Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2000] 1 C.F. 325

A-389-96 (T-639-92)

La Bande indienne de Matsqui et le Conseil de la Bande indienne de Matsqui (appelants) (intimés)

c.

Canadien Pacifique Limitéeet Unitel Communications Inc. (intimées) (requérantes)

et

La Bande indienne de Little Shuswap, le Conseil de la Bande indienne de Little Shuswap, le chef Clarence T. (Manny) Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne (intervenants)

A-386-96 (T-2790-93)

La Bande indienne de l’île Seabird et le Conseil de la Bande indienne de l’île Seabird (appelants) (intimés)

c.

Canadien Pacifique Limitée (intimée) (requérante)

et

La Bande indienne de Little Shuswap, le Conseil de la Bande indienne de Little Shuswap, le chef Clarence T. (Manny) Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne (intervenants)

A-403-96 (T-2780-93)

La Bande indienne de Boothroyd et le Conseil de la Bande indienne de Boothroyd (appelants) (intimés)

c.

Canadien Pacifique Limitée (intimée) (requérante)

et

La Bande indienne de Little Shuswap, le Conseil de la Bande indienne de Little Shuswap, le chef Clarence T. (Manny) Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne (intervenants)

A-479-96 (T-2781-93)

La Bande indienne de Cook’s Ferry et le Conseil de la Bande indienne de Cook’s Ferry (appelants) (intimés)

c.

Canadien Pacifique Limitée (intimée) (requérante)

et

La Bande indienne de Little Shuswap, le Conseil de la Bande indienne de Little Shuswap, le chef Clarence T. (Manny) Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne (intervenants)

A-480-96 (T-1316-92)

La Bande indienne de Skuppah et le Conseil de la Bande indienne de Skuppah (appelants) (intimés)

c.

Canadien Pacifique Limitée (intimée) (requérante)

et

La Bande indienne de Little Shuswap, le Conseil de la Bande indienne de Little Shuswap, le chef Clarence T. (Manny) Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne (intervenants)

Répertorié : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Desjardins et Robertson, J.C.A.—Vancouver, 18, 19, 20, 21 janvier; Ottawa, 25 juin 1999.

Peuples autochtones Taxation Invalidité des avis d’évaluation délivrés en vertu de règlements administratifs imposant des taxes pris en application de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens à l’égard de Canadien Pacifique relativement à des droits de passage traversant des réserves en Colombie-BritanniqueLes droits de passage constituent-ils des terres « situées dans la réserve » à l’égard desquelles les bandes ont compétence?Les règlements administratifs sont-ils discriminatoires du fait que seuls les droits des non-Indiens sur des immeubles situés dans la réserve sont assujettis à la taxation?

Chemins de fer Invalidité des avis d’évaluation délivrés en vertu de règlements administratifs imposant des taxes pris en application de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens à l’égard de Canadien Pacifique (CP) relativement à des droits de passage traversant des réserves en Colombie-BritanniqueNature du titre de CP sur les terres qui forment ses droits de passage traversant différentes réservesInteraction entre la Loi sur les Indiens, l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique et la Loi sur les chemins de ferLa Couronne avait-elle le pouvoir de transférer le titre en fief simple à CP?Les droits de passage de CP traversant les réserves constituent-ils des terres « situées dans la réserve » à l’égard desquelles les bandes avaient compétence?Est-ce que CP subit de la discrimination du fait que seuls les droits des non-Indiens sur des immeubles situés dans la réserve sont assujettis à la taxation par les règlements administratifs?

Droit administratif Contrôle judiciaire TaxationLes règlements imposant des taxes pris par les bandes indiennes, qui exemptent de la taxation les droits des Indiens sur des terres, sont-ils discriminatoires?Les conseils de bande indienne peuvent-ils se soustraire à l’application des principes de droit administratif régissant les organismes d’origine législative subordonnés?

En l’espèce, chaque conseil de bande indienne appelant a délivré des avis d’évaluation à l’égard de Canadien Pacifique Ltée (CP) en vertu de nouveaux règlements administratifs imposant des taxes pris en application de l’article 83 de la Loi sur les Indiens. CP a contesté les avis d’évaluation en soutenant qu’ils étaient invalides parce que les droits de passage traversant les réserves étaient détenus en fief simple extinguible et qu’ils ne constituaient donc pas des terres situées dans la réserve à l’égard desquelles les bandes indiennes avaient compétence et en plaidant que les règlements administratifs étaient invalides parque discriminatoires du fait que seuls les droits des non-Indiens sur des immeubles situés dans la réserve étaient assujettis à la taxation. Le juge des requêtes a retenu ces deux arguments. C’est cette décision qui est visée par les appels.

Arrêt (le juge Robertson J.C.A. étant dissident) : les appels sont rejetés.

Le juge Marceau J.C.A. : Si les terres appartiennent à CP en fief simple, elles ne sont plus des terres dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mises de côté à l’usage et au profit des Indiens. Dans le cas contraire, elles ne peuvent être considérées comme ayant été exclues des réserves et elles sont taxables. La question du titre doit se limiter au choix entre le fief simple et la servitude. Il n’existe véritablement qu’une seule question à trancher, soit celle de savoir si la Couronne avait le pouvoir de transférer un titre en fief simple, comme elle l’a fait en apparence dans toutes les lettres patentes et les concessions.

Il est important de garder à l’esprit les circonstances historiques très spéciales dans lesquelles l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique (la Loi du CP) a pris naissance : l’obligation imposée au gouvernement fédéral par l’Acte d’union intégrant la colonie de la Colombie-Britannique au Canada de construire un chemin de fer reliant le littoral de la nouvelle province au réseau des chemins de fer du reste du pays; l’inexécution par le gouvernement de son obligation dans le délai prévu de dix ans; la nécessité de prendre toutes les mesures requises pour terminer ce qui avait été commencé; enfin, le fait que la mise en œuvre d’une solution viable, après tout ce temps, mettait en jeu la bonne foi et l’honneur du gouvernement. Personne ne devrait s’étonner qu’on ait voulu qu’une loi édictée en pareilles circonstances produise des effets extraordinaires. Toutefois, ce qui importait, ce ne sont pas les motifs pour lesquels chaque transfert a été effectué, mais sa légalité dans la mesure où il atteste la concession d’un fief simple. Il fallait donc analyser non pas les événements historiques, mais les dispositions pertinentes de la Loi du CP comme source du pouvoir de délivrer chacun des actes de transfert. Toutes les personnes concernées par la délivrance des lettres patentes avaient la conviction que les terres sur lesquelles était situé le chemin de fer construit par le gouvernement devaient être transférées séparément du chemin de fer même. Il était parfaitement naturel que, s’il existait une obligation de transférer le chemin de fer et les terres, le contrat traite les terres et le chemin de fer séparément.

L’article 5 de la Loi sur le CP et la clause 7 du contrat, que la Loi visait à mettre en œuvre, ne visaient pas les terres. Les autres clauses du contrat ont mené à la conclusion que CP désirait devenir propriétaire des terres. On ne peut voir pourquoi CP aurait voulu devenir propriétaire des terres sur lesquelles devaient reposer ses voies dans les sections de l’est (reliant le lac Nipissing à Selkirk) et du centre (allant de Selkirk à Kamloops) du chemin de fer, et n’aurait pas été intéressée à en être propriétaire dans la section de l’ouest. Si elle souhaitait détenir la propriété de ces terres pour toute la durée de ses activités, il semble évident que la compagnie a dû tenter d’obtenir un droit absolu sur les terres transférées en s’assurant de l’extinction de tout droit ancestral sur ces terres, peu importe leur emplacement. La Loi du CP devait conférer au gouvernement le pouvoir et l’obligation de transférer en fief simple, et libres de tout droit des Indiens, toutes les terres requises pour le chemin de fer relativement à chacune des trois sections. Aucun élément de la Loi du CP ni des différents documents de transfert délivrés sous son régime ne laisse croire à la concession d’un droit différent d’un titre en fief simple. Par conséquent, les terres du droit de passage du chemin de fer traversant les réserves n’étaient pas des terres de réserve sur lesquelles les appelants pouvaient exercer leur pouvoir de taxation.

Le juge Robertson a eu raison de dire que le juge responsable des requêtes avait eu tort de conclure que les règlements étaient invalides parce qu’ils étaient discriminatoires. On ne peut comprendre la raison d’être de la distinction qu’a faite le juge responsable des requêtes entre les possibilités de traitements différents qu’il considérait autorisés implicitement et celles qu’il rejetait puisque, dans tous les cas, ce sont les contribuables qui sont visés. Depuis les toutes premières dispositions de la Loi sur les Indiens, les Indiens bénéficient d’un privilège très important du fait qu’ils sont exemptés de taxes relativement à l’usage et à l’occupation de leurs terres de réserve, ce privilège étant exprimé en termes généraux et accordé à chaque Indien individuellement. Il paraît inconcevable que le Parlement ait pu assujettir l’exercice par les bandes de leur nouveau pouvoir de prélever des taxes à la renonciation forcée implicite de tous les membres de la bande à ce privilège fondamental, sans le préciser en des termes non équivoques. Lorsqu’on parle des éléments du statut particulier d’un groupe de personnes dans une collectivité, établis par le législateur, on peut parler d’inégalité, bien sûr, mais pas nécessairement de discrimination. Il paraît tout à fait inopportun d’appliquer aux nouveaux pouvoirs de réglementation des bandes indiennes les principes d’interprétation élaborés en droit municipal. Les pouvoirs de taxation dont sont investies les municipalités existent uniquement dans le but de favoriser l’objectif d’efficacité du gouvernement sur le plan du fonctionnement et de l’administration. L’attribution récente de pouvoirs de taxation aux bandes indiennes vise un objectif beaucoup plus vaste et axé sur des considérations humanitaires, qui ne peut être envisagé que dans le contexte l’encouragement au développement de la capacité des autochtones à se gouverner eux-mêmes et qui, par conséquent, procède dans une certaine mesure de droits et de responsabilités antérieurs à toutes les lois concernant les Indiens. On commettrait une erreur en assujettissant ces deux ensembles de règles à la même norme sur le plan de la souplesse, de la rigidité et des limites imposées.

Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : Le juge Robertson a eu raison de dire que les terres formant le droit de passage de CP sont « situées dans la réserve » au sens de l’article 83 de la Loi sur les Indiens. Les appels doivent toutefois être rejetés parce que les règlements administratifs imposant des taxes pris par les appelants, qui exemptent de la taxation les droits des Indiens sur des terres, sont discriminatoires. Il sont contraires aux principes fondamentaux du droit administratif.

Le but de l’article 87—qui, sous réserve de l’article 83, exempte les biens des Indiens de la taxation—est d’empêcher qu’un palier de gouvernement, par l’imposition de taxes, puisse porter atteinte à l’intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes : Mitchell c. Bande indienne de Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Toutefois, l’exemption prévue par l’article 87 se limite aux taxes imposées par des gouvernements non indiens. L’article 83 est destiné à faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des autochtones en permettant aux bandes d’exercer sur leurs réserves le pouvoir proprement gouvernemental de taxation : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. Il faut interpréter l’alinéa 83(1)a) de la Loi, lu conjointement avec l’article 87, comme permettant au conseil de bande, avec l’approbation du ministre, de déroger à l’article 87 et de taxer, à des fins locales, les terres et les droits sur les terres situées dans la réserve appartenant aux Indiens et à des non-Indiens, y compris les droits d’occupation, de possession et d’usage d’une terre située dans la réserve. Aucun des termes utilisés dans l’alinéa 83(1)a) de la Loi ne garantit aux Indiens qu’ils ne seront pas taxés par leurs conseils de bande. L’effet de l’alinéa 83(1)a) consiste à donner aux conseils de bande le pouvoir de taxer tous les droits situés dans la réserve, qu’ils appartiennent à des Indiens ou à des non-Indiens. Il ne soustrait pas les droits des Indiens au pouvoir de taxation des conseils de bande, comme le fait l’article 87 à l’égard des lois fédérales et provinciales.

La règle selon laquelle le pouvoir de faire des règlements ne comporte pas celui d’édicter des dispositions discriminatoires à moins que les textes législatifs habilitants ne prescrivent le contraire a été observée de temps immémorial en droit public anglais et canadien : Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368. Bien que les conseils de bande constituent des organismes d’origine législative subordonnés qui sont sui generis, ils ne peuvent se soustraire aux principes de droit administratif régissant les organismes d’origine législative subordonnés. Les règlements administratifs sont invalides en entier, car on ne peut présumer qu’ils auraient été adoptés si les conseils de bande avaient su que certaines de leurs dispositions (exemptant les bandes indiennes de la taxation) étaient invalides.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) : Les appels devraient être accueillis. CP ne pouvait valablement acquérir le titre en fief simple sur les droits de passage. Elle a acquis, tout au plus, une servitude légale ou une permission. Par conséquent, les terres en cause sont « situées dans la réserve », au sens de la Loi sur les Indiens et, partant, les avis d’évaluation sont valides. De plus, les règlements administratifs ne sont pas ultra vires pour cause de distinction illicite et ils sont donc valides.

Les terres formant les droits de passage

Pour déterminer la nature du titre transféré en tenant compte de l’effet combiné de la législation sur les chemins de fer, de la législation sur les Indiens et de la Loi du CP, il faut examiner des questions fondamentales telles : 1) la définition des terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens; 2) l’intention qu’avait le Parlement lorsqu’il a transféré les terres des chemins de fer à CP; et, question plus importante, 3) celle de savoir si la Couronne avait le pouvoir nécessaire pour transférer le titre en fief simple à CP.

1) La définition des termes « réserve » et « terres désignées » a été examinée. Les actes de transfert reçus par CP et produits devant la Cour prétendent transférer le titre en fief simple, et non un fief extinguible, relativement à chacun des droits de passage. Il reste à décider si la Couronne avait le pouvoir de transférer le titre en fief simple, malgré les dispositions de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur les chemins de fer.

Il est clair que pour échapper à l’application du paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879, selon lequel nulle compagnie de chemin de fer ne peut prendre possession, employer ni occuper des terrains appartenant à Sa Majesté, sans le consentement du Gouverneur en conseil et les terres ainsi acquises ne peuvent être aliénées, il faut satisfaire à deux conditions : 1) une loi spéciale doit être édictée; 2) cette loi doit contenir une disposition expresse qui précise les dispositions de la Loi sur les chemins de fer auxquelles il déroge. Si ces conditions préalables ne sont pas respectées, la Couronne ne peut pas transférer, et les compagnies de chemin de fer ne peuvent pas acquérir le titre en fief simple sur des terres de la Couronne, y compris des terres de réserve, puisque l’aliénation de ces terres est interdite par la Loi sur les chemins de fer. CP a obtenu tout au plus des servitudes légales sur les droits de passage ou la permission d’utiliser et d’occuper les terres de réserve nécessaires pour les besoins du chemin de fer. Lorsque CP acquiert des terres de la Couronne il le fait sous réserve de la restriction quant à l’aliénation établie par le paragraphe 7(3). Aucune clause du contrat jointe en annexe à la Loi du CP n’écarte la restriction à l’aliénation établie à l’égard des terres de la Couronne acquises par les compagnies de chemin de fer ni ne permet d’y déroger. En conséquence, CP ne pouvait pas obtenir légalement le titre en fief simple sur les droits de passage, les droits de passage sont situés dans la réserve et les avis d’évaluation sont valides. Les dispositions de la Loi du CP et du contrat ne doivent donc pas être interprétées de façon à éteindre les droits des Indiens sur les terres de réserve en l’absence d’une disposition contraire claire et expresse. Il a été souligné qu’ « il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger » : Mitchell c. Bande indienne de Peguis . En l’espèce, il n’était ni raisonnable ni nécessaire de statuer que l’expression « propriété absolue », dans l’article 5 de la Loi du CP et la clause 7 du contrat, visait à permettre une dérogation aux dispositions de la Loi sur les Indiens de façon à éteindre effectivement le titre des Indiens sur les terres de réserve. CP n’a jamais eu besoin que d’une servitude légale pour exploiter efficacement sa ligne de chemin de fer traversant les terres de réserve, et que d’une permission légale à l’égard des terrains adjacents utilisés pour l’exploitation du chemin de fer. L’extinction n’étant pas prévue expressément, CP ne peut réclamer légitimement plus que ce qui est nécessaire à l’exploitation efficace de son chemin de fer. Interprétée correctement, l’obligation contractuelle de la Couronne de transférer le titre absolu sur le chemin de fer à Canadien Pacifique ne l’emporte pas sur ces deux propositions. De plus, l’obligation d’éteindre le titre des Indiens se limitait aux terres situées dans les sections du centre et de l’est du chemin de fer. Elle ne s’étendait pas à la section de l’ouest

Discrimination

Il est bien établi que la Loi sur les Indiens ne contient aucune disposition expresse permettant de traiter différemment les membres de la bande relativement aux terres de réserve. La question qui est au cœur des appels est celle de savoir si un conseil de bande doit assujettir à la fois les Indiens et les non-Indiens aux règlements administratifs par lesquels il impose des taxes. L’ approbation ministérielle des règlements administratifs imposant des taxes ne revêt aucune importance étant donné que le ministre est assujetti aux mêmes contraintes que les bandes indiennes appelantes. Seulement deux questions doivent être examinées en ce qui concerne la discrimination. La première consiste à savoir si le législateur avait l’intention d’autoriser le type de discrimination alléguée par CP. L’unique preuve objective de l’intention du législateur se trouve dans une brochure distribuée par le ministre selon laquelle les Indiens des réserves continueraient à être exemptés des taxes. La seconde est celle de savoir s’il faut conclure à l’existence du pouvoir d’établir une distinction, par déduction nécessaire. Chaque fois qu’une cour de justice est appelée à conclure qu’un terme fait implicitement partie d’une loi, on lui demande d’examiner des intérêts opposés et de décider lesquels doivent l’emporter. En l’espèce, cet examen comparatif est favorable aux appelants. Dans la mesure où l’exemption de taxes visant le droit des Indiens sur les terres de réserve procède de notions de souveraineté des autochtones, elle doit être protégée, à moins d’indication contraire dans la loi. En outre, il est très significatif que la Loi sur les Indiens établisse, par sa nature même, des distinctions entre les Indiens et les non-Indiens au Canada. Comme les règlements administratifs pris par une bande indienne en vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens constituent de la législation déléguée, il est raisonnable d’inférer que le pouvoir constitutionnel d’établir une distinction entre les Indiens et les non-Indiens en matière de taxation a été délégué aux conseils de bande indienne. Cependant, toute tentative d’un conseil de bande d’imposer la totalité du fardeau fiscal uniquement aux non-Indiens ne résisterait pas au moindre examen. Il existe des processus d’appel auxquels CP a accès, outre les tribunaux. De même, ce ne sont pas les autorités de la bande qui procèdent aux évaluations, mais la British Columbia Assessment Authority, qui relève du gouvernement provincial.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte amendant l’Acte des Sauvages, S.C. 1887, ch. 33, art. 5.

Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, S.C. 1881, ch. 1, art. préambule, 5, annexe, art. 7, 9, 10, 11, 12, 14, 22, ann. A, art. 17, 18.

Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29, art. 5, 6, 99, 101, 103.

Acte des chemins de fer, S.R.C. 1886, ch. 109, art. 3.

Acte des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, ch. 58, art. 5, 136.

Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43, art. 35, 38.

Acte du chemin de fer canadien du Pacifique, 1874, S.C. 1874, ch. 14.

Acte pour protéger les sauvages dans le Haut Canada, contre la fraude, et les propriétés qu’ils occupent ou dont ils ont jouissance, contre tous empiètements et dommages, S.C. 1850, ch. 74, art. 4.

Acte refondu des chemins de fer, 1879, S.C. 1879, ch. 9, art. 2(2),3, 7(3),(18).

Acte relatif aux Sauvages, 1880, S.C. 1880, ch. 28, art. 31, 36.

An Act relating to the Island Railway, the Graving Dock, and Railway Lands of the Province, S.B.C. 1883, ch. 14.

An Act to grant public lands on the Mainland to the Dominion in aid of the Canadian Pacific Railway, 1880, S.B.C. 1880, ch. 11.

B.C. Order in Council 1036/1938.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15, 25.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10, art. 11.

Décret C.P. 1891-1653.

Décret C.P. 1930-1116.

Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), appendice II, no 9.

Indian Self Government Enabling Act, S.B.C. 1990, ch. 52, art. 11.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).

Loi des chemins de fer, S.R.C. 1906, ch. 37, art. 4, 175.

Loi des chemins de fer, S.R.C. 1927, ch. 170, art. 189.

Loi des chemins de fer, 1919, S.C. 1919, ch. 68, art. 192.

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 48, 50.

Loi modifiant la Loi des Sauvages, S.C. 1911, ch. 14, art. 1.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens (terres désignées), L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1.

Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81, art. 46 (mod. par S.C. 1911, ch. 14, art. 1), 48.

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 134, 137.

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, ch. 234, art. 192, 195.

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, art. 130, 133.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) « terres désignées » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1), « réserve » (mod., idem), 23, 28, 35, 37 (mod., idem, art. 2), 83 (mod., idem, art. 10), 87.

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 35, 37.

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 96, 185.

Proclamation royale (1763), L.R.C. (1985), appendice II, no 1.

Traité no 3 (1873).

Traité no 4 (1875).

Traité no 5 (1875).

Traité no 6 (1876).

Traité no 7 (1877).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Vancouver, City of v. Canadian Pacific Ry. Co. (1894), 23 R.C.S. 1; Canadian Pacific Ry. Co. v. James Bay Ry. Co. (1905), 36 R.C.S. 42; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877; (1992), 90 D.L.R. (4th) 129; 41 C.C.E.L. 1; [1992] 3 C.N.L.R. 181; [1992] 1 C.T.C. 225; 92 DTC 6320; 136 N.R. 161; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657; (1997), 147 D.L.R. (4th) 385; [1997] 8 W.W.R. 332; 35 B.C.L.R. (3d) 218; 92 B.C.A.C. 161; [1997] 3 C.N.L.R. 282; 40 M.P.L.R. (2d) 131; 213 N.R. 290; 150 W.A.C. 161; Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650; (1993), 100 D.L.R. (4th) 167; 10 Admin. L.R. (2d) 196; 79 C.C.C. (3d) 142; 19 C.R. (4th) 329; 14 M.P.L.R. (2d) 35; 149 N.R. 161; 61 O.A.C. 161; Whitebear Band Council and Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al., Re (1982), 135 D.L.R. (3d) 128; [1982] 3 W.W.R. 554; 15 Sask. R. 37 (C.A. Sask.); Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201; 144 D.L.R. (3d) 21; 116 A.P.R. 201; 7 C.R.R. 46 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canadian Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1998), 162 D.L.R. (4th) 649; [1999] 1 C.N.L.R. 42; 228 N.R. 378 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1999] 1 R.C.S. x; Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (1985), 17 D.L.R. (4th) 591; [1985] 3 C.N.L.R. 15; 32 L.C.R. 65; 58 N.R. 241 (C.A.); British Columbia (Assessor of Area #25Northwest-Prince Rupert) v. N & V Johnson Services Ltd. (1990), 73 D.L.R. (4th) 170; [1991] 1 W.W.R. 527; 49 B.C.L.R. (2d) 173; [1991] 1 C.N.L.R. 90; 1 M.P.L.R. (2d) 170 (C.A.); Westbank Property Management Ltd. v. Assessor of Area #19Kelowna, [1993] 1 C.N.L.R. 176 (C.S.C.B.); Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in right of Saskatchewan (1979), 102 D.L.R. (3d) 333; [1979] 6 W.W.R. 84 (C.A. Sask.); Re Stony Plain Indian Reserve No. 135 Development (1981), 35 A.R. 412; 130 D.L.R. (3d) 636; [1982] 1 W.W.R. 302; [1982] 1 C.N.L.R. 133 (C.A. Alb.); Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90; (1988), 52 D.L.R. (4th) 432; 32 Admin. L.R. 211; 10 C.H.R.R. D/5454; 87 N.R. 37; 17 C.A.Q. 241; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; (1994), 110 D.L.R. (4th) 1; [1994] 3 W.W.R. 609; 88 B.C.L.R. (2d) 145; 20 Admin. L.R. (2d) 202; 41 B.C.A.C. 81; 20 M.P.L.R. (2d) 1; 163 N.R. 81; 66 W.A.C. 81; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; (1990), 70 D.L.R. (4th) 427; 56 C.C.C. (3d) 225; [1990] 3 C.N.L.R. 127; 109 N.R. 22; 30 Q.A.C. 287; Bande de Cook’s Ferry (Membres de la) c. Bande de Cook’s Ferry, [1990] F.C.J. no 546 (C.A.) (QL); Re Stacey and Montour and The Queen (1981), 63 C.C.C. (2d) 61; [1982] 3 C.N.L.R. 158 (C.A. Qué.); Thompson v. Fraser Companies Ltd., [1930] R.C.S. 109; (1929), 3 D.L.R. 778; The King v. Bonhomme (1917), 16 R.C.É. 437; 38 D.L.R. 647; conf. par (1918), 59 R.C.S. 679; 49 D.L.R. 690; B.C. (A.G.) v. Mount Currie Indian Band (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 156; 4 C.N.L.R. 3 (C.A.); Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119; (1997), 147 D.L.R. (4th) 1; [1997] 7 W.W.R. 253; 90 B.C.A.C. 1; [1998] 1 C.N.L.R. 134; 211 N.R. 241; 9 R.P.R. (3d) 115; 147 W.A.C. 1; Dugdale v. Dugdale (1888), 38 Ch. D. 176; In re Macleay (1875) L.R. 20 Eq. 186; Reese et al. v. The Queen, [1957] R.C.S. 794; (1957), 10 D.L.R. (2d) 479; Hartley v. Matson (1902), 32 R.C.S. 644; 2 M.C.C. 23; St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211; [1950] 2 D.L.R. 225; Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town) (1997), 145 D.L.R. (4th) 552; [1998] 2 C.N.L.R. 66 (C.S.C.-B.); Gitanmaax Indian Band v. British Columbia Hydro and Power Authority (1991), 84 D.L.R. (4th) 562; [1992] 4 C.N.L.R. 28 (C.S.C.-B.); St. Catherine’s Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.); C.P.R. v. A.G. for Saskatchewan, [1951] R.C.S. 190; [1951] 1 D.L.R. 721; (1950), 67 C.R.T.C. 203; [1951] C.T.C. 26; Halley, James J. v. Minister of National Revenue, [1963] R.C.É. 372; [1963] C.T.C. 108; (1963), 63 DTC 1090; Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 91 N.B.R. (2d) 43; 53 D.L.R. (4th) 487; 232 A.P.R. 43; [1989] 1 C.N.L.R. 47; 89 N.R. 325; 1 R.P.R. (2d) 105; Calder et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; (1973), 34 D.L.R. (3d) 145; [1973] 4 W.W.R. 1; Delgamuukw v. British Columbia (1991), 79 D.L.R. (4th) 185; [1991] 33 W.W.R. 97 (C.S.C.-B.); mod. par (1993), 104 D.L.R. (4th) 470; [1993] 5 W.W.R. 97; 30 B.C.A.C. 1; [1993] 5 C.N.L.R. 1; 49 W.A.C. 1 (C.A.C.-B.); inf. en partie par [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; 220 N.R. 161; 162 W.A.C. 161; Four B Manufacturing Ltd. c. Les Travailleurs unis du vêtement d’Amérique et al., [1980] 1 R.C.S. 1031; (1979), 102 D.L.R. (3d) 385; 80 CLLC 14,006; [1979] 4 C.N.L.R. 21; 30 N.R. 421; Western Industrial Contractors Ltd. v. Sarcee Development Ltd. (1979), 15 A.R. 309; 98 D.L.R. (3d) 424; [1979] 3 W.W.R. 631 (C.A.); Sabattis v. Oromocto Indian Band (1986), 76 N.B.R. (2d) 227; 32 D.L.R. (4th) 680; 21 Admin. L.R. 294; 192 A.P.R. 227; [1987] 3 C.N.L.R. 99; 14 C.P.C. (2d) 46 (C.A.); Chadee v. Norway House First Nation (1996), 113 Man. R. (2d) 110; 139 D.L.R. (4th) 589; [1996] 10 W.W.R. 335; 43 Admin. L.R. (2d) 92; 23 C.C.E.L. (2d) 1; [1997] 2 C.N.L.R. 48; 131 W.A.C. 110 (C.A.); Deer c. Conseil Mohawk de Kahnawake, [1991] 2 C.F. 18 (1990), 41 F.T.R. 306 (1re inst.); Bande indienne de Batchewana (Membres non-residents) c. Bande indienne de Batchewana, [1994] 1 C.F. 394 (1993), 107 D.L.R. (4th) 582; [1994] 1 C.N.L.R. 71; 18 C.R.R. (2d) 354; 67 F.T.R. 81 (1re inst.); Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 232; [1997] 1 C.N.L.R. 1; 116 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.); Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; Harel c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851; (1977), 80 D.L.R. (3d) 556; [1977] CTC 441; 77 DTC 5438; 18 N.R. 91; McClanahan v. Arizona State Tax Comm’n, 411 U.S. 164 (1973); Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976); Re Leonard and The Queen in right of British Columbia (1984), 11 D.L.R. (4th) 226; [1984] 4 W.W.R. 37; 52 B.C.L.R. 389; [1984] 4 C.N.L.R. 21 (C.A.C.-B.).

DOCTRINE

Bartlett, Richard H. Indians and Taxation in Canada, 3rd ed. Saskatoon : Native Law Centre, 1992.

Burn, E. H. Cheshire and Burn’s Modern Law of Real Property, 15th ed. London : Butterworths, 1994.

Canada. Commission royale sur les Peuples autochtones. Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, Vol. 2 « Une relation à redéfinir ». Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais Inc., 1991.

Davies, Virginia L. « The Use of Inter Vivos Trusts to Preserve Treaty Entitlements » in Report of Proceedings of the Forty-Fifth Tax Conference, Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1993.

Dempsey, Hugh A. Rapport de recherche : Traité no sept. Ottawa : Centre de la recherche historique et d’étude des traités, 1987.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, Fourth Student Edition. Toronto : Carswell, 1996.

Isaac, Thomas F. Aboriginal Law : Cases, Materials and Commentary, 2nd ed. Saskatoon : Purich Publications, 1999.

La Forest, Gerard V. Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution. Toronto : University of Toronto Press, 1969.

Megarry, Sir Robert and M. P. Thompson, eds. Megarry’s Manual of the Law of Real Property, 7th ed. London : Sweet & Maxwell, 1993.

Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et interprétation des lois. Québec : Éditeur officiel, 1978.

Smith, Donald Myles. Title to Indian Reserves in British Columbia. Vancouver : Faculty of Law, University of British Columbia, 1988.

Tennant, Paul. Aboriginal Peoples and Politics : The Indian Land Question in British Columbia, 1849-1989. Vancouver : University of British Columbia Press, 1990.

APPEL d’une décision de la Section de première instance (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1996] 3 C.F. 373 134 D.L.R. (4th) 555; [1997] 2 C.N.L.R. 16; 11 F.T.R. 161 (1re inst.)) annulant les avis d’évaluation imposant des taxes sur les biens des intimées. Appel rejeté.

A-480-96

A-386-96

A-479-96

ONT COMPARU :

Gary S. Snarch et Fiona C. M. Anderson pour l’appelant.

J. Edward Gouge, c.r. pour l’intimée.

Arthur M. Grant pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

Leslie J. Pinder et Clarine Ostrove pour les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Snarch & Allen, Vancouver, pour l’appelant.

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour l’intimée.

Grant, Kovacs, Norell, Vancouver, pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

Mandell Pinder, Vancouver, pour les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

A-403-96

ONT COMPARU :

Leslie J. Pinder et Clarine Ostrove pour l’appelant et les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

J. Edward Gouge, c.r., pour l’intimée.

Arthur M. Grant pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mandell Pinder, Vancouver, pour l’appelant et les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour l’intimée.

Grant, Kovacs, Norell, Vancouver, pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

A-389-96

ONT COMPARU :

Arthur Pape pour l’appelant.

J. Edward Gouge, c.r. et W. A. Scott Macfarlane pour l’intimée.

Arthur M. Grant pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

Leslie J. Pinder et Clarine Ostrove pour les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pape & Salter, Vancouver, pour l’appelant.

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour l’intimé.

Grant, Kovacs, Norell, Vancouver, pour l’intervenante, la Bande indienne de Little Shuswap.

Mandell Pinder, Vancouver, pour les intervenants, le chef Clarence T. Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Marceau, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire les motifs du jugement rédigés par mon collègue le juge Robertson relativement aux cinq appels reliés interjetés contre une même décision de la Section de première instance [[1996] 3 C.F. 373. Canadien Pacifique Limitée (CP ou l’intimée), à laquelle s’est jointe Unitel Communications Inc. dans l’un des dossiers, a introduit des demandes de contrôle judiciaire pour contester les avis d’évaluation que chaque conseil de bande appelant lui avait délivrés (ainsi qu’à Unitel, dans un cas) en vertu de nouveaux règlements administratifs imposant des taxes pris en application de l’article 83 de la Loi sur les Indiens[1]. Deux questions ont été soulevées dans l’instance et tranchées par la décision contestée. En ce qui a trait à la première question, qui est aussi la question principale, mon collègue est d’avis que le juge responsable des requêtes a commis une erreur en concluant que les avis de cotisation étaient invalides parce que CP détenait un fief simple extinguible sur ses droits de passage traversant les réserves et que ces droits de passage n’étaient donc pas des terres situées dans la réserve à l’égard desquelles les bandes avaient compétence. En ce qui concerne la deuxième question, subsidiaire, mon collègue estime aussi que le juge responsable des requêtes a commis une erreur en concluant que les règlements administratifs étaient invalides parce qu’ils étaient discriminatoires du fait que seuls les droits des non-Indiens sur des immeubles situés dans la réserve étaient assujettis à la taxation. Bien que je partage l’opinion de mon collègue sur la deuxième question, je dois exprimer mon désaccord avec lui sur la question principale. Ces deux questions étant totalement distinctes, elles doivent être examinées séparément.

I

La question du titre : titre en fief simple

ou simple servitude

[2]        Pour trancher la première question, il faut essentiellement déterminer la nature du titre de CP sur les terres de ses droits de passage qui traversent les différentes réserves. Si ces terres appartiennent à CP en fief simple, elles ne sont plus des terres dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mises de côté à l’usage et au profit des Indiens. Elles ne font donc plus partie des réserves et ne sont pas assujetties aux pouvoirs de taxation des bandes. Par contre, si CP n’en est pas propriétaire en fief simple, elles ne peuvent être considérées comme ayant été exclues des réserves et elles sont taxables. En fait, un argument a été avancé selon lequel il n’en est pas nécessairement ainsi, c’est-à-dire qu’un titre moindre que le fief simple absolu pourrait laisser, à la Couronne, un droit de propriété dont la nature ne permettrait plus de considérer les terres comme destinées à l’usage et au profit des Indiens. Cet argument n’a toutefois pas été plaidé sérieusement, car il comportait de grandes difficultés, ne correspondant pas à la définition des termes « réserve » et « terres désignées » qui figure actuellement dans la Loi[2]. Mon collègue examine l’argument relatif à la conclusion du juge responsable des requêtes selon laquelle le titre de CP était un fief simple extinguible et non un fief simple absolu. En fait, compte tenu de la conclusion de mon collègue et de la mienne, cet argument n’a aucune incidence sur les appels et il n’est pas nécessaire de l’étudier plus à fond. C’est pourquoi, en rubrique, j’ai limité la question du titre au choix entre le fief simple et la servitude.

[3]        Pour ce qui est de la première question, je suis satisfait de l’exposé des faits pertinents, de la nature du litige et du contenu de la décision du tribunal d’instance inférieure rédigé par mon collègue. Comme il le souligne, les motifs du juge responsable des requêtes portent à la fois sur les droits de la Compagnie des chemins de fer nationaux et sur ceux de Canadien Pacifique, dont les demandes respectives introduites dans le même but contre les mêmes conseils de bande ont été réunies, de sorte que ses motifs ne visent pas directement les prétentions de l’intimée par opposition à celles de la Compagnie des chemins de fer nationaux. La cause de la Compagnie des chemins de fer nationaux ayant été examinée et tranchée séparément par la Cour[3], les présents appels sont axés davantage sur la situation propre de l’intimée. Je suis d’accord pour dire que la décision rendue par la Cour en faveur de la Compagnie des chemins de fer nationaux n’a pas d’incidence directe sur la cause de CP, mais je tiens à souligner qu’un certain poids pourrait peut-être être accordé à des conclusions qui y sont formulées, comme celle portant que l’expression « droit de passage » dans les différents titres de propriété ne révèle pas l’existence d’une servitude[4] .

[4]        À l’instar de mon collègue, je ne crois pas qu’on puisse contester raisonnablement que le titre transféré à CP par le Canada dans chacun des 15 actes de transfert en cause avait l’apparence d’un fief simple absolu. L’un des appelants, la bande indienne de Matsqui, a allégué que les lettres patentes particulières visant sa réserve sont ambiguës, dans une certaine mesure, lorsqu’on les examine conjointement avec le décret qui en autorise la délivrance. Mon collègue traite de cette allégation et je n’ai rien à ajouter. De son point de vue comme du mien, il ne reste donc véritablement qu’une seule question à trancher, soit celle de savoir si la Couronne avait le pouvoir de transférer un titre en fief simple, comme elle l’a fait en apparence dans toutes les lettres patentes et les concessions.

[5]        Comme l’a expliqué mon collègue, l’idée maîtresse de l’argumentation des appelants est que le gouvernement fédéral n’avait pas le pouvoir de transférer un titre en fief simple en vertu ni de la législation sur les Indiens, ni de la législation sur les chemins de fer[5] en vigueur à l’époque de chaque transfert, car son pouvoir se limitait à la concession d’une servitude. Toute autre concession outrepassait sa compétence. Il faut donc interpréter les lettres patentes en restreignant leur portée en conséquence. Je suis prêt à admettre que cet argument aurait un poids certain, si les lettres patentes avaient été délivrées sous le régime de la législation sur les chemins de fer ou sous réserve des dispositions de la législation sur les Indiens. L’interdiction légale d’aliéner les terres appartenant à la Couronne édictée par l’article 99 de l’Acte des chemins de fer et les limites à l’aliénation des terres de réserve fixées par la législation sur les Indiens poseraient des problèmes réels pour ce qui est de la possibilité de transférer un titre en fief simple. En l’absence d’une disposition prépondérante attributive de compétence, la Couronne aurait probablement outrepassé ses pouvoirs[6].

[6]        Or, aucun des transferts n’a été effectué sous le régime de la Loi sur les chemins de fer et seules les dernières lettres patentes, datant de 1968, mentionnent expressément la Loi sur les Indiens. C’est ce qui ouvre la voie à la thèse de l’intimée.

[7]        La thèse de l’intimée porte précisément qu’une telle disposition prépondérante, autorisant la délivrance des nombreuses lettres patentes qui ont effectivement été délivrées, existait et neutralisait les dispositions de la législation sur les Indiens ou de la législation sur les chemins de fer qui auraient pu limiter la capacité de la Couronne de concéder les terres de réserve en fief simple. Cette source de compétence, expressément mentionnée dans beaucoup de lettres patentes, était l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique de 1881 (la Loi du CP)[7], une loi édictée afin de mettre en œuvre le contrat négocié par le gouvernement avec les promoteurs de ce qui allait devenir le chemin de fer Canadien Pacifique.

[8]        M. le juge Robertson rejette les prétentions de CP, ce qui l’amène à retenir pour l’essentiel la thèse des appelants, qui est fondée sur la doctrine de l’ultra vires. Essentiellement, mon collègue ne croit pas que la Loi du CP, ni le contrat qui y est annexé et en fait officiellement partie, n’expriment une intention suffisamment claire de la part du gouvernement pour prévoir les transferts en fief simple de toutes les terres qui pourraient être nécessaires pour les besoins du chemin de fer. Après avoir analysé les quatre dispositions invoquées par l’intimée à l’appui de ses prétentions, il conclut que l’article 5 de la Loi du CP et la clause 7 du contrat sont trop ambigus pour être considérés comme produisant un effet extraordinaire, savoir l’extinction du droit ancestral sur les terres, et que les clauses 10 et 12 du contrat ne s’appliquent pas aux terres touchées par la section de l’ouest du chemin de fer, soit la seule qui nous préoccupe.

[9]        Étant donné que ma perception de la Loi du CP et mon analyse de ces quatre dispositions diffèrent de celles de mon collègue, je dois tirer une conclusion contraire à la sienne.

[10]      En guise d’introduction à mon analyse de ces dispositions, je ferai trois remarques, dont deux d’intérêt général et une autre qui a une incidence plus directe et plus immédiate sur mon raisonnement.

[11]      Ma première remarque est assez simple. Il est important d’aborder la Loi du CP, peut-être plus que toute autre loi, en gardant à l’esprit les circonstances historiques très spéciales dans lesquelles elle a pris naissance. Les motifs de mon collègue sur ce point sont assez clairs, et il n’est pas nécessaire que j’en traite en détail. Il est toutefois utile de mentionner à nouveau le préambule de la Loi du CP, qui fait état : de l’obligation imposée au gouvernement fédéral par l’Acte d’union intégrant la colonie de la Colombie-Britannique au Canada [Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10] de construire un chemin de fer reliant le littoral de la nouvelle province au réseau des chemins de fer du reste du pays; de l’inexécution par le gouvernement de son obligation dans le délai prévu de dix ans; de la nécessité de prendre toutes les mesures requises pour terminer ce qui avait été commencé; et, enfin, du fait que la mise en œuvre d’une solution viable, après tout ce temps, mettait en jeu la bonne foi et l’honneur du gouvernement. Personne ne devrait s’étonner qu’on ait voulu qu’une loi édictée en pareilles circonstances produise des effets extraordinaires. Dans l’arrêt Vancouver, (City of) v. Canadian Pacific Ry. Co.[8], la Cour suprême du Canada s’est exprimée très clairement sur ce point :

[traduction] L’objet de […] [l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique] consistait nettement […] à conférer à la compagnie constituée aux fins de ce grand ouvrage public national s’étendant sur tout le continent … des pouvoirs et privilèges supérieurs à ceux conférés aux compagnies de chemin de fer de nature purement commerciale constituées sous le régime de l’Acte des chemins de fer, 1879 […]

De plus, dans l’arrêt Canadian Pacific Ry. Co. v. James Bay Ry. Co.[9], le juge Girouard a écrit, après avoir souligné que la loi antérieure et les autres efforts déployés n’avaient pas mené à l’accomplissement de l’obligation imposée par les Conditions de l’adhésion :

[traduction] À la lumière de l’expérience passée, on peut facilement comprendre que des pouvoirs plus étendus, et en fait sans précédent, aient été demandés et accordés. Pour y parvenir, il a fallu mettre de côté l’ensemble de la politique du pays, exprimée dans l’Acte des chemins de fer, 1879, et adopter une nouvelle politique exceptionnelle.

[12]      Ma deuxième remarque est plus complexe. Il serait préférable que nous soyons mieux informés de tous les faits qui ont entouré et suivi l’adoption de la Loi du CP et la conclusion du contrat qu’elle a mis en œuvre. Si nous savons que les terres situées le long de la « zone de chemin de fer » ont été concédées par la province au gouvernement fédéral par la loi intitulée An Act to grant public lands on the Mainland to the Dominion in aid of the Canadian Pacific Railway, 1880[10], qui a été modifiée à la suite de consultations provinciales et fédérales par une autre loi, intitulée An Act relating to the Island Railway, the Graving Dock, and Railway Lands of the Province[11], nous ignorons comment et quand les réserves situées entre Kamloops et Moody Bay ont été créées.

[13]      Les avocats des appelants et de l’intimée ont soutenu, au cours des audiences, que les réserves ont été créées à la fin des années 1870, tout juste avant l’édiction de la Loi du CP et la concession de la zone de chemin de fer au gouvernement fédéral. Ces dates semblent en effet concorder avec les travaux de la Commission fédérale-provinciale sur les réserves indiennes en Colombie-Britannique (Provincial-Dominion Indian Reserve Commission for British Columbia) constituée par des décrets réciproques en 1876. Le statut des réserves délimitées par la Commission est toutefois demeuré obscur parce que le gouvernement provincial de Victoria n’a pas approuvé et publié dans la gazette les attributions de réserves[12]. En conséquence, ce n’est que de nombreuses années plus tard que l’existence de ces réserves a été « confirmée ».

[14]      Il semble aussi exister une certaine ambiguïté relativement aux événements entourant le transfert des terres à Canadien Pacifique. Pourquoi ces transferts ont-ils été effectués des années, voire des décennies, après le début et, vraisemblablement, l’achèvement de la construction de la section de l’ouest du chemin de fer? Dans certains cas, cela peut s’expliquer par le fait que les terres prises n’ont pas été utilisées pour la construction de la ligne principale. Par exemple, le transfert effectué en 1891 des terres situées dans la réserve de Matsqui mentionne, non pas la construction de la ligne principale, mais celle de l’embranchement de Mission. Dans d’autres cas, les transferts laissent croire qu’ils ont été effectués lorsqu’on s’est rendu compte que la ligne construite ne suivait pas le parcours établi à l’origine, occupant des terres plus étendues qu’on ne l’avait prévu initialement. C’est ce qu’il faut semble-t-il comprendre de l’extrait suivant d’un décret daté du 23 mai 1930[13] :

[traduction] Le Comité du Conseil privé a reçu un rapport, daté du 14 mai 1930, du Surintendant général des Affaires indiennes, selon lequel la réserve indienne de Cook’s Ferry no 4A a été confirmée par le Décret C.P. 2410, daté du 31 octobre 1890. Le droit de passage de Canadien Pacifique a été exclu et tenu pour mesurer 100 pieds de largeur. Le chemin de fer est construit sur une pente abrupte et les plans qui ont final7ement été approuvés par la Commission des chemins de fer indiquent que sa largeur varie de 425 à 450 pieds. Le droit de passage ne touche pas l’eau, la largeur additionnelle se situant du côté de la montagne. Le ministère de l’Intérieur est tenu de remettre gratuitement le droit de passage requis à Canadien Pacifique.

La situation prête à confusion dans une certaine mesure.

[15]      En bout de ligne, malgré ce qu’on ignore de l’histoire et l’image floue que j’ai, pour cette raison, des événements qui ont conduit à la rédaction des lettres patentes en cause, les événements historiques qui ont suivi l’entrée en vigueur de la Loi du CP ne me semblent pas vraiment pertinents. En ce qui concerne la création des réserves, aucun argument n’a été avancé selon lequel les terres ne devraient pas être considérées comme situées dans les réserves en raison de l’interaction entre les dates de leur délimitation, la date de la concession de la « zone de chemin de fer » et les dates de la confirmation des réserves. Il est certain que les lettres patentes tenaient pour acquis que les terres étaient des terres de réserve et cette prémisse ne cause pas de problème selon moi. En ce qui a trait à la raison d’être et au moment de chaque transfert, des précisions permettraient peut-être une meilleure perception du processus de développement du chemin de fer, mais ce qui importe pour l’issue des appels, ce ne sont pas les motifs pour lesquels chaque transfert a été effectué, mais sa légalité dans la mesure où il atteste la concession d’un fief simple. Il faut donc analyser non pas les événements historiques, mais les dispositions pertinentes de la Loi du CP comme source du pouvoir de délivrer chacun des actes de transfert.

[16]      Ma troisième remarque vise à démontrer un élément absolument fondamental de mon raisonnement. La lecture des lettres patentes nous informe, de façon non équivoque, que toutes les personnes concernées par leur délivrance avaient la conviction que les terres sur lesquelles était situé le chemin de fer construit par le gouvernement devaient être transférées séparément du chemin de fer même. Cela ressort nettement du fait que les lettres patentes appartenant au type A selon la classification proposée par l’intimée parlent d’abord de l’obligation du gouvernement de remettre le chemin de fer entre les mains de la Compagnie avant d’aborder le transfert des terres sur lesquels il est construit. Ces transferts sont tous libellés de façon identique, dans les termes qui suivent :

[traduction] CONSIDÉRANT qu’en vertu des dispositions de l’Acte du parlement du Canada adopté dans la quarante-quatrième année du règne de feu Sa Majesté la Reine Victoria, chapitre 1, intitulé « Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique », et en vertu des conditions du contrat et de l’entente incorporées audit Acte, et particulièrement en vertu des conditions de l’article 5 dudit Acte et de l’article 7 dudit contrat, la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique (ci-après appelée « la Compagnie ») est en droit d’obtenir le transfert des portions dudit chemin de fer construit par le gouvernement.

CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites sont des terres dont le transfert à la Compagnie a été autorisé conformément aux dispositions desdits Acte et contrat. [Non souligné dans l’original.]

[17]      Il n’existe aucune raison de croire que les parties au contrat, et le Parlement au moment de l’édiction de la Loi, n’avaient pas cette dichotomie à l’esprit. Cette conclusion est logique selon moi. Elle est logique pour une première raison. Ces terres, comme nous venons de le voir, avaient été concédées par la Colombie-Britannique au gouvernement fédéral à titre de subvention pour le chemin de fer Canadien du Pacifique en 1880. Comme le note mon collègue, pour construire un chemin de fer et pour le faire fonctionner, il n’est pas absolument nécessaire d’être propriétaire des terres liées à sa construction et à son exploitation. Par conséquent, j’estime qu’il est parfaitement naturel que, s’il existe une obligation de transférer le chemin de fer et les terres, le contrat traite les terres et le chemin de fer séparément. On ne pourrait pas parler d’accession aux terres si seulement le chemin de fer devait être transféré. Elle est aussi logique pour une autre raison. Le chemin de fer que le gouvernement devait construire ne pouvait pas être considéré comme couvrant toutes les terres qui seraient nécessaires à l’exploitation du chemin de fer définitif, en parfait état de fonctionnement, le long de la section de l’ouest, car il ne prévoyait vraisemblablement pas d’embranchements[14] et la nécessité éventuelle d’élargir plus tard le droit de passage pour installer une deuxième voie[15].

[18]      En gardant à l’esprit ces remarques préliminaires, examinons maintenant les dispositions de la Loi du CP et les clauses du contrat qui sont susceptibles de s’appliquer, soit l’article 5 de la Loi et les clauses 7, 9, 10, 11, 12 et 14 du contrat :

La Loi du CP

5. En attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre du dit chemin de fer, telles que décrites dans le dit contrat, le gouvernement pourra aussi transférer à la dite compagnie la possession et le droit d’exploitation des différentes portions du chemin de fer Canadien du Pacifique tel que décrit dans le dit acte trente-sept Victoria, chapitre quatorze, qui sont déjà construites et au fur et à mesure qu’elles seront terminées à l’avenir; et lors de l’achèvement des dites sections de l’Est et du Centre, le gouvernement pourra transporter à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments de stations, et avec le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou dont la construction par le gouvernement est convenue sous l’empire du dit contrat, et qui seront alors terminées; et lors de l’achèvement du reste de la portion du dit chemin de fer que doit construire le gouvernement, cette portion pourra aussi être transportée par le gouvernement à la compagnie; et le chemin de fer Canadien du Pacifique défini tel que susdit deviendra et sera ensuite la propriété absolue de la compagnie; le tout, néanmoins, aux termes et conditions, et sauf les restrictions et réserves stipulées au dit contrat.

Le contrat

7. Le chemin de fer construit aux termes des présentes sera la propriété de la compagnie; et en attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement transférera à la compagnie la possession et le droit d’exploiter et de mettre en opération les diverses portions du chemin de fer Canadien du Pacifique déjà construites ou à mesure qu’elles seront achevées. Et à l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement cédera à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments pour gares et le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou qui doivent être construites par le gouvernement et qui seront alors achevées; et à l’achèvement du reste de la partie du chemin de fer qui doit être construite par le gouvernement, cette partie sera aussi cédée à la compagnie, et le chemin de fer Canadien du Pacifique deviendra et sera dès lors la propriété absolue de la compagnie. Et la compagnie devra ensuite et à perpétuité entretenir, exploiter et mettre en opération, d’une manière efficace, le chemin de fer Canadien du Pacifique

[…]

9. En considération de ce que dessus, le gouvernement convient de donner à la compagnie une subvention de $25,000,000 en argent et de 25,000,000 d’acres de terre, pour lesquelles subventions la construction du chemin de fer Canadien du Pacifique sera complétée, et le chemin équipé, entretenu et exploité. Ces subventions seront respectivement payées et accordées au fur et à mesure du progrès de la construction, de la manière et aux conditions suivantes, savoir :—

a. La dite subvention en argent est par le présent divisée et affectée comme suit, savoir :—

SECTION DU CENTRE.

[…]

SECTION DE L’EST.

[…]

Et la dite subvention en terres est par le présent divisée et affectée comme suit, sujet à la réserve ci-après faite :—

SECTION DU CENTRE.

[…]

SECTION DE L’EST.

[…]

10. De plus, en considération de ce que dessus, le gouvernement concédera à la compagnie les terrains dont elle aura besoin pour la voie du dit chemin de fer, les gares et stations et leurs dépendances, les ateliers, les bassins et abords aux termini sur les eaux navigables, les édifices, cours et autres dépendances nécessaires à la construction et à l’exploitation efficaces du chemin de fer, en tant que ces terrains seront la propriété du gouvernement. […]

11. Les concessions de terres par le présent consenties en faveur de la compagnie seront faites en sections alternatives de 640 acres chacune, sur une profondeur de 24 milles de chaque côté du chemin de fer entre Winnipeg et Jasper House, en tant que ces terres seront la propriété du gouvernement, la compagnie recevant les sections portant les numéros impairs. Mais si quelques-unes de ces sections comprenaient une quantité notable de terrain qui ne serait pas raisonnablement propre à la colonisation, la compagnie ne sera pas tenue de les accepter comme partie de la concession, et le déficit causé par la défalcation de ces terrains et tout autre déficit qui pourrait être causé par suite d’une quantité insuffisante de terrain le long de la dite partie du chemin de fer pour compléter les dits 25,000,000 d’acres ou par suite du trop grand nombre de lacs et de nappes d’eau dans les sections concédées (lesquels lacs et nappes d’eau ne seront pas compris dans le mesurage de ces sections), seront comblés par des terres prises dans d’autres sections dans la région connue sous le nom de zone fertile, c’est-à-dire, les terres comprises entre les 49e et 57e degrés de latitude nord, ou ailleurs au choix de la compagnie, lesquelles terres seront concédées en sections alternatives semblables sur une profondeur de 24 milles de chaque côté de toutes lignes d’embranchement qui seront tracées par la compagnie, et qui seront indiquées sur une carte ou un plan de l’embranchement ou des embranchements, déposé au ministère des chemins de fer; ou de chaque côté d’une ligne ou de lignes de front communes, convenues entre le gouvernement et la compagnie, les conditions ci-dessus mentionnées relativement aux terrains qui ne seraient pas raisonnablement propres à la colonisation devant être appliquées à ces concessions supplémentaires. Et la compagnie pourra, du consentement du gouvernement, choisir dans les territoires du Nord-Ouest toute étendue ou étendues de terrain non encore occupées pour combler en partie tel déficit. Mais ces concessions ne comprendront que des terres appartenant alors au gouvernement.

12. Le gouvernement éteindra le titre des Sauvages aux terres par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention aux chemins de fer.

[…]

14. La compagnie aura le droit de temps à autre de tracer, construire, équiper, entretenir et exploiter des lignes d’embranchement entre tout point ou tous points sur le parcours de la ligne-mère et tout endroit ou tous endroits dans les limites du territoire de la Puissance, pourvu toutefois qu’avant de commencer aucun embranchement elle dépose d’abord une carte et un plan de tel embranchement au département des chemins de fer; et le gouvernement accordera à la compagnie les terrains nécessaires à la voie de tels embranchements et aux gares et stations, aux bâtiments, ateliers, cours et autres dépendances requises pour la construction et l’exploitation efficaces de ces embranchements, en tant que ses terres appartiennent au gouvernement.

[19]      Mon collègue parle de l’ambiguïté de l’article 5 et de la clause 7 dans la mesure où ils ne mentionnent pas la qualité du titre devant être transféré à Canadien Pacifique. Je n’aurais pas cru que l’expression « propriété absolue » qui y figure puisse renvoyer à un autre concept que la pleine propriété en fief simple. Mais, quoi qu’il en soit, ce qui me préoccupe dans ces dispositions, c’est leur applicabilité aux terres. Il se peut très bien que le chemin de fer et le terrain où il se trouve étant définitivement unis, le concept de « propriété absolue » doive être interprété comme les visant tous les deux. Dans ce cas, les termes utilisés créent l’impression que les rédacteurs de la loi étaient loin d’avoir à l’esprit des concepts de droit limité, telle la concession d’une servitude, par voie législative ou autrement.

[20]      Mais en fait, si je m’en remets à la troisième remarque préliminaire que j’ai formulée plus haut, je ne crois pas que l’article 5 et la clause 7 visaient les terres. Si l’on fait abstraction pour l’instant de la clause 12, à laquelle je reviendrai, les clauses 9, 10, 11 et 14 sont les seules dispositions de la Loi ou du contrat qui parlent ouvertement des terres. Les clauses 9 et 11 sont liées car elles mentionnent toutes les deux les concessions de terres qui doivent être accordées en subvention à la compagnie à des fins d’établissement et la clause 14 traite exclusivement de la construction subséquente d’embranchements. La clause 10 est la seule pouvant couvrir les terres qui ont un lien direct et immédiat avec le chemin de fer. J’estime que cette clause est une disposition d’application générale qui vise simultanément les terres requises pour la voie et celles qui seraient requises pour la construction et l’exploitation efficaces du chemin de fer, peu importe la section en cause.

[21]      Cela nous amène à la clause 12. Selon mon analyse des clauses 10 et 11 et le libellé même de la clause 12, il me semble certain que ces trois clauses sont liées. La clause 12 traite premièrement des « terres par le présent affectées », puis des terres « qui seront à l’avenir concédées comme subvention aux chemins de fer ». À mon avis, il ressort clairement de la structure de la phrase et des termes utilisés, mis en évidence par la virgule qui suit le mot « appropriated » dans la version anglaise, que cette clause vise deux groupes de terres différents[16]. Compte tenu des mots « divisée et affectée comme suit » figurant dans la clause 9, il semble que les terres concédées décrites dans la clause 11 soient incluses dans les « terres par le présent affectées » auxquelles s’applique la clause 12. Aux termes de la clause 11, la compagnie pouvait rejeter certaines terres affectées au profit de terres alors mal définies. Compte tenu de leur définition imprécise, ces terres pouvaient peut-être être décrites comme les terres « qui seront à l’avenir concédées » et il se peut qu’une telle interprétation limite l’effet de la clause 12 à la subvention en terres. Toutefois, je crois qu’une telle conclusion limiterait indûment le sens des mots « concédées comme subvention au chemin de fer ». La mention du chemin de fer plutôt que de la compagnie indique que les terres visées ne se limitent pas à la subvention en terres, mais incluent les terres sur lesquelles le chemin de fer ainsi que ses dépendances nécessaires sont situés. Il en est ainsi car les terres concédées en subvention, bien qu’elles ne soient pas accessoires à la viabilité financière de la compagnie ou de l’entreprise, sont accessoires au chemin de fer proprement dit. Ainsi, la clause 12 est une disposition générale applicable à toutes les terres devant être concédées dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi, sans égard au fait que la concession ou l’affectation de ces terres résulte de l’interaction entre les clauses 9 et 11 ou des dispositions de la clause 10.

[22]      L’interprétation que j’attribue aux clauses 10 et 12 me semble d’autant plus juste que c’est la seule qui puisse donner effet aux intentions rationnelles de la compagnie. Je ne vois pas pourquoi la compagnie aurait voulu devenir propriétaire des terres sur lesquelles reposent ses voies dans les sections de l’est et du centre du chemin de fer, et n’aurait pas été intéressée à en être propriétaire dans la section de l’ouest. Si elle souhaitait détenir la propriété de ces terres pour toute la durée de ses activités, il me semble évident que la compagnie a dû tenter d’obtenir un droit absolu sur les terres transférées en s’assurant de l’extinction de tout droit ancestral sur ces terres, peu importe leur emplacement.

[23]      C’est cette analyse qui ne me laisse d’autre choix que d’exprimer mon désaccord avec mon collègue quant à l’intention visée par la Loi du CP À mon sens, la Loi du CP devait conférer au gouvernement le pouvoir et l’obligation de transférer en fief simple, et libres de tout droit des Indiens, toutes les terres requises pour le chemin de fer relativement à chacune des trois sections.

[24]      On aura sans doute noté que je refuse de souscrire à l’analyse qui a mené le juge responsable des requêtes à qualifier le titre transféré à CP de fief simple extinguible. Pour déterminer la nature du droit de propriété concédé à une partie telle qu’une compagnie de chemin de fer, il faut s’en remettre au libellé de la loi en cause et de l’acte de transfert particulier utilisé, avec l’aide, peut-être, des ententes qui ont pu précéder le transfert ou des actes qui ont pu le suivre[17]. Aucun élément de la Loi du CP ni des différents documents de transfert délivrés sous son régime ne laisse croire à la concession d’un droit différent d’un titre en fief simple. La simple mention de l’objet du transfert dans les attendus des lettres patentes ne peut être considérée comme une réserve limitant l’effet des clauses essentielles qui confèrent nettement un tel droit. Néanmoins, même si je ne souscris pas à l’analyse effectuée par le juge responsable des requêtes, je crois, contrairement à M. le juge Robertson, qu’il a eu raison de conclure que les terres du droit de passage du chemin de fer traversant les réserves ne sont pas des terres de réserve sur lesquelles les appelants peuvent exercer leur pouvoir de taxation.

II

La question de la discrimination

[25]      Une deuxième question a été soumise au juge responsable des requêtes, comme je l’ai déjà mentionné. CP et Unitel Communications Inc. ont soulevé un moyen subsidiaire à l’appui de leurs demandes de contrôle judiciaire. Elles font valoir que les règlements administratifs en vertu desquels les avis d’évaluation ont été délivrés sont invalides parce qu’ils sont discriminatoires, du fait qu’ils établissent des taux d’imposition différents pour différentes catégories de biens situés sur le territoire des réserves. Le juge responsable des requêtes a examiné cet argument et l’a retenu dans une certaine mesure. Il était d’accord pour dire que les conseils de bande peuvent, dans l’exercice du nouveau pouvoir de taxation que leur confère l’article 83 de la Loi sur les Indiens, imposer des taux variables relativement à différentes catégories de biens, mais qu’ils ne peuvent pas établir des distinctions entre différentes catégories de personnes, parce qu’ils ne sont pas expressément autorisés à le faire. Il s’ensuit que les règlements administratifs sont invalides, dans la mesure où ils visent à imposer une taxe sur le droit des intimées dans les réserves, tout en exemptant les biens des membres de la bande situés aussi dans les réserves. Malgré la conclusion à laquelle je suis parvenu sur la question principale, compte tenu de la façon dont le juge responsable des requêtes tranche finalement cette question subsidiaire, déclarant en fait les règlements administratifs invalides en partie s’ils sont applicables, je ne puis laisser cette question de côté, d’autant plus que d’autres droits que ceux des parties pourraient être touchés.

[26]      M. le juge Robertson estime que le juge responsable des requêtes a eu tort de conclure que les règlements étaient invalides parce qu’ils sont discriminatoires et je suis exactement du même avis. À l’instar du juge Robertson, je ne comprends pas la raison d’être de la distinction que fait le juge responsable des requêtes entre les possibilités de traitements différents qu’il considère autorisés implicitement et celles qu’il rejette puisque, dans tous les cas, ce sont les contribuables qui sont visés. Les motifs rédigés par mon collègue à l’appui du rejet de la conclusion du juge responsable des requêtes sont assez clairs et convaincants, mais j’aimerais y ajouter quelques brèves remarques.

[27]      Depuis les toutes premières dispositions de la Loi sur les Indiens, les Indiens bénéficient d’un privilège très important du fait qu’ils sont exemptés de taxes relativement à l’usage et à l’occupation de leurs terres de réserve, ce privilège étant exprimé en termes généraux et accordé à chaque Indien individuellement. Je juge inconcevable que le Parlement ait pu assujettir l’exercice par les bandes de leur nouveau pouvoir de prélever des taxes—qu’elles réclamaient depuis fort longtemps pour jouir d’une autonomie accrue— à la renonciation forcée implicite de tous les membres de la bande à ce privilège fondamental, sans le préciser en des termes non équivoques. La réserve apportée à la disposition dérogatoire énoncée au début de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, soit les mots : « Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation », a été ajoutée pour permettre aux conseils de bande de percevoir des taxes auprès de leurs membres s’ils le désirent; on ne peut l’interpréter comme si elle disposait par exemple « mais sous réserve de l’exercice par une bande d’un pouvoir que lui confère l’article 83 ». Autrement dit, cette réserve vise à offrir une possibilité et non à imposer une obligation.

[28]      Le juge responsable des requêtes parle de la possibilité d’abus. Cependant, toute crainte à cet égard devrait être grandement atténuée lorsqu’on constate que tous les règlements administratifs imposant des taxes doivent être approuvés par le ministre des Affaires indiennes. Par contre, la notion de discrimination invoquée n’est pas facile à saisir. Lorsqu’on parle des éléments du statut particulier d’un groupe de personnes dans une collectivité, établis par le législateur, on peut parler d’inégalité, bien sûr, mais pas nécessairement de discrimination.

[29]      Il me paraît enfin tout à fait inopportun d’appliquer aux nouveaux pouvoirs de réglementation des bandes indiennes les principes élaborés en droit municipal. Il existe une différence énorme entre une municipalité et une bande indienne, car l’existence de regroupements d’Indiens ne dépend pas totalement, comme celle des unités municipales, d’un acte d’une instance gouvernementale, et la raison fondamentale pour laquelle des pouvoirs de taxation sont attribués à ces deux types d’entités est manifestement différente. Les pouvoirs de taxation dont sont investies les municipalités existent, selon moi, uniquement dans le but de favoriser l’objectif d’efficacité du gouvernement sur le plan du fonctionnement et de l’administration. L’attribution récente de pouvoirs de taxation aux bandes indiennes vise un objectif beaucoup plus vaste et axé sur des considérations humanitaires, qui ne peut être envisagé que dans le contexte de la capacité accrue des Autochtones à se gouverner eux-mêmes et qui, par conséquent, procède dans une certaine mesure de droits et de responsabilités antérieurs à toutes les lois concernant les Indiens. Je crois qu’on commettrait une erreur en assujettissant ces deux ensembles de règles à la même norme sur le plan de la souplesse, de la rigidité et des limites imposées.

[30]      Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la conclusion du juge responsable des requêtes sur la deuxième question, subsidiaire, soulevée par les intimées ne peut être confirmée.

[31]      Je conclus donc qu’en dépit de mon désaccord avec le juge responsable des requêtes, plus particulièrement en ce qui concerne la question de la discrimination, sa conclusion principale portant que les demandes de contrôle judiciaire étaient bien fondées doit être maintenue.

[32]      Je rejetterais donc les appels avec dépens, étant entendu, toutefois, qu’un seul mémoire de dépens sera adjugé pour l’audition.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[33]      Le juge Desjardins, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire les motifs du jugement rédigés par mes collègues les juges Marceau et Robertson. Je suis d’accord avec le juge Robertson pour dire que les terres qui forment les droits de passage de Canadien Pacifique sont « situé[e]s dans la réserve » au sens de l’article 83 de la Loi sur les Indiens[18] (la Loi). Je ne partage toutefois pas son opinion sur la validité des règlements administratifs. Je suis d’avis que les règlements administratifs pris par les appelants, qui imposent des taxes auxquelles ne sont pas assujettis les droits des Indiens sur les terres, sont discriminatoires. Ils sont contraires aux principes fondamentaux du droit administratif. Pour les motifs qui suivent, je conclus que ces règlements administratifs sont invalides.

[34]      Les règlements administratifs imposant des taxes pris par les appelants ont été conçus pour exempter de la taxation tous les droits détenus par des membres de la bande et par les bandes elles-mêmes sur les terres de réserve.

[35]      Le règlement administratif imposant des taxes foncières pris par la bande indienne de Matsqui évalue tous les biens immeubles, sauf :

1) les biens immeubles qui sont détenus par la bande et utilisés par elle aux fins de la bande;

2) les droits des membres de la bande sur les biens immeubles situés dans leur réserve;

3) les droits sur un immeuble d’une société dont les actions sont détenues exclusivement et à titre bénéficiaire par des membres de la bande[19];

4) les droits d’un Indien, au sens de la Loi sur les Indiens, sur ses immeubles[20].

[36]      Les règlements administratifs pris par les bandes indiennes de Skuppah[21], de l’île Seabird[22], de Cook’s Ferry[23] et de Boothroyd[24] imposent des taxes sur les terres et les droits sur les terres, mais établissent certaines exceptions. Les terres et les droits sur les terres décrites ci-dessous sont exemptés de taxes :

1) les terres occupées ou détenues par un membre de la bande;

2) les terres occupées ou détenues par la bande;

3) les terres occupées ou détenues par une personne morale dont la bande est propriétaire et dont elle a le contrôle.

[37]      Comme mon collègue le juge Robertson, j’ai des réserves concernant la question de savoir si une société peut être elle-même un « Indien » à des fins fiscales, même si ses actionnaires sont des Indiens inscrits, de sorte qu’elle pourrait se prévaloir d’une exemption de taxes relativement aux terres de réserve qu’elle détient ou occupe[25] . Nous ne sommes toutefois pas saisis de cette question.

[38]      Les règlements administratifs de taxation en cause ont été approuvés par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien le 9 mars 1992, conformément à l’article 83 de la Loi.

[39]      L’entrée en vigueur de ces règlements administratifs n’a pas assujetti Canadien Pacifique à une double taxation. L’article 11 de la loi intitulée Indian Self Government Enabling Act[26] exempte de la taxation établie par une loi provinciale les personnes assujetties aux taxes imposées par un règlement administratif d’une bande indienne.

[40]      Les bandes indiennes appelantes ont désigné la British Columbia Assessment Authority (BCAA) comme évaluateurs pour l’application de leurs règlements administratifs. La BCAA a envoyé des avis d’évaluation foncière au nom des appelants à Canadien Pacifique, à une date quelconque antérieure au 8 mai 1992. Plutôt que d’utiliser la procédure d’appel prévue par les règlements administratifs, Canadien Pacifique a déposé un avis de requête introductif d’instance pour engager des procédures de contrôle judiciaire et contester l’application des règlements administratifs à ses droits de passage.

[41]      L’une des objections aux règlements administratifs soulevées par Canadien Pacifique tenait à ce que seuls les droits des non-Indiens sur les terres de réserve étaient assujettis aux taxes qu’ils imposent.

[42]      La question qui nous est soumise est donc celle de savoir si ces règlements administratifs sont contraires à la règle fondamentale de droit administratif selon laquelle le pouvoir de prendre des règlements administratifs n’inclut pas le pouvoir d’édicter des dispositions discriminatoires, sauf si la loi habilitante le permet.

[43]      En ce qui concerne la question de la discrimination, le juge responsable des requêtes a déclaré[27] :

Je suis convaincu que les règlements qui établissent des distinctions entre différents types de biens immeubles, même si ces distinctions ne sont pas expressément prévues dans les pouvoirs conférés à la bande, sont valides.

Toutefois, je suis également d’avis que le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder aux bandes indiennes le pouvoir d’exonérer certains individus des impôts et d’y assujettir d’autres personnes. Cela peut mener à toutes sortes d’abus. Si le législateur avait eu l’intention d’accorder de tels pouvoirs, il pouvait très bien le faire. Je ne me prononce pas sur cette question. Tout ce que je dis, c’est que le législateur aurait indiqué clairement que telle était son intention. Par conséquent, je soustrais des règlements la partie dans laquelle des distinctions sont établies entre les personnes. [Non souligné dans l’original.]

[44]      Canadien Pacifique soutient que les règlements administratifs pris par les appelants en matière de taxes foncières ont pour effet d’imposer la totalité du fardeau fiscal aux intimées qui ne reçoivent aucun des services financés à l’aide des taxes. Canadien Pacifique fait valoir que, si les prétentions des appelants sont justes, le législateur aurait donné aux bandes indiennes le pouvoir de financer les services locaux au niveau qui lui sied et d’imposer la totalité du coût de ces services aux usagers industriels des terres.

[45]      Canadien Pacifique affirme qu’aucun élément de l’article 83 de la Loi n’autorise l’établissement d’une distinction entre les terres selon l’identité de leurs propriétaires.

[46]      Je partage cette opinion.

[47]      Voici les dispositions pertinentes des paragraphes 87(1) et (2) de la Loi :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens. [Non souligné dans l’original.]

[48]      En vertu de ces paragraphes, le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées et les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve sont à l’abri des taxes imposées par une loi fédérale ou provinciale. De plus, nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un tel bien ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

[49]      Le but de l’exemption prévue par l’article 87 a été décrit par le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis[28] :

[Elle vise à empêcher] qu’un palier de gouvernement, par l’imposition de taxes, puisse porter atteinte à l’intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes. […]

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s’applique la présomption de l’art. 90, font partie d’un ensemble législatif qui fait état d’une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l’existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu’elle est tenue par l’honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu’ils possèdent en tant qu’Indiens, c’est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s’appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l’objet de la Loi n’est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d’acquérir, de posséder et d’aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens.

[50]      Dans l’arrêt Williams c. Canada[29], le juge Gonthier a énoncé à nouveau ce but dans les termes suivants :

[…] ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes […] ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens […]

[51]      L’article 87 de la Loi dispose que, dans les limites précisées, les Indiens sont exemptés des taxes imposées par les gouvernements fédéral et provinciaux. Il ressort clairement de l’interaction des articles 83 et 87 que l’exemption prévue par l’article 87 se limite aux taxes imposées par des gouvernements non-Indiens.

[52]      Cette exemption est toutefois accordée expressément « sous réserve de l’article 83 ».

[53]      Voici les dispositions pertinentes de l’article 83 de la Loi :

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

[…]

(2) Toute dépense à faire sur les fonds prélevés en application du paragraphe (1) doit l’être sous l’autorité d’un règlement administratif pris par le conseil de la bande.

(3) Les règlements administratifs pris en application de l’alinéa (1)a) doivent prévoir la procédure de contestation de l’évaluation en matière de taxation.

(4) Le ministre peut approuver la totalité d’un règlement administratif visé au paragraphe (1) ou une partie seulement de celui-ci. [Non souligné dans l’original.]

[54]      Le juge en chef Lamer a expliqué le but visé par l’alinéa 83(1)a) de la Loi, édicté en 1988 par ce qu’il est convenu d’appeler les modifications de Kamloops[30], dans l’opinion qu’il a rédigée en son nom et au nom du juge Cory dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui[31], au paragraphe 18 :

[…] il importe que nous ne perdions pas de vue l’objectif que visait le législateur fédéral lorsqu’il a investi les Indiens de leurs nouveaux pouvoirs de taxation. Le régime qui est entré en vigueur en 1988 est destiné à faciliter le développement de l’autonomie gouvernementale des autochtones en permettant aux bandes d’exercer sur leurs réserves le pouvoir proprement gouvernemental de taxation. Bien que notre Cour ne soit pas directement saisie de la question de l’autonomie gouvernementale des autochtones, les fonctions et l’objet sous-jacents du régime de taxation établi pour les Indiens nous sont d’un secours considérable en ce qui concerne l’application des principes de droit administratif aux dispositions législatives en cause. Je recours donc dans les présents motifs, chaque fois que cela est indiqué, à une démarche fonctionnelle qui tient compte de l’objet visé.

[55]      Au paragraphe 43 [pages 33 et 34], il a précisé :

En l’espèce, la preuve révèle que le régime de taxation vise à mieux servir les intérêts des peuples autochtones et à favoriser la réalisation de leur autonomie gouvernementale. Malgré sa ressemblance avec le type de régime de taxation qui existe dans les municipalités canadiennes, le régime en cause est plus ambitieux du point de vue de ses objectifs. Il a pour objet de permettre aux bandes indiennes d’acquérir de l’expérience en matière gouvernementale et de développer les capacités nécessaires à leur autonomie gouvernementale. [Non souligné dans l’original.]

[56]      Les modifications de Kamloops ont été expliquées à nouveau par le juge en chef Lamer dans Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville)[32] :

L’objet déclaré des modifications de Kamloops ne laisse place à aucune équivoque. Lorsqu’il a présenté les nouvelles modifications au Parlement, le gouvernement a bien précisé que ces modifications visaient à clarifier le statut des terres cédées et à inclure les terres cédées aux fins de les donner à bail[33] dans la définition de réserve, principalement pour fins de taxation. À ce moment-là, le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a fait la déclaration suivante (Débats de la Chambre des communes, vol. XIII, 2e sess., 33e lég., 2 juin 1988, aux pp. 16046 et 16047) :

Le projet de loi a deux buts principaux. D’abord préciser le statut juridique des terres indiennes; ensuite, fixer le cadre juridique permettant aux bandes de prélever des impôts fonciers … 

Aux termes du projet de loi à l’étude, deux formes de cession seront définies. Premièrement, la cession à titre absolu aux fins de la vente, qui signifie l’abandon de tout intérêt indien dans une terre et son retrait de la réserve, un cas extrêmement rare, et deuxièmement, la cession d’une terre aux fins de la donner à bail ou à une autre fin restreinte, auquel cas elle continue de faire partie de la réserve. La mise de côté d’une partie de la réserve aux fins de la donner à bail ne constitue pas une cession, ni un abandon de l’intérêt indien dans cette terre.

Pour faciliter et renforcer la distinction entre ces deux types de cession, on appellerait respectivement « terres désignées » et « désignation » les terres cédées aux fins de les donner à bail et le processus de cession non absolue de ces terres. Il s’agit d’un progrès certain dans les termes par rapport au terme « cession » et ce changement a une grande valeur symbolique.

Grâce à ces modifications, les collectivités indiennes pourront mettre de côté des terres pour qu’elles soient mises en valeur sans craindre qu’elles ne perdent le statut de terres indiennes. Les droits que leur confère la Loi sur les Indiens vont subsister, par exemple le droit de vote aux élections de bande, la protection de la propriété culturelle et le pouvoir de gouverner le territoire par voie de statuts administratifs.

Ce dernier point est très important. À l’heure actuelle, il n’est pas du tout clair que dans la Loi sur les Indiens le mot « réserve » comprenne les territoires cédés d’une façon ou d’une autre. Il y a donc danger qu’une terre cédée à bail cesse de faire partie de la réserve, et que les statuts administratifs pris par le conseil de bande y soient sans effet. Ce serait là une perte absolument inadmissible de la compétence indienne et de la maîtrise des Indiens sur leur territoire. Cela entraînerait par ailleurs une très grave carence administrative locale sur les terres indiennes cédées à bail. La chose s’est produite à maintes reprises en divers endroits du Canada et c’est la raison pour laquelle la bande de Kamloops a sollicité ces changements. Voilà une situation qui ne peut plus être tolérée.

Une des attributions les plus importantes que les bandes ont besoin d’exercer par voie de statuts administratifs, c’est la taxation de l’occupation du sol. Cela m’amène au deuxième but de ces modifications, qui est de bien préciser que les conseils de bande ont le pouvoir d’imposer le locataire ou l’utilisateur d’une partie du territoire de la réserve pour couvrir leurs dépenses d’administration de ce territoire. Il s’agit là d’une attribution fiscale qui est absolument indispensable aux pouvoirs publics modernes de tous les niveaux. Certaines bandes préféreront peut-être ne pas en faire usage, mais il faut qu’elle soit prévue à l’intention de celles qui désirent l’exercer. [Non souligné dans l’original.]

[57]      J’interprète l’alinéa 83(1)a) de la Loi, lu conjointement avec l’article 87, comme permettant au conseil de bande, avec l’approbation du ministre, de déroger à l’article 87 et de taxer, à des fins locales, les terres et les droits sur les terres situées dans la réserve, y compris les droits d’occupation, de possession et d’usage d’une terre située dans la réserve.

[58]      Ce nouveau pouvoir dont sont investies les bandes englobe, selon ses termes, le pouvoir de taxer les terres et les droits sur les terres situées dans la réserve des Indiens et des non-Indiens. Le législateur fédéral a permis aux conseils de bande de faire ce que le libellé de l’article 87 de la Loi interdit au Parlement et aux législatures des provinces, savoir taxer les droits des Indiens sur les terres de réserve. Bien que la taxation des droits des Indiens sur les réserves par le Parlement et par les législatures des provinces puisse porter atteinte à l’honneur de la Couronne, il est certain que le Parlement peut, en sa qualité de législature souveraine agissant sous le régime de la catégorie 24 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], permettre aux Indiens de taxer les droits des Indiens sur les réserves indiennes.

[59]      La bande indienne de Boothroyd et le Conseil de la bande indienne de Boothroyd affirment qu’il ne peut en être ainsi. Depuis les toutes premières disposition législatives régissant les Indiens, disent-ils, le peuple indien bénéficie d’une exemption de taxes relativement à l’usage et à l’occupation de ses terres de réserve. Ils soutiennent que les pouvoirs de taxation conférés par l’alinéa 83(1)a) de la Loi n’ont jamais visé à avoir pour conséquence que l’exercice de ces pouvoirs par les conseils de bande les prive de l’exemption de taxes dont les Indiens ont toujours bénéficié. Ils affirment que, si le Parlement avait eu l’intention d’imposer aux conseils de bande l’obligation de taxer leurs membres, s’ils décidaient d’exercer leurs pouvoirs de taxation, il l’aurait clairement exprimé. Les débats du Parlement et du Sénat sur les modifications apportées à la Loi en 1988 démontrent que le Parlement avait l’intention de s’assurer que les bandes puissent taxer l’occupation des terres de réserve par les non-Indiens, tout en préservant l’exemption de taxes accordée aux bandes et à leurs membres relativement à leurs droits sur la réserve.

[60]      La Commission consultative de la fiscalité indienne a présenté un argument similaire. Elle fait valoir que rien ne commande que les bandes qui désirent commencer à imposer des taxes en vertu de l’article 83 de la Loi doivent renoncer à l’exemption de taxes édictée par le Parlement dans l’article 87. Elle affirme que l’article 83 doit être interprété de façon à ne pas porter atteinte à l’honneur de la Couronne à cet égard.

[61]      Le chef Jules de la bande indienne de Kamloops, qui préside la Commission consultative de la fiscalité indienne, a déclaré, dans son affidavit, que des consultations ont été tenues auprès des premières nations avant le dépôt des modifications de Kamloops devant la Chambre. Des inquiétudes ont été maintes fois exprimées quant au fait que les changements proposés obligeraient les bandes à taxer leurs propres membres. Les autorités gouvernementales ont émis un avis juridique affirmant que les bandes ne seraient pas assujetties à pareille obligation. On leur a dit que, si les règlements administratifs étaient bien rédigés, l’exemption prévue par l’article 87 de la Loi pourrait être incorporée dans les règlements administratifs pris en application de l’article 83 de la Loi. Le chef Jules a affirmé s’être fondé sur ses discussions avec le bureau du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour assurer aux Premières Nations auxquelles il a parlé qu’elles ne seraient pas tenues de taxer leurs membres, si elles prenaient des règlements administratifs imposant des taxes. De plus, dit-il, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avait indiqué aux chefs et aux membres des conseils, dans une lettre jointe à une publication intitulée « Proposed Amendments to the Indian Act », du 31 août 1987, que les modifications proposées n’emporteraient [traduction] « aucune perte involontaire ou additionnelle de droits ou de pouvoirs pour les Indiens ». Le chef Jules a ajouté qu’il avait témoigné sur ce point devant le Comité sénatorial des Affaires juridiques et constitutionnelles. Il a affirmé :

[traduction] L’une des notions qui préoccupent beaucoup de chefs indiens est celle-ci : Cela signifie-t-il que je devrai commencer à taxer mes propres membres? Bien sûr, le droit à l’exemption de taxes est un combat que le peuple indien a entrepris et, historiquement, le Parlement a toujours exempté les Indiens. Les chefs indiens s’inquiétaient de fait que cela pourrait signifier qu’ils pourraient être tenus de taxer tous leurs membres. L’article 87 de la Loi sur les Indiens exempte les biens meubles de la taxation. Par conséquent, une bande n’a qu’à incorporer une exemption, que le Parlement a déjà accordée aux bandes et aux Indiens individuellement, dans son règlement administratif. De cette façon, les bandes ne taxeraient pas leurs membres.

[62]      L’alinéa 83(1)a) de la Loi, tel que je le perçois, ne correspond pas aux attentes du chef Jules. L’article 87 fixe une limite aux pouvoirs du Parlement et des législatures des provinces. Il déclare certains droits des Indiens exempts de taxation, malgré ce que peuvent prévoir les lois édictées par ces autorités législatives. L’article 87 constitue essentiellement une mesure de protection en faveur des Indiens.

[63]      Par contre, l’alinéa 83(1)a) de la Loi est une disposition attributive de pouvoirs, même si sa portée est limitée. Elle confère aux conseils de bande le pouvoir de taxer les droits situés dans la réserve. Aucun des termes utilisés dans l’alinéa 83(1)a) de la Loi ne garantit aux Indiens qu’ils ne seront pas taxés par leurs conseils de bande.

[64]      Si l’intention du législateur était de reprendre, dans l’alinéa 83(1)a) de la Loi, le principe énoncé dans l’article 87, le Parlement n’aurait pu y parvenir qu’en mettant les droits des Indiens sur les réserves à l’abri de la taxation par les conseils de bande. Cette intention n’est pas exprimée dans l’alinéa 83(1)a) de la Loi tel qu’il est libellé, que ce soit en des termes exprès ou par déduction nécessaire. L’article 87 s’applique « sous réserve de l’article 83 ». Rien n’indique, dans l’article 87 ni dans l’alinéa 83(1)a) de la Loi, que les droits des Indiens sur la réserve demeurent exemptés de taxes malgré les règlements administratifs imposant des taxes pris par les conseils de bande.

[65]      Aucune interprétation libérale ou généreuse de l’alinéa 83(1)a) de la Loi n’est possible. L’esprit de l’article 87 ne s’y retrouve tout simplement pas. L’effet de l’alinéa 83(1)a) consiste à donner aux conseils de bande le pouvoir de taxer tous les droits situés dans la réserve, qu’ils appartiennent à des Indiens ou à des non-Indiens. L’alinéa 83(1)a) ne soustrait pas les droits des Indiens au pouvoir de taxation des conseils de bande, comme le fait l’article 87 à l’égard des lois fédérales et provinciales.

[66]      Qui plus est, interpréter l’alinéa 83(1)a) de la Loi comme prévoyant que l’exemption de taxes accordée historiquement aux Indiens relève du pouvoir discrétionnaire des conseils de bande, qui pourraient l’appliquer, comme le prétendent les appelants, irait à l’encontre d’un autre principe juridique fondamental énoncé par le juge Beetz, au nom de la Cour, dans l’affaire Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres[34], où il a déclaré[35] :

La règle selon laquelle le pouvoir de faire des règlements ne comporte pas celui d’édicter des dispositions discriminatoires à moins que les textes législatifs habilitants ne prescrivent le contraire a été observée de temps immémorial en droit public anglais et canadien.

[67]      Le juge Beetz a passé en revue les sources britanniques et canadiennes à l’appui de cette proposition. Il a cité notamment l’extrait suivant de l’ouvrage de Louis-Philippe Pigeon, Rédaction et interprétation des lois, 1978, à la page 34[36] :

Il est une autre observation importante à faire sur la question du pouvoir de réglementation. C’est la suivante : le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d’établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l’autorise dise le contraire, s’appliquer à tout le monde de la même façon. Si l’on veut pouvoir faire des distinctions, il faut le dire. Une des décisions intéressantes sur ce point, c’est Rex v. Paulowich, [1940] 1 W.W.R. 537. Il y en a quantité d’autres. [Non souligné dans l’original.]

[68]      Plus loin, dans son jugement, il a étoffé ce principe[37] :

Il faut tenir qu’à moins de dispositions explicites au contraire ou de délégation implicite faite par voie d’inférence nécessaire, le législateur souverain s’est réservé à lui-même le pouvoir important de restreindre les droits et libertés des citoyens en fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende les cadres du droit administratif et du droit municipal. C’est un principe de liberté fondamentale.

[69]      Dans l’arrêt R. c. Sharma[38], le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour, s’est reporté à l’arrêt Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres. Il a dit :

Dans cet arrêt, la Cour a statué que le pouvoir d’adopter des règlements municipaux n’emportait pas celui d’édicter des dispositions discriminatoires (c.-à-d. d’établir une distinction) à moins que la loi habilitante ne permette effectivement un tel traitement discriminatoire. Voir également Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations (2e éd. 1971), aux pp. 406.3 et 406.4 :

[traduction] C’est un principe fondamental en droit municipal que les règlements doivent toucher également tous ceux qui sont visés par le texte habilitant. Le règlement municipal doit être impartial dans son application et ne doit pas faire de distinction de manière à montrer un certain favoritisme envers une ou plusieurs catégories de citoyens. Tout règlement qui viole ce principe de telle sorte que les citoyens ne se trouvent pas tous dans la même situation en ce qui concerne les questions qu’il touche est illégal.

Ce principe général ne s’applique pas lorsque la loi habilitante précise clairement que certaines personnes ou choses peuvent être soustraites à son application ou permet expressément une certaine forme de discrimination.

La règle interdisant les règlements discriminatoires est une excroissance du principe selon lequel, en tant qu’organismes créés par la loi, les municipalités [traduction] « peuvent exercer seulement les pouvoirs qui leur sont conférés expressément par la loi, les pouvoirs qui découlent nécessairement ou vraiment du pouvoir explicite conféré dans la loi, et les pouvoirs indispensables qui sont essentiels et non pas seulement commodes pour réaliser les fins de l’organisme » (Makuch, Canadian Municipal and Planning Law (1983), à la p. 115). [Non souligné dans l’original.]

[70]      Les appelants font toutefois valoir que les arrêts Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres et R. c. Sharma portent sur les pouvoirs des municipalités. Ils soulignent que les conseils de bande ne sont pas des municipalités.

[71]      La bande indienne de Boothroyd et le Conseil de la bande indienne de Boothroyd affirment que, contrairement à une municipalité, la bande n’est pas une création de la loi. Les Premières Nations existaient et exerçaient leur autonomie gouvernementale. Ils citent à l’appui les décisions R. c. Sioui[39]; Bande de Cook’s Ferry (Membres de la) c. Bande de Cook’s Ferry[40]; et Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui[41].

[72]      Il est incontestable que les Indiens et les bandes indiennes entretiennent depuis longtemps des rapports particuliers avec la Couronne. L’affaire R. c. Sioui illustre bien la capacité des Hurons de signer un traité avec la Couronne britannique en 1760, trois ans avant que la Nouvelle-France soit elle-même cédée à la Couronne britannique. Mais, à un certain moment dans l’histoire, l’autonomie gouvernementale des Indiens et des bandes indiennes a dû s’exercer à l’intérieur du Canada.

[73]      La nature juridique précise d’une bande indienne demeure obscure. Dans l’arrêt Whitebear Band Council and Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al. Re[42], la Cour d’appel de la Saskatchewan a tenu les propos qui suivent :

[traduction] Tout comme les conseils municipaux sont des « créations » des législatures provinciales, les conseils de bandes indiennes sont des « créations » du Parlement du Canada. […]

Plus particulièrement, l’art. 81 […] de la Loi attribue aux conseils de bandes indiennes les pouvoirs et obligations à l’égard des réserves indiennes et de leurs habitants qui sont habituellement associés à une municipalité rurale et à son conseil. […] Le conseil de bande exerce donc—parce que le Parlement les lui a délégués—des pouvoirs municipaux et gouvernementaux, et notamment ceux-ci, à l’égard de la réserve. […]

[…]

En résumé, un conseil de bande indienne est une autorité publique élue, dont l’existence, les pouvoirs et les responsabilités dépendent du Parlement, et dont la fonction essentielle consiste à exercer le pouvoir municipal et gouvernemental—que lui a délégué le Parlement—relativement à la réserve indienne. […]

[74]      La Cour d’appel du Québec a également considéré les conseils de bande comme des municipalités dans Re Stacey and Montour and The Queen[43].

[75]      On me remémore toutefois les propos tenus par le juge en chef Lamer (auxquels a souscrit le juge Cory) dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui[44] :

Malgré sa ressemblance avec le type de régime de taxation qui existe dans les municipalités canadiennes, le régime en cause est plus ambitieux du point de vue de ses objectifs. Il a pour objet de permettre aux bandes indiennes d’acquérir de l’expérience en matière gouvernementale et de développer les capacités nécessaires à leur autonomie gouvernementale.

[76]      Je suis d’avis que les conseils de bande constituent des organismes d’origine législative subordonnés qui sont sui generis. En cette qualité, je ne vois pas comment ils pourraient se soustraire aux principes de droit administratif régissant les organismes d’origine législative subordonnés.

[77]      Aucune disposition expresse de l’alinéa 83(1)a) de la Loi ne permet le type de discrimination interdite par les règles de droit administratif. Aucune inférence nécessaire n’appuie selon moi la prétention que les conseils de bande ont, par déduction nécessaire, le pouvoir d’établir une distinction entre les Indiens et les autres personnes relativement à l’imposition de taxes. L’analyse que j’ai déjà effectuée relativement à l’article 87 exclut toute conclusion à cet effet. Le libellé même de l’alinéa 83(1)a) va à l’encontre de l’esprit de l’article 87.

[78]      La procédure d’appel, exigée par le paragraphe 83(3) de la Loi n’indique aucunement qu’une telle inférence peut être faite, car il en existe souvent de semblables en droit municipal et elles ne neutralisent pas l’application de la règle énoncée dans les arrêts Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres et R. c. Sharma. Le ministre ne peut pas non plus, en vertu du paragraphe 83(4), agir à titre de gardien d’un principe aussi fondamental du droit administratif que celui établi dans Arcade Amusements et Sharma.

[79]      La bande indienne de Little Shuswap et le Conseil de la bande indienne de Little Shuswap ont fait valoir qu’avant les modifications de 1988, les municipalités taxaient les biens à bail des non-Indiens situés sur des terres désignées, afin de recueillir des fonds à titre d’indemnité pour les services qu’elles fournissaient aux détenteurs de ces biens. Lorsque les bandes ont commencé à exercer leur pouvoir de taxation sur ces terres désignées[45], après 1988, ces services étaient, en général, encore fournis par la municipalité. Les bandes ont ensuite tenté d’en assurer la continuité en négociant des contrats avec les municipalités en cause. Par ailleurs, les bandes indiennes fournissaient et continuent de fournir à leurs membres les services de la nature de ceux que fournissent les municipalités.

[80]      Le juge responsable des requêtes a soustrait des règlements administratifs de taxation les dispositions qui exemptent les membres et les bandes de la taxation. Selon la bande indienne de Little Shuswap et le Conseil de la bande indienne de Little Shuswap, cette décision a eu pour effet d’imposer des taxes aux bandes et à leurs membres relativement à des services qu’ils ne reçoivent pas. Les seules parties à bénéficier de ces services sont les détenteurs des terres désignées. Si cette décision est confirmée, disent-ils, les bandes indiennes évalueront les droits des Indiens, qui n’ont pas de véritable valeur marchande, aux fins du paiement de services municipaux que les Indiens ne reçoivent pas (ou qu’ils se fournissent à eux-mêmes ou paient d’une autre façon) pour permettre que ceux qui bénéficient effectivement de ces services puissent être taxés. Cela fait ressortir, selon eux, le ridicule de la situation créée par la décision du juge responsable des requêtes. Dans leur plaidoirie orale, ils n’ont pas nié, par contre, que des droits fonciers des non-Indiens peuvent servir à financer des services fournis exclusivement à la collectivité indienne sur la réserve.

[81]      Le dossier ne renferme aucun élément de preuve concernant la valeur marchande des droits des Indiens. Quoi qu’il en soit, les municipalités pallient à la faible valeur des biens immeubles en utilisant un système d’imposition équilibré, et non en accordant une exemption de taxes fondée sur la race ou l’origine ethnique.

[82]      Les observations de la bande indienne de Little Shuswap et du Conseil de la bande indienne de Little Shuswap révèlent de façon frappante qu’il ne faut pas retrancher à l’aveuglette des éléments des règlements administratifs. On ne nous a fourni aucun renseignement sur la façon dont le système d’imposition établi par les règlements administratifs en cause s’applique. Ces règlements administratifs doivent, par conséquent, être repensés en entier. Si les conseils de bande avaient su que certaines parties de leurs règlements administratifs étaient invalides, ils les auraient structurés différemment[46].

[83]      En conclusion, j’estime qu’on ne peut conclure à l’existence d’aucune disposition expresse ni délégation implicite par inférence nécessaire qui autoriserait la discrimination établie par les règlements administratifs des appelants. Je conclus que ces règlements administratifs sont invalides parce qu’ils vont à l’encontre d’un principe fondamental du droit administratif. Ces règlements sont invalides en entier, car on ne peut présumer qu’ils auraient été adoptés si les conseils de bande avaient su que certaines de leurs dispositions étaient invalides.

[84]      Je rejetterais les appels avec dépens, étant entendu qu’un seul mémoire de frais doit être adjugé relativement à l’audition.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) :

I.          INTRODUCTION

[85]      L’article 83 de la Loi sur les Indiens vise à favoriser l’autonomie gouvernementale des Autochtones en autorisant les conseils de bande à prendre des règlements administratifs imposant des taxes et à délivrer des avis d’évaluation concernant les immeubles « situés dans la réserve ». Les appels font suite à la délivrance d’avis d’évaluation aux intimées, Canadien Pacifique et Unitel Communications, en vertu de règlements administratifs pris par les conseils de bande appelants. Canadien Pacifique est propriétaire de plusieurs droits de passage qui traversent les réserves des appelants, toutes situées en Colombie-Britannique. Unitel est mêlée à cette controverse juridique parce que ses câbles à fibres optiques sont enfouis sous le droit de passage qui traverse la réserve de Matsqui. À la suite des avis d’évaluation, les intimées ont introduit des demandes de contrôle judiciaire en plaidant l’invalidité des avis d’évaluation et des règlements administratifs imposant les taxes. En ce qui a trait à la validité des avis, les intimées soutiennent que Canadien Pacifique a acquis le titre en « fief simple » sur chacun des droits de passage et, par conséquent, que ces terres ne sont pas « situées dans la réserve ». Pour ce qui est des règlements administratifs imposant les taxes, les intimées font valoir qu’ils sont invalides parce qu’ils établissent une distinction illicite. La question de la discrimination est soulevée parce que tous les règlements administratifs contestés prévoient que seuls les droits des non-Indiens sur un immeuble situé sur les terres de réserve sont assujettis à la taxe.

[86]      Le juge responsable des requêtes a statué que les terres en cause n’étaient pas « situées dans la réserve », car Canadien Pacifique avait obtenu un « fief simple extinguible » relativement à chaque droit de passage. Il a aussi statué que l’exemption de taxe applicable aux terres de réserve occupées par des membres de la bande constituait une distinction illicite. En conséquence, les demandes de contrôle judiciaire ont été accueillies. Les cinq appelants sollicitent l’annulation de ces ordonnances.

[87]      Dans les motifs qui suivent, je conclus que Canadien Pacifique ne pouvait valablement acquérir le titre en fief simple sur les droits de passage. L’intimée a acquis, tout au plus, une servitude légale ou une permission. Par conséquent, les terres en cause sont « situées dans la réserve », au sens de la Loi sur les Indiens et, partant, les avis d’évaluation sont valides. Je suis aussi d’avis que les règlements administratifs ne sont pas ultra vires pour cause de distinction illicite et qu’ils sont donc valides. En conséquence, les appels doivent être accueillis.

[88]      Bien que les questions en litige et mes conclusions soient faciles à énoncer, je ne voudrais pas minimiser l’importance de ces appels en ce qu’ils soulèvent des questions fondamentales et épineuses concernant la nature de la protection légale dont bénéficient les terres de réserve. Le concept de l’autonomie gouvernementale des Autochtones, que l’article 83 de la Loi sur les Indiens vise à favoriser en permettant la prise de règlements administratifs imposant des taxes[47], et les raisons historiques qui justifient une exception à la règle de common law interdisant les règlements administratifs discriminatoires sont tout aussi importants. En l’absence de ce cadre historique, il serait injuste que la Cour sanctionne un régime quasi législatif qui assujettit uniquement les non-Indiens aux taxes sur les terres de réserve.

[89]      Enfin, il faut reconnaître que l’issue des appels tient à l’interprétation d’une loi d’une grande importance sur les plans historique et politique, savoir l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique de 1881 (la Loi du CP)[48]. Canadien Pacifique s’appuie sur cette loi pour réfuter le principal argument juridique des appelants portant que la Couronne n’avait pas le pouvoir, en vertu ni de la législation sur les chemins de fer ni de la législation sur les Indiens, de transférer à Canadien Pacifique le titre en fief simple sur chacun des droits de passage, sans égard à la prétendue portée des actes de transfert. Canadien Pacifique affirme que la Loi du CP a préséance sur ces deux législations et qu’il éteint effectivement le titre ancestral sur les droits de passage qui traversent les terres de réserve.

II.         LE LITIGE

[90]      Huit demandes de contrôle judiciaire ont été introduites au total devant la Cour fédérale pour contester les avis d’évaluation délivrés en vertu des règlements administratifs pris conformément à la Loi sur les Indiens[49]. Six demandes ont été entendues par le juge responsable des requêtes. Après le prononcé de sa décision, les parties aux deux demandes restantes ont demandé et obtenu un jugement sur consentement conforme à cette décision. Par la suite, ces huit décisions ont été portées en appel devant la présente Cour. Il y a eu désistement d’un de ces appels. Deux autres ont été réunis et tranchés par une autre formation de la Cour en 1998[50]. Dans ces appels, l’intimée était la Compagnie des chemins de fer nationaux et non Canadien Pacifique. Parmi les autres différences de fait et de fond entre les affaires tranchées en 1998 et celles dont la Cour est maintenant saisie, notons que les premières portaient sur : 1) la question de savoir s’il y avait eu cession des terres par les bandes indiennes en cause; 2) l’applicabilité de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, que l’on désigne couramment comme prévoyant la « prise » ou « l’expropriation » des terres; et 3) le libellé des actes de transfert pertinents. Compte tenu de ces différences, et du fait que Canadien Pacifique invoque la Loi du CP pour établir son titre en fief simple sur les droits de passage, il est bien établi que les appels déjà tranchés n’ont aucune incidence directe sur ceux que la Cour examine maintenant.

[91]      Bien que Canadien Pacifique ait été autorisée à présenter un seul mémoire relativement aux cinq appels, aucune ordonnance prescrivant la réunion des instances n’a été demandée, probablement en raison de différences factuelles. J’ai toutefois tenu l’uniformité des faits pour acquise, sauf mention expresse. C’est de cette façon que les avocats ont abordé les dossiers lors des quatre jours d’audience devant la Cour. Les observations des intervenants n’ont porté que sur la question de la discrimination en raison de son incidence éventuelle sur l’autonomie gouvernementale des Autochtones, qui revêt de l’importance pour toutes les bandes indiennes et non exclusivement pour celles dont les règlements imposant des taxes sont actuellement soumis au contrôle de la Cour.

III.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

D’INSTANCE INFÉRIEURE

[92]      En l’espèce, il n’y a pas d’avantage notable à tirer d’une analyse des motifs du tribunal d’instance inférieure[51], et ce pour deux raisons. Premièrement, la plus grande partie de la décision de première instance ne s’applique qu’aux droits de passage de la Compagnie des chemins de fer nationaux. Cette entité n’est pas partie aux appels actuels. Deuxièmement, les questions que la Cour doit maintenant trancher sont radicalement différentes de celles plaidées devant le juge responsable des requêtes. Depuis que Canadien Pacifique a invoqué les dispositions de la Loi du CP pour établir qu’il a acquis le titre en fief simple sur les droits de passage, la majeure partie de l’analyse effectuée par le juge responsable des requêtes n’est plus pertinente. Toutefois, on ne peut ignorer sa conclusion portant que les lettres patentes délivrées à Canadien Pacifique ont emporté le transfert d’un fief simple extinguible. Pour ma part, j’estime que cette conclusion est erronée.

IV.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[93]      Les parties s’entendent pour dire que deux questions principales doivent être tranchées : 1) celle de savoir si les terres formant les droits de passage sont « situées dans la réserve » au sens de l’article 83 de la Loi sur les Indiens ; et 2) le cas échéant, celle de savoir si l’exemption de taxe accordée aux membres de la bande établit une distinction illicite, de sorte que chacun des règlements administratifs imposant des taxes serait invalide. La première question commande l’examen de questions fondamentales telles : 1) la définition des terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens; 2) l’intention qu’avait le Parlement lorsqu’il a transféré les terres des chemins de fer à Canadien Pacifique; et, question plus importante, 3) celle de savoir si la Couronne avait le pouvoir nécessaire pour transférer le titre en fief simple à Canadien Pacifique. Essentiellement, la Cour doit déterminer la nature précise du titre transféré en tenant compte de l’effet combiné de la législation sur les chemins de fer, de la législation sur les Indiens et de la Loi du CP.

V.        ANALYSE

A.        Les droits de passage sont-ils « situés dans la réserve »?

1)         La définition du terme « réserve »

[94]      En vertu de l’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, seules les terres situées dans une réserve peuvent être assujetties aux taxes imposées par les conseils de bande. La définition du terme « réserve » figure au paragraphe 2(1). Voici les dispositions pertinentes de ces deux articles :

2. (1) […]

« réserve » Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande; y sont assimilées les terres désignées, sauf pour l’application du paragraphe 18(2), des articles 20 à 25, 28, 36 à 38, 42, 44, 46, 48 à 51, 58 et 60, ou des règlements pris sous leur régime.

« terres désignées » Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle-ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu.

[…]

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

 a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage; [Non souligné dans l’original.]

[95]      En s’appuyant sur cette définition des terres de réserve, qui inclut les « terres désignées », les appelants soutiennent que la Couronne n’a pas transféré à Canadien Pacifique le titre « absolu » sur les droits de passage et que ces terres sont donc « situées dans la réserve ». Les appelants invoquent la conclusion du juge responsable des requêtes selon laquelle Canadien Pacifique n’a reçu qu’un fief simple extinguible relativement à chaque droit de passage pour étayer leur prétention que l’intimée n’a pas acquis le titre absolu. Il est admis que le fief simple extinguible constitue un droit moindre qu’un fief simple absolu. Les appelants font donc valoir que tous les droits de passage sont « situés dans la réserve ». Je ne peux souscrire à cette conclusion, et ce pour deux raisons. Premièrement, les actes de transfert en cause ont été rédigés comme il se doit pour transférer non pas un fief simple extinguible, mais le titre en fief simple sur les droits de passage. Deuxièmement, l’expression « autrement qu’à titre absolu » figurant dans la définition des « terres désignées » s’applique uniquement lorsqu’il y a eu cession des terres de réserve. Les appels ne portent pas sur une cession de terres indiennes et, en conséquent, ce qui importe c’est la nécessité que la Couronne ait conservé le droit de propriété sur les terres pour que celles-ci soient « situées dans la réserve ». Je traiterai d’abord de la conclusion du juge responsable des requêtes selon laquelle Canadien Pacifique a reçu un domaine en fief simple extinguible sur les droits de passage litigieux.

a)         Fief simple et fief simple extinguible

[96]      15 droits de passage sont en cause et, par conséquent, il faut examiner 15 transferts pour déterminer si le titre en fief simple a été transmis à Canadien Pacifique ou s’il s’agit plutôt d’un fief extinguible comme l’a conclu le juge responsable des requêtes. Par ailleurs, personne n’a soulevé d’objection relativement au fait que les actes de transfert n’ont pas tous été déposés en preuve devant la Cour. Néanmoins, il est évident que les documents produits utilisent les mots nécessaires, selon la common law, pour créer un titre en fief simple. Les termes de dévolution (words of limitation) et la clause de désignation (habendum) utilisés, par exemple dans les lettres patentes relativement au droit de passage traversant la réserve de Matsqui attestent clairement le transfert d’un titre en fief simple :

[traduction] […] au moment de sceller nos présentes lettres patentes Nous cédons, vendons, aliénons et transférons à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, à ses successeurs et ayants cause à perpétuité, tout ce lopin de terre situé à l’intérieur de la réserve indienne de Matsqui (Sahhahcom) […]

POUR, ladite Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, ses successeurs et ayants cause à perpétuité, avoir et posséder ledit lot de terre, cédé et transféré par les présentes […]

[97]      En tenant pour acquis que tous les actes de transfert sont essentiellement semblables à celui concernant Matsqui, il faut examiner le fondement juridique de la décision du juge responsable des requêtes portant que tous les actes de transfert se limitaient à un fief simple extinguible. Si le juge responsable des requêtes a eu raison de conclure que Canadien Pacifique a acquis uniquement un fief simple extinguible sur chacun des droits de passage, je devrai examiner la question de savoir si les terres sont situées à l’extérieur des réserves. C’est une question que je veux éviter. Mais je souhaite surtout dissiper plusieurs idées fausses qui commencent à prendre racine dans la jurisprudence quant à ce qui constitue un fief simple extinguible. Il appert que le juge responsable des requêtes est d’avis qu’un fief simple extinguible résulte de l’inclusion, par exemple, d’un attendu portant que les terres sont transférées « pour les besoins d’un chemin de fer ». Il a notamment écrit[52] :

Je suis convaincu qu’un thème commun lie les lettres patentes, les arrêtés en conseil et les lois applicables, c’est-à-dire que les terres ont été cédées aux requérantes précisément pour les besoins du chemin de fer. Par conséquent, je suis convaincu que le droit sur les terres qui a été cédé aux compagnies de chemin de fer était un droit extinguible. Par conséquent, le titre est dévolu aux requérantes et les terres ne sont pas assujetties au pouvoir de taxation des bandes indiennes. [Non souligné dans l’original.]

[98]      Puis, il a poursuivi en concluant[53] :

Je suis convaincu que si l’événement qui éteint le droit porte sur la totalité de ce droit, alors un droit extinguible est créé. Par ailleurs, si cet événement ne porte pas sur l’intégralité du droit, alors un droit conditionnel est créé. En l’espèce, l’événement résolutoire, c’est-à-dire le cas où les terres contestées cesseront d’être utilisées pour les besoins du chemin de fer, vise l’intégralité du droit conféré. Des expressions comme « pour les besoins d’un chemin de fer » utilisées dans les lettres patentes et dans les lois applicables s’apparentent davantage aux mots magiques qui contribuent à créer un droit extinguible qu’à ceux qui donnent naissance à un droit conditionnel.

[99]      Selon moi, cette perception de la nature d’un domaine en fief simple extinguible est manifestement erronée. Un fief simple extinguible ne découle pas du simple fait qu’un acte de transfert inclut un attendu décrivant le but dans lequel le transfert est effectué, par exemple, pour les besoins d’un chemin de fer, comme l’a conclu le juge responsable des requêtes. Un spécialiste des actes de transfert verrait l’utilité de l’inclusion d’un tel attendu. En vertu de la législation sur les chemins de fer, la Couronne ne peut transférer à une compagnie de chemin de fer que les terres nécessaires aux fins du chemin de fer[54]. Sans attendu à cet effet, la personne qui rédigerait le résumé d’un titre aurait la connaissance imputée que le transfert des terres de la Couronne risque de ne pas être conforme à la législation sur les chemins de fer.

[100]   Il est important de reconnaître qu’un fief simple extinguible est créé par l’ajout de restrictions aux termes de dévolution utilisés pour créer un domaine en fief simple. Par exemple, un fief simple extinguible peut prévoir que le transfert des terres en faveur du bénéficiaire et de ses successeurs vaut « tant que les terres sont utilisées pour les besoins du chemin de fer »[55]. D’après ce que je comprends des faits, des termes semblables ont été utilisés dans les actes de transfert en faveur de la Compagnie des chemins de fer nationaux, qui étaient en litige dans les appels déjà tranchés par la Cour et, par conséquent, la conclusion portant que cette société de chemin de fer a reçu un fief simple extinguible relativement à ses droits de passage est conforme au droit. Toutefois, ce raisonnement ne s’applique pas aux présents appels.

[101]   En conclusion, les actes de transfert reçus par Canadien Pacifique et produits devant la Cour prétendent transférer le titre en fief simple, et non un fief extinguible, relativement à chacun des droits de passage. Il faut encore décider si la Couronne avait le pouvoir de transférer le titre en fief simple, malgré les dispositions de la législation sur les Indiens et de la législation sur les chemins de fer. Avant d’examiner cette question, je désire souligner que l’expression « autrement qu’à titre absolu » qui figure dans la définition du terme « terres désignées » n’a aucune incidence sur l’issue des appels. Ce qui est pertinent, c’est de savoir si Sa Majesté est toujours propriétaire des terres de réserve.

b)         « Terres désignées »

[102]   Le terme « terres désignées » a été ajouté à la Loi sur les Indiens en 1988[56] pour faire échec à la conclusion tirée dans Re Leonard and The Queen in right of British Columbia[57] (ci-après appelé l’arrêt Leonard), selon laquelle les terres de réserve cédées uniquement aux fins d’être données à bail ne constituent plus des terres situées dans la réserve aux fins de l’imposition de taxes. Dans l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s[58], la Cour suprême a décrit ces modifications dans les termes suivants :

Il est évident, toutefois, que le législateur n’a pas inclus toutes les terres cédées par une bande indienne dans la définition légale de « réserve ». Si telle avait été la fin recherchée, les moyens employés auraient été carrément moins complexes. Au contraire, conscient de la nécessité d’exclure de la définition de « réserve » les terres cédées afin d’être vendues, le législateur a créé un régime de cessions à deux niveaux. La condition préalable énoncée au par. 37(1), savoir que les terres doivent être cédées à titre absolu avant d’être vendues, montre que le législateur entendait exclure les terres cédées à cette fin de la définition de réserve. Plusieurs éléments des modifications de Kamloops, dont le plus manifeste est l’emploi du verbe « désigner » au par. 38(2), montrent qu’on entendait que les terres cédées pour être données à bail soient visées par la définition de « terres désignées ».

Pourquoi le législateur a-t-il employé l’expression générale « autrement qu’à titre absolu »? Si son intention expresse était d’exclure des terres faisant partie de la réserve les terres cédées à des fins de vente, pourquoi n’a-t-il pas défini l’expression « terres désignées » d’une manière plus explicite? J’ai une réponse convaincante à offrir : le législateur doit avoir choisi l’expression générale « autrement qu’à titre absolu » afin de parer à d’autres éventualités—d’une part, pour permettre que des terres faisant l’objet d’autres formes limitées de cession, comme un droit de passage, soient considérées comme des terres désignées, et, d’autre part, pour faire en sorte que les terres faisant l’objet d’autres formes de cessions permanentes, comme l’échange ou le don, demeurent en dehors de nos conceptions de terres faisant partie d’une réserve. Le législateur aurait pu formuler sa définition de « terres désignées » en fonction de la distinction spécifique entre la location et la vente. [Non souligné dans l’original.]

[103]   Par conséquent, les modifications de Kamloops garantissent que les terres cédées « autrement qu’à titre absolu », par exemple aux fins de les donner à bail, demeurent « situées dans la réserve » au sens de l’article 83. En résumé, l’expression « autrement qu’à titre absolu » s’applique aux cas où les terres de réserve ont été cédées. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Toutefois, mon désaccord sur ce point n’a pas d’effet inéluctable sur la cause des appelants.

[104]   En l’espèce, ce qui importe c’est que les terres ne sont situées dans la réserve que si « Sa Majesté » en est toujours « propriétaire ». Cette condition est fixée par le libellé du début de la définition du terme « terres désignées ». Je tiens à souligner en passant que, selon moi, et contrairement à ce qui a été décidé dans l’arrêt Leonard, en cédant une terre aux fins de la donner à bail, le cédant ne se départit pas du droit de propriété sur cette terre. Mais il s’en départit lorsqu’il y a transfert en fief simple. Ainsi, si Canadien Pacifique a valablement acquis de la Couronne le titre en fief simple sur ses droits de passage, les avis d’évaluation sont invalides. Si, au contraire, Canadien Pacifique ne peut faire valoir qu’un droit moindre sur ces terres, telle une servitude, peu importe l’objet prétendu des actes de transfert, ces terres sont « situées dans la réserve » et les évaluations sont valides. Cela s’explique par le fait que l’auteur du transfert (p. ex. la Couronne) ne se départit pas de son droit de propriété lorsqu’il procède à un transfert équivalant à une servitude ou à une permission[59].

[105]   Deux arguments principaux ont été plaidés devant la Cour. Le premier a été proposé par l’appelant de Matsqui, qui a soutenu que les documents précédant la délivrance des lettres patentes démontrent que la Couronne n’avait pas l’intention d’accorder à Canadien Pacifique le titre en fief simple sur les droits de passage. Le deuxième, que les cinq appelants ont fait valoir, porte que la Couronne n’avait pas le pouvoir de transférer le titre en fief simple relativement aux droits de passage, compte tenu des restrictions édictées dans la législation sur les chemins de fer et dans la législation sur les Indiens. Canadien Pacifique plaide que le pouvoir requis découle de la Loi du CP. Le cas échéant, cette loi a pour effet d’éteindre le titre des Indiens sur les terres de réserve transférées pour les besoins du chemin de fer. Je m’empresse d’ajouter que par titre des Indiens sur les terres de réserve, j’entends simplement le droit de propriété appartenant à la Couronne au profit des Indiens. Je traiterai en premier lieu de l’argument de l’appelant de Matsqui.

2)         La réserve de Matsqui—Existence de l’intention de transférer le titre en fief simple

[106]   Canadien Pacifique est propriétaire d’un droit de passage qui traverse la réserve de Matsqui. La bande de Matsqui essaie de tirer parti du fait que le terme « droit de passage » a deux sens. Comme terme technique, il a le sens restreint d’un droit foncier appartenant à la catégorie générale des servitudes. Toutefois, dans la langue courante, il évoque simplement l’accès à une parcelle donnée de terrain, sans véhiculer le caractère juridique précis du titre du propriétaire. L’appelant de Matsqui soutient que, s’ils sont bien interprétés, les documents relatifs à la délivrance des lettres patentes révèlent que Canadien Pacifique a obtenu une simple servitude. Cet argument s’appuie sur les faits que voici.

[107]   En 1890, les avocats de Canadien Pacifique ont écrit au surintendant des Affaires indiennes dans le but d’acheter un droit de passage traversant la réserve de Matsqui pour la somme de 120 $. Le ministre responsable a recommandé [traduction] « l’acceptation de l’offre et la vente du terrain sous forme d’un droit de passage ». Le décret no 1653, daté du 21 juillet 1891, qui autorisait le transfert, précise que Canadien Pacifique a demandé un droit de passage traversant la réserve indienne de Matsqui, que le terrain requis à cette fin mesurait 2,47 acres et que Canadien Pacifique était disposé à payer 120 $. Par ailleurs, l’appelant de Matsqui reconnaît que les lettres patentes délivrées le 25 août 1891 à Canadien Pacifique attestent le transfert d’un titre en fief simple.

[108]   Néanmoins, l’appelant de Matsqui fait valoir que les lettres patentes ne prévoient pas sans équivoque un titre en fief simple lorsqu’on les interprète conjointement avec le décret qui les autorise. En conséquence, il plaide que le droit de Canadien Pacifique sur le droit de passage est assujetti à la règle voulant que les transferts effectués par la Couronne reçoivent une interprétation stricte et compatible avec [traduction] « l’honneur de la Couronne »[60], pour protéger adéquatement les droits des peuples autochtones au Canada. À son avis, Canadien Pacifique n’a rien obtenu de plus qu’une servitude. Je dois malheureusement rejeter cet argument.

[109]   Si ambiguïté il y a, c’est dans les documents à l’origine de l’opération, c’est-à-dire dans le décret. De l’aveu de tous, il n’est pas clair si le terme « droit de passage » a été utilisé dans son sens technique ou non. Toutefois, cette ambiguïté a été résolue par les lettres patentes qui attestent clairement le transfert du titre en fief simple. Canadien Pacifique peut sûrement s’appuyer sur un acte de transfert formel qui ne laisse subsister aucune équivoque. En fait, l’appelant de Matsqui tente d’obtenir la rectification d’un acte, alors qu’il n’a pas été démontré que la Couronne a transféré le titre en fief simple par erreur. Si la Couronne s’était trompée, elle aurait peut-être pu exercer un recours en rectification prévu par l’equity. Mais il est certain que l’appelant de Matsqui n’a pas le pouvoir de demander à la Cour de récrire un acte de transfert auquel Matsqui n’était pas partie. Sur ce point, l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s de la Cour suprême, précité, ne lui est d’aucun secours.

[110]   Dans Bande indienne de St. Mary’s, la question en litige était celle de savoir si le conseil de bande avait cédé des terres de réserve à titre absolu aux fins d’un aéroport municipal, de sorte qu’elles ne pouvaient être assujetties aux règlements administratifs de la bande imposant des taxes. En dépit de la conclusion que la bande n’avait pas l’intention de céder les terres à titre absolu, la Cour suprême a statué que, compte tenu de la nature sui generis du droit des Indiens sur les terres de réserve, elle ne devait pas appliquer les règles techniques de common law régissant les biens immeubles pour faire échec aux droits des peuples autochtones[61]. L’appelant de Matsqui s’est fortement appuyé sur ce principe en l’espèce, en affirmant que les actes de transfert devaient recevoir une interprétation libérale favorisant la préservation de ses droits sur les terres de réserve. Toutefois, le fait que la bande indienne de St. Mary’s ait contesté un transfert, effectué sous le régime des dispositions régissant les cessions, auquel elle devait nécessairement être partie, est important. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[111]   Malgré tout, en tenant pour acquis que la Couronne avait l’intention de transférer, et a en fait transféré le titre en fief simple sur le droit de passage, il faut encore déterminer si la Couronne avait le pouvoir de transférer un tel titre à Canadien Pacifique.

3)         La Couronne avait-elle le pouvoir de transférer le titre en fief simple?

[112]   L’idée maîtresse de l’argumentation des appelants est que le gouvernement n’avait pas le pouvoir de transférer le titre en fief simple sur les droits de passage, en vertu ni de la législation sur les Indiens ni de la législation sur les chemins de fer en vigueur à l’époque de chaque transfert. Au mieux, disent-ils, Canadien Pacifique avait droit à une servitude légale.

[113]   Les présents appels portent sur 15 droits de passage distincts traversant les réserves des appelants. La Cour a été informée que toutes les réserves pertinentes ont été créées en 1878 ou en 1879. Le premier droit de passage a été transféré par lettres patentes en 1891; le dernier, en 1968. Les 13 autres droits de passage ont été transférés entre 1911 et 1935.

[114]   Bien que les appelants affirment avec insistance que les dispositions législatives auxquelles il faut se reporter sont celles en vigueur à la date du transfert des droits de passage en faveur de Canadien Pacifique, il est utile de commencer par examiner les dispositions pertinentes de la législation sur les Indiens et de la législation sur les chemins de fer en vigueur à l’époque où la Loi du CP a été édictée en 1881. Ces deux lois ont été modifiées maintes fois, mais je tenterai, dans l’analyse qui suit, de simplifier les choses. Commençons par une considération préliminaire.

a)         La Couronne fédérale est-elle propriétaire du fief sous-jacent?

[115]   Les appelants et les intimées ont pressé la Cour de ne pas approfondir la question de savoir si le titre sous-jacent sur les terres de réserve appartient à la Couronne du chef du Canada ou à la province de Colombie-Britannique. Les parties s’entendent pour dire qu’il appartient à la première. Par conséquent, si la Loi du CP, la législation sur les chemins de fer et la législation sur les Indiens combinées autorisent le transfert du titre en fief simple sur les droits de passage, les transferts sont valides et opposables à la Couronne du chef de la Colombie-Britannique. Bien que je sois disposé à accepter, aux fins de l’appel, que le droit de réversion à l’égard des terres de réserve en Colombie-Britannique appartient à la Couronne fédérale, je doute qu’une telle admission aurait pu être faite entre 1871 et 1938.

[116]   La date la plus ancienne à laquelle la Colombie-Britannique pourrait être considérée comme ayant abandonné son droit de réversion à l’égard des terres de réserve est 1912, année de la conclusion de la Convention McKenna-McBride[62]. La date la plus probable est 1938, année du Décret C.-B. 1036/1938 ayant pour objet le transfert du titre de la province sur les réserves indiennes en faveur d’Ottawa[63]. J’accepte néanmoins l’admission des parties dans le contexte dans lequel elle a été faite. On peut présumer que les transferts en faveur de Canadien Pacifique du titre en fief simple sur les terres de réserve effectués avant que la Colombie-Britannique abandonne ses droits de réversion sont exécutoires par application des théories désuètes des « biens acquis ultérieurement » et du « soutien de la préclusion »[64]. Cela en tenant bien sûr pour acquis que ces transferts en fief simple étaient autorisés par la Loi du CP, comme le prétend Canadien Pacifique. La question de cette autorisation sera examinée plus loin.

b)         Le cadre général : La législation sur les Indiens et la législation sur les chemins de fer

[117]   La législation sur les Indiens en vigueur à l’époque où la Loi du CP a été adoptée était l’Acte relatif aux Sauvages, 1880[65]. Voici le texte de l’article 36 de cette Loi :

36. Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d’avoir été cédée ou abandonnée à la Couronne […]

L’article 37 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2] de la loi actuelle a maintenu cette restriction à l’aliénation des terres de réserve[66].

[118]   L’article 31 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 est aussi pertinent. Il prévoit notamment que, si un chemin de fer passe sur une réserve « appartenant à une bande de Sauvages », il sera payé une indemnité au receveur général pour l’usage de la « bande de Sauvages au profit de laquelle la réserve est affectée ». Cet article est devenu l’article 35 de la Loi sur les Indiens actuelle[67] et on le désigne couramment comme la disposition permettant la « prise » ou « l’expropriation » des terres. L’article 31 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 ne prévoyait pas la nature précise du titre légal qu’une compagnie de chemin de fer pouvait acquérir sous son régime et il n’exigeait pas le consentement du gouverneur en conseil. Cette exigence a été imposée pour la première fois par une modification apportée à la l’Acte des Sauvages en 1887[68].

[119]   Les modifications apportées en 1887 à l’Acte des Sauvages interdisaient la prise de terres de réserve pour les besoins d’un chemin de fer ou à une fin publique sans le consentement du gouverneur en conseil. L’obligation de payer une indemnité a été maintenue. La seule autre modification notable apportée à l’article 35 pertinente [alors, article 46] en l’espèce est survenue en 1911, lorsque la prise de terres de réserve pour les besoins d’un chemin de fer ou à une fin publique a été autorisée sous réserve des conditions suivantes : 1) le consentement du gouverneur en conseil devait être obtenu; 2) une indemnité devait être payée; 3) l’autorité procédant à l’expropriation devait avoir le pouvoir, en vertu de sa loi habilitante, de prendre des terres ou un intérêt dans des terres sans le consentement du propriétaire. Voici le texte de la modification de 1911[69] :

46. Nulle partie d’une réserve ne doit être prise pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du Gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou toute autorité municipale ou provinciale possédant le pouvoir statutaire, soit fédéral soit provincial, de prendre et d’utiliser des terres ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du Gouverneur en conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir statutaire à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve, et dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et la prise des terres ou d’un intérêt dans des terres, ainsi que la détermination et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté du conseil qui fait preuve du consentement du Gouverneur en conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou provinciale dans des cas ordinaires. [Non souligné dans l’original.]

[120]   Quatre faits importants doivent être soulignés à cette étape. Premièrement, concernant la condition préalable selon laquelle l’autorité qui prend les terres doit avoir le pouvoir légal d’exproprier des terres sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir a été expressément conféré aux compagnies de chemin de fer, y compris à Canadien Pacifique, dès 1888[70].

[121]   Deuxièmement, le pouvoir de prendre des terres, prévu dans la disposition modifiée permettant l’expropriation, n’emporte pas nécessairement le transfert du titre en fief simple en faveur du bénéficiaire du transfert (voir l’examen de cette question, plus loin). En effet, le gouverneur en conseil pourrait, en donnant son consentement à la prise des terres, imposer des termes et conditions pouvant vraisemblablement s’étendre à la définition du domaine transféré. De plus, il est possible de prétendre que, lorsque des terres de réserve sont expropriées en vertu de cette disposition, le gouverneur en conseil a une obligation fiduciaire envers les Indiens touchés d’agir dans leur intérêt véritable ou, du moins, d’en tenir compte[71].

[122]   Troisièmement, il ressort clairement de la modification de 1911 qu’une prise de terres effectuée en vertu de la disposition permettant l’expropriation devait être réalisée en conformité avec la procédure générale établie par la loi habilitante régissant l’autorité en cause. Sur ce point, il est pertinent de noter qu’au moment de la modification apportée à la législation sur les chemins de fer en 1888[72], le pouvoir des compagnies de chemin de fer de prendre des terres appartenant à Sa majesté, y compris des terres de réserve, a été assujetti à des restrictions semblables à celles édictées dans les dispositions de la législation sur les Indiens prévoyant la prise de terres. En particulier, selon l’article 99, aucune terre appartenant à Sa Majesté ne pouvait être prise, utilisée ni occupée sans le consentement du gouverneur en conseil, et le consentement du gouverneur en conseil pouvait être assujetti à des conditions prescrites. Par application de l’article 101, les terres de réserve ne pouvaient être prises, utilisées ni occupées sans le consentement du gouverneur en conseil et, lorsque ce consentement était obtenu, une indemnité devait être versée aux Indiens touchés.

[123]   L’examen des articles 99 et 101 de l’Acte des chemins de fer en regard de la modification apportée en 1911 à ce qui est devenu l’article 35 de la Loi sur les Indiens actuelle révèle très clairement que les régimes d’expropriation créés par ces deux lois sont essentiellement semblables et fonctionnent concurremment. La législation sur les Indiens autorise l’expropriation de terres de réserve par une compagnie de chemin de fer pour les besoins d’un chemin de fer, sous réserve du consentement du gouverneur en conseil et du paiement d’une indemnité. Le processus d’expropriation et le montant de l’indemnité sont, pour leur part, établis en fonction de la législation sur les chemins de fer.

[124]   Enfin, le pouvoir de prendre des terres de réserve à des fins publiques a été maintenu dans la Loi sur les Indiens actuelle[73].

[125]   Si l’on fait abstraction pour l’instant des dispositions de la Loi sur les chemins de fer, il n’existe que deux façons principales d’acquérir le titre sur des terres de réserve sous le régime de la Loi sur les Indiens[74]. Premièrement, on peut acquérir le titre au moyen d’une cession valide des terres de la Couronne effectuée par la bande indienne. Le deuxième moyen fait intervenir la disposition de la Loi sur les Indiens permettant la prise ou l’expropriation de terres. En ce qui concerne Canadien Pacifique, ces deux possibilités doivent être examinées en regard d’une restriction établie par la Loi sur les chemins de fer, qui interdit en fait aux compagnies de chemin de fer d’acquérir le titre en fief simple sur les terres de la Couronne.

[126]   Le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879[75] prévoit qu’aucune compagnie de chemin de fer ne peut prendre ni utiliser les terres appartenant à Sa Majesté sans le consentement du gouverneur en conseil et que les terres ainsi prises ne peuvent être aliénées. Voici ce paragraphe :

7. […]

3. Nulle compagnie de chemin de fer ne prendra possession, n’emploiera ou n’occupera de terrains appartenant à Sa Majesté, sans le consentement du Gouverneur en conseil; mais avec ce consentement, toute compagnie de chemin de fer pourra prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses travaux, mais non l’aliéner, telle partie des terres incultes de la Couronne qui n’ont pas encore été vendues ou concédées, située sur la ligne du chemin de fer, et qui sera nécessaire pour le chemin de fer, ainsi que telle partie de la grève publique ou des terrains couverts par les eaux de tout lac, rivière, cours d’eau ou canal, ou de leurs lits respectifs, qui sera nécessaire pour faire, compléter et exploiter les dits chemin de fer et travaux […] [Non souligné dans l’original.]

[127]   Il est de droit constant qu’une restriction absolue quant à l’aliénation est contraire à la notion de titre en fief simple[76]. Pour cette raison, aucun transfert effectué par la Couronne en faveur d’une compagnie de chemin de fer ne peut lui conférer un fief simple, et a fortiori un fief simple extinguible. Il faut reconnaître que l’application du paragraphe 7(3) peut être écartée par l’adoption d’un « acte spécial ». Cette possibilité est créée par le paragraphe 2(2) et l’article 3 de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 , dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

2. […]

2. Les dites sections s’appliqueront aussi à toute voie ferrée construite ou qui sera à l’avenir construite sous l’autorité de toute loi passée par le Parlement du Canada, et seront, en tant qu’elles peuvent s’appliquer à l’entreprise, et à moins qu’elles ne soient modifiées ou mises de côté par l’acte spécial, incorporées dans l’acte spécial et en formeront partie, de manière à ne faire qu’une seule et même loi.

3. Pour excepter de l’incorporation dans l’acte spécial quelqu’une des sections composant la première partie du présent acte, il suffira que l’acte spécial statue, en les désignant par leur titre, que les sections du présent acte qui doivent faire exception ne feront pas partie de l’acte spécial et l’acte spécial, sera interprété en conséquence. [Non souligné dans l’original.]

[128]   En conséquence, il est clair que pour échapper à l’application du paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879, il faut satisfaire à deux conditions : 1) un « acte spécial » doit être édicté; 2) cette loi doit contenir une disposition expresse qui précise les dispositions de la Loi sur les chemins de fer auxquelles il déroge. Si ces conditions préalables ne sont pas respectées, la Couronne ne peut pas transférer, et les compagnies de chemin de fer ne peuvent pas acquérir le titre en fief simple sur des terres de la Couronne, y compris des terres de réserves, puisque l’aliénation de ces terres est interdite par la Loi sur les chemins de fer. Un transfert dont l’objet passe outre à ces conditions est sans effet. Selon le principe de l’ultra vires, la Couronne ne peut concéder un domaine plus étendu que ne le lui permet la loi applicable, peu importe le prétendu transfert effectué par les décrets et les lettres patentes[77].

[129]   Il est révélateur que la restriction à l’aliénation, l’obligation de payer une indemnité et les conditions préalables auxquelles il faut satisfaire pour y déroger aient été maintenues dans la Loi sur les chemins de fer jusqu’à son abrogation en 1996[78]. En fait, la restriction à l’aliénation des terres a été reprise dans la Loi sur les transports au Canada, qui a remplacé la Loi sur les chemins de fer. Le paragraphe 96(1) de cette Loi dispose :

96. (1) La compagnie de chemin de fer qui, en vertu de l’article 134 de la Loi sur les chemins de fer dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 185, a pris possession de terres appartenant à la Couronne, ou les a utilisées ou occupées, ne peut les aliéner qu’au profit d’une compagnie de chemin de fer—pour l’exploitation d’un chemin de fer—ou de la Couronne. [Non souligné dans l’original]

[130]   Bien que certaines décisions judiciaires appuient la thèse selon laquelle, en 1911, il était possible d’obtenir le titre en fief simple en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens[79], ces affaires ne portaient pas sur la prise de terres de réserve par des compagnies de chemin de fer. Par conséquent, la question de savoir si, compte tenu des restrictions imposées par la législation sur les chemins de fer, Canadien Pacifique pouvait acquérir le titre en fief simple sur les terres de réserve en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens à la suite des modifications de 1911 (à condition que le gouverneur en conseil n’impose pas de termes emportant le transfert d’un domaine moindre) n’est pas résolue. En d’autres termes, la modification de 1911 permet-elle une dérogation à la législation sur les chemins de fer? Compte tenu des conditions légales auxquelles une compagnie de chemin de fer doit satisfaire pour se soustraire aux restrictions établies par la législation sur les chemins de fer, on peut difficilement prétendre que l’article 35 de la Loi sur les Indiens a cet effet. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de trancher cette question car tous s’accordent pour dire qu’aucun des transferts en cause n’a été effectué en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens. (On peut se demander si la concession de Cook’s Ferry a été effectuée en vertu de l’article 35.)

[131]   En résumé, à toutes les époques pertinentes, Canadien Pacifique n’aurait pas pu obtenir valablement le titre en fief simple sur les terres de réserve en cause en vertu de la législation sur les chemins de fer, étant donné l’interdiction d’aliéner les terres de la Couronne acquises pour les besoins d’un chemin de fer. Canadien Pacifique a obtenu tout au plus des servitudes légales sur les droits de passage ou la permission d’utiliser et d’occuper les terres de réserve nécessaires pour les besoins du chemin de fer. Pour cette raison, il faut maintenant déterminer si les dispositions de la Loi du CP de 1881 permettent une dérogation à celles de la législation sur les chemins de fer.

c)         L’incidence de l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique[80]

[132]   Cette partie de mon analyse exige une compréhension de base des événements historiques bien connus qui ont mené à l’adoption de la Loi du CP et des éléments qui la composent. En vertu des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique (1871)[81], le gouvernement fédéral était tenu d’achever un chemin de fer reliant la Colombie-Britannique au reste du Canada dans un délai de dix ans. Neuf ans plus tard, le rêve d’un chemin de fer reliant l’est à l’ouest n’avait toujours pas été réalisé. Conscient du fait qu’il ne pourrait pas mettre en œuvre son ambitieuse politique et s’acquitter de ses obligations juridiques envers la Colombie-Britannique sans l’aide du secteur privé, le gouvernement fédéral a conclu un marché avec les promoteurs de ce qui allait devenir Canadien Pacifique. Le contrat pouvait s’avérer lucratif, mais il comportait d’importants risques financiers. (En 1884, le Canadien Pacifique s’est à nouveau adressé au Parlement pour obtenir un prêt de 30 millions de dollars.) Les termes de la convention ont été approuvés en 1880 et ratifiés par la Loi du CP en 1881. Cette Loi ne comprend qu’un préambule et six articles; le contrat, qui comporte 22 clauses, y est joint en annexe. Une autre annexe, jointe à la première, décrit les pouvoirs conférés à la compagnie qui devait être constituée par les promoteurs, c’est-à-dire Canadien Pacifique.

[133]   La position de Canadien Pacifique est simple : la Couronne était autorisée à transférer le titre en fief simple sur les droits de passage à Canadien Pacifique, et elle lui a effectivement transféré ce titre en fief simple en vertu de la Loi du CP. Canadien Pacifique soutient de plus que le Parlement a convenu d’éteindre le « titre des Indiens » sur les terres de chemin de fer. Plus précisément, l’article 5 de la Loi du CP et la clause 7 du contrat prévoient qu’une fois le chemin de fer achevé, le gouvernement avait l’obligation de le transférer dans son intégralité à Canadien Pacifique, de sorte qu’à ce moment, le chemin de fer deviendrait la propriété absolue de Canadien Pacifique. La clause 12 impose au gouvernement l’obligation d’éteindre le « titre des Sauvages » sur les terres « par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer. » Bien que l’article 5 de la Loi et la clause 7 du contrat ne diffèrent que très peu, il est utile de les reproduire tous les deux :

5. En attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre du dit chemin de fer, telles que décrites dans le dit contrat, le gouvernement pourra aussi transférer à la dite compagnie la possession et le droit d’exploitation des différentes portions du chemin de fer Canadien du Pacifique tel que décrit dans le dit acte trente-sept Victoria, chapitre quatorze, qui sont déjà construites et au fur et à mesure qu’elles seront terminées à l’avenir; et lors de l’achèvement des dites sections de l’Est et du Centre, le gouvernement pourra transporter à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments de stations, et avec le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou dont la construction par le gouvernement est convenue sous l’empire du dit contrat, et qui seront alors terminées; et lors de l’achèvement du reste de la portion du dit chemin de fer que doit construire le gouvernement, cette portion pourra aussi être transportée par le gouvernement à la compagnie; et le chemin de fer Canadien du Pacifique défini tel que susdit deviendra et sera ensuite la propriété absolue de la compagnie; le tout, néanmoins, aux termes et conditions, et sauf les restrictions et réserves stipulées au dit contrat.

[…]

7. Le chemin de fer construit aux termes des présentes sera la propriété de la compagnie; et en attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement transférera à la compagnie la possession et le droit d’exploiter et de mettre en opération les diverses portions du chemin de fer Canadien du Pacifique déjà construites ou à mesure qu’elles seront achevées. Et à l’achèvement des sections de l’Est et du Centre, le gouvernement cédera à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments pour gares et le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou qui doivent être construites par le gouvernement et qui seront alors achevées; et à l’achèvement du reste de la partie du chemin de fer qui doit être construite par le gouvernement, cette partie sera aussi cédée à la compagnie, et le chemin de fer Canadien du Pacifique deviendra et sera dès lors la propriété absolue de la compagnie. Et la compagnie devra ensuite et à perpétuité entretenir, exploiter et mettre en opération, d’une manière efficace, le chemin de fer Canadien du Pacifique. [Non souligné dans l’original.]

[134]   Avant d’examiner le fond de la thèse de Canadien Pacifique, il faut régler une question préliminaire. Il n’est pas certain que les 15 transferts ont été effectués en vertu de la Loi du CP, étant donné que certains ne le mentionnent pas expressément. L’avocat de Canadien Pacifique, Me Gouge, a eu la bienveillance de partager les lettres patentes en trois catégories. Il y a les transferts du type « A », qui mentionnent expressément que les transferts sont effectués sous le régime de l’article 5 de la Loi du CP et de la clause 7 du contrat. Les six transferts du type « B » renvoient à une convention conclue entre le Canada et Canadien Pacifique aux fins de « l’achat à titre absolu » des terres, mais ne précisent pas en vertu de quelles dispositions législatives ils sont effectués. Enfin, le transfert de Cook’s Ferry en 1968 précise qu’il est effectué en vertu de la Loi sur les Indiens.

[135]   Les appelants n’ont pas contesté la prétention de Canadien Pacifique portant que les transferts du type « A » et du type « B » ont été effectués en vertu de la Loi du CP. Quant au transfert restant, Canadien Pacifique a demandé à la Cour d’inférer qu’il a été effectué en vertu de cette loi plutôt que de la Loi sur les Indiens. Je n’ai pas souvenir que les appelants aient contesté ce point, préférant traiter de l’argument principal de Canadien Pacifique. Bien que je sois disposé à accepter ces admissions aux fins des appels, je tiens à souligner qu’elles n’expliquent pas pourquoi Canadien Pacifique a payé ses droits de passage, alors qu’aucune indemnité pécuniaire n’était stipulée dans le contrat. Une meilleure explication de la convention conclue entre le gouvernement du Canada et Canadien Pacifique s’impose.

[136]   Selon les stipulations du contrat, le gouvernement fédéral s’est engagé à construire et à transférer par la suite à Canadien Pacifique la section de l’ouest du chemin de fer, qui allait de Kamloops à Port Moody. En retour, Canadien Pacifique convenait d’achever la construction de deux autres sections de chemin de fer, déjà entamée par le gouvernement, soit la section de l’est (reliant le lac Nipissing à Selkirk) et la section du centre (allant de Selkirk à Kamloops). Le gouvernement s’est engagé à transférer aussi ces deux sections, une fois achevées, à Canadien Pacifique. Canadien Pacifique n’avait l’obligation de fournir aucune contrepartie pécuniaire en échange de ces transferts. Néanmoins, toutes les lettres patentes ou les concessions de la Couronne en cause mentionnent une vente à un prix déterminé. Me Gouge a voulu expliquer cette contradiction apparente, mais l’avocat qui avait plaidé devant le tribunal d’instance inférieure n’avait produit aucune preuve sur ce point. Pour faciliter les choses, les avocats des appelants ont consenti à ce que Me Gouge fournisse une explication. En bref, il semble que Canadien Pacifique et la Couronne n’aient pas pu s’entendre sur l’étendue exacte des terres qui devaient être transférées et, en conséquence, Canadien Pacifique a accepté de verser une indemnité pécuniaire.

[137]   Bien que je ne sois pas entièrement convaincu par cette explication, je suis prêt à reconnaître, pour trancher les appels, que tous les transferts ont été effectués en vertu de la Loi du CP. Je m’y résous parce qu’il est bien établi que tous les droits de passage en cause font partie de la section de l’ouest du chemin de fer, et parce que la Loi du CP obligeait la Couronne à transférer la totalité du chemin de fer à Canadien Pacifique pour qu’il devienne sa « propriété absolue ». Par conséquent, même si le gouvernement et Canadien Pacifique se sont trompés sur le véritable fondement juridique des lettres patentes, il demeure que Canadien Pacifique avait droit aux transferts en vertu de la Loi du CP. Toutefois, c’est une question totalement distincte que celle de savoir quelle était la nature du droit que le gouvernement était autorisé à transférer en vertu de cette Loi.

[138]   Canadien Pacifique soutient qu’il est clair que les dispositions de la Loi du CP et du contrat remplacent celles de la législation sur les Indiens et de la législation sur les chemins de fer, autorisant donc l’attribution d’un fief simple et l’extinction du titre des Indiens sur les droits de passage. L’intimée fonde cette conclusion sur trois arguments : premièrement, elle prétend que la clause 22 du contrat exclut l’application du paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879, qui pose une restriction à l’aliénation des terres de la Couronne acquises pour les besoins d’un chemin de fer; deuxièmement, elle fait valoir que le contrat stipulait que Canadien Pacifique devait recevoir la « propriété absolue » des terres de chemin de fer traversant les réserves des appelants, avec l’extinction du titre des Indiens sur ces terres; troisièmement, elle soutient que la clause 12 du contrat oblige expressément le gouvernement à éteindre le titre des Indiens sur les terres de chemin de fer en cause. J’ai l’intention d’étudier ces arguments tour à tour, en commençant par l’interaction entre la clause 22 du contrat et le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879.

(i)         La clause 22 du contrat et le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879

[139]   Canadien Pacifique fait remarquer que la clause 22 du contrat prévoit que les dispositions de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879, ne s’appliquent à Canadien Pacifique que dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la Loi du CP et le contrat. Ainsi, Canadien Pacifique soutient que la restriction à l’aliénation imposée par l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 ne s’applique pas à Canadien Pacifique, car elle est incompatible avec le « titre absolu » prévu par la Loi du CP et par le contrat. La clause 22 du contrat est ainsi libellée :

22. « L’Acte des chemins de fer, 1879, » en tant que ses dispositions sont applicables à l’entreprise mentionnée dans le présent contrat, et en tant qu’elles ne sont pas en contradiction avec lui ou incompatibles avec les dispositions de l’acte constitutif qui devra être accordé à la compagnie, s’appliquera au chemin de fer Canadien du Pacifique. [Non souligné dans l’original.]

[140]   L’aspect de l’argument de Canadien Pacifique qui me préoccupe est l’effet juridique de la clause 22 du contrat. Il ne fait aucun doute que la Loi du CP devait l’emporter sur les dispositions incompatibles de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879. En fait, l’annexe A au contrat, énonçant les pouvoirs conférés à la compagnie de chemin de fer qui devait être constituée pour la construction du chemin de fer, le prévoit à l’article 17 :

17. « L’Acte refondu des chemins de fer , 1879, » en tant que ses dispositions sont applicables à l’entreprise autorisée par cette charte, et en tant qu’elles ne sont pas incompatibles ou contradictoires avec les dispositions de celle-ci, et sauf et excepté tel que ci-après prescrit, est incorporé dans le présent acte.

[141]   Mais il est aussi vrai que l’article 3 de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 (et les dispositions qui l’ont remplacé) dispose que toute mesure législative dérogatoire, c’est-à-dire tout « acte spécial », doit préciser les dispositions de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 sur lesquelles il l’emporte. Cette exigence explique la présence de l’article 18 dans l’annexe A du contrat, qui énumère expressément les dispositions de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 qui lui sont subordonnées ou qui sont modifiées. L’article 18 de l’annexe A dispose :

18. En ce qui concerne le dit chemin de fer, la septième section de « l’Acte des chemins de fer, 1879, » relative aux pouvoirs, et sa huitième section, relative aux plans et arpentages, seront subordonnées aux dispositions suivantes : —

a. La compagnie aura le droit de prendre, utiliser et garder la grève et le terrain au-dessous de la marque des hautes eaux, sur tous cours d’eau, lacs, rivières navigables, golfes ou mers, en tant qu’ils seront la propriété de la Couronne et que celle-ci n’en aura pas besoin, sur telle étendue dont aura besoin la compagnie pour son chemin de fer et autres constructions et qui sera indiquée par une carte ou un plan déposé au bureau du ministre des chemins de fer. Mais les dispositions de ce paragraphe ne s’appliqueront à aucune grève ni à aucun terrain à l’est du lac Nipissingue, excepté avec l’approbation du Gouverneur en conseil.

b. Il suffira que la carte ou plan et le livre de renvoi de toute partie de la ligne du chemin de fer n’étant pas dans un district ou comté pour lequel il y a alors un greffier de la paix, soient déposés au bureau du ministre des chemins de fer du Canada; et toute omission, énonciation fausse, ou description erronée de terrains qui sera faite, pourra être corrigée par la compagnie du consentement du ministre et certifiée par lui, et la compagnie pourra alors construire le chemin de fer conformément à telle correction certifiée.

c. Le onzième paragraphe de la huitième section susdite de l’acte des chemins de fer ne s’appliquera à aucune partie du chemin de fer traversant des terres non concédées de la Couronne, ou des terres ne se trouvant pas dans un canton arpenté de quelque province; et dans ces lieux des déviations n’excédant pas cinq milles de la ligne indiquée sur la carte ou le plan comme susdit, déposé par la compagnie seront permises sans correction ou certificat formels; et toute déviation ultérieure qui pourra être jugée à propos pourra être autorisée par ordre du Gouverneur en conseil, et la compagnie pourra alors construire son chemin de fer conformément à la déviation ainsi autorisée.

d. La carte ou plan et le livre de renvoi d’une partie quelconque de la ligne principale du chemin de fer Canadien du Pacifique, faits et déposés conformément à la présente section, après avoir été approuvés par le Gouverneur en conseil, et de tout embranchement de tel chemin de fer devant être plus tard tracé par la compagnie et pour lequel la sanction du Gouverneur en conseil ne sera pas nécessaire, vaudront tout comme s’ils avaient été faits et déposés tel que prescrit par « l’Acte refondu des chemins de fer , 1879, » à toutes les fins du dit acte et du présent acte; et toute copie ou tous extraits des dits plan et livre de renvoi, certifiés conformes par le dit ministre ou son député, seront reçus comme preuve dans toute cour de droit en Canada.

e. Il suffira qu’une carte ou qu’un profil de toute partie complétée du chemin de fer, qui ne sera pas située dans un comté ou district ayant un bureau d’enregistrement, soit déposé au bureau du ministre des chemins de fer.

[142]   Ce qui est clair, et qui réfute l’argument de Canadien Pacifique, c’est qu’une dérogation à la restriction à l’aliénation établie par le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 n’est pas explicitement prévue. Il est clair que l’alinéa 18a) vise le paragraphe 7(3), mais uniquement pour étendre la portée de la dernière partie de cette disposition concernant la prise, l’utilisation ou l’occupation des grèves et terrains au-dessous de la marque des hautes eaux, dont la Couronne est propriétaire. La seule inférence raisonnable que l’on peut tirer est que, lors de l’acquisition de terres de la Couronne, les autres éléments du paragraphe 7(3) s’appliqueraient. Par conséquent, Canadien Pacifique acquiert les terres de la Couronne sous réserve de la restriction quant à l’aliénation établie par le paragraphe 7(3). Il est révélateur que dans l’affaire Vancouver, (City of) v. Canadian Pacific Ry. Co.,[82] qui portait sur des terres prises en vertu de l’alinéa 18a) de l’annexe A au contrat, les avocats de Canadien Pacifique aient reconnu que la restriction quant à l’aliénation s’appliquait aux terres ainsi acquises, en affirmant[83] :

[traduction] Les intimées [Canadien Pacifique] n’ont aucun pouvoir d’aliéner la batture dans la mesure où elles ont le droit de prendre, utiliser et garder la grève et le terrain en tant que la compagnie en aura besoin pour son chemin de fer projeté et ses autres constructions et à aucune autre fin. [Soulignement ajouté.]

[143]   Certes, on a dû prévoir que Canadien Pacifique aurait besoin de terres de la Couronne additionnelles pour terminer la construction des sections du centre et de l’est du chemin de fer et qu’elle acquerrait, en temps voulu, le titre sur ces terres et sur celles où le gouvernement fédéral construisait la section de l’ouest. Si on avait eu l’intention de soustraire ces terres à l’application de la restriction quant à l’aliénation, l’article 18 de l’annexe A aurait pu écarter expressément l’application du paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879. En fait, c’est ce qu’exigeaient le paragraphe 2(2) et l’article 3 de cette Loi.

[144]   En conclusion, je suis d’avis que la clause 22 du contrat n’écarte pas la restriction à l’aliénation établie à l’égard des terres de la Couronne acquises par les compagnies de chemin de fer et ne permet pas d’y déroger. En conséquence, Canadien Pacifique ne pouvait pas obtenir légalement le titre en fief simple sur les droits de passage. Cette conclusion signifie que les droits de passage sont « situés dans la réserve » et que les avis d’évaluation sont valides. Il s’ensuit que, si la clause 22 du contrat ne permet pas de dérogation au paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 , parce qu’elle ne le prévoit pas expressément, les autres dispositions de la Loi du CP et du contrat qui ont pour objet prétendu de transférer la propriété absolue sur le chemin de fer et qui obligent le gouvernement à éteindre le titre des Indiens ne sont pas non plus assez précises pour écarter l’application du paragraphe 7(3). Néanmoins, je dois me prononcer sur la question subsidiaire de savoir si les dispositions de la Loi du CP et du contrat l’emportent sur celles de la législation sur les Indiens. Comme je l’ai déjà expliqué, le titre en fief simple ne peut être obtenu sous le régime de cette Loi qu’au moyen d’une cession en vertu de l’article 37 ou de la prise d’une terre en vertu de l’article 35. Je tranche la question subsidiaire au cas où mon interprétation de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 serait jugée erronée. Je m’empresse d’ajouter que toutes les parties ont consacré un temps considérable aux deux aspects de cette question.

(ii)        Le sens de l’expression « propriété absolue »

[145]   Je ne peux retenir la prétention de Canadien Pacifique selon laquelle, du seul fait des circonstances extraordinaires ayant mené à la signature du contrat et à l’édiction de la Loi du CP, on avait l’intention que Canadien Pacifique obtienne, par dérogation à la législation sur les Indiens, le titre en fief simple sur les terres de réserve requises pour la construction et l’exploitation du chemin de fer. Je doute que les parties se soient déjà intéressées à la nature exacte du titre légal qui devait être transféré à Canadien Pacifique, tant que ce titre permettait à Canadien Pacifique d’exploiter effectivement le chemin de fer de façon efficace. Autrement, les parties n’auraient pas rédigé un contrat qui est un modèle de concision, comparativement aux normes actuelles, plus particulièrement si l’on tient compte des sommes relativement élevées en jeu.

[146]   Selon moi, l’article 5 de la Loi du CP et la clause 7 du contrat sont ambigus dans la mesure où ils ne précisent pas la qualité du titre qui devait être transféré à Canadien Pacifique. C’est-à-dire qu’ils ne mentionnent pas que Canadien Pacifique devait recevoir le « titre absolu » sur les biens meubles et immeubles nécessaires pour la construction et l’exploitation du chemin de fer. L’article 5 prévoit simplement que le gouvernement transférera le « chemin de fer Canadien du Pacifique » décrit dans l’acte « trente-sept Victoria, chapitre quatorze » à Canadien Pacifique et que le chemin de fer deviendra par la suite la « propriété absolue » de Canadien Pacifique. Cela soulève la question de savoir quel est le chemin de fer décrit dans l’acte « trente-sept Victoria, chapitre quatorze ».

[147]   Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt C.P.R. v. A.G. for Saskatchewan[84], l’article 5 de la Loi du CP renvoie à L’Acte du chemin de fer canadien du Pacifique, 1874[85] [S.C. 1874, ch. 14]. Cette loi décrit une tentative antérieure de construire un chemin de fer d’un océan à l’autre, qui a cependant échoué. Elle a servi d’amorce à la signature de l’entente entre Canadien Pacifique et le gouvernement fédéral, qui se retrouve dans la Loi du CP de 1881. La Loi de 1874 mentionne, en termes généraux, sept sections du chemin de fer transcontinental qui devaient être construites.

[148]   La question de savoir avec précision ce qui devait être transféré à Canadien Pacifique en vertu de l’article 5 de la Loi du CP se complique du fait que le chemin de fer décrit dans la Loi de 1874 est d’une plus grande envergure que celui décrit dans le contrat. C’est pour cette raison que la Cour suprême a conclu que le chemin de fer prévu dans le contrat n’était pas décrit correctement dans la Loi de 1874 et, par conséquent, que cette loi antérieure ne devait pas être utilisée pour interpréter le contrat[86]. Bref, le fait que le chemin de fer devait devenir la propriété absolue de Canadien Pacifique ne révèle rien du titre sous-jacent sur les terres qui devait être transféré; il démontre simplement que les parties se préoccupaient de préciser quelles parties du chemin de fer faisaient partie du marché.

[149]   De plus, le terme « absolu » est lui-même ambigu, comme l’a noté le juge Thurlow (plus tard juge en chef) dans Halley James J. v. Minister of National Revenue[87] :

[traduction] À mon avis, le terme « absolu », même employé dans un sens technique relativement à la dévolution d’un bien, peut s’entendre d’au moins deux concepts juridiques différents. Dans un sens, il peut être utilisé pour dénoter l’absence de limite quant à la portée ou à la durée d’un droit sur un bien meuble, alors que dans l’autre, il peut s’entendre de l’indépendance du droit par rapport à toute chose ou personne.

[150]   De même, dans le présent contexte, l’expression « propriété absolue » peut être interprétée de deux façons. On peut lui attribuer son sens technique pour conclure que Canadien Pacifique a reçu le titre en fief simple sur les droits de passage. Par contre, elle peut simplement exprimer l’idée que, pour ce qui est des rapports entre le gouvernement du Canada et Canadien Pacifique, le premier devait délaisser tous ses droits sur le chemin de fer. Je suis d’avis que cette deuxième interprétation est juste, parce qu’elle est conforme aux règles d’interprétation des lois. Aucun tribunal ne serait disposé à retenir une interprétation qui porte atteinte aux droits de propriété des tiers, à moins que des motifs incontournables ne l’exigent. Bien qu’aucune analogie ne soit jamais parfaite, j’utiliserai celle qui suit pour illustrer mon point de vue.

[151]   Supposons que le gouvernement et le citoyen X se disputent pour savoir qui est le véritable propriétaire d’un bien-fonds « unique » et qu’ils s’entendent pour régler leur différend de la façon suivante : le gouvernement fournit un acte scellé au citoyen X, attestant qu’il délaisse le bien-fonds à titre absolu pour la somme de 100 $. Il est bien établi en droit que, si le bien-fonds est grevé d’une hypothèque en faveur d’un tiers, le citoyen X acquiert le bien-fonds sous réserve de cette sûreté. Le citoyen X peut avoir une cause d’action contre le gouvernement pour rupture de contrat ou d’engagement, mais cela n’a aucune incidence sur les droits du tiers. Il est aussi bien établi en droit que personne ne peut vendre ce qui ne lui appartient pas (nemo dat quod non habet). En l’espèce, les appelants sont les tiers et ils ont droit à l’usage et au profit des terres de réserve ainsi qu’à la protection que leur offre la Loi sur les Indiens. Ce qu’il faut retenir de cette analogie, c’est que l’expression « propriété absolue » ne doit pas recevoir une interprétation large lorsque les droits d’un tiers sont touchés. Les dispositions de la Loi du CP et du contrat ne doivent donc pas être interprétées de façon à éteindre les droits des Indiens sur les terres de réserve en l’absence d’une disposition contraire claire et expresse.

[152]   L’arrêt de principe prononcé par le juge La Forest, alors de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans l’affaire Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd.[88], appuie aussi ce raisonnement. Dans cet affaire, le juge La Forest a statué qu’il faut privilégier une interprétation restrictive des mesures législatives qui visent à réduire les droits de propriété des tiers, à moins d’une indication contraire précise dans la loi[89]. Ses remarques sur l’interprétation législative sont intéressantes[90] :

Il ne fait aucun doute que le devoir des tribunaux est de donner effet à l’intention du législateur, telle qu’elle est formulée dans le libellé de la Loi. Tout répréhensible que le résultat puisse apparaître, il est de notre devoir, si les termes sont clairs, de leur donner effet. Cette règle découle de la doctrine constitutionnelle de la suprématie de la Législature lorsqu’elle agit dans le cadre de ses pouvoirs législatifs. Cependant, le fait que les termes, selon l’interprétation qu’on leur donne, conduiraient à un résultat déraisonnable constitue certainement une raison pour motiver les tribunaux à examiner minutieusement une loi pour bien s’assurer que ces termes ne sont pas susceptibles de recevoir une autre interprétation, car il ne faudrait pas trop facilement prendre pour acquis que le législateur recherche un résultat déraisonnable ou entend créer une injustice ou une absurdité. [Non souligné dans l’original.]

[153]   Il serait déraisonnable de statuer que l’expression « propriété absolue » emporte l’extinction du droit des bandes indiennes sur leurs terres de réserve. Le droit des Indiens sur les terres de réserve constitue un droit en common law pré-existant[91] qui tire son origine de l’occupation du Canada par les peuples autochtones avant l’établissement des Européens[92]. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’aliénation de ce droit est assujetti à des restrictions sévères énoncées dans la Loi sur les Indiens et reconnues en common law par application de la doctrine de l’obligation fiduciaire. Il serait déraisonnable d’ébranler ces solides protections en l’absence de termes exprès. Une telle approche porterait de plus atteinte aux principes fondamentaux de l’interprétation législative qui ont été élaborés dans le contexte des droits ancestraux.

[154]   La règle générale applicable à l’interprétation des lois concernant les Indiens veut que « toute ambiguïté » profite aux Indiens[93]. En effet, comme le juge La Forest l’a dit dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis[94] :

[…] il est clair que dans l’interprétation d’une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s’efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne […] [Non souligné dans l’original.]

De même, en l’espèce, la Cour doit hésiter à adopter une interprétation qui aurait pour effet d’éteindre implicitement le droit des Indiens sur les terres de réserve.

[155]   Les motifs concordants du juge en chef Dickson, dans lesquels il applique la règle générale aux tiers, appuient aussi ce raisonnement[95] :

C’est la société canadienne dans son ensemble qui porte le fardeau historique de la situation actuelle des peuples autochtones et, par conséquent, l’interprétation libérale s’applique à toute loi visant les Indiens, même si les rapports touchés par ce moyen sont de nature privée. L’arrêt Nowegijick se fonde sur la reconnaissance de la responsabilité de la société et le souci de remédier aux désavantages, ne serait-ce que dans le contexte quelque peu marginal de l’interprétation des traités et des lois. [Non souligné dans l’original.]

Ses motifs n’ont pas été contredits sur ce point.

[156]   Je reconnais que cette règle d’interprétation ne mène pas automatiquement à une interprétation favorable aux Indiens. Il faut examiner la loi dans le but de découvrir l’intention du législateur. Toute interprétation doit cadrer avec les politiques qui sous-tendent la disposition en cause, en regard de son incidence sur les personnes qu’elle touche.

[157]   J’estime qu’aucun motif ni aucune considération de principe incontournable ne commande l’adoption de l’interprétation suggérée par Canadien Pacifique. Il n’est ni raisonnable ni nécessaire de statuer que l’expression « propriété absolue » visait à permettre une dérogation aux dispositions de la législation sur les Indiens de façon à éteindre effectivement le titre des Indiens sur les terres de réserve. Premièrement, la clause 12 du contrat prévoit expressément l’extinction du titre des Indiens. On peut présumer que l’existence d’une disposition expresse écarte la nécessité d’en inférer une semblable; il s’agit donc simplement de déterminer la portée de la disposition prévoyant l’extinction. Deuxièmement, la législation sur les Indiens ne porte pas atteinte aux attentes légitimes qu’avait Canadien Pacifique à l’époque de la passation du contrat.

[158]   Certains pourraient être portés à inférer l’extinction du titre des Indiens si une conclusion contraire faisait échec à l’objectif de l’article 5 et de la clause 7 du contrat et, partant, aux attentes légitimes de Canadien Pacifique. Selon moi, il est toutefois possible d’interpréter ensemble la Loi du CP et la législation sur les Indiens sans décevoir ces attentes. Par exemple, en 1881, Canadien Pacifique n’a demandé qu’une servitude pour s’acquitter de son obligation contractuelle d’ « entretenir, exploiter et mettre en opération, d’une manière efficace » le chemin de fer conformément à la clause 7 du contrat, et il en est encore de même aujourd’hui. L’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul[96], prononcé en 1988, renforce mon opinion, la Cour suprême du Canada y ayant statué qu’une servitude légale suffisait à fonder une injonction permanente.

[159]   En conclusion, Canadien Pacifique n’a jamais eu besoin que d’une servitude légale, pour exploiter efficacement sa ligne de chemin de fer traversant les terres de réserve, et que d’une permission légale, à l’égard des terrains adjacents utilisés pour l’exploitation du chemin de fer. L’extinction n’étant pas prévue expressément, Canadien Pacifique ne peut réclamer légitimement plus que ce qui est nécessaire à l’exploitation efficace de son chemin de fer. Interprétée correctement, l’obligation de la Couronne de transférer le titre absolu sur le chemin de fer à Canadien Pacifique ne l’emporte pas sur ces deux propositions.

(iii)       L’obligation d’éteindre le titre des Indiens

[160]   L’analyse qui précède perd toute pertinence si la clause 12 du contrat impose au gouvernement l’obligation d’éteindre le « titre des Indiens ». Aux termes de la clause 12, « [l]e gouvernement éteindra le titre des Sauvages aux terres par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer ». Canadien Pacifique soutient que cette disposition exige en fait que le gouvernement éteigne le titre des Indiens sur toutes les terres transférées à Canadien Pacifique, soit sur les sections de l’est, du centre et de l’ouest du chemin de fer. L’intimée fait valoir que le législateur a exprimé clairement, par l’édiction de la Loi du CP, l’intention d’éteindre le titre des Indiens à l’égard des droits de passage de Canadien Pacifique qui traversent les terres de réserve des appelants.

[161]   À mon avis, la prétention de Canadien Pacifique comporte des failles sous deux aspects importants. Premièrement, elle tient pour acquis que l’édiction de la Loi du CP de 1881 suffisait à elle seule pour éteindre le titre des Indiens sur les terres en cause et, par conséquent, que le gouvernement fédéral n’avait à prendre aucune autre mesure pour réaliser cet objectif. Il serait possible de plaider que l’intention exprimée était que l’extinction du titre des Indiens se fasse par la signature de traités, et non par l’édiction de la Loi sur les Indiens. Toutefois, comme cet argument n’a pas été soulevé par les appelants, je dois fonder ma décision sur un moyen subsidiaire. Ma deuxième objection fondamentale à la prétention de Canadien Pacifique s’appuie sur le fait que l’obligation d’éteindre le titre des Indiens se limitait aux terres situées dans les sections du centre et de l’est du chemin de fer. Elle ne s’étendait pas à la section de l’ouest. Cette objection particulière soulève la question de savoir pourquoi le gouvernement fédéral aurait convenu d’éteindre le titre des Indiens dans une partie du chemin de fer, et non dans l’autre. Avant d’examiner cette contradiction apparente, je dois me prononcer sur les arguments plaidés par les parties.

[162]   La thèse de Canadien Pacifique est simple : l’obligation d’éteindre le titre des Indiens prévue par la clause 12 s’applique à la totalité de la ligne de chemin de fer. Pour leur part, les appelants soutiennent que les terres mentionnées dans la clause 12 se limitent à celles décrites dans la clause 11. Or, la clause 11 vise les « terres concédées comme subvention » situées le long de la ligne de chemin de fer entre « Winnipeg et Jasper House », dans les sections de l’est et du centre du chemin de fer. En conséquence, les appelants affirment que, sans égard à la signification des termes « éteindra le titre des Sauvages », la clause 12 ne s’applique pas à la section de l’ouest du chemin de fer, où se trouvent tous les droits de passages litigieux. Canadien Pacifique réfute cette thèse en faisant une observation subsidiaire selon laquelle la clause 12 s’applique aussi à la clause 10 et les terres décrites dans cette dernière englobent la totalité de la ligne de chemin de fer.

[163]   Je crois pour ma part que l’interprétation proposée par les appelants est juste. Je commencerai mon analyse en reproduisant en partie l’article 3 de la Loi du CP et les clauses 9, 10, 11 et 12 du contrat :

3. Lors de l’organisation de la compagnie et du dépôt, entre les mains du gouvernement, d’un million de piastres […], et en considération de l’achèvement et de l’exploitation efficace et perpétuelle du dit chemin de fer par la compagnie, […] le gouvernement pourra octroyer à la compagnie une subvention de vingt-cinq millions de piastres en argent et de vingt-cinq millions d’acres de terres, […] Et il pourra aussi concéder à la compagnie les terrains nécessaires à la voie, aux stations et autres objets […]

[…]

9. En considération de ce que dessus, le gouvernement convient de donner à la compagnie une subvention de $ 25,000,000 en argent, et de 25,000,000 d’acres de terre, pour lesquelles subventions la construction du chemin de fer Canadien du Pacifique sera complétée, et le chemin équipé, entretenu et exploité. Ces subventions seront respectivement payées et accordées au fur et à mesure du progrès de la construction de la manière et aux conditions suivantes, savoir :

a. La dite subvention en argent est par le présent divisée et affectée comme suit, savoir :—

SECTION DU CENTRE.

[…]

SECTION DE L’EST.

[…]

et la dite subvention en terres est par le présent divisée et affectée comme suit, sujet à la réserve ci-après faite :—

SECTION DU CENTRE.

[…]

SECTION DE L’EST.

[…]

10. De plus, en considération de ce que dessus, le gouvernement concédera à la compagnie les terrains dont elle aura besoin pour la voie du dit chemin de fer, les gares et stations et leurs dépendances, les ateliers, […] et autres dépendances nécessaires à la construction et à l’exploitation efficaces du chemin de fer, en tant que ces terrains seront la propriété du gouvernement. […]

11. Les concessions de terres par le présent consenties en faveur de la compagnie seront faites en sections alternatives de 640 acres chacune, sur une profondeur de 24 milles de chaque côté du chemin de fer entre Winnipeg et Jasper House, en tant que ces terres seront la propriété du gouvernement […]. Mais si quelques-unes de ces sections comprenaient une quantité notable de terrain qui ne serait pas raisonnablement propre à la colonisation, […] le déficit causé par la défalcation de ces terrains […] ser[a] combl[é] par des terres prises dans d’autres sections dans la région connue sous le nom de zone fertile […] ou ailleurs au choix de la compagnie […]

12. Le gouvernement éteindra le titre des Sauvages aux terres par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer.

[164]   Il ressort manifestement de ce qui précède que Canadien Pacifique, en plus de recevoir le titre sur la totalité du chemin de fer en échange de sa promesse de construire les sections de l’est et du centre, avait droit à une « subvention » de 25 millions de dollars et de 25 millions d’acres de terre. (La subvention en terres constituait une subvention pour le chemin de fer en ce qu’elle assurait la viabilité économique du projet.) De plus, la clause 9 du contrat révèle que la subvention en terre était « divisée et affectée » entre les sections de l’est et du centre. La clause 11 précise que les terres devaient être concédées comme subvention en sections de 640 acres, sur une profondeur de 24 milles, de chaque côté du chemin de fer « entre Winnipeg et Jasper House ». Ces transferts étaient assujettis à la condition que les terres soient la propriété du « gouvernement » (la Couronne fédérale). La clause 11 prévoyait aussi que tout déficit quant aux terres serait comblé par des terres prises dans la région de la « zone fertile ».

[165]   Par conséquent, lorsque la clause 12 parle d’éteindre le titre des Indiens sur les terres « par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer », elle renvoie aux terres concédées comme subvention en vertu de la clause 11. Canadien Pacifique soutient que les terres visées par la clause 12 sont aussi celles décrites dans la clause 10 compte tenu des mots « et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer » figurant dans la clause 12. Cet argument pourrait avoir un certain poids, si ce n’était que la clause 10 ne vise que des terres situées dans les sections de l’est et du centre de la ligne de chemin de fer, et non dans la section de l’ouest.

[166]   La clause 10 impose une obligation additionnelle au gouvernement fédéral, soit celle de transférer des terres à Canadien Pacifique pour « la construction et […] l’exploitation […] du chemin de fer » en tant que ces terres « seront la propriété du gouvernement ». De toute évidence, si la Couronne n’était pas propriétaire de ces terres, Canadien Pacifique était tenue de les acheter. Toutefois, la clause 10 ne précise pas, comme le soutient Canadien Pacifique, que le gouvernement avait l’obligation de transférer des terres additionnelles à Canadien Pacifique pour les besoins du chemin de fer. Si c’était le cas, il faudrait faire abstraction de la partie de la clause 10 qui mentionne les terres « nécessaires à la construction et à l’exploitation efficaces du chemin de fer ». La clause 10 vise seulement les terres situées dans la section de l’est et dans la section du centre du chemin de fer parce que Canadien Pacifique n’avait pas besoin d’acquérir des terres pour la construction de la section de l’ouest—c’est le gouvernement qui avait l’obligation de construire cette section du chemin de fer. Le titre sur les terres situées dans la section de l’ouest avait été obtenu de la province de la Colombie-Britannique en vertu de l’article 11 des Conditions d’adhésion. Ces terres devaient ensuite être transférées à Canadien Pacifique lorsque la construction de cette section serait achevée, en vertu de l’article 5 de la Loi du CP et de la clause 7 du contrat.

[167]   En conclusion, les clauses 9, 10, 11 et 12 du contrat s’appliquent toutes aux terres situées dans les section de l’est et du centre du chemin de fer, et les clauses 11 et 12 ne s’appliquent qu’aux terres situées entre Winnipeg et Jasper House. Il s’ensuit que l’obligation d’éteindre le titre des Indiens ne s’applique pas aux terres en cause. Cette conclusion est éminemment logique sur le plan de l’interprétation des lois et de la nécessité historique.

d)         Pourquoi éteindre le titre des Indiens dans les Prairies, et non en Colombie-Britannique?

[168]   Je reviendrai maintenant à la question de savoir pourquoi les parties auraient accepté de limiter l’obligation du gouvernement d’éteindre le titre des Indiens à une partie du chemin de fer, plutôt qu’au chemin de fer en entier. Je reconnais que je ne suis pas vraiment tenu de trancher cette question. Je ne le fais que pour démontrer que l’interprétation que j’ai attribuée à la clause 12 ne crée pas de distinction illogique ou absurde.

[169]   Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Canadien Pacifique aurait insisté pour que le gouvernement éteigne le titre des Indiens sur les terres que nous décrirons ici collectivement comme les provinces des Prairies. Les terres concédées comme subvention décrites dans la clause 11 faisaient partie de la Terre de Rupert, qui avait été cédée à sa Majesté par la Compagnie de la Baie d’Hudson. La Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest ont été admis dans l’union par un décret impérial pris en 1870 [Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), appendice II, no 9]. En vertu de ce décret, toutes les demandes d’indemnité faites par les Indiens relativement aux terres requises pour l’établissement devaient être traitées par le gouvernement du Canada en collaboration avec le gouvernement impérial. Une annexe au décret précisait que le gouvernement avait l’obligation de prendre des mesures suffisantes pour protéger les tribus indiennes. Compte tenu de ces obligations, le gouvernement du Canada a reconnu le titre ancestral sur les terres et amorcé la négociation des « traités numérotés ». Bien sûr, à l’époque de l’adoption de la Loi du CP en 1881, le processus de négociation des traités était toujours en cours dans les provinces des Prairies.

[170]   Cela explique pourquoi Canadien Pacifique aurait voulu s’assurer de l’extinction du « titre des Indiens » sur les terres concédées comme subvention, situées dans les sections du centre et de l’est. Toutefois, cela n’explique pas le fait que le contrat n’impose pas cette obligation au gouvernement relativement aux terres de chemin de fer situées dans la section de l’ouest, c’est-à-dire en Colombie-Britannique. L’une des explications possible est maintenant notoire. Lorsque la Colombie-Britannique a été admise dans la Confédération en 1871, et lorsque la Loi du CP et le contrat ont pris effet en 1881, l’opinion la plus répandue voulait que le titre ancestral n’existe pas en Colombie-Britannique parce qu’il avait été éteint par des mesures législatives prises par la colonie de la Colombie-Britannique avant la Confédération. Ce point de vue a été soulevé par la Cour suprême dans l’arrêt Calder et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique[97] et retenu par le juge de première instance dans l’affaire Delgamuukw v. Colombie-Britannique[98]. Il suffit ici de noter qu’il existe une raison plausible pour laquelle la Loi du CP et le contrat n’imposent pas au gouvernement l’obligation d’éteindre le titre des Indiens sur les terres de chemin de fer situées en Colombie-Britannique. Parallèlement, il existe une explication rationnelle à l’imposition d’une telle obligation relativement aux terres de chemin de fer situées dans les provinces des Prairies.

[171]   En terminant, j’aimerais souligner que, dans les traités numérotés, le gouvernement convient expressément de ne pas vendre, louer ni aliéner autrement les terres de réserve sans le consentement des Indiens. Le Traité no 3, signé en 1873, stipule :

[…] pourvu aussi que les réserves susdites de terres ou tout intérêt ou droit sur elles ou en dépendant, puissent être vendus, loués ou aliénés autrement par le dit gouvernement pour l’usage et le bénéfice des dits Sauvages, avec le consentement préalablement donné et obtenu des Sauvages qui y ont droit. [Non souligné dans l’original.]

[172]   Les Traités no 4 (1875), 5 (1875), 6 (1876) et 7 (1877) contiennent des dispositions semblables et ont été signés entre 1873 et 1877. En ce qui concerne le Traité no 7, signé en 1877, il régnait une certaine confusion sur l’emplacement exact de le réserve originale de Blackfoot et on s’inquiétait du fait que le chemin de fer canadien du Pacifique traverse les terres de réserve[99]. Le 27 juin 1883, après l’entrée en vigueur de la Loi du CP de 1881, un nouveau traité a été signé, dans lequel la « tribu indienne » consent à abandonner sa bande de terre en échange d’une nouvelle réserve contiguë au droit de passage du chemin de fer. Cet épisode historique appuie le point de vue selon lequel la Loi du CP n’a jamais visé à éteindre le titre des Indiens sur les terres de réserve sans leur consentement. On peut se poser les questions suivantes : Pourquoi présumer que le titre des Indiens pouvait être éteint par la simple adoption de la Loi du CP, plutôt que par le processus de négociation des traités? Pourquoi se préoccuper de négocier des traités si l’on édicte ensuite des mesures législatives qui l’emportent sur les concessions fondamentales consenties aux Indiens? Ce sont des questions sur lesquelles il n’est pas nécessaire que je me prononce. Toutefois, si l’affaire est soumise à une autre cour de justice, leur examen approfondi pourrait être justifié.

e)         Conclusion

[173]   En conclusion, j’estime que la Loi du CP n’autorise pas le gouvernement à transférer à Canadien Pacifique le titre en fief simple sur les droits de passage traversant les réserves des appelants. Peu importe le prétendu transfert effectué par les lettres patentes, Canadien Pacifique n’avait et n’a toujours droit à rien de plus qu’une servitude légale ou une permission à l’égard de chacun des 15 droits de passage litigieux. Il en est ainsi en raison de la restriction à l’aliénation des terres de la Couronne acquises par les compagnies de chemin de fer édictée dans la législation sur les chemins de fer. Les dispositions de la Loi du CP et du contrat ne l’emportent pas sur cette restriction parce qu’elles ne permettent pas expressément une dérogation à la disposition pertinente de la législation sur les chemins de fer, comme l’exige cette dernière. Subsidiairement, l’obligation du gouvernement fédéral de transférer le « titre absolu » sur le chemin de fer à Canadien Pacifique ne peut pas être interprétée comme l’obligation de transférer le titre en fief simple sur les droits de passage. L’obligation relative au titre exprime uniquement l’idée que, pour ce qui est des rapports entre les parties, le gouvernement fédéral devait délaisser tous ses droits sur le chemin de fer en faveur de Canadien Pacifique. Elle ne signifie pas que le gouvernement avait l’intention d’abolir les droits des Indiens garantis par la législation sur les Indiens. De plus, l’obligation du gouvernement fédéral d’éteindre le « titre des Indiens » s’applique uniquement aux sections du centre et de l’est du chemin de fer, et non à la section de l’ouest où tous les droits de passage en cause sont situés.

[174]   Il s’ensuit que les droits de passage de Canadien Pacifique sont « situés dans la réserve » au sens de l’article 83 de la Loi sur les Indiens. Il s’ensuit également que les avis d’évaluation délivrés en vertu des règlements administratifs imposant des taxes pris par les appelants sont valides, à moins que ces règlements administratifs soient eux-mêmes invalides.

B. Les règlements administratifs imposant des taxes sont-ils invalides parce qu’ils établissent une distinction illicite?

[175]   Canadien Pacifique conteste les règlements administratifs imposant des taxes pour le motif que l’exemption de taxe accordée aux bandes indiennes appelantes et à leurs membres établit une distinction illicite. Les règlement administratifs de quatre des bandes exemptent aussi les sociétés dont les actions sont détenues par la bande. Le règlement administratif de Matsqui crée des exemptions additionnelles visant les Indiens inscrits, au sens de la Loi sur les Indiens, et les sociétés dont les actions sont détenues à titre bénéficiaire par des membres de la bande. Toutefois, la distinction illicite invoquée ne concerne que l’exemption touchant les droits des membres de la bande qui vivent sur des terres de réserve[100]. L’analyse qui suit ne porte que sur cette allégation.

[176]   Canadien Pacifique soutient essentiellement que le traitement différent réservé aux non-Indiens en ce qui concerne les taxes crée une distinction qui n’est pas autorisée par les articles 83 et 87 de la Loi sur les Indiens. Voici les dispositions pertinentes de ces articles :

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

[…]

(3) Les règlements administratifs pris en application de l’alinéa (1)a) doivent prévoir la procédure de contestation de l’évaluation en matière de taxation.

(4) Le ministre peut approuver la totalité d’un règlement administratif visé au paragraphe (1) ou une partie seulement de celui-ci.

[…]

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

[…]

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

[177]   Ces dispositions établissent clairement que les Indiens ne sont pas assujettis à la taxation relativement à leurs droits sur les terres de réserve (y compris les terres désignées), sauf disposition contraire d’un règlement administratif pris en application de l’article 83. Il est cependant tout aussi clair que ces dispositions ne traitent pas de la question de savoir si la bande indienne peut s’exempter elle-même, ainsi que ses membres de l’application d’un règlement administratif pris en application de l’article 83. En d’autres termes, ces dispositions n’autorisent pas expressément une bande indienne à prendre un règlement administratif qui ne taxerait que les droits des non-Indiens sur les terres de réserve.

[178]   Canadien Pacifique fait valoir que, selon les règles d’interprétation des lois, un pouvoir de législation déléguée doit être interprété comme interdisant la prise de mesures législatives discriminatoires, sauf si la loi habilitante permet l’établissement d’une distinction, expressément ou par déduction nécessaire. Cette règle a été énoncée pour la première fois par le juge Beetz de la Cour suprême qui a dit, dans l’arrêt Arcade Amusements[101] :

La règle selon laquelle le pouvoir de faire des règlements ne comporte pas celui d’édicter des dispositions discriminatoires à moins que les textes législatifs habilitants ne prescrivent le contraire a été observée de temps immémorial en droit public anglais et canadien. On l’a appliquée et on l’applique encore en droit municipal.

[179]   Après avoir examiné l’abondante jurisprudence dans laquelle cette règle a été appliquée, le juge Beetz a résumé ainsi ce principe[102] :

Il faut tenir qu’à moins de dispositions explicites au contraire ou de délégation implicite faite par voie d’inférence nécessaire, le législateur souverain s’est réservé à lui-même le pouvoir important de restreindre les droits et libertés des citoyens en fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende les cadres du droit administratif et du droit municipal. C’est un principe de liberté fondamentale. [Non souligné dans l’original.]

En conséquence, il est allégué que la différence de traitement prévu par les règlements administratifs contestés en matière de taxation doit être autorisée par la Loi sur les Indiens, expressément ou par déduction nécessaire.

[180]   Il est bien établi que la Loi sur les Indiens ne contient aucune disposition expresse permettant de traiter différemment les membres de la bande en matière de taxation relativement aux terres de réserve. En effet, Canadien Pacifique fait remarquer que les termes de l’article 83 de la Loi sur les Indiens ne peuvent fonder aucune inférence que les conseils de bande ont le pouvoir d’établir une distinction entre les membres de la bande et les non-Indiens en ce qui concerne la taxation. De plus, l’intimée soutient qu’il n’existe aucun motif sur lequel fonder l’existence d’un tel pouvoir implicite.

[181]   Canadien Pacifique fait aussi valoir qu’une interprétation stricte de l’article 83, qui nierait aux bandes indiennes le pouvoir d’établir une distinction en faveur des membres de la bande, ne modifierait pas l’exemption de taxe dont ils bénéficient en vertu de l’article 87, étant donné que celui-ci ne les met à l’abri que des taxes fédérales et provinciales. Enfin, Canadien Pacifique affirme qu’il est tout simplement injuste de faire porter tout le fardeau des taxes par les non-Indiens, plus particulièrement par ceux qui ne recevraient aucun service financé par ces taxes. Étant donné que je suis d’avis que ces prétentions ne peuvent être retenues, il n’est pas nécessaire que je décrive chacun des arguments plaidés par les appelants pour les réfuter. J’examinerai toutefois certaines observations présentées par les intervenants.

[182]   L’article 87 de la Loi sur les Indiens prévoit expressément que l’exemption de taxe qui y est prévue peut être écartée par un règlement administratif pris en vertu de l’article 83. En effet, les mots « mais sous réserve de l’article 83 » figurant dans l’article 87 permettent expressément au conseil de bande d’imposer des taxes sur les droits des membres de la bande sur les immeubles situés dans la réserve. Cette autorisation est conforme à l’objet sous-jacent de l’article 83, soit promouvoir l’autonomie gouvernementale des Autochtones en permettant aux bandes indiennes de se doter de sources de revenu indépendantes des gouvernements fédéral et provinciaux par voie de taxation. En conséquence, il n’est pas nécessaire de décider si cette exemption se limite aux taxes fédérales et provinciales. La question qui est au cœur des appels est celle de savoir si un conseil de bande doit assujettir à la fois les Indiens et les non-Indiens aux règlements administratifs par lesquels il impose des taxes.

[183]   Je suis d’accord pour dire que l’approbation ministérielle des règlements administratifs imposant des taxes ne revêt aucune importance étant donné que le ministre est assujetti aux mêmes contraintes que les bandes indiennes appelantes. Je reconnais en outre à Canadien Pacifique le droit d’invoquer les principes de droit municipal touchant la discrimination. Les tribunaux établissent souvent une analogie entre les pouvoirs exercés par le conseil d’une bande indienne et ceux dont est investie une municipalité[103]. Il importe cependant de souligner que les pouvoirs d’un conseil de bande ont une portée plus étendue que ceux d’une municipalité[104]. Néanmoins, je suis lié par le principe classique énoncé par le juge Beetz selon lequel ce principe touchant la discrimination transcende celui du droit municipal; c’est « un principe de liberté fondamentale ».

[184]   Dans la mesure où les règlements administratifs en cause peuvent être tenus pour discriminatoires, leur caractère discriminatoire est fondé sur la « race », puisque les non-Indiens sont traités différemment des membres de la bande, même s’ils occupent tous des terres dans la réserve. La question de savoir si cette inégalité apparente est discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11, (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] est une question distincte, que je ne suis pas tenu de trancher, car ni la Charte, ni d’autres dispositions législatives en matière de droits de la personne n’ont été plaidées en l’espèce[105]. Naturellement, la loi ne saurait tolérer facilement que des personnes soient traitées différemment en raison de leur race, peu importe que les mesures législatives en cause aient été prises par le gouvernement fédéral, un organisme fédéral, un gouvernement provincial, une municipalité ou le conseil d’une bande indienne.

[185]   Bien que je souscrive à cette proposition, je tiens à souligner que le concept de discrimination inacceptable dépend souvent de la façon dont les questions juridiques sont articulées. Pour ceux qui envisagent les questions dont la Cour est saisie comme portant sur un régime de taxation qui avantage les Indiens au détriment des non-Indiens, le concept de « bon gouvernement » semblerait commander un traitement égal pour tous les citoyens, sans égard à leur race. Par contre, je comprends que les bandes indiennes en cause puissent percevoir la question différemment. Elles assimilent davantage « l’autonomie gouvernementale » à la capacité de se gouverner et, en conséquence, à l’atténuation du rôle joué par les gouvernements fédéral et provinciaux. En l’espèce, les bandes indiennes ont voulu s’exempter des taxes, ainsi que leurs membres, tout en y assujettissant les non-Indiens qui occupent des terres de réserve. Cette façon de procéder est compréhensible si l’on considère que les terres de réserve ont été mises de côté à l’usage et au profit des Indiens, même si la Couronne en demeure propriétaire. On peut à juste titre tenir pour acquis que les Indiens considèrent leurs terres de réserve comme leur appartenant, tout comme les autres Canadiens s’enorgueillissent d’être propriétaires de biens immeubles. Le droit des Indiens à la possession exclusive des terres de réserve est amoindri par le droit de traverser ces terres que des lois accordent à des tiers. Le fait que les propriétaires de droits de passage, comme Canadien Pacifique, aient payé pour utiliser les terres de réserve ne les soustrait pas à l’obligation de payer des taxes foncières. La seule question qui se pose est celle de savoir à qui ils les paieront. Naturellement, les bandes indiennes en cause ne veulent pas être contraintes de s’imposer des taxes à elles-mêmes pour pouvoir y assujettir ceux qui utilisent leurs terres.

[186]   Seulement deux questions doivent être examinées en ce qui concerne la discrimination. La première, énoncée par le chef Jules et la Commission consultative de la fiscalité indienne, consiste à savoir si le législateur avait l’intention d’autoriser le type de discrimination alléguée par Canadien Pacifique. La seconde est celle de savoir s’il faut conclure à l’existence du pouvoir d’établir une distinction, par déduction nécessaire, comme ce serait possible selon l’arrêt Arcade Amusements, précité. Pour répondre à cette dernière question, il faut nécessairement soupeser les considérations de politique qui s’opposent proposées par les appelants et par Canadien Pacifique.

[187]   Le chef Jules affirme, dans son affidavit, avoir soulevé auprès du ministère des Affaires indiennes, lors de l’étude des modifications de Kamloops, la question de savoir si les terres de réserve occupées par des Indiens peuvent demeurer exemptées sans porter atteinte au droit de taxer les non-Indiens. Le chef Jules ajoute qu’une opinion juridique a été demandée sur cette question et que les avocats du Ministère étaient d’avis que les bandes indiennes pouvaient prendre des règlements administratifs imposant des taxes auxquelles seuls les droits des non-Indiens sur les terres de réserve seraient assujettis. Un exemplaire de cette opinion juridique a été produit comme pièce jointe à l’affidavit du chef Jules. Bien qu’une telle preuve soit admissible, selon le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B.[106], cet arrêt commande qu’on ne lui accorde que peu ou pas de poids.

[188]   Il est clair que les modifications de Kamloops ont été édictées dans l’unique but de s’assurer que les terres cédées pour être données à bail soient « situées dans la réserve » et, partant, assujetties aux taxes imposées par la bande indienne en vertu de l’article 83. Si le ministre et le Parlement s’étaient aussi préoccupés d’exempter des taxes imposées par ces règlements administratifs les droits des membres de la bande sur les terres de réserve, ils auraient certainement pu régler cette question au même moment. Seuls les responsables de l’adoption rapide de ces modifications par le Parlement peuvent expliquer pourquoi celles-ci n’ont pas réglé expressément ce problème.

[189]   L’unique preuve objective de l’intention du législateur se trouve dans une brochure distribuée par le ministre, qui fait écho à l’argument des appelants selon lequel les Indiens des réserves continueraient à être exemptés des taxes. Pareil énoncé d’une politique et d’une interprétation administratives n’est pas déterminant, mais on peut lui accorder un certain poids[107]. Seule, cette preuve ne suffit toutefois pas à étayer la prétention des appelants. Ce qui m’amène à la seconde des deux questions énoncées plus haut.

[190]   La dernière question est celle de savoir si la Cour est disposée à conclure à l’existence d’une autorisation implicite d’établir une distinction. Chaque fois qu’une cour de justice est appelée à conclure qu’un terme fait implicitement partie d’une loi, on lui demande d’examiner des intérêts opposés et de décider lesquels doivent l’emporter. Je suis d’avis que cet examen comparatif est favorable aux appelants.

[191]   Je dois préciser dès le départ que deux considérations potentielles sont neutres, au bout du compte, car aucune n’appuie ni ne réfute l’une ou l’autre des thèses des parties. Premièrement, il est bien établi que la notion de « taxation sans représentation » n’est pas pertinente dans le cadre des présents appels. Le simple fait de taxer les Indiens qui occupent les terres de réserve ne changerait rien à la taxation sans représentation des non-Indiens. Deuxièmement, Canadien Pacifique ne cherche pas à éviter le paiement des taxes, car si ses droits de passage n’étaient pas jugés taxables par les bandes indiennes, ils seraient assujettis à des taxes en vertu des règlements municipaux ou du régime provincial d’impôts fonciers de la Colombie-Britannique.

[192]   Deux considérations de politique plaidées par les appelants et les intervenants appuient l’existence, par voie de déduction nécessaire, d’une autorisation implicite d’établir une distinction. À mon avis, seule la deuxième est convaincante. La première, soulevée par la bande indienne de Little Shuswap, porte qu’il ne serait pas possible en pratique de taxer les droits des membres de la bande sur les terres de réserve en raison de la difficulté d’évaluer ces terres. Cet argument se fonde sur le fait que ces droits ne peuvent équivaloir au titre en fief simple, ce qui pose un problème quant à la méthode d’évaluation des terres sans référence aux concepts de marché. Toutefois, cet argument s’applique tout autant aux droits des non-Indiens sur les terres de réserve, car leur titre est nécessairement moindre qu’un titre en fief simple. Par exemple, dans L’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui, précité, la Cour a conclu que la Compagnie des chemins de fer nationaux avait acquis un fief simple extinguible sur son droit de passage. Il est sans l’ombre d’un doute difficile d’établir la valeur d’un fief simple extinguible sur une terre de réserve qui peut être rétrocédé aux appelants, mais les terres de Canadien Pacifique ont toujours été assujetties à la taxation et à l’évaluation, et les autres terres de réserve pourraient recevoir le même traitement.

[193]   La deuxième considération découle du fait que les Indiens des réserves sont exemptés de taxes depuis l’entrée en vigueur de la première loi concernant les Indiens[108]. L’exemption de taxes prévue par l’article 87 de la Loi sur les Indiens, qui vise les droits des Indiens sur les biens et les terres de réserve, tire son origine de l’obligation historique de la Couronne de protéger les terres de réserve, obligation qui a été reconnue pour la première fois par la Proclamation royale (1763)[109]. Une telle exemption est aussi conforme à la notion de souveraineté des Autochtones sur les terres de réserve ou, en d’autres termes, à l’autonomie gouvernementale des Autochtones[110]. De plus, la souveraineté des Autochtones a été reconnue comme la source de l’exemption de taxes sur les biens et les terres de réserve aux États-Unis, et la Cour suprême du Canada pourrait suivre cette voie[111].

[194]   En conséquence, l’exemption de taxes sur les terres de réserve prévue par l’article 87 peut être considérée comme un droit ancestral inhérent, découlant de l’occupation de ces terres par des sociétés autochtones autonomes. Une telle catégorisation mènera certainement à des questions sur la portée de l’exemption et de l’extinction, mais il n’est pas nécessaire de les résoudre pour l’instant. Il suffit de souligner que, dans la mesure où l’exemption de taxes visant le droit des Indiens sur les terres de réserve procède de notions de souveraineté des Autochtones, elle doit être protégée, à moins d’indication contraire dans la loi .

[195]   Il est très significatif que la Loi sur les Indiens établisse, par sa nature même, des distinctions entre les Indiens et les non-Indiens au Canada. En effet, l’exemption de taxes codifiée à l’article 87 constitue une distinction importante entre les Indiens et les non-Indiens. Le Parlement a la compétence requise pour édicter de telles distinctions, compte tenu de la compétence exclusive sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » qui lui est conférée par la catégorie 24 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les règlements administratifs pris par une bande indienne en vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens constituent de la législation déléguée. En conséquence, il est raisonnable d’inférer que le pouvoir constitutionnel d’établir une distinction entre les Indiens et les non-Indiens en matière de taxation a été délégué aux conseils de bande indienne.

[196]   En bout de ligne, le seul argument de politique pertinent proposé par Canadien Pacifique pour réfuter l’autorisation implicite d’établir des distinctions entre les Indiens et les non-Indiens en matière de taxation porte que de tels règlements administratifs pourraient s’avérer injustes et abusifs. Canadien Pacifique a donné comme exemple hypothétique le cas d’un conseil de bande qui construirait un centre communautaire à l’aide des taxes prélevées auprès de l’unique entité taxable occupant des terres de réserve, savoir, Canadien Pacifique. Les appelants contestent l’idée que les règlements administratifs en cause ont été rédigés de façon à créer l’injustice évoquée par Canadien Pacifique. Ils soulignent, à juste titre, qu’il existe des processus d’appel auxquels Canadien Pacifique a accès, outre les tribunaux. De même, ils ont fait remarquer que ce ne sont pas les autorités de la bande qui procèdent aux évaluations. Actuellement, celles-ci sont effectuées par la British Columbia Assessment Authority, qui relève du gouvernement provincial. J’estime que toute tentative d’un conseil de bande d’imposer la totalité du fardeau fiscal uniquement aux non-Indiens connaîtrait une fin abrupte. Les avocats des différents appelants partagent mon avis sur ce point.

[197]   Pour tous ces motifs, je suis disposé à statuer que les conseils de bande ont, par déduction nécessaire, le pouvoir de continuer à exempter de la taxation les droits fonciers des Indiens des réserves.

VI.       DISPOSITIF

[198]   Je suis d’avis d’accueillir les appels avec dépens. Je suis d’avis d’annuler les jugements rendus par le tribunal d’instance inférieure et de les remplacer par une ordonnance rejetant chacune des demandes de contrôle judiciaire.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-5 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10).

[2] Voici comment ces termes sont définis à l’art. 2(1) [mod. par L.R.C. (1985] (4e suppl.), ch 17, art. 1]:

2. (1) […]

« réserve » Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande; y sont assimilées les terres désignées, sauf pour l’application du paragraphe 18(2), des articles 20 à 25, 28, 36 à 38, 42, 44, 46, 48 à 51, 58 et 60, ou des règlements pris sous leur régime.

[…]

« terres désignées » Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle-ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu.

[3] Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, (1998), 162 D.L.R. (4th) 649 (C.A.F.).

[4] Id., motifs du juge d’appel Décary, aux p. 667 et 668:

Pourtant, à mon avis, l’expression « droit de passage », dans le contexte dans lequel elle a été utilisée, décrit simplement les terres prises et ne qualifie pas le droit consenti sur les terres qui ont été cédées. Autrement dit, l’expression a été utilisée pour définir précisément quelles terres étaient prises; elle n’a pas été utilisée pour décrire à quel droit la bande consentait à renoncer sur cette terre. Finalement, l’expression a été utilisée dans tous les documents dans le contexte d’une vente ferme.

[5] Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29, en vigueur en 1891, au moment de la première cession.

[6] Je dis « probablement », parce que cette conclusion ne s’impose peut-être plus automatiquement depuis l’arrêt Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), dans lequel la Cour a apparemment conclu que la disposition de la Loi des Indiens [S.R.C. 1927, ch. 98] régissant les cessions ne s’applique pas aux aliénations résultant de la prise d’une terre par la Couronne sous le régime de l’art. 48 de la Loi des Indiens.

[7] S.C. 1881, ch 1.

[8] (1894), 23 R.C.S. 1.

[9] (1905), 36 R.C.S. 42, à la p. 74.

[10] S.B.C. 1880, ch. 11.

[11] S.B.C. 1883, ch. 14.

[12] Voir, en général, D. M. Smith, Title to Indian Reserves in British Columbia (Faculty of Law, University of British Columbia: Vancouver, 1988). Toutefois, on ne sait pas avec certitude si le gouvernement provincial a eu, à quelque moment que ce soit, l’intention d’approuver les réserves situées à l’intérieur des zones qui devaient faire partie de la zone de chemin de fer.

[13] Décret C.P. 1930-1116.

[14] La concession d’un droit de passage datée du 25 août 1891 renvoie à une [traduction] « certaine bande ou portion de terrain occupée par l’embranchement de Mission du Chemin de fer Canadien Pacifique ». Voir le dossier d’appel, vol. 1, dans A-389-96, à la p. 174.

[15] La concession d’un droit de passage datée du 9 décembre 1968 renvoie à un [traduction] « élargissement du chemin de fer conforme au plan 53921 des Registres d’arpentage des terres du Canada, à Ottawa ». Voir le volume de référence du C.P., onglet 4.

[16] En ce qui concerne le recours à la ponctuation pour interpréter une disposition législative, voir Côté, P.-A. Interprétation des lois, 2e éd., Cowanville (Qué): Éditions Yvon Blais Inc., 1990, à la p. 67.

[17] Voir Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654.

[18] L.R.C. (1985), ch. I-5.

[19] Il est précisé que les biens immeubles d’une société dont les actions sont détenues, en tout ou en partie, en fiducie par des membres de la bande au profit d’une personne qui n’est pas membre de la bande ne bénéficient pas de l’exemption fiscale.

[20] (A-389-96), cahier d’appel, à la p. 36.

[21] (A-480-96), cahier d’appel, à la p. 14.

[22] (A-386-96), cahier d’appel, à la p. 37.

[23] (A-479-96), cahier d’appel, à la p. 29.

[24] (A-403-96), cahier d’appel, à la p. 41. La Commission consultative de la fiscalité indienne, intervenante, a mentionné dans son mémoire que des règlements administratifs de taxation établissant des exemptions pour la bande et les membres de la bande, semblables à celles prévues par les règlements administratifs des bandes visées en l’espèce, sont en vigueur dans 69 collectivités des Premières Nations, partout au Canada.

[25] British Columbia (Assessor of Area # 25Northwest/Prince Rupert) v. N & V Johnson Services Ltd. (1990), 73 D.L.R. (4th) 170 (C.A.C.-B.). Westbank Property Management Ltd. v. Assessor of Area #19Kelowna, [1993] 1 C.N.L.R. 176 (C.S.C.-B.); voir aussi Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in right of Saskatchewan (1979), 102 D.L.R. (3d) 333 (C.A. Sask.); Re Stony Plain Indian Reserve No. 135 Development (1981), 35 A.R. 412 (C.A.); Virginia L. Davies, « The Use of Inter Vivos Trusts to Preserve Treaty Entitlements » dans Report of Proceedings of the Forty-Fifth Tax Conference (Toronto: Association canadienne d’études fiscales, 1993) 54:1, à la p. 54:5.

[26] S.B.C. 1990, ch. 52.

[27] Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1996] 3 C.F. 373 (1re inst.), à la p. 419.

[28] [1990] 2 R.C.S. 85, aux p. 130 et 131.

[29] [1992] 1 R.C.S. 877, à la p. 885.

[30] L.C. 1988, ch. 23, art. 10 [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10].

[31] [1995] 1 R.C.S. 3, à la p. 24.

[32] [1997] 2 R.C.S. 657, aux p. 672 à 674, par. 24.

[33] Souligné dans l’original.

[34] [1985] 1 R.C.S. 368. Aussi connu sous l’intitulé Fountainhead Fun Centres Ltd., c. Montréal (Ville).

[35] Id., à la p. 404.

[36] Id., à la p. 406.

[37] Id., à la p. 413.

[38] [1993] 1 R.C.S. 650, aux p. 667 et 668. Voir aussi Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90, à la p. 105; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, aux p. 259 et 275.

[39] [1990] 1 R.C.S. 1025.

[40] [1990] F.C.J. no 546 (C.A.) (QL).

[41] [1995] 1 R.C.S. 3, à la p. 33.

[42] (1992), 135 D.L.R. (3d) 128 (C.A. Sask.), aux p. 133 et 134.

[43] (1981), 63 C.C.C. (3d) 61 (C.A. Qué.), à la p. 68. Voir aussi T. F. Isaac, Aboriginal Law: Cases, Materials and Commentary, 2e éd. (Saskatoon: Purich Publications, 1999), à la p. 505 et suiv.

[44] [1995] 1 R.C.S. 3, aux p. 33 et 34, par. 43.

[45] L’expression « terres désignées », définie dans la Loi, est incluse dans la définition du terme « réserve », qui est aussi défini. Voir L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1].

[46] P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fourth Student Edition (Toronto: Carswell, 1996), à la p. 344, par. 15.6.

[47] Voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, à la p. 24.

[48] S.C. 1881, ch. 1.

[49] L.R.C. (1985), ch. I-5.

[50] Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1998), 162 D.L.R. (4th) 649 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 25 mars 1999 [[1999] 1 R.C.S. x].

[51] Maintenant publiés dans [1996] 3 C.F. 373 (1re inst.).

[52] Id., aux p. 412 et 413.

[53] Id., aux p. 414 et 415.

[54] Voir l’Acte refondu des chemins de fer, 1879, S.C. 1879, ch. 9, art. 7(3). L’Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29, art. 99 et les dispositions qui l’ont remplacé ont maintenu cette condition.

[55] Voir Sir Robert Megarry et M. P. Thompson, Megarry’s Manual of the Law of Real Property, 7e éd. (Londres: Sweet & Maxwell, 1993), aux p. 35, 197 et 198.

[56] Loi modifiant la Loi sur les Indiens (terres désignées), L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1.

[57] (1984), 11 D.L.R. (4th) 226 (C.A.C.-B.).

[58] Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657, aux p. 675 et 676.

[59] Voir Megarry, précité, note 55, aux p. 59, 321 et 322.

[60] Voir par ex., Thompson v. Fraser Companies Ltd., [1930] R.C.S. 109; et The King v. Bonhomme (1917), 16 R.C.É. 437; conf. par (1918), 59 R.C.S. 679.

[61] Bande indienne de St. Mary’s, précité, note 58 à la p. 668.

[62] Voir en général Gerard V. La Forest, Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution (Toronto: University of Toronto Press, 1969), aux p. 132 et 133.

[63] Les décrets provincial et fédéral adoptant la Convention McKenna-McBride ne traitaient pas du droit de réversion à l’égard des terres de réserve. Cette question a finalement été réglée avec l’adoption de la Convention Scott-Cathcart en 1938 par le Décret C.-B. 1036. Voir B.C. (A.G.) v. Mount Currie Indian Band (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 156 (C.A.), le juge Anderson (les juges Toy, Proudfoot et Hinds ayant souscrit à son opinion).

[64] Voir Megarry, précité, note 55, aux p. 59, 321 et 322.

[65] S.C. 1880, ch. 28. Cette Loi a codifié et modifié les lois concernant les Indiens qui avaient été édictées entre 1868 et 1879.

[66] L’art. 36 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 est devenu l’art. 38 de l’Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43; l’art. 48 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81; l’art. 50 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98; et finalement, l’art. 37 de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29. Le libellé de l’art. 37 actuel a été adopté dans le cadre des modifications de Kamloops, précitées, note 56.

[67] L’art. 31 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 est devenu successivement l’art. 35 de l’Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, ch. 43; l’art. 46 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, ch. 81; l’art. 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98; et l’art. 35 de la Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29.

[68] Acte amendant l’Acte des Sauvages, S.C. 1887, ch. 33, art. 5.

[69] Loi modifiant la Loi des Sauvages, S.C. 1911, ch. 14, art. 1.

[70] Acte des chemins de fer, précité, note 54, à l’art. 103.

[71] Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, à la p. 157 (le juge McLachlin). Voir aussi Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), aux p. 17 à 19 (le juge Heald) et à la p. 48 (le juge Urie).

[72] Précitée, note 54.

[73] L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 35.

[74] Je reconnais que l’art. 28 de la Loi sur les Indiens autorise le ministre à délivrer des permis autorisant toute personne à utiliser ou à occuper les terres de réserve pour une période maximale d’un an, mais la durée de validité de ces permis peut dépasser un an si le conseil de la bande y consent. Cette disposition n’est pas applicable en l’espèce.

[75] S.C. 1879, ch. 9.

[76] Megarry, précité, note 55, à la p. 34. Voir aussi E. H. Burn, Cheshire and Burn’s Modern Law of Real Property, 15e éd. (Londres: Butterworths, 1994); In Re Macleay (1875) L.R. 20 Eq. 186; et Dugdale v. Dugdale (1888), 38 Ch. D. 176.

[77] Voir, par ex., Reese et al. v. The Queen, [1957] R.C.S. 794; Hartley v. Matson (1902), 32 R.C.S. 644; et St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1959] R.C.S. 211.

[78] Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 185. Les art. 2 et 3 de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 sont devenus l’art. 3 de l’Acte des chemins de fer, S.R.C. 1886, ch. 109, puis les art. 5 et 6 de l’Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29. Ces articles ont ensuite été édictés à nouveau essentiellement dans la même forme que les dispositions de 1985 en 1903 (Acte des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, ch. 58, art. 5) et sont devenus l’art. 4 lors de la refonte de 1906 (Loi des chemins de fer, S.R.C. 1906, ch. 37). L’art. 7(3) de l’Acte de 1879 est devenu l’art. 99 (Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29), puis l’art. 189 (Loi des chemins de fer, S.R.C. 1927, ch. 170), l’art. 192 (Loi sur le chemins de fer, S.R.C. 1952, ch. 234), l’art. 130 (Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2) et enfin l’art. 134 (Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3). La disposition établissant l’obligation de payer une indemnité pour l’utilisation ou la prise de terres de réserve ou les dommages qui leur sont causés a été édictée pour la première fois par l’art. 101 (S.C. 1888, ch. 29). Cette disposition est devenue l’art. 136 (S.C. 1903, ch. 58), l’art. 175 (S.R.C. 1906, ch. 37), l’art. 192 (S.C. 1919, ch. 68), l’art. 195 (S.R.C. 1952, ch. 234), l’art. 133 (S.R.C. 1970, ch. R-2) et finalement l’art. 137 (L.R.C. (1985), ch. R-3).

[79] Voir Kruger, précité, note 71; Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town) (1997), 145 D.L.R. (4th) 552 (C.S.C.-B.); et Gitanmaax Indian Band v. British Columbia Hydro and Power Authority (1991), 84 D.L.R. (4th) 562 (C.S.C.-B.).

[80] Les événements historiques qui ont mené à la Confédération sont l’un des éléments qui situent le contexte de l’édiction de la Loi du CP. Ces événements sont résumés avec éloquence dans St. Catherine’s Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.), aux p. 53 à 56.

[81] L.R.C. (1985), appendice II, no 10.

[82] (1894), 23 R.C.S. 1.

[83] Id., à la p. 9.

[84] [1951] R.C.S. 190.

[85] Id., à la p. 199.

[86] Id., à la p. 200.

[87] [1963] R.C.É. 372, à la p. 375.

[88] (1982), 44 N.B.R. (2d) 201 (C.A.).

[89] Id., aux p. 212 et 214.

[90] Id., à la p. 210.

[91] Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, aux p. 378 et 379.

[92] Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, à la p. 1082.

[93] Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.

[94] [1990] 2 R.C.S. 85, à la p. 143.

[95] Id., à la p. 99.

[96] [1988] 2 R.C.S. 654.

[97] [1973] R.C.S. 313 (le juge Judson).

[98] (1991), 79 D.L.R. (4th) 185 (C.S.C.-B.); mod. par (1993), 104 D.L.R. (4th) 470 (C.A.C.-B.); inf. en partie par [1997] 3 R.C.S. 1010. Voir aussi P. Tennant, Aboriginal Peoples and Politics: The Indian Land Question in British Columbia, 1849-1989 (Vancouver: University of B.C. Press, 1990), aux p. 39 à 52.

[99] Voir Hugh A. Dempsey, rapport de recherche: Traité no sept. (Ottawa: Centre de la recherche historique et de l’étude des traités, 1987), aux p. 48 et 49.

[100] D’autres questions peuvent se poser concernant l’exemption des sociétés par actions dont les actions appartiennent à la bande ou à des membres de la bande, car ces sociétés par actions ne sont pas des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens. Voir par ex., Four B Manufacturing Ltd. c. Les Travailleurs unis du vêtement d’Amérique et al, [1980] 1 R.C.S. 1031; Western Industrial Contractors Ltd. v. Sarcee Development Ltd (1979), 15 A.R. 309 (C.A.); et British Columbia (Assessor of Area # 25Northwest-Prince Rupert) v. N & V Johnson Services Ltd. (1990), 73 D.L.R. (4th) 170 (C.A.C.-B.). Ces questions n’ont toutefois pas été plaidées en l’espèce.

[101] Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368, à la p. 404.

[102] Id., à la p. 413.

[103] Voir Whitebear Band Council and Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al. Re (1982), 135 D.L.R. (3d) 128 (C.A. Sask.); Sabattis v. Oromocto Indian Band (1986), 76 N.B.R. (2d) 227 (C.A.); Chadee v. Norway House First Nation (1996), 113 Man. R. (2d) 110 (C.A.); Deer c. Conseil Mohawk de Kahnawake, [1991] 2 C.F. 18 (1re inst.); et Bande indienne de Batchewana (Membres non-résidents) c. Bande indienne de Batchewana, [1994] 1 C.F. 394 (1re inst.).

[104] Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 232 (C.F. 1re inst.).

[105] On pourrait soutenir que l’exemption de taxe établie par la Loi sur les Indiens ne constitue qu’une codification d’un droit ancestral ou issu de traités à l’immunité fiscale: voir Richard H. Bartlett, Indians and Taxation in Canada, 3e éd. (Saskatoon: Native Law Centre, 1992), aux p. 26 et 27. Le cas échéant, on peut prétendre que la préservation de cette immunité dans les règlements administratifs contestés est peut-être à l’abri d’un recours fondé sur l’art. 15 la Charte par application de l’art. 25, selon lequel la Charte ne peut porter atteinte aux droits ancestraux, issus de traités ou autres des peuples autochtones.

[106] [1985] 2 R.C.S. 486.

[107] Harel c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, à la p. 859 (le juge de Grandpré).

[108] Acte pour protéger les sauvages dans le Haut Canada, contre la fraude, et les propriétés qu’ils occupent ou dont ils ont jouissance, contre tous empiètements et dommages, S.C. 1850, ch. 74, art. 4.

[109] Id., L.R.C. (1985), appendice II, no 1.

[110] Voir Bartlett, précité, note 105, à la p. 26; et Canada Commission royale sur les Peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, vol. 2 « Une relation à redéfinir » (Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996), à la p. 291.

[111] Voir McClanahan v. Arizona State Tax Comm’n, 411 U.S. 164 (1973); et Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976). Cette dernière décision de la Cour suprême des États-Unis a été citée et approuvée par le juge La Forest, dans l’affaire Mitchell, précitée, note 94. Voir aussi R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; et Bartlett, précité, note 105, aux p. 23 à 26.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.