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[1993] 3 C.F. 401

A-1335-91

James Egan et John Norris Nesbit (appelants) (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (intimée) (défenderesse)

Répertorié : Egan c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney, Linden et Robertson, J.C.A.—Vancouver, 9 décembre 1992; Ottawa, 29 avril 1993.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Appel contre la décision par laquelle la Section de première instance a conclu que le refus d’accorder l’allocation de conjoint prévue à la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne porte pas atteinte pas aux droits que l’art. 15(1) de la Charte garantit aux appelants — Les appelants forment une union homosexuelle de longue date — Demande d’allocation de conjoint rejetée par ce motif que l’appelant n’est pas un « conjoint » au sens de l’art. 2 de la Loi — Les tendances sexuelles constituent un motif analogue de discrimination au regard de l’art. 15(1) de la Charte — Revue de la jurisprudence en matière de discrimination — Le critère de la situation analogue a été rejeté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Andrews — Il y a contravention à l’art. 15(1) quand la discrimination est fondée sur des différences personnelles non pertinentes — Il échet d’examiner si la distinction en l’espèce est fondée sur la qualité de conjoint ou sur les tendances sexuelles — Pertinence des « autres relations non conjugales » — Le critère « concret » convient mieux que le critère « abstrait » lorsqu’il s’agit d’examiner s’il y a discrimination — Le texte de loi attaqué n’impose pas un fardeau disproportionné ou plus lourd aux couples d’homosexuels.

Santé et bien-être social — Demande d’allocation de conjoint rejetée par ce motif que l’appelant n’est pas un « conjoint » au sens de l’art. 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — Il échet d’examiner si l’exclusion des couples homosexuels ou de personnes du même sexe de la définition de « conjoint » est discriminatoire au sens de l’art. 15(1) de la Charte — Explication des objectifs du programme de l’allocation de conjoint — Pour parvenir à un verdict de discrimination, il faut tenir compte des buts de la loi attaquée, de son effet sur les membres du groupe défavorisé et sur les autres personnes exclues — La Loi attaquée n’impose pas un fardeau disproportionné ou plus lourd aux couples de même sexe.

Appel formé contre une décision de la Section de première instance qui a conclu que les droits à l’égalité garantis à l’un des appelants par le paragraphe 15(1) de la Charte n’ont pas été violés du fait que celui-ci s’était vu refuser l’allocation de conjoint prévue à la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Les appelants forment une union homosexuelle depuis 1948. En septembre 1986, l’appelant Egan atteint l’âge de 65 ans et a droit de ce fait à la pension de sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti. L’appelant Nesbit fait une demande d’allocation de conjoint au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Sa demande, dans laquelle il présente Egan comme son conjoint, est rejetée par ce motif que ses relations avec ce dernier ne s’accordent pas avec la définition de « conjoint » à l’article 2 de la Loi. En examinant si les appelants faisaient l’objet d’une mesure discriminatoire fondée sur un motif analogue, savoir les tendances sexuelles, le juge de première instance a conclu qu’il n’y a rien de discriminatoire dans une loi qui limite une prestation aux couples de sexe opposé, et que l’allocation demandée par les appelants leur a été refusée en raison de leur « statut de non-conjoints » et non pas à cause de leurs « tendances sexuelles ». Il échet d’examiner si l’exclusion des couples homosexuels ou de personnes du même sexe de la définition de « conjoint » contenue dans la Loi est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte et, dans l’affirmative, si la restriction imposée par la loi contestée est raisonnable et justifiable au regard de l’article premier de la Charte.

Arrêt (le juge Linden, J.C.A., dissident) : l’appel doit être rejeté.

Le juge Robertson, J.C.A. : Bien que les tendances sexuelles ne soient pas expressément visées au paragraphe 15(1), il est constant que la liste des motifs énumérés n’est pas limitative et que la protection découlant de cette disposition peut s’étendre à ceux qui prouvent qu’ils appartiennent à un groupe défavorisé et qu’il y a discrimination fondée sur des motifs analogues. Les tendances sexuelles peuvent être invoquées comme motif analogue de discrimination qu’interdit le paragraphe 15(1). L’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia fait jurisprudence en matière de discrimination visée par l’article 15 de la Charte. Ce précédent rejette expressément le critère de la situation analogue, selon lequel les gens qui se ressemblent doivent être traités de la même façon et les gens qui sont différents doivent être traités différemment, par ce motif que pareille approche exclut toute considération de la nature de la loi et ne pourrait être appliquée que de façon mécanique. L’argumentation des appelants étant fondée sur la « similitude » entre couples homosexuels et couples hétérosexuels, l’arrêt Andrews de la Cour suprême anéantit la prémisse même sur laquelle ils fondent leur plainte de discrimination. Il a été également jugé dans Andrews qu’il ne faut pas priver quelqu’un d’un avantage en raison d’une distinction fondée sur des différences personnelles non pertinentes. L’importance de l’impératif juridique, selon lequel la distinction illicite doit être fondée sur une différence personnelle non pertinente, ne peut pas être ignorée puisque cet impératif est fondamental pour notre compréhension des règles juridiques en matière de discrimination visée par l’article 15 de la Charte. Les appelants se plaignant de discrimination en termes de différence de traitement entre couples homosexuels et couples hétérosexuels, distinction qu’ils qualifient de non pertinente, les tendances sexuelles demeurent un élément hautement pertinent. À la lumière de l’arrêt Andrews qui définit la discrimination en termes de différence personnelle non pertinente et exclut l’application du critère de la situation analogue, l’argument des appelants que la définition de « conjoint » à l’article 2 est discriminatoire, doit être rejeté.

Un verdict de discrimination pour cause de tendances sexuelles n’est pas automatiquement exclu du fait qu’une condition d’admissibilité est la qualité de conjoint. Il sera jugé qu’il n’y a pas discrimination fondée sur la qualité de conjoint, à condition que les conséquences de la loi contestée soient telles que les demandeurs satisfont au critère de l’effet défavorable défini par la Cour suprême. La définition de « conjoint » contenue dans la Loi exclut un groupe considérable de non-conjoints : frères, sœurs, amis, parents. Il est vrai que les couples homosexuels sont soumis à diverses formes de discrimination « blessante », mais il convient de se demander s’il faut juger de leurs droits séparément de ceux qui sont également touchés par la loi en cause. Dans les cas où celle-ci exclut des personnes autres que les membres d’un groupe défavorisé particulier, il faut peser l’importance de cette réalité lorsqu’il s’agit de juger si une distinction a un effet discriminatoire. Une loi refusant le bénéfice aux membres d’un autre groupe peut échapper à un verdict de discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte. Il y a deux vues opposées quant à ce qu’il faut prouver pour satisfaire au critère de l’effet défavorable établi par l’arrêt Andrews. La première méthode, qu’on peut appeler celle du « critère abstrait », consiste à présumer qu’il y a discrimination une fois prouvé qu’il y a distinction fondée sur un motif illicite, et ce sans avoir égard aux buts de la loi en cause, ni au fait que d’autres ont été peut-être privés aussi du bénéfice. La seconde méthode, qu’on peut appeler celle du « critère concret » et qui est adoptée dans l’arrêt Andrews, tient compte du contexte et prescrit l’analyse en règle de l’effet immédiat de la loi en cause sur les membres du groupe défavorisé, et aussi sur les autres qui sont exclus, par rapport aux buts de cette loi. Vu l’objectif du programme de l’allocation de conjoint tel qu’il a été expliqué par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de l’époque, on ne peut dire que le régime mis en place par la loi impose un fardeau disproportionné ou plus lourd aux couples homosexuels. Le refus d’accorder l’allocation de conjoint ne franchit pas la ligne de démarcation entre « distinction » et « discrimination ». Le juge de première instance a eu raison de conclure que les appelants ne peuvent bénéficier du programme en raison de leur statut de non-conjoints, et non pas à cause de leurs tendances sexuelles.

Le juge Mahoney, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : La discrimination que les appelants voient dans la définition de « conjoint » n’est pas dirigée contre les homosexuels comme tels ni contre tous les couples homosexuels, mais seulement contre ceux qui se sont mis en ménage et l’ont proclamé. Essentiellement, leur attaque vise la non-inclusion, dans la définition, du concept d’union conjugale de fait formée de deux personnes du même sexe. Dans la mesure où la définition en cause touche les appelants et d’autres couples d’homosexuels qui se présentent comme conjoints, on ne peut arriver à la conclusion que la distinction contenue dans cette définition est discriminatoire que par application mécanique du critère de la situation analogue.

Le juge Linden, J.C.A. (dissident) : L’analyse à la lumière du paragraphe 15(1) peut s’effectuer à deux niveaux; le niveau indiqué dépend de la question de savoir si le demandeur conclut à réparation individuelle sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte ou à réparation générale sous le régime du paragraphe 52(1). Il incombe à la partie qui conclut à réparation individualisée sous le régime du paragraphe 24(1) de prouver que la distinction en cause a, directement ou indirectement, porté atteinte à ses propres droits à l’égalité, alors que celle qui invoque le paragraphe 52(1) doit prouver que la loi en cause porte atteinte aux droits du groupe. Les appelants concluent à réparation sous le régime du paragraphe 52(1) au nom du groupe—gais et lesbiennes—et non pas à titre individuel. Pour faire valoir une demande sous le régime du paragraphe 15(1), le demandeur doit prouver qu’une loi fait une distinction ou a un effet disparate qui viole l’un des quatre droits à l’égalité (égalité devant la loi, égalité dans la loi, même protection de la loi, même bénéfice de la loi), et ce de façon discriminatoire. Les mots « de sexe opposé » figurant à la définition de « conjoint » de l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse excluent expressément les gais et les lesbiennes de l’admissibilité à l’allocation de conjoint, et ce indépendamment de l’exclusion d’autres groupes ou individus. Cette distinction a pour effet de dénier le même bénéfice de la loi à des gais et des lesbiennes, qui sont qualifiés à tous autres égards. Le paragraphe 15(1) interdit la discrimination non seulement pour les motifs énumérés, mais aussi pour des motifs analogues. La conclusion par les tribunaux judiciaires que les tendances sexuelles constituent un motif analogue de discrimination au regard du paragraphe 15(1) est renforcée par des lois qui reconnaissent que les gais et les lesbiennes ont souffert de tout temps de désavantages et de préjugés et devraient être protégés contre la discrimination. Les gais et les lesbiennes sont défavorisés sur le plan juridique, économique, social et politique. Que d’autres groupes soient aussi exclus du programme de l’allocation de conjoint ne change rien au fait que les gais et les lesbiennes en sont exclus à cause de leurs tendances sexuelles. La preuve établissant qu’un groupe est défavorisé indépendamment de la loi en cause est indubitablement importante lorsqu’il s’agit de décider si ce groupe est désavantagé par une distinction et fait ainsi l’objet d’une mesure discriminatoire. La définition de « conjoint » à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse fait une distinction fondée sur les tendances sexuelles, qui a pour effet de priver les membres d’unions de gais ou de lesbiennes du bénéfice de la loi qu’est l’allocation de conjoint. Les gais et les lesbiennes constituant un groupe généralement défavorisé par suite des préjugés et des stéréotypes, l’appelant Nesbit n’est pas tenu de prouver qu’il a été personnellement victime d’une mesure discriminatoire. Le fait qu’il ait reçu des prestations d’un autre régime ne peut remédier à l’effet discriminatoire de la privation de l’allocation de conjoint par suite d’une caractéristique correspondant à un motif énuméré de discrimination ou à un motif analogue. En excluant les membres des unions de gais et de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint, le législateur est allé à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte.

Afin de prouver que la restriction d’un droit garanti par la Charte est raisonnable et justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique, il faut démontrer en premier lieu que l’objectif visé par la limitation est « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution ». Les appelants concèdent que l’objectif du programme de l’allocation de conjoint institué par la Loi sur la sécurité de la vieillesse est urgent et réel au point de satisfaire à la première condition du critère défini par l’arrêt Oakes. La seconde condition est l’application d’un critère de proportionnalité à trois volets. Il n’a été satisfait qu’au premier volet de ce critère. Les avocats de part et d’autre conviennent que le moyen employé dans le programme de l’allocation de conjoint a un lien rationnel avec l’objectif de ce programme. Cependant, celui-ci ne porte pas atteinte le moins possible au droit garanti par le paragraphe 15(1). L’extension de l’allocation aux membres de couples de gais ou de lesbiennes, en sus des membres d’unions hétérosexuelles, est un autre moyen approprié pour atteindre le même objectif de façon tout aussi efficace. On ne peut donc pas dire que la violation de la Charte du fait de l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse soit raisonnable; la condition de l’atteinte minimale du critère de proportionnalité n’est pas remplie. Qui plus est, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où un droit garanti par la Charte n’est que marginalement affecté; la violation est claire et directe en l’espèce. Les effets de la mesure en cause sur le droit de recevoir des prestations n’étant pas proportionnés à l’objectif de la loi, la disposition attaquée n’est pas justifiable au regard de l’article premier de la Charte.

Dans les affaires concernant un régime de prestations, il est préférable de donner une interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression) ou une interprétation large d’une disposition incompatible, plutôt que d’invalider le programme tout entier. La Cour suprême a relevé certains facteurs qui permettent de présumer que le législateur approuverait et l’interprétation large et l’interprétation atténuée plutôt que l’invalidation de la loi en cause. La mesure de réparation qu’il convient d’adopter pour rendre l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse conforme au paragraphe 15(1) de la Charte consisterait à interpréter la définition de « conjoint » comme si les mots « de sexe opposé » en ont été supprimés et les mots « ou comme unies par des liens semblables » ont été ajoutés après le membre de phrase « pourvu que les deux se soient présenté[e]s comme mari et femme ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15, 24.

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 10 (mod. par L.Q. 1992, ch. 61, art. 3).

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, art. 1, 2, 3, 5, 6.

Code des droits de la personne, S.M. 1987-88, ch. 45, art. 9(2).

Guaranteed Available Income for Need Act, R.S.B.C. 1979, ch. 158.

Human Rights Act, R.S.N.S. 1989, ch. 214, art. 12 (mod. par S.N.S. 1991, ch. 12, art. 1).

Human Rights Act, R.S.Y. 1986 (Suppl.), ch. 11.

Loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1979, ch. 4.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 24.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi des pensions de vieillesse, S.R.C. 1927, ch. 156.

Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, abrogeant la Loi sur l’assistance-vieillesse et modifiant, en conséquence, certaines autres lois, S.C. 1974-75-76, ch. 58.

Loi modifiant la Loi sur les droits de la personne, L.N.-B. 1992, ch. 30.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 34, art. 1), 19(1),(2) (mod. idem, art. 2).

Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1951, ch. 18.

Loi sur les rentes viagères servies par l’État, 1908, S.C. 1908, ch. 5.

Medical Services Act, R.S.B.C., 1979, ch. 255.

Medical Services Act Regulations, B.C. Reg. 144/68, art. 2.01 (mod. par B.C. Reg. 5/77).

Projet de loi C-108, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois en conséquence, 3e sess., 34e Parl. 1992.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; (1990), 76 D.L.R. (4th) 545; 91 CLLC 17,004; 2 C.R.R. (2d) 1; 118 N.R. 1; 45 O.A.C. 1; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 14 O.A.C. 335.

DÉCISION APPLIQUÉE :

Haig v. Canada (1992), 9 O.R. (3d) 495 (C.A.); confirmant Haig v. Canada (1991), 5 O.R. (3d) 245; 86 D.L.R. (4th) 617 (Div. gén.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Layland v. Ontario (Minister of Consumer and Commercial Relations), [1993] O.J. 575 (QL); R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Veysey c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321; (1989), 39 Admin. L.R. 161; 44 C.R.R. 364; 29 F.T.R. 74 (1re inst.); Brown v. British Columbia (Minister of Health) (1990), 66 D.L.R. (4th) 444; 42 B.C.L.R. (2d) 294 (C.S.); Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728; 58 B.C.L.R. (2d) 356; 91 CLLC 17,023 (C.S.C.-B.); Andrews v. Ontario (Minister of Health) (1988), 64 O.R. (2d) 258; 49 D.L.R. (4th) 584; 9 C.H.R.R. D/5089; 88 CLLC 17,023 (H.C.); Dred Scott v. Sandford, 19 How. 393 (1856 U.S. S.Ct.); Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; (1989), 59 D.L.R. (4th) 352; [1989] 4 W.W.R. 39; 58 Man.R. (2d) 1; 25 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6205; 89 CLLC 17,011; 47 C.R.R. 274; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 94 N.R. 373; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 50 Admin. L.R. 1; 36 C.C.E.L. 117; 91 CLLC 14,023; 4 C.R.R. (2d) 12; 126 N.R. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

United States v. Carolene Products Co., 304 U.S. 144 (1938); R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906; [1990] 6 W.W.R. 289; 59 C.C.C. (3d) 161; 79 C.R. (3d) 332; 50 C.R.R. 71; 119 N.R. 353; 46 O.A.C. 13; Veysey v. Canada (Correctional Service) (1990), 43 Admin. L.R. 316; 34 F.T.R. 240; 109 N.R. 300 (C.A.F.); Leshner v. Ontario (No. 2) (1992), 16 C.H.R.R. D/184 (Comm. enq. Ont.); Douglas c. Canada, [1993] 1 C.F. 264 (1re inst.); Reference re Meaning of the word « Persons » in s. 24 of the B.N.A. Act, 1867, [1928] R.C.S. 276; [1928] 4 D.L.R. 98; Re Section 24 of B.N.A. Act, [1930] 1 D.L.R. 98; [1930] A.C. 124 (P.C.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 86 CLLC 17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 8 C.H.R.R. D/4210; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161; Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695; (1990), 69 D.L.R. (4th) 329; 43 Admin. L.R. 1; 41 C.P.C. (2d) 1; 46 C.R.R. 263; 106 N.R. 1; 39 O.A.C. 1; Plessy v. Ferguson, 163 U.S. 537 (1896); Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 85 CLLC 14,023; 58 N.R. 81; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; [1991] 2 W.W.R. 385; (1990), 69 Man. R. (2d) 161; 62 C.C.C. (3d) 193; 2 C.R. (4th) 1; 1 C.R.R. (2d) 1; 119 N.R. 161; Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139; (1991), 77 D.L.R. (4th) 385; 4 C.R.R. (2d) 60; 120 N.R. 241; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154; (1991), 84 D.L.R. (4th) 161; 67 C.C.C. (3d) 193; 38 C.P.R. (3d) 451; 8 C.R. (4th) 145; 7 C.R.R. (2d) 36; 130 N.R. 1; 49 O.A.C. 161; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18; (1990), 71 D.L.R. (4th) 661; 32 C.C.E.L. 276; 12 C.H.R.R. D/355; 90 CLLC 17,021 (C.A.); Vogel v. Manitoba (1992), 90 D.L.R. (4th) 84; [1992] 3 W.W.R. 131 (C.B.R. Man.); Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183; (1978), 92 D.L.R. (3d) 417; [1978] 6 W.W.R. 711; 78 CLLC 14,175; 23 N.R. 527; Meinhold v. U.S. (Department of Defense), [1993] W.L. 15899 (C.D. Cal.) (Westlaw).

DOCTRINE

Bayefsky, Anne F. « A Case Comment on the First Three Equality Rights Cases Under the Canadian Charter of Rights and Freedoms : Andrews, Workers’ Compensation Reference, Turpin » (1990), 1 S.C.L.R. (2d) 503.

Beaudoin, Gérald-A. et Edward Ratushny, Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd., Montréal : Wilson & Lafleur Ltée, 1989. (ch. 14 « Les droits à l’égalité » par William Black et Lynn Smith, à la p. 629).

Canada. Chambre des communes, Comité permanent de la santé, du bien-être social et des affaires sociales, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 25 (12 juin 1975).

Canada. Chambre des communes, Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalié : Égalité pour tous, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1985.

Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 1re sess., 30e lég., 24 Eliz. II, 1975.

Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. I, 1re sess., 31e lég., 29 Eliz. II, 1979.

« Developments in the LawSexual Orientation and the Law » (1989), 102 Harv. L. Rev. 1509.

Elliott, David W. « Comment on Andrews v. Law Society of British Columbia and section 15(1) of the Charter : the Emperor’s New Clothes? » (1990), 35 McGill L.J. 235.

Gibson, Dale « Analogous Grounds of Discrimination Under the Canadian Charter : Too Much Ado About Next to Nothing » (1991), 29 Alta. L. Rev. 772.

Gibson, Dale « Equality for Some » (1991), 40 UNBLJ 2.

Wolfson, Evan « Civil Rights, Human Rights, Gay Rights : Minorities and the Humanity of Different » (1991), 14 Harv. Jl.L. & Pub. Pol’y 21 .

APPEL contre la décision de la Section de première instance ([1992] 1 C.F. 687; (1991), 87 D.L.R. (4th) 320; 1 C.E.B. & P.G.R. 8110; 47 F.T.R. 305; 38 R.F.L. (3d) 294 (1re inst.)), aux termes de laquelle le refus d’octroyer au partenaire d’une union homosexuelle l’allocation de conjoint que la Loi sur la sécurité de la vieillesse accorde au conjoint de fait de sexe opposé, ne porte pas atteinte aux droits à l’égalité prévus au paragraphe 15(1) de la Charte. Appel rejeté.

AVOCATS :

Joseph J. Arvay, c.r. pour les appelants (demandeurs).

Harry J. Wruck, c.r., Faye E. Campbell, c.r., et Lisa Hitch pour l’intimée (défenderesse).

PROCUREURS :

Arvay, Finlay, Vancouver, pour les appelants (demandeurs).

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée (défenderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Mahoney, J.C.A. : J’ai pu prendre connaissance, à l’état de projet, des motifs de jugement complets que mes collègues se proposent de prononcer. Ils ont passé en revue toute la jurisprudence et toute la doctrine en la matière, ce qui m’évite de faire de longues citations.

Il s’agit en l’espèce de l’appel formé contre une décision publiée de la Section de première instance[1], qui a conclu que les droits garantis aux appelants par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]][2] n’avaient pas été violés du fait que Nesbit s’était vu refuser l’allocation de conjoint sous le régime de la Loi sur la sécurité de la vieillesse[3], en raison de la définition de « conjoint » dans la même Loi.

2.

« conjoint » Est assimilée au conjoint la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme. [Soulignements ajoutés.]

Les appelants concluent, par recours exercé en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], à jugement déclarant que, dans la Loi,

[traduction] « conjoint » s’entend également de la personne, même si elle du même sexe, qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentées comme conjoints.

Le juge Linden a façonné un jugement plus conforme aux règles prescrites par l’arrêt Schachter c. Canada[4]. Le juge de première instance a tiré la conclusion suivante[5] :

Je pense qu’on peut présumer que, Nesbit eût-il été une femme cohabitant avec Egan dans les mêmes conditions, il aurait eu droit à l’allocation de conjoint.

Il s’agit là d’une conclusion inattaquable sur les faits, tirée à la lumière des preuves produites.

La violation de droits invoquée en l’espèce est la discrimination pour cause de tendances sexuelles, laquelle a été reconnue comme étant analogue à la discrimination fondée sur le « sexe ». Selon les magistères applicables en la matière, cette reconnaissance est valide sur le plan juridique. En raison de la définition en cause, Nesbit n’a pas eu le même bénéfice de la loi qu’un conjoint de fait de sexe opposé. De même, les appelants, en tant que couple, ont été privés de ce bénéfice.

En tant que critère servant à déterminer si le traitement différent prévu par la loi pour différentes personnes est discriminatoire, celui de la situation analogue a été définitivement rejeté par la Cour suprême du Canada dans Andrews c. Law Society of British Columbia[6], ce qu’elle a confirmé dans McKinney c. Université de Guelph[7]. Il a été rejeté sans rémission parce que, pour reprendre la conclusion du juge La Forest :

Tout simplement, je ne crois pas que le critère de la situation analogue puisse être appliqué autrement que d’une façon machinale …

En rejetant ce critère, le juge McIntyre s’était prononcé en ces termes dans Andrews[8] :

Tout en reconnaissant qu’il y aura toujours une variété infinie de caractéristiques personnelles, d’aptitudes, de droits et de mérites chez ceux qui sont assujettis à une loi, il faut atteindre le plus possible l’égalité de bénéfice et de protection et éviter d’imposer plus de restrictions, de sanctions ou de fardeaux à l’un qu’à l’autre. En d’autres termes, selon cet idéal qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s’appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l’un que sur l’autre.

Le critère formulé comporte cependant un grave défaut en ce qu’il exclut toute considération de la nature de la loi.

Il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu’elle vise, de même que sur ceux qu’elle exclut de son champ d’application.

En l’espèce, le contenu de la définition, son effet sur ceux qu’elle embrasse et son effet sur ceux qu’elle exclut de son champ d’application, sont fort clairs. Il reste à examiner cette définition en fonction de son objectif dans le contexte de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

La Partie I de la Loi prévoit le versement d’une pension mensuelle aux citoyens et résidents permanents du Canada qui atteignent l’âge de 65 ans. Cette pension est payable sur demande, indépendamment des besoins de l’intéressé. La Partie II prévoit le versement au pensionné d’une prestation supplémentaire, appelée supplément de revenu garanti, en fonction de ses besoins. Ces besoins sont calculés compte tenu du revenu du conjoint. La Partie III prévoit le versement d’une allocation, à l’âge de 60 ans, au conjoint du pensionné qui a droit au supplément de revenu garanti.

L’allocation de conjoint fut instituée en 1975[9]. Témoignant devant le Comité permanent de la santé, du bien-être social et des affaires sociales, l’honorable Marc Lalonde, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social à l’époque, a fait cette déclaration[10] :

Son objectif est simple et clair, il permet d’assurer à un couple dont l’un des conjoints est forcé de prendre sa retraite et qui doivent vivre de la pension d’une seule personne, et lorsque le soutien de famille doit prendre sa retraite à l’âge de 65 ans ou peu après, de pouvoir retirer un revenu qui sera l’équivalent de ce que retireraient les deux conjoints si elles étaient à la retraite ou âgées de 60 [sic] ans et plus. Voilà ni plus ni moins, l’objectif du bill.

La loi adoptée est conforme à cet objectif. Elle reconnaît l’obligation pour toute personne de pourvoir aux besoins de son conjoint et traite le pensionné (la pensionnée) et sa conjointe (son conjoint) comme un couple ayant droit à l’allocation en fonction de ses besoins. Cette définition a pour effet de dénier cette allocation aux couples qualifiés à d’autres égards mais qui ne forment pas une union conjugale légitime ou de fait.

Un grand nombre de personnes cohabitent à deux, dont les relations sont exclues du champ d’application de la définition. Les frères et sœurs qui cohabitent en sont l’exemple courant; il en est de même des parents ou alliés, et des personnes qui ne sont pas apparentées. Ces gens cohabitent pour une multitude de raisons personnelles, lesquelles sont combinées ou non, par exemple des raisons de simple commodité, l’avantage de la mise en commun des ressources, l’identité d’intérêts, la sympathie, l’amitié et l’affection non sexuelle, l’avantage d’avoir un soutien pour quelqu’un qui est infirme ou malade ou qui craint de tomber malade, ou encore simplement pour éviter la solitude ou l’isolement. À moins de pressions subjectives, il n’est pas nécessaire que le sexe soit un élément à considérer dans le choix d’un ou d’une partenaire. Il y a ceux, comme les appelants, pour lesquels le sexe est le facteur déterminant dans le choix du partenaire. Un grand nombre de couples de ce genre, peut-être la plupart d’entre eux, ne se présentent pas publiquement comme conjoints de manière à bénéficier du redressement que recherchent les appelants.

La discrimination que les appelants voient dans la définition en cause n’est pas dirigée contre les homosexuels comme tels ni contre tous les couples homosexuels, mais seulement contre ceux qui se sont mis en ménage puis l’ont proclamé. Essentiellement, l’attaque des appelants vise la non-inclusion dans la définition, du concept d’union conjugale de fait formée de deux personnes du même sexe. C’est précisément et uniquement parce que la situation de Nesbit est analogue à celle du conjoint de fait de sexe opposé, qui est inclus dans la définition, que les appelants peuvent soutenir rationnellement que son exclusion par application de la définition est discriminatoire, sans toucher à la question de l’exclusion des autres couples non conjugaux.

Je vois que pour arriver à la conclusion que proposent les appelants, on doit distinguer les couples homosexuels de la catégorie générale des couples non conjugaux qui n’ont pas droit à l’allocation de conjoint. Cette distinction doit être nécessairement fondée sur une différence personnelle non pertinente, savoir les tendances sexuelles, car il n’y a aucune autre différence identifiable en l’espèce. On devra alors accepter que, les appelants ayant vécu ensemble pendant un an au moins et s’étant publiquement présentés comme conjoints, on ne peut légitimement pas, pour ce qui est de la pension, les distinguer des conjoints de fait de sexe opposé. Pareille conclusion irait à l’encontre des principes définis par l’arrêt Andrews. Dans la mesure où la définition en cause touche les appelants et d’autres couples homosexuels qui se présentent comme conjoints, on ne peut, à mon avis, arriver à la conclusion que la distinction contenue dans cette définition est discriminatoire, que par application mécanique du critère de la situation analogue.

Le juge de première instance a tiré la conclusion suivante[11] :

Par comparaison avec l’unité ou la catégorie qui bénéficie de la loi contestée, les demandeurs relèvent de la catégorie générale des non-conjoints, et ne peuvent en bénéficier en raison de leur statut de non-conjoints, et non pas à cause de leurs tendances sexuelles.

Je partage cette conclusion, et n’en trouve pas le raisonnement sophistique. À mon avis, elle découle d’un examen de la nature de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de l’objectif de l’allocation de conjoint, non pas d’une simple acceptation de la définition en cause.

Je partage la décision du juge Robertson, ainsi que son espoir que l’intimée ne demandera pas le remboursement des dépens auxquels elle a droit. Je me prononce pour le rejet de l’appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. (dissident) : Je ne peux me ranger aux conclusions de mes collègues.

Cet appel est facile à exposer, mais difficile à résoudre; il soulève la question de savoir si la définition de « conjoint » à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. L’article 2 de la Loi comporte la définition suivante :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi

« conjoint » Est assimilée au conjoint la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme.

Il s’agit là de la version révisée d’une définition antérieure et ajoutée en 1975 [S.C. 1974-75-76, ch. 58, art. 1] à la Loi sur la sécurité de la vieillesse, afin d’étendre le bénéfice du nouveau régime d’allocation de conjoint aux « conjoints de fait » qui n’en bénéficiaient pas auparavant. Cette définition délimite l’admissibilité à l’allocation de conjoint prévue au paragraphe 19(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse . L’emploi des mots « personne de sexe opposé » limite indubitablement l’admissibilité aux membres d’unions hétérosexuelles et exclut les gais et les lesbiennes.

James Egan et John Nesbit contestent cette définition, en soutenant qu’elle est discriminatoire à leur égard et à l’égard d’autres gais en raison de leurs tendances sexuelles et en violation du paragraphe 15(1) de la Charte, qui prévoit ce qui suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

En tant que recours fondé sur la Charte contre la discrimination pour cause de tendances sexuelles, l’affaire en instance est très différente de la cause Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, qui porte sur la discrimination pour cause de situation de famille. En fait, la Cour suprême a rejeté les prétentions de Brian Mossop en partie parce qu’il concluait à discrimination pour cause de situation de famille et non pour cause de tendances sexuelles. Ce qui est plus important encore, c’est que l’arrêt Mossop porte surtout sur la question restreinte de l’interprétation d’une loi, la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], et non sur sa constitutionnalité; par contre, nous sommes en présence en l’espèce d’une attaque directe contre la constitutionnalité d’un texte de loi (Mossop, supra, le juge en chef Lamer, à la page 578). Dans Mossop, la Cour suprême rappelle ce point à plusieurs reprises, en indiquant que l’analyse aurait pu être tout autre si la Charte avait été en jeu. Prononçant les motifs de la majorité, le juge en chef Lamer fait état du champ restreint de la décision Mossop, soulignant que « [c]ette décision ne doit pas non plus être interprétée comme signifiant que les couples homosexuels ne peuvent pas constituer une « famille » dans le contexte de lois autres que la LCDP ». (Mossop, supra, le juge en chef Lamer, à la page 582). L’affaire dont nous sommes saisis ne soulève pas la question de la définition de famille.

De même, elle est aussi très différente de la cause Layland v. Ontario (Minister of Consumer and Commercial Relations), [1993] O.J. 575 (QL) qui porte sur le mariage entre gais ou entre lesbiennes. En effet, dans Layland, le juge Southey a expressément conclu ce qui suit, à la page 23 (QL)) :

[traduction] Que les partenaires unis par des relations homosexuelles soient admissibles ou non aux mêmes prestations que les gens unis par les liens du mariage, sans discrimination fondée sur la nature de leur union, voilà une autre question.

On voit donc que ces deux décisions récentes ne sont guère un secours pour la solution du litige en l’espèce, qui porte sur une question plutôt différente, savoir si la Charte permet l’exclusion des membres d’unions de gais ou de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint et si cette exclusion vaut discrimination pour cause de tendances sexuelles. La majorité de la Cour, confirmant le jugement de première instance, conclut que les gais et les lesbiennes peuvent être exclus du programme; je ne partage pas cette conclusion.

1.         LES FAITS DE LA CAUSE

James Egan et John Nesbit forment depuis 1948 une union homosexuelle au grand jour. Ces 45 dernières années, ils ont vécu un engagement durable l’un envers l’autre, leur vie quotidienne étant intimement liée. Ils ont des comptes bancaires joints et partagent cartes de crédit et autres biens. Dans leurs testaments, Egan et Nesbit se sont désignés l’un et l’autre leurs exécuteurs testamentaires et légataires respectifs. Ils se donnent aussi l’un à l’autre pleine procuration générale. Ils ont publiquement échangé les anneaux de mariage et, à leurs parents et amis, se présentent comme partenaires.

Le 14 septembre 1986, Egan atteint l’âge de 65 ans. Le 1er octobre 1986, il devient admissible à la pension de sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti, qu’il commence à recevoir. Par lettre en date du 25 février 1987, il demande pour John Nesbit l’allocation de conjoint visée à l’article 19 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 34, art. 2] de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social informe par lettre les appelants que Nesbit n’a pas droit à l’allocation de conjoint.

Le 24 juillet 1989, Nesbit demande l’allocation de conjoint sous le régime des dispositions de la Partie III de la Loi. Dans la demande, il indique que Egan est son conjoint. Le 8 septembre 1989, la demande de Nesbit est également rejetée par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social par ce motif qu’il n’est pas le conjoint d’Egan, au sens de la définition à l’article 2 de la Loi. Egan et Nesbit saisissent la Section de première instance de cette Cour, qui rejette leur recours (Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (1re inst.)).

Le juge de première instance conclut que le programme de l’allocation de conjoint n’est pas discriminatoire. Tout en admettant que la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi crée une distinction, il conclut cependant que cette distinction n’est pas discriminatoire, par cette explication à la page 703 :

Cette loi refuse aux couples homosexuels des prestations financières, savoir l’allocation de conjoint, qui sont accordées aux couples hétérosexuels dont l’un des conjoints a 65 ans révolus et l’autre est âgé de 60 à 65 ans. Cependant, cette distinction n’est pas fondée sur les tendances sexuelles des demandeurs et ne constitue donc pas à leur égard une mesure discriminatoire fondée sur ce motif.

Le juge de première instance examine ensuite le fondement de cette distinction. Après avoir analysé les arguments des avocats de part et d’autre, il conclut que la distinction créée par le programme de l’allocation de conjoint sépare conjoints et non-conjoints. Il se prononce en ces termes aux pages 703 et 704 :

En l’espèce, les demandeurs ne tombent pas dans le champ d’application de la définition donnée par le législateur à la catégorie de personnes auxquelles il entendait accorder l’allocation de conjoint.

Par comparaison avec l’unité ou la catégorie qui bénéficie de la loi contestée, les demandeurs relèvent de la catégorie générale des non-conjoints, et ne peuvent en bénéficier en raison de leur statut de non-conjoints, et non pas à cause de leurs tendances sexuelles.

À mon avis cependant, cette analyse, adoptée en grande partie par la majorité, est sophistique car elle nous ramène à la question initiale sans lui donner une solution satisfaisante. La question soumise à la décision de la Cour est de savoir si la définition de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse crée, dans l’octroi de prestations, une distinction qui serait discriminatoire au chapitre des tendances sexuelles. On ne peut résoudre cette question en se contentant de dire que la distinction faite par la Loi est fondée sur la définition de conjoint et non pas sur les tendances sexuelles. C’est justement cette définition de conjoint qui est visée par la plainte de discrimination. La question qui se pose est de savoir si l’exclusion des gais et des lesbiennes de la définition de conjoint et, par conséquent, de l’admissibilité à l’allocation de conjoint, enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte. Il s’ensuit qu’à mon avis, la Cour doit soumettre la définition de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse à une analyse minutieuse à la lumière du paragraphe 15(1) de la Charte.

2.         RECOURS DÉCOULANT DES PARAGRAPHES 24(1) ET 52(1)

L’analyse à la lumière du paragraphe 15(1) peut s’effectuer à deux niveaux différents. Le niveau indiqué dépend de la question de savoir si le demandeur conclut à réparation individuelle sous le régime du paragraphe 24(1) ou à réparation générale sous le régime du paragraphe 52(1). À la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, il est maintenant clair que les paragraphes 24(1) et 52(1) ont des fonctions correctives différentes. Le paragraphe 24(1) habilite les tribunaux à ordonner des réparations individualisées. Il entre en jeu lorsqu’une loi n’est pas inconstitutionnelle en soi, mais qu’un acte accompli sous son régime porte atteinte à des droits garantis par la Charte. Dans ce cas, ce qui importe, c’est l’effet de l’acte sur l’individu touché. En conséquence, il incombe à la partie qui se fonde sur le paragraphe 15(1) pour conclure à une réparation individualisée sous le régime du paragraphe 24(1), de prouver que la distinction en cause a, directement ou indirectement, porté atteinte à ses propres droits à l’égalité. La preuve que l’acte accompli en application d’une loi porte atteinte aux droits à l’égalité d’un groupe sera concluante, mais ne suffira pas à elle seule à établir que les droits garantis par le paragraphe 15(1) à un individu ont été violés. Étant donné que le paragraphe 24(1) porte réparation individualisée, l’analyse faite à la lumière de la Charte en vue de cette réparation doit être focalisée en dernière analyse sur la partie demanderesse elle-même.

À la différence du paragraphe 24(1), le paragraphe 52(1) s’applique pour invalider tout ou partie d’une loi, lorsqu’il est jugé que cette loi elle-même, et non pas un acte accompli sous son régime, est inconstitutionnelle. Pour prouver qu’une loi va à l’encontre de la Charte et est de ce fait inconstitutionnelle, il est nécessaire de prendre en considération son but ou son effet général. Il ne suffit pas de démontrer qu’une loi ne viole pas les droits d’un individu pour en confirmer la constitutionnalité. On ne peut pas prouver que quelque chose est constitutionnel sur le plan général en démontrant qu’il est constitutionnel dans un cas particulier. Il s’ensuit que la partie qui se fonde sur le paragraphe 15(1) pour contester la validité d’une loi sous le régime du paragraphe 52(1), doit prouver que celle-ci porte atteinte aux droits du groupe (c’est-à-dire les gais, les lesbiennes, les femmes, les Afro-Canadiens, etc.). Il va de soi qu’en cas de recours intenté en application du paragraphe 52(1), le fait que les propres droits à l’égalité de la partie demanderesse sont violés peut servir à prouver que les droits à l’égalité du groupe, garantis par le paragraphe 15(1), ont été violés. Si une disposition porte atteinte aux droits à l’égalité d’un individu en sa qualité de membre d’un groupe, elle porte atteinte également aux droits à l’égalité de ce groupe. Cela ne signifie cependant pas qu’un membre d’un groupe donné ne peut pas contester avec succès la validité d’une loi dans le cas où rien n’indique que ses propres droits à l’égalité ont été violés. La réparation fondée sur le paragraphe 52(1) n’est nullement subordonnée à la preuve qu’il y a eu violation des droits garantis par le paragraphe 15(1) à l’individu qui intente le recours.

Il n’est nécessaire de prouver la violation des droits à l’égalité à la fois du groupe et de l’individu que si les paragraphes 24(1) et 52(1) sont invoqués simultanément. Cependant, comme l’a fait observer le juge en chef Lamer dans Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, la réparation visée au paragraphe 24(1) sera rarement accordée en conjonction avec l’application de l’article 52. Dans les cas exceptionnels où les deux dispositions s’appliquent simultanément, l’analyse doit se faire aux deux niveaux, individuel et général. Dans le cas contraire, comme en l’espèce, le niveau d’analyse à observer tout au long du jugement à la lumière du paragraphe 15(1) correspondra à la réparation recherchée.

En l’espèce, les appelants concluent essentiellement à réparation sous le régime du paragraphe 52(1). En conséquence, mon analyse à la lumière du paragraphe 15(1) sera centrée sur le groupe—gais et lesbiennes—et non pas sur les appelants à titre individuel. Mon examen portera principalement sur l’effet du programme de l’allocation de conjoint sur le groupe en général, et non pas sur les appelants individuellement.

3.         LE PARAGRAPHE 15(1) DE LA CHARTE

Le paragraphe 15(1) fait partie de l’article intitulé —Droits à l’égalité— de la Charte. Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, qui est la première décision de la Cour suprême portant sur le paragraphe 15(1), le juge McIntyre a fait cette observation en page 164 :

Le concept d’égalité fait partie de la pensée occidentale depuis longtemps. Enchâssé au par. 15(1) de la Charte, c’est un concept difficile à saisir qui, plus que tous les autres droits et libertés garantis dans la Charte, ne comporte pas de définition précise.

Sans essayer de formuler une définition précise, la Cour suprême a donné un clair exposé du but du paragraphe 15(1). Dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 994, le juge en chef Lamer proclame que cette disposition a pour objet « de corriger ou d’empêcher la discrimination contre des groupes victimes de désavantages sociaux, politiques et juridiques dans la société canadienne ». De même, dans R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1333, Madame le juge Wilson, rendant le jugement de la Cour, a réitéré en ces termes l’objectif du paragraphe 15(1) : « remédiant à la discrimination dont sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans social, politique ou juridique dans notre société ou en les protégeant contre toute forme de discrimination ». C’est à la lumière de cet objectif louable qu’il faut appliquer le paragraphe 15(1).

L’objectif de l’article 15, tel que l’énonce la Cour suprême, est illustré par la méthode des « motifs énumérés et analogues » qu’elle adopte. Ainsi que l’explique le juge McIntyre dans Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, à la page 182 :

Le … point de vue … des « motifs énumérés et analogues », correspond davantage aux fins de l’art. 15 et à la définition de la discrimination exposée auparavant et renvoie à l’article premier les questions de justification. Cependant, pour vérifier s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur le motif allégué de discrimination et de décider s’il s’agit d’un motif énuméré ou analogue. L’examen doit également porter sur l’effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant.

Cette méthode consiste à examiner les questions soulevées par le recours fondé sur l’article 15 à la lumière de la situation sociale, politique et historique du groupe plaignant. Une fois pénétrée de cette situation envisagée à la lumière d’un motif énuméré ou analogue, la juridiction compétente sera en mesure de mieux saisir les ramifications d’une distinction qui dénie un bénéfice ou impose un fardeau à ce groupe. Elle y parviendra par la démarche expressément prescrite pour l’analyse au regard du paragraphe 15(1).

L’examen à la lumière du paragraphe 15(1) de la Charte comporte deux phases d’analyse : la première porte sur les droits à l’égalité, la seconde sur la protection contre la discrimination. Pour faire valoir une demande sous le régime du paragraphe 15(1), le demandeur doit prouver qu’une loi fait une distinction ou a un effet disparate qui viole l’un des quatre droits à l’égalité, et ce de façon discriminatoire. Le juge en chef Lamer a récemment résumé ce que doit être le cadre fondamental de l’analyse à la lumière du paragraphe 15(1), dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 992 :

La cour doit d’abord déterminer si le plaignant a démontré que l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité a été violé (i.e. l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d’autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une « discrimination ». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. De plus, pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits que l’art. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s’assurer que la plainte correspond à l’objectif général de l’art. 15, c’est-à-dire corriger et empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Ce résumé trace la voie à suivre dans l’analyse au regard du paragraphe 15(1). Il appelle plusieurs éclaircissements.

a)         Les quatre droits à l’égalité

Comme l’explique le juge en chef, la juridiction saisie doit examiner s’il existe une classification ou une distinction—intentionnelle ou non—qui porte atteinte à l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité suivants :

1. égalité devant la loi;

2. égalité dans la loi;

3. même protection de la loi;

4. même bénéfice de la loi.

À ce stade de l’analyse, il n’est pas nécessaire de s’occuper des explications, des justifications ni même des questions de discrimination. Ainsi donc, un critère qui correspond à la question de savoir « si la distinction est « déraisonnable », « odieuse », « injuste » ou « irrationnelle », a pour effet de prêter à l’art. 15 des restrictions qui ne s’y trouvent pas… Il faut donner aux droits à l’égalité leur plein sens, indépendamment des facteurs justificatifs qu’il convient d’examiner en vertu de l’article premier ». (Voir R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1328, motifs prononcés par Madame le juge Wilson.) Il s’ensuit qu’à ce stade, l’examen sera simple, mais il nous faut toujours décider quel niveau d’analyse est indiqué eu égard aux faits de la cause.

Comme il a été expliqué supra, le niveau d’analyse indiqué dépend de la question de savoir si la partie demanderesse conclut à réparation individuelle sous le régime du paragraphe 24(1) ou à réparation générale sous le régime du paragraphe 52(1). Attendu qu’en l’espèce, les appelants invoquent principalement le paragraphe 52(1), il nous faut examiner si, en tant que groupe, les gais et les lesbiennes se sont vu dénier l’un des quatre droits à l’égalité. Notre examen n’est pas limité à la situation particulière des appelants. Il échet au contraire d’examiner si la Loi sur la sécurité de la vieillesse, en particulier la définition de conjoint qu’elle prévoit, porte atteinte à l’un des quatre droits à l’égalité des gais et des lesbiennes pris dans leur ensemble.

Sous réserve de certaines restrictions, toute personne âgée entre 60 et 65 ans, qui est la conjointe (ou le conjoint) d’un pensionné (ou pensionnée), a droit à une allocation mensuelle de conjoint en application de l’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Comme indiqué supra, le terme « conjoint » est défini à l’article 2 de la Loi comme suit :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« conjoint » Est assimilée au conjoint la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme.

Le mot « assimilée » signifie qu’outre la définition conventionnelle de conjoint comme étant une personne légitimement mariée à une autre, la Loi y « assimile » ceux qu’on appelle communément « conjoints de fait » (bien qu’il soit possible que la définition en cause ne corresponde pas exactement à la qualification juridique de conjoint de fait). Par contraste, les mots « de sexe opposé » sont employés pour en exclure d’autres. En vertu de ces mots, les personnes unies par des relations homosexuelles sont exclues du régime de l’allocation de conjoint. Cette définition distingue expressément entre couples hétérosexuels et couples homosexuels, lesquels sont exclus de son champ d’application. D’autres types de relations sont également exclus par la définition de conjoint de la Loi, mais ce fait n’est pas un facteur déterminant de la solution de la question de savoir si une distinction a été faite qui porte atteinte à l’un des droits à l’égalité. Quoi qu’il en soit, il est manifeste que gais et lesbiennes sont expressément exclus de l’admissibilité à l’allocation de conjoint, et ce indépendamment de l’exclusion d’autres groupes ou individus.

Selon cette interprétation de la définition du mot conjoint à l’article 2 de la Loi, les partenaires hétérosexuels sont admissibles à demander et à recevoir l’allocation de conjoint sous réserve de certaines conditions, alors que les membres d’unions de gais ou de lesbiennes n’y sont pas admissibles. Voilà un parfait exemple de cas où une distinction est faite entre membres d’unions homosexuelles et membres d’unions hétérosexuelles. Cette distinction a pour effet de dénier l’allocation de conjoint aux hommes et aux femmes unis par des relations homosexuelles. L’allocation mensuelle de conjoint est indubitablement un bénéfice de la loi au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. En fait, l’allocation de conjoint est expressément incluse dans la définition de « prestation » que donne la Loi sur la sécurité de la vieillesse (voir l’article 2). Ainsi, on n’a pas d’autre choix que de conclure que la distinction faite par la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse a pour effet de dénier le même bénéfice de la loi à des gais et des lesbiennes, qui sont qualifiés à tous autres égards.

b)         Discrimination au regard du paragraphe 15(1)

Après avoir décidé si la distinction contestée porte atteinte à l’un des quatre droits à l’égalité, la Cour doit examiner si cette distinction vaut discrimination au regard du paragraphe 15(1). Cet examen est l’élément clé de toute analyse à la lumière de cette disposition. Ainsi que l’a expliqué Madame le juge Wilson dans Turpin, supra, à la page 1331 :

La réserve intrinsèque de l’art. 15 portant que la différence de traitement doit se faire « indépendamment de toute discrimination » est déterminante quant à savoir s’il y a eu violation de l’article. Ce n’est que si l’un des quatre droits à l’égalité a été violé de manière discriminatoire que les valeurs protégées par l’art. 15 sont menacées et que le rôle légitime de la cour à titre de protecteur de ces valeurs entre en jeu.

Deux éléments sont nécessaires en vue d’un verdict de discrimination au regard du paragraphe 15(1). Dès le début, la plainte de discrimination doit s’insérer dans le cadre du paragraphe 15(1) par la preuve que la distinction en cause est fondée sur un motif « énuméré ou analogue » de discrimination. Si le demandeur peut prouver que la plainte correspond à l’un des motifs énumérés ou analogues, la question finale à résoudre est de savoir si la distinction en cause a un effet discriminatoire. Il ressort de la jurisprudence établie par la Cour suprême au sujet de l’article 15 que la démarche à adopter pour résoudre cette dernière question demeure la même, peu importe que la plainte vise un motif énuméré ou un motif analogue. La Cour a toujours appliqué le même critère peu importe que la partie plaignante invoque un motif énuméré ou un motif analogue.

(i)         Motif énuméré ou analogue

L’énumération des motifs illicites de discrimination au paragraphe 15(1) est représentative et non restrictive. En conséquence, cette disposition interdit la discrimination fondée non seulement sur les motifs énumérés, mais aussi sur des motifs analogues à ceux qui y figurent expressément (Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, à la page 182; Turpin, supra, à la page 1332; Swain, supra). Cependant, pour décider s’il y a un ou des motifs analogues, il ne suffit pas de relever les similarités entre le cas d’espèce et les motifs énumérés. Pour décider si un groupe tombe dans une catégorie analogue à l’une des catégories expressément visées au paragraphe 15(1), il est nécessaire de regarder au-delà des faits de la cause. Ainsi que l’a expliqué Madame le juge Wilson dans Andrews, supra, à la page 152 :

Je tiens en outre à souligner qu’il s’agit là d’une conclusion qui ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société.

En d’autres termes, ce qu’il échet d’examiner à ce stade de l’analyse, ce n’est pas si le groupe concerné est désavantagé par la distinction faite en l’espèce, mais s’il est victime de préjugés politiques et sociaux, de stéréotypes, ou de désavantages de longue date en raison d’une caractéristique qui lui est propre. (Voir Turpin, supra, à la page 1333; Swain, supra, à la page 992.)

La Cour suprême du Canada a évoqué à diverses reprises l’approche de la « minorité discrète et isolée », adoptée par la Cour suprême des États-Unis par la célèbre note de bas de page 4 dans son arrêt United States v. Carolene Products Co., 304 U.S. 144 (1938), aux pages 152 et 153. Par cette méthode, la juridiction saisie examine si un groupe est une minorité discrète et isolée en considérant s’il est un groupe défavorisé au sein de la société en ce qu’il est dénué de pouvoir politique. Pareil groupe tombera indubitablement dans une catégorie de discrimination énumérée au paragraphe 15(1) ou dans une catégorie analogue. N’empêche que le critère de la « minorité discrète et isolée » n’est que l’un des critères à appliquer pour décider si la distinction en cause est discriminatoire. Une minorité discrète et isolée se définit certes par une caractéristique correspondant à un motif énuméré ou analogue de discrimination, mais il peut y avoir d’autres groupes qui tombent dans les catégories énumérées ou analogues et qui ne constituent pas pour autant une minorité discrète et isolée. Un groupe peut être défavorisé sur le plan social, juridique ou historique, sans être pour autant dénué de pouvoir politique. C’est ainsi que, prenant note des limitations de l’approche de la « minorité discrète et isolée », Madame le juge Wilson explique qu’elle « est non pas une fin en soi, mais simplement un moyen analytique de déterminer si un droit qu’un requérant particulier fait valoir est un droit du genre de ceux que l’art. 15 de la Charte est destiné à protéger ». (Turpin, supra, à la page 1333; R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, à la page 944.)

Ainsi donc, s’assurer si un groupe donné est une minorité discrète et isolée pourrait servir à le faire rentrer dans une catégorie énumérée ou analogue de discrimination. Le même examen ne pourra cependant pas avoir pour résultat d’exclure un groupe du champ de protection du paragraphe 15(1) puisque d’autres critères peuvent aussi entrer en ligne de compte. Comme nous le verrons plus loin, qu’un groupe constitue une minorité discrète et isolée ou soit défavorisé pour d’autres causes, jouera un rôle important au dernier stade de l’analyse en éclairant la question de savoir si la distinction attaquée est discriminatoire.

Pour en revenir aux faits de la cause en instance, Egan et Nesbit soutiennent que l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est discriminatoire au chapitre des tendances sexuelles; il ressort cependant à l’évidence que les tendances sexuelles ne figurent pas parmi les motifs illicites de discrimination qu’interdit le paragraphe 15(1). La question se pose ainsi de savoir si elles constituent une catégorie analogue à l’un des motifs qui y sont prévus. Bien que les tendances sexuelles ne figurent pas parmi les motifs énumérés de discrimination, certaines décisions récentes y ont vu un motif analogue pour l’application du paragraphe 15(1). Dans Veysey c. Canada (Commissionaire du Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (1re inst.), à la page 329 (appel rejeté par la Cour d’appel fédérale par d’autres motifs [(1990), 43 Admin. L.R. 316]), le juge Dubé a conclu que les tendances sexuelles constituaient un motif analogue. Peu de temps après, le juge Coultas a jugé que la discrimination pour cause de tendances sexuelles enfreignait les dispositions de la Charte sur les droits à l’égalité (Brown v. British Columbia (Minister of Health) (1990), 66 D.L.R. (4th) 444 (C.S.C.-B.)). Dans une autre cause en Colombie-Britannique, Madame le juge Rowles a fondé sa décision sur le postulat que les tendances sexuelles représentent un motif analogue, ce que les parties en présence avaient reconnu (Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728 (C.S.C.-B.), à la page 743). Au début de cette année, dans Haig v. Canada (1992), 9 O.R. (3d) 495 (C.A.), la Cour d’appel de l’Ontario a noté que l’avocat représentant le procureur général du Canada concédait que les tendances sexuelles constituaient un motif analogue. Le juge Krever a fait cette observation (à la page 501) : [traduction] « Je suis d’accord, et j’ajouterais que, sur le plan juridique, cette concession est fondée ». La même conclusion a été tirée par des tribunaux des droits de la personne (Leshner v. Ontario (No. 2) (1992), 16 C.H.R.R. D/184 (Comm. eng. Ont.), à la page D/200) et sanctionnée dans un jugement d’expédient de la Cour fédérale (Douglas c. Canada, [1993] 1 C.F. 264 (1re inst.)). En fait, le juge de première instance saisi de l’affaire en instance a accepté la concession faite par la défenderesse que les tendances sexuelles constituaient un motif analogue de discrimination au regard du paragraphe 15(1). (Egan c. Canada, supra, à la page 700.) La seule cause dans laquelle un tribunal eût conclu que les tendances sexuelles ne tombaient pas sous le coup du paragraphe 15(1) est Andrews v. Ontario (Minister of Health) (1988), 64 O.R. (2d) 258 (H.C.). Cette décision était cependant fondée, pour l’application du paragraphe 15(1), sur le critère de la situation analogue qui a été depuis rejeté par la Cour suprême dans Andrews v. Law Society of British Columbia, supra.

Cette conclusion par les tribunaux que les tendances sexuelles constituent un motif analogue de discrimination au regard du paragraphe 15(1) est renforcée par des lois qui reconnaissent que les gais et les lesbiennes ont souffert de tout temps de désavantages et de préjugés et devraient être protégés contre la discrimination. Ainsi la discrimination pour cause de tendances sexuelles est expressément interdite par les lois sur les droits de la personne du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Ontario, du Québec, et du territoire du Yukon, ainsi que de huit États des États-Unis d’Amérique : Californie, Connecticut, Hawaï, Massachusetts, Minnesota, New Jersey, Vermont et Wisconsin. En 1985, le Comité des droits à l’égalité de la Chambre des communes a rendu public un rapport intitulé Égalité pour tous (Ottawa : L’imprimeur de la Reine) par lequel il recommandait d’ajouter les tendances sexuelles aux motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. À la suite de ce rapport, un projet de modification de cette loi dans le sens de la recommandation du comité (Projet de loi C-108, 1992) a été soumis au Parlement.

En conséquence, les lesbiennes et les gais, en tant que deux groupes traditionnellement défavorisés pour la même raison, leurs tendances sexuelles, ont maintenant droit à la protection du paragraphe 15(1) de la Charte. Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, à la page 153, Madame le juge Wilson a fait cette observation : « Il est conforme au statut constitutionnel de l’art. 15 qu’il soit interprété avec suffisamment de souplesse pour assurer la « protection constante » des droits à l’égalité dans les années à venir ». À son avis, l’éventail des groupes défavorisés dans la société a changé et continuera de changer avec l’évolution du contexte politique et social. Un bref coup d’œil sur l’histoire du droit découvre des exemples honteux où des groupes que nous considérons aujourd’hui comme ayant droit à la protection n’ont pas été reconnus sur le plan constitutionnel. Par exemple, la Cour suprême des États-Unis a jugé en 1856 dans Dred Scott v. Sandford, 19 How. 393 (1856, U.S. S.Ct.), aux pages 404 et 405, que les individus dont les ancêtres avaient été amenés d’Afrique pour être vendus comme esclaves aux États-Unis n’étaient pas des citoyens au sens de la Constitution. Le juge en chef Taney s’est prononcé en ces termes :

[traduction] Les mots « le peuple des États-Unis » et « citoyens » sont synonymes et signifient la même chose… Il échet d’examiner si la catégorie de personnes visée dans la demande en nullité représente une partie de ce peuple et est un élément constitutif de cette souveraineté. À notre avis, elle ne l’est pas; elle n’est pas incluse, et n’a jamais été destinée à être incluse, dans le mot « citoyens » figurant dans la Constitution, et ne peut par conséquent prétendre à aucun des droits et privilèges que ce texte assure aux citoyens des États-Unis. Au contraire, elle était considérée à l’époque comme une catégorie d’êtres subordonnés et inférieurs, qui avaient été soumis par la race dominante et qui, qu’elle fût émancipée ou non, demeurait soumise à leur autorité, et n’avait d’autres droits ou privilèges que ceux que les personnes qui détenaient le pouvoir et le gouvernement auraient pu choisir de lui accorder.

De même, en 1928, la Cour suprême du Canada assimilait les femmes aux « criminels, aliénés et mineurs » en concluant qu’elles n’étaient pas des « personnes ayant les qualifications voulues » au sens de l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et, par conséquent, ne pouvaient être nommées au Sénat (Reference re Meaning of the word « Persons » in s. 24 of the B.N.A. Act, 1867, [1928] R.C.S. 276, infirmé par Re Section 24 of B.N.A. Act, [1930] 1 D.L.R. 98 (P.C.)). On peut trouver dans le passé de ce pays et d’ailleurs les mêmes exemples honteux de discrimination indéfendable fondée sur la race, la religion, la nationalité, l’infirmité, le sexe, l’âge, le concubinage, l’état de divorcé, l’état d’enfant naturel, pour ne citer que ces exemples.

Une leçon qu’on peut tirer de ces causes est qu’une décision qui exclut un groupe de la protection de la Charte ne peut se justifier par le traitement discriminatoire réservé par le passé au même groupe. Nous ne devons pas hésiter à reconnaître de nouveaux motifs de discrimination, faute de quoi nous perpétuerons cette discrimination. C’était certainement là la conclusion tirée par le Conseil privé lorsqu’il infirma l’abominable décision Persons de la Cour suprême. Dans un passage qui continue à guider l’interprétation de notre constitution, le lord chancelier Sankey s’est prononcé en ces termes dans Re Section 24 of B.N.A. Act, supra, aux pages 106 et 107 :

[traduction] L’Acte de l’Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre capable de croissance et de développement à l’intérieur de ses limites naturelles. Cet Acte visait à donner une constitution au Canada.

Leurs Seigneuries ne pensent pas, et ne tiennent pas à ce que ce comité ait pour fonction de diminuer les dispositions de cet Acte par une interprétation étroite et formaliste; il est par contre tenu d’en donner une interprétation large et libérale.

La doctrine de l’arbre vivant s’applique également à la Charte canadienne des droits et libertés. (Voir Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la page 155.) Il nous faut donc garder cette métaphore à l’esprit lorsqu’il s’agit d’examiner si un motif de discrimination doit être considéré comme analogue à l’un des motifs visés par le paragraphe 15(1).

À l’instar des motifs énumérés comme la race et le sexe, les tendances sexuelles ont été un motif de discrimination et de persécution tout au long de l’histoire. Les gais et les lesbiennes sont défavorisés sur le plan juridique, économique, social et politique. Il sont constamment en butte aux insultes et aux menaces de violence physique et d’agression sexuelle. Le harcèlement est monnaie courante. Pendant la plus grande partie de ce siècle, certaines manifestations d’homosexualité ont été soumises à la loi pénale. En fait, lesbiennes et gais ont souvent senti qu’ils doivent dissimuler leur style de vie à cause de ces difficultés. Il est indéniable qu’ils ont été exclus par le passé de certaines manifestations de la vie publique, comme la participation aux Forces armées (Douglas, supra; Meinhold v. U.S. (Department of Defense), [1993] W.L. 15899 (C.D. Cal.) (Westlaw)). En bref, lesbiennes et gais sont victimes de stéréotypes et de préjugés généralisés, comme ils l’ont été tout au long de l’histoire. C’est ainsi que l’autorité de la jurisprudence récente et la simple justice m’amènent à conclure que les tendances sexuelles constituent un motif analogue de discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte.

Les tendances sexuelles étant acceptées comme un motif analogue de discrimination, il reste à examiner si le programme de l’allocation de conjoint est discriminatoire par ce motif.

(ii)        Discrimination

Si, comme en l’espèce, le motif imputé à la distinction attaquée correspond à un motif de discrimination énuméré au paragraphe 15(1) ou à un motif analogue, la question à examiner en dernière analyse est de savoir si cette distinction a un effet discriminatoire. La définition de discrimination au regard du paragraphe 15(1) a été donnée par le juge McIntyre dans Andrews, supra, à la page 174 :

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

Selon cette définition, une distinction peut être discriminatoire, qu’elle soit intentionnelle ou non (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114). Une distinction apparemment neutre ne résistera pas à l’examen à la lumière du paragraphe 15(1) si elle a un effet disparate sur un groupe donné ou sur un individu appartenant à ce groupe. La discrimination systémique non intentionnelle ne sera pas plus tolérée au regard du paragraphe 15(1) de la Charte que la discrimination directe, intentionnelle.

Si une distinction doit être fondée sur des motifs tenant aux caractéristiques personnelles de l’individu ou du groupe pour être discriminatoire, les mots « fondée sur » ne signifient pas que la distinction doit avoir été conçue par référence à ces motifs. Au contraire, ce qu’il faut examiner, c’est si la manière dont cette distinction affecte l’individu ou le groupe a un rapport avec leurs caractéristiques personnelles (Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1279; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219). Par exemple, par l’arrêt Brooks, la Cour suprême a jugé qu’une distinction fondée sur la grossesse et non pas directement sur le sexe valait quand même discrimination sexuelle. Le juge en chef Dickson y conclut que les distinctions fondées sur la grossesse sont « du moins,très apparentées au sexe” » (Brooks, supra, à la page 1244). En outre, dans Janzen, la Cour suprême conclut que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination sexuelle même si le sexe n’est peut-être pas la seule caractéristique prise en considération par celui qui s’y livre. Le juge en chef Dickson a donné cette explication aux pages 1288 et 1289 :

L’erreur … réside dans la croyance qu’il y a discrimination sexuelle seulement lorsque le sexe est l’unique élément de l’acte discriminatoire et lorsque, par conséquent, toutes les personnes du sexe en cause sont également maltraitées. Bien que le concept de discrimination trouve sa source dans le traitement accordé à un particulier en raison de son appartenance à un groupe plutôt qu’en raison de ses caractéristiques personnelles, il n’est pas nécessaire, pour qu’il y ait discrimination, que tous les membres du groupe concerné soient traités de la même façon. Il suffit que l’attribution d’une caractéristique du groupe visé à un de ses membres en particulier constitue un facteur du traitement dont il fait l’objet. S’il fallait, pour conclure à la discrimination, que tous les membres du groupe visé soient traités de façon identique, la protection législative contre la discrimination aurait peu ou pas de valeur.

En outre, la Cour reconnaît que si théoriquement, les hommes comme les femmes peuvent être victimes de harcèlement sexuel, « dans la hiérarchie du marché actuel du travail, ceux qui disposent du pouvoir de harceler les autres sexuellement sont en majorité les hommes, alors que les personnes les plus susceptibles d’être harcelées sont surtout les femmes » (Janzen, supra, à la page 1284). Ainsi donc, dans le cas où une distinction affecte un groupe à cause d’une caractéristique de ce dernier, mais ne concerne qu’une partie de ce groupe, cette distinction peut être jugée discriminatoire même si l’exclusion n’est pas entièrement limitée au groupe. Dans le cas où la distinction affecte un groupe spécifiquement ou de manière disproportionnée, elle peut être jugée discriminatoire même si elle porte aussi sur d’autres groupes. Par exemple, il ne suffit pas, pour réfuter une plainte de discrimination sexuelle, de dire que les gens de couleur sont aussi exclus par la distinction en cause. Ce qui importe, c’est que les femmes sont exclues en leur qualité de femmes (ou de femmes de couleur). Et il peut en être ainsi peu importe que l’exclusion soit directe ou indirecte, en particulier lorsque c’est un groupe défavorisé qui est exclu par la distinction.

En l’espèce, la distinction attaquée sépare couples du même sexe et couples « de sexe opposé ». Il est vrai que, strictement parlant, ce n’est pas là une distinction fondée sur les tendances sexuelles, puisque l’appartenance à une union homosexuelle n’est pas nécessairement la caractéristique déterminante du gai ou de la lesbienne. Il est indéniable qu’un grand nombre de lesbiennes et de gais ne sont probablement pas liés par des relations de longue durée. N’empêche qu’en l’espèce, la distinction est fondée sur une caractéristique ou sur un aspect des tendances sexuelles, puisque ce sont les lesbiennes et les gais qui peuvent nouer des relations homosexuelles. Les mots « de sexe opposé » employés dans la définition de conjoint visent expressément à exclure les lesbiennes et les gais de l’admissibilité à l’allocation de conjoint. Ils ne visent pas à exclure les relations de même sexe comme les relations entre deux frères ou entre deux sœurs, puisque celles-ci sont exclues au même titre que les relations entre deux personnes de sexe opposé que forment un frère et une sœur par exemple. Les observations faites par le juge de première instance en page 695, sont révélatrices à cet égard :

Je pense qu’on peut présumer que, Nesbit eût-il été une femme cohabitant avec Egan dans les mêmes conditions, il aurait eu droit à l’allocation de conjoint.

En conséquence, il est clair que le seul facteur de l’inadmissibilité de Nesbit à l’allocation de conjoint était son appartenance à une union homosexuelle, non pas hétérosexuelle. Tout comme Nesbit, les gais et les lesbiennes pris dans leur ensemble sont exclus du programme de l’allocation de conjoint du fait qu’ils sont gais et lesbiennes, et non pour quelque autre raison. Et étant donné que l’appartenance à une union homosexuelle est affaire de tendances sexuelles, il est manifeste que ceux-ci sont, de ce fait, exclus du programme en raison de leurs tendances sexuelles.

Que d’autres groupes puissent être aussi exclus du programme de l’allocation de conjoint ne change rien au fait que gais et lesbiennes en sont exclus à cause de leurs tendances sexuelles. Il y a trois raisons importantes qui expliquent que l’exclusion d’autres groupes du programme n’a aucun rapport et ne peut être citée en réfutation de la conclusion que lesbiennes et gais sont exclus à cause de leurs tendances sexuelles. En premier lieu, l’exclusion d’autres groupes du programme n’a aucun rapport parce que nous sommes en présence d’une plainte de discrimination directe, qui relève spécifiquement les tendances sexuelles comme facteur de l’exclusion des gais et des lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint, indépendamment des facteurs qui excluent d’autres types de relations. En d’autres termes, la Loi elle-même met spécifiquement les tendances sexuelles en cause. Les gais et les lesbiennes n’ont pas à se démarquer des autres non-conjoints puisque c’est quelque chose que la Loi a déjà fait.

En deuxième lieu, l’exclusion des unions formées de gais ou de lesbiennes est différente du point de vue qualitatif de celle des autres types de relations. Les lesbiennes et les gais forment un groupe défavorisé. Si le paragraphe 15(1) doit être interprété à la lumière du critère des « motifs énumérés et analogues », il faut que la juridiction saisie comprenne la distinction affectant un groupe défavorisé à la lumière du désavantage de ce dernier sur le plan historique, social ou politique. Le désavantage dont souffrent lesbiennes et gais a un rapport particulièrement étroit avec leur exclusion du programme de l’allocation de conjoint puisque ce désavantage, dont ils ont souffert depuis toujours et continuent à souffrir dans notre société tient en partie à l’opinion que les relations homosexuelles ne sont pas légitimes ou valables. Traiter les relations entre lesbiennes et entre gais au même titre que les autres relations entre non-conjoints revient à s’appuyer sur les préjugés concernant la légitimité et la valeur de ces relations, et à perpétuer ces préjugés. Ce serait vraiment paradoxal si une décision sous le régime de l’article 15 devait se fonder elle-même sur des préjugés et des stéréotypes.

Enfin, que des individus ou des groupes soient inadmissibles ou non aux allocations n’a aucun rapport avec le litige en instance, puisque la véritable question qui se pose en l’espèce, c’est de savoir si les relations entre gais et entre lesbiennes ont quelque chose de particulier qui justifie leur exclusion. Que d’autres soient traités à titre de non-conjoints ne résout pas la question de savoir si les membres d’unions de gais ou de lesbiennes devraient être traités comme conjoints pour ce qui est du régime de l’allocation de conjoint. Invoquer l’exclusion d’autres personnes par suite de la définition de conjoint signifie tout simplement qu’on refuse de s’attaquer directement à la véritable raison de l’exclusion des gais et des lesbiennes. Un autre moyen de saisir ce point consiste à reconnaître que l’exclusion des couples de gais ou de lesbiennes ne peut être justifiée par le fait que ces personnes ne sont pas des conjoints au regard de la Loi, puisque la question dont la Cour est saisie est de savoir si le fait de définir et de les traiter comme non-conjoints est discriminatoire dans les cas où les non-conjoints n’ont pas droit aux prestations. En conséquence, la Cour doit analyser la raison pour laquelle les membres d’unions de gais ou de lesbiennes ne sont pas considérés comme conjoints pour l’application de la Loi. Cette raison ne peut être tout simplement que d’autres sont aussi exclus de la définition de conjoint. L’exclusion des membres d’unions de gais ou de lesbiennes ne résistera pas à l’examen à moins qu’elle ne soit justifiée par de valides raisons non discriminatoires. Ainsi, l’argument que l’exclusion des membres d’unions de gais ou de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint est discriminatoire, ne peut être réfuté par la simple réponse que d’autres aussi en sont exclus. L’exclusion d’autres n’est pas en soi une raison pour exclure les membres d’unions de lesbiennes ou de gais.

À mon avis, on ne réfute pas une plainte de discrimination en disant que d’admettre un groupe au programme de l’allocation de conjoint reviendrait à en exclure injustement un autre. Invoquer la possibilité que d’autres puissent être exclus de façon discriminatoire du programme de l’allocation de conjoint pour rejeter la prétention des gais et des lesbiennes à l’égalité signifierait, pour reprendre les termes employés par la Cour suprême, « l’égalité à outrance » (Schachter, supra, à la page 702). La meilleure solution serait d’instruire le recours soumis à la Cour, et de laisser aux autres groupes ou individus injustement exclus du programme de l’allocation de conjoint le soin d’intenter leurs propres recours s’ils le souhaitent, puis de juger ces recours au fond, le moment venu.

Il nous reste donc à examiner si la distinction qui, par des motifs tenant à leurs caractéristiques personnelles, exclut les membres d’unions de gais ou de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint est discriminatoire au sens où le juge McIntyre a défini ce terme dans Andrews c. Law Society of British Columbia, supra.

Pour analyser l’effet d’une distinction motivée par des caractéristiques personnelles, le juge McIntyre prescrit à la page 174 de l’arrêt Andrews, supra, d’examiner si cette distinction a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages. Il fait aussi remarquer que la distinction est discriminatoire si elle empêche ou restreint l’accès aux possibilités, aux bénéfices ou aux avantages offerts à d’autres membres de la société (ibid., à la page 174). C’est à ce stade, celui de l’examen de l’effet de la distinction, que la complexité de l’analyse se manifeste. Cet examen doit prendre en considération le contexte dans lequel la distinction est faite, ainsi que les circonstances propres au groupe ou à l’individu affecté par la distinction. Une analyse formelle semblable à celle qui se fonde sur le critère de la situation analogue ne suffira pas; ce qu’il faut faire au contraire, c’est une analyse en contexte qui tient compte des préjugés et des stéréotypes.

La Cour suprême du Canada a expressément rejeté le critère de la situation analogue. Ce critère, qui est toujours d’application étendue aux États-Unis, prescrit que les gens qui sont dans la même situation soient traités de la même façon et que les gens qui ne sont pas dans la même situation soient traités différemment. Cependant, la Cour suprême de notre pays a jugé catégoriquement que dans le cadre de l’article 15, une distinction ne peut être jugée au moyen d’un simple calcul qui prescrit le même traitement pour les gens se trouvant dans la même situation. Certes, une différence de traitement n’est pas nécessairement discriminatoire, alors qu’un traitement analogue pourrait fort bien l’être. Ainsi que l’a expliqué le juge McIntyre dans Andrews, supra, à la page 164 :

Il faut cependant reconnaître dès le départ que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités.

Le rejet du critère de la situation analogue ne signifie cependant pas le rejet de toute analyse comparative dans le cadre du paragraphe 15(1). Le rejet par la Cour suprême du critère de la situation analogue doit être compris à la lumière des observations faites par le juge McIntyre à la page 164 de l’arrêt Andrews, supra, savoir que le concept d’égalité, tel qu’il s’incarne dans le paragraphe 15(1), est « un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio-politique où la question est soulevée ». La Cour suprême a rejeté le critère de la situation analogue par ce motif qu’il constitue une base trop étroite pour juger les griefs en matière d’égalité. Il ne faut donc pas invoquer le rejet de ce critère pour restreindre la portée de l’analyse au regard de l’article 15 de manière à faire obstacle aux recours exercés par les groupes défavorisés. La Cour suprême n’a pas rejeté à vrai dire toute comparaison dans le cadre de l’article 15, mais plutôt une forme limitée de comparaison qui ne prenait pas en considération la situation sociale, historique et politique du groupe qui exerce un recours indépendamment de la loi en cause. Il s’ensuit que la comparaison demeure un élément acceptable de l’analyse au regard du paragraphe 15(1) (par exemple Andrews, supra; R. c. Hess; R. c. Nguyen; supra; Swain, supra; et Rudolph Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695). En effet, un groupe qui se fonde sur l’article 15 pour contester un programme de prestations peut légitimement se comparer à un autre groupe qui reçoit des prestations du programme, afin d’établir que sa propre exclusion est discriminatoire. Ce type d’analyse est certainement approprié; cependant pareille comparaison ne se fait pas que dans les limites de la loi en cause. Ce qui s’est passé c’est que le critère de la situation analogue, qui s’applique à l’intérieur des limites de la loi attaquée, a été remplacé par l’approche des « motifs énumérés ou analogues » qui exige d’examiner la situation sociale, politique et historique du groupe qui conteste cette loi. Il se trouve que dans bien des cas, on ne se pénètre de cette situation qu’en la comparant avec celle d’autres groupes de la société.

Ayant rejeté le critère de la situation analogue, le juge McIntyre recommande une analyse plus complète dans le cadre du paragraphe 15(1) [à la page 168] :

Il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu’elle vise, de même que sur ceux qu’elle exclut de son champ d’application. Les questions qui seront soulevées d’un cas à l’autre sont telles que ce serait une erreur que de tenter de restreindre ces considérations à une formule limitée et figée.

Dans cette analyse plus complexe et en contexte, la distinction est disséquée compte tenu de la situation du groupe affecté ou de l’individu qui en fait partie. Ainsi que l’a expliqué le juge McIntyre dans Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, à la page 180 :

Selon ce point de vue, l’analyse de la discrimination doit se faire en fonction des motifs énumérés et de ceux qui leur sont analogues.

En appliquant ce critère des « motifs énumérés et analogues », il est important de noter qu’un groupe défavorisé indépendamment de la loi en cause est plus à même d’être désavantagé par une distinction qu’un groupe favorisé dans notre société (R. c. Turpin , supra, à la page 1333, motifs prononcés par Madame le juge Wilson). La preuve établissant qu’un groupe est défavorisé indépendamment de la loi en cause est donc indubitablement importante lorsqu’il s’agit de décider si un groupe est désavantagé par une distinction et fait ainsi l’objet d’une mesure discriminatoire. Dans R. c. Turpin, supra, à la page 1332, Madame le juge Wilson s’est prononcée en ces termes :

Si l’on ne tient pas compte du contexte général, l’analyse fondée sur l’art. 15 peut devenir un processus de classification mécanique et stérile qui dépendra exclusivement du texte de loi contesté. Si la décision quant à savoir s’il y a ou non discrimination se fonde exclusivement sur l’examen de la loi contestée, il est vraisemblable à mon avis qu’on arrivera à la même sorte d’impasse qui caractérise le critère selon lequel les personnes qui se trouvent dans une situation analogue doivent être traitées de façon analogue, que cette Cour a nettement rejeté dans l’arrêt Andrews.

Une fois le contexte général pris en considération, il sera plus facile, dans le cas où il semble qu’un groupe est défavorisé indépendamment de la loi en cause, de découvrir les signes de discrimination—préjugé et stéréotype—lesquels peuvent avoir un effet plus néfaste (R. c. Turpin, supra, à la page 1333; Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, à la page 152, motifs prononcés par Madame le juge Wilson). Par ailleurs, bien que le groupe défavorisé ne soit pas tenu de prouver que ces signes de discrimination sont présents, un verdict de discrimination sera plus facile à atteindre s’il y a la preuve de l’existence d’un stéréotype ou d’un préjugé.

En l’espèce, j’ai déjà conclu que la définition de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse fait une distinction qui prive les membres d’unions de gais ou de lesbiennes du même bénéfice de la loi. La question ultime est donc de savoir si cette distinction a un effet discriminatoire. Par suite de la définition de discrimination donnée par le juge McIntyre dans Andrews, supra, cet examen est, pratiquement et par définition, réalisé une fois que nous avons conclu qu’il y a distinction fondée sur un motif analogue et privant du même bénéfice de la loi un groupe défavorisé ou un individu appartenant à ce groupe. La discrimination, telle que la définit le juge McIntyre dans Andrews, supra, à la page 174, s’entend de ce qui suit :

… une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet … d’empêcher ou de restreindre l’accès aux … bénéfices … offerts à d’autres membres de la société.

La définition de conjoint à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse fait une distinction fondée sur les tendances sexuelles, qui a pour effet de priver les membres d’unions de gais ou de lesbiennes du bénéfice de la loi qu’est l’allocation de conjoint. Attendu qu’il s’agit en l’espèce d’un recours fondé au premier chef sur l’article 52, Nesbit n’est pas tenu de prouver qu’il a été personnellement victime d’une mesure discriminatoire. Toutes les conditions nécessaires d’un verdict de discrimination sont donc réunies.

L’intimée tient en l’espèce que la distinction en cause dans le programme de l’allocation de conjoint n’est pas motivée par des présomptions stéréotypées, mais par de saines considérations économiques, administratives et institutionnelles. Ce type d’argument a été rejeté dans certaines causes semblables devant la Cour suprême. Dans Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, la Cour a expressément rejeté l’argument du gouvernement selon lequel sa décision était motivée par des considérations économiques, administratives et institutionnelles, et non pas par des présomptions stéréotypées. Le juge La Forest a fait observer à cette occasion que « [r]ien de tout cela n’est pertinent, car il ressort clairement […] de l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia que non seulement la Charte confère une protection contre une discrimination directe ou intentionnelle, mais encore elle confère une protection contre la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, ce dont il est question en l’espèce » (supra, à la page 41). Pour cette même raison, il importe peu de savoir si les membres d’unions de gais ou de lesbiennes ont été expressément exclus du programme de l’allocation de conjoint ou si le législateur a tout bonnement omis de les y inclure. Quand bien même ils auraient été seulement omis de la définition de conjoint, de façon que le programme ne soit que d’application sélective, celui-ci serait toujours discriminatoire. C’est ce qui ressort de l’arrêt Brooks, supra, à la page 1240, où le juge en chef Dickson a fait observer que « [l]a couverture sélective constitue peut-être simplement un moyen détourné de permettre la discrimination ». Ainsi donc, peu importe la forme ou l’esprit de l’exclusion des membres d’unions de gais ou de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint, cette exclusion est discriminatoire.

La conclusion que le programme de l’allocation de conjoint est discriminatoire est confirmée par référence aux considérations que la Cour suprême a jugées pertinentes pour l’analyse sous le régime du paragraphe 15(1). J’ai déjà conclu que les gais et les lesbiennes constituent un groupe généralement défavorisé par suite des préjugés et des stéréotypes. On peut relever ces signes de discrimination dans les faits de la cause. L’exclusion des membres d’unions de gais ou de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint établi par la Loi sur la sécurité de la vieillesse est fondée sur une vue stéréotypée des relations homosexuelles. La Loi traite ainsi les unions homosexuelles comme moins méritoires que les relations hétérosexuelles. Elle omet de prendre en considération l’affection et le soutien mutuel, de longue durée, qui caractérisent ces unions au même titre que les unions hétérosexuelles. La définition de conjoint à son article 2 est fondée sur une vue négative, stéréotypée des relations entre gais et entre lesbiennes, lesquelles relations sont implicitement contrastées avec une vue idéalisée de l’union hétérosexuelle. L’union homosexuelle partage certains attributs de l’union hétérosexuelle, mais elle peut être aussi différente à certains égards de l’union hétérosexuelle idéalisée. N’empêche qu’elle est digne de respect. Dans les faits, les unions homosexuelles sont aussi variées que les unions hétérosexuelles. Il ne peut y avoir une seule norme correcte et immuable pour toutes les relations humaines.

Ainsi que l’a expliqué Madame le juge L’Heureux-Dubé (par motifs dissidents) dans un autre contexte, lors de la cause Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 634 :

Ce n’est pas attaquer la famille que d’appuyer la protection des familles non traditionnelles. La famille traditionnelle n’est pas le seul type de famille, et les types de familles non traditionnels peuvent aussi véhiculer de véritables valeurs familiales.

Il n’est pas nécessaire, pour défendre la stabilité de la famille, de s’opposer à toutes ses variations non traditionnelles. Au contraire, des liens familiaux affectueux, continus et valables peuvent être établis sous une variété de formes, lesquelles sont toutes dignes de respect et de soutien.

Cette vue s’accorde parfaitement avec la jurisprudence touchant le paragraphe 15(1) de la Charte. En rejetant le critère de la situation analogue, la Cour suprême a rejeté l’idée que des groupes doivent être identiques ou réellement semblables à un groupe favorisé pour prétendre à la même admissibilité aux avantages. Il s’ensuit qu’au même titre que les partenaires hétérosexuels, gais et lesbiennes devraient être admissibles à l’allocation de conjoint, que leurs relations correspondent ou non à l’union hétérosexuelle idéalisée. En effet, la définition modifiée de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse visait expressément à inclure les conjoints de fait, qui avaient été injustement exclus auparavant, afin de prendre en compte un nouveau type d’union hétérosexuelle qui ne correspondait pas à la famille idéalisée de l’époque. Il y a lieu de souligner toutefois que s’il n’est pas nécessaire pour les gais et les lesbiennes de démontrer que leur union correspond à une union hétérosexuelle idéalisée, cela ne les empêche pas de prouver que l’union de gais ou de lesbiennes partage certains attributs de l’union hétérosexuelle, cela afin de démontrer qu’ils tombent dans le champ d’application du programme de l’allocation de conjoint. D’ailleurs, comme je l’ai indiqué supra, le rejet par la Cour suprême du critère de la situation analogue n’interdit pas ce type d’analyse tant qu’elle ne s’effectue pas abstraction faite de la situation générale du groupe en question.

Lesbiennes et gais sont défavorisés indépendamment de la loi en cause parce qu’ils ont été de tout temps victimes de préjugés et de stéréotypes juridiques, politiques et sociaux. Il s’ensuit que le refus d’accorder des prestations comme l’allocation de conjoint peut leur être particulièrement préjudiciable car il perpétue ces stéréotypes et préjugés. Cela est d’autant plus important en l’espèce que le refus d’accorder l’allocation de conjoint donne une fausse idée de la valeur des unions de gais ou de lesbiennes, ce qui contribue au stéréotype de leur manque de valeur. En conséquence, le fait que des prestations semblables puissent être à leur disposition sous un autre régime—un régime provincial et non pas fédéral comme en l’occurrence—ne peut remédier à l’effet discriminatoire du refus de leur accorder les prestations sur le même pied que les partenaires hétérosexuels. À supposer qu’il soit pertinent, l’effet des autres régimes légaux de prestations ne doit être pris en considération qu’au regard de l’article premier, et non au regard des droits à l’égalité que garantit l’article 15. La Cour suprême a prescrit que toute restriction de la promesse d’égalité contenue au paragraphe 15(1) doit être examinée à la lumière de l’article premier (Turpin, supra, à la page 1328). Restreindre l’admissibilité d’un groupe aux mêmes prestations (sur la base uniquement d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif de discrimination) de manière que ces prestations ne soient disponibles que sous un régime séparé ou différent, revient à séparer ou à différencier ceux qui ont droit à cette promesse d’égalité. Pareil compromis rappelle la « doctrine de la communauté égale mais séparée » qui est maintenant discréditée et qui a été élaborée par la Cour suprême des États-Unis dans Plessy v. Ferguson, 163 U.S. 537 (1896), à l’appui de la discrimination contre les Afro-américains et autres non-blancs. Cette doctrine a été largement condamnée et officiellement rejetée par la jurisprudence Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954). Au Canada, la doctrine de l’égalité séparée a été rejetée par la Cour suprême qui, dans Andrews, supra, à la page 166, y voyait un artefact détestable de l’approche de la situation analogue. On ne peut échapper à la conclusion que l’octroi des prestations aux membres d’unions de gais ou de lesbiennes sous un régime différent de celui réservé aux partenaires hétérosexuels représente une version de la doctrine de l’égalité séparée. Il ne faut pas ressusciter cette doctrine épouvantable au Canada quarante ans après sa mort fort remarquée aux États-Unis.

Le juge de première instance prend note que l’existence d’un programme de prestations de substitution n’a aucun rapport avec la question de la discrimination au regard du paragraphe 15(1). Il constate que dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire en instance, il se peut que Nesbit, en qualité de célibataire, ait effectivement reçu davantage du programme du revenu garanti pour les nécessiteux G.A.I.N. de la Colombie-Britannique qu’il n’aurait reçu du programme de l’allocation de conjoint (Guaranteed Available Income for Need Act, R.S.B.C. 1979, ch. 158, telle que modifiée). Il se trouve cependant que si Nesbit a reçu des prestations plus substantielles sous le régime de la loi dite Guaranteed Available Income for Need Act, c’était à cause d’une invalidité qui l’empêchait de travailler. Le juge de première instance, à la page 698 supra, a effectivement noté cette circonstance comme suit :

Ou les demandeurs sont fondés à réclamer l’allocation de conjoint ou ils ne le sont pas. Que les demandeurs se soient prévalus du régime provincial d’assistance sociale et qu’ils aient reçu des prestations supérieures à celles qu’ils auraient touchées au titre de l’allocation de conjoint s’ils avaient été considérés comme « conjoints » au regard de ce régime, n’a rien à voir avec la question de leur droit en la matière. Il échet non pas d’examiner si les demandeurs reçoivent les mêmes prestations ou des prestations supérieures en qualité de célibataires ou en qualité de conjoints, mais d’examiner s’ils ont été privés de l’allocation de conjoint du régime fédéral, à laquelle ils avaient peut-être légalement droit.

L’effet discriminatoire du refus d’accorder des prestations à un individu ou un groupe en raison de ses caractéristiques personnelles ne saurait se mesurer en termes monétaires. La discrimination est tout autant une atteinte psychologique ou affective qu’elle est une injustice matérielle. Dans Andrews, supra, à la page 171, le juge McIntyre s’est prononcé en ces termes :

Il est clair que l’art. 15 a pour objet de garantir l’égalité dans la formulation et l’application de la loi. Favoriser l’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Ainsi, le fait que Nesbit ait reçu des prestations d’un autre régime ne peut remédier à l’effet discriminatoire de la privation de l’allocation de conjoint par suite d’une caractéristique correspondant à un motif énuméré de discrimination ou à un motif analogue. On ne peut défendre la privation inconstitutionnelle de prestations en disant qu’il y a un autre régime de prestations accessible à ceux qui font l’objet de ce traitement discriminatoire.

En sus du préjudice psychologique ou affectif causé par cette différence de traitement, il y a peut-être un autre désavantage non économique pour celui qui reçoit les prestations d’un programme provincial au lieu de l’allocation de conjoint du régime fédéral. Les prestations provinciales ne sont pas traitées sur le même pied que les allocations prévues par la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Santé, du bien-être social et des affaires sociales, Audiences sur le Projet de loi C-62 Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, abrogeant la Loi sur l’assistance-vieillesse et modifiant, en conséquence, certaines autres lois, S.C. 1974-75-76, ch. 58, 12 juin 1975, aux pages 25 :11, 25 :18, 25 :21 et 25 :28). À la différence de l’allocation de conjoint, les « secours » d’un programme provincial peuvent paraître avilissants aux yeux de certains. Qu’il en soit ainsi ou non, il est manifeste que le gouvernement fédéral s’est aperçu de la nécessité d’instituer un programme d’allocation de conjoint, nonobstant l’existence de programmes provinciaux d’assistance sociale.

Bien que l’objet d’une loi puisse être jugé discriminatoire, tel n’est pas le cas en l’espèce. Il ressort des arguments proposés devant la Cour que les membres d’unions de gais ou de lesbiennes peuvent se retrouver dans des situations qui correspondent à l’objectif général du programme de l’allocation de conjoint. L’objectif de ce programme a été exposé par l’honorable Marc Lalonde, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, comme suit (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Santé, du bien-être social et des affaires sociales, Audiences sur le Projet de loi C-62, 12 juin 1975, à la page 25 :7) :

Son objectif est simple et clair, il permet d’assurer à un couple dont l’un des conjoints est forcé de prendre sa retraite et qui doivent vivre de la pension d’une seule personne, et lorsque le soutien de famille doit prendre sa retraite à l’âge de 65 ans ou peu après, de pouvoir retirer un revenu qui sera l’équivalent de ce que retireraient les deux conjoints si elles étaient à la retraite ou âgées de 60 ans et plus. Voilà ni plus ni moins, l’objectif du bill.

Le cas particulier de Nesbit et de son partenaire Egan apporte la preuve que des gais et des lesbiennes peuvent se retrouver précisément dans la situation que le programme de l’allocation de conjoint a été conçu pour redresser. Nul doute que d’autres gais et lesbiennes se trouvent dans la même situation. De procéder, à ce stade de l’analyse, à un examen plus poussé du programme de l’allocation de conjoint reviendrait à le substituer à l’examen sous le régime de l’article premier de la Charte. Pour plus de clarté cependant, je dois souligner que le programme de l’allocation de conjoint n’était pas conçu pour profiter exclusivement aux femmes, bien qu’elles en soient peut-être les principales bénéficiaires. Il ne s’agit pas d’un programme de promotion sociale; les autres ne peuvent en être exclus sur cette base.

Force m’est donc de conclure qu’en excluant les membres des unions de gais et de lesbiennes du programme de l’allocation de conjoint, tout en jugeant ce dernier nécessaire pour des partenaires hétérosexuels, le législateur est allé à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. En conséquence, la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est discriminatoire à l’égard des gais et des lesbiennes, en violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Il reste cependant à examiner si cette violation est justifiable au regard de l’article premier de la Charte.

4.         L’ARTICLE PREMIER DE LA CHARTE

Le cadre de l’analyse par rapport à l’article premier de la Charte, énoncé dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, demeure en place, mais il a été clarifié par des décisions subséquentes. Selon l’arrêt Oakes, supra, la norme civile de la preuve—preuve par prépondérance des probabilités—régit l’ensemble de l’analyse au regard de l’article premier. Mais si la norme civile de la preuve tolère une certaine souplesse, il est clair que le degré de probabilité doit être fonction des circonstances.

Afin de démontrer que la restriction d’un droit garanti par la Charte est raisonnable et justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique, la partie qui cherche à justifier cette restriction doit satisfaire au préalable à deux conditions. En premier lieu, elle doit démontrer que l’objectif visé par la restriction est « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » (R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 352). À tout le moins, il faut que l’objectif « se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique » pour être considéré comme suffisamment important (R. c. Oakes, supra, à la page 139).

Si cette condition est remplie, la seconde condition est l’application d’un critère de proportionnalité à trois volets. En premier lieu, la mesure portant restriction du droit garanti par la Charte doit avoir un lien rationnel avec l’objectif visé. En d’autres termes, elle doit être soigneusement conçue pour atteindre l’objectif sans être arbitraire, inique, ou fondée sur des considérations irrationnelles. En deuxième lieu, la mesure de restriction doit porter atteinte le moins possible au droit garanti par la Charte. Cette condition a été modifiée par des décisions postérieures à l’arrêt Oakes, supra (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; et Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139). Il se peut que la question de savoir dans quel cas la version modifiée du volet de l’atteinte minimale du critère de proportionnalité est applicable, et quand ou si la version conventionnelle Oakes est préférable, ne soit pas encore réglée. (Voir McKinney c. Université de Guelph, supra, aux pages 398 à 405; R. c. Chaulk, supra, aux pages 1388 à 1393, motifs prononcés par Madame le juge Wilson; et R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, à la page 260, motifs prononcés par Madame le juge McLachlin.) Sous l’angle de l’approche modifiée, la condition de l’atteinte minimale dépend de la question de savoir si le législateur aurait pu « raisonnablement choisir un autre moyen qui aurait permis d’atteindre de façon aussi efficace l’objectif identifié » (Chaulk, supra, à la page 1341, motifs prononcés par le juge en chef Lamer). En troisième lieu, les effets de la mesure en cause doivent être proportionnés à l’importance de l’objectif visé. Un objectif qui est juste urgent et réel ne doit pas l’emporter sur un droit garanti par la Charte, si l’effet du moyen employé pour atteindre cet objectif compromet gravement les droits de l’individu ou du groupe. Une disposition portant restriction d’un droit garanti par la Charte et qui ne satisfasse pas à chacun de ces critères ne saura être maintenue à la lumière de l’article premier.

a)         Application de l’article premier de la Charte

Les appelants concèdent en l’espèce que l’objectif du programme de l’allocation de conjoint institué par la Loi sur la sécurité de la vieillesse est urgent et réel au point de satisfaire à la première condition du critère défini par l’arrêt Oakes. Dans le cadre tout au moins de cet appel, je veux bien accepter la concession des appelants sur ce point. En termes généraux, le programme de l’allocation de conjoint vise à faire en sorte que quand l’un des deux membres du couple prend sa retraite, ce couple continue à recevoir un revenu équivalent à celui qu’auraient gagné les deux s’ils avaient pris leur retraite tous les deux. Selon toute apparence, cet objectif est suffisamment urgent et réel pour justifier une restriction des droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte. Comme l’a fait observer le juge en chef Lamer, « [o]n considérera rarement que l’objectif d’un régime de bénéfices est inconstitutionnel » (Schachter, supra, à la page 721). Comme il ne s’agit pas en l’espèce de l’une de ces rares occasions, la première condition de la justification par l’article premier est remplie.

En ce qui concerne le volet proportionnalité du critère, les avocats de part et d’autre conviennent que le moyen employé dans le programme de l’allocation de conjoint a un lien rationnel avec l’objectif de ce programme. Il ne servirait à rien de disséquer les raisons de cet accord. Quoi qu’il en soit, le programme de l’allocation de conjoint ne résiste pas à l’examen fondé sur les deux derniers éléments du critère de proportionnalité.

Par suite de la définition de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le programme de l’allocation de conjoint ne porte pas atteinte le moins possible au droit garanti par le paragraphe 15(1). Même si on applique la version modifiée du critère de l’atteinte minimale, il est clair que le législateur aurait pu « raisonnablement choisir un autre moyen qui aurait permis d’atteindre de façon aussi efficace l’objectif identifié ». En l’espèce, l’autre moyen est éminemment manifeste. Le législateur aurait pu atteindre l’objectif du programme de l’allocation de conjoint de façon tout aussi efficace sans avoir à enfreindre le paragraphe 15(1) au chapitre des tendances sexuelles, en y incluant les lesbiennes et les gais. Il y a lieu de noter que l’effet causé par l’accroissement des coûts par suite de son extension aux membres d’unions de gais et de lesbiennes, sur l’efficacité du programme de l’allocation de conjoint, n’est pas un facteur à quelque stade que ce soit de l’analyse à la lumière de l’article premier. (Voir Schachter, supra, à la page 709.) Il s’ensuit, toutes considérations budgétaires écartées à ce stade de l’examen, que l’octroi de l’allocation aux membres d’unions de lesbiennes et de gais dans le cadre de ce programme ne compromettrait d’aucune façon ni l’efficacité du programme ni la poursuite de son objectif. L’extension de l’allocation aux membres de couples de gais ou de lesbiennes, en sus des membres d’unions hétérosexuelles, est un autre moyen approprié pour atteindre le même objectif de façon tout aussi efficace.

Dans leur argumentation, les avocats de l’intimée soutiennent que le programme de l’allocation de conjoint porte atteinte le moins possible aux droits des gais et des lesbiennes parce qu’il y a d’autres programmes destinés à pourvoir à leurs besoins financiers. Et que ce programme est intégré dans un réseau, fédéral et provincial, d’avantages sociaux. Ce même argument a été rejeté, supra, à titre de réfutation de la plainte de discrimination, mais peut être examiné à ce stade comme justification de la restriction du droit garanti par le paragraphe 15(1). Cependant, il ressort d’un examen attentif que les prestations accordées par le programme provincial aux personnes se trouvant dans la même situation que Nesbit ne sont pas très semblables aux prestations du programme de l’allocation de conjoint. L’objectif poursuivi par les autres lois en matière de prestations sociales ne se confond pas avec celui du programme de l’allocation de conjoint. En effet, s’il était vrai que les autres programmes réalisaient précisément les mêmes objectifs que le programme de l’allocation de conjoint, celui-ci serait parfaitement redondant, donc inutile. Il n’en est rien. Dans la mesure où l’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse vise la situation particulière des membres âgés d’une union caractérisée par des relations de dépendance, il est distinct des autres lois en matière de prestations sociales. Le programme provincial, sous le régime duquel Nesbit recevait des prestations, assurait un revenu aux nécessiteux (Guaranteed Available Income for Need Act, supra). Le programme G.A.I.N. n’est pas intégré au programme de l’allocation de conjoint et ne prévoit pas des prestations équivalentes à celles que reçoivent les personnes âgées entre 60 et 65 ans sous le régime de ce dernier. On ne peut pas dire que la loi Guaranteed Available Income for Need Act ou n’importe quelle autre loi « vise à combler le vide » laissé par le refus d’octroyer l’allocation de conjoint aux membres d’unions de lesbiennes ou de gais (Tétreault-Gadoury, supra).

Je ne pense pas que la loi Guaranteed Available Income for Need Act ait été conçue compte tenu des restrictions du programme de l’allocation de conjoint, ni même qu’elle ait pour but entre autres de pallier ces restrictions. En conséquence, l’argument que les secours provenant de programmes provinciaux pourvoient aux besoins des membres d’unions de gais ou de lesbiennes n’est pas convaincant. Il ne s’agit pas là d’un autre moyen raisonnable pouvant se substituer à l’extension du programme de l’allocation de conjoint aux membres d’unions de gais ou de lesbiennes. Il n’y a aucune raison impérieuse qui justifie l’adoption d’une méthode discriminatoire d’octroi des prestations alors qu’un autre moyen d’atteindre l’objectif du programme est déjà disponible, comme c’est le cas en l’espèce. Une méthode de distribution discriminatoire ne peut être considérée comme raisonnable que s’il est nécessaire de l’employer de préférence à une méthode non discriminatoire. C’est ce qu’a souligné Madame le juge McLachlin qui a donné cette explication : « Puisque le droit en cause est garanti par la Constitution comme un droit fondamental dans notre société, on ne devrait pouvoir y déroger que dans la mesure où cela est nettement nécessaire et justifié » (Comité pour la République du Canada, supra, à la page 246).

En l’espèce, la méthode de distribution discriminatoire n’est pas nécessaire, puisque l’extension du programme de l’allocation de conjoint aux membres d’unions de gais ou de lesbiennes est un autre moyen raisonnable. Étant donné qu’il existe un autre moyen approprié pour atteindre le même objectif de façon tout aussi efficace, on ne peut pas dire que la violation de la Charte du fait de l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse soit raisonnable. En conséquence, la condition de l’atteinte minimale du critère de proportionnalité n’est pas remplie, même si nous en appliquons la version modifiée. Il s’ensuit que la violation du paragraphe 15(1) du fait de l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse n’est pas justifiable au regard de l’article premier de la Charte.

Ayant conclu que la disposition attaquée ne satisfait pas à la condition de l’atteinte minimale de l’impératif de proportionnalité découlant de l’article premier, il est inutile que je poursuive jusqu’au dernier stade de l’analyse. Néanmoins, à supposer que cette analyse soit nécessaire, je conclurais que l’effet de la mesure attaquée sur le droit garanti par la Charte n’est pas proportionné à l’objectif du programme. L’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse a pour effet de dénier le même bénéfice de la loi aux membres d’unions de gais ou de lesbiennes en leur refusant complètement l’allocation de conjoint. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où un droit garanti par la Charte n’est que marginalement affecté. La violation est claire et directe en l’espèce. Et, aussi important que soit l’octroi de l’allocation aux membres d’unions hétérosexuelles, le refus d’accorder la même allocation aux membres d’unions de gais ou de lesbiennes n’en est pas moins important. Ainsi donc, les effets de la mesure attaquée sur le droit de recevoir des prestations ne sont pas proportionnés à l’objectif de la loi. Il s’ensuit que la disposition attaquée n’est pas justifiable au regard de l’article premier de la Charte.

5.         QUELLE EST LA RÉPARATION APPROPRIÉE?

Ayant conclu à la violation du paragraphe 15(1) de la Charte, laquelle violation n’est pas justifiable au regard de l’article premier, je dois maintenant décider quelle réparation est indiquée en l’espèce. La gamme des options est limitée par le fait que les appelants se fondent principalement sur le paragraphe 52(1) de la Constitution, qui porte :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Deux questions doivent être résolues qui découlent de ce paragraphe : (1) quel est le degré d’incompatibilité qui déclenche son application? et (2) qu’est-ce qui est inopérant? Pour répondre à la première question, il faut examiner dans quelle mesure la disposition attaquée est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte. Pour répondre à la seconde, il nous faut examiner si cette incompatibilité peut être résolue par l’interprétation atténuée (laquelle, selon l’arrêt Schachter de la Cour suprême, est la même chose que la dissociation ou la suppression d’une disposition du texte), par l’interprétation large, ou par une combinaison des deux, ou s’il faut invalider la disposition dans sa totalité. Il y a aussi la possibilité, le cas échéant, de surseoir à la mesure de redressement choisie. Cependant, le juge en chef Lamer a jugé que la question de la suspension de l’effet d’une mesure de réparation « diffère totalement de celle de savoir si l’interprétation large [ou l’interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression)] ou l’annulation … est la solution appropriée en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (Schachter, supra, à la page 716).

Pour examiner le degré d’incompatibilité de la disposition attaquée avec la Constitution, nous pouvons nous guider dans une certaine mesure sur notre analyse au regard de l’article premier (Schachter, supra). Un avertissement s’impose à ce propos : l’analyse qu’effectue la Cour au regard de l’article premier est déterminée en partie par les preuves et témoignages produits et par les arguments proposés par les parties. En l’espèce cependant, l’incompatibilité avec la Charte est évidente. La question que nous avons à résoudre dans le cadre de cet appel n’est pas centrée sur un problème fondamental pour le programme de l’allocation de conjoint; ce qui nous préoccupe exclusivement en l’espèce, c’est la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Cette définition ne résiste à l’examen ni au stade de l’analyse de l’atteinte minimale ni au stade final de l’analyse de la proportionnalité selon le critère défini par l’arrêt Oakes. Elle est incompatible avec la Charte du fait qu’elle prive de l’allocation de conjoint les membres d’unions de gais ou de lesbiennes. Cette exclusion tient expressément au libellé de la définition de conjoint dans la Loi. En particulier, la condition que les partenaires soient de « sexe opposé » et que les membres du couple « se présentent comme mari et femme » signifie que les membres d’unions de lesbiennes ou de gais sont irrémédiablement exclus. Cette double condition incluse dans la définition de conjoint est la cause de l’incompatibilité avec la Charte.

Ayant défini le degré d’incompatibilité, il échet maintenant d’examiner s’il faut invalider le programme tout entier ou s’il faut recourir à la technique de l’interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression) ou à celle de l’interprétation large (telle qu’elle est expliquée dans l’arrêt Schachter), ou à une combinaison des deux. Dans les affaires concernant un régime de prestations, il est préférable de donner une interprétation atténuée ou une interprétation large de la disposition incompatible, plutôt que d’invalider le programme tout entier. C’est précisément le cas en l’espèce, qui porte sur un régime de prestations. Dans l’affaire en instance, le droit que garantit le paragraphe 15(1) et qui a été violé est un droit positif, c’est celui au même bénéfice de la loi. C’est à propos d’un cas de ce genre que le juge en chef Lamer a fait l’observation suivante (Schachter, supra, à la page 721) :

De par leur nature, les droits positifs sont habituellement assortis de considérations spéciales dans le contexte des mesures correctives. On considérera rarement que l’objectif d’un régime de bénéfices est inconstitutionnel. La violation de droits positifs donnera plus probablement lieu aux mesures correctives de l’interprétation atténuée ou large, ou de l’annulation et de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité plutôt qu’à une annulation immédiate du texte législatif.

Cependant, le juge en chef a tiré aussi cette conclusion à la page 716 :

Une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est une question sérieuse du point de vue de l’application de la Charte, car on se trouve alors à permettre que se perpétue pendant un certain temps une situation qui a été jugée contraire aux principes consacrés dans la Charte. Il peut exister de bonnes raisons pragmatiques d’autoriser cet état de choses dans des cas particuliers. Toutefois, l’interprétation large est de beaucoup préférable dans les cas appropriés puisqu’elle permet d’harmoniser immédiatement la loi en question avec les exigences de la Charte.

Il découle de ces deux passages que, quand les conditions s’y prêtent, l’interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression) ou l’interprétation large constituent les remèdes à préférer dans les cas où le régime de bénéfices est d’application sélective.

La Cour suprême a prescrit un certain nombre de repères qui nous permettent de décider quand il y a lieu à interprétation large ou à interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression). Les facteurs relevés par la Cour suprême à ce propos sont les suivants : précision corrective; interférence avec l’objectif de la loi; effet sur le sens des dispositions restantes; et importance des dispositions restantes.

Le premier facteur, la précision corrective, s’entend de la question de savoir si un degré suffisant de précision permettrait d’étendre l’application de la loi en cause afin qu’elle soit conforme à la Constitution. En l’espèce, la méthode appropriée pour étendre le bénéfice de l’allocation de conjoint est relativement simple. Les deux références aux relations hétérosexuelles dans la définition de conjoint—« du sexe opposé » et « comme mari et femme »—doivent faire l’objet d’une interprétation atténuée (c’est-à-dire qu’elles doivent être dissociées ou supprimées du texte) ou être modifiées d’une façon ou d’une autre par une interprétation large afin d’y inclure les membres d’unions de gais et de lesbiennes.

Mais s’il est manifeste que les mots « de sexe opposé » doivent faire l’objet d’une interprétation atténuée (c’est-à-dire être dissociés ou supprimés du texte), on pourrait soutenir que les mots « comme mari et femme » n’excluent pas nécessairement les membres d’unions de gais ou de lesbiennes. La définition de conjoint ne prévoit pas que les deux membres du couple doivent être mari et femme; ils doivent simplement se présenter comme mari et femme (Knodel, supra, à la page 745). N’empêche qu’il peut être insultant ou dégradant pour un couple de lesbiennes ou de gais d’être obligé de présenter leurs relations sous cet éclairage ou de se présenter dans ces rôles. Dans notre société, les termes mari et femme sont des concepts sexués qui ne représentent peut-être pas fidèlement les rôles dans les unions de gais ou de lesbiennes. En conséquence, obliger les membres d’unions de lesbiennes ou de gais à se présenter comme mari et femme afin d’avoir droit à l’allocation de conjoint revient à leur imposer un fardeau dont sont épargnés les couples hétérosexuels. Si ce fardeau était imposé comme condition d’admissibilité, les membres d’unions de gais ou de lesbiennes ne seraient pas traités sur un pied d’égalité et seraient toujours exclus de façon discriminatoire du programme de l’allocation de conjoint. Il va sans dire qu’une réparation fondée sur le paragraphe 15(1) ne devrait pas avoir des implications inégalitaires. Ainsi donc, au lieu d’obliger les couples de gais et de lesbiennes à se présenter comme mari et femme, il faudrait leur permettre de prouver que leur union est analogue à l’union conjugale.

Ayant conclu que nous pouvons dire avec un degré relativement élevé de précision quelle mesure corrective est nécessaire pour rendre le programme de l’allocation de conjoint conforme à la Charte, nous pouvons maintenant examiner les répercussions de pareille mesure quand nous l’aurons ordonnée. En décidant s’il y a lieu de donner une interprétation large ou une interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression du texte), la juridiction saisie doit se demander dans quelle mesure une réparation donnée peut empiéter sur le domaine législatif. La réparation accordée en application du paragraphe 52(1) ne doit pas empiéter indûment sur l’objectif législatif d’un programme ou sur le moyen choisi par le législateur pour atteindre cet objectif. L’objectif du programme de l’allocation de conjoint est de faire en sorte que, à la retraite d’un membre du couple, celui-ci continue à avoir un revenu équivalent à la somme qu’il aurait reçue si tous les deux étaient à la retraite. Étendre l’application du programme de l’allocation de conjoint aux membres d’unions de lesbiennes ou de gais n’en compromet pas l’objectif, et on peut même soutenir que pareille mesure contribue à cet objectif en rendant l’application du programme plus complète. D’ailleurs, leur inclusion dans le programme ne change pas le moyen fondamental choisi pour atteindre l’objectif de ce dernier. Cette conclusion ne met cependant pas fin à notre examen de la question de savoir dans quelle mesure l’interprétation large ou atténuée peut empiéter sur le domaine législatif. Dans Schachter, à la page 709, le juge en chef Lamer a donné l’explication suivante :

Même si l’élargissement de la portée d’une loi par interprétation large peut servir à atteindre l’objectif législatif par le moyen même choisi par le législateur, il risque, dans certains cas, de constituer un empiétement indéfendable sur des décisions financières.

Toute réparation accordée par un tribunal entraînera des répercussions financières, que ce soit une économie ou une dépense… Lorsqu’on détermine s’il faut donner une interprétation large à un texte législatif, la question n’est donc pas de savoir si les tribunaux peuvent prendre des décisions qui entraînent des répercussions de nature financière, mais bien jusqu’à quel point il est de circonstance de le faire. De toute évidence, il ne conviendrait pas d’accorder une réparation qui entraîne un empiétement tellement important sur ce domaine qu’il modifie la nature du régime législatif en question.

Comme indiqué plus haut, l’extension du programme de l’allocation de conjoint aux membres d’unions de lesbiennes ou de gais nécessite une combinaison d’interprétation large et d’interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression). Comme la combinaison de ces deux mesures de réparation résulte en l’espèce en l’extension de prestations monétaires, il convient de souligner qu’on ne peut pas dire que celle-ci est si importante qu’elle change la nature du régime établi par la Loi. Les preuves et témoignages produits au sujet du coût de l’extension des prestations aux membres d’unions de gais et de lesbiennes étaient, au mieux, équivoques. On manque d’information sur le nombre des unions interdépendantes de gais et de lesbiennes, ainsi que sur leur situation financière. Il y a cependant suffisamment d’informations pour nous permettre de conclure qu’étendre le bénéfice de l’allocation aux membres d’unions de lesbiennes ou de gais ne signifierait pas un empiétement notable sur le pouvoir de décision financière du Parlement. Par comparaison avec les fonds prévus à l’heure actuelle pour le programme de l’allocation de conjoint, le coût de l’inclusion des gais et des lesbiennes ne serait pas, pour reprendre les termes employés par le juge en chef Lamer dans Schachter, supra, « tellement important sur ce domaine qu’il modifie la nature du régime législatif ».

Ce qui nous amène à la question suivante, celle de savoir quel est l’effet de la réparation envisagée sur les dispositions restantes de la Loi. Il échet d’examiner si, une fois la partie incompatible supprimée, le sens des dispositions restantes est tellement changé qu’on ne peut plus présumer que le législateur les aurait quand même adoptées. En expliquant l’approche à adopter pour répondre à cette question, le juge en chef Lamer a fait cette observation dans Schachter, supra, à la page 711 :

Lorsqu’il s’agit de savoir si l’on doit accorder des bénéfices à un groupe non inclus dans la loi, la question du changement de sens du reste de la loi tourne parfois autour de la taille relative des deux groupes pertinents. Par exemple, dans l’arrêt Knodel, précité, le juge Rowles a élargi la prestation de bénéfices aux conjoints pour inclure les conjoints du même sexe. À son avis, cette mesure empiétait moins sur l’intention législative que l’annulation des bénéfices accordés aux conjoints hétérosexuels puisque le groupe à ajouter était beaucoup moins important que le groupe existant de bénéficiaires.

Le raisonnement tenu par Madame le juge Rowles dans Knodel s’applique dans l’affaire en instance, qui porte aussi sur l’extension des prestations à un groupe—les membres admissibles d’unions de gais et de lesbiennes—qui est bien moins nombreux que le groupe des bénéficiaires actuels de ces prestations, c’est-à-dire des partenaires hétérosexuels admissibles. Cette conclusion permet de supposer que le législateur aurait quand même institué le régime de l’allocation de conjoint même en l’absence du libellé qui en exclut les lesbiennes et les gais (Schachter, supra, à la page 712).

La dernière question qu’il échet d’examiner porte sur l’importance ou la longue existence de la partie restante de la Loi. Le principe a été défini par le juge en chef Lamer dans Schachter, supra, à la page 713 :

Il est raisonnable d’examiner le sens de la partie qui reste lorsqu’on se demande si la supposition que le législateur l’aurait quand même adoptée est fondée. Si la partie qui reste a une très grande importance ou existe depuis longtemps, ce fait vient renforcer la supposition que cette partie aurait été adoptée sans la portion inacceptable.

On peut dire à juste titre que la Loi en cause existe depuis longtemps. La Loi sur la sécurité de la vieillesse, qui a son origine dans la Loi des rentes viagères servies par l’État, 1908, S.C. 1908, ch. 5, a officiellement vu le jour en 1951 [S.C. 1951, ch. 18], année où elle remplaça la Loi des pensions de vieillesse, S.R.C. 1927, ch. 156. Le programme en cause, celui de l’allocation de conjoint, a été institué en 1975 [S.C. 1974-75-76, ch. 58, art. 5]. Pendant 18 ans, il a joué un rôle clé dans l’octroi de prestations aux partenaires hétérosexuels. La Loi sur la sécurité de la vieillesse en général et le programme de l’allocation de conjoint en particulier représentent un trait important et durable de la société canadienne. La longue histoire et l’importance manifeste de la Loi en cause viennent renforcer la présomption que le législateur aurait adopté le programme de l’allocation de conjoint même sans le libellé portant exclusion des membres d’unions de gais et de lesbiennes.

En fait, tous les facteurs que nous avons examinés viennent renforcer la présomption que le législateur approuverait et l’interprétation large et l’interprétation atténuée (c’est-à-dire dissociation ou suppression) plutôt que l’invalidation de la Loi en cause. À mon avis, la mesure de réparation qu’il convient d’adopter pour rendre l’article 2 conforme au paragraphe 15(1) consisterait donc à ordonner que la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse se lise comme si les mots « de sexe opposé » étaient supprimés et les mots « ou comme unies par des liens semblables », ajoutés après le membre de phrase « pourvu que les deux se soient publiquement présenté[e]s comme mari et femme ». En conséquence, pour ne pas enfreindre le paragraphe 15(1), la définition de conjoint à l’article 2 de la Loi devrait s’entendre comme suit :

2.

« conjoint » Est assimilée au conjoint la personne qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentées comme mari et femme, ou comme unies par des liens semblables.

Je pense qu’avec cette définition, les membres d’unions de lesbiennes et de gais seraient admissibles à demander l’allocation de conjoint. Qu’ils la reçoivent ou non dépend bien entendu de leur âge, de leur revenu et d’autres conditions, mais non pas de leurs tendances sexuelles.

Par ces motifs, je me prononce pour l’accueil de l’appel avec dépens devant notre Cour et en première instance. La définition en cause doit s’entendre comme si les mots « de sexe opposé » étaient supprimés et les mots « ou comme unies par des liens semblables », ajoutés. Je me prononce pour un jugement déclarant qu’on ne saurait refuser aux gais et aux lesbiennes le bénéfice de l’allocation de conjoint s’ils remplissent les autres conditions d’admissibilité.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Cet appel a son origine dans le refus de l’intimée de verser à l’appelant John Nesbit l’allocation de conjoint prévue à la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 (appelée ci-après la « Loi »). Ce refus s’explique par le fait que la personne dont M. Nesbit disait qu’elle était son conjoint n’est pas une personne de sexe opposé comme le prévoit la Loi. Cette autre personne est l’appelant James Egan. Il échet d’examiner si l’exclusion des couples homosexuels ou de personnes du même sexe de la définition de « conjoint » contenue dans la Loi est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (appelée ci-après la « Charte »). Si la réponse à cette question est affirmative, il faudra examiner si la restriction imposée par la Loi contestée est raisonnable et justifiable au regard de l’article premier de la Charte. Les faits de la cause et la Loi en jeu sont relativement simples.

LES FAITS DE LA CAUSE

En septembre 1986, l’appelant Egan atteint l’âge de 65 ans et a droit de ce fait à la pension de sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti. La Loi prévoit aussi le versement d’une allocation au conjoint du pensionné, si ce conjoint est âgé entre 60 et 65 ans et que le revenu total des deux est inférieur à une certaine somme. À la suite d’une correspondance avec le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, l’appelant Nesbit (le seul des deux qui eût pu y prétendre) fait une demande d’allocation de conjoint. Dans cette demande, il indique que l’appelant Egan est son conjoint. La demande est rejetée par ce seul motif que les relations entre M. Nesbit et M. Egan ne s’accordent pas avec la définition de « conjoint » à l’article 2 de la Loi :

2.

« conjoint » Est assimilée au conjoint la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme.

Les appelants forment une union intime depuis 1948. Le juge de première instance constate qu’ils ont des comptes bancaires joints, partagent cartes de crédit et autres biens et, dans leurs testaments, se désignent l’un l’autre leurs exécuteurs testamentaires et légataires respectifs. À leurs parents et amis, ils se présentent comme partenaires et, à un moment donné, ont publiquement échangé les anneaux de mariage. Il y a lieu de faire une brève observation sur cet aspect des témoignages en la matière.

Les témoignages du genre produit par les appelants visent à établir que l’union de personnes du même sexe peut être semblable à celle de deux personnes de sexe opposé, du point de vue à la fois de la diversité et de l’interaction[12]. On peut dire que les relations entre les appelants sont caractérisées par l’engagement, la longue durée et l’interdépendance, autant d’attributs qu’on trouve dans l’union conjugale idéale. Cependant, il n’a pas été demandé à la Cour de juger sous l’angle des relations stéréotypées, du degré d’intimité requise ou d’autres considérations qu’impliquent les termes « état de personne mariée » ou « conjoint ». Au contraire, il nous a été demandé de juger si le refus d’accorder aux appelants, et aux couples du même sexe qui rempliraient les conditions à d’autres égards, les prestations offertes aux couples de sexe opposé, porte atteinte à leur droit garanti au même bénéfice de la loi, sans discrimination aucune[13]. Ce jugement doit se fonder sur la conclusion suivante du juge de première instance : « [l’appelant] Nesbit eût-il été une femme cohabitant avec Egan dans les mêmes conditions, il aurait eu droit à l’allocation de conjoint »[14].

En première instance, les appelants interprètent le terme « conjoint » tel que le définit l’article 2 de la Loi, comme « s’entendant également » de la personne vivant dans une union du même sexe avec un pensionné. Le juge de première instance a rejeté cette interprétation. À cet égard, sa décision est dans le droit fil de la jurisprudence en la matière[15]. Il a ensuite rejeté l’argument que les appelants étaient victimes de discrimination fondée sur le « sexe ». Cette conclusion est également conforme à la jurisprudence applicable[16]. (L’un et l’autre arguments ont été abandonnés en appel.) Il restait donc à examiner si les appelants faisaient l’objet d’une mesure discriminatoire fondée sur un motif analogue, savoir les tendances sexuelles. Sur ce point, le juge de première instance a conclu : (1) qu’il n’y a rien de discriminatoire dans une loi qui limite une prestation aux couples de sexe opposé; et (2) que l’allocation demandée par les appelants leur a été refusée en raison de leur « statut de non-conjoints » et non pas à cause de leurs « tendances sexuelles ». Il s’est prononcé en ces termes, à la page 704 :

Le législateur a choisi de pourvoir aux besoins de personnes de sexe opposé qui vivent dans une union conjugale, qu’elle soit légale ou de fait, en qualité de mari et femme. Cette unité a toujours été considérée comme l’unité fondamentale de la société, qui en dépend pour sa survie. Je ne peux voir rien de discriminatoire contre les demandeurs dans une loi qui ne prévoit pas les mêmes prestations pour les couples d’homosexuels tels les demandeurs. Ceux-ci, en leur qualité de couple d’homosexuels, tout comme un homme célibataire et une femme célibataire qui vivent ensemble, ne présentent pas les caractéristiques de l’unité conjugale ou de conjoints au sens traditionnel. Par comparaison avec l’unité ou la catégorie qui bénéficie de la loi contestée, les demandeurs relèvent de la catégorie générale des non-conjoints, et ne peuvent en bénéficier en raison de leur statut de non-conjoints, et non pas à cause de leurs tendances sexuelles. [C’est moi qui souligne.]

Aux yeux du juge de première instance, les appelants sont traités « tout comme » tous les autres couples de non-conjoints, dont les relations sont marquées par l’engagement, la longue durée et l’interdépendance (appelées ci-après « autres relations non conjugales »). Les appelants soutiennent que cette comparaison est erronée étant donné qu’ils sont « tout comme » les partenaires de sexe opposé qui ont droit à l’allocation de conjoint, et qu’ils ne sont « pas moins méritoires ».

Il y a lieu de noter en tout premier lieu que ces vues divergentes sur la « similarité » ont été exprimées, sous une forme ou une autre, dans toutes les affaires concernant les prestations offertes aux conjoints. Cette divergence de vues s’est poursuivie bien que le critère de la situation analogue eût été rejeté auparavant par la Cour suprême. Ce n’est là que l’une des questions qu’il faut relever et trancher en l’espèce.

LA CHARTE—DÉFINITION DE DISCRIMINATION

Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés porte :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Pour obtenir gain de cause, les appelants doivent démontrer que la définition restrictive de « conjoint » figurant dans la Loi fait une distinction fondée sur les tendances sexuelles[17] et est de ce fait discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. Bien que les tendances sexuelles ne soient pas expressément visées au paragraphe 15(1), il est constant que la liste des motifs énumérés n’est pas limitative et que la protection découlant de cette disposition peut s’étendre à ceux qui prouvent qu’ils appartiennent à un groupe défavorisé et qu’il y a discrimination fondée sur des motifs analogues. Le critère classique est défini dans les motifs de jugement prononcés par Madame le juge Wilson dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, et repris dans R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1332 :

… la conclusion relative à la question de savoir si un groupe relève d’une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l’art. 15 « ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » (p. 152). Si l’on ne tient pas compte du contexte général, l’analyse fondée sur l’art. 15 peut devenir un processus de classification mécanique et stérile qui dépendra exclusivement du texte de loi contesté. Si la décision quant à savoir s’il y a ou non discrimination se fonde exclusivement sur l’examen de la loi contestée, il est vraisemblable à mon avis qu’on arrivera à la même sorte d’impasse qui caractérise le critère selon lequel les personnes qui se trouvent dans une situation analogue doivent être traitées de façon analogue, que cette Cour a nettement rejeté dans l’arrêt Andrews .

Bien que la Cour suprême n’ait jamais prononcé sur la question de savoir si les homosexuels constituent un groupe défavorisé ayant droit à la protection de la Charte, je pense qu’il est maintenant de droit constant que les tendances sexuelles peuvent être invoquées comme motif analogue de discrimination qu’interdit le paragraphe 15(1)[18]. L’intimée concède ce point, et à juste titre à mon avis.

On peut convenir sans peine que la définition de « conjoint » à l’article 2 a un effet particulier sur les couples du même sexe. La question cruciale qui se pose est de savoir si cette distinction est fondée sur les tendances sexuelles et si elle est discriminatoire au sens de la jurisprudence en la matière. Étant donné que les distinctions faites entre des individus ou des groupes n’enfreignent pas toutes l’article 15, il demeure difficile de discerner les cas où la Loi en cause est discriminatoire.

La jurisprudence relative à la discrimination visée par l’article 15 de la Charte est établie par les motifs de jugement prononcés par la Cour suprême dans la cause Andrews c. Law Society of British Columbia, supra. En fait, il s’agit là de sa seule décision où une loi ait été déclarée discriminatoire par référence à un motif non énuméré (citoyenneté)[19]. Je me propose de reproduire ci-dessous les passages reconnus comme les plus importants des motifs prononcés par le juge McIntyre au nom de la Cour sur cette question, et qui forment le cadre dans lequel nous devons entreprendre l’analyse afin de trancher le litige en l’espèce :

Concept d’égalité

Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Il ne s’agit pas d’une garantie générale d’égalité; la disposition ne prescrit pas l’égalité entre les individus ou les groupes d’une société dans un sens général ou abstrait, pas plus qu’elle n’impose à ceux-ci l’obligation de traiter les autres également. Elle porte sur l’application de la loi. (Le juge McIntyre, aux pages 163 et 164.)

Objet

Il est clair que l’art. 15 a pour objet de garantir l’égalité dans la formulation et l’application de la loi. Favoriser l’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. Il comporte un aspect réparateur important. (Le juge McIntyre, à la page 171.)

Définition de discrimination

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement. (Le juge McIntyre, aux pages 174 et 175.)

Distinctions fondées sur des différences personnelles non pertinentes

Tout en reconnaissant qu’il y aura toujours une variété infinie de caractéristiques personnelles, d’aptitudes, de droits et de mérites chez ceux qui sont assujettis à une loi, il faut atteindre le plus possible l’égalité de bénéfice et de protection et éviter d’imposer plus de restrictions, de sanctions ou de fardeaux à l’un qu’à l’autre. En d’autres termes, selon cet idéal qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s’appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l’un que sur l’autre. (Le juge McIntyre, à la page 165; voir aussi le juge La Forest, à la page 193.)

Analyse en contexte

Il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu’elle vise, de même que sur ceux qu’elle exclut de son champ d’application. Les questions qui seront soulevées d’un cas à l’autre sont telles que ce serait une erreur que de tenter de restreindre ces considérations à une formule limitée et figée. (Le juge McIntyre, à la page 168.)

Charge de la preuve

Un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu’il ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi a un effet discriminatoire sur le plan législatif. (Le juge McIntyre, à la page 182.)

Malheureusement, s’il est facile d’extrapoler les divers principes contenus dans le critère de la Cour suprême pour décider s’il y a discrimination, il est par contre difficile d’appliquer ce critère aux cas d’espèce.

Étant donné que la Cour suprême n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur les droits des gais et des lesbiennes dans le contexte de la Charte, il convient de passer en revue la jurisprudence limitée en la matière des autres cours supérieures du Canada. Au pire, ces décisions font ressortir la diversité des opinions des juges. Au mieux, elles permettent de bien saisir les questions qui doivent être résolues.

LA JURISPRUDENCE

Les causes où il est question des droits des gais ou des lesbiennes tombent jusqu’ici dans deux catégories. En premier lieu, il y a celles où un individu s’est vu refuser ou enlever l’accès à un « bénéfice ». En second lieu, il y a les cas où l’une des conditions d’admissibilité est l’état de personne mariée, c’est-à-dire que le bénéfice est réservé à ceux qui sont légalement mariés et, s’ils sont reconnus par la loi, aux conjoints de fait. Dans l’une et l’autre catégories, la discrimination en cause peut être soit directe (intentionnelle) soit indirecte (involontaire).

Les causes tombant dans la première catégorie peuvent être tranchées dans le cadre de la législation provinciale et fédérale en matière de droits de la personne. Les soi-disant bénéfices universels, qu’ils soient classés comme bénéfices de droit privé ou public, concernent inévitablement les questions d’emploi[20], d’hébergement et de services, et ont fait l’objet de lois antidiscriminatoires. Pour ce qui est de la législation en matière de droits de la personne, cinq provinces et un territoire interdisent la discrimination pour cause de tendances sexuelles; il s’agit de l’Ontario, du Québec, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba et du Yukon[21]. Jusqu’à tout récemment, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne faisait pas des tendances sexuelles un motif illégal de discrimination (actuellement sous forme de projet de loi, le projet de loi C-108, 1992). Avant cette modification législative, il a été jugé dans Haig v. Canada (1992), 9 O.R. (3d) 495 (C.A.) que cette omission valait discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte[22].

La décision Haig de la Cour d’appel de l’Ontario, qui est instructive, représente l’un des deux cas où un tribunal judiciaire a été saisi d’une plainte de discrimination pour cause de tendances sexuelles, et où la partie demanderesse a eu gain de cause[23].

Dans Haig, l’intimé Birch, capitaine des Forces armées canadiennes, décida d’informer son commandant qu’il était gai, après quoi il a été informé en retour que son cas relevait d’une directive générale relative aux « homosexuels », par application de laquelle il ne serait plus considéré pour les promotions, les affectations et la formation militaire plus poussée. Finalement, il a été libéré pour raisons médicales, dont le fait qu’il n’était pas capable de continuer à travailler à cause des restrictions de carrière imposées par la directive générale et que, par conséquent, il n’était plus apte au service armé. Par la suite, le capitaine Birch s’est pourvu en justice pour demander un jugement déclarant que l’absence des tendances sexuelles de la liste des motifs illégaux de discrimination à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne était elle-même discriminatoire. Cet argument a été accueilli par le juge de première instance [(1991), 5 O.R. (3d) 245] comme par la Cour d’appel. Celle-ci n’a eu aucune difficulté à conclure (par la voix du juge Krever, J.C.A., à la page 498) que [traduction] « Il est difficile d’imaginer exemple plus flagrant de discrimination blessante dans l’emploi pour cause uniquement de tendances sexuelles, que ce qui est arrivé à l’intimé Birch. »

Le verdict de discrimination prononcé dans Haig montre bien qu’une caractéristique personnelle, en l’occurrence les tendances sexuelles, ne doit avoir aucun rapport avec l’admissibilité ou l’inadmissibilité à un emploi. Il est cependant des cas où la discrimination n’est pas aussi manifeste que dans Haig; il faut donc examiner attentivement si le but ou l’effet de la loi contestée est discriminatoire au sens de la Charte. Une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Brown v. British Columbia (Minister of Health) (1990), 66 D.L.R. (4th) 444, peut servir d’exemple à cet égard. Cette affaire ne portait pas sur l’accès à l’emploi, mais sur l’accès à un médicament coûteux qu’on disait efficace dans le traitement d’une maladie potentiellement mortelle.

La plainte de discrimination faisait suite à la décision prise par le gouvernement de la province d’inclure dans le régime provincial d’assurance-médicaments le médicament AZT, le seul à se révéler efficace à l’époque dans le traitement du sida. Par suite de cette décision, les sidéens, sauf ceux qui touchaient l’assistance sociale ou qui étaient hospitalisés à titre de malades incurables, étaient obligés de payer une partie du prix du médicament. Cette politique de subvention affectait un groupe identifiable, dont 90 p. 100 étaient des hommes « homosexuels » ou « bisexuels ». La plupart de ces derniers n’étaient pas admissibles à l’exemption et devaient faire face à des dépenses en médicaments dépassant les 2 000 $ par an, dont la Cour a conclu qu’elles constituaient en toute probabilité un « lourd fardeau financier » (à la page 457). Cependant, cette politique de subvention ne fut contestée qu’après que le gouvernement eut décidé de prendre entièrement en charge un médicament tout aussi coûteux, la cyclosporine, destiné à d’autres malades graves, ceux qui ont subi une transplantation et ceux qui souffrent du cancer. La Cour a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte.

Bien qu’il ne soit pas dans mes intentions de critiquer la décision Brown, le bien-fondé des motifs avancés par le gouvernement et acceptés par la justice, pour expliquer la différence dans la subvention à l’achat entre les médicaments destinés aux cancéreux et à ceux qui ont subi une transplantation d’une part, et les médicaments destinés aux sidéens d’autre part, peut être affaire de jugement personnel[24]. Pour notre propos, il est important de noter qu’il s’agit justement là du type de cas où une « distinction » peut exacerber les préjugés contre les membres d’une minorité défavorisée en limitant l’accès à un bénéfice fondamental dont ils ont besoin. Dans la mesure où une décision de principe (ayant force de loi) a un effet à la fois disproportionné et défavorable sur un groupe de ce genre, un verdict de discrimination est, à mon avis, pratiquement inévitable.

L’analyse qui suit porte sur deux décisions contradictoires rendues à la suite de contestations fondées sur la Charte et relevant de la seconde catégorie, celle des bénéfices réservés aux conjoints. Dans les deux affaires, les demandeurs se disaient privés d’un bénéfice en raison de leurs tendances sexuelles. Comme nous le verrons, la plainte ne visait pas vraiment le refus d’accorder le bénéfice, mais le refus de l’accorder dans les mêmes conditions qu’aux couples de sexe opposé.

Dans Andrews v. Ontario (Minister of Health), supra, la loi provinciale sur l’assurance-maladie fait que la partenaire de même sexe de la demanderesse n’a pas droit à la couverture à titre de personne à charge. « Personne à charge » est définie comme s’entendant également du conjoint de la personne assurée, ce qui signifie aux yeux des autorités provinciales une personne de sexe opposé. Le juge de première instance conclut que cette loi n’est pas discriminatoire et, par conséquent, ne va pas à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. En premier lieu, il juge que les couples homosexuels ne sont pas semblables aux couples hétérosexuels parce que les premiers ne procréent ni n’élèvent des enfants. En deuxième lieu, il écarte l’argument de discrimination par ce motif que la demanderesse est traitée exactement sur le même pied que toutes les personnes qui cohabitent sans être mariées l’une à l’autre. Enfin, il note que la prime payée par un couple de sexe opposé est égale au total des primes payées par les deux partenaires d’une union de même sexe.

Cette dernière conclusion semblerait suffire à elle seule à régler la question. Il est difficile dans ce contexte de faire valoir que la demanderesse s’est vu refuser le même bénéfice de la loi. L’assurance-maladie était accessible à tous aux mêmes conditions financières. Ce qui nous intéresse, c’est que le litige portait sur la question de savoir si un couple homosexuel est « semblable » à un couple hétérosexuel ou s’il est « semblable » aux autres relations non conjugales.

Le raisonnement tenu dans Andrews v. Ontario n’a pas été adopté dans la cause Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), supra, dont les faits étaient pourtant pratiquement identiques. Dans Knodel, la définition de « spouse » (conjoint) dans le règlement d’application [B.C. Reg. 144/68, art. 2.01 (mod. par B.C. Reg. 5/77)] de la loi dite Medical Services Act [R.S.B.C. 1979, ch. 255] de la Colombie-Britannique n’étendait pas le bénéfice aux couples de même sexe; c’est ainsi que la demande faite par le demandeur afin que son partenaire fût reconnu comme conjoint par le régime d’assurance-maladie avait été rejetée. Le juge de première instance conclut que ce Règlement a pour effet de réserver aux couples homosexuels un traitement différent par rapport aux couples hétérosexuels. En fait, son raisonnement tout entier est implicitement fondé sur le postulat que les uns sont « tout comme » les autres. Elle en conclut que le Règlement est discriminatoire à l’égard du demandeur à cause de ses tendances sexuelles, en lui imposant une sanction économique par le refus de lui accorder un bénéfice offert aux couples hétérosexuels. (Je reviendrai sur cette conclusion un peu plus loin.) Et que le Règlement a encore un autre effet, en ce qu’il porte atteinte à la dignité et au respect de soi du demandeur, et renforce l’« homophobie » exhibée par certains individus.

À l’opposé de l’approche adoptée dans Andrews v. Ontario, le juge de première instance dans Knodel estime que la couverture sélective de la législation en cause était, pour reprendre les termes employés par le juge en chef Dickson dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, à la page 1240, « simplement un moyen détourné de permettre la discrimination ». Son analyse aborde la question litigieuse sous l’angle de la distinction entre deux catégories d’individus (à la page 756) :

[traduction] Lorsque l’État distingue entre deux catégories d’individus, A et B, de façon à imposer un fardeau plus lourd aux individus de la catégorie B, et si ceux-ci appartiennent à une catégorie protégée par le paragraphe 15(1) de la Charte, le libellé du texte de loi ne présente aucune importance du point de vue de l’analyse constitutionnelle, c’est-à-dire qu’il importe peu que la loi en question prévoie que : (1) A en bénéficie; ou (2) tout le monde en bénéficie sauf B. Dans les deux cas, l’effet sur l’individu appartenant au groupe B est le même.

À la lumière du raisonnement tenu dans Andrews v. Ontario et de celui tenu par le juge de première instance en l’espèce, l’analyse ci-dessus est défectueuse en ce qu’elle passe sous silence le fait que la catégorie « B » comprend non seulement les couples homosexuels, mais encore d’autres dont les relations d’interdépendance ne sont pas des relations conjugales. En effet, la non-inclusion dans la catégorie « A » vaut en fait pour les deux catégories « B » (couples homosexuels) et « C » (autres relations non conjugales)[25].

Comme noté supra, le juge de première instance dans Knodel a conclu que les couples homosexuels se voyaient refuser un bénéfice offert aux couples hétérosexuels. Il ne faut cependant pas présumer que ces partenaires homosexuels étaient privés du bénéfice de l’assurance-maladie. Sous le régime du règlement applicable, le total des primes annuelles versées par les deux membres d’un couple homosexuel dépassait de 84 $ les primes que payait un couple hétérosexuel. Techniquement parlant, le demandeur (et son partenaire) se sont vu dénier le même bénéfice de la loi. Mais il serait faux de dire que le règlement avait pour effet de dénier à un couple homosexuel un bénéfice offert aux couples hétérosexuels. Au contraire, le partenaire de même sexe avait droit à l’assurance-maladie mais devait payer 42 $ de plus par an, parce que sa situation ne s’accordait pas avec la définition de « conjoint »[26]. À cet égard, les faits de la cause Knodel ressemblent davantage aux faits de la cause Andrews v. Ontario qu’à ceux de Brown.

Dans Brown, la politique de subvention différentielle du gouvernement portait à conclure à l’intention de refuser aux gais un avantage financier évident, du fait de la décision du gouvernement de limiter la subvention intégrale à d’autres malades graves. Subsidiairement, on pourrait soutenir que cette politique de subvention avait un effet direct et plus onéreux sur ce groupe défavorisé. De même, le fait que la majorité de ces hommes devait faire face à un « lourd fardeau financier » aurait pu avoir pour effet de leur interdire l’accès à un médicament essentiel. Par comparaison, les causes Andrews v. Ontario et Knodel portaient toutes deux sur un régime instauré par la loi et sous lequel un bénéfice »l’assurance-maladie »était à la disposition de tous. Dans Andrews v. Ontario, le coût était le même, peu importait la situation de famille. Dans Knodel, on ne peut raisonnablement dire que la différence dans le coût interdisait l’accès au régime d’assurance-maladie. Je pense qu’on peut conclure que dans ces deux causes, le véritable reproche adressé à la législation en cause visait la distinction entre couples hétérosexuels et couples homosexuels. Ce que voulaient vraiment les demandeurs, ce n’était pas le bénéfice en soi, mais la reconnaissance en droit que leur union conjugale n’était nullement différente des unions hétérosexuelles admissibles aux bénéfices réservés aux conjoints.

En bref, l’examen de la jurisprudence existante fait ressortir au moins trois questions non résolues.

En premier lieu, une union homosexuelle est-elle « semblable » ou « identique » à un couple hétérosexuel? Dans la même veine, une union homosexuelle est-elle différente d’autres relations non conjugales? Comme nous l’avons vu et comme nous le verrons encore plus loin, pareille approche analytique n’est pas encore à notre disposition. Donc, il est tout naturel de se demander pourquoi les plaignants et les tribunaux continuent à envisager la question sous cet angle.

En deuxième lieu, le fait que la catégorie des non-conjoints comprend non seulement les couples homosexuels, mais aussi d’autres relations non conjugales, a-t-il une importance quelconque? La réponse à cette question n’est pas subordonnée à une comparaison entre les groupes relevés dans la catégorie exclue. Ce qui est pertinent, c’est que les membres du groupe défavorisé ne sont pas les seuls à se voir priver du bénéfice.

En troisième lieu, la plainte ne vise-t-elle pas en réalité le défaut de la part du législateur de reconnaître que les relations homosexuelles ne sont nullement différentes des relations hétérosexuelles, y compris l’union conjugale? S’il en est ainsi, il s’agit d’une contestation indirecte du concept du mariage de la common law et de la loi écrite, tel qu’il s’exprime dans la loi qui donne une définition restrictive de « conjoint ».

ANALYSE

L’objection des appelants au jugement de l’instance inférieure vise la manière dont le juge de première instance a caractérisé la distinction faite par le législateur. À leur avis, la comparaison n’est pas entre « conjoints » et « non-conjoints », mais entre couples « hétérosexuels » et couples « homosexuels ». Ils soutiennent que [traduction] « L’homme homosexuel ou la femme homosexuelle dont le partenaire a pris sa retraite à l’âge de 65 ans n’est en rien différent de l’homme hétérosexuel ou de la femme hétérosexuelle, et mérite tout autant l’allocation de conjoint » (mémoire des appelants, à la page 10). Et qu’il y a discrimination du fait que la loi contestée a pour effet d’ajouter au désavantage d’un groupe qui a toujours été « marginalisé » et « stigmatisé ». Et, enfin, que le meilleur moyen de redresser cette iniquité est d’étendre la définition de « conjoint » aux couples homosexuels.

Je vais examiner les arguments des appelants en me penchant en premier lieu sur la question du « caractère identique » qui, à leur avis, est d’importance fondamentale. Également importante est l’application du critère qui permet de dire quand, juridiquement parlant, une distinction fondée sur un motif interdit est discriminatoire. Comme il ressortira de l’analyse, la position adoptée par les appelants en l’espèce représente un changement fondamental dans la conception des droits des gais et des lesbiennes au Canada. La question qu’il reste à trancher est de savoir si ces droits revendiqués s’accordent avec la règle de droit définie dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, supra.

1.         LE CARACTÈRE IDENTIQUE

a)         Le critère de la situation analogue

L’argument que les couples homosexuels sont « identiques » aux couples hétérosexuels et que, par conséquent, ils doivent être traités de la même façon, est fondé sur le principe aristotélicien d’égalité formelle que reprend le critère de la situation analogue : les gens qui se ressemblent doivent être traités de la même façon, les gens qui sont différents doivent être traités différemment. Cependant, la suite réservée à cet argument est maintenant affaire réglée : le critère a été expressément rejeté par la Cour suprême dans son arrêt Andrews. Il va sans dire que ce résultat est également applicable à l’argument que les appelants sont traités exactement de la même façon que les personnes liées par des relations non conjugales. Il s’ensuit que sur le plan de la stricte théorie juridique, ni l’une ni l’autre partie à cette action ne peut invoquer la question de savoir si un type de couple est « semblable » à un autre ou en est « différent ».

Dans le même temps, on comprend fort bien la séduction qu’exerce le concept d’égalité formelle, qui rejoint le bon sens[27]. Pourtant le critère de la situation analogue a été rejeté dans Andrews, puisque, appliqué littéralement et sans exception, il donnerait inévitablement lieu à une injustice flagrante[28]. En page 166, le juge McIntyre s’est prononcé en ces termes :

Le critère [de la situation analogue] formulé comporte cependant un grave défaut en ce qu’il exclut toute considération de la nature de la loi. Appliqué au pied de la lettre, il pourrait servir à justifier les lois de Nuremberg d’Adolf Hitler. Un traitement analogue était prévu pour tous les Juifs. [C’est moi qui souligne.]

Tout espoir que ce critère survivrait à l’arrêt Andrews, dans la mesure où il ne s’appliquerait pas de façon mécanique, a été sommairement anéanti dans McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229. Rendant le jugement de la majorité, le juge La Forest a conclu en page 279 : « Tout simplement, je ne crois pas que le critère de la situation analogue puisse être appliqué autrement que d’une façon machinale et je ne crois pas qu’il ait survécu à l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia. »

La décision de la Cour suprême de rejeter le critère de la situation analogue n’a eu qu’un effet limité pour ce qui est d’éliminer les comparaisons formelles entre des groupes perçus comme tels. Il y a lieu de remarquer que dans les cas où ce critère a été expressément appliqué, c’était justement pour réfuter l’argument que les couples homosexuels n’étaient nullement différents des autres relations non conjugales (voir Knodel, supra). Pourtant, des avocats semblent enclins à plaider leur cause, et les tribunaux à prononcer, en présupposant que les couples homosexuels sont soit « semblables » aux couples hétérosexuels soit « différents », selon le cas. Ce faisant, ils esquivent le problème du critère de la situation analogue.

Il serait naïf de prétendre que la question du « caractère identique » a disparu après que la Cour suprême eut rejeté le critère de la situation analogue. On n’aurait pu s’attendre non plus à ce qu’elle disparaisse complètement. Tant que la discrimination se définit en termes de distinction fondée sur une « caractéristique personnelle », on sera toujours tenté de comparer ceux qui ont ce trait distinctif ou cette caractéristique et ceux qui ne l’ont pas.

Dans presque toutes les affaires de discrimination portant sur les bénéfices réservés aux conjoints, les demandeurs ont produit les preuves et témoignages sur la similitude entre le style de vie des couples homosexuels et celui des couples hétérosexuels[29]. Il en est de même de l’affaire en instance. Elle n’est différente des autres que dans la mesure où les témoignages produits devant la Cour sont limités et faibles par comparaison avec le témoignage de professeurs d’université, sociologues et hommes de l’art, cité dans les causes publiées[30]. Ces témoignages ne visent qu’un but évident : établir la « similitude » entre les deux types d’unions. On en trouve l’illustration dans le témoignage donné par un psychiatre clinique dans Knodel (à la page 735) :

[traduction] Le Dr Myers fait savoir qu’il y a « un haut degré de similitude entre les partenaires à vie homosexuels et les partenaires à vie hétérosexuels, et qu’ils sont bien plus semblables pour ce qui est de leur attitude, de leur espoirs et de leurs valeurs qu’ils ne sont différents à ces égards ».

Néanmoins, il faut prendre acte que l’argumentation des appelants est fondée sur la « similitude » entre couples homosexuels et couples hétérosexuels. L’arrêt Andrews de la Cour suprême anéantit la prémisse même sur laquelle ils fondent leur plainte de discrimination. D’ailleurs, l’inapplicabilité du critère de la situation analogue n’est pas le seul obstacle juridique au succès de cet appel. Il se trouve qu’en faisant valoir la similitude entre les deux types d’unions, les appelants se sont heurtés à l’élément « non-pertinence » du critère de discrimination établi par l’arrêt Andrews. En rejetant le critère de la situation analogue, la Cour suprême a défini l’inégalité en termes de différence de traitement pour cause de « différences personnelles non pertinentes »[31].

b)         Différences personnelles non pertinentes

Il faut se rappeler que dans Andrews, le juge McIntyre a jugé (à la page 165), qu’il ne faut pas priver quelqu’un d’un avantage en raison d’une distinction fondée sur des différences personnelles non pertinentes[32]. Réflexion faite, il est évident que les tendances sexuelles sont un élément à la fois pertinent et essentiel de l’argumentation des appelants. Elles constituent la caractéristique qui les apparente à un couple de conjoints de fait hétérosexuels et les distingue des autres relations non conjugales.

L’importance de l’impératif juridique, selon lequel la distinction illicite doit être fondée sur une différence personnelle non pertinente, ne peut pas être ignorée ou écartée sommairement[33]. À mon avis, cet impératif est fondamental pour notre compréhension actuelle des règles juridiques en matière de discrimination visée par l’article 15 de la Charte.

Les appelants ne se plaignent pas de discrimination par suite de distinction fondée sur une différence non pertinente, mais de distinction en termes de différence de traitement entre couples homosexuels et couples hétérosexuels, et qu’ils qualifient de non pertinente. En conséquence, les tendances sexuelles demeurent un élément hautement pertinent. L’homosexualité ne distingue pas un couple homosexuel d’un couple hétérosexuel. Elle constitue la base sur laquelle on peut conclure que les deux sont « semblables » et sur laquelle on peut les distinguer des autres relations non conjugales. Si cependant les tendances sexuelles devaient demeurer une considération ou un critère non pertinent, la situation des couples homosexuels ne saurait être distinguée des autres relations non conjugales. Par conséquent, il est manifeste que la prétention des appelants à l’allocation de conjoint représente un changement fondamental dans la conception des droits des gais et des lesbiennes au Canada.

Les causes comme Haig, supra, montrent que l’affirmation des droits des gais et des lesbiennes est, jusqu’à une date récente, fondée sur le postulat que les tendances sexuelles doivent demeurer une considération non pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer le droit aux bénéfices d’accessibilité générale. La garantie d’égalité et la protection contre la discrimination sont manifestement liées à la conviction que certaines différences personnelles ne peuvent être considérées comme un critère valide d’inadmissibilité.

En effet, la décriminalisation en 1967 au Canada des rapports « homosexuels » entre adultes consentants et la décision prise par certaines assemblées législatives provinciales d’interdire la discrimination fondée sur les tendances sexuelles (il y a des exceptions) étaient fondées sur un droit non déclaré à la protection de la vie privée et sur la conviction que les tendances sexuelles ne sont pas un facteur à prendre en considération. Les assemblées législatives et les tribunaux devaient rester en dehors des « chambres à coucher de la nation ». Aujourd’hui cependant, on nous demande de juger sur la foi de témoignages visant exclusivement à établir la similitude entre ménages homosexuels et ménages hétérosexuels.

Il appert que vue sous cet angle et telle qu’elle est interprétée par l’arrêt Andrews, la Charte sous-tend la justification avancée à l’origine à l’appui de la reconnaissance des droits des gais et des lesbiennes dans ce pays[34]. Cette justification des débuts est aussi compatible avec la décision de rejeter le critère de la situation analogue. Un auteur commente les vues opposées sur l’homosexualité en ces termes qui, à mon avis, révèlent une parfaite compréhension des raisons qui expliquent le large éventail d’opinions profondément ressenties ainsi que les différentes justifications sur lesquelles on peut fonder les droits des gais et des lesbiennes[35] :

[traduction] L’attitude des gens envers les homosexuels va de la condamnation au respect, en passant par la pitié et l’indifférence. Cette gamme d’attitudes se retrouve aussi chez la basoche. Bien que certains tribunaux et auteurs manifestent une grande sympathie pour la prétention des lesbiennes et des gais à l’égalité de traitement, une partie non négligeable de la basoche nourrit encore des vues négatives à l’égard de ceux dont les tendances sexuelles ne sont pas celles de la majorité.

Les vues divergentes dans ces deux sens—savoir si les tendances sexuelles font partie intégrante de l’identité et si l’attitude envers les gais et les lesbiennes est positive, négative ou neutre—se combinent pour donner lieu à quatre conceptions divergentes de l’homosexualité. Ceux qui y voient un « péché » considèrent les rapports homosexuels comme immoraux et répréhensibles; dans l’ensemble ils ne souscrivent pas à la vue que l’homosexualité est un élément intrinsèque de l’identité. De même, ceux qui y voient une « maladie » ont une vue négative de l’homosexualité; ils la considèrent cependant comme un élément de la personnalité du sujet, encore qu’elle soit un élément guérissable. La théorie de la « différence neutre », tout comme la théorie de la maladie, considère les tendances sexuelles comme un élément de la personnalité, mais n’y voit qu’une différence qui ne devrait pas faire l’objet d’un traitement discriminatoire. Enfin, les tenants de la théorie de la « convention sociale » rejettent la catégorisation des gens par les tendances sexuelles et ne voient guère de différence entre relations et rapports homosexuels et hétérosexuels.

Il n’y a guère de doute que la théorie de la « différence neutre » ci-dessus se retrouve dans l’interprétation que la Cour suprême a donnée de la Charte dans Andrews. Pour leur part, les appelants tiennent que la Charte devrait incorporer la théorie de la « convention sociale », ce qui s’écarte plutôt du raisonnement tenu par la Cour suprême dans Andrews. Il y a été jugé que les non-citoyens constituent une minorité « discrète et isolée » qui ne devrait pas se voir refuser l’accès aux emplois en raison d’une différence personnelle non pertinente, la citoyenneté. La règle de droit en vigueur prescrit, si je ne m’abuse, que les tendances sexuelles ne sont un critère valide ni d’admissibilité ni d’inadmissibilité. Elles ne sont un critère de quoi que ce soit. Il faut plutôt y voir une différence personnelle non pertinente.

À la lumière de l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia qui définit la discrimination en termes de distinction fondée sur une différence personnelle non pertinente et exclut l’application du critère de la situation analogue, l’argument des appelants que la définition de « conjoint » à l’article 2 de la Loi est discriminatoire, doit être rejeté.

Malgré cette conclusion, je me propose d’examiner la question de la discrimination en général. Il se peut que j’interprète mal l’arrêt Andrews. D’ailleurs, le fait que le statut de conjoint est une condition nécessaire pour l’obtention d’un bénéfice n’exclut pas un verdict de discrimination pour cause de tendances sexuelles en soi. Comme chacun sait, la discrimination peut être soit directe (intentionnelle) soit indirecte (involontaire); elle doit se mesurer en fonction de l’effet négatif de la loi contestée sur ceux qui sont soumis à son application.

2.         DISCRIMINATION

Sous réserve des considérations exposées ci-après, le critère de la discrimination est défini par l’arrêt Andrews comme suit (à la page 165) :

… selon cet idéal qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s’appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l’un que sur l’autre. [C’est moi qui souligne.]

Il échet donc d’examiner l’effet non intentionnel du défaut du législateur d’étendre le programme de l’allocation de conjoint aux couples homosexuels et de décider si les conséquences en sont discriminatoires. Avant de passer à cette phase de l’analyse, il faut cependant régler deux autres questions. Il s’agit en premier lieu de déterminer la pertinence, si pertinence il y a, du fait que les membres du groupe défavorisé ne sont pas les seules personnes privées du bénéfice. La seconde question qui se pose est de savoir sur quelle base nous devons décider si une distinction est fondée sur le statut de conjoint et non pas sur les tendances sexuelles. Comme noté supra, il est extrêmement important de noter qu’un verdict de discrimination pour cause de tendances sexuelles n’est pas automatiquement exclu du fait qu’une condition d’admissibilité est la qualité de conjoint. Il peut y avoir des cas où la partie demanderesse ne fait pas valoir ses tendances sexuelles comme fondement de son admissibilité. Je vais examiner tout d’abord cette question.

a)         Statut de conjoint et tendances sexuelles

Je pars du principe que les lois discriminatoires ne peuvent être rendues inattaquables du seul fait que le législateur a choisi de limiter l’admissibilité à un bénéfice en prescrivant des conditions préalables (par exemple le statut de conjoint) qui sont en soi bénignes[36]. Le cas de figure suivant, bien qu’il soit poussé à l’extrême, peut servir d’illustration.

Supposons qu’un médicament efficace contre le sida soit découvert, mais qu’il ne puisse être produit qu’en petite quantité et qu’il y ait donc une pénurie dans l’immédiat. Supposons aussi que ce médicament soit extrêmement coûteux et que, de ce fait, l’État soit obligé d’intervenir. Il le fait en mettant sur pied un programme de subvention à l’achat du médicament, par lequel tous les gens mariés, les conjoints de fait et leurs enfants reçoivent le médicament gratis. Tous les autres doivent en payer intégralement le prix.

Dans ces conditions, je ne peux imaginer qu’un tribunal déclare irrecevable une contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte, par ce seul motif que l’admissibilité est subordonnée à la qualité de conjoint. Il s’ensuit qu’il faut focaliser l’attention sur la question de savoir si la loi en cause a pour but ou pour effet de distinguer les homosexuels en raison de leurs tendances sexuelles. Étant donné que les relations personnelles entre le demandeur (ou la demanderesse) avec une autre personne, qu’elles soient homosexuelles ou non, n’ont rien à voir avec la solution de la question, ni le critère de la situation analogue ni l’élément non-pertinence de la définition de discrimination n’est applicable. Il sera jugé qu’il n’y a pas discrimination fondée sur la qualité de conjoint, à condition que les conséquences de la loi contestée soient telles que les demandeurs satisfont au critère de l’effet défavorable que définit la Cour suprême.

b)         La pertinence des « autres relations non conjugales »

Le cas de figure ci-dessus jette la lumière sur le statut juridique de ceux qui n’appartiennent pas à une minorité reconnue comme défavorisée (par exemple ceux qui ont contracté le sida par suite de transfusions sanguines), mais qui n’en sont pas moins privés du bénéfice. En l’espèce, on ne peut ignorer le fait que la définition de « conjoint » dans la Loi exclut un groupe considérable de non-conjoints. Sont également exclues les personnes dont la cohabitation avec d’autres n’a rien de conjugal : frères, sœurs, amis et parents. Leurs relations sont semblables à d’autres dans la catégorie exclue, pour ce qui est à la fois de la diversité et de l’interdépendance.

Il est vrai que les couples homosexuels sont soumis à diverses formes de discrimination « blessante », mais il convient de se demander s’il faut juger de leurs droits séparément de ceux qui sont également touchés par la loi en cause. Certainement, personne ne pourrait dire que les couples homosexuels méritent davantage de recevoir l’allocation de conjoint que ceux dont les besoins financiers sont peut-être tout aussi pressants que ceux des appelants, mais qui appartiennent à une autre catégorie de non-conjoints. Il s’ensuit que nous sommes obligés de nous demander si la question de l’admissibilité peut être limitée à un groupe donné (celui des couples homosexuels) à l’intérieur de la catégorie exclue. La réponse des appelants à cette question est brève (mémoire des appelants, à la page 20) :

[traduction] Cette action ne porte pas sur la question de savoir si le législateur devrait étendre l’allocation, au-delà des couples homosexuels, aux personnes comme les frères et sœurs ou les parents ou les enfants, laquelle question peut dépendre de celle de savoir si la situation de famille est un motif illicite de discrimination et, dans l’affirmative, de savoir ce qu’elle signifie.

Je ne trouve pas cette réponse convaincante pour deux raisons. La première tient à la jurisprudence. Dans Andrews, le juge McIntyre a tiré la conclusion suivante : « Il faut tenir compte du contenu de la loi … et de son effet … sur ceux qu’elle exclut de son champ d’application » (à la page 168). La seconde tient à ce que je considère comme une question fondamentale.

Accueillir l’argument des appelants pourrait, à mon avis, donner lieu à une inégalité tenant aux tendances sexuelles. Ceux qui n’ont pas droit à l’allocation et qui ne peuvent faire valoir la discrimination par ce motif, n’auraient aucun recours à moins qu’ils ne réussissent à faire valoir un autre motif non énuméré, que ce soit en termes de « situation de famille » ou de « statut de conjoint ». En l’espèce, il est extrêmement difficile de caractériser les personnes liées par d’autres relations non conjugales comme membres d’un groupe ayant besoin de la protection de la Charte.

À supposer que la loi dont il s’agit soit contestée dans un cas où plus d’un groupe sont privés de l’allocation, le motif de discrimination ne devrait-il pas être le même pour tous ceux qui appartiennent à la catégorie exclue? Bien qu’il ne soit pas nécessaire de répondre à cette question, la réponse proposée par les appelants met au jour des questions fondamentales et non résolues. À mon avis, si on doit maintenir la différence de traitement entre les membres de deux « sous-groupes » exclus, c’est parce qu’il y a des raisons impérieuses pour accorder l’allocation à un groupe et non pas à l’autre. Ces raisons impérieuses doivent justifier que la distinction ait un effet disparate et plus onéreux sur un groupe exclu que sur un autre. Il est à mon sens axiomatique que la justice ne peut ignorer ni le fait que d’autres ont été exclus, ni l’effet que la loi contestée peut avoir sur leurs droits à l’égalité. Par exemple, dans l’hypothèse de la subvention du prix des médicaments supra, je ne peux ignorer les motifs qu’on pourrait invoquer pour ignorer le triste sort de tous les sidéens qui seraient privés de la subvention sous le régime établi par la loi[37].

À mon avis, dans les cas où la loi en cause exclut des personnes autres que les membres d’un groupe défavorisé particulier, il faut peser l’importance de cette réalité lorsqu’il s’agit de juger si une distinction a un effet discriminatoire. Une loi refusant le bénéfice aux membres d’un autre groupe peut échapper à un verdict de discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte. Elle peut montrer qu’il ne s’agit pas d’un bénéfice accordé à tous les autres membres de la collectivité; par conséquent, la loi n’aurait pas nécessairement pour effet d’aggraver le désavantage ou de l’aggraver à un point tel que la justice doit intervenir.

c)         Le critère de l’effet défavorable

Quel est le minimum de désavantage qu’il faut démontrer afin que la loi contestée soit jugée discriminatoire? Il appert qu’il y a deux vues opposées quant à ce qu’il faut prouver pour satisfaire au critère de l’effet défavorable, qu’établit l’arrêt Andrews. À mon avis, une seule d’entre elles est compatible avec le raisonnement tenu dans cet arrêt.

L’une des deux méthodes consiste à présumer qu’il y a discrimination une fois prouvé qu’il y a distinction fondée sur un motif illicite. Les conséquences de l’exclusion ne sont pas mesurées, par exemple, en termes économiques ou matériels, mais en fonction de son effet pour ce qui est d’aggraver les préjugés dont souffrent déjà les membres d’un groupe traditionnellement défavorisé. Plus récemment, il a été question de cette méthode dans l’arrêt Knodel, supra, et elle est maintenant invoquée par les appelants. Dans Knodel, l’effet de la loi en cause a été examiné sous l’angle de l’atteinte à la dignité et au respect de soi des demandeurs, ainsi que du renforcement des vues « homophobes » que nourrissent certains individus. Ce qui distingue cette méthode de l’autre, c’est qu’on arrive à un verdict de discrimination sans avoir égard aux buts de la loi en cause, ni au fait que d’autres ont été peut-être privés aussi du bénéfice. On peut qualifier cette approche de critère « abstrait ».

L’autre méthode tient compte du contexte et prescrit l’analyse en règle de l’effet immédiat de la loi en cause sur les membres du groupe défavorisé, et aussi sur les autres qui sont exclus, par rapport aux buts de cette loi. En effet, ce que la Cour cherche à déterminer, c’est le désavantage indépendant de l’appartenance au groupe. On peut qualifier cette interprétation de critère « concret ». À mon avis, c’est le critère prescrit par l’arrêt Andrews. Il y a été jugé que la Charte ne prévoit pas une garantie générale d’égalité entre les individus et entre les groupes dans un « sens général ou abstrait » (aux pages 163 et 164) [soulignement ajouté]. En outre, il faut « tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu’elle vise » (à la page 168) [soulignement ajouté]. Le meilleur moyen d’apprécier cette conclusion est de faire la critique de l’argument proposé par les appelants. Ce moyen est conforme au critère « abstrait ».

d)         Le critère abstrait

Selon l’argument des appelants tel que je le comprends, le refus d’accorder l’allocation de conjoint est discriminatoire parce qu’il a pour effet de renforcer les préjugés dont est victime un groupe qui a été traditionnellement en butte à la discrimination. Si je n’ai aucun mal à accueillir cet argument, plusieurs obstacles juridiques s’opposent à pareille conclusion de la part de la Cour.

En premier lieu, il s’agit là du critère même défini dans Andrews et repris dans R. c. Turpin (rappelé supra) par Madame le juge Wilson, pour décider si la protection découlant du paragraphe 15(1) peut s’étendre à ceux qui prouvent qu’il y a discrimination fondée sur des motifs analogues. Donc pour les appelants, ce critère revient à faire du terme « discrimination » un synonyme de « distinction ». En effet, ils nous demandent de déclarer les dispositions d’une cinquantaine de lois fédérales, qui définissent des droits et obligations en fonction de la qualité de conjoint, contraires au paragraphe 15(1) de la Charte (mémoire de l’intimée, Annexe C, aux pages 34 et 35). En conséquence, dans tous les cas où un bénéfice est fondé sur la qualité de conjoint, l’analyse juridique devrait porter sur le caractère raisonnable de la loi contestée au regard de l’article premier de la Charte. Il est hors de doute que pareil résultat est à l’opposé du raisonnement tenu dans Andrews.

En second lieu et comme corollaire de ce qui précède, ce critère a pour effet d’ignorer le contenu de la loi contestée et, partant, le raisonnement tenu par la Cour suprême dans Andrews. Par comparaison, Madame le juge Wilson s’est inquiétée dans Turpin, supra, de la possibilité qu’une décision en matière de discrimination pour un motif non énuméré soit exclusivement fondée sur une analyse de la loi contestée. Les appelants demandent maintenant qu’on renvoie le pendule à l’autre extrême. Enfin, l’interprétation proposée du critère de l’effet défavorable débouche sur une forte possibilité de consécration judiciaire d’une inégalité entre le groupe défavorisé et ceux qui sont aussi exclus par la loi.

J’en viens maintenant à la méthode opposée.

e)         Le critère concret

On peut soutenir que le désavantage subi par le capitaine Birch (voir Haig, supra, libération assimilée au renvoi pour cause de tendances sexuelles) représente un cas extrême et ne devrait donc pas définir le critère minimum auquel il faut satisfaire dans tous les cas. La question que nous devons résoudre est de savoir si l’effet de la loi contestée peut raisonnablement satisfaire au critère défini par Andrews. On ne peut procéder à cette analyse sans examiner au préalable les motifs qui ont présidé à la décision du législateur d’instituer le programme de l’allocation de conjoint.

Je dois souligner qu’il n’est pas dans mes intentions de me livrer à une analyse du caractère raisonnable de la loi en cause au regard de l’article premier de la Charte. Ce que nous essayons de vérifier, à mon avis, c’est si, eu égard à son but, la Loi impose un fardeau plus lourd aux couples homosexuels.

Le juge de première instance donne un aperçu concis du régime établi par la loi (à la page 692) :

Cette allocation a vu le jour par un texte de loi fédéral en 1975 [S.C. 1974-75-76, chap. 58]. À l’époque, le législateur a voulu s’attaquer au problème auquel étaient souvent en proie les couples mariés vieillissants et dont l’un des conjoints, généralement le mari, qui habituellement était le soutien de la famille et était plus âgé que sa femme, prenait sa retraite à l’âge de 65 ans. Le problème tenait à ce que son épouse, qui dans la plupart des cas s’était occupée du ménage, n’avait aucun revenu et n’était pas admissible à la pension de sécurité de la vieillesse pendant quelques années encore, puisqu’elle était plus jeune que son mari retraité. Le triste résultat en était que le revenu de la famille se trouvait considérablement réduit jusqu’à ce que la femme atteignît 65 ans et devînt admissible à la pension de sécurité de la vieillesse.

L’objectif du programme de l’allocation de conjoint a été expliqué en détail par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de l’époque, l’honorable Marc Lalonde, qui a souligné que cette catégorie cible de femmes mariées âgées qui avaient sacrifié leurs propres possibilités d’emploi pour élever une famille, n’était qu’une composante d’une catégorie plus large de personnes âgées nécessiteuses. Le programme de l’allocation de conjoint n’a jamais visé à pourvoir seul aux besoins de toutes les personnes âgées[38]. Au cours de la deuxième lecture du texte modificatif de 1979 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse [P.L. C-6 (Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1979, ch. 4], l’honorable Flora MacDonald a fait cette déclaration (voir le jugement de première instance, à la page 692) :

D’après les statistiques, la femme est la plus jeune des conjoints dans 90 p. 100 des ménages, et les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Ces femmes qui, dans leur jeunesse, sont restées au foyer sans salaire permanent ni caisse de retraite pour s’occuper des enfants, ce sont celles qui, par la suite, ont trop souvent à se plaindre d’une société qui n’a pas encore appris à respecter l’égalité au travail. [Débats de la Chambre des communes, 22 octobre 1979, à la p. 476]

Peut-on, dans ce contexte, dire que le régime mis en place par la loi impose un fardeau disproportionné ou plus lourd aux couples homosexuels? Je ne le pense pas. En l’espèce, un bénéfice est accordé à une catégorie limitée de gens qui peuvent être facilement identifiés et qui sont dans le besoin en raison d’une vie d’interdépendance financière, qui est la caractéristique des couples hétérosexuels et qui ne peut raisonnablement être réputée celle des couples homosexuels ou, en fait, des autres relations non conjugales. Qui plus est, à supposer qu’on puisse soutenir que la loi contestée impose un fardeau plus lourd aux couples homosexuels du fait qu’elle refuse un avantage à un groupe économiquement faible en soi, les appelants n’ont produit aucun témoignage ou preuve à ce sujet. Quoi qu’il en soit, je pense que pareille caractérisation serait jugée non fondée. Il est universellement reconnu que les gais et les lesbiennes [traduction] « se trouvent dans toutes les régions géographiques, toutes les couches sociales, tous les niveaux d’instruction, toutes les races et toutes les religions »[39].

Peut-on dire que le champ d’application restreint du programme de l’allocation de conjoint a pour effet de perpétuer ou de renforcer les vues homophobes, ou de causer un préjudice affectif ou psychologique aux couples homosexuels, comme la question s’est posée dans Knodel, supra? Ou la véritable contestation vise-t-elle la définition restrictive de « conjoint » qu’on trouve dans toutes les lois provinciales et fédérales, dont l’article 2 de la Loi n’est qu’un exemple? Si cette dernière question trahit le sens véritable du litige, cela veut dire qu’en réalité nous sommes en présence d’une contestation indirecte de la conception du mariage de la common law et de la loi écrite, telle qu’elle s’exprime par la définition de conjoint dans la Loi. À mon avis, tel est le sens de l’affaire en instance.

Je m’empresse d’ajouter que cet appel ne porte pas sur la question de savoir s’il faut reconnaître légalement les couples homosexuels ou si ces couples, qualifiés à tous autres égards, doivent être admissibles aux bénéfices réservés aux couples hétérosexuels. Sans aucun doute, il y a des gens dont les attentes échappent à la compétence de la Cour parce qu’à leurs yeux, il s’agit toujours de savoir si nous sommes disposés à reconnaître que les couples homosexuels ne sont nullement différents des couples hétérosexuels, c’est-à-dire s’ils ont droit à la même dignité et au même traitement que ces derniers. Mais il s’agit là encore d’une question que la Cour ne peut résoudre.

En l’espèce, il est clair que la Cour doit limiter son examen à la question de savoir s’il y a eu violation de l’égalité que garantit l’article 15 de la Charte aux appelants. Cet examen ne doit pas se faire dans le vide. Il est par la force des choses limité à la question de l’admissibilité au bénéfice du programme de l’allocation de conjoint, conformément à la règle de droit établie par la jurisprudence Andrews c. Law Society of British Columbia.

À mon avis, le refus d’accorder l’allocation de conjoint ne franchit pas la ligne de démarcation entre « distinction » et « discrimination ». Cette Cour ne saurait modifier unilatéralement le critère de l’effet défavorable qu’a défini l’arrêt Andrews ; elle ne peut pas non plus écarter l’applicabilité du critère de la situation analogue et celui de la différence « non pertinente ». Pour reprendre la conclusion du juge de première instance, « [les appelants] ne peuvent … bénéficier en raison de leur statut de non-conjoints, et non pas à cause de leurs tendances sexuelles » (à la page 704). Je partage cette conclusion. À cet égard, l’affaire en instance a beaucoup de choses en commun avec celles qui l’ont précédée[40]. Ce dont nous sommes saisis en l’espèce, c’est une contestation indirecte de la conception du mariage de la common law et de la loi écrite. Une contestation directe de ce concept juridique (l’état de personne mariée) et le modèle de discrimination évoqué dans Andrews permettraient de résoudre la question une fois pour toutes[41].

Par ces motifs, je me prononce pour le rejet de l’appel. Étant donné l’histoire unique de cette affaire, qu’il n’est pas nécessaire de rappeler en détail, j’ai confiance que l’intimée ne demandera pas les dépens auxquels elle a droit.



[1] [1992] 1 C.F. 687.

[2] 15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[3] L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 2 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 34, art. 1].

[4] [1992] 2 R.C.S. 679.

[5] À la p. 695.

[6] [1989] 1 R.C.S. 143.

[7] [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 279.

[8] Aux p. 165 et s. Le « critère formulé » était le principe aristotélicien d’égalité formelle : il faut traiter de la même façon les choses qui se ressemblent, et de façon différente les choses qui sont différentes, en fonction de leur différence.

[9] S.C. 1974-75-76, ch. 58, art. 5.a

[10] Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 25, à la p. 25 :7.

[11] À la p. 704.

[12] Voir E. Wolfson, « Civil Rights, Human Rights, Gay Rights : Minorities and the Humanity of Different » (1991), 14 Harv. J. L. & Pub Pol’y 21, à la p. 31 et Leshner v. Ontario (No. 2) (1992), 16 C.H.R.R. D/184 (Comm. eng. Ont.), à la p. D/188.

[13] Il se trouve cependant que dans leur cas particulier, les appelants sont en bien meilleure posture financière si l’appelant Nesbit n’a pas droit à l’allocation de conjoint. Ce paradoxe apparent est expliqué dans les motifs du jugement de première instance (voir Egan c. Canada, [1992] 1 C.F. 687 (1re inst.), à la p. 697). Bien que les appelants ne soient pas financièrement désavantagés par le refus de verser l’allocation, ce fait n’affecte pas leur qualité pour exercer un recours fondé sur la Charte (voir Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679).

[14] Egan, supra, à la p. 695.

[15] Voir Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728 (C.S.C.-B.); et Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18 (C.A.); conf. par [1993] 1 R.C.S. 554. Voir aussi Veysey c. Canada (Service correctionnel) (1990), 43 Admin. L.R. 316 (C.A.F.).

[16] Par exemple Knodel, supra.

[17] Les tendances sexuelles peuvent être hétérosexuelles, homosexuelles ou bisexuelles. Comme elles ne constituent un problème que pour une minorité, les auteurs se sont concentrés sur les tendances homosexuelles; pour une analyse détaillée de la question, voir « Developments in the LawSexual Orientation and the Law » (1989), 102 Harv. L. Rev. 1509; et aussi Leshner, supra, à la p. D/197. L’homosexualité a été également définie comme suit :

[traduction] … le fait d’être attiré par les personnes de son propre sexe, au contraire de l’hétérosexualité qui est le fait d’être attiré par les personnes du sexe opposé. L’homosexualité peut aussi se définir par les fantasmes, pensées, sentiments et désirs érotiques, par l’activité sexuelle vis-à-vis d’autrui, par le sens d’identité et par le rôle social du sujet. (V. Knodel, supra, à la p. 735.)

[18] Voir Brown v. British Columbia (Minister of Health) (1990), 66 D.L.R. (4th) 444 (C.S.C.-B.); Knodel v. British Columbia (Medical Services Commission), [1991] 6 W.W.R. 728 (C.S.C.-B.); Veysey c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (1re inst.); conf. par d’autres motifs (1990), 43 Admin. L.R. 316 (C.A.F.); Leshner, supra; et Haig v. Canada (1991), 5 O.R. (3d) 245, (Gen. Div.); conf. par (1992), 9 O.R. (3d) 495 (C.A.).

[19] Dans Schachter c. Canada, supra, le gouvernement ne conteste pas la question de la discrimination.

[20] Deux causes que je n’évoquerai pas sont Vogel v. Manitoba (1992), 90 D.L.R. (4th) 84 (Man. Q.B.); et Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18 (C.A.); conf. par [1993] 1 R.C.S. 554. Ces deux causes portent sur la discrimination pour cause de « situation de famille » et non pas de « tendances sexuelles ».

[21] Voir Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H. 19, art. 1, 2, 3, 5, 6; Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 10 [mod. par L.Q. 1982, ch. 61, art. 3]; Human Rights Act, R.S.N.S. 1989, ch. 214, art. 12, mod. par S.N.S. 1991, ch. 12, art. 1; Loi modifiant la Loi sur les droits de la personne, L.N.-B. 1992, ch. 30; Code des droits de la personne, L.M. 1987-88, ch. 45, art. 9(2); et Loi sur les droits de la personne, L.R.Y. 1986, (suppl.), ch. 11.

[22] Voir Douglas c. Canada, [1993] 1 C.F. 264 (1re inst.), jugement d’expédient portant qu’un membre des Forces armées a été victime de discrimination en raison de ses tendances sexuelles. La directive attaquée dans Haig était aussi en cause dans cette cause.

[23] L’autre cause est Knodel, supra, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Chose étonnante, l’intimée dans Leshner, supra, n’a pas contesté la question de la discrimination.

[24] Même si on penche pour cette décision, on ne peut s’empêcher de se demander si la politique de subvention aurait été différente si 90 p. 100 des sidéens étaient des enfants.

[25] Voir Leshner, supra, où cette distinction est également passée sous silence.

[26] En fait, il était finalement exempté de la prime à titre d’assisté social.

[27] Bien que la Cour suprême ait choisi d’éviter les difficultés inhérentes à l’application du critère de la situation analogue, il a été soutenu qu’« un élément de comparaison est au cœur de toute théorie de l’égalité » (Voir William Black et Lynn Smith, « Les droits à l’égalité » dans G. Beaudoin et E. Ratushny, Charte canadienne des droits et libertés (2e éd.), Toronto : Carswell, 1989 à la p. 629).

[28] Voir Bliss c. Procureur (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183, rejeté dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., supra.

[29] V. Leshner, supra, à la p. D/188.

[30] Par exemple Vogel, supra, aux p. 98 à 100.

[31] Voir Dale Gibson, « Equality for Some » (1991), 40 UNB LJ 2, à la p. 13.

[32] Le juge McIntyre emploie aussi l’expression « caractéristiques personnelles » à la p. 174 et 175. Le juge La Forest parle de « différences personnelles non pertinentes » à la p. 193, mais emploie les mots « caractéristique personnelle » et « immuable » à la p. 195.

[33] Voir Dale Gibson, « Analogous Grounds of Discrimination Under the Canadian Charter : Too Much Ado About Next to Nothing » (1991), 29 Alta. L. Rev. 772, aux p. 780 à 781, et 790; Dale Gibson, « Equality for Some » (1991), 40 UNB LJ 2, à la p. 13; David W. Elliott, « Comment on Andrews v. Law Society of British Columbia  : Section 15(1) of the Charter : the Emperor’s New Clothes? », (1990), 35 McGill L.J. 235, aux p. 238, 241, 243, 246; et Layland v. Ontario (Minister of Consumer and Commercial Relations), décision en date du 17 mars 1993 de la Cour de justice de l’Ontario, non publiée, jugement majoritaire prononcé par le juge Southey, à la p. 13 [[1993] O.J. 575 (QL)].

[34] Le législateur a décidé de ne pas prévoir expressément dans la Charte la protection des gais et des lesbiennes, ce qui fait que nous continuons à voir des litiges concernant l’art. 15.

[35] « Developments in the LawSexual Orientation and the Law » (1989), 102 Harv. L. Rev. 1509, aux p. 1511 et 1512.

[36] L’idée qu’il y a un certain lien entre les tendances sexuelles et les relations conjugales a effectivement un fondement juridique (Voir Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18 (C.A.), le juge Marceau, à la p. 37, conf. par [1993] 1 R.C.S. 554, motifs prononcés par le juge en chef Lamer, en p. 581, où le lien entre la situation de famille et les tendances sexuelles est établi).

[37] Il se peut que tous les sidéens puissent être considérés comme appartenant à un groupe défavorisé, mais pareille décision nécessiterait un nouvel examen du critère défini par les arrêts Andrews et Turpin; voir à ce sujet Anne F. Bayefsky, « A Case Comment on the First Three Equality Rights Cases Under the Canadian Charter of Rights and Freedoms : Andrews, Workers’ Compensation Reference, Turpin », (1990), 1 S.C.L.R. (2d) 503, aux p. 518 et 519.

[38] Débats de la Chambre des communes, 6 juin 1975, aux p. 6542 et 6543.

[39] « Development in the LawSexual Orientation and the Law » (1989), 102 Harv. L. Rev. 1509, à la p. 1511 note 1. Voir aussi Brown v. British Columbia (Minister of Health), supra, où il été jugé que la majorité des gais n’étaient pas admissibles à l’assistance sociale, donc qu’ils n’avaient pas droit à la subvention du médicament AZT.

[40] Voir Andrews v. Ontario (Minister of Health), supra; Knodel, supra; Leshner, supra; et Vogel, supra.

[41] Voir Layland v. Ontario (Minister of Consumer and Commercial Relations), supra, où il a été jugé à la majorité que la limitation en common law du mariage aux personnes de sexe opposé ne constitue pas une discrimination au regard de l’art. 15 de la Charte.

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