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T‑1329‑05

2006 CF 1544

Jim Pankiw (demandeur)

c.

La Commission canadienne des droits de la personne (défenderesse)

et

Keith Dreaver, Norma Fairbairn, Susan Gingell, Pamela Irvine, John Melenchuk, Richard Ross, Ailsa Watkinson, Harlan Weidenhammer, et Carman Willet (défendeurs)

et

Le président de la Chambre des communes (intervenant)

Répertorié : Pankiw c. Canada (Commission des droits de la personne) (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux—Ottawa, 26 et 27 juin et 21 décembre 2006.

Droit constitutionnel — Principes fondamentaux — Privilège parlementaire — Contrôle judiciaire de la décision préliminaire du Tribunal canadien des droits de la personne portant qu’il avait compétence pour instruire les plaintes déposées à l’encontre d’un député (M. Pankiw), qui a distribué un bulletin parlementaire qui contenait censément des observations discriminatoires à ses commettants — M. Pankiw et le président de la Chambre des communes (les tenants du privilège) soutenaient que le privilège parlementaire accordait une immunité absolue qui empêchait le Tribunal d’enquêter et de statuer sur les plaintes — Application de l’analyse en deux étapes présentée dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid (C.S.C.) — Les tenants n’ont pas prouvé que l’existence et l’étendue du privilège revendiqué ont été établies péremptoirement en ce qui concerne le Parlement du Canada ou celui du R.‑U. — Le privilège revendiqué n’est pas justifié par le principe de la nécessité, ce privilège n’étant pas si étroitement et si directement lié aux travaux du Parlement que l’intervention des cours de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement — En outre, l’immunité absolue n’est pas justifiée par le principe de démocratie, celui de séparation des pouvoirs, celui de libre expression en matière politique, ni par l’art. 2b) de la Charte — Demande rejetée.

Droits de la personne — Plaintes formulées à l’encontre d’un député (M. Pankiw), qui aurait fait des observations discriminatoires, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans un bulletin parlementaire distribué à ses commettants — Le Tribunal canadien des droits de la personne a rejeté la requête préliminaire alléguant qu’il n’avait pas compétence pour instruire des plaintes relatives aux activités que M. Pankiw avait exercées comme député — La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée — Le privilège parlementaire n’englobe pas l’information communiquée aux commettants — Le pouvoir exclusif du Bureau de régie interne de la Chambre des communes relativement à des questions financières et administratives en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada n’exclut pas la compétence du Tribunal d’enquêter pour déterminer si ses fonctions diffèrent de celles du Bureau — Le texte de la Loi canadienne sur les droits de la personne est assez large pour englober les déclarations faites par des députés dans des bulletins parlementaires.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision préliminaire du Tribunal canadien des droits de la personne, qui a rejeté la requête de l’intervenant, soit le président de la Chambre des communes, et qui a statué qu’il avait compétence pour instruire les plaintes que lui avait renvoyées la Commission canadienne des droits de la personne. Les plaintes découlaient d’un « bulletin parlementaire » (une brochure d’information imprimée sous les auspices de la Chambre des communes, qui en assume les frais) rédigé par M. Pankiw (le demandeur), un député, et distribué à ses commettants; ce bulletin contenait censément des observations discriminatoires sur les peuples autochtones, contrevenant ainsi à la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

Le Tribunal a rejeté les arguments du demandeur, appuyés par le président, selon lesquels : 1) la Loi sur le Parlement du Canada (la LPC) confère compétence exclusive au Bureau de régie interne de la Chambre des communes pour statuer sur les plaintes; 2) le privilège parlementaire accordait une immunité absolue qui empêchait le Tribunal d’enquêter et de statuer sur les plaintes; 3) la LCDP ne s’appliquait pas à M. Pankiw; et 4) le principe de la séparation des pouvoirs empêchait le Tribunal d’exercer sa compétence en enquêtant et en statuant sur les plaintes.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’analyse en deux étapes que la Cour suprême du Canada a exposée dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid a été appliquée pour établir si un privilège existait ou non.

D’abord, les tenants du privilège (c’est‑à‑dire le demandeur et le président) n’ont pas prouvé que l’existence et l’étendue du privilège revendiqué (soit l’immunité absolue d’un député contre tout examen externe portant sur le contenu de son bulletin parlementaire) ont été établies péremptoire-ment en ce qui concerne le Parlement du Canada ou celui du Royaume‑Uni. La Cour a opéré une distinction par rapport aux affaires britanniques citées puisque celles‑ci ne portaient pas sur le privilège absolu dans le contexte parlementaire. De même, le rapport du comité mixte du Parlement du Royaume‑Uni sur le privilège parlementaire ne permettait pas de conclure à l’existence du privilège revendiqué. Le comité mixte a déclaré que la correspondance entre un député et ses commettants n’était pas protégée par le privilège parlementaire, cette correspondance ne se rapportant pas aux « travaux du Parlement », et la protection exceptionnelle conférée par une immunité parlementaire devrait rester confinée aux activités essentielles du Parlement, sauf s’il existe un besoin urgent d’élargir cette protection. Au Canada, la Haute Cour de justice de l’Ontario a statué, dans l’affaire Re Clark et al. and Attorney‑General of Canada, que bien que « les fonctions “réelles” et “essentielles” d’un député comprennent l’obligation ou le droit de communiquer une information à ses commettants [. . .] le privilège n’est pas illimité [et il ne peut pas être étendu] pour qu’il englobe l’information communiquée à ses commettants par un député ».

La deuxième étape de l’analyse servait à établir si une telle immunité pouvait se justifier par la doctrine de la nécessité (le degré d’autonomie requis pour que le Parlement puisse s’acquitter de ses fonctions). La conception d’un bulletin parlementaire par un député et sa distribution à ses commettants ne sont pas si étroitement et si directement liées aux travaux du Parlement que l’intervention des cours de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement en sa qualité d’assemblée législative et délibérante. Si le Parlement avait jugé que l’immunité (d’un député dans ses communications avec les électeurs) était nécessaire, l’article 7 de la LPC aurait pu être modifié pour prolonger l’arrêt qui y est prévu (arrêt des procédures intentées en relation avec un document quelconque publié sur l’ordre ou sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes) pour qu’il vise de telles communications.

La nécessité d’une immunité absolue en l’espèce n’était pas justifiée par le principe de démocratie, celui de séparation des pouvoirs, celui de libre expression en matière politique, ni par l’alinéa 2b) de la Charte. Qui plus est, un examen de plusieurs facteurs contextuels (c.‑à‑d. les effets sur les demandeurs, le statut conféré à la LCDP et le lien entre le privilège parlementaire et la liberté d’expression) a mené à la conclusion portant que le fait de permettre au Tribunal d’examiner les plaintes en cause en l’espèce ne porterait pas atteinte aux principes susmentionnés. Plusieurs affaires portant sur l’étendue à accorder à la liberté d’expression ont également été étudiées.

Le pouvoir exclusif du Bureau de régie interne « de statuer, compte tenu de la nature de leurs fonctions, sur la régularité de l’utilisation—passée, présente ou prévue—par les députés de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires » n’excluait pas la compétence du Tribunal quant au contenu des bulletins parlementaires. Les fonctions du Tribunal diffèrent de celles du Bureau. Le Tribunal se demande s’il y a eu discrimination dans telle ou telle situation particulière et, dans l’affirmative, il prononce une réparation. La LPC ne confère au Bureau aucune compétence à l’égard des plaignants, la compétence qu’elle confère étant limitée aux députés et au personnel de la Chambre des communes, et elle ne s’appliquait pas au contenu des plaintes. En outre, le Bureau n’avait pas le pouvoir d’accorder une réparation aux plaignants.

Enfin, le texte de la LCDP est assez large pour englober les déclarations faites par des députés dans des bulletins parlementaires.

lois et règlements cités

Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92.

An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688, 1 Will. & Mary, Sess. 2, ch. 2 (R.‑U.) (Bill of Rights).

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 5, 12, 13 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 88), 14.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, ch. 33, art. 13(1).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 18.

Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E‑2.

Loi protégeant la province contre la propagande communiste, S.R.Q. 1941, ch. 52 (Loi du cadenas).

Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, S.R.C. 1970, ch. A‑19.

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P‑1, art. 4, 5, 6, 7, 8, 9, 50 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 42, art. 2; L.C. 1991, ch. 20, art. 2; 1997, ch. 32, art. 1), 51 (mod. par L.C. 1991, ch. 20, art. 2), 52.2 (édicté, idem), 52.3 (édicté, idem), 52.4 (édicté, idem), 52.5 (édicté, idem), 52.6 (édicté, idem), 52.7 (édicté, idem), 52.8 (édicté, idem), 52.9 (édicté, idem), 53 (mod., idem), 54 (mod., idem).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54).

Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 33.

Parliamentary Papers Act, 1840, R.-U. 3 & 4 Vict., ch. 9.

Règlement relatif à la sécurité de l’information sur l’uranium, DORS/76‑644.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667; 2005 CSC 30; inf. [2003] 1 C.F. 602; 2002 CAF 473; conf. [2002] 2 C.F. 583; 2001 CFPI 1332; conf. [2001] D.C.D.P. no 15 (QL); Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2002] 2 C.F. 583; 2001 CFPI 1332 (quant à la norme de contrôle judiciaire); Ontario c. Bernier, [1994] A.O. no 647 (C.A.) (QL); R. c. Fontaine, [1995] A.Q. no 295 (C.A.) (QL); Re Ouellet (No. 1) (1976), 67 D.L.R. (3d) 73; 28 C.C.C. (2d) 338; 34 C.R.N.S. 234 (C.S. Qué.); conf. par Re Ouellet (nos 1 et 2), [1976] C.A. 788 (Qué.); Re Clark et al. and Attorney‑General of Canada (1977), 17 O.R. (2d) 593; 81 D.L.R. (3d) 33; 34 C.P.R. (2d) 91 (H.C.).

décisions différenciées :

Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667; 2005 CSC 30 (quant à la compétence du Bureau de régie interne de la Chambre des communes relativement aux plaignants); Davison v. Duncan (1857), 119 E.R. 1233 (Q.B.); Wason v. Walter and Others, [1861‑73] All E.R. Rep. 105 (Q.B.).

décisions examinées :

Reference re Alberta Bills : The Bank Taxation Act, The Credit of Alberta Regulation Act, The Accurate News and Information Act, [1938] R.C.S. 100; [1938] 2 D.L.R. 81; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; 2003 CSC 36; Taylor c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 298 (C.A.); Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595; 201 D.L.R. (4th) 698; 33 Admin. L.R. (3d) 123; 85 C.R.R. (2d) 170; 146 O.A.C. 125 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; Stockdale v. Hansard (1839), 112 E.R. 1112 (Q.B.); Roman Corporation Ltd. et autre c. Hudson’s Bay Oil and Gas Co. Ltd. et autres, [1973] R.C.S. 820; conf. [1972] 1 O.R. 444; (1971), 23 D.L.R. (3d) 292 (C.A.); conf. [1971] 2 O.R. 418; (1971), 18 D.L.R. (3d) 418 (H.C.J.); Attorney‑General of Ceylon v. De Livera, [1963] A.C. 103 (P.C.); Telzone Inc. v. Canada (Attorney General) (2004), 69 O.R. (3d) 161; 235 D.L.R. (4th) 719; 180 O.A.C. 360 (C.A.); Switzman v. Elbling and Attorney‑General of Quebec, [1957] R.C.S. 285; (1957), 17 D.L.R. (2d) 337; 117 C.C.C. 129; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45; 2001 CSC 2; Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827; 2004 CSC 33.

doctrine citée

Débats de la Chambre des communes, 15 février 2005.

Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd. par William McKay, London : LexisNexis U.K. 2004.

Halsbury’s Laws of England, 3e éd. Vol. 28, London : Butterworths, 1959.

Maingot, J. P. Joseph. Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd. Montréal : Presses universitaires McGill‑Queen’s, 1997.

Royaume‑Uni. Parliament. Joint Committee  on Parliamentary Privilege. Report and Proceedings of the Committee. London : H.M.S.O., 1999.

APPLICATION for judicial review of a preliminary decision of the Canadian Human Rights Tribunal (Dreaver v. Pankiw, 2005 CHRT 28) holding that it had jurisdiction to hear and determine complaints alleging that comments in a householder authored and sent by a Member of Parliament to his constituents were discriminatory. Application dismissed.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision préliminaire du Tribunal canadien des droits de la personne (Dreaver c. Pankiw, 2005 TCDP 28) portant qu’il avait compétence pour instruire des plaintes selon lesquelles des observations formulées dans un bulletin parlementaire rédigé par un député et distribué à ses commettants étaient discriminatoires. Demande rejetée.

ont comparu :

Steven R. Chaplin et Melanie J. Mortensen pour le demandeur et l’intervenant.

Philippe Dufresne pour la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne.

Personne n’a comparu pour les défendeurs Keith Dreaver, Norma Fairbairn, Susan Gingell, Pamela Irvine, John Melenchuk, Richard Ross, Ailsa Watkinson, Harlan Weidenhammer, et Carman Willet.

avocats inscrits au dossier :

Bureau du légiste et conseiller parlementaire, Chambre des communes, pour le demandeur et l’intervenant.

Commission canadienne des droits de la personne pour la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Lemieux :

1. Introduction et contexte

[1]Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision préliminaire d’une formation du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) en date du 21 juillet 2005 [Dreaver c. Pankiw, 2005 TCDP 28], par laquelle le Tribunal, statuant sur une exception déclinatoire, a jugé qu’il avait la compétence légale et constitutionnelle pour instruire neuf plaintes que lui avait renvoyées la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission).

[2]À l’époque où il était député fédéral, le Dr Pankiw, le demandeur dans la présente instance, avait rédigé une brochure d’information connue sous le nom de « bulletin parlementaire » et l’avait distribuée à ses commettants de la circonscription de Saskatoon‑Humboldt. Le bulletin parlementaire est imprimé sous les auspices de la Chambres des communes, qui en assume les frais. Chaque député fédéral a le droit d’envoyer jusqu’à quatre bulletins parlementaires chaque année à ses commettants. Le Dr Pankiw a perdu son siège lors des élections de 2004.

[3]Les neuf plaignants, Keith Dreaver et les autres, disent que, en octobre 2003, le Dr Pankiw a distribué un bulletin parlementaire qui renfermait des observations discriminatoires sur les peuples autochtones, contrevenant ainsi aux articles 5, 12 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] (la LCDP). À l’appendice « A » des présents motifs, sont reproduits les articles 5, 12, 13 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 88] et 14 de la LCDP.

[4]Aucun des dossiers des parties ne contient le rapport d’enquête de la Commission, ni la décision de la Commission renvoyant l’affaire au Tribunal, et ils ne contiennent non plus aucune copie des plaintes déposées, ni un exemplaire du bulletin parlementaire en cause.

[5]Avant l’audition des témoins, le président de la Chambre des communes (le président), qui a obtenu le statut d’intervenant, a déposé devant le Tribunal une requête préliminaire alléguant que le Tribunal n’avait pas la compétence légale ou constitutionnelle pour instruire des plaintes relatives aux activités qu’il [le demandeur] avait exercées comme député.

[6]Le Tribunal, se fondant sur un exposé conjoint des faits, a entendu les arguments avancés sur cette requête, au début de mars 2005, alors que la Cour suprême du Canada n’avait pas encore rendu son arrêt dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid. Cet arrêt fut rendu le 20 mai 2005 et il est publié sous la référence [2005] 1 R.C.S. 667.

[7]Les bases de l’exception préliminaire d’incompé-tence étaient les suivantes : 1) les arguments avancés devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vaid, 2) la rédaction et l’envoi de bulletins parlementaires à tous les commettants ne sont pas un « service » au sens où ce mot est employé dans les articles 5 et 14 de la LCDP, 3) le Bureau de régie interne de la Chambre des communes est seul compétent pour décider du bon usage des bulletins parlementaires, et 4) le discours politique ne peut être censuré que par l’électorat, à la faveur du processus démocratique, et le contrôle exercé par le Tribunal, un décideur gouvernemental, sur le contenu des communications d’un député avec ses commettants, en particulier sur le contenu des communications d’un député de l’opposition, constitue une négation du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, et une atteinte au privilège parlementaire.

[8]Les faits admis par les parties étaient les suivants :

a) en octobre 2003, le Dr Jim Pankiw, alors député indépendant de la circonscription de Saskatoon‑ Humboldt, avait imprimé et distribué, en sa qualité de député, un « bulletin parlementaire » qui, d’après les plaignants, contient des propos discriminatoires;

b) un bulletin parlementaire est une brochure qui est envoyée à chacun des ménages d’une circonscription par chaque député fédéral. Chacun des députés peut envoyer jusqu’à quatre bulletins parlementaires par année;

c) les bulletins parlementaires sont imprimés par la Chambre des communes;

d) le fondement qui autorise l’impression des bulletins parlementaires par la Chambre des communes est le Règlement administratif 301 concernant les bureaux des députés, un règlement pris par le Bureau de régie interne de la Chambre des communes. Ce règlement administra-tif est expliqué davantage dans le Manuel des allocations et services aux députés de la Chambre des communes;

e) à la date de l’exposé conjoint des faits, la Cour suprême du Canada avait entendu les arguments concernant l’affaire Vaid c. La Chambre des communes, n° du greffe 29564 de la CSC, le 13 septembre 2004, et n’avait pas encore rendu son arrêt;

f) le 28 juin 2004, le Dr Pankiw a perdu son siège de député lors des 38e élections générales. [Non souligné dans l’original.]

[9]Les points soulevés dans la procédure de contrôle judiciaire sont les suivants :

1. Le privilège parlementaire s’applique‑t‑il à l’envoi de bulletins parlementaires au point de leur conférer une protection absolue contre tout contrôle extérieur à la Chambre elle‑même?

2. La compétence du Tribunal va‑t‑elle à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs?

3. La compétence du Tribunal va‑t‑elle à l’encontre des principes démocratiques et de la liberté d’expression?

4. Le pouvoir exclusif du Bureau de régie interne de vérifier si un député utilise à bon escient les ressources ou services mis à sa disposition prive‑t‑il le Tribunal de son pouvoir de statuer sur une plainte de discrimination déposée en vertu de la LCDP et se rapportant au contenu d’un bulletin parlementaire?

5. La Cour devrait‑elle, à ce stade, dire si l’envoi d’un bulletin parlementaire à des électeurs constitue « un service destiné au public », selon ce que prévoient les articles 5 et 14 de la LCDP, ou dire si le contenu du bulletin parlementaire contrevient à l’article 12 de ce texte de loi?

[10]Le dossier du demandeur contient l’affidavit de Charles J. Duperreault. À l’époque pertinente, M. Duperreault était stagiaire en droit à la Chambre des communes. Son affidavit est très bref. Il y écrit que les plaignants ont déposé des plaintes de violation des droits de la personne après avoir lu un bulletin parlementaire remis par un député à ses commettants, et il ajoute que [traduction] « comme les plaintes se rapportaient aux fonctions d’un député, la Chambre des communes a déposé une requête alléguant l’incompétence du Tribunal dans cette affaire ». Il a annexé à son affidavit la pièce « A », à savoir l’avis de requête opposant l’exception préliminaire. Il écrit que la Commission et la Chambre des communes ont décidé d’aller de l’avant avec la requête en se fondant sur un exposé conjoint des faits, qu’il joint comme pièce « B » à son affidavit. Finalement, dans son affidavit, il indique la date de l’audience du Tribunal et la date de sa décision. Il n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit.

[11]Le dossier de la Commission, la défenderesse, n’était appuyé par aucun affidavit. Les défendeurs plaignants n’ont pas participé à la présente procédure de contrôle judiciaire.

[12]Le dossier de l’intervenant, le président de la Chambre des communes (l’auteur principal de la requête présentée au Tribunal et alléguant son incompétence) était appuyé par l’affidavit de Robert R. Walsh, signé le 25 janvier 2006. M. Walsh est le légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes. Il affirme ce qui suit :

[traduction] 1. Je suis le légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes et, à ce titre, j’ai connaissance des affirmations contenues dans le présent affidavit.

2. En tant que légiste et conseiller parlementaire, il m’appartient de présenter à la Chambre des communes, à l’Administration de la Chambre des communes, ainsi qu’aux députés, des avis juridiques et observations se rapportant à des points de droit et de législation. Je suis également greffier au Bureau de la Chambre des communes. En tant que légiste, j’assiste aux réunions du Bureau de régie interne.

3. Je travaille à la Chambre des communes depuis 14 ans. De 1991 à 1996, j’ai été conseiller législatif général, de 1996 à 1999, j’ai été directeur de la Direction générale des comités de la Chambre et, en décembre 1999, j’ai été nommé au poste de légiste et conseiller parlementaire, et j’ai depuis la responsabilité à la fois du Bureau des conseillers législatifs et du Bureau des conseillers juridiques.

4. Les communications échangées entre les députés et leurs commettants sont généralement considérées par les députés comme une part importante de leurs responsabilités parlementaires, et elles sont jugées nécessaires par eux pour le bon accomplissement de leurs fonctions parlementaires.

5. Pour l’heure, les principaux moyens dont dispose un député pour communiquer avec ses commettants sont les publications appelées « bulletin parlementaire » et « dix‑pour‑cent », qui sont des publipostages sans adresse envoyés à ses commettants.

6. Comme il est indiqué dans l’affidavit de Charles Duperreault, déposé par le demandeur, l’envoi de ces publications est réglementé par le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, par l’entremise de ses règlements administratifs et du Manuel des allocations et services aux députés. En outre, grâce aux dispositions de la Loi sur la Société canadienne des postes, ces documents sont livrés en tant qu’envois sans affranchissement. Cette loi permet aussi aux députés d’expédier leurs envois en franchise postale, et aux particuliers d’expédier leurs envois aux députés sans affranchissement.

7. Signe de l’importance accordée à l’emploi que font les députés des bulletins parlementaires et des dix‑pour‑cent, six questions de privilèges ont été soulevées au cours de la dernière année à la Chambre, questions où l’on alléguait des violations de privilège se rapportant à la dispense d’affranchissement, aux bulletins parlementaires et aux dix‑pour‑cent (15 février, 18 avril, 3 mai, 4 mai, 10 mai et 3 novembre 2005). Dans tous les cas, le président a jugé qu’il y avait eu à première vue violation de privilège. Dans quatre cas, l’affaire fut renvoyée de la manière habituelle, pour examen complémentaire, au Comité permanent de la Chambre des communes chargé de la procédure et des affaires de la Chambre. Sont joints comme pièces « A », « B », « C » et « D » des extraits des Journaux de la Chambre des communes portant sur les quatre renvois au comité. Est jointe comme pièce « E » la décision du président du 15 février 2005, qui résolvait sans renvoi au Comité la question se rapportant au cinquième cas.

8. Pour la sixième question de privilège, soulevée le 3 novembre 2005, qui se rapportait au contenu d’un certain bulletin parlementaire, l’affaire a été débattue à la Chambre au cours de quatre jours de séance. Les Journaux de la Chambre des communes se rapportant à ce débat se trouvent aux onglets 1 et 2 du volume 2 du dossier de demande.

9. Outre les questions de privilège évoquées plus haut, des questions se rapportant au contenu autorisé des bulletins parlementaires et des dix‑pour‑cent sont souvent portées à l’attention des conseillers juridiques de la Chambre par les députés, les bureaux de recherche des caucus et l’Administration de la Chambre (services d’impression et services postaux).

10. Vu mon expérience à la Chambre des communes au cours des 14 dernières années, ainsi que les récentes décisions et délibérations de la Chambre des communes et de ses comités, il est évident que les députés considèrent comme un important aspect de leur fonction parlementaire la possibilité pour eux de communiquer sans entrave avec leurs commettants. [Non souligné dans l’original.]

[13]M. Walsh n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit.

[14]Le 25 avril 2006, en application de l’article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod., idem, art. 14)], le demandeur a signifié et déposé un avis de question constitutionnelle affirmant qu’il entend mettre en doute [traduction] « l’applicabilité, sur le plan constitutionnel, des articles 5, 12 et 14 de la Loi [la LCDP] à la publication et à la distribution de “bulletins parlementaires” par les députés de la Chambre des communes ».

[15]Dans l’affaire Vaid, il s’agissait d’un employé de la Chambre des communes, le chauffeur du président de la Chambre, qui avait déposé auprès de la Commission une plainte où il affirmait notamment que le refus du président de continuer de l’employer se fondait sur un motif de distinction illicite. La Commission avait renvoyé l’affaire au Tribunal, dont la compétence fut contestée, le président et la Chambre des communes affirmant que le pouvoir du président d’embaucher, de gérer et de congédier les employés de la Chambre constituait un privilège parlementaire et était donc à l’abri de tout contrôle externe exercé par les cours de justice ou par le Tribunal. Le Tribunal avait rejeté l’exception d’incompétence [[2001] D.C.D.P. no 15 (QL)]. Saisies d’une demande de contrôle judiciaire, tant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada [[2002] 2 C.F. 583], maintenant la Cour fédérale [[2003] 1 C.F. 602], que la Cour d’appel fédérale avaient confirmé la décision du Tribunal.

[16]Devant la Cour suprême du Canada, l’issue du dossier Vaid dépendait de deux aspects : d’abord, l’existence et le champ du privilège parlementaire allégué, c’est‑à‑dire « la gestion de ses employés », et ensuite, la question de savoir si la possibilité de déposer un grief selon la Loi sur les relations de travail au Parlement [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 33] (la LRTP) excluait, au vu des circonstances de cette affaire, le mécanisme d’enquête et le règlement des différends prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[17]Dans l’arrêt Vaid, le juge Binnie, rédigeant les motifs de la Cour suprême, a estimé que le privilège parlementaire allégué par le président sur l’ensemble des employés de la Chambre des communes était trop vaste et n’englobait pas les employés de soutien tels que M. Vaid, mais il ne doutait nullement « que le privilège protège les relations entre la Chambre et certains de ses employés » (paragraphe 75). Par ailleurs, il a accueilli le pourvoi, exprimant l’avis que M. Vaid aurait dû déposer son recours en vertu de la LRTP plutôt que devant le Tribunal, dont la compétence était de ce fait exclue.

[18]Selon le juge Binnie, la jurisprudence et la doctrine définissent ainsi le privilège parlementaire : « [d]ans le contexte canadien, [il s’agit de] la somme des privilèges, immunités et pouvoirs dont jouissent le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions » (paragraphe 29, no 2) [soulignement ajouté]. C’est à ceux qui allèguent le privilège qu’il appartient d’établir que « l’existence et l’étendue du privilège qu’ils invoquent n’excèdent pas celles des privilèges qui étaient “lors de la passation de [la Loi sur le Parlement du Canada] possédés et exercés par la Chambre des communes du Parlement du Royaume‑Uni [. . .] et par les membres de cette Chambre” » (paragraphe 53). Voir aussi le paragraphe 38 des motifs du juge Binnie, où il se réfère à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985, appendice II, no 5]] comme fondement des propos qu’il tient au paragraphe 53 de ses motifs.

[19]Pour décider ce point, le juge Binnie expose un critère en deux étapes. Au paragraphe 39 de ses motifs, il écrit ce qui suit : « les tribunaux canadiens doivent, dans un premier temps, vérifier si l’existence et l’étendue du privilège revendiqué ont été établies péremptoirement en ce qui concerne notre propre Parlement ou la Chambre des communes de Westminster », et, pour répondre à cette question, il se réfère aux textes faisant autorité à la fois au Canada et au Royaume‑Uni, en s’en rapportant à la jurisprudence, aux documents historiques, aux rapports de comités et aux écrits spécialisés portant sur l’existence et l’étendue du privilège parlementaire. À l’appendice B des présents motifs, sont reproduites les dispositions applicables de la [Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1] (la LPC).

[20]Au paragraphe 40 de ses motifs, le juge Binnie décrit ainsi la seconde étape : « lorsqu’un tribunal canadien est appelé à statuer sur la revendication d’un privilège visant à immuniser les parlementaires contre les conséquences juridiques ordinaires de l’exercice de pouvoirs relativement à des non‑parlementaires et que la validité et l’étendue de ce privilège n’ont pas été établies péremptoirement à l’égard de la Chambre des communes du Royaume‑Uni et de ses membres, nos tribunaux doivent déterminer—à l’instar des tribunaux britanniques dans des circonstances équivalentes—si la revendication satisfait au critère de nécessité qui sert d’assise à tout privilège parlementaire » [soulignement ajouté], puis il ajoute : « Sur ce plan, les tribunaux feront certes preuve d’une grande retenue quant au degré d’autonomie dont notre propre Parlement estime devoir bénéficier pour s’acquitter de ses fonctions ». Puis il fait la mise en garde suivante : « si, comme en l’espèce, un différend oppose la Chambre et une personne qui lui est étrangère, il revient aux tribunaux de déterminer si l’étendue de la catégorie reconnue est celle qu’on prétend lui attribuer », soulignant ensuite que « [c]ette détermination [. . .] touche l’existence et l’étendue de la compétence de la Chambre, et non l’opportunité [. . .] dans un cas particulier ». (Non souligné dans l’original.) [Italiques dans l’original.]

[21]Il réaffirme, au paragraphe 41 de ses motifs, que le privilège parlementaire se définit « en fonction du degré d’autonomie requis pour que le Parlement soit en mesure de s’acquitter de ses fonctions constitution-nelles » [soulignement ajouté], reprenant la définition donnée par sir Erskine May [Erskine May’s Treatise on The Law Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd. par William McKay, éd. Londres: LexisNexis R.-U., 2004, page 75] , ou évoquant la définition donnée par Maingot [Le privilège parlemen-taire au Canada, 2e éd. Montréal : Presses universitaires McGill-Queen’s, 1997, à la page 12], c’est‑à‑dire l’indispensable immunité conférée aux membres du Parlement ou des législatures provinciales « pour leur permettre d’effectuer leur travail législatif » [souligné par le juge Binnie]. Puis, en réponse à la question « indispensable à quel égard? » [soulignement ajouté], il écrit : « il faut par conséquent répondre qu’il s’agit de l’immunité qui est indispensable pour protéger les législateurs dans l’exécution de leurs fonctions législatives et délibératives et de la tâche de l’assemblée législative de demander des comptes au gouvernement relativement à la conduite des affaires du pays ». (Non souligné dans l’original.)

[22]Au paragraphe 44, il exprime l’avis que « [l]a nature téléologique du lien entre la fonction législative et la nécessité » [soulignement ajouté] est indispensable, en citant un extrait du rapport du comité mixte britannique sur le privilège parlementaire [Report and Proceedings of the Committee, Londres : H.M.S.O., 1999, au paragraphe 247] :

[traduction] La ligne de démarcation entre les activités privilégiées et les activités non privilégiées de chaque Chambre n’est pas facile à tracer. La meilleure façon de déterminer où elle se situe consiste peut‑être à dire que les questions à l’égard desquelles les cours de justice ne devraient pas intervenir s’étendent au‑delà des travaux du Parlement, mais que les questions privilégiées doivent être si étroitement et si directement liées aux travaux du Parlement que l’intervention des cours de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement en sa qualité d’assemblée législative et délibérante. [C’est le juge Binnie qui souligne.]

[23]Le juge Binnie conclut ses motifs ainsi, au paragraphe 46 :

Toutes ces sources mènent à la même conclusion. Pour justifier la revendication d’un privilège parlementaire, l’assemblée ou le membre qui cherchent à bénéficier de l’immunité qu’il confère doivent démontrer que la sphère d’activité à l’égard de laquelle le privilège est revendiqué est si étroitement et directement liée à l’exercice, par l’assemblée ou son membre, de leurs fonctions d’assemblée législative et délibérante, y compris leur tâche de demander des comptes au gouvernement, qu’une intervention externe saperait l’autonomie dont l’assemblée ou son membre ont besoin pour accomplir leur travail dignement et efficacement. [Non souligné dans l’original.]

[24]J’ajouterais à l’analyse du juge Binnie que, à mon avis, son propos est important parce qu’il semble reconnaître que l’on puisse franchir, jusqu’à un certain point, la traditionnelle « enceinte du Parlement ».

2. La décision du Tribunal

[25]Le Tribunal a rejeté les conclusions du demandeur, appuyées par le président, selon lesquelles :

1. Le Bureau de régie interne de la Chambre des communes (le Bureau) avait compétence exclusive pour statuer sur les plaintes, en vertu des articles 50 et suivants de la LPC;

2. Le demandeur jouissait d’une immunité parlementaire qui empêchait le Tribunal d’enquêter et de statuer sur les plaintes;

3. La LCDP ne s’appliquait pas au demandeur;

4. Le principe de la séparation des pouvoirs, c’est‑à‑dire entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, empêchait par ailleurs le Tribunal, élément du pouvoir exécutif, d’exercer sa compétence en enquêtant et en statuant sur les plaintes.

[26]J’examinerai séparément chacune des conclu-sions du Tribunal.

a) La compétence exclusive du Bureau

[27]Ce premier point, à savoir la compétence exclusive du Bureau de régie interne de la Chambre des communes (le Bureau), a été soulevé dans le contexte du bon emploi des ressources de la Chambre. On a fait valoir que le Bureau a le pouvoir exclusif de superviser les bulletins parlementaires, y compris leur contenu.

[28]Le Tribunal a sur ce point tiré les conclusions de fait suivantes [au paragraphe 5] :

Les bulletins parlementaires sont imprimés avec les ressources de la Chambre des communes. Les bulletins parlementaires sont financés par le Bureau de la régie interne de la Chambre des communes. Le bureau est constitué suivant les articles 50 et suivants de la Loi sur le Parlement du Canada (LPC). Les membres du bureau incluent des députés du parti gouvernemental et des députés de l’opposition. La présidence du bureau est assumée par le président de la Chambre. Le bureau est chargé des questions financières et administratives intéressant la Chambre des communes, ses locaux, ses services et son personnel de même que les députés.

[29]L’appendice B des présents motifs reprend, je le rappelle, certaines dispositions de la LPC. Celles qui concernent le Bureau se trouvent aux articles 50 à 54. Certains règlements administratifs pris par le Bureau sont reproduits à l’appendice C, et les portions du Manuel des allocations et services aux députés qui concernent les bulletins parlementaires se trouvent à l’appendice D.

[30]Le Tribunal a conclu que le Bureau n’avait pas compétence exclusive pour statuer sur les plaintes portant sur le contenu des bulletins parlementaires, eu égard aux dispositions du paragraphe 52.6(1) [édicté par L.C. 1991, ch. 20, art. 2] de la LPC, ainsi formulé :

52.6 (1) Le bureau a compétence exclusive pour statuer, compte tenu de la nature de leurs fonctions, sur la régularité de l’utilisation—passée, présente ou prévue—par les députés de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires, et notamment sur la régularité de pareille utilisation au regard de l’esprit et de l’objet des règlements administratifs pris aux termes du paragraphe 52.5(1). [Non souligné dans l’original.]

[31]La question de savoir si l’envoi de bulletins parlementaires constituait une fonction parlementaire au sens du Règlement administratif 101 du Bureau ne se posait pas pour le Tribunal puisque, selon lui, ce règlement ne permettait pas de conclure à une compétence exclusive. En effet, dans l’arrêt Vaid, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que la LCDP est un texte quasi constitutionnel et que toute exception à son application doit être clairement énoncée. Le Tribunal n’a pu trouver aucune exception du genre, et cela pour les motifs suivants.

[32]D’abord, le paragraphe 52.6 (1) de la LPC ne dit nulle part que la LCDP n’est pas applicable, et il n’exclut pas non plus la compétence du Tribunal.

[33]Deuxièmement, le Tribunal [au paragraphe 11] a examiné le sens donné par les dictionnaires pour le mot « régularité » (« proper » dans la version anglaise). Selon lui, le mot « régularité » est plus étroitement rattaché à la notion de régularité administrative, et il a retenu ce sens parce qu’« une telle interprétation est compatible avec la directive donnée dans le paragraphe 52.6(1) [de la LPC] selon laquelle le bureau devrait, lorsqu’il statue sur la régularité de l’utilisation des ressources de la Chambre, tenir compte de “l’esprit et de l’objet des règlements administratifs pris aux termes du paragraphe 52.5(1)” [de la LPC] ».

[34]Troisièmement, le Tribunal a estimé que l’im-pression des bulletins parlementaires était expressément considérée dans le Règlement administratif 301 concer-nant les bureaux des députés. Il a conclu ainsi [au paragraphe 11] :

Il est évident à la lecture du règlement que son intention et son objet sont de régir l’administration des ressources de la Chambre (par exemple l’achat de matériel de bureau, des imprimés et fournitures, la location de locaux, la rémunération du personnel, etc.). Le règlement ne contient pas de dispositions se rapportant aux principes en matière de droits de la personne ni, d’ailleurs, à ce qui constitue un comportement « décent » ou « respectable », pour utiliser la définition de « proper » avancée par l’intimé [le Dr Pankiw] ».

[35]Le Tribunal a été conforté dans sa position par un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Ontario c. Bernier, [1994] A.O. n° 647 (QL), et par un arrêt de la Cour d’appel du Québec, R. c. Fontaine, [1995] A.Q. n° 295 (QL). Il s’est exprimé ainsi [au paragraphe 12] : « Dans les deux affaires, il y avait en litige la question de savoir si le paragraphe 52.6(1) enlevait aux cours la compétence d’entendre une affaire se rapportant aux accusations selon lesquelles un député avait utilisé les fonds qui lui étaient alloués par le bureau d’une manière qui contrevenait au Code criminel » [soulignement ajouté]. Il a conclu que les deux cours avaient jugé que le paragraphe 52.6(1) n’enlevait pas cette compétence et qu’elles avaient statué que ce paragraphe [au paragraphe 11] « n’accorde au bureau que la compétence de décider si un député de la Chambre des communes a utilisé ces ressources d’une manière compatible avec le règlement » [soulignement ajouté]. Le Tribunal a ajouté [au paragraphe 11] : « Il est significatif que le terme “by‑laws” du texte anglais des paragraphes 52.5 et 52.6 soit rendu par “règlements administratifs” dans la version française. » [Non souligné dans l’original.]

[36]Le Tribunal a conclu cette question par les propos suivants [au paragraphe 13] :

Comme Mme la juge Arbour a déclaré au paragraphe 4 de l’arrêt Bernier, le législateur a établi le bureau pour gérer de façon exclusive le fonctionnement interne de la Chambre des communes. En faisant cela, le législateur n’a pas exprimé une intention d’enlever aux cours leur compétence pour appliquer le Code criminel aux députés. À notre avis, la même conclusion peut être tirée à l’égard de la compétence du Tribunal d’établir si la LCDP a fait l’objet d’une violation. Le législateur n’a pas montré une intention d’exclure les députés, et en particulier leurs bulletins parlementaires, de l’application de la LCDP. [Non souligné dans l’original.]

b) Le privilège ou immunité parlementaire

[37]Sur ce point, le Tribunal a estimé que l’étendue du privilège parlementaire n’englobait pas l’envoi de bulletins parlementaires par les députés à leurs commettants. Il a expliqué ainsi sa position [au paragraphes 14 et 15] :

Il ne nous semble pas non plus que la LPC, notamment l’article 52.6, étend la portée de tout privilège ou de toute immunité dont les députés peuvent bénéficier. Le privilège parlementaire fournit aux députés une immunité absolue contre les poursuites civiles ou criminelles lorsqu’ils parlent à la Chambre des communes ou participent aux travaux du Parlement (voir J.P.J. Maingot, Parliamentary Privilege in Canada, 2e éd.). L’étendue et la portée du privilège parlementaire revendiqué ont varié au fil des ans. Mais comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’arrêt Vaid (au paragraphe 23), une conception plus étroite s’est développée plus récemment. La Cour a renvoyé à une décision de 1971 rendue par le président de la Chambre qui a déclaré que le privilège parlementaire « ne va pas beaucoup au‑delà du droit de libre parole à la Chambre et du droit d’un député de s’acquitter de ses fonctions à la Chambre en tant que représentant aux Communes ».

L’intimé [M. Pankiw] reconnaît que l’immunité liée au privilège parlementaire ne s’étend pas aux déclarations ou aux publications faites par les députés à l’extérieur de la Chambre ou en dehors des travaux parlementaires. Par conséquent, les membres des législatures ne sont pas immunisés contre les poursuites pénales pour les déclarations faites à la presse à l’extérieur des Chambres du Parlement (voir Re : Ouellet n° 1 et n° 2, [1976] C.A. 788) ni contre la responsabilité dans le contexte d’actions en diffamation pour des réponses données à un journaliste à l’extérieur d’une assemblée législative (voir Ward c. Clark, 2000 BCSC 979). Il en résulte qu’il n’y a pas d’immunité à l’égard de l’application de la LCDP. [Non souligné dans l’original.]

c) La LCDP s’applique‑t‑elle à un député?

[38]Le Dr Pankiw a fait valoir devant le Tribunal que le régime exposé dans la LCDP ne s’applique pas à lui parce qu’il ne présente pas l’élément « fédéral » requis qui pourrait l’assujettir au régime fédéral des droits de la personne. Il ne participe pas à une entreprise fédérale, ni ne fait partie de la Couronne fédérale ou du gouvernement du Canada, affirmant que [au paragraphe 16] « le seul facteur qui le lie à la sphère d’activités fédérale est le fait que lorsqu’il communique avec les électeurs de sa circonscription au moyen d’un bulletin parlementaire, il exécute ses fonctions parlementaires en tant que député de la Chambre des communes ». Selon le Tribunal, l’argument du Dr Pankiw s’appuyait sur son allégation selon laquelle, l’unique texte auquel est soumis un député de la Chambre des communes est la LPC.

[39]Le Tribunal a rejeté cet argument dans les termes suivants [aux paragraphes 17 et 18] :

L’objet et la portée de la LCDP sont bien exprimés à l’article 2 et ne sont pas aussi limités que l’intimé le donne à entendre dans ses prétentions. La disposition énonce que l’objet de la LCDP est de donner effet, « dans le champ de compétence du Parlement du Canada », au principe d’égalité des chances qui y est décrit.

À notre avis, le langage de la LCDP est suffisamment large pour englober également les déclarations faites par des députés dans les bulletins parlementaires publiés et payés par la Chambre des communes, en vertu d’une loi du Parlement, la LPC. Étant donné que le Parlement a promulgué ce cadre législatif, qui en fin de compte régit les bulletins parlemen-taires, il est clair que la publication et le contenu des bulletins parlementaires doivent nécessairement faire partie du champ de compétence du Parlement du Canada. [Non souligné dans l’original.]

d) Le principe de la séparation des pouvoirs

[40]L’ultime argument avancé par le Dr Pankiw pour se soustraire à l’application de la LCDP concerne le principe de la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il dit qu’on porterait atteinte à ce principe ou le réduirait à néant si un tribunal administratif tel que le Tribunal, lequel, dit‑il, ne peut être constitutionnellement distingué du pouvoir exécutif, était autorisé à enquêter et à statuer sur la teneur des communications d’un parlementaire avec ses commettants.

[41]Selon le Tribunal, l’argument du Dr Pankiw sur ce point est inspiré par un arrêt de la Cour suprême du Canada, Reference re Alberta Bills: The Bank Taxation Act, The Credit of Alberta Regulation Act, The Accurate News and Information Act, [1938] R.C.S. 100, où l’on peut lire [à la page 133] à propos du mode de fonctionnement du Parlement. Le Parlement fonctionne sous le feu de l’opinion publique et du débat public. Ce qui rend l’institution efficace, c’est la libre discussion des affaires publiques et « l’analyse la plus libre et la plus complète » possible de chacun des angles des propositions politiques.

[42]D’après le Tribunal, le Dr Pankiw prétendait [au paragraphe 20] « que l’expression d’un point de vue par un député de la Chambre des communes est un discours politique et que seulement les électeurs devraient en faire l’examen au moyen du processus démocratique ».

[43]Selon le Tribunal, le fond de l’argument du Dr Pankiw est [au paragraphe 20] qu’« [a]ucun tiers, en particulier un représentant du pouvoir exécutif d’un État, ne devrait pouvoir s’ingérer dans ce débat et cet échange d’idées libres et sans entraves au sein d’une législa-ture ». Le Dr Pankiw prétendait, de dire le Tribunal [au paragraphe 21], « que le gouvernement ne devrait avoir aucune voix ou aucun contrôle à l’égard de la liberté d’expression d’un député de la Chambre, en particulier d’un député de l’opposition », et que [au paragraphe 21] « [l]e fait de permettre que le contenu de bulletins parlementaires et d’autres formes de discours politiques des députés soit examiné limiterait la capacité de ces derniers d’exprimer à fond leurs opinions. Cela aurait ensuite un effet paralysant sur le débat libre et public de diverses opinions. Cela aurait également comme conséquence de priver les électeurs du véritable point de vue du député en empêchant l’accès à tous les renseignements francs requis pour prendre une décision totalement éclairée ».

[44]Le Tribunal, pour diverses raisons, n’a pas retenu les arguments du demandeur.

[45]D’abord [au paragraphe 24], il s’est référé à l’arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, où la Cour suprême du Canada disait que le Tribunal canadien des droits de la personne jouit « d’un degré élevé d’indépendance par rapport à l’exécutif ». Puis le Tribunal concluait ainsi : « À notre avis, compte tenu de cette conclusion de la Cour suprême, le fait de traiter le Tribunal comme une branche “du gouvernement” aux fins de la présente affaire est hautement discutable ».

[46]Deuxièmement, le Tribunal [au paragraphe 25] a fait siens les propos du juge Binnie, au paragraphe 21 de l’arrêt Vaid, précité, selon lesquels chacun des pouvoirs de l’État (le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire) « se voit garantir une certaine autonomie par rapport aux autres ». La Cour suprême ajoute ce qui suit : « Le privilège parlementaire constitue donc l’un des moyens qui permettent d’assurer le respect du principe fondamental de la séparation constitutionnelle des pouvoirs ». (Non souligné dans l’original.)

[47]Le Tribunal a également cité [au paragraphe 25] les propos tenus par le juge Binnie au paragraphe 20 de l’arrêt Vaid :

Aucune [des parties au présent pourvoi] ne doute non plus de la nécessité que la Chambre des communes puisse exercer ses activités législatives libre de toute ingérence de la part d’organismes ou d’institutions externes, y compris les tribunaux. Il serait inacceptable, par exemple, qu’un membre de la Chambre des communes à qui le président n’aurait pas accordé la parole pendant la période des questions puisse se prévaloir des pouvoirs d’enquête de la Commission canadienne des droits de la personne pour se plaindre que le choix du président de la Chambre de permettre à un autre de ses membres de s’exprimer constitue un acte discriminatoire fondé sur l’un des motifs illicites énumérés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou encore qu’il puisse demander aux tribunaux ordinaires de déclarer que la décision du président est contraire à la Charte parce qu’elle a porté atteinte à sa liberté d’expression. Il s’agit là de véritables questions « internes relevant de la Chambre » que celle‑ci doit régler suivant sa propre procédure. [Non souligné dans l’original.]

[48]Le reste des propos que tient le juge Binnie dans ce paragraphe et que le Tribunal a omis de citer est le suivant :

Indépendamment de la possibilité d’ingérence externe dans les affaires de la Chambre, une telle intervention de l’extérieur créerait inévitablement des délais, des perturbations et des incertitudes, et elle entraînerait des frais, paralysant les affaires de la nation. Pour cette seule raison, elle serait inacceptable même si, en définitive, les décisions du président de la Chambre étaient jugées appropriées et validées. [Non souligné dans l’original.]

[49]Le Tribunal [au paragraphe 28] a interprété ainsi le sens des propos du juge Binnie :

Il n’y a pas de doute que des déclarations faites par un membre de la Chambre des communes constituent une fonction législative inhérente qui fait l’objet de l’immunité liée au privilège parlementaire. Aucune autorité extérieure ne peut non plus s’ingérer dans cette activité. Mais comme nous l’avons déjà déclaré, le privilège parlementaire ne se rapporte pas aux déclarations contenues dans les bulletins parlementaires qui sont distribués aux électeurs. À notre avis, cette situation n’est pas analogue à l’exemple donné par la Cour suprême dans l’arrêt Vaid [. . .] [Non souligné dans l’original.]

[50]Troisièmement, de l’avis du Tribunal, la situation dont il était saisi n’était pas non plus analogue aux faits dont avait été saisie la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Taylor c. Canada (Procureur général), [2000] 3 C.F. 298. Dans cette affaire, une plainte de violation des droits de la personne avait été déposée en vertu de la LCDP à l’encontre d’un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale). Dans l’affaire Taylor, le juge avait prétendument ordonné au plaignant, qui avait pris place dans sa salle d’audience, d’enlever un couvre‑chef que sa foi religieuse lui dictait de porter. De l’avis du Tribunal, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Taylor, précité, que [au paragraphe 26]« le principe de l’immunité judiciaire s’applique afin d’empêcher que des procédures contre des juges soient engagées devant la Commission et en fin de compte devant le Tribunal » [soulignement ajouté]. Puis le Tribunal écrivait que « [l]e principe de l’immunité judiciaire existe pour garantir que les juges exécutent leurs fonctions en toute indépendance et sans crainte ». [Soulignement ajouté.]

[51]Le Tribunal s’est référé à l’argument du demandeur selon lequel, tout comme doit être protégé le principe de l’indépendance de la justice, celui de l’indépendance du pouvoir législatif doit l’être également. Le Tribunal [au paragraphe 27] a écarté l’application de l’arrêt Taylor pour son contexte factuel, faisant observer que, selon la Cour d’appel fédérale, « la Cour avait un pouvoir inhérent de rendre des ordonnances pour assurer l’ordre et le décorum dans les salles d’audience au cours des débats » [soulignement ajouté], et que « [l]e juge s’était livré à un acte purement judiciaire pour lequel il existe une immunité judiciaire ». (Non souligné dans l’original.)

[52]Quatrièmement, le Tribunal a fait la distinction entre l’affaire dont il était saisi et l’affaire Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595, jugée par la Cour d’appel de l’Ontario.

[53]Dans cette affaire, une plainte de violation des droits de la personne avait été déposée auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, plainte dans laquelle le plaignant affirmait que la récitation quotidienne du Notre Père par le président de l’Assemblée législative de l’Ontario contrevenait au Code des droits de la personne [L.R.O. 1990, ch. H.19] de l’Ontario. De l’avis du Tribunal concernant cette affaire [au paragraphe 29], « [l]a question à trancher par la Cour était celle de savoir si la récitation quotidienne du Notre Père était une question se rapportant de façon inhérente à la conduite des travaux à l’Assemblée législative. La Cour a conclu que c’était le cas et que le Code ne s’appliquait par conséquent pas en raison de l’immunité parlementaire. »

[54]Le Tribunal a conclu sa décision sur ce point par les propos suivants [au paragraphe 30] :

Finalement, nous notons en outre que bien que la Cour suprême, dans l’arrêt Re : Alberta Legislation, ait mis l’accent sur l’importance dans notre démocratie de maintenir le droit à l’opinion publique et le droit à la libre discussion, ces droits ne sont pas absolus. La Cour a reconnu que ces valeurs font l’objet de limites légales, comme les dispositions du Code criminel et la common law. La Charte et la LCDP imposent également des limites légales à l’opinion publique et à la libre discussion. [Non souligné dans l’original.]

3. Analyse

a) La norme de contrôle

[55]En l’espèce, la norme de contrôle applicable aux conclusions du Tribunal est la décision correcte. C’est la norme qui fut adoptée par ma collègue la juge Tremblay‑Lamer dans le jugement Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2002] 2 C.F. 583 (1re inst.), lorsqu’elle avait examiné la décision du Tribunal par laquelle il s’était déclaré compétent à l’égard de la Chambre des communes et de l’ancien président, et compétent aussi à l’égard du demandeur.

[56]Pour arriver à cette conclusion sur la norme de contrôle à appliquer, la juge Tremblay‑Lamer s’est fondée sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. La Cour suprême avait jugé dans cet arrêt que les cours de justice n’ont pas à montrer de retenue envers les conclusions de droit dans lesquelles le Tribunal ne peut revendiquer aucune spécialisation particulière. La juge Tremblay‑Lamer s’est également fondée sur l’arrêt susmentionné de la Cour d’appel de l’Ontario, Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission), où le juge Finlayson [au paragraphe 51] avait estimé qu’il n’était astreint à aucune retenue [traduction] « sur une question aussi fondamentale que la décision de la Commission de se déclarer compétente à l’égard des activités du président de l’Assemblée législative ».

b) Observations juridiques préliminaires

[57]Eu égard aux motifs exposés par le juge Binnie dans l’arrêt Vaid, précité, les observations préliminaires suivantes constituent, selon moi, le cadre juridique devant présider à l’analyse de la présente affaire.

[58]D’abord, au paragraphe 29, no 1, il écrit ce qui suit : « Les organismes législatifs créés par la Loi constitutionnelle de 1867 ne constituent pas des enclaves à l’abri de l’application du droit commun du pays ». Il cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, aux pages 370 et 371 : « [l]a tradition de retenue judiciaire ne s’applique pas à tous les actes susceptibles d’être accomplis par une assemblée législative, mais se rattache fermement à certaines de ses activités spécifiques, c’est‑à‑dire à ce qu’on appelle les privilèges de ces organismes » [non souligné dans l’original]. Il cite aussi le rapport du comité mixte du Royaume‑Uni sur le privilège parlementaire [Report and Proceedings of the Committee, au paragraphe 242], pour qui [l]e « privilège [traduction] “n’englobe pas ni ne protège les activités des individus, qu’ils soient ou non membres de la Chambre, du seul fait qu’elles sont exercées dans l’enceinte parlementaire” ». (Non souligné dans l’original.) [Italique dans l’original.]

[59]Deuxièmement, au paragraphe 29, no 3, il écrit ce qui suit : « Le privilège parlementaire ne crée pas un hiatus dans le droit public général du Canada; il en est plutôt une composante importante, héritée du Parlement du Royaume‑Uni en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et, dans le cas du Parlement du Canada, en vertu de l’article 18 de cette même loi ».

[60]Troisièmement, au paragraphe 33, il fait la distinction entre les privilèges inhérents et les privilèges établis par voie législative, faisant observer ce qui suit : « Toutefois, contrairement aux provinces, le Parlement fédéral s’est vu confér[er], en termes exprès, le pouvoir d’établir des privilèges plus vastes que les privilèges “inhérents” à la création du Sénat et de la Chambre des communes, mais de tels privilèges établis par voie législative ne doivent pas “excéder” les privilèges “possédés et exercés” par la Chambre des communes du Royaume‑Uni et par ses membres au moment de la passation de la loi ». [Non souligné dans l’original.] Il cite ensuite l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, puis, au paragraphe suivant, il écrit ce qui suit : « C’est la nature de la fonction exercée (selon le modèle de démocratie parlementaire du Parlement de Westminster) et non l’origine de la règle juridique (selon qu’il s’agit d’un privilège inhérent ou d’un privilège établi par voie législative) qui confère l’immunité contre les examens externes découlant de la doctrine du privilège parlementaire » [soulignement ajouté], puis il conclut ainsi : « le privilège parlementaire a le même statut et le même poids constitutionnels que la Charte elle‑même ». (Non souligné dans l’original.) [Italiques dans l’original.]

[61]Quatrièmement, il s’est ensuite référé à l’article 4 de la LPC, affirmant au paragraphe 35 que « [l]e Parlement a accordé au Sénat et à la Chambre des communes tous les privilèges autorisés par la Constitution. Toutefois, ce faisant, notre Parlement n’a ni énuméré ni décrit les catégories de privilège ou l’étendue de ces privilèges, sauf par renvoi général aux privilèges que “possédaient” la Chambre des communes du Royaume‑Uni ». (Non souligné dans l’original.)

[62]Cinquièmement, il écrit ce qui suit, au paragraphe 36 : « Par conséquent, les privilèges de notre Parlement sont principalement constitués de privilèges “établis par voie législative” et, selon l’art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, ils seront reconnus en fonction des lois et coutumes de la Chambre des communes du Royaume‑Uni, qui comportent elles‑ mêmes à la fois des privilèges établis par voie législative (dont le Bill of Rights de 1689) et des privilèges inhérents ».

[63]Sixièmement, au paragraphe 29, no10, il écrit que les catégories ou sphères d’activité auxquelles se rapportent le privilège parlementaire « sont notamment la liberté de parole [. . .] le contrôle qu’exercent les Chambres du Parlement sur les [traduction] “débats ou travaux du Parlement” [. . .], le pouvoir disciplinaire du Parlement à l’endroit de ses membres [. . .] et des non‑membres qui s’ingèrent dans l’exercice des fonc-tions du Parlement » [soulignement ajouté], ajoutant que « [h]istorique-ment, ces catégories générales sont considérées justifiées par les exigences du travail parlementaire ». (Non souligné dans l’original.)

[64]Septièmement, il écrivait ce qui suit, au paragraphe 29.11 : « Le rôle des tribunaux consiste à s’assurer que la revendication d’un privilège ne permet pas au Parlement, à ses représentants ou à ses employés de se soustraire au régime de droit commun en ce qui a trait aux conséquences de leurs actes lorsque leur conduite outrepasse la portée nécessaire de la catégorie de privilège en cause » [soulignement ajouté], pour conclure ainsi, au paragraphe 29.12 : « Les tribunaux peuvent examiner de plus près les affaires dans lesquel-les la revendication d’un privilège a des répercussions sur des personnes qui ne sont pas membres de l’assemblée législative en cause, que celles qui portent sur des questions purement internes ». (Non souligné dans l’original.)

[65]Huitièmement, s’exprimant davantage sur le processus analytique en deux étapes, le juge Binnie écrit qu’il faut d’abord se demander si l’existence et l’étendue du privilège allégué « sont établies péremptoirement (par un précédent anglais ou canadien) » [soulignement ajouté] et, dans l’affirmative, « ce privilège devrait être reconnu par les tribunaux canadiens sans qu’il soit nécessaire d’en apprécier la nécessité. Ce résultat contraste avec la situation des provinces car, sans fonde-ment analogue à l’art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, les privilèges que celles‑ci établissent par voie législative devraient vraisemblablement satisfaire au critère de nécessité » (voir l’arrêt Vaid, précité, au paragraphe 37). (Non souligné dans l’original.)

[66]Neuvièmement, au paragraphe 38, le juge Binnie écrit ce qui suit : « Toutefois, bien que l’art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoie que les privilèges du Parlement canadien et de ses membres ne doivent pas “excéder” les privilèges existant en Grande‑Bretagne, nos Parlements respectifs ne sont pas pour autant privés de toute latitude. Ainsi, il semble probable qu’il puisse exister des “différences”, c’est‑à‑dire des pratiques parlementaires inhérentes au système canadien ou édictées au regard de notre propre expérience. Ces pratiques seraient assujetties au critère de “nécessité” défini en fonction des exigences et circonstances propres à notre Parlement. La Cour examinera cette question en temps et lieu si elle lui est soumise un jour ».

c) Analyse et conclusions

i) Le privilège parlementaire applicable aux publica-tions dont l’auteur est un député

[67]Pour statuer sur ce point, je procéderai à l’analyse requise. La première étape consiste à savoir si le demandeur, appuyé par le président, a signalé des précédents britanniques ou canadiens établissant péremptoirement l’existence d’un privilège parlemen-taire qui confère à un membre du Parlement l’immunité absolue contre tout examen externe (par les cours de justice, les tribunaux administratifs ou la Couronne) portant sur le contenu et la distribution des bulletins parlementaires adressés par un député à ses commettants.

[68]Je redis ici à quel point est difficile la situation dans laquelle les tenants de cette immunité ont placé la Cour en ne versant pas dans le dossier le bulletin parlementaire contesté ou tout autre bulletin conçu et distribué par le Dr Pankiw.

[69]À mon avis, les tenants de l’immunité n’ont pas prouvé l’existence d’un tel privilège parlementaire.

Les précédents britanniques

[70]Le demandeur et le président invoquent deux précédents d’origine britannique : Davison v. Duncan (1857), 119 E.R. 1233 (Q.B.), à la page 1234, et Wason v. Walter and Others, [1861‑73] All E.R. Rep. 105 (Q.B.), à la page 114.

[71]À mon avis, ces deux précédents n’établissent pas péremptoirement l’existence d’un privilège parlementaire pour les publications conçues par un député et distribuées par lui à ses commettants. La décision Davison est le principal précédent. Dans cette affaire, le demandeur avait introduit une procédure en diffamation à la suite d’un article, paru dans un journal, qui faisait le compte rendu d’une réunion d’une commission d’assainissement et qui rapportait des propos désobligeants tenus par certains commissaires.

[72]Les juges qui avaient instruit l’affaire avaient fait quelques observations sur le privilège dont jouissait un député dans l’envoi à ses commettants d’un discours qu’il avait prononcé au Parlement. Il s’agissait là d’observations incidentes et, par ailleurs, le privilège mentionné n’était pas une immunité absolue contre un examen externe fait par les cours de justice ou les tribunaux administratifs, mais un privilège conditionnel issu des règles juridiques régissant les procédures en diffamation. Selon Joseph Maingot, ce précédent ne permet pas de conclure à l’existence d’un privilège parlementaire se rapportant à l’envoi de bulletins parlementaires par un député à ses commettants (voir ses observations à la page 47 de son ouvrage, sous la rubrique « Publications destinées à informer les commettants d’un député »). J’ajouterais que, dans la 23e édition (2004) de l’ouvrage Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, il n’est pas fait mention du précédent Davison.

[73]La décision Wason v. Walter, précitée, se rapproche davantage de la présente affaire. Il s’agissait d’une procédure en diffamation introduite par un justiciable ordinaire qui prétendait avoir été calomnié dans un discours prononcé à la Chambre des communes par un député, discours qui avait été objectivement et fidèlement publié dans le Times. Le juge en chef de la Division du Banc de la Reine avait mis en relief l’importance des communications échangées entre un député et ses électeurs, qui selon lui jetaient les bases d’une défense de privilège conditionnel dans une action en diffamation. Plus exactement, le juge en chef approuvait ce qui avait été dit dans le jugement Davison v. Duncan. Le précédent Wason v. Walter n’intéresse pas lui non plus la question du privilège absolu dans le contexte parlementaire.

[74]Le rapport du comité mixte du Parlement du Royaume‑Uni sur le privilège parlementaire ne permet pas de conclure à l’existence d’une immunité parlementaire pour la correspondance échangée entre un député et ses commettants, et cela pour deux raisons : cette correspondance ne se rapporte pas aux « travaux du Parlement », et la protection exceptionnelle conférée par une immunité parlementaire devrait rester confinée aux activités essentielles du Parlement, sauf s’il existe un besoin urgent d’élargir cette protection. Le comité mixte était d’avis qu’il n’existait pas, du moins à l’époque, une preuve suffisante de difficultés propres à justifier un accroissement aussi considérable de la somme des documents parlementaires protégés par un privilège absolu (voir le rapport du comité mixte, chapitre 2, paragraphes 103 à 112).

[75]Je ferais une autre remarque. Nous n’avons pas ici affaire à un discours, mais à un écrit dont l’auteur est un membre de la Chambre des communes, qui a été publié par ce membre avec l’autorisation de la Chambre, et qui a été imprimé et distribué gratuitement aux électeurs sur les deniers publics. Le problème est selon moi assimilable à celui dont fut saisie la Haute Cour du Royaume‑Uni dans un précédent qui a fait école, Stockdale v. Hansard (1839), 112 E.R. 1112 (Q.B.), aux pages 185 à 187. Dans cette affaire, la Haute Cour n’a vu aucun privilège parlementaire dans une résolution de la Chambre des communes du Royaume‑Uni ordonnant l’impression d’un rapport sur les prisons qui avait été déposé sur le bureau de la Chambre et dont le demandeur Stockdale disait qu’il était diffamatoire. La Haute Cour a jugé qu’aucun privi-lège parlementaire n’était nécessaire pour la publication de tels rapports à l’extérieur du Parlement. Ce précédent fut désavoué par une loi du Parlement du Royaume‑Uni, la Parliamentary Papers Act, 1840 [R.-U., 3 & 4 Vict., ch. 9], qui dispose plus généralement que toute procé-dure, pénale ou civile, introduite contre une personne pour la publication de documents sur ordre de l’une ou l’autre des Chambres du Parlement sera immédiatement suspendue dès la production d’un certificat, attesté par affidavit, selon lequel ladite publication a été faite sur ordre ou avec l’autorisation de l’une ou l’autre des Chambres du Parlement (voir Erskine May, à la page 100). La LPC même renferme un privilège semblable, en son article 7.

Les précédents canadiens

[76]Pour ce qui concerne l’examen des précédents canadiens, l’avocat des tenants de l’immunité n’a pu citer aucun précédent tout à fait pertinent susceptible d’établir péremptoirement l’existence d’une protection absolue contre l’examen, judiciaire ou administratif, de remarques censément désobligeantes figurant dans un bulletin parlementaire distribué par un député fédéral.

[77]L’avocat invoque, par analogie, l’arrêt Roman Corporation Ltd. et autre c. Hudson’s Bay Oil & Gas Co. Ltd. et autres, [1973] R.C.S. 820, qui confirmait un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, publié : [1972] 1 O.R. 444, lequel confirmait le jugement de première instance du juge Houlden, publié : [1971] 2 O.R. 418 (H.C.J.). La société Roman Corp. avait poursuivi le premier ministre du Canada et le ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources, qu’elle accusait d’incita-tion à rupture de contrat, de complot en vue de causer un préjudice, d’intimidation et d’ingérence illicite dans des intérêts économiques. Les accusations étaient fondées sur des déclarations faites à la Chambre des communes par le premier ministre et le ministre de l’Énergie, et reproduites mot pour mot dans un télégramme envoyé par le premier ministre à la demanderesse, et elles s’appuyaient aussi sur un communiqué de presse émis par le ministre, communiqué qui reprenait pour l’essen-tiel les propos qu’il avait tenus antérieurement par deux fois à la Chambre des communes.

[78]En première instance, le juge Houlden avait estimé que le télégramme et le communiqué de presse, bien que n’étant pas des communications faites dans l’enceinte de la Chambre des communes, bénéficiaient du même privilège que s’il s’était agi de communi-cations faites au sein de la Chambre, et cela parce que le télégramme et le communiqué n’étaient que les suites des déclarations faites par le premier ministre et le ministre et qu’ils entraient donc dans les paramètres de ce privilège. Le résultat de ce jugement fut que les paragraphes de la demande introductive d’instance qui rapportaient les déclarations faites dans le communiqué et dans le télégramme furent radiés. Plus exactement, le juge Houlden s’était fondé sur un arrêt du Conseil Privé, Attorney-General of Ceylon v. De Livera, [1963] A.C. 103, qui concernait l’interprétation de ce qui constituait le fait « d’agir en qualité de » membre de la Chambre des représentants de Ceylan.

[79]Le juge Aylesworth, de la Cour d’appel de l’Ontario, a confirmé le raisonnement du juge Houlden et l’application qu’il avait faite de l’arrêt Attorney General of Ceylon. Selon lui, le point à décider dépendait de la définition de « travaux du Parlement », et il a cité _[aux pages 451 et 452], en les approuvant, les observations suivantes faites par le vicomte Radcliffe à la page 120 du précédent invoqué :

[traduction] Les mots employés dans la loi ceylanaise Bribery Act, à savoir « en sa qualité de député », ne se sont pas présentés dans cette forme à la Chambre des communes, encore qu’il soit probable qu’ils reprennent eux‑mêmes certains mots qui apparaissent dans l’ouvrage d’Erskine May, Parliamentary Practice (voir par exemple l’actuelle 16e édition de Erskine May, aux pages 122 et 124). La question qui s’est posée à plusieurs reprises concerne l’étendue du privilège d’un membre de la Chambre, sans oublier la question complémentaire, à savoir : en quoi consistent les « travaux du Parlement »? Il ne s’agit pas de la même question que celle dont est saisi maintenant le Comité, et il ne fait aucun doute que le sens qu’il convient de donner aux mots « travaux du Parlement » est influencé par le contexte dans lequel ces mots apparaissent, à l’article 9 du Bill of Rights (1 Wm. & M., Sess. 2, c. 2); mais la réponse donnée à cette question quelque peu plus restreinte dépend d’une considération très similaire : dans quelles circonstances et dans quelles situations un membre de la Chambre exerce‑t‑il sa fonction « réelle » ou « essentielle » de membre? Car, vu le désir tout à fait légitime de la Chambre de confiner ses propres privilèges, ou ceux de ses membres, de telle sorte qu’ils empiètent le moins possible sur les libertés d’autrui, il importe de veiller à ce que ces privilèges n’englobent pas des activités qui n’entrent pas parfaitement dans la fonction véritable d’un membre de la Chambre. [Soulignement ajouté.]

puis, à nouveau, à la page 121 [page 452 O.R.] :

[traduction] Le plus, sans doute, qui puisse être dit est que, en dépit d’une répugnance à affirmer que le privilège d’un membre dépasse ce qui n’est pas purement essentiel, il est généralement reconnu qu’il est impossible d’affirmer que ses seules fonctions légitimes de membre de la Chambre se limitent à ses faits et gestes au sein de la Chambre même. [Non souligné dans l’original.]

[80]Le juge Aylesworth concluait ainsi [à la page 452] : [traduction] « En tant que membres du Cabi-net, les défendeurs Trudeau et Greene sont nécessaire-ment des membres de l’une ou l’autre des Chambres du Parlement, investis de fonctions grandement élargies, et les privilèges qui s’appliquent au député ordinaire de la Chambre s’appliquent également à eux ». Il poursuivait ainsi : [traduction] « À mon avis, tous deux s’acquit-taient respectivement de la “fonction essentielle” évoquée par le vicomte Radcliffe lorsqu’ils avaient envoyé le télégramme et émis le communiqué de presse. Dans le télégramme, M. Trudeau donnait suite à son engagement, envers l’appelante Roman Corp., selon lequel “la demanderesse serait informée des lignes directrices qu’allait établir le gouvernement” [. . .] et qui avaient été énoncées le même jour à la Chambre; dans le communiqué de presse, le défendeur Greene annonçait publiquement, et pour l’avantage du public, les lignes directrices qui donnerait effet à la politique gouverne-mentale telle qu’elle avait été annoncée auparavant au sein de la Chambre. Par conséquent, les actions des deux défendeurs en la matière entraient dans la définition de l’expression ‘travaux du Parlement’ ».

[81]La Cour suprême a quant à elle jugé l’affaire d’après des motifs autres que le privilège parlementaire, et cela [à la page 828] « [s]ans être en désaccord avec les vues exprimées dans les cours d’instance inférieure en ce qui a trait au privilège qui s’attache aux déclarations faites devant le Parlement ».

[82]L’arrêt Roman fut invoqué par le défendeur Ouellet dans l’affaire Re Ouellet No. 1 (1976), 67 D.L.R. (3d) 73 (C.S. Qué.), où le ministre de la Consommation et des Corporations de l’époque avait été déclaré coupable d’outrage au tribunal par un juge de la Cour supérieure du Québec pour des observations que le ministre avait faites à son sujet devant deux journalistes. Ce juge avait rendu une ordonnance d’incarcération pour outrage de nature criminelle, ordonnance dont la validité était contestée par le ministre dans une procédure qui fut instruite par le juge Hugessen, alors juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec. Le juge Hugessen avait estimé que le privilège absolu dont jouit un député au titre des « travaux du Parlement » ne s’étendait pas aux propos diffamatoires tenus devant un journaliste hors de la Chambre comme telle, dans la salle des pas perdus, et le ministre du Cabinet fédéral était passible de sanction pour outrage au tribunal en raison des propos tenus dans ces circonstances s’ils constituaient un outrage. Selon le juge Hugessen, le privilège absolu dont bénéficient les députés vise à protéger la fonction du Parlement, mais cette fonction ne requiert pas que les conférences de presse données par les députés soient considérées comme un exercice à l’abri de toute responsabilité légale.

[83]Le juge en chef adjoint Hugessen avait relevé que le privilège absolu [à la page 87] [traduction] « constitue un déni radical du droit de tout citoyen qui se croit lésé de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation, et [qu’] il ne devrait pas pouvoir être élargi aisément ou à la légère » [soulignement ajouté]. Il poursuivait ainsi : [traduction] « Ce n’est pas l’en-ceinte du Parlement qui est sacrée, mais la fonction, et cette fonction n’a jamais supposé que les conférences de presse données par les députés devraient être vues comme totalement à l’abri d’une responsabilité légale ». (Non souligné dans l’original.)

[84]Au sujet de l’arrêt Roman, le juge Hugessen écrivait que la Cour suprême du Canada [à la page 88] [traduction] « s’est expressément abstenue de souscrire ou de ne pas souscrire » aux points de vue exprimés par la Cour d’appel de l’Ontario et par le juge de première instance. Selon lui, l’arrêt Roman [aux pages 88 et 89] :

[traduction] [. . .] peut être facilement distingué de la présente espèce. Ainsi que le montrent les rapports, les défendeurs Trudeau et Greene ne faisaient rien de plus, en dehors de la Chambre des communes, que réitérer et étoffer une politique gouvernementale qui avait déjà été annoncée à l’intérieur de la Chambre. Ce n’est pas ce qui s’est produit ici puisque, selon la preuve, le défendeur accordait simplement une entrevue à un journaliste sur une question d’intérêt public [. . .] Nulle part la preuve ne donne à entendre que l’affaire avait été débattue à la Chambre des communes ou qu’une politique gouvernementale avait été préalablement annoncée. À supposer que les prononcés susmentionnés des tribunaux de l’Ontario exposent l’état du droit, je ne serais pas disposé à les appliquer à toute déclaration faite à la presse par un député et portant sur un sujet quelconque. (Non souligné dans l’original.)

[85]Selon le juge Hugessen, les points de vue exprimés par les tribunaux de l’Ontario [à la page 89] [traduction] « me causent beaucoup de difficultés », et cela parce que ces juridictions ont totalement laissé de côté certains précédents et semblent aller à l’encontre de l’arrêt Stockdale, précité. Il a évoqué l’arrêt De Livera [aussi cité comme l’arrêt Attorney General Ceylon], précité, ajoutant que ce précédent [à la page 89] [traduction] « est trompeur car dans cette affaire il s’agissait d’une loi selon laquelle constituait une infraction le fait de tenter de corrompre un député “en sa qualité de député” » et que le Conseil privé « a expressément reconnu que la question de savoir en quoi consistent les “travaux du Parlement”, encore qu’il s’agisse manifestement d’une question connexe, est plus étroite que celle de savoir en quoi consistent les attribu-tions d’un député en tant que tel ». Le juge Hugessen concluait par les propos suivants : [traduction] « Il pourrait d’ailleurs difficilement en être autrement. Un député remplit manifestement ses fonctions en tant que député lorsqu’il visite ou reçoit ses commettants, qu’il lance des campagnes de financement, qu’il préside des réunions locales ou qu’il exécute d’autres tâches du genre, mais, de là à dire que toutes ces activités sont des travaux du Parlement, il y a un pas que je ne suis pas disposé à franchir. Il a même été jugé qu’un premier ministre provincial qui s’adresse à une assemblée de fidèles de son parti ne jouit même pas d’un privilège conditionnel ». (Non souligné dans l’original.)

[86]Appel fut interjeté du jugement du juge Hugessen devant la Cour d’appel du Québec : arrêt Ouellet (nos 1 et 2), [1976] C.A. 788.

[87]Le juge en chef Tremblay a confirmé le jugement du juge Hugessen. Il a écarté l’application de l’arrêt Roman, qui selon lui était une affaire où [à la page 98] « la demande reprochait au premier ministre du Canada et à un autre ministre de la Couronne des déclarations proférées en Chambre, annonçant l’intention du gouvernement de proposer une législation dans  le  but d’empêcher l’exécution d’une transaction [. . .] ainsi que l’envoi d’un télégramme répétant cette déclaration ».  Le juge en chef Tremblay a conclu en disant ne pouvoir admettre que les déclarations faites en dehors de la Chambre fussent des “travaux du Parlement” ».

[88]Je mentionne la décision rendue par le juge Evans, juge en chef de la Haute Cour de justice de l’Ontario, dans l’affaire Re Clark et al. and  Attorney‑General of Canada (1977), 17 O.R. (2d) 593. Dans cette affaire, les demandeurs, tous membres du Parti progressiste‑conservateur fédéral de l’époque, avaient déposé devant la Cour suprême de l’Ontario une requête dans laquelle ils sollicitaient plusieurs jugements déclaratoires à propos du Règlement relatif à la sécurité de l’information sur l’uranium [DORS/76-644] (le Règlement), pris en vertu de la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique [S.R.C. 1970, c. A-19]. L’une des questions soulevées dans cette affaire était de savoir si, en tant que députés, ils pouvaient communiquer aux médias et aux électeurs une information visée par le Règlement. L’un des jugements déclaratoires que les demandeurs priaient le juge en chef Evans de rendre était un jugement disant que le Règlement n’interdisait pas aux demandeurs ou à un membre quelconque de la Chambre des communes de communiquer ou de révéler tout document du genre au cours du débat parlementaire et à la suite de ce débat.

[89]Dans l’affaire Clark, l’avocat des demandeurs faisait valoir que les membres du Parlement avaient le droit de communiquer l’information à la presse et qu’ils étaient fondés à communiquer l’information à leurs commettants. Le juge en chef Evans a rejeté ces arguments. Il s’est exprimé ainsi [à la page 616] :

[traduction] Le privilège du député est limité et ne saurait être élargi à l’infini pour englober toute personne le long d’une chaîne de communication instituée par le député. Le privilège prend fin à l’étape de la presse. Une fois que la presse a reçu l’information, c’est à elle qu’il revient de dire s’il convient ou non de la publier. Elle ne saurait revendiquer une immunité contre les poursuites en invoquant le privilège parlementaire qui protège le député à l’origine de la divulgation de l’information. La question de savoir si elle peut opposer une défense valide en vertu du Règlement est une autre affaire. Finalement, le député n’a pas le droit de divulguer l’information à qui bon lui semble en dehors du Parlement. La notion de « travaux du Parlement » n’a pas été élargie au‑delà de toute limite logique. Je ne crois pas que le privilège permette au député de communiquer l’information à ses commettants. La notion de « travaux du Parlement » n’a pas été élargie pour englober la fonction d’information exercée par un député. Cela s’accorde avec l’interprétation donnée par la Chambre des communes à propos de la Loi sur les secrets officiels. [Non souligné dans l’original.]

[90]En arrivant à cette conclusion, le juge en chef Evans [aux pages 616 et 617] écrivait qu’il avait considéré les précédents britanniques ainsi que les décisions rendues par les juridictions canadiennes dans l’affaire Roman, précitée, faisant observer que le juge Houlden s’était appuyé sur les Halsbury’s Laws of England (3e édition, vol. 28, aux pages 457 et 458), pour affirmer qu’une définition exacte et complète de l’expression « travaux du Parlement » n’avait jamais été donnée par les cours de justice, ni par l’une ou l’autre des deux Chambres. Le juge en chef Evans [à la page 617] a aussi considéré le propos du juge Aylesworth [à la page 451] pour qui [traduction] « la notion judiciaire moderne qui s’attache au sens et à l’application de l’expression “travaux du Parlement” est plus étendue que ce ne fut parfois le cas par le passé ». Si tel était le cas, selon le juge en chef Evans [à la page 617], citant encore une fois le juge Aylesworth à la page 451 de son jugement], [traduction] « l’élargissement de cette notion semble certainement être amplement justifié par la complexification de l’administration moderne, et par le développement et l’emploi, dans les affaires publiques, de moyens de communication très perfectionnés ». Il a pris note [à la page 617] des observations du juge Aylesworth pour qui Messieurs [traduction] « Trudeau et Greene s’acquittaient de leurs “fonctions essentielles” lorsqu’ils ont fait la déclaration aux médias et envoyé le télégramme ».

[91]La raison pour laquelle le juge en chef Evans est arrivé à la conclusion que le privilège du député ne pouvait être appliqué à l’information envoyée à ses commettants était qu’il ne croyait pas que [à la page 618] [traduction] « les fonctions “réelles” et “essen-tielles” d’un député comprennent l’obligation ou le droit de communiquer une information à ses commettants » ]soulignement ajouté], ajoutant que [traduction] « selon la jurisprudence, le privilège n’est pas illimité, et je ne me crois pas autorisé à l’étendre pour qu’il englobe l’information communiquée à ses commettants par un député ». (Non souligné dans l’original.)

[92]Je suis d’avis que le demandeur et le président n’ont signalé aucun précédent faisant autorité qui atteste l’existence d’un privilège parlementaire pour le contenu de bulletins parlementaires conçus par un député de la Chambre des communes du Canada et distribués par lui à ses commettants. Dans ces conditions, je dois entreprendre la deuxième étape de l’analyse pour savoir si une telle immunité pourrait se justifier par la doctrine de la nécessité dans le monde moderne, afin de préserver la capacité d’un député fédéral à accomplir efficacement sa tâche. Je suis d’avis que cette nécessité n’a pas été démontrée, et cela pour les raisons suivantes.

[93]D’abord, l’avocat du demandeur et du président a invoqué le principe de démocratie, le principe de séparation des pouvoirs, le principe de libre expression d’opinions politiques et enfin l’alinéa 2b) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], pour prétendre que le Tribunal n’avait pas compétence pour se prononcer sur le contenu de bulletins parlementaires. À mon avis, les arguments avancés au regard de ces principes paraissent en vérité être les mêmes arguments qui appuyeraient la conclusion que la nécessité justifie le privilège allégué. Comme on le verra, je suis d’avis que tels arguments ne sont pas recevables. J’arrive à la conclusion que la nécessité d’une immunité absolue n’est pas justifiée par le principe de démocratie, celui de séparation des pouvoirs, celui de libre expression en matière politique, ni par l’alinéa 2b) de la Charte.

[94]Deuxièmement, vu les motifs exposés dans la décision Ouellet n° 1 par le juge Hugessen, alors juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec, et ceux exposés par le juge en chef Evans dans la décision Clark, précitée, on ne saurait dire que les activités exercées par un député lorsqu’il conçoit un bulletin parlementaire et qu’il le distribue à ses commettants sont, pour reprendre les propos du Comité mixte britannique sur le privilège parlementaire, propos adoptés par le juge Binnie dans l’arrêt Vaid, précité, au paragraphe 44, si étroitement et si directement liées aux travaux du Parlement que l’intervention des cours de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement en sa qualité d’assemblée législative et délibérante.

[95]Troisièmement, ni la Chambre des communes de Westminster, ni celle d’Ottawa, n’ont jusqu’à maintenant considéré que l’immunité absolue d’un député dans ses communications avec les électeurs est nécessaire pour l’accomplissement de ses obligations de législateur. Si tel avait été le cas, il eût été possible de modifier l’article 7 de la LPC pour protéger ces activités via le mécanisme de suspension prévu au paragraphe 7(3) de la LPC.

[96]Quatrièmement, une autre preuve de l’absence de nécessité de protéger le contenu des bulletins parlemen-taires contre l’examen des cours de justice ou celui du Tribunal canadien des droits de la personne est que, lorsque la LPC fut modifiée en 1991 [L.C. 1991, ch. 20] pour renforcer le régime se rapportant au Bureau de régie interne, un régime établi à l’origine en 1985, l’application de la LCDP, qui avait été adoptée en 1977, ne fut pas écartée.

[97]Cinquièmement, les tenants du privilège allégué dans la présente affaire se réfèrent à certaines délibérations de la Chambre des communes portant sur des bulletins parlementaires, délibérations au cours desquelles des membres de la Chambre avaient soulevé des questions entourant les bulletins parlementaires. Plus précisément, leur avocat s’appuie sur un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Telezone Inc. v. Canada (Attorney General) (2004), 69 O.R. (3d) 161, où le juge MacPherson a considéré avec bienveillance les décisions rendues par les présidents d’assemblées législatives en matière de privilège parlementaire [au paragraphe 32] :

[traduction] Les points de vue des deux présidents ne lient pas la Cour. Cependant, compte tenu de l’expérience et de la notoriété de ces deux parlementaires, et puisque nous avons affaire ici à un différend qui intéresse la définition de ce qu’est un privilège parlementaire, il semble évident que leurs décisions, méticuleuses et réfléchies, appellent une retenue judiciaire considérable. Je défère ici à leurs décisions.

[98]Comme je l’ai dit, l’affidavit de Robert R. Walsh, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, se réfère, dans ses paragraphes 7 et 8, à six cas où avaient été soulevées à la Chambre des com-munes, durant 2005, plusieurs questions de privilège dans lesquelles étaient alléguées des violations de privilège se rapportant à la dispense d’affranchissement, aux bulletins parlementaires et aux dix‑pour‑cent. Dans tous ces cas, le président avait estimé qu’il y avait eu à première vue violation de privilège et, dans quatre de ces cas, la question avait été renvoyée de la manière habituelle, pour examen complémentaire, au Comité permanent de la Chambre des communes chargé de la procédure et des affaires de la Chambre. M. Walsh parle aussi de la décision rendue par le président le 15 février 2005, qui réglait la cinquième question de privilège sans qu’elle fût renvoyée à un comité. Finalement, s’agissant de la sixième question de privilège, soulevée le 3 novembre 2005, une question qui concernait le contenu d’un certain bulletin parlementaire, l’affaire avait été débattue à la Chambre au cours de quatre jours de séance.

[99]De plus, le dossier de l’intervenant contenait des extraits des Journaux de la Chambre des communes du Canada, ainsi que les Débats de la Chambre des communes en date du 15 février 2005.

[100]J’ai examiné les documents produits par le président, et mes observations sont les suivantes :

La décision du président en date du 15 février 2005 concernait un dix‑pour‑cent, ainsi que l’affirmation selon laquelle la distribution de ce dix‑pour‑cent n’avait pas été autorisée par le député concerné en ce qui avait trait à l’impression et à l’affranchissement;

Le 3 novembre 2005, le président rendait une décision dans laquelle il concluait à une violation apparente de privilège sur une question soulevée par un ministre de la Couronne qui concernait l’envoi, dans sa circonscrip-tion, de bulletins parlementaires par plusieurs députés d’un parti d’opposition. Le ministre de la Couronne prétendait que ces bulletins parlementaires envoyés dans sa circonscription renfermaient des faussetés;

La question de privilège soulevée le 21 mars 2005 par un député concernait un bulletin parlementaire envoyé dans sa circonscription par un parti d’opposition, et la question était de savoir si le bulletin parlementaire en cause était conforme aux lignes directrices se rapportant au contenu des bulletins parlementaires et des dix‑pour‑ cent;

Le président évoquait aussi deux questions de privilège soulevées le 3 mai 2005, qui concernaient un bulletin parlementaire que le député avait envoyé à ses commettants, mais dans lequel avait été insérée une carte‑réponse qui semblait avoir été envoyée en tant que dix‑pour‑cent par un autre député, et aussi une autre plainte se rapportant à une question de privilège à propos d’un envoi affranchi que ses commettants avaient reçu du député d’une circonscription voisine.

[101]Il m’est impossible de déduire de ces décisions du président que la Chambre des communes s’est déclarée compétente quant au contenu des bulletins parlementaires et qu’elle a accordé une réparation à une personne, autre qu’un député, qui s’est sentie lésée par le contenu d’un document.

[102]Finalement, les retards, perturbations et incertitudes entraînés par une intervention externe prenant la forme d’une audience tenue devant le Tribunal sont minimisés par l’existence d’autres privilè-ges parlementaires, par exemple l’impossibilité de délivrer une citation à comparaître à un député au cours d’une session parlementaire.

ii) La démocratie, la séparation des pouvoirs et la libre expression d’opinions politiques

[103]L’avocat du demandeur et du président a avancé un argument massue et capital selon lequel le pouvoir du Tribunal de statuer sur des plaintes impliquant des députés qui exercent leurs fonctions parlementaires en publiant et distribuant des bulletins parlementaires à leurs commettants serait contraire au principe de démocratie inscrit dans la Constitution canadienne, en raison du rôle exercé par les députés de la Chambre des communes dans l’application de ce principe de démocratie, lequel procède nécessairement : 1) de la nécessité d’une libre expression des opinions politiques et du rôle primordial joué par l’électorat en matière de régulation du discours politique, sauf lorsqu’il est de nature criminelle, 2) de la nécessaire séparation entre la Couronne (le pouvoir exécutif et ses organismes, commissions et tribunaux administratifs) et les cours de justice, d’une part, et les rôles et fonctions des députés, d’autre part, et 3) de l’application de l’alinéa 2b) de la Charte.

[104]D’après moi, cet argument repose sur deux bases distinctes : 1) l’application et la portée du principe de séparation des pouvoirs dans la démocratie canadienne; 2) l’importance de la libre expression d’opinions politiques, et les limites assignées à cette liberté.

[105]À mon avis, ces deux bases sont nécessairement liées à plusieurs éléments, dont le premier est le débat sur l’étendue et l’existence du privilège parlementaire, parce que l’objet même du privilège parlementaire, avec la protection absolue qu’il suppose par rapport aux autres pouvoirs de l’État, est d’offrir aux législateurs d’une démocratie parlementaire le niveau d’autonomie qui leur est nécessaire pour faire leur travail législatif avec dignité et efficacité.

[106]Dans l’arrêt Vaid, précité, le juge Binnie écrit sans ambiguïté, au paragraphe 21, que « [c]hacun des pouvoirs de l’État se voit garantir une certaine autonomie », et que le privilège parlementaire est l’un des moyens « qui permettent d’assurer le respect du principe fondamental de la séparation constitutionnelle des pouvoirs ». Autrement dit, comme le dit le juge Binnie, l’immunité conférée par le privilège parlemen-taire a pour objet de protéger la fonction législative, c’est‑à‑dire de donner aux législateurs d’une démocratie parlementaire l’indépendance qui leur est indispensable et le pouvoir exclusif de traiter les questions découlant du champ reconnu des catégories de privilège, compte tenu du principe de nécessité, afin de soustraire la Chambre des communes et ses membres à l’application des lois ordinaires régissant le règlement des différends.

[107]C’est pourquoi la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vaid, ainsi que d’autres juridictions, ont souligné les effets que le privilège parlementaire peut avoir sur les personnes étrangères à la Chambre quand l’application de ce privilège les touche directement. S’il en est ainsi, c’est parce que le privilège parlementaire est absolu et écarte toute réparation que le droit commun accorderait à un simple citoyen prétendant avoir été lésé par la conduite d’un parlementaire. Dans la présente affaire, les neuf plaignants seraient privés des protections contre la discrimination qui sont offertes par la LCDP, ainsi que des recours qu’elle prévoit, s’il se trouve que le demandeur a contrevenu à ce texte de loi lorsqu’il a distribué son bulletin parlementaire d’octobre 2003 aux électeurs de sa circonscription.

[108]J’ajouterais que, dans l’arrêt De Livera, précité, le vicomte Radcliffe s’était focalisé sur les fonctions réelles et essentielles du député, compte tenu du [à la page 120] [traduction] « désir tout à fait légitime de la Chambre de confiner ses propres privilèges, ou ceux de ses membres, de telle sorte qu’ils empiètent le moins possible sur les libertés d’autrui » [soulignement ajouté], ajoutant que, à cause de cela, [traduction] « il importe de veiller à ce que ces privilèges n’englobent pas des activités qui n’entrent pas parfaitement dans la fonction véritable d’un membre de la Chambre ». (Non souligné dans l’original.)

[109]Un autre facteur contextuel est le statut qui est aujourd’hui conféré à la LCDP. Comme l’écrit la Cour suprême au paragraphe 81 de l’arrêt Vaid, précité, la LCDP est un texte quasi constitutionnel « qui commande que toute exception à son application soit énoncée clairement », et, s’agissant de l’application de la LCDP aux employés du Parlement, après examen du texte de l’article 2 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9] de cette Loi, on constate qu’il n’est nulle part précisé qu’elle ne devait pas s’appliquer aux employés du Parlement et, pour reprendre les mots du juge Binnie, « [i]l n’existe aucune raison de croire que le Parlement avait “l’intention” d’imposer des obligations en matière de droits de la personne à tous les employeurs fédéraux à l’exception de lui‑même ».

[110]Finalement, il existe un lien entre d’une part le privilège parlementaire, avec sa catégorie reconnue que constitue la liberté de parole, et d’autre part la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, la Cour suprême du Canada avait jugé que « la liberté de la presse garantie par l’al. 2b) de la Charte ne l’emportait pas sur le privilège parlementaire, qui fait autant partie que la Charte de notre organisation constitutionnelle fondamentale. [. . .] Sur des questions relevant de son privilège, l’assemblée législative aurait compétence exclusive pour déterminer si les droits de la personne et les libertés publiques ont été respectés » (voir le paragraphe 30 de l’arrêt Vaid, précité). (Non souligné dans l’original.)

[111]Compte tenu des facteurs contextuels évoqués plus haut, il m’est impossible, pour les motifs suivants, de souscrire à l’argument avancé par l’avocat du demandeur et du président selon lequel le fait de laisser le Tribunal examiner les plaintes portant sur le contenu des bulletins parlementaires du demandeur porterait atteinte aux principes de démocratie, de séparation des pouvoirs et de libre expression, au point que cette atteinte ne pourrait pas être justifiée au sens de l’article premier de la Charte.

[112]D’abord, il est bien établi en droit que la démocratie constitutionnelle du Canada respecte le principe de la séparation des pouvoirs, un principe qui, s’agissant de l’indépendance de la Chambre des communes et de ses membres, trouve son mécanisme d’application dans la reconnaissance de l’existence et du champ du privilège parlementaire lié à la liberté d’expression, privilège qui, au Royaume‑Uni, a pour origine le Bill of Rights de 1688 [An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688, 1 Will. & Mary’s Sess. 2, ch. 2 (R.-U.)] et qui, au Canada, en l’occurrence, n’est autre que le privilège édicté par l’article 7 de la LPC, qui concerne toute affaire civile ou pénale liée à la publication « d’un document quelconque sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes ». Je déplore encore une fois ici que la Cour n’ait pas été informée du contenu du bulletin parlementaire en cause ni d’ailleurs d’aucun autre.

[113]À mon avis, il ne serait pas porté atteinte au principe de séparation des pouvoirs si le Tribunal examinait le bulletin parlementaire en question. Si je dis cela, c’est parce que je n’ai connaissance d’aucun précédent qui reconnaisse l’existence d’une immunité parlementaire quant à l’information envoyée par un député à ses commettants, et l’existence d’une telle immunité ne serait d’ailleurs pas nécessaire pour le bon exercice des activités législatives et délibérantes d’un député.

[114]Par ailleurs, les bulletins parlementaires ne sont pas visés par le privilège établi par l’article 7 de la LPC. S’ils l’avaient été, le président aurait délivré un certificat qui aurait suspendu l’enquête du Tribunal. C’est l’opinion exprimée par M. Maingot, à la page 74 de son ouvrage, précité.

[115]Deuxièmement, puisqu’il n’existe aucun privilège parlementaire empêchant le Tribunal d’examiner le bulletin parlementaire en question, il y a donc place pour l’application de l’alinéa 2b) de la Charte, ce qui ne serait pas le cas si le bulletin avait été visé par le privilège parlementaire. La question est alors de savoir si le pouvoir du Tribunal d’enquêter sur les plaintes porte atteinte à la garantie énoncée dans l’alinéa 2b) de la Charte, qui prévoit la liberté fondamentale suivante : « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de presse et des autres moyens de communication ».

[116]Il ne fait aucun doute que la liberté d’expres-sion est l’âme d’une constitution démocratique comme celle du Canada. C’est ce qu’ont reconnu maintes fois nos plus hautes juridictions. Qu’il me suffise de citer l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Reference re Alberta Bills, précité, où le juge en chef Duff écrivait ce qui suit [à la page 133] :

[traduction] La loi [l’Acte de l’Amérique du Nord britannique] envisage un Parlement qui fonctionne sous le feu de l’opinion publique et du débat public. Nul ne songerait à nier que ce qui rend cette institution efficace, c’est la libre discussion des affaires publiques, la critique et la réponse à la critique, l’attaque menée contre telle ou telle politique ou contre l’administration, et la défense et la contre‑attaque, enfin l’analyse la plus libre et la plus complète possible de chacun des angles des projets politiques. Cela est manifes-tement vrai pour les ministres de la Couronne, lorsqu’ils exercent leurs responsabilités envers le Parlement, pour les députés lorsqu’ils accomplissent leurs obligations envers les électeurs, et pour les électeurs eux‑mêmes lorsqu’ils élisent leurs représentants.

[117]Cela étant dit, il y a toujours un équilibre à établir, parce qu’il y a des limites à la liberté du discours politique. À la même page, le juge en chef Duff poursuivait ainsi :

[traduction] La liberté de débattre publiquement une question est naturellement sujette à des restrictions légales : celles qui sont fondées sur les considérations de décence et d’ordre public, et d’autres qui sont conçues pour la protection de divers intérêts privés et publics, dont s’occupent par exemple les lois sur la diffamation et la sédition. En un mot, cette liberté s’entend, pour reprendre les mots de lord Wright dans l’arrêt James v. Commonwealth ([1936] A.C. 578, p. 627), de la « liberté circonscrite par la loi ». [Non souligné dans l’original.]

Puis le juge en chef Duff concluait par les mots suivants [à la page 133] :

[traduction] Même à l’intérieur de ses limites juridiques, la liberté de débattre telle ou telle affaire publique est susceptible d’abus, voire de graves abus, dont nous avons constamment l’exemple devant nos yeux, mais il est évident que la pratique de cette liberté, malgré sa perversion occasionnelle, constitue l’élément le plus précieux des institutions parlementaires.

[118]Avant comme après l’entrée en vigueur de la Charte, notre plus haute juridiction a toujours admis la vaste portée qu’il convient de donner à la notion de liberté d’expression, et en particulier à celle de libre discours politique, mais toujours à l’intérieur de limites reconnues. Je citerai les arrêts suivants :

Switzman c. Elbling and Attorney-General of Quebec, [1957] R.C.S. 285, un arrêt qui concernait la Loi du cadenas [Loi protégeant la province contre la propagande communiste, S.R.Q. 1941, ch. 52], votée par l’Assemblée législative du Québec. La Cour suprême du Canada avait jugé que cette loi outrepassait les pouvoirs législatifs de la province énoncés à l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Plusieurs des juges avaient saisi l’occasion pour évoquer l’importance de l’expression politique dans une démocratie parlementaire et dire que ce fait constitutionnel devait être mis en balance à l’intérieur de certaines limites. Selon le juge Rand, [traduction] « le débat politique est indivisible, hormis l’incidence du droit criminel et des droits civils, et les effets accessoires des lois sur d’autres matières, le degré et la nature de sa régulation doit attendre un examen futur » (voir page 307) [soulignement ajouté], et le juge Abbott avait mis en relief l’importance du discours politique, allant jusqu’à dire que le Parlement même ne pouvait pas supprimer le droit de discussion et de débat et que le pouvoir du Parlement de le restreindre se limitait à celui qu’il pouvait exercer en vertu de sa compétence législative exclusive en matière de droit criminel et en matière de lois édictées pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du pays.

R c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, un arrêt qui concernait une disposition du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] interdisant la fomentation volontaire de la haine contre des groupes identifiables. La Cour suprême a jugé que cette activité était protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, au motif qu’il s’agissait d’une activité qui transmettait ou tentait de transmettre une signification au moyen d’une forme non violente d’expression et qui par conséquent avait un contenu expressif et relevait du champ du mot « expression » employé dans la garantie conférée par l’alinéa 2b) de la Charte. Cependant, l’interdiction énoncée dans le Code criminel constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, d’une manière qui était justifiée par l’article premier de la Charte, parce qu’elle répondait au triple critère exposé dans l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, un arrêt rendu le même jour que l’arrêt Keegstra, précité. La Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, [S.C. 1976-77, ch. 33] qui interdit les messages téléphoniques susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris une personne ou un groupe de personnes. Elle a suivi le même raisonnement que dans l’arrêt Keegstra, jugeant que les messages entraient dans le champ du mot « expression », à l’alinéa 2b) de la Charte, mais ajoutant que l’interdiction énoncée dans le paragraphe 13(1) constituait une limite raisonnable dont la justification pouvait se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, un arrêt où il s’agissait d’une personne qui avait été accusée de deux chefs de possession de pornographie juvénile en vertu d’une disposition du Code criminel. Dans cette affaire, la Couronne avait admis que la disposition portait atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte, mais avait fait valoir que l’atteinte était justifiable en vertu de l’article premier de la Charte. La Cour suprême s’est rangée à cet avis et les accusations furent renvoyées au tribunal de première instance.

Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, un arrêt où il s’agissait des dispositions de la Loi électorale du Canada [L.R.C. (1985), ch. E-2] relatives au plafonnement des dépenses des tiers. La Cour suprême a jugé à l’unanimité que ces dispositions portaient atteinte à la libre expression politique garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. L’avis rédigé par la juge en chef et celui qu’a rédigé le juge Bastarache au nom des juges majoritaires ont tous deux souligné l’impor-tance du discours politique. La juge en chef écrivait que « [l]e discours politique [. . .] représente la forme d’expression la plus importante et la plus protégée. Il constitue un aspect fondamental de la garantie relative à la liberté d’expression ». Selon le juge Bastarache, la publicité faite par les tiers est une forme d’expression politique et, citant les propos tenus par le juge en chef dans l’arrêt Keegstra, précité, il a réaffirmé que le lien entre la liberté d’expression et le processus politique était sans doute la cheville ouvrière de la garantie énoncée à l’alinéa 2b) et que ce lien tenait dans une large mesure à l’engagement du Canada envers la démocratie. Les juges minoritaires et les juges majoritaires ont exprimé des vues divergentes sur la question de savoir si les limites imposées à la publicité électorale pouvaient être justifiées selon l’article premier. Les juges majoritaires ont estimé qu’elles pou-vaient l’être.

iii) La compétence exclusive du Bureau de régie interne

[119]Je n’admets pas l’argument avancé par l’avocat du demandeur et du président selon lequel le pouvoir exclusif du Bureau de régie interne de « statuer, compte tenu de la nature de leurs fonctions, sur la régularité de l’utilisation—passée, présente ou prévue—par les députés de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parle-mentaires » exclut la compétence du Tribunal quant au contenu des bulletins parlementaires. J’arrive à cette conclusion pour les raisons suivantes.

[120]D’abord, l’arrêt Bernier, rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, et l’arrêt Fontaine, rendu par la Cour d’appel du Québec, sont ici à propos. Ces deux juridictions ont jugé que le pouvoir exclusif du Bureau de régie interne de décider du bon usage de fonds n’excluait pas la compétence des tribunaux de common law en matière criminelle. Les deux juridictions ont estimé que les fonctions du Bureau n’empiétaient pas sur celles des tribunaux puisque le pouvoir du Bureau se limitait à dire, d’un point de vue administratif et finan-cier, si l’emploi de fonds par un député était légitime d’après les règlements administratifs du Bureau. Sur le plan analogique, il est clair que les fonctions du Tribu-nal diffèrent de celles du Bureau. Le Tribunal se demande s’il y a eu discrimination dans telle ou telle situation particulière et, dans l’affirmative, il prononce une réparation (voir en particulier le paragraphe 34 de l’arrêt Fontaine, précité).

[121]Deuxièmement, le régime administratif prévu par la LPC quant aux pouvoirs du Bureau et des redressements qu’il peut prononcer n’est nullement comparable au régime de la LRTP, sur lequel devait se prononcer la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vaid. Plus précisément :

1. la LPC ne confère au Bureau aucune compétence à l’égard des plaignants, mais limite plutôt sa compétence aux députés et au personnel de la Chambre des communes (voir l’article 52.3 [édicté par L.C. 1991, ch. 20, art. 2] de la LPC);

2. la LPC ne s’applique pas au contenu des plaintes déposées auprès de la Commission et renvoyées par celle‑ci au Tribunal. Lesdites plaintes se rapportent au contenu du bulletin parlementaire du Dr Pankiw, les plaignants faisant valoir que le contenu de ce bulletin parlementaire était en partie discriminatoire;

3. le Bureau n’a pas le pouvoir d’accorder une réparation aux plaignants. Si le Dr Pankiw a contrevenu aux privilèges de la Chambre, et en particulier au Règlement administratif 102, il semblerait que l’unique redressement que puisse prononcer la Chambre ne concerne que le Dr Pankiw en sa qualité de député (voir l’appendice C, Règlement administratif 102, paragraphe 8—contravention).

[122]J’arrive à la conclusion que ni la LPC ni les règlements administratifs du Bureau de régie interne ne font obstacle, dans la présente affaire, à l’application du mécanisme d’enquête et de règlement des différends dont il est question dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

iv) L’envoi d’un bulletin parlementaire constitue‑t‑il un « service » au sens de la LCDP?

[123]La question de savoir si la distribution d’un bulletin parlementaire est un « service » au sens des articles 5 et 14 de la LCDP ou si elle relève de son article 12 a été soulevée dans l’avis de requête du demandeur et du président. Lors de l’audition de la requête, le Tribunal a dit qu’il se prononcerait d’abord sur les arguments de la Chambre des communes se rapportant au privilège, à la séparation des pouvoirs et à la liberté d’expression, et que les arguments portant sur la question de savoir si les plaintes relevaient des articles 5, 12 ou 14 seraient examinés ultérieurement.

[124]Je reconnais, avec l’avocat de la Commission, que l’argument avancé devant la Cour par le demandeur et le président est prématuré puisqu’aucune décision n’a été rendue sur cet aspect et qu’il n’y a donc aucune décision que la Cour puisse contrôler à ce stade. Je suis d’accord avec lui que cet argument devrait être rejeté en raison de son caractère prématuré et qu’il pourra être soulevé ultérieurement par l’une quelconque des parties devant le Tribunal.

v) Les activités du Dr Pankiw relèvent‑elles de la LCDP?

[125]Le Dr Pankiw n’a pas vigoureusement insisté sur l’argument selon lequel ses activités n’entrent pas dans le champ de la LCDP.

[126]Je souscris au raisonnement du Tribunal, fondé sur l’article 2 de la LCDP, lequel dispose que la LCDP a pour objet de donner effet, « dans le champ de compétence du Parlement du Canada », aux principes visant à l’égalité des chances, principes qui sont exposés dans la LCDP, et je suis d’avis, comme le Tribunal, que le texte de la LCDP est assez large pour englober les déclarations faites par des députés dans des bulletins parlementaires publiés et payés par la Chambre des communes en application d’une loi fédérale, à savoir la LPC.

JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens, qui sont payables à la défenderesse par le demandeur et par l’intervenant, selon une répartition qu’ils décideront d’un commun accord ou, en cas de différend, selon la manière que déterminera la Cour.

APPENDICE A

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6.

Objet

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

[. . .]

Actes discriminatoires

5.  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[. . .]

12. Constitue un acte discriminatoire le fait de publier ou d’exposer en public, ou de faire publier ou exposer en public des affiches, des écriteaux, des insignes, des emblèmes, des symboles ou autres représentations qui, selon le cas :

a) expriment ou suggèrent des actes discriminatoires au sens des articles 5 à 11 ou de l’article 14 ou des intentions de commettre de tels actes;

b) en encouragent ou visent à en encourager l’accomplissement.

13. (1)  Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

(2) Il demeure entendu que le paragraphe (1) s’applique à l’utilisation d’un ordinateur, d’un ensemble d’ordinateurs connectés ou reliés les uns aux autres, notamment d’Internet, ou de tout autre moyen de communication semblable mais qu’il ne s’applique pas dans les cas où les services d’une entreprise de radiodiffusion sont utilisés.

(3) Pour l’application du présent article, le propriétaire ou exploitant d’une entreprise de télécommunication ne commet pas un acte discriminatoire du seul fait que des tiers ont utilisé ses installations pour aborder des questions visées au paragraphe (1).

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d’emploi.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

APPENDICE B

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P‑1 [art. 50 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 42, art. 2; L.C. 1991, ch. 20, art. 2; 1997, ch. 32, art. 1), 51 (mod. par L.C. 1991, ch. 20, art. 2), 52.2 à 52.9 (édictés, idem), 53 (mod., idem,) 54 (mod., idem)]

Privilèges, immunités et pouvoirs

Nature

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :

a) d’une part, ceux que possédaient, à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume‑Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

b) d’autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu’ils n’excèdent pas ceux que possédaient, à l’adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume‑Uni et ses membres.

5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n’ont pas à être démontrés, étant admis d’office devant les tribunaux et juges du Canada.

6. Dans le cadre d’une enquête sur les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ou de l’un de leurs membres, un exemplaire des journaux de l’une des deux chambres, imprimé ou réputé l’être sur ordre de l’une ou l’autre, est admis en justice comme preuve de l’existence de ces journaux, sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il a été imprimé sur un tel ordre.

Publication de documents

7. (1) Le défendeur dans une affaire civile ou pénale résultant de la procédure intentée et poursuivie de quelque façon que ce soit en relation directe ou indirecte avec la publication, par lui‑même ou son préposé, d’un document quelconque sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes peut, après préavis de vingt‑quatre heures donné conformément au paragraphe (2), produire devant le tribunal saisi de l’affaire—ou l’un de ses juges—outre un affidavit l’attestant, un certificat :

a) signé du président ou du greffier du Sénat ou de la Chambre des communes;

b) affirmant que le document en question a été publié par le défendeur ou son préposé, sur l’ordre ou sous l’autorité du Sénat ou de la Chambre des communes.

(2) Le préavis prévu par le paragraphe (1) est donné à la partie adverse, directement ou par l’intermédiaire de son procureur.

(3) Dès la production du certificat visé au paragraphe (1), le tribunal ou le juge arrête les poursuites; celles‑ci ainsi que tous les actes de procédure y afférents sont dès lors réputés éteints ou annulés de par l’application de la présente loi.

8. (1) Dans les cas où la publication du document visé au paragraphe 7(1) fait directement ou indirectement l’objet d’une poursuite civile ou pénale, le défendeur peut, à tout stade, produire en justice le document original ainsi qu’un exemplaire de celui‑ci accompagné d’un affidavit certifiant l’authenticité de l’original et la conformité de la copie.

(2) Sur production de l’original et de la copie certifiés par affidavit, le tribunal ou le juge arrête les poursuites; celles‑ci ainsi que tous les actes de procédure y afférents sont dès lors réputés éteints ou annulés de par l’application de la présente loi.

9. Dans toute poursuite civile ou pénale occasionnée par l’impression d’un extrait ou résumé du document visé au paragraphe 7(1), le document en question peut être produit à titre de preuve, et le défendeur peut démontrer que l’extrait ou le résumé a été publié de bonne foi et sans intention malveillante; dès lors, si le jury est de cet avis, un verdict de non‑culpabilité est rendu en faveur du défendeur.

[. . .]

Section D

BUREAU DE RÉGIE INTERNE

Constitution et organisation

50. (1) Est constitué le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, dont la présidence est assumée par le président de la chambre.

(2) Le bureau est composé du président de la Chambre des communes, de deux membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada nommés par le gouverneur en conseil, du chef de l’Opposition ou de son délégué et d’autres députés nommés de la façon suivante :

a) si l’Opposition ne comporte qu’un groupe parlementaire comptant officiellement douze députés ou plus, ce groupe peut nommer deux députés et le groupe parlementaire du parti gouvernemental peut en nommer un;

b) si l’Opposition comporte plusieurs groupes parlementaires comptant officiellement douze députés ou plus, chacun de ces groupes peut nommer un député et le groupe parlementaire du parti gouvernemental peut en nommer un de moins que le total des membres ainsi nommés par l’ensemble de ces groupes.

[. . .]

51. Le greffier de la Chambre des communes est le secrétaire du bureau.

[. . .]

Mission

52.2 (1) Le bureau a, pour l’exercice des pouvoirs et l’exécution des fonctions qui lui sont attribués par la présente loi, la capacité d’une personne physique; à ce titre, il peut :

a) conclure des contrats, ententes ou autres arrangements sous le nom de la Chambre des communes ou le sien;

b) prendre toute autre mesure utile à l’exercice de ses pouvoirs ou à l’exécution de ses fonctions.

(2) Les membres du bureau n’encourent aucune responsabilité personnelle découlant de leur participation à l’exercice des pouvoirs ou à l’exécution des fonctions du bureau.

52.3 Le bureau est chargé des questions financières et administratives intéressant :

a) la Chambre des communes, ses locaux, ses services et son personnel;

b) les députés.

52.4 (1) Avant chaque exercice, le bureau fait préparer un état estimatif des sommes que le Parlement sera appelé à affecter au paiement, au cours de l’exercice, des frais de la Chambre des communes et des députés.

(2) Le président transmet l’état estimatif au président du Conseil du Trésor, qui le dépose devant la Chambre des communes avec les prévisions budgétaires du gouvernement pour l’exercice.

Règlements administratifs

52.5 (1) Le bureau peut, par règlement administratif :

a) régir la convocation et le déroulement de ses réunions;

b) régir l’utilisation, par les députés, des fonds, biens, services et locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires;

c) prévoir les conditions—applicables aux députés —de gestion et de comptabilisation des fonds visés à l’alinéa b) et à l’article 54;

d) prendre toute autre mesure utile à l’exercice de ses pouvoirs et fonctions.

(2) Le président dépose les règlements administratifs pris aux termes du présent article devant la Chambre des communes dans les trente jours suivant leur adoption.

[. . .]

Avis

52.6 (1) Le bureau a compétence exclusive pour statuer, compte tenu de la nature de leurs fonctions, sur la régularité de l’utilisation passée, présente ou prévue par les députés de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires, et notamment sur la régularité de pareille utilisation au regard de l’esprit et de l’objet des règlements administratifs pris aux termes du paragraphe 52.5(1).

(2) Les députés peuvent demander au bureau d’émettre un avis au sujet de l’utilisation par eux de fonds, de biens, de services ou de locaux visés au paragraphe (1).

52.7 (1) Au cours d’une enquête menée par un agent de la paix relativement à l’utilisation par un député de fonds, de biens, de services ou de locaux visés au paragraphe 52.6(1), l’agent de la paix peut demander au bureau de lui fournir—ou le bureau peut, de sa propre initiative, lui fournir—un avis au sujet de la régularité de cette utilisation.

(2) Si, dans le cas où un avis a été transmis à un agent de la paix conformément au paragraphe (1), une demande de délivrance d’un acte de procédure est présentée à un juge, l’avis est transmis à celui‑ci, qui le prend en considération dans sa décision de délivrer ou non l’acte.

(3) Pour l’application du présent article, « acte de procédure » s’entend au sens des termes ci‑après visés aux articles suivants du Code criminel :

a) article 185 : autorisation d’intercepter une communica-tion privée;

b) article 462.32 : mandat spécial;

c) article 487 : mandat de perquisition;

d) article 462.33 : ordonnance de blocage de biens;

e) articles 504 ou 505 : dénonciation;

f) article 507 : sommation ou mandat d’arrestation;

g) article 508 : confirmation d’une citation à comparaître, d’une promesse de comparaître ou d’un engagement.

(4) La délivrance d’un acte de procédure visé aux alinéas (3)c), e), f) et g) qui est fondé sur l’utilisation par un député de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions parlementaires doit être autorisée par un juge d’une cour provinciale au sens de l’article 2 du Code criminel.

52.8 Le bureau peut en outre émettre des avis d’ordre général touchant la régularité de l’utilisation de fonds, de biens, de services ou de locaux au regard de l’esprit et de l’objet des règlements administratifs pris aux termes du paragraphe 52.5(1).

52.9 (1) Le bureau peut assortir ses avis des commentaires qu’il estime utiles.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le bureau peut, pour la gouverne des députés, publier ses avis en tout ou en partie.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), le bureau est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la confidentialité de toute demande d’avis présentée par un député et de lui notifier son avis.

(4) Pour l’application du paragraphe 52.7(1), le bureau peut, s’il l’estime indiqué, mettre n’importe lequel de ses avis, y compris ceux qu’il a émis aux termes de l’article 52.6, à la disposition de l’agent de la paix.

53. En cas de dissolution du Parlement, les membres du bureau, le président et le président suppléant sont réputés demeurer en fonctions comme si la dissolution n’avait pas eu lieu, jusqu’à leur remplacement.

54. L’utilisation et la comptabilisation des fonds dépensés aux termes de la partie IV pour la Chambre des communes, à l’exclusion de ceux consacrés aux traitements et indemnités des secrétaires parlementaires, s’effectuent de la même manière que celles des fonds affectés aux frais de la chambre et des députés sous le régime de la présente section. [Soulignements ajoutés].

APPENDICE C

1. RÈGLEMENTS ADMINISTRATIFS DU BUREAU DE RÉGIE INTERNE RÈGLEMENT ADMINISTRATIF 101‑ DÉFINITIONS

« Fonctions parlementaires »

Les obligations et activités qui se rattachent à la fonction de député, où qu’elles soient exécutées, y compris les affaires publiques ou officielles et les questions partisanes. Ne sont pas comprises dans les fonctions parlementaires les activités relatives aux intérêts commerciaux privés du député ou de sa proche famille.

2. RÈGLEMENT ADMINISTRATIF 102 ÉDICTANT DES RESTRICTIONS ET RÈGLES D’APPLICATION GÉNÉRALE

Le Bureau de régie interne, en application de l’article 52.5 de la Loi sur le Parlement du Canada prend le règlement administratif suivant :

Utilisation des ressources

1. Les fonds, biens, services et locaux fournis dans le cadre des règlements ne doivent être utilisés que pour l’exécution des fonctions parlementaires des députés ou pour les affaires qui sont essentielles à ces fonctions ou y sont accessoires.

Principes

2. Dans l’application des règlements, les principes d’application générale suivants doivent être observés :

a) le Bureau est l’autorité compétente pour déterminer comment les ressources financières et les services administratifs fournis par la Chambre sont utilisés et appliqués;

b) dans l’exercice des ses activités et de ses fonctions parlementaires, le député a droit à l’utilisation des ressources financières et des services administratifs mis à sa disposition par la Chambre, sous réserve des pouvoirs conférés au Bureau par la Loi;

c) les activités partisanes sont inhérentes et essentielles aux activités et aux fonctions parlementaires du député;

d) le député jouit des droits, immunités et indépendance d’ordre constitutionnel applicables à sa fonction de façon qu’il puisse exercer ses activités et ses fonctions parlementaires sans ingérence ni intimidation;

e) le député jouit d’une discrétion absolue dans la direction et le contrôle du travail exécuté pour son compte par des employés ou des entrepreneurs indépendants et n’est soumis, dans l’exercice de cette discrétion, qu’à l’autorité du Bureau et de la Chambre des communes.

Infraction au règlement

8.(1) Dans les cas où une personne à qui les présents règlements s’appliquent contrevient à ces règlements, le Bureau peut prendre les mesures suivantes :

a) aviser le député responsable, par écrit, de devoir rectifier la situation,

b) si la situation n’est pas rectifiée à sa satisfaction, ordonner la retenue de toute somme d’argent requise pour rectifier la situation sur tout budget, indemnité, allocation ou autre paiement pouvant être mis à la disposition de député aux termes des règlements,

c) si la contravention se poursuit ou s’il l’estime nécessaire pour sauvegarder les fonds de la Chambre des communes, ordonner le blocage, pour le temps et aux conditions qu’il estime nécessaires, de tout budget, indemnité, allocation ou autre paiement pouvant être mis à la disposition du député aux termes des règlements.

2. Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de porter atteinte aux autres recours au civil dont le Bureau dispose. [Soulignements ajoutés.]

3. RÈGLEMENT ADMINISTRATIF 301 CONCER-NANT LES BUREAUX DES DÉPUTÉS

Objet

Le présent règlement a pour objet de déterminer les ressources devant être mises à la disposition de chaque député pour ses bureaux de la Chambre des communes et de sa circonscription.

3. Sont fournis au député, aux conditions fixées par le Bureau, les biens et services déterminés par ce dernier, y compris :

d) sous réserve du paragraphe 3f) l’impression de quatre envois collectifs par année civile;

[. . .]

(f) l’impression et la reproduction des documents fournis par le député, à l’exception de ce qui suit :

(i) les demandes d’adhésion à tout parti politique

(ii) les sollicitations de contributions pécuniaires à tout parti politique;

(iii) la documentation servant aux campagnes électorales provinciales, municipales ou locales, notamment les discours, les listes des recenseurs, les listes des militants bénévoles d’un parti ou d’une circonscription, ce qui se rapporte aux activités des bureaux de scrutin et les demandes d’appui en vue d’une réélection;

(iv) la reproduction intégrale de publications qu’il est possible d’obtenir des Services postaux, distribution et messagers de la Chambre des communes, d’un ministère ou d’une entreprise commerciale;

(v) les travaux que les Services de l’information— Impressions n’est pas, sur le plan technologique, en mesure d’exécuter;

(vi) les demandes qui violeraient un droit d’auteur, à moins d’une autorisation obtenue du titulaire de ce droit;

(vii) s’il s’agit d’une grosse demande, les documents qui ont déjà été reproduits pour le député au cours de la même année.

g) l’application

[. . .]

(ii) de la franchise postale prévue par le paragraphe 35(3) de la Loi sur la Société canadienne des postes pour l’expédition de quatre envois collectifs par année civile à chacun des domiciles de la circonscription. [Soulignement ajoutés.]

APPENDICE D

Manuel des allocations et services aux députés

a) SERVICES D’IMPRESSION

Les députés ont droit aux services suivants d’impression, aux frais de l’Administration de la Chambre :

Consultation, planification et production de ce qui suit :

bulletins parlementaires, dix‑pour‑cent, papeterie personna-lisée et cartes d’affaires (jusqu’à 2 000), photocopie en gros, y compris jusqu’à 10 exemplaires des transcriptions des comités, et reliures.

b) BULLETINS PARLEMENTAIRES

Les bulletins parlementaires sont des documents imprimés envoyés par les députés à leurs électeurs pour les informer des activités et des dossiers parlementaires. Les députés peuvent faire imprimer et expédier jusqu’à quatre bulletins parlemen-taires par année civile : trois entre le 1er janvier et le 15 octobre et un autre entre le 16 octobre et le 31 décembre. Il doit y avoir un intervalle de 30 jours civils entre les demandes d’impression de bulletins parlementaires soumises entre le 1er janvier et le 15 octobre (non souligné dans l’original)

Les bulletins parlementaires non utilisés d’une période ne peuvent être reportés à la période ou à l’année suivante.

Pour chaque bulletin parlementaire, la quantité produite aux frais de l’Administration de la Chambre ne peut dépasser le nombre total de foyers ayant une adresse résidentielle ou rurale, d’entreprises et de membres des Forces armées canadiennes qui sont enregistrés comme électeurs dans la circonscription du député. Les députés qui ont besoin d’exemplaires supplémentaires peuvent les faire imprimer et expédier et en imputer le coût à leur budget de bureau du député.

L’affranchissement des bulletins parlementaires supplémen-taires est assujetti au tarif préférentiel en vrac établi par la Société canadienne des postes et est imputable au budget de bureau du député. Ce tarif préférentiel pour les députés ne s’applique qu’aux bulletins confiés aux Services postaux et de distribution de la Chambre des communes. Les bulletins parlementaires expédiés par l’entremise d’un autre bureau de poste sont affranchis au tarif postal normal. Pour la liste des tarifs en vigueur, voir l’annexe Barème des allocations et taux divers, figurant à la fin du chapitre sur les budgets.

Le Bureau de régie interne approuve les couleurs et les formats des bulletins parlementaires. Pour de plus amples renseignements, consulter les Services d’impression.

c) DIX‑POUR‑CENT

Les dix‑pour‑cent sont des documents imprimés ou photocopiés reproduits en nombre ne dépassant pas 10 p. 100 du nombre total de foyers se trouvant dans la circonscription d’un député. Tout document reproduit en nombre supérieur à ce pourcentage sera considéré comme un bulletin parlemen-taire et déduit du nombre de bulletins parlementaires autorisés du député.

Chaque dix‑pour‑cent est produit en noir et blanc et doit avoir un contenu textuel qui diffère de moitié à chaque tirage. Chaque document ne peut être imprimé qu’une fois par exercice et doit provenir du député. Le nom du député qui en est l’auteur doit paraître en évidence sur chaque dix‑pour‑cent.

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