traduction] « cette distinction est rarement mentionnée parce que ces mots sont presque toujours utilisés de concert ».

[21]Le paragraphe 13 contient ce qui suit :

[traduction]

13. La pratique de la cour. Il existe une source de droit procédural civil qui est assez mal définie; il s’agit de la pratique de la cour, non pas quand elle s’exprime par des directives en matière de pratique ou dans une affaire donnée, mais par une façon de faire qui a été suivie pendant un certain temps par des juges successifs1. Dans une certaine mesure, « la pratique de la cour » est reconnue par la loi comme étant une source du droit procédural civil2. Il n’est toutefois pas facile de définir ce qui constitue la pratique de la cour ou comment elle peut être établie et, de toute façon, il semble que le juge ait la possibilité d’en arriver à une conclusion qui peut être différente de ce que l’on affirme être la pratique de la cour ou de ce qu’il sait être cette pratique.3

1              Voir Salm Kyrburg v Posnanski (1884) 13 QBD 218, DC, une affaire dans laquelle les juges Huddleston et Grove ont appuyé leurs jugements sur l’appel d’une ordonnance d’un juge en cabinet autorisant la délivrance d’un bref de saisie en affirmant que le maître des rôles les avait informés que cette pratique générale avait été suivie depuis l’adoption de la Supreme Court of Judicature Act 1873, et le juge Grove a ajouté à la page 224, « Ce fait n’a, bien sûr, pas eu un effet déterminant sur notre jugement, mais il me semble constituer un argument dans la mesure où il constitue une raison de ne pas modifier une pratique en vigueur, à moins qu’il existe des raisons extrêmement convaincantes de l’écarter ». Voir également Stumm v Dixon & Co and Knight (1889) 22 QBD 529, à la p. 531, CA; Davies & Co v André & Co (1890) 24 QBD 598, CA; Hume v Somerton (1890) 25 QBD 239; Harbottle v. Roberts [1905] 1 KB 572, CA; Re Mercantile Lighterage Co Ltd [1906] 1 Ch 491; Morison v Telfer [1906] WN 31. La maxime ancienne était que « la pratique de la cour est la loi de la cour » et elle reflétait le principe selon lequel un tribunal hésite beaucoup à s’écarter d’une pratique établie.

2              Voir l’article 67 de la Supreme Court Act 1981, qui prévoit que les affaires de la Haute Cour doivent être entendues et jugées publiquement (c.‑à‑d. en public et non pas à huis clos), sauf dans la mesure où, en vertu de cette loi ou d’une autre loi, des règles de la Cour ou de la pratique de la Cour, elles sont entendues en cabinet ou à huis clos. Même si elle est placée sur le même plan que les règles de la Cour, l’expression « la pratique de la cour » n’est pas définie ni même décrite, et son sens demeure assez vague et obscur, voire ambigu [. . .]

3              Voir Adlington v Conyngham [1898] 2 QB 492, CA.

[22]Dans la décision Mercantile Lighterage Company, Limited (In re), [1996] 1 Ch. 491, qui portait sur la pratique adoptée par un officier taxateur en matière de dépens, il a été notamment jugé que cette pratique n’était pas conforme à la règle applicable et l’affaire a été renvoyée au registraire pour qu’il procède à la taxation des dépens en conséquence. À la page 497, le juge Warrington a dit qu’il [traduction] « n’avait pas besoin de préciser qu’il avait hésité à modifier une pratique aussi ancienne, mais lorsqu’il existe, comme c’est le cas à mon avis, une interprétation simple d’une règle, j’estime qu’il est de mon devoir de lui donner effet ».

[23]La décision Adlington v. Conyngham, [1898] 2 Q.B. 492, concernait la pratique d’un officier taxateur selon laquelle les dépens afférents aux interrogatoires en matière d’exécution ne devaient pas être payés par les débiteurs judiciaires, étant donné que ces interrogatoires étaient considérés comme des mesures superflues dont les créanciers judiciaires devaient assumer le coût. Cette décision était citée dans le passage ci‑dessus de Halsbury’s à l’appui de la proposition selon laquelle un juge peut s’écarter de la pratique suivie habituellement par la cour. La Cour d’appel avait déjà rejeté l’appel parce qu’il était prescrit et elle semblait simplement avoir exprimé, dans des remarques incidentes, une certaine surprise à l’égard de la pratique en cause. Il est toutefois possible d’interpréter la teneur de ses remarques comme étayant la proposition formulée dans Halsbury’s, op.cit.

[24]Je reconnais que le cadre législatif et réglementaire dans lequel sont formulées les propositions  dans le passage cité plus haut de Halsbury’s diffère du cadre de la présente espèce, mais ces cadres ne sont pas différents au point où les propositions en question ne puissent alimenter mon raisonnement. Tout simplement, et je rappelle les commentaires que j’ai formulés plus haut au sujet de la décision Richards, il me paraît acceptable d’interpréter le paragraphe 410(2) des Règles de la façon suivante : il impose par défaut au requérant l’obligation de payer les dépens à la partie intimée sans qu’une ordonnance expresse à ce sujet soit nécessaire. Malheureusement pour les défenderesses en l’espèce, la pratique suivie jusqu’ici va en sens contraire, c’est‑à‑dire que si le droit aux dépens appartient normalement à la partie intimée, il faut qu’une ordonnance expresse le confirme. Je pense que l’élément qu’a soulevé la demanderesse, à savoir que le paragraphe 410(2) des Règles n’a sûrement pas pour but d’imposer une obligation par défaut dans le cas où la demande de délai est un chef de réparation relativement mineur par rapport à d’autres chefs plus importants, pourrait être pertinent, mais uniquement dans le contexte de la partie de la disposition des Règles prévoyant une exception. Pour donner effet à la présomption qui est reconnue en matière de pratique par la jurisprudence, je conclus, mais avec une grande réticence compte tenu de l’analyse que j’ai faite plus haut, que je ne devrais pas m’écarter de la pratique en question. J’annule les dépens adjugés aux défenderesses à l’égard des quatre requêtes, c’est‑à‑dire les articles 5 et 21a) [du tarif B], étant donné qu’il n’y avait pas lieu de faire une distinction entre les faits de l’affaire qui m’a été soumise et ceux sur lesquels repose la pratique en question.

[25]Les commentaires que j’ai formulés dans la décision Nature’s Path Foods Inc. c. Country Fresh Enterprises Inc., 2007 CF 116, aux paragraphes 20, 21 et 23, s’appliquent aux autres parties du mémoire de dépens des défenderesses et influencent ma décision. Le fait qu’un dossier de demande prévu à l’article 2 n’ait jamais été déposé ne veut pas dire que l’avocat n’a pas travaillé à sa préparation. J’accorde les 3 unités minimales (120 $ par unité). Dans la décision Air Canada c. Canada (Ministre des Transports), [2000] A.C.F. no 101 (1re inst.) (QL), j’ai tenu compte des faits pour accorder la somme réclamée en vertu de l’article 28 (services de parajuristes, etc.), article qui est réclamé en l’espèce pour le dossier de demande et les requêtes. J’estime que le dossier ne m’autorise pas à accorder ces sommes. Les difficultés qu’a soulevées la présente taxation des dépens ne sont pas imputables aux défenderesses. Leurs observations étaient bien formulées. J’autorise l’article 26 [du tarif B] (taxation des frais) tel que présenté, au montant maximum de 6 unités. Des débours de 520,25 $ pour l’ensemble de l’affaire ont été réclamés (impression, télécopies, téléphone, livraison et frais divers, dont certains concernaient les demandes relatives à la requête qui ont été rejetées), dont j’autorise 95 $. Le mémoire de dépens des défenderesses dans lequel elles demandaient 9 487,85 est taxé au montant de 1 239,80 $.

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