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[2000] 2 C.F 263

A-550-98

Le ministre des Pêches et Océans, le Directeur, Programmes maritimes, Garde côtière canadienne (appelants) (défendeurs)

c.

The Friends of the West Country Association (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (C.A.)

Cour d’appel, juges Linden, Rothstein et McDonald, J.C.A.—Toronto, 8 septembre; Ottawa, 12 octobre 1999.

Environnement Appel d’une ordonnance ayant accueilli une demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions rendues par la Garde côtière selon lesquelles les ponts qu’il était envisagé de construire au-dessus des eaux navigables n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importantsUne société forestière a obtenu l’autorisation de la province pour construire une route; elle demande l’autorisation de construire des ponts franchissant des eaux navigables, ce qui déclenche le mécanisme fédéral d’évaluation environnementale1) L’art. 15(1) de la LCÉE accorde à l’autorité responsable (Garde côtière) le pouvoir de déterminer la portée du projet assujetti à l’évaluation environnementaleLa Garde côtière a déterminé que la portée des projets de construction des ponts ne comprenait ni la construction routière, ni l’exploitation forestièreL’art. 15(3) prévoit qu’une évaluation environnementale doit être effectuée relativement à toute construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération susceptible d’être réalisée « en liaison » avec l’ouvrageL’art. 15(3) est subsidiaire par rapport à l’art. 15(1)L’art. 15(3) n’oblige pas l’autorité responsable à procéder à une évaluation environnementale des éléments qui ne sont pas inclus dans la portée du projet aux termes de l’art. 15(1)Les mots « liée à  » contenus à l’art. 15(3) s’entendent de la construction, de l’exploitation, de la modification, de la désaffectation, de la fermeture ou de toute autre opération ayant trait à la durée de l’ouvrage en question, ou qui est accessoire à cet ouvrageLe principe de l’utilité propre, que le juge des requêtes a appliqué, n’est pas pertinent quant à l’interprétation de l’art. 15(3)Une fois la portée des projets déterminée conformément à l’art. 15(1), l’art. 15(3) n’impose pas que l’évaluation environnementale englobe les constructions, exploitations, modifications, désaffectations, fermetures ou autres opérations se situant hors de la portée des projets définis2) L’art. 16(1)a) oblige l’autorité responsable à tenir compte des effets environnementaux, y compris les effets cumulatifs, susceptibles d’être causés par les projets, combinés à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activitésL’art. 16(3) permet à l’autorité responsable de déterminer les facteurs qui doivent être examinés aux termes de l’art. 16(1)a)La décision relative aux autres projets ou activités devant être inclus ou exclus aux fins de l’évaluation des effets environnementaux cumulatifs relève du pouvoir discrétionnaire conféré à l’autorité responsableEn n’examinant pas les questions qui étaient hors de la portée des projets définis et hors du périmètre de la compétence fédérale, la Garde côtière a mal interprété l’art. 16(1)a) et (3)L’évaluation n’est pas limitée aux sources relevant de la compétence fédéraleLa conclusion selon laquelle il n’y a que des effets environnementaux insignifiants suffit pour soulever la possibilité que des effets environnementaux cumulatifs importants soient produits par d’autres projetsCette conclusion n’empêche pas l’application de la partie de l’art. 16(1)a) concernant les effets cumulatifs ou de l’art. 16(3)La Garde côtière a commis une erreur en s’abstenant d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’analyse des effets cumulatifs qu’elle a menée en vertu de l’art. 16(1)a)3) L’art. 55 prévoit la mise sur pied d’un registre public afin de faciliter l’accès du public aux documentsLe registre a été établi à Sarnia (Ontario), soit à plus de 2 000 milles des projetsL’établissement et la tenue d’un registre public relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable, mais lorsque le registre public n’est pas établi ou qu’il ne se trouve pas à proximité de la zone géographique faisant l’objet de l’évaluation environnementale, il faut prendre d’autres mesures raisonnables (courrier électronique, télécopie) afin de satisfaire aux exigences de l’art. 55Les mesures prises par la Garde côtière en matière d’accès au registre public étaient manifestement déraisonnables.

Interprétation des lois L’art. 15(3) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale prévoit qu’une évaluation environnementale doit être effectuée relativement à toute opération de « construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre » liée à un ouvrage et qui, de l’avis de l’autorité responsable, est susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrageLa Garde côtière (autorité responsable) a déterminé que les ponts qu’il était envisagé de construire au-dessus des eaux navigables n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importantsLa détermination de la portée du projet de construction des ponts ne comprend ni la construction routière envisagée, ni l’exploitation forestièreEn déterminant que la Garde côtière était tenue aux termes de l’art. 15(3) d’inclure la construction routière et l’exploitation forestière dans la portée de l’évaluation environnementale, du fait qu’elles sont « liées » aux ponts, le juge des requêtes s’est appuyé sur le principe de l’utilité propre : lorsqu’un projet individuel n’a pas une utilité propre mais qu’il est inextricablement lié à d’autres projets, l’autorité responsable doit se pencher sur l’ensemble des projetsLe principe de l’utilité propre n’est d’aucune utilité pour interpréter l’art. 15(3) puisqu’il vient des États-Unis, où les questions de compétence constitutionnelle et l’ensemble des dispositions législatives pertinentes diffèrent considérablement de celles qui s’appliquent au Canada.

Il s’agit d’un appel d’une ordonnance ayant accueilli une demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions rendues par la Garde côtière selon lesquelles les ponts qu’il était envisagé de construire au-dessus des eaux navigables n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants, et ayant annulé les autorisations relatives à la construction des ponts. En août 1995, les Services de la protection environnementale de l’Alberta ont approuvé le projet d’une nouvelle construction routière (la Mainline Road) pour assurer le transport des billes de bois d’œuvre jusqu’à la scierie de Sunpine Forest Products Limited située à Strachan (Alberta), sous réserve de certaines conditions en matière environnementale. En décembre 1995, en se fondant sur l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables, Sunpine a présenté une demande d’autorisation pour construire des ponts sur le parcours de la Mainline Road. La construction de ponts franchissant des eaux navigables étant subordonnée à l’autorisation des autorités fédérales, la demande déclencha le mécanisme fédéral d’évaluation environnementale. La Garde côtière canadienne a été chargée d’effectuer les évaluations environnementales au nom du ministre des Pêches et Océans. Elle a défini les ponts comme étant les projets devant faire l’objet d’une évaluation environnementale et a déterminé que les ponts qu’on se proposait de construire n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants; l’autorisation de construire les ponts a donc été délivrée.

Le paragraphe 15(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCÉE) confère à l’autorité responsable le pouvoir de déterminer la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée. La Garde côtière a déterminé que la portée des projets envisagés quant à la construction des ponts ne comprenait ni la construction routière, ni l’exploitation forestière à laquelle on entendait se livrer. Le juge des requêtes n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la manière dont la Garde côtière a exercé son pouvoir discrétionnaire en définissant les projets assujettis à une évaluation environnementale. Cette conclusion n’a pas fait l’objet d’un appel incident. Le paragraphe 15(3) prévoit qu’une évaluation environnementale doit être effectuée relativement à toute opération de « construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre » liée à un ouvrage et qui, de l’avis de l’autorité responsable, est susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage. Le juge des requêtes a conclu qu’aux termes du paragraphe 15(3), l’autorité responsable était tenue d’englober dans la portée de l’évaluation environnementale la route et peut-être aussi l’exploitation forestière (par opposition aux projets), étant donné qu’elles étaient « liées » aux ponts. Le juge des requêtes a estimé que son interprétation du paragraphe 15(3) était conforme au principe de l’utilité propre; selon ce principe, lorsqu’un projet individuel n’a pas une utilité propre mais qu’il est inextricablement lié à d’autres projets, l’autorité responsable doit se pencher sur l’ensemble des projets. Selon le juge des requêtes, les ponts n’ont aucune utilité propre indépendante de la route et, peut-être, de l’exploitation forestière.

L’alinéa 16(1)a) prévoit que l’évaluation doit porter sur les effets environnementaux des projets et les « effets cumulatifs que [leur] réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement ». Le paragraphe 16(3) prévoit qu’il incombe à l’autorité responsable de déterminer la portée des éléments visés à l’alinéa 16(1)a). Le juge des requêtes a estimé que le paragraphe 16(1) faisait ressortir l’obligation de l’autorité responsable d’appliquer le principe de l’utilité propre dans l’analyse de la portée de l’évaluation. Il a conclu que la Garde côtière avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des effets environnementaux cumulatifs qui découleraient vraisemblablement de la construction combinée de la route et des ponts.

Le paragraphe 55(1) prévoit la mise sur pied d’un registre public afin de faciliter l’accès du public aux documents relatifs aux évaluations. En l’espèce, le registre public a été établi à Sarnia (Ontario), soit à plus de 2 000 milles des projets visés par l’évaluation environnementale. Étant donné son éloignement du registre, la demanderesse a requis des copies de l’ensemble des documents se trouvant au registre. La Garde côtière a fourni à la demanderesse certains documents, mais lui a suggéré de présenter une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir le reste des documents.

La question en litige consiste à savoir si le juge des requêtes a commis une erreur quant à l’interprétation et à l’application des articles 15, 16 et 55 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale.

Arrêt : l’appel est rejeté.

1) L’autorité responsable doit d’abord déterminer la portée du projet, conformément au paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(3) est subsidiaire par rapport au paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(3) impose à l’autorité responsable l’obligation d’inclure dans son évaluation environnementale toute opération liée à un projet qui, conformément à la définition de « projet » contenue au paragraphe 2(1), participe de la réalisation d’un ouvrage, y compris de toute proposition de construction, d’exploitation, de modification, de désaffectation, de fermeture ou autre opération liée à cet ouvrage. Le mot « projet » n’équivaut donc pas au mot « ouvrage ». En l’espèce, les ouvrages étaient les ponts. Cependant, les projets soumis à l’évaluation environnementale comprenaient toute construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération liée aux ponts. Les ouvrages constituent les éléments principaux des projets, mais la construction, l’exploitation, la modification, la désaffectation, la fermeture ou toute autre opération liée aux ponts sont également incluses dans la portée des projets en raison de la définition de « projet ». Le paragraphe 15(3) reprend la définition de « projet » en ce qui concerne les évaluations environnementales. L’évaluation environnementale qui doit être effectuée portera sur le projet dont la portée a été déterminée. Le paragraphe 15(3) n’oblige pas l’autorité responsable à procéder à une évaluation environnementale des éléments qui ne sont pas inclus dans la portée du projet aux termes du paragraphe 15(1).

En raison du contexte des articles 15 et 16, le mot « lié » figurant au paragraphe 15(3) ne pourrait être interprété comme s’appliquant à toute construction qui est le moindrement liée à l’ouvrage constituant l’élément central du projet. Le fait d’obliger, aux termes du paragraphe 15(1), l’autorité responsable à déterminer la portée du projet constituerait un exercice superfétatoire si l’évaluation environnementale devait porter sur toute construction le moindrement liée au projet; la même remarque s’applique relativement à l’application de l’alinéa 16(1)a), qui prévoit une analyse des effets cumulatifs que pourrait entraîner la réalisation du projet défini conformément au paragraphe 15(1), combinée à l’existence ou à la réalisation d’autres projets ou activités. Ce sont les mots « liée à » qui sont utilisés dans la définition de « projet » ainsi qu’au paragraphe 15(3), et non le mot « de ». Ces mots s’entendent de la construction, de l’exploitation, de la modification, de la désaffectation, de la fermeture ou de toute autre opération ayant trait à la durée de l’ouvrage en question, ou qui est accessoire à cet ouvrage qui est au cœur même du projet défini.

Le principe de l’utilité propre vient des États-Unis, où les questions de compétence constitutionnelle et l’ensemble des dispositions législatives portant sur la protection de l’environnement diffèrent sans nul doute de celles qui s’appliquent au Canada. Il n’est donc d’aucune utilité pour interpréter le paragraphe 15(3).

Une fois la portée des projets déterminée par l’autorité responsable conformément au paragraphe 15(1), le paragraphe 15(3) n’impose pas que l’évaluation environnementale englobe les constructions, exploitations, modifications, désaffectations, fermetures ou autres opérations se situant hors de la portée des projets définis.

2) Le premier volet du processus visé à l’article 16 porte sur l’évaluation de tous les facteurs prévus aux alinéas 16(1)a) à f). L’alinéa 16(1)a), qui porte sur les effets environnementaux cumulatifs, oblige l’autorité responsable à tenir compte des effets susceptibles d’être causés à l’environnement par les projets définis conformément au paragraphe 15(1), combinés à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités. Le second volet du processus concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui, en vertu du paragraphe 16(3), permet à l’autorité responsable de déterminer la portée des effets environnementaux cumulatifs qui doivent être examinés, c’est-à-dire déterminer les autres projets ou activités qui doivent entrer en ligne de compte. La décision relative aux autres projets ou activités devant être inclus ou exclus aux fins de l’évaluation des effets environnementaux cumulatifs prévue à l’alinéa 16(1)a) relève donc du pouvoir discrétionnaire conféré à l’autorité responsable.

Dans ses rapports préliminaires, la Garde côtière n’avait pas évoqué la route ou les exploitations forestières. Elle n’a vraisemblablement pas voulu se pencher sur des questions qui étaient à la fois hors de la portée des projets définis et hors du périmètre de la compétence fédérale. La nature même d’une évaluation des effets cumulatifs en vertu de l’alinéa 16(1)a) semble expressément élargir le champ d’examen au-delà du projet défini et les sources situées en dehors des limites du projet défini doivent alors être examinées. L’alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3) ne limitent aucunement l’évaluation aux sources relevant de la compétence fédérale. Il faut, pour enclencher la procédure fédérale d’évaluation environnementale, que soit en cause un aspect relevant de la compétence fédérale. À partir du moment où cette procédure est enclenchée, l’autorité fédérale responsable doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière d’effets cumulatifs, sans que son action ne soit limitée par la manière dont elle interprète la compétence constitutionnelle dont elle est investie. L’autorité responsable doit se pencher sur les effets environnementaux touchant tout domaine de compétence fédéral, mais elle doit faire porter son évaluation environnementale sur les effets relevant d’un domaine de compétence fédéral. Il apparaît que cela ait été le point de mire des évaluations en l’espèce.

Le simple fait qu’un projet fédéral n’entraîne pas, à proprement parler, d’effet négatif ne signifie pas qu’il ne puisse aggraver les effets négatifs produits par d’autres projets. Le fait qu’on ait conclu en l’espèce que le projet n’entraînerait que des effets insignifiants implique que la construction des ponts aurait tout de même certains effets. L’accumulation de toute une série d’effets insignifiants pourrait finir par constituer des effets appréciables. Pour ce motif, la conclusion selon laquelle les projets n’entraîneraient que des effets insignifiants n’empêche pas l’application de la partie de l’alinéa 16(1)a) concernant les effets cumulatifs, ou du paragraphe 16(3). La Garde côtière a commis une erreur en s’abstenant d’exercer son pouvoir discrétionnaire, dans le cadre de l’analyse des effets cumulatifs qu’elle a menée en vertu de l’alinéa 16(1)a), en n’englobant pas les effets susceptibles de découler d’autres projets ou activités, au motif que ceux-ci n’étaient pas visés par les projets définis ou se situaient hors du champ de compétence fédéral.

3) L’établissement et la tenue d’un registre public aux termes du paragraphe 55(1) relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable. Bien que les coûts soient effectivement un facteur à considérer, et bien qu’il n’y ait aucune condition de proximité pour l’établissement du registre public, le paragraphe 55(1) exige néanmoins que l’accès facile du public y soit garanti. Si un registre public n’est pas établi et tenu à proximité de la zone géographique faisant l’objet de l’évaluation environnementale, il faut, afin de satisfaire aux exigences du paragraphe 55(1), prendre d’autres mesures raisonnables, telles que le recours au courrier électronique ou à la télécopie, ou encore faciliter l’accès du public à la documentation déposée au registre en en confiant en temps utile copie à un agent se trouvant à proximité des projets. Même selon la norme de contrôle la plus respectueuse, les mesures prises par la Garde côtière en matière d’accès au registre public étaient manifestement déraisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, préambule, art. 2(1) « autorité fédérale », « projet », (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18), 5, 11(2), 12(4) (mod., idem, art. 20), 15(1),(3) (mod., idem, art. 21), 16(1) (mod., idem, art. 22), (2),(3), 55(1).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(10),(12),(24).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Manitoba’s Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 30 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.F. 1re inst.); Citizens’ Mining Council of Newfoundland & Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 29 C.E.L.R. (N.S.) 117; 163 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321.

DÉCISION EXAMINÉE :

Thomas v. Peterson, 753 F.2d 754 (9th Cir. 1985).

DOCTRINE

Agence canadienne d’évaluation environnementale. Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Guide des autorités responsables. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994.

APPEL d’une ordonnance ayant accueilli une demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions rendues par la Garde côtière, aux termes des articles 15 et 16 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, selon lesquelles les ponts qu’il était envisagé de construire au-dessus des eaux navigables n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants, et ayant annulé les autorisations relatives à la construction des ponts (Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1998] 4 C.F. 340 (1998), 150 F.T.R. 161 (1re inst.)). Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Kirk N. Lambrecht pour les appelants (défendeurs).

Stewart A. G. Elgie et Jerry V. DeMarco pour l’intimée (demanderesse).

Brian K. O’Ferrall et E. Bruce Mellett pour l’intervenante (Sunpine Forest Products Limited).

Allan H. Lefever, c.r., pour l’intervenante (Alberta).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (défendeurs).

Sierra Legal Defence Fund pour l’intimée (demanderesse).

Bennett Jones pour l’intervenante (Sunpine Forest Products Limited).

Reynolds, Mirth, Richards & Farmer, Edmonton, pour l’intervenante (Alberta).

Brownlee Fryett, Edmonton, pour les intervenants (AAMD&C et le district municipal de Clearwater).

Birchall Northey, Toronto, pour les intervenants (Association canadienne du droit de l’environnement et le Canadian Defence Fund).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Il s’agit de l’appel d’une décision du juge Gibson [[1998] 4 C.F. 340 (1re inst.)] dans une affaire concernant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale[1] (LCÉE). Les questions soulevées en l’espèce ont trait à l’interprétation et à l’application des articles 15, 16 et 55 de la Loi.

LES FAITS

[2]        La compagnie Sunpine Forest Products Limited exploite plus de 1 000 milles carrés de terres à bois dans la partie ouest du centre de l’Alberta. Le bois est façonné dans des scieries, et notamment dans une scierie située à Strachan (Alberta). En 1994, Sunpine a éprouvé le besoin de faire construire une route permanente pour assurer le transport des billes de bois d’œuvre jusqu’à sa scierie de Strachan. À l’issue de consultations entre Sunpine, la province de l’Alberta et le district municipal de Clearwater, il fut procédé à une étude intitulée « Strachan Area Transportation Network Study ». Le public était invité à faire connaître son point de vue. Peu de temps après était constitué un comité forestier consultatif réunissant Sunpine, les Services de la protection environnementale de l’Alberta et la municipalité. L’intimée y était elle aussi représentée. En mai 1995, malgré l’opposition exprimée par l’association intimée, le comité approuvait la construction d’une nouvelle « Mainline Road », de préférence à la remise en état de la « North Fork Road » qui avait servi jusque-là. En août 1995, les Services de la protection environnementale de l’Alberta approuvaient le projet de construction routière modifié présenté par Sunpine, sous réserve d’un certain nombre de conditions posées en matière d’environnement.

[3]        En décembre 1995, Sunpine a présenté, sur le fondement de l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables[2] (LPEN), une demande d’approbation, sollicitant l’autorisation de construire des ponts franchissant la rivière Ram et le Prairie Creek sur le parcours de la Mainline Road. La construction de ponts franchissant des eaux navigables étant subordonnée à l’autorisation des autorités fédérales, la demande déclencha le mécanisme fédéral d’évaluation environnementale prévu à l’alinéa 5(1)d) de la LCÉE. La construction des ponts ne pouvait pas être autorisée en vertu de la LPEN avant que ne soient respectées les conditions prévues par la LCÉE en matière d’évaluation environnementale[3]. La Garde côtière canadienne était chargée d’effectuer les évaluations environnementales au nom du ministre des Pêches et des Océans.

[4]        La Garde côtière a défini deux projets devant faire l’objet d’une évaluation environnementale, à savoir le pont de la rivière Ram et le pont de Prairie Creek. Le 18 juillet 1996, la Garde côtière a remis, à l’égard de chacun des deux projets, un rapport d’évaluation environnementale préliminaire. Selon les décisions contenues dans ces rapports, les ponts qu’il était envisagé de construire « n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants ».

[5]        On sollicita, après la remise des rapports préliminaires, les observations du public. Au vu de ces observations, la Garde côtière ajouta un supplément à ses rapports d’évaluation environnementale. Selon la Garde côtière, compte tenu des mesures préventives qui étaient prévues, les ponts qu’on se proposait de construire « n’étaient pas susceptibles de causer des effets environnementaux négatifs importants ». L’autorisation de construire les deux ponts fut délivrée le 17 août 1996.

[6]        Par la suite, Sunpine révisa ses plans pour la construction du pont de la rivière Ram afin de faire de celui-ci un pont franchissant la rivière d’un seul pas, au lieu de reposer, au centre, sur un pilier qui aurait été édifié sur le fond de la rivière, là où les eaux étaient les plus rapides. Le 3 décembre 1996, la Garde côtière remit un autre rapport préliminaire d’évaluation environnementale concernant le projet de construction d’un pont sur la rivière Ram, concluant qu’en raison des mesures préventives, le pont, par sa nouvelle conception, « n’était pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants ». Le 12 décembre 1996, le ministre des Pêches et des Océans autorisa la construction d’un pont sur la rivière Ram, selon les plans modifiés.

[7]        L’intimée sollicita de la Section de première instance de la Cour fédérale le contrôle judiciaire des décisions de la Garde côtière du 18 juillet 1996. À l’audience présidée par le juge Gibson, l’intimée « a précisé ainsi les réparations demandées dans l’avis de requête introductive d’instance », y ajoutant le contrôle judiciaire des décisions de la Garde côtière des 16 [sic] août et 3 décembre 1996 et sollicitant l’annulation des autorisations accordées en vertu de la LPEN pour la construction des ponts de Prairie Creek et de la rivière Ram.

[8]        Le 7 juillet 1998, le juge Gibson fit droit à la demande de contrôle judiciaire. Il annula les autorisations accordées par la Garde côtière et renvoya l’affaire devant le ministre des Pêches et des Océans ou tout autre ministre concerné pour nouvel examen et nouvelle décision en conformité avec les dispositions de la LCÉE, de la LPEN et les motifs de la Cour.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE AUX QUESTIONS D’INTERPRÉTATION DE LA LCÉE

[9]        Le présent appel soulève la question de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur dans l’interprétation et l’application des articles 15, 16 et 55 de la LCÉE. Le juge Gibson a estimé que, relativement aux questions de droit portant sur la compétence ou sur l’interprétation de dispositions législatives habilitantes, la norme de contrôle était celle de la décision correcte. Quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Garde côtière canadienne, le juge a estimé que la norme de contrôle était celle du caractère raisonnable de la décision.

[10]      En ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la LCÉE, précisons que cette Loi ne comporte aucune clause privative. La LCÉE est une loi d’application générale. Elle est administrée par tout un ensemble d’organismes fédéraux dotés de l’autorité d’approuver ou d’autoriser des projets susceptibles d’avoir sur l’environnement des conséquences néfastes[4]. Pour ce qui est de l’interprétation des exigences prévues par la LCÉE, la Garde côtière ne possède aucune expertise particulière. L’interprétation de la LCÉE est une question de droit. Je conviens avec le juge Gibson qu’en ce domaine, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

INTERPRÉTATION DES PARAGRAPHES 15(1), 15(3), 16(1) ET 16(3) DE LA LCÉE

[11]      En l’espèce, les dispositions pertinentes de la LCÉE, en matière d’évaluation environnementale sont les paragraphes 15(1), 15(3) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 21], 16(1) [mod., idem, art. 22] et 16(3).

15. (1) L’autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, détermine la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

[…]

(3) Est effectuée, dans l’un ou l’autre des cas suivants, l’évaluation environnementale de toute opération—construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre—constituant un projet lié à un ouvrage :

a) l’opération est proposée par le promoteur;

b) l’autorité responsable ou, dans le cadre d’une médiation ou de l’examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l’opération susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage.

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange,—dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

[…]

(3) L’évaluation de la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) incombe :

a) à l’autorité responsable;

b) au ministre, après consultation de l’autorité responsable, lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d’examen.

(i) Les paragraphes 15(1) et 15(3)

[12]      Le paragraphe 15(1) est clair et précis. Il confère à l’autorité responsable (en l’occurrence la Garde côtière canadienne) le pouvoir de déterminer la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée. En l’espèce, la Garde côtière a déterminé la portée des projets de la façon suivante :

[traduction] La portée du projet concernant le pont sur la rivière Ram comprend : la construction et l’entretien, sur la rivière Ram, d’un pont à deux voies à double travée, y compris les voies d’accès et ouvrages y afférents, les zones de stockage et autres ouvrages directement liés à la construction du pont. Le projet comprend la mise en état du site de construction, l’édification d’un pilier central, de butées et de l’armature du pont.

La portée du projet de construction d’un pont sur Prairie Creek comprend : la construction et l’entretien, sur la rivière Ram, d’un pont à deux voies à simple travée, y compris les voies d’accès et ouvrages y afférents, les zones de stockage et autres installations directement liées à la construction du pont. Le projet comprend la mise en état du site de construction, l’édification des butées et de l’armature du pont.

La portée de ces projets ne comprenait ni la construction de Mainline Road ni l’exploitation forestière à laquelle Sunpine entendait se livrer. Le juge Gibson n’a relevé aucune erreur justifiant le contrôle dans la manière dont la Garde côtière a exercé son pouvoir discrétionnaire de définir les projets soumis à évaluation environnementale. Il n’a notamment relevé aucune erreur dans le fait que la Garde côtière n’ait pas inclu, dans la portée des projets de construction de ces deux ponts, la construction de Mainline Road et l’exploitation forestière prévue par Sunpine.

[13]      Malgré tout, il a ensuite examiné le paragraphe 15(3) de la LCÉE. D’après lui, l’autorité responsable était, aux termes du paragraphe 15(3), tenue d’effectuer une évaluation environnementale non seulement des projets, en l’occurrence les ponts, qui constituent des ouvrages, mais également « de toute opération — construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre » liée aux ponts. D’après lui, les ponts étaient « accessoires » à la Mainline Road et peut-être aussi à l’exploitation forestière de Sunpine. Il a donc conclu qu’aux termes du paragraphe 15(3), l’autorité responsable était tenue d’englober dans la portée de l’évaluation environnementale (par contraste avec les projets) la route et peut-être aussi l’exploitation forestière, étant donné qu’elles étaient « liées » aux ponts.

[14]      Je conviens avec le juge Gibson que le texte du paragraphe 15(3) est obligatoire relativement à l’évaluation environnementale dont doit faire l’objet l’opération proposée par le promoteur. Avec égards, je ne partage cependant pas son avis que le paragraphe 15(3) impose à l’autorité responsable l’obligation de se livrer à une évaluation environnementale des autres ouvrages qui ne sont pas compris dans la portée des projets devant faire l’objet de l’évaluation environnementale, du simple fait que ces autres ouvrages sont « liés » aux projets tels, qu’ils ont été définis par l’autorité responsable. Autrement dit, le paragraphe 15(3) n’a pas pour effet d’élargir la portée d’un projet au delà de la définition faite conformément au paragraphe 15(1).

[15]      Dans l’affaire Manitoba’s Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l’Environnement)[5], le juge Nadon était saisi de faits très semblables aux faits de la présente affaire. Aux paragraphes 43 à 57 [pages 18 à 22], il fournit une explication du rapport entre le paragraphe 15(1) et le paragraphe 15(3). Le sens du paragraphe 15(3) a aussi été récemment examiné par le juge MacKay dans l’affaire Citizens’ Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement)[6]. Les deux jugements sont parvenus à une conclusion analogue sur l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 15(3), et je m’en suis inspiré.

[16]      En ce qui concerne la manière dont les paragraphes 15(1) et 15(3) s’appliquent en l’espèce, l’autorité responsable doit d’abord déterminer la portée du projet, conformément au paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(3) est subsidiaire par rapport au paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(3) impose à l’autorité responsable d’inclure dans son évaluation environnementale toute opération liée à un projet.

[17]      Cela ressort clairement de la définition que le paragraphe 2(1) donne du mot « projet » [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18] :

2. (1) […]

« projet » Réalisation—y compris l’exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture—d’un ouvrage ou proposition d’exercice d’une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d’une catégorie d’activités concrètes désignée par règlement aux termes de l’alinéa 59b).

Le mot « projet » n’équivaut pas au mot « ouvrage ». En l’espèce, les ouvrages étaient les ponts. Cependant, les projets soumis à évaluation environnementale comprenaient toute construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre qui serait liée aux ponts. Les ouvrages sont les éléments principaux des projets, mais les opérations de construction, d’exploitation, de modification, de désaffectation, de fermeture ou autre liées aux ponts sont également incluses dans la portée des projets en raison de la définition figurant au paragraphe 2(1).

[18]      Cela étant, il est clair que le paragraphe 15(3) reprend la définition de « projet » figurant au paragraphe 2(1) en ce qui concerne les évaluations environnementales. Il s’ensuit que l’évaluation environnementale qui doit être effectuée portera sur le projet dont la portée a été déterminée par l’autorité responsable. Autrement dit, le paragraphe 15(3) n’oblige pas l’autorité responsable à procéder à une évaluation environnementale d’éléments qui ne seraient pas inclus dans la portée du projet déterminée au titre du paragraphe 15(1).

[19]      Le mot « lié » figurant au paragraphe 15(3) pourrait théoriquement être interprété comme s’appliquant à toute construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération le moindrement liée à l’ouvrage qui constitue l’élément central du projet défini. Une telle interprétation ferait fi, cependant, du contexte des articles 15 et 16 et de la raison logique de l’utilisation du mot « lié » au paragraphe 15(3). Le premier élément contextuel est qu’aux termes du paragraphe 15(1), l’autorité responsable est tenue de déterminer la portée du projet. Il s’agirait là d’un exercice superfétatoire si le paragraphe 15(3) prévoyait que l’évaluation environnementale porte sur toute autre construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération le moindrement liée au projet. Deuxièmement, l’alinéa 16(1)a) prévoit une analyse des effets cumulatifs que pourrait entraîner la réalisation du projet défini conformément au paragraphe 15(1), combinée à l’existence ou à la réalisation d’autres projets ou activités. Cette partie de l’alinéa 16(1)a) serait superflue si des projets ou activités ne faisant pas, à proprement parler, partie du projet défini en vertu du paragraphe 15(1) devaient être pris en considération aux termes du paragraphe 15(3).

[20]      Ce sont les mots « liée à » qui sont utilisés dans la définition de « projet » figurant au paragraphe 2(1) ainsi qu’au paragraphe 15(3), et non le mot « de ». Cependant, si c’était le mot « de » qui avait été employé, l’évaluation environnementale se limiterait à la construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture du seul ouvrage prévu. Lorsqu’un ouvrage est en construction, il peut y avoir des constructions accessoires—par exemple, quelque chose d’aussi important qu’un batardeau afin de retenir les eaux lorsque la construction d’un pont exige des travaux sur le lit d’une rivière, ou bien quelque chose de moindre ampleur, telle que la construction de logements provisoires pour les employés du chantier. Dans le contexte de cette affaire, le mot « lié » ne vise aucune autre construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant le moindre lien avec le projet défini. Le mot s’entend, plutôt, de la construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre opération ayant trait à la durée de l’ouvrage en question, ou accessoire à cet ouvrage qui est au cœur même du projet défini.

[21]      Le juge Gibson a estimé que son interprétation du paragraphe 15(3) était conforme au principe de l’utilité propre tiré de l’arrêt Thomas v. Peterson, 753 F.2d 754 (9th Cir. 1985). Selon moi, cela veut dire que lorsqu’un projet individuel n’a pas une utilité propre mais qu’il est inextricablement lié à d’autres projets, l’organisme chargé d’évaluer les effets environnementaux doit se pencher sur l’ensemble des projets. D’après le juge Gibson, les ponts de la rivière Ram et de Prairie Creek n’ont aucune utilité propre indépendante de la Mainline Road et, peut-être, de l’exploitation forestière. Il fonde son analyse sur le principe de l’utilité propre ainsi que sur le la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Guide des autorités responsables[7], qui, selon lui, s’inspire du principe de l’utilité propre.

L’analyse qui suit est guidée par les principes généraux qui précèdent et par l’application du principe de l’utilité propre, comme celui-ci transparaît des citations précédentes du Guide, que je juge conformes aux dispositions de la LCÉE[8].

[22]      Il s’agit, au stade où nous en sommes, d’une question d’interprétation des lois. Le principe de l’utilité propre vient des États-Unis, pays où les questions de compétence constitutionnelle et l’ensemble des dispositions législatives portant sur la protection de l’environnement diffèrent sans nul doute de celles qui s’appliquent au Canada. À mon avis, le principe de l’utilité propre et les parties du Guide susceptibles de refléter ce principe, ne sont d’aucune utilité pour interpréter le paragraphe 15(3) de la LCÉE. On peut, en effet, cerner l’intention et le sens du paragraphe 15(3) en se penchant sur le contexte des articles 15 et 16 et sur la raison logique de l’utilisation du mot « lié » au paragraphe 15(3).

[23]      Je conclus qu’il convient d’interpréter la disposition en question comme voulant dire qu’une fois la portée des projets déterminée par l’autorité responsable conformément au paragraphe 15(1), le paragraphe 15(3) n’imposait pas que l’évaluation environnementale englobe les constructions, exploitations, modifications, désaffectations, fermetures ou autres opérations se situant hors de la portée des projets définis.

(ii) Les paragraphes 16(1) et 16(3)

[24]      J’aborde maintenant les paragraphes 16(1) et 16(3). Le juge Gibson a estimé [à la page 370] que le paragraphe 16(1) « laisse clairement voir [en l’espèce] l’existence de l’obligation de l’autorité responsable d’appliquer le principe de l’utilité propre dans l’analyse de la portée de l’évaluation ». Il a conclu que la Garde côtière avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des effets environnementaux cumulatifs qui découleraient vraisemblablement de la construction combinée de la Mainline Road et des ponts.

[25]      Encore une fois, il est nécessaire de mettre l’accent sur la question de l’interprétation des dispositions législatives. Le paragraphe 16(1) a effectivement force obligatoire. Il exige l’examen des facteurs énumérés aux alinéas 16(1)a) à f). L’alinéa 16(1)a), en particulier, prévoit que l’évaluation environnementale doit notamment porter sur les effets environnementaux du projet défini et sur « les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer ». Mais la portée des facteurs dont il y a lieu de tenir compte aux termes de l’alinéa 16(1)a) doit être déterminée, selon le paragraphe 16(3), par l’autorité responsable. Or, cette détermination de la portée d’un projet constitue une décision relevant du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable.

[26]      Le processus comporte deux volets. D’abord, l’autorité responsable est tenue d’examiner l’application au projet faisant l’objet de l’évaluation de tous facteurs prévus aux alinéas 16(1)a) à f). L’utilisation du mot « portent » au paragraphe 16(1) indique que chaque facteur doit être examiné. Selon l’alinéa 16(1)a), le facteur pertinent est l’effet environnemental du projet et, notamment, ses effets cumulatifs. Cela oblige l’autorité responsable à tenir compte des effets susceptibles d’être causés à l’environnement par le projet défini conformément au paragraphe 15(1), combiné à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités.

[27]      Le second volet est l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui, en vertu du paragraphe 16(3)[9], permet à l’autorité responsable de déterminer la portée de cet élément du facteur prévu à l’alinéa 16(1)a), c’est-à-dire les effets environnementaux cumulatifs que doit englober l’évaluation environnementale. Logiquement, avant de décider des effets environnementaux qu’il convient d’étudier, il faut déterminer quels sont les autres projets ou activités qui doivent entrer en ligne de compte. La décision relative aux autres projets ou activités devant être inclus dans l’évaluation environnementale et à ceux devant en être exclus aux fins de l’évaluation des effets environnementaux cumulatifs qui est prévue par l’alinéa 16(1)a) relève donc du pouvoir discrétionnaire conféré à l’autorité responsable.

[28]      Dans ses motifs, le juge des requêtes ne fait aucune allusion au paragraphe 16(3), et cette disposition n’a peut-être pas été portée à son attention. L’intimée prétend que le paragraphe 16(3) ne peut pas avoir préséance sur l’alinéa 16(1)a) et, qu’en tout état de cause, le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 16(3) ne porte que sur l’identité de celui qui détermine la portée des facteurs en question. Je ne partage pas l’avis de l’intimée à cet égard. On ne peut pas faire fi du paragraphe 16(3). Lorsqu’on en tient compte, il est évident que même s’il est obligatoire en ce sens que l’autorité responsable est tenue de déterminer la portée de certains facteurs prévus au paragraphe 16(1), cette détermination relève de son pouvoir discrétionnaire. Cela paraît logique. L’alinéa 16(1)a) ne peut pas être interprété hors contexte. Quant aux « autres projets ou activités », ils ne sont pas définis dans cet alinéa. Autrement dit, l’alinéa 16(1)a) ne précise pas quels sont les autres projets ou activités dont on doit tenir compte dans le cadre de l’évaluation environnementale. D’ailleurs, le juge des requêtes semble avoir lui-même éprouvé certains doutes quant à la question de savoir si l’exploitation forestière devait elle aussi être englobée dans l’évaluation. La détermination de la portée des autres projets ou activités devant faire l’objet de l’évaluation est laissée, selon le paragraphe 16(3), à l’appréciation de l’autorité responsable, et l’alinéa 16(1)a) n’impose à cet égard aucune obligation à cette autorité.

L’APPLICATION DES PARAGRAPHES 15(1), 15(3), 16(1) ET 16(3) DE LA LCÉE

[29]      J’aborde maintenant les mesures prises par la Garde côtière au regard des articles 15 et 16. Dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 15(1), l’autorité responsable a déterminé la portée de chaque projet. Le juge des requêtes n’a relevé aucune erreur dans la manière dont ce pouvoir discrétionnaire avait été exercé. Il a dit :

Je ne peux voir aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont l’autorité responsable en l’espèce a exercé son pouvoir discrétionnaire quant à la qualification des projets assujettis à la demande de contrôle des évaluations environnementales. Plus précisément, j’estime que l’autorité responsable n’a commis aucune erreur en omettant d’inclure dans la portée des projets de pont la route, de laquelle on pourrait dire que les principaux projets, soit les ponts et les culées afférentes, sont les accessoires, et les opérations forestières proposées, desquelles, selon les faits de l’espèce, les ponts pourraient aussi être considérés comme accessoires[10].

Cette conclusion n’a pas fait l’objet d’un appel incident. La question d’une éventuelle erreur de la Garde côtière ne se pose par conséquent pas au regard du paragraphe 15(1). À partir du moment où la portée des projets de construction de ponts avait été déterminée conformément au paragraphe 15(1), la Garde côtière n’était aucunement tenue, aux termes du paragraphe 15(3), d’inclure dans son évaluation environnementale la route dénommée Mainline Road ou les activités forestières de la compagnie Sunpine.

[30]      Quant à l’article 16, le juge Gibson a estimé que c’est à tort que l’autorité responsable n’avait pas inclu dans son analyse des effets cumulatifs les incidences que pourrait avoir la construction de la Mainline Road. À la lumière de ses motifs, il semble avoir considéré que cette erreur résultait d’une mauvaise interprétation de l’alinéa 16(1)a) ou, peut-être, d’une mauvaise application de cette disposition aux faits de l’affaire.

[31]      Les rapports d’examen préalables de la Garde côtière, en date du 18 juillet 1996, évoquaient le problème des effets cumulatifs. En ce qui concerne le pont de la rivière Ram, le rapport disait ceci :

[traduction]

Portée de l’évaluation environnementale

La portée de l’évaluation environnementale comprend les effets environnementaux au site même de la construction du pont ainsi qu’en aval, effets prévus à l’alinéa 16(1)a) et à l’article 2 de la LCÉE, et découlant non seulement du pont mais aussi de tout ouvrage lié à la construction et à l’entretien du pont.

Effets cumulatifs

Le pont franchissant la rivière Ram est situé à plusieurs kilomètres de toute autre structure artificielle. Les effets hydrauliques cumulés de ce pont et des autres structures situées sur la voie navigable sont en rapport avec la distance, en amont ou en aval, à laquelle sont situées les autres structures immergées. Ces effets hydrauliques sont insignifiants et la conception même de la structure du pont y répond.

Les effets cumulatifs éventuels de la glace ou des embâcles de billots sont eux aussi en rapport avec la distance entre le pont et les autres structures. Afin de réduire encore davantage les effets de tout embâcle, la conception et l’emplacement des piliers sur la barre de gravier située au milieu de la rivière ont réduit les chances d’embâcle dû aux glaces ou aux billots.

Les effets cumulatifs de l’ensablement sont jugés insignifiants étant donné qu’on empêchera les sédiments affectés par la construction de pénétrer directement dans la voie navigable sans avoir été préalablement filtrés au moyen de filtres géotextiles posés avant la construction.

En ce qui concerne le pont de Prairie Creek, le rapport dit ceci :

[traduction]

Portée de l’évaluation environnementale

La portée de l’évaluation environnementale comprend les effets environnementaux au site même de la construction du pont ainsi qu’en aval, effets prévus à l’alinéa 16(1)a) et à l’article 2 de la LCÉE, et découlant non seulement du pont mais aussi de tout ouvrage lié à la construction et à l’entretien du pont.

Effets cumulatifs

La structure qui traverse Prairie Creek est un pont à une travée dont aucune partie ne repose dans l’eau. Plusieurs kilomètres le séparent des autres structures artificielles. Les effets hydrauliques cumulés de ce pont et des autres structures situées sur la voie navigable sont en rapport avec la distance, en amont ou en aval, à laquelle sont situées les autres structures immergées. Ces effets hydrauliques sont insignifiants et la conception même de la structure du pont y répond.

Les effets cumulatifs de l’ensablement sont jugés insignifiants étant donné qu’on empêchera les sédiments affectés par la construction de pénétrer directement dans la voie navigable sans avoir été préalablement filtrés au moyen de filtres géotextiles posés avant la construction.

Ces rapports ne font aucune allusion à la Mainline Road ou aux activités forestières.

[32]      Dans la documentation déposée au dossier, la seule allusion plus précise aux raisons pour lesquelles la Mainline Road et les activités forestières n’ont pas été mentionnées dans les rapports préalables du 18 juillet 1996 se trouve dans une note gouvernementale en date du 16 août 1996, rédigée après qu’eurent été recueillies les observations du public à la remise des rapports en question. Cette note semble avoir été jointe au document en date du 16 août 1996 intitulé Complément aux rapports préliminaires d’évaluation environnementale. Cette note dit notamment ceci :

[traduction] Les observations selon lesquelles le rapport préliminaire de la Garde côtière ne se serait pas penché sur certaines questions incluses dans la portée du projet et relevant de la compétence fédérale ont été reprises dans le cadre d’un complément de rapport.

[…]

Les autres observations portaient sur :

€€€€€€ des questions hors de la portée du projet de construction de ces deux ponts,

€€€€€€ des questions ne relevant pas de la compétence fédérale.

[33]      Les rapports en date du 18 juillet 1996 ne portent que sur les ponts, sur les travaux liés à leur construction et à leur entretien ainsi que sur les effets hydrauliques cumulés des ponts et des autres structures édifiées sur les deux voies navigables. Étant donné que les rapports préliminaires n’évoquent ni la Mainline Road ni les exploitations forestières, il est manifeste, compte tenu de la note en date du 16 août 1996, que la Garde côtière n’a pas voulu se pencher sur des questions qui étaient à la fois hors de la portée des projets définis et hors du périmètre de la compétence fédérale. En refusant d’aborder des questions dépassant la portée des projets et le champ de compétence fédéral, la Garde côtière a, selon moi, mal interprété l’alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3). Elle a interprété les limites de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de façon plus étroite que n’autorisent les dispositions applicables et elle a, par conséquent, refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré[11].

[34]      Aux termes de l’alinéa 16(1)a), l’autorité responsable n’a pas à se borner à un examen des effets environnementaux découlant strictement d’un projet dont la portée a été déterminée conformément au paragraphe 15(1). Cette autorité responsable n’est pas non plus obligée de s’en tenir aux seuls effets environnementaux pouvant découler de sources relevant de la compétence fédérale. En effet, la nature même d’une évaluation des effets cumulatifs en vertu de l’alinéa 16(1)a) semble expressément élargir le champ d’examen au delà du projet défini. L’évaluation des effets cumulatifs doit donc implicitement s’étendre à la fois au projet dont la portée a été déterminée et aux sources situées en dehors des limites du projet défini. D’ailleurs, l’alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3) ne limitent aucunement l’évaluation aux sources relevant de la compétence fédérale. Il faut, pour enclencher la procédure fédérale d’évaluation environnementale, que soit en cause quelque chose ayant trait à une compétence fédérale. Cependant, à partir du moment où cette procédure est enclenchée, l’autorité responsable fédérale doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière d’effets cumulatifs, sans que son action ne soit limitée par la manière dont elle interprète la compétence que lui accorde la constitution. Comme l’a déclaré le juge La Forest dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports) :

Il importe de déterminer quel palier de gouvernement peut légiférer. Un palier peut légiférer à l’égard des aspects provinciaux et l’autre, à l’égard des aspects fédéraux. Bien que les projets de nature locale relèvent généralement de la compétence provinciale, ils peuvent exiger la participation du fédéral dans le cas où le projet empiète sur un domaine de compétence fédérale […][12]

[35]      On a souligné, à l’audience, que la Mainline Road traversait plusieurs voies d’eau non navigables qui étaient reliées, d’une certaine manière, à deux voies d’eau navigables relevant de la compétence fédérale. On a fait valoir que la construction ou la fréquentation d’une route ou de ponts franchissant des voies d’eau non navigables pouvait avoir des effets environnementaux cumulatifs s’ajoutant à la construction et à l’ouverture à la circulation des ponts franchissant des eaux navigables. Il n’appartient bien sûr pas à la Cour de faire des conjectures quant au bienfondé de ce raisonnement. L’exemple montre bien, cependant, pourquoi la logique veut que l’évaluation des effets cumulatifs, conformément à l’alinéa 16(1)a), ne se limite pas à la portée du projet fédéral ou aux seuls projets relevant d’une compétence fédérale. J’ajoute aussitôt que la détermination de la portée des facteurs dont il y a lieu de tenir compte aux termes de l’alinéa 16(1)a) relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable. Si l’autorité responsable ne s’abstient pas, en raison d’une mauvaise interprétation de l’alinéa 16(1)a) et du paragraphe 16(3), d’exercer son pouvoir discrétionnaire, il lui est loisible, comme bon lui semble, d’inclure ou d’exclure de son évaluation d’autres projets, en l’occurrence la construction de la Mainline Road et les activités forestières[13].

[36]      Naturellement, en affirmant que l’autorité responsable peut effectivement se pencher sur des facteurs échappant à la compétence fédérale, je ne me prononce qu’en ce qui concerne l’alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3) où, à partir du moment où l’autorité responsable détermine la portée d’un projet relevant de la compétence fédérale, il y a obligation de se pencher sur les effets environnementaux cumulatifs.

[37]      Je n’omets pas non plus de tenir compte du paragraphe 12(4) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 20] de la Loi qui prévoit que :

12. […]

(4) L’autorité responsable peut, dans le cadre de l’examen préalable ou de l’étude approfondie d’un projet, coopérer, pour l’évaluation environnementale de celui-ci, avec l’instance qui a la responsabilité ou le pouvoir d’effectuer l’évaluation des effets environnementaux de tout ou partie d’un projet.

La province de l’Alberta a mené plusieurs évaluations environnementales. Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas loisible à la Garde côtière de tenir compte des études menées par l’Alberta aux fins de l’évaluation des effets cumulatifs à laquelle la Garde côtière est tenue de procéder en vertu de l’alinéa 16(1)a). Je n’interprète, ni l’alinéa 16(1)a) ni l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 16(3) comme encourageant ou obligeant la duplication des mêmes évaluations environnementales.

[38]      Je n’ai pas à me prononcer sur le type d’effets environnementaux que l’autorité responsable peut prendre en considération dans le cadre de son évaluation des effets cumulatifs. En l’espèce, il est cependant clair que, même si l’autorité responsable a compétence en matière d’eaux navigables, elle doit se pencher sur les effets environnementaux touchant tout domaine de compétence fédéral. Dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité, le juge La Forest s’est exprimé en ces termes :

Toutefois, je dois préciser que l’étendue de l’évaluation n’est pas limitée au domaine particulier de compétence à l’égard duquel le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions au sens du terme « proposition ». Cette participation, comme je l’ai déjà mentionné, est une condition nécessaire à l’application du processus; toutefois, lorsque le ministère responsable a reçu le pouvoir de procéder à l’évaluation, cet examen doit tenir compte des répercussions environnementales dans tous les domaines de compétence fédérale […] En l’espèce, le ministre des Transports, à titre de décideur en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, doit examiner les incidences environnementales du barrage sur les domaines de compétence fédérale, comme les eaux navigables, les pêcheries, les Indiens et les terres indiennes, pour ne nommer que ceux qui sont les plus pertinents dans les circonstances[14].

Bien que, dans l’affaire Oldman River, la Cour ait examiné les mécanismes fédéraux d’évaluation environnementale qui allaient être remplacés par la LCÉE[15], le principe s’applique aussi bien en l’espèce malgré la différence de terminologie dans la législation actuelle. Mais, étant donné la répartition, entre le gouvernement fédéral et les provinces, des compétences constitutionnelles en matière d’évaluation environnementale, l’autorité fédérale responsable doit faire plus précisément porter son évaluation environnementale sur les effets relevant d’un domaine de compétence fédéral, comme en l’espèce, les effets sur « [l]a navigation et les bâtiments ou navires », « [l]es pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur », « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens »[16].

Il apparaît bien que cela a été le point de mire des évaluations en l’espèce, et je ne vois rien d’inapproprié à cet égard.

[39]      Je souligne que la décision de la Garde côtière dont la Cour est saisie indique que, si on tient compte des mesures préventives, les ponts appelés à franchir deux voies d’eau n’auront que des effets insignifiants sur l’environnement. Implicitement, l’évaluation des effets cumulatifs prévue par l’alinéa 16(1)a) doit porter tant sur les effets du projet défini que sur les effets d’autres projets ou activités. D’après Sunpine, si le projet défini ne devait lui-même entraîner aucun effet environnemental négatif, il ne saurait y avoir de ces effets cumulatifs envisagés par cet alinéa. Si, à première vue, l’argument peut paraître convaincant, je ne suis pas certain que l’on puisse exclure la possibilité qu’un projet fédéral qui n’entraînerait en lui-même aucun effet négatif puisse aggraver les effets négatifs produits par d’autres projets. De toute manière, le fait, qu’on ait conclu en l’espèce que le projet n’entraînerait que des effets insignifiants implique que la construction des ponts aurait tout de même certains effets. Il n’est pas illogique de penser que l’accumulation de toute une série d’effets insignifiants pourrait finir par constituer des effets appréciables. Je ne dis pas que c’est le cas en l’espèce. Je fais simplement remarquer que le fait qu’il ait été décidé que les projets définis entraîneraient des effets insignifiants permet d’envisager la possibilité d’effets cumulatifs appréciables sur l’environnement lorsqu’on englobe dans l’analyse les autres projets. Pour ce motif, je ne pense pas que le fait que la Garde côtière ait conclu que les projets en question n’entraîneraient que des effets insignifiants empêche l’application en l’espèce de la partie de l’alinéa 16(1)a) concernant les effets cumulatifs, ou du paragraphe 16(3).

[40]      Pour ces motifs, je suis d’avis que la Garde côtière a commis une erreur en s’abstenant d’exercer son pouvoir discrétionnaire, dans le cadre de l’analyse des effets cumulatifs qu’elle a menée en vertu de l’alinéa 16(1)a), en n’englobant pas les effets susceptibles de découler d’autres projets ou activités, au motif que ceux-ci n’étaient pas visés par les projets définis ou se situaient hors du champ de compétence fédéral.

L’INOBSERVATION DU PARAGRAPHE 55(1) DE LA LCÉE

[41]      J’aborde maintenant la question du registre public. Le paragraphe 55(1) prévoit que :

55. (1) Est tenu, conformément à la présente loi et aux règlements, un registre public pour chacun des projets pour lesquels une évaluation environnementale est effectuée afin de faciliter l’accès aux documents relatifs à cette évaluation.

Le préambule de la LCÉE prévoit notamment que :

Attendu :

[…]

que le gouvernement fédéral s’engage à favoriser la participation de la population à l’évaluation environnementale des projets à entreprendre par lui ou approuvés ou aidés par lui, ainsi qu’à fournir l’accès à l’information sur laquelle se fonde cette évaluation,

[42]      En l’espèce, le registre public a été établi à Sarnia (Ontario), c’est-à-dire à plus de 2 000 milles des projets visés par l’évaluation environnementale. Au paragraphe 61 [pages 372 et 373] de ses motifs, le juge des requêtes a tiré les conclusions de fait suivantes :

La demanderesse a requis, par l’entremise d’un ou de plusieurs représentants, des copies de l’ensemble des documents se trouvant au registre étant donné son éloignement du site des projets de pont. Des copies de certains documents ont été fournies, mais on a informé la demanderesse que les autres ne pouvaient l’être pour des motifs liés aux coûts et à la quantité de travail qu’aurait entraînés la photocopie de ces derniers. Il a été suggéré au(x) représentant(s) de la demanderesse de présenter une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir les documents.

Il a conclu :

Étant donné que les documents étaient demandés aux fins de la consultation publique prévue au paragraphe 18(3) de la LCÉE et que la période allouée à cette fin était assez courte, la recommandation d’utiliser la procédure prévue par la Loi sur l’accès à l’information était totalement inappropriée et, plus important encore, non conforme à l’obligation existante en vertu de l’article 55 de la LCÉE et aux engagements énoncés dans son préambule.

[43]      L’établissement et la tenue d’un registre public aux termes du paragraphe 55(1) relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable. S’il convient effectivement de se préoccuper des coûts, et si aucun texte n’impose, à ce registre public, des conditions de proximité, le paragraphe 55(1) exige néanmoins que l’accès facile du public y soit garanti. Si un registre public n’est pas établi et tenu à proximité de la zone géographique faisant l’objet de l’évaluation environnementale, il faut, afin de satisfaire aux exigences du paragraphe 55(1), prendre d’autres mesures raisonnables, telles que le recours au courrier électronique ou à la télécopie, ou encore faciliter l’accès du public à la documentation déposée au registre en en confiant en temps utile copie à un agent se trouvant à proximité des projets. Il est tout à fait contraire au paragraphe 55(1) d’obliger le public à invoquer les procédures prévues par la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1]. Sans me livrer à une analyse de la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires prises en vertu du paragraphe 55(1), j’estime en l’espèce que, même selon la norme de contrôle la plus respectueuse, les mesures prises par la Garde côtière en matière d’accès au registre public étaient manifestement déraisonnables. Je souscris entièrement aux conclusions du juge Gibson.

CONCLUSION

[44]      L’appel est rejeté. Il doit être statué à nouveau sur la présente affaire conformément aux motifs du juge des requêtes, tels que modifiés par les présents motifs. L’intimée a droit aux dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1]  L.C. 1992, ch. 37.

[2]  L.R.C. (1985), ch. N-22.

[3]  Selon l'art. 11(2):

11 […]

(2) L'autorité responsable d'un projet ne peut exercer ses attributions à l'égard de celui-ci que si elle prend une décision aux termes des alinéas 20(1)a) ou 37(1)a).

Les devoirs et fonctions prévus à l'article 5 et prohibés par l'art. 11(2) jusqu'à l'achèvement de l'évaluation environnementale comprennent notamment la délivrance d'autorisations, de permis et de licences ou tout autre acte permettant au projet d'être réalisé en tout ou en partie. L'art. 5(1) a trait, de manière générale, à l' »autorité fédérales » (telles que définie dans Loi [à l'art. 2(1)]) et l'art. 5(2) a trait aux projets soumis à l'autorisation du gouverneur en conseil.

[4]  En l'espèce, c'est l'octroi, par les autorités fédérales, des autorisations ou permis pour la réalisation de projets, qui a déclenché la procédure d'évaluation environnementale prévue par la LCÉE. Par contre, la LCÉE exige également une évaluation environnementale dans d'autres domaines de l'activité fédérales lorsque, par exemple, c'est un organisme fédéral qui propose lui-même la construction d'un projet (l'art. 5(1)a), lorsque le gouvernement fédéral fournit une aide financière directe ou indirecte pour la réalisation d'un projet (art. 5(1)b)); ou lorsqu'il cède un droit sur des terres domaniales pour permettre la réalisation d'un projet (art. 5(1)d)).

[5]  (1999), 30 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.F. 1re inst.).

[6]  (1999), 29 C.E.L.R. (N.S.) 117 (C.F. 1re inst.).

[7]  Ministre des Approvisionnements et Services Canada, no de cat. FR106-25/1-1994 E, ISNB 0-662-22773-5, novembre 1994.

[8]  Au par. 42.

[9]  Ce pouvoir discrétionnaire de déterminer la portée des facteurs ne vise que les facteurs énumérés aux art. 16(1)a), b) et d) ainsi qu'aux art. 16(2)b), c) et d).

[10]  [1998] 4 C.F. 340 (1re inst.), à la p. 368.

[11]  La note du 16 août 1996 dit également que:

[traduction] Toute décision de rejeter la demande de permis pourrait avoir de sérieuses incidences socio-économiques entraînant la perte d'emplois, une réduction de l'assiette de l'impôt et des accidents de la route en raison de la circulation, sur la route North Fork, des camions de transport forestier.

Je n'interprète pas ce passage comme voulant dire que la Garde côtière s'est effectivement penchée sur les effets environnementaux que pourrait entraîner la construction de la Mainline Road.

[12]  [1992] 1 R.C.S. 3, à la p. 69.

[13]  Sous réserve, bien sûr, d'un éventuel contrôle judiciaire de cette décision d'ordre discrétionnaire, selon la norme de contrôle applicable—en l'occurrence, selon le juge Gibson, le simple caractère raisonnable de la décision contestée.

[14]  Supra, note 12, aux p. 72 et 73.

[15]  Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.

[16]  Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], art. 91(10),(12),(24).

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