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[2000] 3 C.F. 46

A-731-97

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (appelante)

c.

Eagle Forest Products Limited Partnership (intimée)

Répertorié : Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Eagle Forest Products Ltd. Partnership (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Robertson et Noël, J.C.A. —Ottawa, 2 novembre et 13 décembre 1999.

Droit administratif Appels prévus par la loi CertiorariNorme de révisionAppel à l’égard d’un arrêté de l’Office des transports du Canada ordonnant la suppression de la restriction relative aux prix applicables au transport à destination des points canadiens prévus dans le tarifLa nature spécialisée du tribunal, soit sa compétence particulière qui lui permet de comprendre et d’administrer un système de réglementation complexe, constitue le facteur le plus important à prendre en compte pour déterminer la norme de révision applicableL’Office est un tribunal spécialisé qui possède une compétence particulière pour trancher une question comme celle qui est en litige en l’espèce, en vertu d’un système de réglementation assez complexeL’Office devait décider si les instructions d’acheminement de l’intimée allaient à l’encontre de la décision de l’arbitre ainsi que de l’engagement qu’elle avait formulé en application de l’art. 161(2)c) de la Loi sur les transports au CanadaL’Office devait interpréter la dernière offre et l’engagement afin de décider si l’intimée avait le droit d’invoquer la Règle comptable 11 dans ses instructions ou si elle était empêchée de le faire par les conditions de sa dernière offre et de son engagementLe litige porte sur une question mixte de faits et de droit et l’Office devait décider si les faits satisfont au critère juridiqueLa norme de révision applicable est celle du caractère raisonnable.

Transports Appel à l’égard d’un arrêté de l’Office des transports du Canada ordonnant la suppression de la restriction relative aux prix applicables au transport à destination de certains points canadiensLors de l’arbitrage relatif à la dernière offre en application de l’art. 161 de la Loi sur les transports au Canada, l’arbitre a choisi la dernière offre de l’intimée qui énonçait les prix applicables aux destinations canadiennes et la formule à utiliser pour établir les prix applicables aux destinations américainesL’intimée a fourni un engagement suivant lequel elle s’obligeait à expédier les marchandises selon les termes de la décision de l’arbitrePar la suite, elle a établi quatre connaissements relatifs au transport des marchandises vers des destinations américaines, lesquels connaissements indiquaient que l’expéditeur avait pris des dispositions pour faire transporter les marchandises en question de Saint John jusqu’aux destinations américaines par un transporteur de liaison américainL’appelante a soutenu que cette façon de procéder allait à l’encontre de la décision de l’arbitre et de l’engagement de l’intimée, étant donné que, selon celui-ci, le service de transport assuré à l’extérieur du Canada vers des destinations américaines devait être régi par la formule énoncée dans la dernière offreL’Office a conclu que la dernière offre n’indique pas que les prix établis pour les points canadiens devaient s’appliquer uniquement aux envois intérieurs pour lesquels un de ces points est la destination finale ou que les wagons devaient être déchargés à ces endroitsCompte tenu de la compétence spécialisée de l’Office ainsi que du contexte législatif, la décision n’était pas déraisonnableSi les marchandises étaient transportées à Saint John et déchargées à cet endroit, les prix indiqués dans la dernière offre pourraient être exigés; si l’appelante devait prendre des dispositions pour acheminer les marchandises jusqu’aux établissements des clients se trouvant aux États-Unis, la formule prévue dans la dernière offre s’appliqueraitL’Office n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la dernière offre et l’engagement fondé sur la loi n’obligeaient pas l’intimée à utiliser les services de l’appelante pour le transport des marchandises au-delà de Saint JohnLa question était visée par la compétence spécialisée de l’Office, compte tenu des faits, de la Loi et des facteurs politiques applicables.

Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’un arrêté de l’Office des transports du Canada exigeant la suppression de la restriction relative aux prix applicables au transport à destination des points canadiens comme le prévoit le tarif CNR 3030. L’appelante est un transporteur ferroviaire, tandis que l’intimée fabrique des panneaux à copeaux orientés, soit un matériau de construction dont la majeure partie est vendue et doit être livrée par train à des acheteurs américains. Un conflit a éclaté au sujet des prix que l’intimée devrait payer pour faire transporter ses marchandises. L’intimée a présenté une demande d’arbitrage concernant la dernière offre à l’égard de la partie canadienne des prix conformément au paragraphe 161(1) de la Loi sur les transports au Canada, soutenant que l’appelante était revenue sur un accord précédemment conclu au sujet des prix qui seraient exigés pour le transport ferroviaire de marchandises depuis Miramichi (Nouveau-Brunswick) jusqu’à différentes destinations canadiennes et américaines. La demande d’arbitrage contenait la dernière offre de l’intimée, laquelle énonçait les prix applicables aux destinations canadiennes ainsi qu’une formule servant à déterminer les prix relatifs aux destinations américaines, ainsi que l’engagement par lequel l’intimée s’obligeait à expédier les marchandises selon les termes de la décision de l’arbitre. L’arbitre a choisi la dernière offre de l’intimée. Un peu plus tard, l’intimée a établi quatre connaissements relatifs au transport par train de ses panneaux à copeaux orientés vers des destinations américaines via Saint John (Nouveau-Brunswick). Chacun des connaissements comportait une clause identique au sujet de l’itinéraire, selon laquelle la Règle comptable AAR 11 devait s’appliquer au-delà de Saint John. En invoquant cette Règle, l’intimée faisait savoir à l’appelante qu’elle avait pris des dispositions pour faire transporter les marchandises en question de Saint John jusqu’aux destinations américaines par un transporteur américain. L’appelante a soutenu que les instructions en question ne respectaient pas les conditions de la dernière offre et allaient à l’encontre de l’engagement par lequel l’intimée s’était obligée à expédier les marchandises selon les termes de la décision de l’arbitre, parce que l’intimée n’avait pas intégré dans sa dernière offre les dispositions de la Règle 11 au sujet du transport au-delà de Saint John. Par conséquent, selon l’appelante, tout service de transport assuré à l’extérieur du Canada vers des destinations américaines serait régi par la formule choisie par l’arbitre. L’appelante a détenu les wagons contenant les marchandises jusqu’à ce qu’elle obtienne des explications de l’intimée au sujet des instructions d’acheminement. L’intimée a déposé une plainte auprès de l’Office, alléguant que l’appelante avait manqué à ses obligations de transporteur en refusant de transporter les marchandises et qu’elle devrait être tenue d’inscrire dans un tarif les prix et conditions que l’arbitre avait choisis pour le transport des marchandises. Vers la même date, l’appelante a publié le tarif en litige, qui prévoyait notamment que « les prix ne peuvent s’appliquer sous le régime de la Règle 11 » et que « les prix s’appliquent uniquement au transport des marchandises entièrement déchargées au Canada ». L’Office a conclu qu’aucun élément de la dernière offre de l’intimée « n’indique que les prix établis pour les points canadiens devraient s’appliquer uniquement aux envois intérieurs pour lesquels un de ces points est la destination finale ou que les wagons doivent être déchargés à ces endroits ». Il a également jugé que les instructions d’acheminement de l’intimée n’allaient pas à l’encontre de l’engagement de celle-ci ou de la décision de l’arbitre.

L’article 41 de la Loi sur les transports au Canada permet d’interjeter appel, avec l’autorisation de la Cour, « sur une question de droit ou de compétence » seulement. La Cour peut, en vertu du paragraphe 41(3), faire des inférences non incompatibles avec les faits formellement établis par l’Office et nécessaires « pour décider de la question de droit ou de compétence ». L’article 31 de la Loi énonce que la décision de l’Office « sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive ».

Les questions à trancher étaient celles de savoir 1) quelle était la norme de révision à appliquer à l’égard de la décision de l’Office et 2) si la décision de l’Office était erronée.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Il a déjà été décidé que la nature spécialisée du tribunal et la compétence particulière qui lui permet de comprendre et d’administrer un système de réglementation complexe représentent le facteur le plus important à prendre en compte pour déterminer la norme de révision à appliquer. L’Office des transports du Canada est un tribunal spécialisé qui possède une compétence particulière pour trancher une question comme celle qui est en litige en l’espèce en vertu d’un système de réglementation assez complexe. L’Office devait décider si les instructions d’acheminement de l’intimée allaient à l’encontre de l’engagement de celle-ci et de la décision de l’arbitre. Pour se prononcer à ce sujet, l’Office devait interpréter la dernière offre et l’engagement de l’intimée et décider si les faits satisfont aux critères juridiques, lequel exercice concerne des questions mixtes de droit et de fait auxquelles la norme du caractère raisonnable s’applique.

2) Compte tenu de la compétence spécialisée de l’Office ainsi que du contexte législatif dans lequel il a rendu sa décision et pris son arrêté, sa décision n’était pas déraisonnable. Même si l’intimée n’a pas explicitement invoqué l’application de la Règle comptable 11 dans sa dernière offre, l’Office pouvait raisonnablement conclure qu’elle avait le droit de le faire. Cette offre visait à déterminer les prix que l’appelante pourrait exiger. Si les marchandises étaient transportées à Saint John et déchargées à cet endroit, les prix indiqués dans la dernière offre pourraient être exigés. En revanche, si l’appelante devait prendre les dispositions pour acheminer les marchandises jusqu’aux établissements des clients de l’intimée aux États-Unis, la formule prévue dans la dernière offre s’appliquerait. L’Office n’a pas commis d’erreur en concluant que la dernière offre et l’engagement prévu par la Loi n’obligeaient pas l’intimée à utiliser les services de l’appelante pour le transport des marchandises au-delà de Saint John. C’est là une question qui est bel et bien visée par la compétence spécialisée de l’Office et que celui-ci pouvait trancher en prenant en considération les faits, la Loi et les facteurs politiques sous-jacents.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 16(1).

Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 13(1).

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 5, 31, 41, 116(1), 161(2)c), 163(2),(3), 164(1),(2), 165(3),(6).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Communauté urbaine de Toronto (Municipalité) c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1998] 4 C.F. 506 (1998), 229 N.R. 386 (C.A.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; conf. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329; 21 B.L.R. (2d) 68; 63 C.P.R. (3d) 67; 185 N.R. 291 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 46 B.C.A.C. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; 168 N.R. 321; 75 W.A.C. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

Upper Lakes Group Inc. c. Canada (Office national des transports), [1995] 3 C.F. 395 (1995), 125 D.L.R. (4th) 204; 62 C.P.R. (3d) 167; 181 N.R. 103 (C.A.); Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports), [1992] 3 C.F. 145 (1992), 144 N.R. 235 (C.A.); Sharp c. Canada (Office des transports du Canada), [1999] 4 C.F. 363 (1999), 31 C.E.L.R. (N.S.) 1; 243 N.R. 160 (C.A.).

APPEL interjeté à l’égard d’un arrêté de l’Office des transports du Canada exigeant la suppression de la restriction relative aux prix applicables au transport à destination des points canadiens comme le prévoit le tarif CNR 3030. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Brian A. Crane, c.r., et Ronald D. Luneau, pour l’appelante.

Forrest C. Hume pour l’intimée.

Elizabeth C. Barker pour l’Office des transports du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’appelante.

Forrest C. Hume, Vancouver, pour l’intimée.

Office des transports du Canada, Ottawa, pour l’Office des transports du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel fondé sur l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada[1] (la Loi) à l’égard d’une décision et d’un arrêté de l’Office des transports du Canada (l’Office) en date du 17 juillet 1997. Dans son arrêté, l’Office obligeait l’appelante à supprimer du tarif CNR 3030 « la restriction relative aux prix applicables au transport à destination des points canadiens comme le prévoit ledit tarif ». Le reste de l’arrêté n’est plus en litige entre les parties.

[2]        L’appelante est un transporteur ferroviaire au sens de la Loi. L’intimée fabrique des panneaux à copeaux orientés (matériau de construction) à sa nouvelle usine de Miramichi (Nouveau-Brunswick) et vend et fait livrer par train à des acheteurs américains la majeure partie de ce matériau. En 1996, un conflit a éclaté entre les parties au sujet des prix que l’intimée devrait payer pour faire transporter ses marchandises par l’appelante depuis Miramichi jusqu’à différentes destinations canadiennes et américaines. Le conflit n’ayant pu être tranché à l’amiable, l’intimée a décidé, le 13 décembre 1996, de le soumettre à l’Office pour arbitrage conformément à la partie IV de la Loi. L’Office a décidé que les questions soumises à l’arbitrage devraient nécessairement se limiter [traduction] « aux offres concernant les prix et les conditions relatifs au transport de marchandises à l’intérieur du Canada, et non des États-Unis »[2], mais a précisé que l’intimée pourrait présenter à nouveau sa demande [traduction] « afin de tenir compte des dernières offres relatives au transport intérieur ainsi que des dernières offres applicables aux autres marchandises qui sont transportées par chemin de fer et qui sont visées par la Loi ».

[3]        Le 22 janvier 1997, l’Office a reçu une autre demande datée de la veille en vue de régler le différend par voie d’arbitrage. Dans la lettre qu’il a fait parvenir à l’Office, l’avocat de l’intimée a mentionné que celle-ci était [traduction] « insatisfaite de la partie canadienne des prix exigés par les Chemins de fer nationaux du Canada […] à l’égard du transport ferroviaire des panneaux à copeaux orientés depuis son usine de Miramichi (Nouveau-Brunswick) jusqu’à différentes destinations canadiennes et américaines ». Il a ensuite cité certains documents d’information dans lesquels il était allégué que l’appelante était revenue sur un accord précédemment conclu au sujet des prix qui seraient exigés à l’égard du transport ferroviaire de marchandises depuis la nouvelle usine jusqu’à différentes destinations canadiennes et américaines, accord sur lequel l’intimée s’était fondée pour demander des fonds afin de financer la construction de l’usine à un coût d’environ 90 000 000 $CAN. L’avocat a ajouté qu’en mai 1995, alors que l’usine était encore en construction, l’appelante a fait savoir à l’intimée qu’elle exigerait des prix nettement supérieurs aux prix convenus précédemment. L’intimée ayant protesté, l’appelante est revenue sur cette décision, indiquant toutefois que sa proposition de prix initiale comportait [traduction] « une erreur d’écriture […] par suite de laquelle les prix proposés étaient sensiblement inférieurs à ceux que le CN avait l’intention d’exiger ou jugeait nécessaires, eu égard à la concurrence »[3]. Les travaux de construction de l’usine se sont poursuivis. Le 1er mars 1996, l’appelante a présenté à l’intimée un tarif indiquant les prix qui seraient exigés pour le transport vers quelque 2 000 points, lesquels prix étaient, comme l’avocat l’a indiqué dans la présentation, [traduction] « démesurément élevés et inacceptables ». L’intimée s’étant à nouveau opposée aux prix en question, l’appelante ne les a pas appliqués. Cependant, comme l’avocat l’indique au paragraphe 9 de la présentation, l’appelante est revenue à la charge le 9 septembre 1996 en présentant à l’intimée [traduction] « une liste de prix révisés qui étaient encore une fois nettement supérieurs aux prix initiaux et même aux prix subséquents que le CN s’était engagé à respecter », ce que l’intimée a jugé inacceptable.

[4]        La demande d’arbitrage a ensuite été formulée aux paragraphes 10 à 18 de la lettre du 22 janvier 1997. L’intimée a indiqué dès le départ, au paragraphe 10, qu’elle souhaitait soumettre [traduction] « la question de la partie canadienne des prix » à l’Office pour qu’il tranche la dernière offre par arbitrage conformément à la Loi. La dernière offre en question est ensuite formulée au paragraphe 13 en ces termes :

[traduction]

13. La dernière offre de l’expéditeur au transporteur en l’espèce est la suivante :

13.1 Prix pour le transport à destination des points canadiens

voir la colonne (A) du tableau 1 ci-joint (onglet 10)

13.2 Prix pour le transport à destination de 19 points représentatifs aux É.-U. :

le CN réduira la partie canadienne des prix qu’il a publiés dans son tarif du 9 septembre 1996 afin d’atteindre les niveaux de prix indiqués dans la colonne intitulée « Tarif TDL du CN en date du 1er mars 1996 » au tableau 2 ci-joint (onglet 11), ce qui donnera lieu aux prix que le CN s’est engagé à respecter envers EFP.

13.3 Prix pour le transport à destination des autres points américains :

les réductions appliquées aux 19 points représentatifs selon les indications de l’article 13.2 qui précède devront être calculées sur une base proportionnelle en fonction de la distance entre le point représentatif le plus rapproché et toutes les autres destinations mentionnées dans le tarif du CN en date du 1er mars 1996, le CN devant déduire ces réductions proportionnelles de la partie canadienne des prix fixés pour ces destinations, ce qui donnera lieu aux prix que le CN s’est engagé à respecter envers EFP.

Les prix susmentionnés doivent s’appliquer dans le cas des marchandises transportées dans des wagons couverts de 52’ 8 » fournis par le CN. Le CN doit absorber tous les frais de manœuvre ou les autres frais accessoires qu’il pourrait engager lorsque ses wagons sont transférés à un transporteur de liaison entre les points d’origine et de destination. Les prix relatifs aux marchandises transportées dans des wagons de grande capacité de 60’ ou 52’ fournis par le CN doivent être majorés respectivement de 12 p. 100 et de 14 p. 100. Les prix applicables au transport assuré au moyen des wagons couverts de 50’ fournis par le CN doivent être abaissés de 8 p. 100[4] .

Le 22 janvier 1997, l’intimée avait déjà en mains la dernière offre de l’appelante dont il est fait mention aux paragraphes 14 et 15 de sa présentation, offre que l’appelante avait exposée dans sa lettre du 9 septembre 1996.

[5]        L’intimée a formulé l’engagement suivant au paragraphe 16 de la présentation :

[traduction] 16. EFP s’engage à expédier les marchandises visées par l’arbitrage selon les termes de la décision de l’arbitre, suivant l’alinéa 161(2)c) de la Loi sur les transports au Canada[5].

[6]        L’appelante a réagi de deux façons à la lettre de l’intimée. Le 3 février 1997, elle a soutenu que l’Office n’avait pas compétence pour renvoyer le différend à l’arbitrage. Néanmoins, le même jour, elle a présenté à l’Office sa propre « dernière offre » qu’elle a formulée « sous réserve ». L’offre fait état des prix que l’appelante exigerait de l’intimée pour le transport vers les destinations canadiennes ainsi que d’un certain nombre de conditions, dont la cinquième est ainsi libellée :

[traduction]

5.   Les prix ne peuvent s’appliquer sous le régime de la Règle comptable 11 de l’Association of American Railroads, ni pour les nouveaux connaissements ni pour l’établissement des prix de liaison.

Peu après, le 13 février 1997, l’Office a rejeté l’opposition de l’appelante qui était fondée sur la compétence et renvoyé la demande de l’intimée à l’arbitrage[6].

[7]        Après avoir obtenu les documents que les parties ont déposés en application du paragraphe 163(2) de la Loi et entendu les arguments de celles-ci à différentes dates au cours des mois d’avril et de mai 1997, l’arbitre a rendu sa décision écrite le 30 mai 1997. Voici le paragraphe A de cette décision :

[traduction] A. L’offre choisie est la dernière offre que l’expéditeur, Eagle Forest Products Limited Partnership, a présentée à l’Office des transports du Canada dans une lettre datée du 22 janvier 1997.

[8]        Un peu plus tard, les 13 et 17 juin 1997, l’intimée a établi quatre connaissements relatifs au transport des panneaux à copeaux orientés que l’appelante devait assurer. Ces marchandises ont été expédiées aux acheteurs de l’État du New Hampshire et devaient être transportées par rail vers les destinations américaines via Saint John (Nouveau-Brunswick). Chacun des connaissements comportait la même clause suivante au sujet de l’itinéraire : [traduction] « CN (St. John), application de la règle 11 au-delà de St. John ». La « règle 11 » est la règle comptable AAR [Association of American Railroads] 11 », qui est apparemment destinée à être appliquée dans l’industrie ferroviaire [traduction] « afin de protéger la confidentialité des prix et de respecter les exigences des clients en permettant l’établissement de plusieurs factures de fret à l’égard des envois visés par un connaissement direct »[7]. En invoquant cette règle, l’intimée a fait savoir à l’appelante qu’elle avait pris des dispositions pour faire transporter les marchandises en question de Saint John jusqu’aux destinations américaines par un transporteur de liaison américain. Les instructions formulées dans les connaissements directs signifiaient que l’appelante devait transférer ses wagons à Saint John au transporteur de liaison américain indiqué par l’intimée, lequel transporteur acheminerait les panneaux à copeaux orientés jusqu’aux destinations américaines.

[9]        L’appelante a soutenu qu’en agissant ainsi, l’intimée ne respectait pas les conditions de la dernière offre que l’arbitre avait choisie ni son engagement d’expédier les marchandises « selon les termes de la décision de l’arbitre », suivant l’alinéa 161(2)c). Par conséquent, l’appelante a retenu les wagons contenant les marchandises en cause jusqu’à ce qu’elle obtienne des explications de l’intimée au sujet des instructions d’acheminement.

[10]      Le 20 juin 1997, l’intimée a déposé auprès de l’Office une plainte fondée sur le paragraphe 116(1) de la Loi, alléguant que l’appelante avait manqué à ses obligations de transporteur en refusant de transporter les marchandises et, plus précisément, qu’elle devrait être tenue, conformément au paragraphe 165(3) de la Loi, [traduction] « d’inscrire dans un tarif les prix et conditions que l’arbitre avait choisis à l’égard du transport des marchandises ».

[11]      À la même date, le 20 juin 1997, l’appelante a publié le tarif CNR 3030 visant notamment les prix du transport des panneaux à copeaux orientés depuis Chatham/Miramichi, au Nouveau-Brunswick, vers cinq destinations canadiennes. Le tarif comportait les restrictions suivantes :

[traduction] Les prix ne peuvent s’appliquer sous le régime de la Règle 11, ni pour les nouveaux connaissements ni pour l’établissement des prix de liaison. Les prix s’appliquent uniquement au transport de marchandises entièrement déchargées au Canada[8].

Le tarif devait entrer en vigueur le 23 janvier 1997 et expirer le 22 janvier 1998.

[12]      Le 17 juillet 1997, l’Office a tranché la plainte de l’intimée en date du 20 juin 1997 dans la décision et l’arrêté qui font l’objet du présent appel.

La position des parties

[13]      Devant l’Office et devant la Cour, l’appelante a soutenu que les instructions d’acheminement de l’intimée allaient à l’encontre de la décision de l’arbitre ainsi que de son engagement fondé sur l’alinéa 161(2)c). Selon l’appelante, l’intimée ne pouvait demander l’application de la procédure d’arbitrage prévue à la partie IV de la Loi et revenir subséquemment sur les conditions de l’offre parce qu’elle pouvait négocier des ententes plus avantageuses ailleurs. De plus, l’intimée n’avait pas intégré dans sa « dernière offre » les dispositions de la règle comptable 11 à l’égard du transport vers des destinations situées au-delà de Saint John (Nouveau-Brunswick), tandis que l’appelante avait explicitement exclu l’application de cette règle dans sa propre dernière offre. En établissant les quatre connaissements comme elle l’a fait en juin 1997, l’intimée a donc tenté de réécrire sa dernière offre. De l’avis de l’appelante, cette offre obligeait l’intimée à expédier la totalité de ses panneaux à copeaux orientés vers des destinations canadiennes aux prix indiqués dans cette offre. Tout service de transport assuré à l’extérieur du Canada vers des destinations américaines serait régi par la formule choisie par l’arbitre, selon les indications des paragraphes 13.2 et 13.3 de la dernière offre de l’intimée.

[14]      L’Office a rejeté ces arguments. Jugeant que les instructions d’acheminement de l’intimée n’allaient à l’encontre ni de la décision de l’arbitre ni de l’engagement fondé sur l’alinéa 161(2)c), l’Office a conclu que « rien dans l’offre choisie par l’arbitre n’indique que les prix établis pour les points canadiens devraient s’appliquer uniquement aux envois intérieurs pour lesquels un de ces points est la destination finale ou que les wagons doivent être déchargés à ces endroits »[9]. De l’avis de l’appelante, cette conclusion était [traduction] « manifestement erronée ».

[15]      L’intimée fait valoir que sa dernière offre, que l’arbitre a choisie, avait pour but de régler un différend concernant les prix de transport que l’appelante exigerait d’elle à l’égard des marchandises transportées tant vers des destinations canadiennes qu’américaines. Selon l’intimée, aucun élément de l’offre ou de l’engagement ne l’obligeait à faire transporter les marchandises destinées à des points situés à l’extérieur du Canada conformément à des ententes que l’appelante avait conclues avec le ou les transporteurs américains. La dernière offre était suffisamment souple, soutient-elle, pour lui permettre d’invoquer l’application de la règle comptable 11 une fois que l’appelante aurait assuré le transport des marchandises jusqu’à Saint John. En agissant ainsi, l’intimée peut expédier ses marchandises vers des destinations américaines en passant par le Canada au plus bas coût possible, conformément à la politique qui est énoncée expressément à l’article 5 de la Loi et dont l’Office a reconnu l’application dans sa décision. L’intimée insiste également sur le fait que l’appelante était le seul transporteur ferroviaire desservant son usine. L’intimée se trouvait donc dans la position d’un « expéditeur captif », élément dont l’arbitre devait tenir compte selon le paragraphe 164(2) de la Loi. Cette disposition énonce que, pour en arriver à une décision, l’arbitre tient compte « de la possibilité pour l’expéditeur de faire appel à un autre mode de transport efficace, bien adapté et concurrentiel, des marchandises en question ».

ANALYSE

[16]      Dans le présent appel, la Cour doit trancher deux questions distinctes. Elle doit d’abord décider quelle est la norme de révision applicable à la décision de l’Office et examiner ensuite cette décision à la lumière de la norme en question.

Norme de révision

[17]      L’article 41 de la Loi permet d’interjeter appel des décisions de l’Office. Voici les dispositions pertinentes de cet article :

41. (1) Tout acte—décision, arrêté, règle ou règlement—de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l’acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l’Office et audition de ceux d’entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

[…]

(3) L’appel est mené aussi rapidement que possible; la cour peut l’entendre en faisant toutes inférences non incompatibles avec les faits formellement établis par l’Office et nécessaires pour décider de la question de droit ou de compétence, selon le cas.

Il est donc permis, avec l’autorisation de la Cour, d’interjeter appel d’une décision de l’Office « sur une question de droit ou de compétence » seulement. La Cour peut, en vertu du paragraphe 41(3), faire des inférences non incompatibles avec les faits formellement établis par l’Office et nécessaires « pour décider de la question de droit ou de compétence ». Ces dispositions doivent toutefois être rapprochées de l’article 31 de la Loi, selon lequel la décision de l’Office « sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive ».

[18]      Dans l’arrêt Communauté urbaine de Toronto (Municipalité) c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada[10], la Cour a récemment examiné la question de la norme de révision applicable à la lumière de son arrêt antérieur Upper Lakes Group Inc. c. Canada (Office national des transports)[11] et de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[12]. L’arrêt Communauté urbaine de Toronto, précité, portait sur l’appel d’une décision par laquelle l’Office obligeait la municipalité et le CN à supporter à parts égales le coût en capital et les frais d’entretien d’une clôture longeant l’emprise du CN dans la vallée inférieure de la rivière Don. Pour en arriver à sa décision, l’Office a conclu que la clôture était une « installation ferroviaire » et que la municipalité était « bénéficiaire » de l’installation de la clôture au sens du paragraphe 16(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire[13]. S’inspirant du raisonnement suivi dans l’arrêt Southam, précité, le juge Strayer, J.C.A. a conclu, dans l’arrêt Communauté urbaine de Toronto, précité, que les questions de savoir si la clôture était une « installation ferroviaire » et si la municipalité « était bénéficiaire » étaient au fond des questions mixtes de droit et de fait, de sorte que la décision de l’Office était assujettie à la norme du caractère « raisonnable » plutôt qu’à la norme de la décision « correcte ». Bref, la question était celle de savoir « si les faits satisfont au critère juridique ».

[19]      La décision Southam, précitée, portait sur la norme de révision à appliquer à l’égard d’une décision que le Tribunal de la concurrence avait rendue en application de la Loi sur le Tribunal de la concurrence[14]. Même si cette loi ne renfermait aucune clause privative, le paragraphe 13(1) accordait un droit d’appel assez large devant la Cour à l’égard d’une décision ou ordonnance du tribunal « tout comme s’il s’agissait de jugements de la Section de première instance de cette Cour ». Le paragraphe 13(2) permet d’interjeter appel sur une question de fait uniquement avec l’autorisation de la Cour. Pour déterminer les limites qu’un tribunal d’appel devrait respecter dans l’exercice de ses fonctions d’appel découlant d’une loi, la Cour a tenu compte de la nature du problème dont le Tribunal était saisi, de la règle de droit applicable interprétée correctement à la lumière de son objet et des connaissances spécialisées du tribunal. Le juge Iacobucci a ensuite classé les questions soumises au Tribunal en trois catégories, soit les « questions de droit », les « questions de fait » et les « questions de droit et de fait ». Voici comment il a expliqué et illustré ces distinctions[15] :

Le paragraphe 12(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence classe les questions soumises au Tribunal en trois catégories : les questions de droit, les questions de fait et les questions de droit et de fait. En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Un exemple simple permettra d’illustrer ces concepts. En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la « négligence » est une question de droit. Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait. Une fois qu’il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait. Toutefois, je reconnais que la distinction entre les questions de droit, d’une part, et celles de droit et de fait, d’autre part, est difficile à faire. Parfois, ce qui semble être une question de droit et de fait se révèle une question de droit, ou vice versa.

Le juge a ajouté plus loin que, lorsqu’un tribunal commet une erreur « en appliquant le droit aux faits », il s’agira d’une « question de droit et de fait »[16]. Le juge Iacobucci a ensuite donné un autre exemple. Il a fait remarquer que la question à trancher dans l’affaire Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)[17], soit celle de savoir s’il fallait considérer des renseignements récemment obtenus comme un « changement important » dans l’exploitation d’une entreprise, était une question de droit plutôt qu’une question de droit et de fait. Il en était ainsi principalement « parce que les mots en cause se trouvaient dans une disposition législative et que les questions d’interprétation des lois sont généralement des questions de droit, mais aussi parce que le point litigieux était susceptible de se présenter à nouveau dans bon nombre de cas dans le futur : le débat concernait les types de renseignements et non simplement les renseignements particuliers visés par l’instance »[18].

[20]      Pour déterminer la norme de révision qu’il convenait d’appliquer dans cette affaire, le juge Iacobucci a accordé beaucoup d’importance à la nature spécialisée du tribunal et à sa grande compétence, qui lui permettait de comprendre et d’administrer un système de réglementation complexe[19]. Effectivement, il a considéré ce facteur comme « la considération la plus importante »[20]. Il me semble que l’Office peut être considéré à juste titre comme un tribunal spécialisé qui possède une compétence particulière pour trancher une question comme celle qui est en litige en l’espèce, en vertu d’un système de réglementation assez complexe.

[21]      La principale question que l’Office a tranchée dans sa décision et dans son arrêté du 17 juillet 1997 était celle de savoir s’il y avait lieu d’accueillir ou de rejeter la plainte de l’intimée fondée sur le paragraphe 116(1), selon laquelle en retenant les wagons de panneaux de copeaux orientés à certains endroits du Nouveau-Brunswick et en refusant de les transférer au transporteur ferroviaire américain précisé par l’intimée, l’appelante a manqué à son obligation de transporteur et il devait lui être enjoint de respecter la décision que l’arbitre a rendue le 13 mai 1997. Pour se prononcer à ce sujet, l’Office devait décider si les instructions d’acheminement de l’intimée allaient à l’encontre de la décision de l’arbitre ainsi que de l’engagement qu’elle avait formulé en application de l’alinéa 161(2)c). L’Office devait donc interpréter la dernière offre et l’engagement afin de décider si l’intimée avait le droit d’invoquer la règle comptable 11 dans ses instructions ou si elle était empêchée de le faire par les conditions de sa dernière offre et de son engagement en question. Il me semble que l’Office devait décider ici si les faits « satisfont au critère juridique »[21]. Il s’agit là essentiellement de questions de droit et de fait auxquelles la norme du caractère raisonnable s’applique.

[22]      Comme l’Office l’a lui-même souligné[22], l’article 5 de la Loi énonce un certain nombre d’objectifs politiques qui « sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux », à condition que « la concurrence et les forces du marché soient, chaque fois que la chose est possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces ». La Cour a déjà souligné l’importance de cet objectif politique pour le rôle de l’Office[23]. De plus, dans l’arrêt Communauté urbaine de Toronto[24], la Cour a mentionné que l’Office est « un tribunal spécialisé qui, avec ses prédécesseurs, cumule une centaine d’années d’expérience et qui [est] doté d’un personnel spécialisé ».

[23]      Je suis d’avis que la norme de révision à appliquer en l’espèce est celle du caractère raisonnable.

Le fond

[24]      J’examinerai d’abord le cadre législatif. Selon le paragraphe 161(1) de la Loi, l’expéditeur « insatisfait des prix appliqués ou proposés par un transporteur pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard » peut soumettre la question à l’Office pour arbitrage. Dans les 15 jours suivant le renvoi, les parties doivent, en vertu du paragraphe 163(3) de la Loi, s’échanger « les renseignements qu’elles ont l’intention de présenter à l’arbitre à l’appui de leurs dernières offres ». Selon le paragraphe 164(1), l’arbitre « tient compte des renseignements que lui fournissent les parties à l’appui de leurs dernières offres ». Dans la présente affaire, des renseignements ont été échangés et fournis à l’arbitre conformément à ces dispositions. Le paragraphe 164(2) de la Loi fait également à l’arbitre l’obligation de tenir compte « de la possibilité pour l’expéditeur de faire appel à un autre mode de transport efficace, bien adapté et concurrentiel, des marchandises en question ». Le paragraphe 165(3) oblige le transporteur à inscrire « sans délai après la décision de l’arbitre, les prix ou conditions liés à l’acheminement des marchandises choisis par l’arbitre dans un tarif du transporteur », sauf si le transporteur a le droit de ne pas dévoiler les prix ou conditions en question. Selon l’alinéa 165(6)a), sauf accord entre les parties à l’effet contraire, la décision de l’arbitre au sujet d’une dernière offre qui lui est soumise « est définitive et obligatoire, s’applique aux parties à compter de la date de la réception par l’Office de la demande d’arbitrage présentée par l’expéditeur et, aux fins de son exécution, est assimilée à un arrêté de l’Office ».

[25]      Si j’ai bien compris, l’intimée a demandé un arbitrage au sujet de sa dernière offre pour la simple raison, comme l’avocat l’a expliqué au paragraphe 10 de la lettre en date du 22 janvier 1997 qu’il a adressée à l’Office, qu’elle était insatisfaite de la partie canadienne des « prix » que l’appelante avait proposés dans sa lettre du 9 septembre 1996. Le débat était délimité en ces termes. Par conséquent, par suite de l’engagement qu’elle avait formulé en application de l’alinéa 161(2)c), l’intimée était tenue de payer les prix qui étaient précisés dans la dernière offre choisie ou qui seraient calculés en application de la formule énoncée dans celle-ci. L’appelante fait valoir que l’Office a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’intimée pouvait invoquer l’application de la règle comptable 11 dans ses instructions d’acheminement relatives aux destinations situées au-delà de Saint John. Elle souligne que la règle comptable 11 n’a pas été intégrée dans la dernière offre de l’intimée. De plus, dans sa dernière offre du 3 février 1997, l’appelante elle-même a exclu l’application de cette règle. Il s’ensuit que la dernière offre de l’intimée, que l’arbitre a choisie, et l’engagement de l’intimée qui était fondé sur l’alinéa 161(2)c) auraient dû inciter l’Office à conclure que celle-ci était tenue de faire transporter la totalité de ses envois de panneaux à copeaux orientés via le Canada depuis l’usine de Miramichi jusqu’aux différentes destinations canadiennes et américaines conformément aux conditions de l’offre en question.

[26]      Pour évaluer le bien-fondé des arguments opposés qui ont été invoqués devant lui, l’Office devait, d’abord et avant tout, interpréter les conditions de la dernière offre, les dispositions de l’alinéa 161(2)c) de la Loi qui obligeaient l’intimée à déposer un engagement ainsi que les conditions de l’engagement lui-même. J’estime que l’Office n’a pas oublié ces tâches lorsqu’il a fait son analyse. Il importe également de souligner que l’Office a tenu compte de l’énoncé de politique formulé à l’article 5 de la Loi. Il a d’ailleurs fait expressément allusion à cette déclaration qui figure au début de cette disposition ainsi qu’au libellé de l’alinéa b) de cet article.

[27]      Compte tenu de la compétence spécialisée de l’Office ainsi que du contexte législatif dans lequel il a rendu sa décision et pris son arrêté, j’estime que sa décision n’était pas déraisonnable. Pour reprendre les propos que le juge Iacobucci a formulés dans l’arrêt Southam, il n’est pas permis de dire que la décision n’est étayée par « aucun motif capable de résister à un examen assez poussé »[25] ou qu’elle est « manifestement erronée »[26]. Même si l’intimée n’a pas explicitement invoqué l’application de la règle comptable 11 dans sa dernière offre, l’Office pouvait raisonnablement conclure qu’elle avait le droit de le faire. Cette règle n’est nullement mentionnée dans la dernière offre, laquelle visait plutôt à déterminer les prix que l’appelante pourrait exiger comme transporteur des marchandises. Si les marchandises étaient transportées à Saint John et déchargées à cet endroit, les prix indiqués dans la dernière offre pourraient être exigés. En revanche, si l’appelante devait prendre des dispositions pour acheminer les marchandises jusqu’aux établissements des clients de l’intimée au New Hampshire, la formule prévue au paragraphe 13.3 de la dernière offre s’appliquerait.

[28]      Je ne vois pas en quoi l’Office a commis une erreur qui justifierait notre intervention dans le présent appel lorsqu’il a conclu que la dernière offre et l’engagement fondé sur l’alinéa 161(2)c) n’obligeaient pas l’intimée à utiliser les services de l’appelante pour le transport des marchandises au-delà de Saint John. À mon avis, il s’agit d’une question qui était bel et bien visée par la compétence spécialisée de l’Office et que celui-ci pouvait trancher en prenant en considération les faits, la Loi et les facteurs politiques sous-jacents qui sont énoncés à l’article 5 de celle-ci.

[29]      Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris aux motifs exprimés par le juge Stone.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux motifs exprimés par le juge Stone.



[1]  L.C. 1996, ch. 10.

[2]  LET-R-9-1997, 10 janvier 1997, dossier d'appel, vol. I, à la p. 35.

[3]  Lettre du CN adressée à Eagle Forest Products en date du 6 novembre 1995, dossier d'appel, vol. II, à la p. 89.

[4]  Lettre adressée par Eagle Forest Products à l'Office des transports du Canada en date du 22 janvier 1997, ibid., aux p. 72 à 76.

[5]  Cet engagement reprend le texte législatif [art. 161(2)c) de la Loi] « d'expédier les marchandises visées par l'arbitrage selon les termes de la décision de l'arbitre » « to ship the goods to which the arbitration relates in accordance with the decision of the arbitrator ».

[6]  LET-R-50-1997, 13 février 1997, dossier d'appel, vol. II, aux p. 134 à 136.

[7]  Cette règle fait partie des Railway Accounting Rules (y compris les ISS Rules), qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 1997 (à moins qu'il n'en soit indiqué autrement), dossier d'appel, vol. III, à la p. 399.

[8]  Tarif CNR 3030 en date du 20 juin 1997, dossier d'appel, vol. IV, aux p. 444 à 446.

[9]  Décision no 457-R-1997, 17 juillet 1997, dossier d'appel, vol. I, à la p. 19.

[10]  [1998] 4 C.F. 506 (C.A.).

[11]  [1995] 3 C.F. 395 (C.A.).

[12]  [1997] 1 R.C.S. 748.

[13]  L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32.

[14]  L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19.

[15]  Supra, note 12, aux p. 766 et 767.

[16]  Ibid., à la p. 770.

[17]  [1994] 2 R.C.S. 557.

[18]  Supra, note 12, à la p. 767.

[19]  Ibid., à la p. 779.

[20]  Ibid., à la p. 775.

[21]  Ibid., à la p. 767.

[22]  Décision no 457-R-1997, précitée, note 9, à la p. 20.

[23]  Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports), [1992] 3 C.F. 145 (C.A.); Upper Lakes, supra, note 11, motifs du juge en chef Isaac, aux p. 412 et 413, et du juge Hugessen, aux p. 435 à 438; Sharp c. Canada (Office des transports), [1999] 4 C.F. 363 (C.A.), motifs du juge Rothstein, à la p. 372.

[24]  Supra, note 10, à la p. 519. Voir également l'arrêt Upper Lakes, précité, note 11, motifs du juge d'appel Hugessen, à la p. 434, où l'Office est décrit comme un « tribunal hautement spécialisé ».

[25]  Supra, note 12, à la p. 776.

[26]  Ibid., à la p. 779.

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