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[1993] 1 C.F. 108

T-1779-88

Fred Wharton (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Wharton c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau—Vancouver, 7 octobre; Ottawa, 22 octobre 1992.

Créanciers et débiteurs — Le comptable agréé qui avait rempli et produit la déclaration de revenu du demandeur a contrefait la signature de celui-ci sur un chèque de remboursement et a pris la fuite avec la plus grande partie des fonds — Est-ce au demandeur ou à la défenderesse de subir la perte? — Le paiement d’un chèque contrefait ne constitue pas du tout un paiement — La contrefaçon n’a nullement pour effet de libérer le ministre de son obligation envers le contribuable selon l’art. 48(1) de la Loi sur les lettres de change — La défenderesse n’a présenté aucune preuve en ce qui concerne la présentation des choses qui pourrait faire conclure qu’un soi-disant pouvoir avait été accordé au comptable par le demandeur — On n’a pas convaincu la Cour que le comptable était autorisé à recevoir et à négocier le chèque — Rien n’indique que le comptable était investi du pouvoir d’acquitter la dette du contribuable — Le demandeur a le droit de déduire du montant dû à la défenderesse le montant du chèque de remboursement moins le montant déposé dans son compte par le comptable.

Impôt sur le revenu — Le comptable qui avait rempli et produit la déclaration de revenu du contribuable a contrefait la signature de celui-ci sur un chèque de remboursement et a pris la fuite avec les fonds — Le paiement d’un chèque contrefait ne constitue un paiement ni en common law ni en vertu de l’art. 48(1) de la Loi sur les lettres de change — Le ministre n’a pas acquitté sa dette envers le contribuable — La Cour recommande que le ministre conçoive les formulaires de façon à indiquer le nom de la personne qui peut donner quittance au nom du contribuable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), ch. B-4, art. 48(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Cumberland Properties Ltd. c. Canada, [1989] 3 C.F. 390 [1989] 2 C.T.C. 75; (1989), 84 D.T.C. 5333; 99 N.R. 145 (C.A.); Orr and Barber v. Union Bank of Scotland (1854), 1 Macq. 513; C.L.R. 1566 (H.L.); Johnson v. Windle (1836), 3 Bing (N.C.) 225; 132 E.R. 396.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Delory v. Guyett (1920), 47 O.L.R. 137; 52 D.L.R. 506 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Hosking Diamond Drilling Co. c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 60; (1991), 91 D.T.C. 5307; 46 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.).

ACTION en vue de l’annulation d’une demande formelle de remboursement du montant d’un chèque de remboursement d’impôt sur le revenu. Action accueillie.

AVOCATS :

Herman Van Ommen pour le demandeur.

J. A. Van Iperen, c.r. pour la défenderesse.

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rouleau : Le demandeur intente la présente action en vue de l’annulation d’une demande formelle par laquelle Revenu Canada réclame la restitution du montant d’un chèque de remboursement émis au nom du demandeur par le Ministère en février 1986. Le document a été expédié au comptable du contribuable, qui a contrefait la signature du demandeur et a pris la fuite avec la plus grande partie des fonds.

M. Wharton, qui est technicien de film et de télévision, avait retenu les services d’un certain Stephen L. Foan, comptable agréé résidant à Vancouver (C.-B.). Ce dernier était chargé de remplir et de produire la déclaration annuelle de revenu des particuliers T-1 du contribuable durant les années qui nous intéressent, soit de 1981 à 1984 inclusivement. Pendant que le demandeur se trouvait au bureau du comptable en mars 1985 pour lui donner des directives au sujet de sa déclaration de revenu pour l’année 1984, M. Foan l’a informé qu’il connaissait une situation d’évitement d’impôt sur le revenu et lui a laissé entendre qu’il pourrait être intéressant pour lui de placer de l’argent dans une entreprise connue sous le nom de Sparrow Energy Corporation. Ce faisant, le demandeur pourrait avoir droit à une perte autre qu’en capital importante qui pourrait entraîner un gain pour lui et il pourrait s’attendre à des remboursements nets d’impôt d’un montant de 10 000 $ à 12 000 $. Il a accepté le conseil de son comptable, a convenu de faire un placement, a émis immédiatement un chèque, selon les indications, à l’ordre de McRae & Associates au montant de 4 929 29 $ et l’a remis à M. Foan.

Le comptable a rempli la déclaration de revenu pour l’année 1984 et a réclamé une perte autre qu’en capital d’environ 152 000 $. Il en a résulté un revenu imposable négatif pour l’année d’imposition 1984, et le demandeur avait droit à un remboursement de quelque 13 000 $ pour cette année d’imposition. La perte autre qu’en capital a également été appliquée aux trois années précédentes—1981, 1982, 1983. À la suite de la nouvelle cotisation pour les années précédentes, le demandeur avait maintenant droit à un remboursement de plus de 37 000 $.

Toutes les formules de déclaration de revenu des particuliers T-1 portent la signature du demandeur à la dernière page; à côté de cette signature se trouve une case dans laquelle il est indiqué que Stephen L. Foan, comptable agréé, du 1468 Main Street, North Vancouver (C.-B.) a rempli la déclaration; au recto du formulaire figure le nom de M. Wharton; l’adresse est celle du comptable. De la même façon, en ce qui concerne les déclarations des trois années précédentes, l’adresse inscrite au recto de la déclaration mentionne a/s S. L. Foan, etc.

Selon la preuve non contestée, Revenu Canada a émis un chèque de remboursement d’impôt sur le revenu en juin 1985 pour l’année d’imposition 1984 au montant de 13 791 45 $. On mentionnait comme bénéficiaire du chèque Fred Wharton a/s S. L. Foan, et on donnait ensuite l’adresse du comptable. M. Foan a reçu le chèque et l’a remis ensuite à M. Wharton, qui l’a déposé dans son compte. Une fois cette opération effectuée, M. Foan a demandé à M. Wharton d’émettre un autre chèque à l’ordre de McRae & Associates au montant de 8 293 40 $ afin de remplir son engagement de placement. Ce chèque porte la date du 25 juin 1985. Le total des deux avances faites à l’ordre de McRae Investments correspondait à peu près au montant du remboursement reçu de Revenu Canada pour l’année d’imposition 1984 mais semble n’avoir aucune importance ou ne pas être en cause dans le présent litige.

Il ressort de la preuve que M. Wharton n’était pas au courant du montant du remboursement auquel il pouvait s’attendre pour les trois années d’imposition précédentes auxquelles avait été appliquée la perte autre qu’en capital. En février 1986, Revenu Canada a émis un chèque de remboursement au montant de 37 360 08 $ et l’a fait parvenir à Fred Wharton a/s S. L. Foan, 1468 Main Street, North Vancouver (C.-B.). Peu après, M. Foan a téléphoné au contribuable pour l’informer qu’il avait déposé au crédit de M. Wharton la somme de 11 448 23 $. Comme ce montant était très près du montant initial que son comptable lui avait dit qu’il recouvrerait, le demandeur n’a pas porté davantage attention à l’opération. Ce n’est qu’en mai 1987, lorsque les percepteurs de Revenu Canada ont contacté le demandeur, qu’il a pris connaissance du plein montant du deuxième remboursement. Après une nouvelle cotisation, ils tentaient de recouvrer environ 55 000 $. Il n’était au courant que du remboursement de 13 000 $ effectué en 1985 et de celui de 11 000 $ effectué en 1986. Il est incontesté que M. Foan a contrefait la signature du demandeur sur le chèque et l’a déposé dans son compte. Le demandeur reconnaît avoir reçu la somme de 11 448 23 $ sur le chèque de remboursement de 37 360 08 $; il me faut donc déterminer qui doit subir la perte de 25 911 85 $.

Le demandeur soutient que la common law en matière de lettres de change s’applique encore et que la Couronne ne peut pas profiter de certains articles de l’actuelle Loi sur les lettres de change [L.R.C. (1985), ch. B-4]. Néanmoins, il invoque principalement une décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cumberland Properties Ltd. c. Canada, [1989] 3 C.F. 390 Il allègue que les principes invoqués dans cet arrêt s’appliquent à la présente situation de fait et que, par conséquent, Revenu Canada devrait subir la perte.

En bref, l’arrêt Cumberland concernait un chèque de remboursement expédié au secrétaire d’une compagnie au profit de cette dernière. Le dirigeant de la compagnie qui a reçu les fonds les a changés à son propre usage. La Cour a statué que le ministre devait en supporter la perte. Il a été jugé [à la page 394] que la Couronne n’avait pas convaincu la Cour qu’elle pouvait « démontrer une manière d’agir ou de “présenter les choses” de la part de la compagnie qui permettait aux fonctionnaires de Revenu Canada de conclure à bon droit que M. Church [le secrétaire] était autorisé à recevoir et à négocier le chèque » [soulignement ajouté]. Il faut également remarquer que le tribunal s’est aussi appuyé sur un fait secondaire pour aboutir à la conclusion qui est la sienne. Il est ressorti de la preuve que toutes les actions de la compagnie avaient été acquises par des tiers et que, environ deux mois et demi avant l’émission du chèque de remboursement, les nouveaux propriétaires avaient informé Revenu Canada du changement d’adresse du siège social de la compagnie. Ils l’ont mentionné au moment de la production de leur déclaration annuelle pour l’année financière suivante.

La défenderesse a invoqué le principe selon lequel elle avait le droit de s’appuyer sur le soi-disant pouvoir qui avait été accordé à M. Foan. Comme elle avait expédié le chèque à l’adresse indiquée sur la déclaration, elle devait être exonorée de toute responsabilité supplémentaire; elle n’avait pas à suivre de près tous les chèques émis et expédiés aux contribuables; elle n’avait pas à assumer la responsabilité dans les cas de contrefaçon évidente. L’avocat a renvoyé la Cour à l’arrêt Delory v. Guyett (1920), 47 O.L.R. 137, en particulier à la page 151, où la Cour d’appel de l’Ontario statue :

[traduction] Le principe semble être le suivant : s’il y a pouvoir de recevoir un chèque, sa réception par le représentant en constitue la réception par le mandant, le chèque lui-même constitue le paiement, c’est la propriété du mandant et le représentant détient et négocie le chèque pour le mandant, et le mandant assume le risque qu’il ne négocie pas correctement le chèque, tandis que, dans le cas où le représentant n’a pas le pouvoir de recevoir un chèque, le chèque est la propriété du représentant, et la personne qui remet le chèque dans les mains et le pouvoir du représentant assume le risque que celui-ci ne le négocie pas correctement …

La défenderesse s’appuie également jusqu’à un certain point sur la décision rendue par la Section de première instance de notre Cour dans l’affaire Hosking Diamond Drilling Co. c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 60, qui paraît suivre l’arrêt Cumberland; il semble qu’il n’ait pas été interjeté appel.

J’ai examiné la décision Hosking et plus particulièrement le dernier paragraphe, qui est ainsi libellé [à la page 64] :

Je suis donc d’avis qu’une administration publique tenue au remboursement d’une somme d’argent à une personne morale est tout à fait libérée, en l’absence d’instructions contraires, par l’envoi d’un effet de commerce, valable pour le plein montant de la dette, à la dernière adresse indiquée par cette personne morale comme étant [sic] celle de son siège social, lorsque ledit effet de commerce est effectivement reçu par quelqu’un ayant pouvoir de ladite personne morale de le recevoir pour elle. C’est ici tout à fait le cas, lequel se distingue nettement de l’affaire Cumberland Properties Ltd. v. The Queen, [1989] 2 C.T.C. 75; 89 D.T.C. 5333 où non seulement un avis de changement d’adresse a été ignoré par le débiteur, mais où en outre l’autorité de l’officier de recevoir paiement pour le créancier n’a pas été établie.

Peut-être la preuve présentée devant le juge de première instance dans l’affaire Hosking était-elle suffisante pour le convaincre qu’il y a eu « présentation des choses » et que le dirigeant de la compagnie jouissait d’un pouvoir suffisant non seulement pour recevoir l’effet de commerce mais, comme le dit le juge de première instance [à la page 63], « la même résolution bancaire, cependant, de par l’effet de son paragraphe 3, prouve bien que ce dernier, seul, avait pouvoir de la demanderesse de le recevoir pour elle ».

Il faut déterminer si Revenu Canada s’était effectivement acquitté de son obligation ou dette initiale envers le contribuable afin de recouvrer le montant nominal de l’effet de commerce. Dans l’arrêt Orr and Barber v. Union Bank of Scotland (1854), 1 Macq. 513, la Chambre des lords a établi un principe général au sujet de la charge de la preuve qui incombe au débiteur. À la page 522, le Grand Chancelier dit :

[traduction] Le paiement d’un chèque ou billet contrefait ne constitue pas du tout en soi un paiement entre la partie qui paie et la personne dont le nom est contrefait.

On a adhéré au même principe dans la décision Johnson v. Windle (1836), 132 E.R. 396. Cette affaire concernait un billet promissoire remis par l’un des défendeurs à l’un des demandeurs et payable à l’ordre de ce dernier. Le billet a été volé et la signature du demandeur a été contrefaite. Le juge en chef Tindal mentionne à la page 398 :

[traduction] Il pourrait en résulter des conséquences très graves si nous devions accorder une certaine légalité à la signature contrefaite d’une lettre de change, et ce serait l’effet qu’aurait un jugement prononcé en faveur des présents défendeurs.

La règle générale veut qu’aucun titre ne puisse être obtenu au moyen de la contrefaçon. En l’espèce, la signature figurant sur la lettre de change a été contrefaite, et le seul motif invoqué pour ne pas suivre la règle générale est que les demandeurs ont commis une négligence si grave qu’elle les prive de tout recours contre les défendeurs.

Après un examen minutieux de l’arrêt Delory, précité, on peut facilement le distinguer des affaires étudiées. Il est évident que le créancier a donné au débiteur le pouvoir de payer l’avocat du mandant et que, à la suite de cette affaire, le créancier assume le risque que son représentant n’agisse pas correctement avec les fonds.

Dans l’affaire Hosking, ainsi que je l’ai laissé entendre, le ministre a peut-être convaincu le tribunal qu’il y avait une « présentation des choses » suffisante. Il n’a pas été interjeté appel de cette affaire, et on n’y parle pas suffisamment de l’arrêt Cumberland pour me convaincre. Il ne semble pas y avoir eu une analyse en profondeur de ce que la Cour a dit dans l’arrêt Cumberland. On n’a pas examiné si Revenu Canada s’était acquitté ou non de son obligation de convaincre la Cour de ce que le secrétaire de la compagnie était « autorisé à recevoir et à négocier le chèque ».

Le paragraphe 48(1) de la Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), ch. B-4, est libellé ainsi :

48. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, toute signature contrefaite, ou apposée sans l’autorisation du présumé signataire, n’a aucun effet et ne confère pas le droit de garder la lettre, d’en donner libération ni d’obliger une partie à celle-ci à en effectuer le paiement, sauf dans les cas où la partie visée n’est pas admise à établir le faux ou l’absence d’autorisation.

Une lecture attentive de la Loi ne permet pas d’exonérer le ministre. Il ne peut pas essayer de demander le paiement d’un effet de commerce contrefait, et celui-ci est tout à fait inopérant en ce qui concerne le respect de l’obligation qu’il avait envers le contribuable.

L’avocat de la défenderesse n’a présenté aucune preuve en ce qui concerne la présentation des choses qui pourrait faire conclure qu’un soi-disant pouvoir avait été accordé à M. Foan par le demandeur. Il n’a pas pu me convaincre du tout que l’on pourrait conclure que M. Foan « était autorisé à recevoir et à négocier le chèque ». Absolument rien n’indique que le comptable était investi du pouvoir d’acquitter la dette du contribuable. Je voudrais répéter ce que la Cour d’appel a statué dans l’arrêt Cumberland en donnant certains conseils à Revenu Canada. Les juges d’appel déclarent à la page 395 :

Si le gouvernement veut exiger que les personnes morales indiquent dans leur déclaration d’impôt le nom d’une personne autorisée à émettre des quittances en leur nom, il devrait le préciser en termes beaucoup plus clairs que ceux employés en l’espèce.

Je suis d’accord avec cette déclaration et il me semble que le ministre peut concevoir des formulaires afin d’empêcher que ces incidents malheureux se produisent de nouveau.

Je décide donc de répondre par l’affirmative à la question dont j’étais saisi, à savoir si le demandeur a le droit de déduire la somme de 25 911 85 $ de tout montant considéré comme dû à la défenderesse.

Le demandeur a droit aux dépens.

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