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[1993] 1 C.F. 195

T-3201-91

Louis Benoanie, Gabriel St. Pierre, John Besskaytsare, Pauline Mercredi, Celeste Randhile, Leon Fern, Pierre Fern, Michel Rennie, Louis Chicken, Louise Disain et Boniface Disain, et la bande Fond du Lac, dans la province de Saskatchewan, un groupe d’Indiens reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens et la bande Black Lake, dans la province de Saskatchewan, un groupe d’Indiens reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens, et la bande Hatchet Lake, dans la province de Saskatchewan, un groupe d’Indiens reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, représenté par le chef du gouvernement et la Fédération Tungavik du Nunavut, représentant les Inuit du Nunavut et la Keewatin Inuit Association, représentant les Inuit du District de Keewatin (défendeurs)

Répertorié : Bande Fond du Lac c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau—Ottawa, 8 septembre et 16 octobre 1992.

Injonctions — Interlocutoires — Demande en vue d’empêcher les Inuit de tenir un vote conduisant à la ratification d’une entente finale sur une revendication territoriale — La requête n’est pas prématurée puisque l’action visant à obtenir un jugement déclaratoire, une injonction permanente et des dommages-intérêts ne sera pas résolue avant la ratification — Les droits existants des demandeurs, ancestraux ou issus de traités, sont une question sérieuse à trancher — Les demandeurs ne subiraient aucun préjudice irréparable si l’injonction interlocutoire était refusée et si l’entente était ratifiée — L’entente finale protège les droits, ancestraux ou issus de traités, que les demandeurs pourraient se voir reconnaître — Les défendeurs ne subiraient aucun préjudice irréparable s’ils recevaient plus tard que prévu les avantages économiques, sociaux et scolaires prévus dans l’entente — Les retards et les inconvénients ne constituent pas un préjudice irréparable — La Cour craint que le consensus ne se désintègre si l’injonction est accordée — La Cour a tenu compte de l’intérêt public pour la mise en valeur future du Nord — La prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs.

Peuples autochtones — Terres — Demande d’injonction interlocutoire pour empêcher les Inuit de tenir un vote conduisant à la ratification d’une entente de règlement sur une revendication territoriale — Après plusieurs années de négociations, les Inuit de l’Arctique de l’Est, de l’Arctique du Centre et de l’Extrême Arctique ont conclu une entente finale avec le gouvernement fédéral — En contrepartie de l’abandon de leurs droits ancestraux, les Inuit doivent recevoir des avantages, y compris un droit de propriété en fief simple sur 136 291 milles carrés — L’entente prévoyait la création d’un nouveau territoire doté de sa propre assemblée législative et de son propre gouvernement — Les demandeurs allèguent avoir des droits existants, ancestraux ou issus de traités, dans la région — La common law reconnaît que les peuples autochtones étaient les premiers, seuls propriétaires et occupants du Canada — Méthode qui permet de faire valoir les revendications — Politique du gouvernement canadien à l’égard des revendications territoriales des autochtones expliquée — Les autochtones doivent résoudre leurs différends en matière de revendications territoriales sans l’intervention du gouvernement — La requête est rejetée, vu l’intérêt public pour la mise en valeur du Nord et vu la prépondérance des inconvénients en faveur des défendeurs.

Couronne — Immunité — En vertu de la common law et de l’art. 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, une injonction ne peut être décernée contre l’État — Une requête en vue d’empêcher les Inuit de tenir un vote conduisant à la ratification d’une entente finale, sur une revendication territoriale, conclue entre les Inuit et le gouvernement fédéral n’intéresse ni l’État, ni un organisme d’État — L’immunité de l’État ne sera en cause que si l’entente est ratifiée.

Il s’agissait d’une demande d’injonction interlocutoire pour empêcher les défendeurs de prendre d’autres mesures conduisant à la ratification d’une entente de règlement sur une revendication territoriale susceptible de toucher les droits—ancestraux ou issus de traités—des demandeurs. Les Inuit de l’Arctique de l’Est, de l’Arctique du Centre et de l’Extrême Arctique sont sur le point de conclure, avec le gouvernement du Canada, une entente de règlement sur la revendication territoriale globale. L’entente prévoit la création d’un nouveau territoire dans les Territoires du Nord-Ouest, doté de sa propre assemblée législative et de son propre gouvernement. Les demandeurs allèguent avoir des droits existants—ancestraux ou issus de traités—sur une partie de ce nouveau territoire.

En vertu de la common law, les peuples autochtones du Canada sont reconnus comme étant les premiers, seuls propriétaires et occupants du Canada; l’État doit acheter les droits de propriété ancestraux au moyen de traités ou d’ententes portant cession des terres. Des droits de propriété ancestraux peuvent être revendiqués pratiquement partout dans les Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada désire vivement régler ces revendications territoriales. En vertu de la politique du gouvernement à l’égard des revendications territoriales des autochtones, ceux qui font des revendications doivent préciser les limites du territoire qu’ils revendiquent. Ils doivent établir qu’ils ont un intérêt traditionnel, soutenu et actuel, fondé sur l’exploitation et l’occupation des terres. L’« exploitation » et l’« occupation » sont prouvées au moyen de « biographies cartographiques ». Une fois qu’une « région visée par le règlement » a fait l’objet d’un accord, les bénéficiaires se voient accorder des droits territoriaux absolus sur elle, et aucun autre groupe ne peut y exercer de droit, que ce soit le droit de propriété, de gestion, ou d’exploitation, sans le consentement des bénéficiaires. Ces bénéficiaires ne peuvent pas revendiquer de droits à l’extérieur de leur région. Les négociations entre les Inuit et le gouvernement ont commencé en 1976 et se poursuivent régulièrement depuis 1982. En vertu d’une entente de principe conclue en avril 1990, en contrepartie de l’abandon de leurs droits ancestraux, les Inuit vont recevoir : des droits explicites leur permettant d’exploiter la faune; la participation à des organismes qui s’intéressent à l’aménagement du territoire et aux évaluations en matière d’environnement; un droit de propriété en fief simple sur 136 291 milles carrés de terre; des redevances tirées de la production de minéraux, de pétrole ou de gaz; le droit de négocier des « ententes sur les retombées pour les Inuit » lorsque des projets majeurs sont proposés à l’égard des terres sur lesquelles les Inuit sont propriétaires des droits de superficie; le paiement de 1 148 milliards de dollars. L’accord politique du Nunavut a été ratifié dans un plébiscite tenu dans les Territoires du Nord-Ouest. Un projet de loi créant le nouveau gouvernement territorial sera présenté au Parlement en même temps qu’un projet de loi portant ratification de l’entente finale. L’entente finale a été paraphée en janvier 1992. L’État exige que les parties autochtones intéressées résolvent leurs différends sans l’intervention du gouvernement. Les Inuit ont dû négocier avec d’autres parties autochtones pour établir les limites territoriales de leur revendication; cependant, ils n’ont pas pu conclure d’entente avec les demandeurs. Les Inuit ont accepté que l’entente finale comprenne des dispositions destinées à protéger les droits des demandeurs. Les demandeurs ont ensuite déposé une déclaration dans laquelle ils sollicitaient un jugement déclaratoire et une injonction. L’entente finale accorde aux membres de deux bandes demanderesses des droits spécifiques sur la région visée par le règlement. L’entente finale doit être ratifiée par les Inuit et le gouvernement du Canada. Les Inuit font maintenant les préparatifs pour leur vote de ratification. Si l’entente finale est approuvée, elle sera présentée au Cabinet pour agrément, et un projet de loi entérinant l’entente sera présenté au Parlement.

On a soutenu qu’une injonction ne pouvait être décernée contre l’État en vertu de la common law ou de l’article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. On a également prétendu qu’une injonction interlocutoire serait prématurée puisque le vote de ratification des Inuit n’avait pas encore eu lieu, le résultat de ce vote n’était pas connu et il se pouvait que les Inuit rejettent l’entente finale; même s’ils l’approuvaient, l’entente ne pourrait entrer en vigueur sans l’agrément du Cabinet.

Quant au préjudice irréparable, les demandeurs craignent que personne n’ait compétence pour infirmer l’octroi du droit de propriété en fief simple. Ils ont prétendu que des dommages-intérêts ne pourraient pas les indemniser pour la perte de leur mode de vie. Ils ont également fait valoir que l’État avait une obligation fiduciaire envers les Indiens à l’égard des terres qu’il détenait pour eux et que cela limitait l’habilité de l’État à conclure des ententes relativement aux terres en cause, tant que les droits des demandeurs n’auront pas été déterminés. Les défendeurs ont affirmé que, si une injonction était accordée, ils subiraient un préjudice irréparable. Tous les avantages économiques, sociaux et scolaires dont les Inuit doivent bénéficier en vertu de l’entente seraient retardés, tout comme l’établissement d’un nouveau gouvernement territorial. Les millions de dollars déjà dépensés en vue de la ratification seraient gaspillés. Enfin, tout retard important dont ferait l’objet l’entente finale pourrait entraîner la désintégration du consensus actuel.

Jugement : la requête doit être rejetée.

On demandait à la Cour de bloquer la prochaine étape du processus de ratification, savoir le vote des Inuit; or, ce vote n’intéresse ni l’État, ni un organisme d’État. L’État n’aura le pouvoir d’agir que si le vote est ratifié, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra être question de l’immunité de l’État.

La requête n’était pas prématurée. La présente action n’allait pas être entendue et résolue avant la ratification. Il y a actuellement une forte tendance en faveur d’une ratification par les Inuit.

Il y avait une question sérieuse à trancher quant aux droits des demandeurs—ancestraux ou issus de traités—sur la région visée par le règlement.

Les demandeurs ne subiront pas de préjudice irréparable si la réparation demandée est refusée. L’entente finale protège les droits—ancestraux ou issus de traités—que les demandeurs pourraient se voir reconnaître et elle leur accorde peut-être des droits juridiques qu’ils n’ont pas actuellement. Les défendeurs ne subiront pas de préjudice irréparable s’ils ne reçoivent pas les avantages économiques, sociaux et scolaires qui leur sont dus aux termes de l’entente. Les retards et les inconvénients ne constituent pas un préjudice irréparable. La Cour craignait que le consensus ne risquât de se désintégrer si l’injonction était accordée. L’entente était le fruit de plusieurs années de négociations. Elle intéressait plusieurs questions complexes. La manière dont seront divisés les Territoires du Nord-Ouest dépend de la mise en œuvre de l’entente, et cette question intéresse tous les Canadiens. La prépondérance des inconvénients favorisait les défendeurs.

Même si les demandeurs risquaient de subir un préjudice grave, il s’agit ici d’un cas où il y a lieu de tenir compte de l’intérêt public pour la mise en valeur future du Nord, une considération qui ferait jouer la prépondérance des inconvénients en faveur des défendeurs.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 22 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21, 28).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 420.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

American Cyanamid Co v Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.); Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451; (1989), 22 C.I.P.R. 172; 24 C.P.R. (3d) 1; 91 N.R. 341 (C.A.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.); Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Société Inuvialuit régionale c. Canada, [1992] 2 C.F. 502 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin; Martin v. R. in Right of B.C., [1985] 3 W.W.R. 577; (1985), 61 B.C.L.R. 145; [1985] 2 C.N.L.R. 58 (C.A.); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

C.I.A.C. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 866; (1984), 7 Admin. L.R. 157; [1985] R.D.J. 16 (C.A.); Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574; 41 N.R. 257 (C.A.); Lodge c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R. 437 (C.A.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504; (1984), 3 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.); Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Simon c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 387; (1985), 71 N.S.R. (2d) 15; 24 D.L.R. (4th) 390; 171 A.P.R. 15; 23 C.C.C. (3d) 238; [1986] 1 C.N.L.R. 153; 62 N.R. 366; Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 1 C.N.L.R. 47; 1 R.P.R. (2d) 105.

DOCTRINE

Canada, Affaires indiennes et du Nord canadien, La Politique des revendications territoriales globales, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1986.

Canada, Affaires indiennes et du Nord canadien, Inuit Land Use and Occupancy Project Report, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1976.

Tungavik Federation of Nunavut, Entente de principe entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté du chef du Canada, Ottawa, 1990.

AVOCATS :

David C. Knoll pour les demandeurs.

Mark R. Kindrachuk pour Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Elizabeth Stewart pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, représenté par le chef du gouvernement.

Dougald E. Brown pour la Fédération Tungavik du Nunavut, représentée par les Inuit du Nunavut et la Keewatin Inuit Association, représentant les Inuit du District de Keewatin.

PROCUREURS :

Balfour Moss, Saskatoon (Saskatchewan), pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, Yellowknife, pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, représenté par le chef du gouvernement.

Nelligan/Power, Ottawa, pour la Fédération Tungavik du Nunavut, représentant les Inuit du Nunavut et la Keewatin Inuit Association, représentant les Inuit du District de Keewatin.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rouleau : Par avis de requête en date du 16 juillet 1992, les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire.

Les parties en l’instance ont des intérêts concurrentiels sur certaines terres dans les Territoires du Nord-Ouest. Les Inuit de l’Arctique de l’Est, de l’Arctique du Centre et de l’Extrême Arctique sont sur le point de conclure, avec le gouvernement du Canada, une entente de règlement sur la revendication territoriale globale. En échange de certains avantages, les Inuit acceptent de renoncer à leurs droits ancestraux sur une très grande partie des Territoires du Nord-Ouest, d’une superficie approximative de 770 000 milles carrés, ce qui représente un cinquième du territoire canadien. Actuellement, 17 500 Inuit vivent dans vingt-sept collectivités de cette région.

Si cette entente était officiellement conclue, un nouveau territoire appelé Nunavut, ce qui signifie « notre terre », serait créé dans les Territoires du Nord-Ouest. Une loi serait présentée au Parlement en vue de créer le nouveau territoire et de lui donner sa propre assemblée législative et son propre gouvernement.

Les demandeurs allèguent avoir des droits existants, ancestraux ou issus de traités, sur une région située dans le sud-ouest de Nunavut, « le district du Keewatin ». Ils craignent que si cette entente était conclue, leurs droits existants seraient éteints et ils n’auraient aucun recours juridique. Ils présentent donc cette requête afin d’obtenir une injonction interlocutoire pour empêcher tous les défendeurs de prendre d’autres mesures conduisant à la ratification ou à la conclusion de ce qui suit :

a) toute limite territoriale ou limite visée par règlement;

b) l’entente;

c) tout autre règlement sur des revendications territoriales intervenu entre les parties susceptible de toucher, de violer ou de nier leurs droits ancestraux ou issus de traités.

L’avocat de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, défenderesse, a également présenté une requête fondée sur la Règle 420 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] pour l’autoriser à modifier sa défense modifiée déposée dans la présente action par l’ajout du paragraphe suivant :

[traduction] 41 A. En outre, ou à titre subsidiaire, il affirme que l’injonction demandée aux alinéas 81k) et 81l) de la déclaration modifiée ne saurait être accordée contre Sa Majesté ou contre le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, tant en vertu de la common law qu’en vertu de l’article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, édictée par L.C. 1990, ch. 8, art. 28.

L’autorisation demandée dans cette requête a été accordée à l’audience.

Voici l’historique du dossier. Les demanderesses, c’est-à-dire les bandes Fond du Lac, Black Lake et Hatchet Lake, ainsi que les bandes Northlands et Fort Churchill, lesquelles ne sont pas nommées comme demanderesses, constituent la branche septentrionale des Indiens Chipewyan, également connus sous le nom de Edthen-Eldeli Déné, ou « mangeurs de caribou ». Ensemble, les cinq bandes comptent environ 4 500 membres et occupent des réserves dans le nord de la Saskatchewan et du Manitoba.

Les trois bandes demanderesses occupent des réserves dans le nord de la Saskatchewan et elles sont connues sous le nom de bandes Chipewyan-Dénésuline ou Athabasca. Ces bandes ont conclu des traités avec le gouvernement du Canada. Le traité no 8 a été signé le 27 juillet 1899 par le chef Maurice Piché. Les bandes Fond du Lac et Black Lake descendent directement de la bande du chef Piché qui s’est scindée en 1949. Le traité no 10 a été conclu en octobre 1907 avec la bande Hatchet Lake. Les limites territoriales établies par ces traités, telles qu’elles existent actuellement, figurent sur une carte déposée comme pièce « J » au soutien de l’affidavit du Dr Peter J. Usher. On peut voir que le traité no 8 vise une région au nord du 60e parallèle. Par ailleurs, le 60e parallèle paraît former la limite la plus au nord du traité no 10. Les demandeurs Louis Benoanie et autres sont tous des particuliers inscrits comme membres de l’une ou l’autre des bandes demanderesses susmentionnées; ils intentent la présente action en leur propre nom et au nom de générations futures.

Sa Majesté la Reine, défenderesse, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère public ou l’État, selon le contexte), a compétence sur les « Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. L’État contrôle actuellement les terres et les ressources des Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, représenté par le chef du gouvernement, est chargé d’administrer ces terres et ces ressources.

La Fédération Tungavik de Nunavut (FTN), défenderesse, est une personne morale constituée en vertu des lois canadiennes. Elle a été établie en 1982 pour faire valoir les intérêts des peuples Inuit dans les régions du Keewatin, de Baffin et de Kitikmeot, dans les Territoires du Nord-Ouest (Nunavut). La Keewatin Inuit Association, défenderesse, est un membre de la FTN; il s’agit de l’association régionale qui représente les Inuit qui vivent dans la région du Keewatin.

Depuis toujours, la common law anglaise reconnaît que les peuples autochtones du Canada étaient les premiers, seuls propriétaires et occupants de ce qui constitue maintenant le Canada; l’État devait acheter les droits de propriété ancestraux au moyen de traités ou d’ententes portant cession des terres. Des droits de propriété ancestraux peuvent être revendiqués pratiquement partout dans les Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada désire vivement régler ces revendications territoriales. Des capitaux ont été fournis aux associations d’Indiens et d’Inuit pour qu’elles puissent faire des recherches sur leurs revendications et les faire valoir.

La politique du gouvernement à l’égard des revendications territoriales des autochtones est énoncée dans La Politique des revendications territoriales globales (1986), Ottawa, Approvisionnements et Services Canada. Essentiellement, les autochtones qui font des revendications doivent préciser les limites du territoire qu’ils revendiquent; ils doivent également établir qu’ils ont un intérêt traditionnel, soutenu et actuel, fondé sur l’exploitation et l’occupation. L’« exploitation » et l’« occupation » sont prouvés au moyen de « biographies cartographiques ». Une fois qu’une « terre visée par règlement » a fait l’objet d’un accord, les bénéficiaires se voient accorder des droits territoriaux absolus sur elle, et aucun autre groupe ne peut y exercer de droits, que ce soit le droit de propriété, de gestion ou d’exploitation, sans le consentement des bénéficiaires. Ces bénéficiaires ne peuvent pas revendiquer de droits à l’extérieur de leur région.

Au début des années 1970, l’Inuit Tapirisat du Canada a entrepris des travaux en vue d’établir des revendications territoriales au nom de tous les Inuit des Territoires du Nord-Ouest; ces travaux ont débuté avec le projet intitulé Inuit Land Use and Occupancy Project. Les véritables négociations avec le gouvernement ont commencé en 1976. À la fin des années 1970, les Inuit de la région de l’Arctique de l’Ouest ont décidé de négocier une entente distincte. Par conséquent, la FTN a été établie en 1982 et a été chargée des négociations relatives aux parties centrales, orientales et arctiques des Territoires du Nord-Ouest. Les négociations se poursuivent régulièrement depuis ce temps.

En avril 1990, une entente de principe a été conclue entre le gouvernement du Canada et la FTN [Entente de principe entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté du chef du Canada]. En vertu de cette entente très complexe, les Inuit, en contrepartie de l’abandon de leurs droits ancestraux sur toutes les terres et eaux situées au Canada, vont notamment recevoir ce qui suit :

—des droits explicites leur permettant d’exploiter la faune dans le Nunavut et de participer au Conseil de gestion de la faune du Nunavut;

—la participation des Inuit à des organismes qui s’intéressent à l’aménagement du territoire et aux évaluations en matière d’environnement;

—un droit de propriété en fief simple sur 136 291 milles carrés de terre, y compris les droits miniers souterrains sur une superficie de 14 000 milles carrés;

—des redevances égales à 50 p. cent des deux premiers millions de dollars tirés de la production de minéraux, de pétrole ou de gaz sur des terres de la Couronne et de 5 p. cent par la suite;

—le droit de négocier des « ententes sur les retombées pour les Inuit » lorsque des projets majeurs sont proposés à l’égard des terres sur lesquelles les Inuit sont propriétaires des droits de superficie;

—le paiement de 1,148 milliard de dollars sur quatorze ans à la Société de fiducie du Nunavut.

L’article 4 de l’Entente de principe prévoyait que, en dehors de l’entente sur la revendication, des travaux seraient entrepris en vue de créer un nouveau territoire au Canada. Ce territoire se verrait doté de sa propre assemblée législative et de son propre gouvernement, distinct du gouvernement du reste des Territoires du Nord-Ouest. L’accord politique du Nunavut a été ratifié par la suite dans un plébiscite tenu dans les Territoires du Nord-Ouest le 4 mai 1992. Une loi créant le nouveau gouvernement territorial sera présentée au Parlement en même temps que la loi portant ratification de l’entente finale.

D’autres négociations ont suivi la signature de l’entente de principe, y compris celles sur le choix des terres par les diverses collectivités inuit. L’entente finale a été paraphée le 24 janvier 1992 et sera officiellement signée dès sa ratification.

En vue d’établir leur revendication, la FTN a dû négocier avec des parties autres que le gouvernement du Canada. Comme nous l’avons mentionné précédemment, avant de pouvoir faire une revendication, il faut en établir les limites. Les notions de « propriété foncière » et de « limites » sont étrangères à la pensée et au mode de vie de la plupart des groupes autochtones qui dépendent de la terre pour leur survie. Les ressources alimentaires ne sont pas réparties de façon égale dans le Grand Nord. Les animaux migrent selon les saisons; les troupeaux de caribous, tout comme ceux qui les chassent, ne s’arrêtent pas aux « limites ». Par conséquent, les Indiens et les Inuit du Nord ont tendance à vivre plutôt en nomades du fait qu’ils suivent leur « source d’alimentation », et il s’ensuit nécessairement que certaines régions sont exploitées et occupées en commun.

L’État estime que lorsqu’il y a concurrence ou chevauchement des revendications territoriales, les parties autochtones intéressées devraient résoudre leurs différends sans l’intervention du gouvernement; il estime aussi que ces différends devraient être résolus, soit par des ententes sur les limites territoriales, soit par des accords sur l’accès aux ressources ou le partage des terres.

En l’espèce, les Déné/Métis, dans l’ouest, et les bandes demanderesses, dans le sud, ont fait valoir des revendications concurrentielles par rapport aux limites proposées dans la revendication du Nunavut; en effet, ces deux groupes revendiquent un droit sur certaines terres dans le sud-ouest du Nunavut, savoir le district du Keewatin. Les Inuit et les Déné/Métis ont finalement convenu d’établir la limite sud-ouest du Nunavut à 102o de longitude O., d’après la recommandation de M. John Parker, ancien commissaire des Territoires du Nord-Ouest.

Malheureusement, les demandeurs et la FTN n’ont toutefois pas pu conclure d’entente. Les demandeurs prétendent avoir des droits existants issus de traités ou, à titre subsidiaire, des droits fondés sur l’exploitation et l’occupation exclusives de la partie sud-ouest du district du Keewatin. En 1989, au nom des bandes demanderesses, le Conseil de bande de Prince Albert a chargé le Dr Peter Usher de rédiger un rapport sur l’exploitation et l’occupation des terres. L’auteur de ce rapport conclut que les demandeurs peuvent établir une exploitation des terres du Keewatin depuis des temps immémoriaux et qu’à son avis, cette exploitation serait suffisante pour satisfaire aux exigences d’une revendication autochtone, conformément aux lignes directrices énoncées par le gouvernement. Par conséquent, les demandeurs estiment que cette région ne devrait pas être incluse dans l’Entente finale. Ils affirment être disposés à conclure avec les Inuit des ententes de chevauchement intéressant les régions où, selon eux, il y aurait exploitation et occupation communes.

Les Inuit ne souscrivent pas à la thèse des demandeurs selon laquelle ceux-ci auraient des droits exclusifs sur les terres en question. Le ministère public a informé les Inuit que, d’après ses services juridiques, les traités nos 5 et 10 n’accordaient pas de droits aux Indiens au nord du 60e parallèle. Les Inuit n’acceptent pas non plus les allégations des demandeurs selon lesquelles ces derniers auraient des droits fondés sur « l’exploitation et l’occupation exclusives ». En fait, « l’exploitation et l’occupation » peuvent être attestées par le Inuit Land Use and Occupancy Project Report et le Nunavut Atlas, plus récent, rédigés par le Dr R. Riewe. Le Dr Riewe affirme qu’à partir du milieu du dix-neuvième siècle, les Inuit Caribou exploitaient intensivement la partie sud-ouest de ce qui constitue maintenant le Keewatin; qu’au vingtième siècle, les Inuit Caribou ont connu périodiquement des famines et des épidémies; que tout le sud du Keewatin a été littéralement mis en quarantaine et que, dans les années 1950, vu les préoccupations du public, le gouvernement fédéral a, par la suite, déplacé les Inuit vers des agglomérations plus permanentes à Whale Cove, Rankin Inlet et Eskimo Point (Arviat). Malgré tout, les Inuit ont continué à chasser, à pêcher et à piéger dans le sud-ouest du Keewatin. Il y a lieu de signaler un sous-groupe des Inuit Caribou, appelé les Ahiarmuit, lesquels ont occupé un territoire autour du lac Ennadai pendant environ un siècle. Lorsque ces gens ont été déplacés vers Eskimo Point dans les années 1950, la situation économique les a empêchés, jusqu’en 1984, de regagner les terres qu’ils occupaient à l’origine. La FTN prétend que, si tant est que les Indiens puissent établir des droits ancestraux, prétention qu’elle nie, ces droits ont été éteints par la signature des traités. Par conséquent, la FTN n’est pas disposée à retrancher ces territoires de ses revendications territoriales. Elle tente de conclure des ententes sur leurs intérêts concurrentiels; cependant, vu la position des demandeurs, elle n’a pas réussi à le faire.

Malgré son incapacité de négocier, avec les demandeurs, une entente sur leurs intérêts concurrentiels, la FTN a accepté que l’Entente finale comprenne des dispositions destinées à protéger les droits des demandeurs. La section 2.8.4 et l’article 43 de l’Entente de principe du 30 avril 1990 stipulent :

2.8.4    L’Entente finale n’a pas pour effet de modifier, reconnaître ou impartir, au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits des peuples autochtones autres que les Inuit de la région du Nunavut.

43.1.1  Les dispositions relatives aux intérêts concurrentiels entre la Fédération Tungavik du Nunavut (FTN) et d’autres peuples autochtones doivent être précisées dans l’Entente finale.

En mai 1990, les demandeurs ont produit une déclaration d’intérêt et d’intention dans laquelle ils énonçaient les dispositions qu’ils voulaient voir incluses dans l’Entente finale : la reconnaissance et la confirmation de leurs droits existants, ancestraux ou issus de traités; la reconnaissance et la protection de leurs droits d’exploiter la faune et d’aménager le territoire; la participation équitable au sein de tous les conseils de gestion; l’exclusion de leurs terres ancestrales des négociations portant sur la désignation des terres Inuit; la participation équitable à la rédaction des dispositions portant sur le règlement au comptant, la redevance sur les ressources et le développement économique, dans la mesure où ces dispositions s’appliquent à leurs terres ancestrales. Une autre déclaration d’intérêt a été produite le 11 juillet 1991. Ni l’une ni l’autre de ces déclarations n’a été reconnue et les demandeurs sont d’avis qu’on n’a pas tenu compte de leurs préoccupations.

En particulier, pendant les négociations portant sur la désignation des terres, les Ahiarmuit d’Eskimo Point ont revendiqué environ 392,5 milles carrés de terres autour du lac Ennadai. Ceci inquiète beaucoup les demandeurs qui affirment que tous les territoires revendiqués au lac Ennadai sont, soit des territoires qui chevauchent leurs terres soit des territoires qui ont été exclusivement exploités et occupés par les Indiens dans la mesure où les Inuit ne sont pas en mesure de démontrer une exploitation récente et actuelle. Les demandeurs estiment donc que ce territoire ne devrait pas être visé par l’Entente finale en attendant qu’il soit statué sur leurs droits respectifs.

Ne constatant aucun progrès, les demandeurs ont déposé une déclaration le 19 décembre 1991, modifiée par la suite le 17 mars 1992, dans laquelle ils sollicitent la réparation suivante :

[traduction] a) Un jugement déclaratoire portant que les demandeurs, savoir les bandes Fond du Lac, Black Lake et Hatchet Lake, leurs membres, ainsi que les Indiens Dénésuline ont des droits juridiques sur cette partie de la Dénésuline Nene située dans les Territoires du Nord-Ouest;

b) un jugement déclaratoire portant que ces droits juridiques sont des droits existants, issus de traités;

c) un jugement déclaratoire portant que le territoire appelé Dénésuline Nene, situé au nord du 60e parallèle, fait partie du territoire visé par le traité;

d) un jugement déclaratoire portant que les droits existants, issus de traités, en faveur des demandeurs, savoir les bandes Fond du Lac, Black Lake et Hatchet Lake, leurs membres, et chacun des Indiens Dénésuline, s’appliquent dans le territoire appelé Dénésuline Nene;

e) un jugement déclaratoire portant que, si les limites établies dans les traités numéros 8 et 10 ne vont pas au-delà de celles désignées par le Canada, les conditions du traité et les droits existants reconnus sous son empire s’appliquent au-delà de ces limites, jusqu’à cette partie du Dénésuline Nene située dans les Territoires du Nord-Ouest;

f) un jugement déclaratoire portant que si les droits juridiques des demandeurs, savoir les bandes Fond du Lac, Black Lake et Hatchet Lake ainsi que chacun des Indiens Dénésuline, ne sont pas issus de traités, ils constituent néanmoins des droits ancestraux existants sur Dénésuline Nene, lesquels droits s’étendent au-delà des limites établies par traité et désignées par le Canada;

g) un jugement déclaratoire portant que ces droits ancestraux existants font l’objet de négociations et de règlements sur les revendications globales entre le Canada et les demandeurs;

h) un jugement déclaratoire portant que, puisque certaines conditions de l’entente conclue avec la FTN et les conditions proposées dans l’Entente de principe conclue avec les Déné/Métis, ou dans la mesure où les conditions de toute autre entente touchent, violent, nient ou éteignent les droits existants des demandeurs—ancestraux ou issus de traités—sur Dénésuline Nene, droits reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 , ces conditions sont invalides ou inexécutoires dans ce territoire sans le consentement des demandeurs et en l’absence d’ententes appropriées conclues avec eux;

i) un jugement déclaratoire portant que le Canada a violé son obligation fiduciaire en négociant ou en concluant des accords sur des revendications territoriales qui reconnaissent à d’autres des droits sur Dénésuline Nene, des droits qui appartiennent de fait aux demandeurs, ce qui a pour effet de toucher, de violer, de nier ou d’éteindre les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des demandeurs;

j) des dommages-intérêts vu que le Canada a violé ses obligations fiduciaires envers les demandeurs puisqu’il a conclu, sans consulter les demandeurs ou sans obtenir leur approbation, des accords sur des revendications territoriales qui touchent, violent, nient ou éteignent les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des demandeurs;

k) une injonction interlocutoire provisoire contre les défendeurs pour les empêcher de ratifier toute limite territoriale ou limite visée par règlement et de conclure tout règlement sur des revendications territoriales susceptible de toucher, de violer, de nier ou d’éteindre les droits—ancestraux ou issus de traités—des demandeurs sur Dénésuline Nene;

l) une injonction permanente contre les défendeurs pour les empêcher de ratifier toute limite territoriale ou limite visée par règlement et de conclure tout règlement sur des revendications territoriales susceptible de toucher, de violer, de nier ou d’éteindre les droits—ancestraux ou issus de traités—des demandeurs sur Dénésuline Nene;

m) les dépens de la présente action.

Malgré la production de la déclaration des demandeurs et leurs objections, le gouvernement du Canada et la FTN ont paraphé l’Entente finale le 24 janvier 1992.

Conformément à la section 2.8.4 et à l’article 43 de l’Entente de principe, l’Entente finale porte spécialement sur les intérêts des bandes demanderesses. La partie X de l’article 40 donne aux membres des bandes Black Lake et Hatchet Lake les droits suivants :

—le droit de continuer à chasser et à piéger dans la région du Nunavut, dans la mesure où ils ont exploité ces terres par le passé, aux mêmes conditions que celles des Inuit;

—si des quotas sont imposés par le Conseil de gestion de la faune du Nunavut, des quotas distincts seront établis pour les bandes et pour les Inuit, à partir des mêmes critères;

—les membres des bandes auront accès aux terres appartenant aux Inuit pour continuer toute exploitation traditionnelle;

—les membres des bandes ne seront pas tenus de donner aux Inuit un droit de préemption au moment de la création de camps de sportifs ou autres types d’entreprises liées à la faune dans des territoires traditionnellement exploités par les bandes;

—les membres des bandes seront autorisés à présenter des observations aux autorités de réglementation relativement aux questions intéressant la faune, l’aménagement du territoire et l’environnement;

—les spécimens archéologiques Dénésuline sont exemptés des dispositions de l’Entente finale;

—à la demande d’une bande, les Inuit abandonneront à l’État le titre de propriété du site où se trouve la cabane d’un membre de la bande située sur des terres appartenant aux Inuit.

La bande Fond du Lac n’est pas mentionnée parce que, m’a-t-on dit, selon les propres données des demandeurs sur l’aménagement du territoire, ses membres n’exploitaient nullement les terres situées dans le Nunavut.

Avant d’entrer en vigueur, l’Entente finale doit être ratifiée par les Inuit et le gouvernement du Canada. Aux termes de l’Entente finale, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest n’a pas à ratifier l’entente; cependant, dans le cas des revendications territoriales globales, le Conseil exécutif des Territoires du Nord-Ouest a l’habitude de signifier son approbation ou son rejet d’une entente finale après le vote de ratification des autochtones.

À l’heure actuelle, la FTN fait les préparatifs pour le vote de ratification des Inuit. Une liste électorale a été établie, et chaque ménage s’est vu remettre un exemplaire de l’Entente finale accompagné de notes explicatives. Des réunions d’information communautaires ont lieu depuis août 1992. Le vote de ratification est prévu pour les 3, 4 et 5 novembre 1992. Si les Inuit approuvent l’Entente finale, celle-ci sera ensuite présentée au Cabinet pour agrément; par la suite, des lois entérinant l’Entente finale et l’accord politique du Nunavut seront présentées au Parlement.

Les demandeurs estiment que les dispositions de l’article 40 ne protègent pas suffisamment leurs droits. Par la présente requête, ils cherchent à interrompre le processus de ratification de l’Entente finale en attendant qu’il soit statué sur leurs droits.

D’entrée de jeu, l’avocat du ministère public a soutenu que la présente requête devait être rejetée parce qu’une injonction ne peut être décernée contre l’État en vertu de la common law; voir les arrêts C.I.A.C. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 866 (C.A.) et Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599 (C.A.). La common law a maintenant été codifiée à l’article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif [L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21, 28)] qui dispose :

22. (1) Le tribunal ne peut, lorsqu’il connaît d’une demande visant l’État, assujettir celui-ci à une injonction ou à une ordonnance d’exécution mais, dans les cas où ces recours pourraient être exercés entre particuliers, il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties.

(2) Le tribunal ne peut, dans aucune poursuite, rendre contre un préposé de l’État de décision qu’il n’a pas compétence pour rendre contre l’État.

On ne peut pas non plus contourner l’immunité de l’État en demandant que soit prononcée une injonction contre un fonctionnaire ou un ministre à moins qu’il n’ait outrepassé les pouvoirs que lui accorde la loi; voir l’arrêt Lodge c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.) et le jugement Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1re inst.).

Ceci est peut-être vrai. Cependant, en l’espèce, on me demande de bloquer la prochaine étape du processus de ratification, savoir le vote des Inuit. Cette question n’intéresse ni l’État, ni un organisme d’État. L’État n’aura le pouvoir d’agir que si le vote ratifie l’entente, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra être question de l’immunité de l’État.

Les avocats du ministère public et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ont également prétendu que des injonctions interlocutoires ne devaient pas être accordées s’il était prématuré de le faire, compte tenu des circonstances; voir Société Inuvialuit régionale c. Canada, [1992] 2 C.F. 502 (1re inst.); or, selon eux, la requête des demandeurs en l’espèce était prématurée puisque le vote de ratification des Inuit n’avait pas encore eu lieu; le résultat de ce vote n’était pas connu et il se pouvait qu’ils rejettent l’Entente; même s’ils l’approuvaient, l’Entente ne pourrait entrer en vigueur sans l’agrément du Cabinet.

Dans le jugement Société Inuvialuit régionale, précité, le juge Reed a refusé de décerner un bref de prohibition parce que le litige opposant les parties pouvait être tranché très rapidement grâce à l’audition accélérée de l’action. Elle estimait inopportun que la Cour intervienne et empêche que d’autres mesures ne soient prises à partir de ce qui pourrait s’avérer être une question résolue. Il me semble qu’en l’espèce, la présente action ne sera pas entendue et résolue avant la ratification et que le raisonnement suivi par ma collègue ne s’applique pas. Je suis également d’avis qu’il y a actuellement une forte tendance en faveur d’une ratification par les Inuit. Par conséquent, je ne suis pas disposé à rejeter la requête des demandeurs au motif qu’elle serait prématurée; je dois donc examiner leur requête sur le fond.

Une injonction interlocutoire est considérée comme un recours exceptionnel fondé sur les principes de l’equity. Comme l’a souligné lord Diplock dans l’arrêt American Cyanamid Co v Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.), à la page 509 :

[traduction] L’objet d’une injonction interlocutoire est de protéger le demandeur contre le préjudice, résultant de la violation de son droit, qui ne pourrait être adéquatement réparé par des dommages-intérêts recouvrables dans l’action si l’affaire devait être tranchée en faveur dudit demandeur au moment de l’instruction; toutefois, le besoin d’une telle protection pour le demandeur doit être évalué en fonction du besoin correspondant du défendeur d’être protégé contre le préjudice qui découle du fait qu’on l’a empêché d’exercer les droits que lui confère la loi et qui ne peut être adéquatement réparé par l’engagement du demandeur de verser des dommages-intérêts si l’affaire était tranchée en faveur du défendeur à l’instruction. Le tribunal doit évaluer les besoins l’un en fonction de l’autre et déterminé quelle est « la répartition des inconvénients ».

Les principes énoncés par lord Diplock dans l’arrêt American Cyanamid, précité, ont été adoptés par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451 (C.A.) et Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129.

Ces principes nous obligent à examiner trois questions. Premièrement, il faut se demander si le requérant peut remplir le critère préliminaire qui consiste à établir l’existence d’une question sérieuse à trancher. Dans l’affirmative, il faut se demander si l’une ou l’autre des parties peut établir l’existence d’un préjudice irréparable qui ne serait pas susceptible d’être indemnisé par des dommages-intérêts si l’injonction devait être accordée ou refusée. La Cour doit ensuite tenir compte de la prépondérance des inconvénients.

Les demandeurs affirment qu’il y a une question sérieuse à trancher en l’espèce; ils allèguent également avoir des droits existants, issus de traités, sur un territoire qui se prolonge dans la partie sud-ouest du Nunavut. Selon eux, il y a lieu de donner aux traités conclus par les Indiens une interprétation juste, large et libérale en faveur de ces derniers; ils soutiennent que les traités devraient être interprétés, non pas selon le sens strict de leur langage, mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage; voir les arrêts Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 et Simon c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 387. L’avocat des demandeurs a ensuite plaidé que les limites établies dans les traités nos 8 et 10 ne correspondaient pas à ce qui était décrit dans les textes de ces traités; selon lui, les parties n’avaient pas convenu que les traités limiteraient les terres des Indiens aux tenants et aboutissants qui y étaient énoncés. À la signature de ces traités, on avait promis aux Indiens que leurs terres continueraient à leur appartenir [traduction] « tant que la terre existera, tant que le soleil brillera, tant que les rivières couleront et tant que la grande pierre restera immobile »; selon les demandeurs, les Indiens n’auraient jamais renoncé aux terres du Nord dont leur survie même dépendait. Pareillement, les demandeurs ont plaidé que le gouvernement n’avait jamais voulu que les Indiens soient privés de ces terres et que leurs actions indiquent qu’ils avaient été autorisés à exercer leurs droits issus de traités sur l’ensemble de leurs terres ancestrales. À titre subsidiaire, les demandeurs ont plaidé qu’ils avaient, en vertu de la common law, un titre ancestral non éteint sur ces terres, titre fondé sur l’exploitation et l’occupation.

L’avocat des demandeurs a ensuite prétendu que même si un tribunal devait décider que les limites établies par les traités correspondaient à ce qui y était énoncé, et que les [traduction] « clauses d’extinction globale » stipulées dans les deux traités étaient exécutoires, les traités donnaient aux Indiens des droits qui s’étendaient au-delà des limites qui y étaient établies. En particulier, les traités prévoient expressément que les Indiens renoncent à leurs droits à l’égard d’un territoire donné. La « clause d’extinction globale » élargit davantage ce prétendu abandon :

Et aussi tous leurs droits, titres et privilèges quelconques à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest, la Colombie-Britannique ou dans toute autre partie du Canada.

Cependant, comme l’a signalé l’avocat des demandeurs, immédiatement après cette clause, les droits des Indiens issus des traités sont énoncés en ces termes :

Et Sa Majesté la Reine convient par les présentes avec les dits sauvages qu’ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l’étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite… [C’est moi qui souligne.]

L’avocat de la FTN a soutenu qu’il n’y avait pas de question sérieuse à trancher en l’espèce; selon lui, la preuve d’expert et les affidavits déposés pour le compte des demandeurs ne permettent pas de prouver leurs allégations « d’exploitation et d’occupation exclusives » de cette partie de leurs terres qui, prétendent-ils, serait située dans la région du Nunavut; par ailleurs, une preuve abondante tend à établir que les Inuit peuvent validement revendiquer toutes les terres situées dans ce district. En outre, selon la défenderesse, aux termes des traités, il était clair que le titre ancestral qu’auraient pu avoir les demandeurs sur ces terres a été abandonné lorsque ces derniers se sont prévalus des traités et lorsqu’ils ont demandé que des réserves soient établies pour eux dans le nord de la Saskatchewan.

Incontestablement, la preuve dont j’ai connaissance quant à « l’exploitation et l’occupation » de ces terres présentait des contradictions; en outre, il est évident que la méthode de la « biographie cartographique » comporte des failles inhérentes. Cependant, je ne suis pas appelé maintenant à statuer sur la preuve dont j’ai connaissance; il faudra attendre l’instruction. Néanmoins, je dois être convaincu, d’après les faits dont j’ai connaissance, qu’il y a une question sérieuse à trancher et il n’est pas nécessaire que ces faits établissent une apparence de droit. J’estime qu’il y a une question sérieuse à trancher en l’espèce et que les demandeurs ont rempli ce premier critère préliminaire.

L’avocat du ministère public était disposé à admettre que les demandeurs pouvaient peut-être soulever une question sérieuse à l’égard de leur revendication, mais il a ajouté que ceux-ci n’étaient pas en mesure d’établir qu’ils subiraient un préjudice irréparable, ou un préjudice tout court, si l’injonction n’était pas accordée.

Les demandeurs ne sont pas de cet avis. Selon eux, si l’Entente finale était ratifiée ou conclue et s’ils réussissaient par la suite à obtenir une reconnaissance judiciaire de leurs droits sur les terres visées par l’Entente, ils risqueraient de ne pas se voir reconnaître l’intégralité de leurs droits, ces droits seraient éteints ou, à titre subsidiaire, n’auraient aucune importance pratique; selon eux, il s’agit là d’un préjudice irréparable qui ne serait pas susceptible d’être indemnisé par l’adjudication d’une somme d’argent.

Si l’Entente finale était conclue, un droit de propriété en fief simple ainsi que d’autres droits seraient dévolus aux Inuit et auraient force constitutionnelle en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les demandeurs craignent que personne n’ait compétence pour infirmer l’octroi du droit de propriété en fief simple et que tel octroi ne soit irréversible. En outre, ils se demandent si l’article 35 peut être invoqué pour infirmer des droits qui ont déjà été enchâssés sous son empire. Il n’existe aucune jurisprudence sur les droits concurrentiels conférés par l’article 35 et les demandeurs sont loin d’être certains de pouvoir faire tomber des conditions de l’Entente. Pourraient-ils faire déclarer invalide l’Entente au plan constitutionnel? Cela aurait-il pour effet d’annuler toute l’Entente et de dissoudre le gouvernement au complet? Selon les demandeurs, même si l’Entente était déclarée nulle uniquement en ce qui a trait aux terres qu’ils revendiquaient, cela nécessiterait d’importants changements. Par conséquent, les demandeurs prétendent que la reconnaissance de leurs droits juridiques serait « illusoire », et que les terres [traduction] « cruciales à leur survie économique » seraient irrévocablement dévolues aux Inuit.

Les demandeurs m’ont cité l’arrêt MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin; Martin v. R. in Right of B.C., [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.-B.). Dans cette affaire, les requérants avaient tenté d’empêcher l’intimée, une société d’exploitation forestière, de faire une coupe à blanc dans un territoire situé sur Meares Island. Aux pages 591 et 592 de l’arrêt, le juge Seaton, J.C.A., a statué comme suit :

[traduction] Apparemment, la zone fera l’objet d’une coupe à blanc. La forêt que connaissent et exploitent les Indiens sera détruite à jamais … Enfin, l’île n’aura plus de valeur symbolique. L’objet de l’instruction aura été détruit avant qu’il n’ait été statué sur les droits en cause.

Si l’exploitation forestière se poursuit et qu’il s’avère que les Indiens ont un droit sur la zone, y compris la forêt qui s’y trouve, ils ne seront plus en mesure de jouir de ce droit. La région aura été complètement exploitée. Les tribunaux ne seront plus en mesure de rendre justice en l’espèce. Voilà le genre de résultat que tentent d’empêcher les tribunaux lorsqu’ils décernent des injonctions.

Les demandeurs prétendent que les faits en l’espèce sont absolument analogues à ceux de l’affaire MacMillan Bloedel.

En outre, dans l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, la Cour suprême a jugé que l’État avait manqué à son obligation fiduciaire envers la bande appelante. Cependant, la Cour n’a pas annulé l’entente qu’elle avait jugé être en violation de cette obligation, mais a plutôt adjugé des dommages-intérêts aux appelants. Les demandeurs en l’espèce prétendent que des dommages-intérêts ne pourraient pas les indemniser pour la perte de leur mode de vie.

Les demandeurs ont également fait valoir que l’État avait une obligation fiduciaire envers les Indiens à l’égard des terres qu’il détenait pour ces derniers et que cette « obligation » devrait limiter l’habilité de l’État à conclure des ententes relativement aux terres visées par le présent litige tant que les droits des demandeurs n’auront pas été déterminés; voir l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul , [1988] 2 R.C.S. 654. Les demandeurs ont soutenu que l’État, en agissant comme il l’avait fait, avait manqué à son obligation envers les demandeurs et s’était placé en situation de conflit d’intérêts; selon eux, l’intérêt public militait en faveur d’une injonction pour mettre un terme à la conduite « illégale » de l’État.

En guise de réponse, l’avocat du ministère public a nié l’allégation selon laquelle l’État manquait à ses obligations fiduciaires. Il a affirmé que l’État se trouvait dans la situation ingrate où les demandeurs se servaient des négociations sur la revendication territoriale des Inuit comme tribune pour faire valoir leur propre revendication. Il a prétendu que l’État, en essayant de conclure ces négociations avec les Inuit, protégerait en réalité les intérêts des demandeurs en stipulant l’article 40 dans l’Entente finale. Il a ajouté que « l’intégralité des droits » dont pourraient bénéficier les demandeurs ne serait pas éteinte, restreinte, diminuée ou défavorablement touchée par l’Entente finale.

À cet égard, me dit-on, s’il était jugé que les bandes demanderesses avaient des droits existants issus de traités dans le territoire en cause, il s’agirait des droits énoncés dans le traité no 10 :

Et Sa Majesté le roi par les présentes convient avec les dits sauvages qu’ils auront le droit de continuer leurs goûts pour la chasse, la course à la trappe et la pêche par tout le territoire rétrocédé ainsi qu’il est ci-dessus décrit, sauf les règlements qui pourront de temps à autre être faits par le gouvernement du pays agissant sous l’autorité de Sa Majesté, et sauf et excepté les étendues qui peuvent être requises ou qui pourront être prises de temps à autre pour la colonisation, les mines, l’industrie du bois, le commerce ou d’autres fins. [C’est moi qui souligne.]

L’Entente finale reconnaît expressément le droit des Indiens de chasser, de piéger et de pêcher dans le Nunavut; en outre, elle leur donne le droit de créer des entreprises liées à la faune, le droit de se déplacer dans le territoire et le droit de vivre dans les cabanes qu’ils ont déjà. Selon les défendeurs, l’article 40, plutôt que d’éteindre les droits des demandeurs, confirme leur exploitation traditionnelle de ces terres et leur garantit l’exploitation de ces terres dans l’avenir. Si des limites devaient être imposées sur l’exploitation de la faune, elles seraient pareillement imposées aux demandeurs et aux Inuit. Si l’action des demandeurs devait être rejetée, l’article 40 se trouve en fait à leur conférer des droits.

L’avocat de la FTN qualifie de non fondées et d’exagérées les craintes des demandeurs au sujet de l’aliénation des terres et du préjudice irréparable qui s’ensuivrait s’il était jugé plus tard qu’ils avaient toujours un titre ancestral. Bien que la carte annexée à l’affidavit du Dr Peter J. Usher semble indiquer que les demandeurs peuvent revendiquer un territoire important, lorsque l’avocat des défendeurs a transposé les données du Dr Usher sur une carte plus grande, à l’échelle, le territoire que les demandeurs allèguent effectivement exploiter et occuper consiste en une petite étendue de terre de forme irrégulière située dans l’extrême sud-ouest du Nunavut. La seule terre qui appartiendra aux Inuit dans ce territoire est une étendue de terre de 392,5 milles carrés autour du lac Ennadai. Les Indiens se voient garantir l’accès à cette parcelle par l’article 40.X.4 de l’Entente finale. Comme l’a signalé l’avocat des défendeurs, les autres terres comprises dans le territoire revendiqué par les demandeurs sont détenues par l’État qui peut en faire ce qu’il veut s’il devait entreprendre, avec les demandeurs, des négociations sur des questions territoriales.

Enfin, les défendeurs ont prétendu que l’Entente finale offrait une protection complète aux demandeurs. L’article 40.1.1 prévoit que l’Entente finale n’a pas pour effet de modifier les droits résiduels—ancestraux ou issus de traités—que les demandeurs pourraient avoir dans le Nunavut. Les défendeurs ont fait valoir que, même si la revendication des demandeurs était entièrement fondée, ces derniers ne subiraient aucun préjudice si l’Entente finale entrait en vigueur. Si les demandeurs établissaient éventuellement qu’ils avaient des droits sur les terres en cause, l’article 2.15.5b) de l’Entente finale prévoit que ces droits devront être respectés et que l’État devra indemniser les Inuit. L’Entente serait nulle seulement dans la mesure où elle violerait les droits des demandeurs. Il ne serait pas nécessaire de dissoudre le nouveau gouvernement : en effet, à l’heure actuelle, les demandeurs relèvent de l’autorité de plusieurs circonscriptions, savoir le Manitoba, la Saskatchewan et les Territoires du Nord-Ouest, tout en exploitant leurs terres traditionnelles.

Par ailleurs, les défendeurs affirment que si une injonction était accordée, ils subiraient un préjudice irréparable. Tous les Inuit en subiraient les conséquences, et non seulement ceux du district du Keewatin. L’Entente finale demeurerait sans effet. Tous les avantages économiques, sociaux et scolaires dont les Inuit doivent bénéficier en vertu de l’Entente seraient retardés, tout comme l’établissement d’un nouveau gouvernement territorial. L’avocat de la FTN a affirmé que les Inuit subiraient un important manque à gagner : 54 $ millions à la signature de l’Entente, la somme de 13 $ millions destinée à la formation et la somme supplémentaire de 4 $ millions pour la création, en faveur des Inuit, d’un fonds en fiducie de mise en œuvre. Les défendeurs m’ont également informé qu’à l’heure actuelle, aucun nouveau droit n’était accordé sur les terres, notamment les claims miniers; or, les défendeurs doutaient que ce « gel » soit maintenu longtemps encore, si bien que plusieurs territoires sur lesquels les Inuit auraient un droit de propriété en vertu de l’Entente pourraient être grevés par de nouveaux droits accordés à des tiers. De plus, environ 3 560 000 $ ont été dépensés jusqu’à présent en vue de la ratification de l’Entente, et ce montant risque d’être « gaspillé ».

L’avocat du ministère public a ajouté que l’Entente finale pourrait vraiment demeurer lettre morte si elle devait être suspendue le moindrement longtemps. Vu son importance et sa complexité, ainsi que le nombre d’intérêts concurrentiels sur lesquels elle porte, tout retard important pourrait entraîner la désintégration du consensus actuel. Ce résultat marquerait non seulement l’échec de l’Entente finale, mais également l’échec du progrès qui avait été réalisé jusqu’ici en vue de diviser les Territoires du Nord-Ouest et restructurer le gouvernement du Nord. Par conséquent, selon les défendeurs, le préjudice que subiraient à la fois le Canada et les Inuit, si une injonction était accordée, serait beaucoup plus important que le préjudice que pourrait éventuellement subir les demandeurs si l’injonction était refusée.

Je suis d’accord. Je ne suis pas convaincu que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si je refusais de leur accorder la réparation demandée. Il me semble que l’Entente finale protège les droits—ancestraux ou issus de traités—que les demandeurs pourraient se voir reconnaître et qu’en fait, elle leur accorde peut-être des droits juridiques qu’ils n’ont pas actuellement.

Je ne suis pas convaincu que, si j’accordais une injonction, les défendeurs subiraient un préjudice, du fait qu’ils ne recevraient pas les avantages économiques, sociaux et scolaires qui leur sont dûs aux termes de l’Entente. Les retards et les inconvénients ne constituent pas un préjudice irréparable. Par ailleurs, je crains que le consensus ne risque de se désintégrer si j’accorde l’injonction. Cette Entente est le fruit de plusieurs années de négociations. Elle intéresse plusieurs questions complexes. En outre, la manière dont seront divisés les Territoires du Nord-Ouest dépend de la mise en œuvre de l’Entente et cette question intéresse tous les Canadiens. Vu les faits dont j’ai connaissance, c’est un risque que je ne suis pas disposé à prendre.

Compte tenu, comme il convient, du préjudice que risquent de subir les demandeurs si je n’accorde pas l’injonction et du risque du préjudice que risquent de subir les défendeurs si je devais l’accorder, la prépondérance des inconvénients favorise clairement les défendeurs.

Même si j’avais conclu que les demandeurs risquaient de subir un préjudice grave, il s’agit ici d’un cas, à mon avis, où il y a lieu de tenir compte de l’intérêt public conformément à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Dans la présente action, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant confirmation de leurs droits tels qu’ils les perçoivent et un jugement déclaratoire portant que l’Entente intervenue avec la FTN est invalide dans la mesure où elle enfreint ces droits. Dans la présente requête, les demandeurs se trouvent en fait à demander à cette Cour d’annuler entièrement l’entente intervenue avec la FTN ainsi que la manière dont seront divisés les Territoires du Nord-Ouest. L’intérêt public pour la mise en valeur future du Nord tendrait certainement à faire jouer la prépondérance des inconvénients en faveur des défendeurs. Par conséquent, la présente requête est rejetée.

Pour terminer, j’encourage les défendeurs à faire en sorte que les membres de la bande Fond du Lac soient visés par les dispositions de l’article 40 de l’Entente finale. Bien que les demandeurs n’aient pas établi que les membres de cette bande ont exploité les terres en cause de façon significative, on m’informe que les membres de la bande Fond du Lac appartiennent à la bande Black Lake et vice versa, puisque les deux bandes n’en formaient qu’une seule à une certaine époque. Je ne vois pas en quoi il serait utile de priver les membres de l’une de ces bandes des droits accordés aux membres de l’autre.

Les dépens suivront l’issue du litige.

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