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Référence :

Oberlander c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2009] 3 R.C.F. 294

A-560-07

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Ikejiani Ebele Okoloubu (intimé)

Répertorié : Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Nadon et Trudel, J.C.A.—Montréal, 20 octobre; Ottawa, 27 octobre 2008.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Appel de la décision de la Cour fédérale annulant la décision d’une agente d’immigration, qui avait rejeté la demande de l’intimé fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Dans sa demande, l’intimé alléguait qu’il y avait eu manquement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) et à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) — L’agente a jugé ne pas avoir la compétence pour trancher des questions de droit international et de droit constitutionnel — L’art. 3(3)f) de la Loi précise que la Loi doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire — Les agents chargés du traitement d’une demande fondée sur l’art. 25 doivent garder à l’esprit les valeurs humanitaires fondamentales consacrées par la Charte et le PIRDCP, notamment les intérêts relatifs à la famille — L’agente a pris en compte tous les facteurs pertinents dans son analyse portant sur les motifs d’ordre humanitaire, se penchant sur les intérêts divers et importants en cause et accordant de façon prudente du poids aux intérêts de l’enfant et à l’importance de la famille — L’art. 3(3)f) de la Loi n’exige pas qu’un agent, lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu par l’art. 25 de la Loi, mentionne expressément les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et en fasse l’analyse — Il suffit que l’agent traite de la teneur de ces instruments — En vertu de l’art. 25 de la Loi, la compétence de l’agente se limite à déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient une dispense de l’application rigoureuse des exigences d’une demande de résidence permanente, non pas à statuer sur la validité d’une mesure de renvoi délivrée contre l’intimé — La question certifiée demandait à tort si un agent a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au PIRDCP — Il n’était pas nécessaire de répondre à la question certifiée puisqu’elle n’était pas pertinente et ne permettait pas de régler l’appel — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée pour faire annuler la décision d’une agente d’immigration, qui avait rejeté la demande de l’intimé fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) en vue de le dispenser de l’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent.

Pour étayer sa demande, l’intimé a renvoyé au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) et a soutenu que son renvoi du Canada constituerait une violation de sa vie familiale privée. Il a de plus invoqué des atteintes à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). L’agente a jugé ne pas avoir la compétence pour trancher des questions de droit international et de droit constitutionnel dans le cadre de l’analyse de motifs d’ordre humanitaire. L’agente a conclu que la situation familiale de l’intimé, ses relations sociales au Canada, et les facteurs de risque liés à son retour dans son pays ne justifiaient pas une dispense.

Les questions en litige portaient principalement sur l’analyse de la décision portée en appel à la lumière 1) de l’importance et du rôle du droit international en matière d’immigration (alinéa 3(3)f) de la Loi); 2) du rôle et des obligations de l’agent traitant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris la façon, le cas échéant, dont les obligations du Canada en droit international doivent être prises en compte et évaluées par l’agent agissant à ce titre; 3) de la décision défavorable de l’agent; et 4) de la question certifiée de savoir si un agent chargé de l’évaluation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au PIRDCP, plus particulièrement aux articles 17, 23 et 24.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

1) L’alinéa 3(3)f) de la Loi n’a pas pour effet d’intégrer dans le droit canadien les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, mais énonce simplement que la Loi doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible à ceux-ci. Ce principe suffit à bien intégrer le PIRDCP, que le Canada a ratifié, dans la demande dont était saisie l’agente en vertu de l’article 25.

2) Les agents chargés de l’examen de motifs d’ordre humanitaire doivent, pour respecter les objectifs de la Loi dans l’exécution de leurs fonctions, garder à l’esprit les « valeurs humanitaires fondamentales » consacrées par la Charte et le PIRDCP. Les principes de non-immixion dans la vie de famille prévus à l’article 17, l’importance de la famille et la protection que doivent lui porter la société et l’État suivant l’article 23, et le « droit [de tout enfant], de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur » prévu à l’article 24 du PIRDCP constituent tous des intérêts relatifs à la famille que l’agent doit garder à l’esprit lors du traitement d’une demande fondée sur l’article 25. Néanmoins, l’alinéa 3(3)f) de la Loi n’exige pas qu’un agent, lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 25 de la Loi, mentionne expressément les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et en fasse l’analyse. Il suffit que l’agent traite de la teneur de ces instruments.

3) L’agente a pris en compte tous les facteurs pertinents dans son analyse portant sur les motifs d’ordre humanitaire, y compris la situation actuelle de la conjointe de l’intimé au Canada, l’intérêt de son enfant né au Canada et son degré d’établissement au Canada. Bien que l’agente ait affirmé [traduction] « ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international », il est évident qu’elle s’est penchée attentivement sur les intérêts divers et importants en cause, en accordant de façon prudente du poids aux intérêts de l’enfant et à l’importance de la famille.

4) En vertu de l’article 25 de la Loi, la compétence de l’agente se limite à déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient que l’intimé soit dispensé de l’application rigoureuse des exigences d’une demande de résidence permanente, et non de statuer sur la validité d’une mesure de renvoi délivrée contre l’intimé. La formulation de la question certifiée reproduisait cette erreur, demandant si « un agent [. . .] chargé de l’évaluation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 [. . .] a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au [PIRDCP] ». Il n’était pas nécessaire de répondre à la question certifiée puisqu’elle n’était pas pertinente et ne permettait pas de régler l’appel en cause.

    lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n44], art. 32.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 25(1), 36(1)a), 74, 162(1).

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 17, 23, 24.

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (édicté par DORS/93-44, art. 1; 97-182, art. 1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 117(9)d) (mod. par DORS/2004-167, art. 41).

    jurisprudence citée

décisions appliquées :

Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664; 2005 CF 1180; Thiara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 151.

décision différenciée :

Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 169; 2006 CAF 365.

décisions examinées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292; 2007 CSC 26; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; 2005 CAF 436; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] 1 R.C.S. vii; Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 3; 2006 CAF 394; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358; 2002 CAF 125.

décisions citées :

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555; 2002 CAF 475; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89.

    doctrine citée

Evans, John M. « The Role of Appellate Courts in Administrative Law » (2007), 20 Can. J. Admin. L. & Prac. 1.

    APPEL de la décision ([2008] 3 R.C.F. 216; 2007 CF 1069) par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’une agente d’immigration, qui avait rejeté la demande de l’intimé fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de le dispenser de l’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent. Appel accueilli.

    ont comparu :

Michel Pépin pour l’appelant.

Stewart Istvanffy pour l’intimé.

    avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Stewart Istvanffy, Montréal, pour l’intimé.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

    La juge Trudel, J.C.A. :

Contexte

[1]     Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) prévoyait [à l’époque pertinente] que :

    25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

[2]     Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance par laquelle le juge Harrington ([2008] 3 R.C.F. 216 (C.F.)) (le juge de première instance) a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé pour faire annuler la décision d’une agente d’immigration (l’agente), laquelle avait rejeté la demande de l’intimé fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi (demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire).

[3]     Le juge de première instance a renvoyé l’affaire à un autre agent pour qu’il examine à nouveau la demande de l’intimé fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sur la base de novo, notamment pour faire « le point sur l’état de santé de l’épouse de M. Okoloubu et sur sa situation financière » (paragraphe 20 des motifs de l’ordonnance) vu que la première agente avait, en l’absence de compétence, refusé de prendre en compte les arguments de l’intimé fondés sur le droit international, plus précisément sur les articles 17, 23 and 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (PIRDCP) qui concernent généralement les immixtions arbitraires et illégales dans la famille d’une personne.

[4]     Pour l’application de l’article 74 de la Loi, la question de portée générale suivante a été certifiée par le juge de première instance :

Est-ce qu’un agent d’immigration chargé de l’évaluation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (pour une exemption de l’obligation de présenter une demande de visa d’immigrant de l’extérieur du Canada) a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, plus particulièrement à ses articles 17, 23 et 24?

Les faits pertinents

[5]     M. Okoloubu est né au Nigéria, le 22 janvier 1966. Il est arrivé au Canada le 25 août 1998 et y a demandé asile. Le 4 octobre 1999, sa demande a été rejetée par la section du statut de réfugié (ainsi désignée à l’époque) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). L’intimé n’a pas contesté la décision.

[6]     L’intimé a présenté trois demandes de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent. La première l’a été le 9 avril 1999 alors que sa demande à la CISR était en instance et a été rejetée le 21 octobre 1999. Présentée le 27 octobre 2000, la deuxième demande a été rejetée le 7 octobre 2004. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’égard du deuxième refus a été rejetée par la Cour fédérale le 15 avril 2005.

[7]     Le 26 octobre 1999, l’intimé a présenté une demande d’établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), au sens du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78‑172, art. 2(1) « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (édicté par DORS/93-44, art. 1; 97‑182, art. 1)] alors en vigueur. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, la DNRSRC a été abolie et la demande de l’intimé a été considérée depuis lors comme un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a également été rejetée le 7 octobre 2004 et l’intimé n’a pas présenté de demande d’autorisation à l’encontre de la décision défavorable concernant l’ERAR.

[8]     L’intimé a brièvement été marié à une citoyenne canadienne avec laquelle il avait cohabité depuis septembre 1998. Le couple a divorcé en septembre 2001. L’intimé et sa conjointe actuelle, qui a obtenu la qualité de personne à protéger et qui est maintenant une résidente permanente du Canada, sont mariés depuis le 19 juillet 2003. Elle travaille comme infirmière dans un hôpital. Le couple a un enfant, né en octobre 2005. Le dossier de l’intimé révèle que sa conjointe a connu une grossesse à risques élevés et qu’elle a souffert d’une dépression à la suite de la naissance de leur enfant.

[9]     Le 1er février 2005, l’intimé a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi en raison de deux déclarations de culpabilité, prononcées le 11 novembre 2004, pour vol de courrier et possession d’outils de cambriolage. Les deux infractions sont punissables d’une période d’emprisonnement de 10 ans. L’intimé a fait l’objet d’une ordonnance de probation et il a été condamné à 100 heures de travaux communautaires qu’il a effectuées. Là encore, l’intimé n’a présenté aucune demande à la Cour en vue de contester la décision rendue en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[10]     Cependant, l’interdiction de territoire a empêché l’intimé de présenter au Canada une demande de statut de résident permanent de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. En conséquence, le 18 juillet 2005, l’intimé a présenté sa troisième demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent en invoquant des considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

[11]     Pour étayer sa demande, l’intimé a renvoyé au PIRDCP et a soutenu que son renvoi du Canada constituerait une violation de sa vie familiale privée. Il a de plus invoqué des atteintes à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) (demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à la page 222; dossier d’appel, vol. 2, aux pages 343 à 350).

[12]     Le 30 janvier 2007, l’agente qui avait le titre d’agente d’ERAR a rejeté la demande de l’intimé. Elle a jugé ne pas avoir la compétence pour trancher des questions de droit international et de droit constitutionnel dans le cadre de l’analyse de motifs d’ordre humanitaire. Après s’être penchée sur les observations de l’intimé, l’agente a conclu que sa situation familiale, ses relations sociales au Canada, et les facteurs de risque liés à son retour dans son pays ne justifiaient pas de dispense.

[13]     L’intimé a obtenu gain de cause pour faire annuler cette décision par voie de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. D’où le présent appel par le ministre.

Décision de la Cour fédérale

[14]     Devant la Cour fédérale, l’intimé a soutenu que l’agente était tenue d’examiner ses droits garantis par la Charte et le PIRDCP, ainsi que ceux de sa conjointe et de son enfant canadien. Le juge de première instance a souscrit à cet argument et a conclu que le refus de l’agente de le faire avait compromis l’équité de l’audience pour l’intimé.

[15]     Le juge de première instance n’a pas examiné l’incidence de la Charte sur les faits en l’espèce. Il a toutefois bien pris en compte le PIRDCP « que le Canada a ratifié mais sur lequel il ne s’est pas fondé pour légiférer » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 6). Voici le texte des articles pertinents du PIRDCP :

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47

Article 17 

1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspond-ance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

[. . .]

Article 23 

1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.

2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile.

3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux.

4. Les États parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d’assurer aux enfants la protection nécessaire.

Article 2

1. Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur.

2. Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom.

3. Tout enfant a le droit d’acquérir une nationalité.

[16]     Selon le juge de première instance, « [i]l est évident que l’article 25 de la Loi peut donner lieu à la prise en compte de ce traité » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 10). Il s’est dit en désaccord avec l’agente dont l’avis était qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas le recours qui convenait [traduction] « pour résoudre de telles questions juridiques complexes » (demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, dossier d’appel, vol. 2, aux pages 222 et 223).

[17]     Citant l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker) et des décisions plus récentes (R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape); Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 169 (C.A.F.) (Covarrubias)), sur lesquelles je reviendrai plus loin, le juge de première instance a en définitive conclu que « l’agente a mal caractérisé la question » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 19) et il a ajouté :

Elle aurait dû se demander si le fait de renvoyer M. Okoloubu serait contraire au droit canadien, ce droit devant si possible être interprété conformément au droit international. Vu l’affaire Hape, une autre question se pose. Étant donné que dans le préambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est entré en vigueur en mars 1976, on emploie les termes « considérant », « reconnaissant » et « prenant en considération le fait » pour indiquer que les États parties « conviennent » de certains principes, ces principes sont-ils alors des règles prohibitives du droit international coutumier qui ont été incorporées directement au droit interne, sans qu’il y ait eu intervention législative? [Non souligné dans l’original.]

[18]     Cela dit, le juge de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé sans examiner davantage la décision de l’agente. Enfin, il a invité le ministre à présenter « une question ou des questions de portée générale qui serviraient de fondement à un appel » devant notre Cour (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 20), et cette question de portée générale est énoncée au paragraphe 4 des présents motifs.

Thèse des parties et questions en litige

[19]     L’appelant fonde son argumentation sur six erreurs que le juge de première instance aurait commises et, en conséquence, l’appelant soumet les six questions suivantes énoncées au paragraphe 25 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

a. La décision du juge de première instance soulève les questions suivantes :

         i.   Première question : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’intimé n’avait pas eu droit à une audience équitable?

         ii.  Deuxième question : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que l’agente avait compétence pour trancher des questions de droit international et des questions constitutionnelles?

         iii. Troisième question : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’agente avait compétence pour décider si le renvoi ou l’expulsion du demandeur serait contraire au droit canadien?

         iv.   Quatrième question : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’agente n’avait pas apprécié l’importance de l’arrêt Baker?

         v.  Cinquième question : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en se fondant sur l’arrêt R. c. Hape pour affirmer que le ministre ou son représentant avait compétence pour trancher des questions de droit international?

         vi.   Sixième question : Le renvoi d’un parent étranger n’est pas contraire à la Charte ni au droit international.

[20]     L’intimé soulève quant à lui les quatre questions suivantes (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 18) :

[traduction]

i)    L’agent d’immigration qui rend une décision en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est-il tenu d’examiner tous les arguments présentés par les demandeurs pouvant être admis pour des motifs d’ordre humanitaire? Y a-t-il violation de la règle audi alteram partem lorsque l’agent refuse d’examiner certains arguments?

ii)   Quel est le rôle du droit international dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés compte tenu de l’intention du législateur clairement exprimée à l’alinéa 3(3)f) de la Loi?

iii)    Le droit international impose-t-il l’obligation de respecter le mariage de M. Okoloubu et le droit à la protection de la vie familiale en l’absence d’autres facteurs défavorables d’envergure?

iv)    Quelles sont les conséquences du mariage du demandeur et du fait que sa conjointe attende son enfant? Quelle est la portée de l’arrêt Baker rendu par la Cour suprême?

[21]     L’intimé estime également qu’aurait dû être certifiée [traduction] « une question plus appropriée » fondée sur les normes qu’il convient d’appliquer en matière de demande d’ordre humanitaire et traitant du mariage et de la vie familiale (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 15).

[22]     L’intimé a proposé pour certification la question suivante (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 15) :

[traduction] Les garanties énoncées aux articles 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques quant à la protection de la famille et la protection de l’enfant rendent-elles obligatoire l’acceptation de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’un conjoint canadien ou un enfant canadien est touché par la décision en l’absence de facteurs défavorables d’envergure?

[23]     Bien que formulées de façon différente, les questions en litige soulevées par les parties portent principalement sur l’analyse de la décision portée en appel à la lumière : 1) de l’importance et du rôle du droit international en matière d’immigration (alinéa 3(3)f) de la Loi); 2) du rôle et des obligations de l’agent traitant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris la façon, le cas échéant, dont les obligations du Canada en droit international doivent être prises en compte et évaluées par l’agent agissant à ce titre; et 3) de la décision défavorable de l’agent.

[24]     Je propose donc de réunir les questions soumises par les parties sous ces trois rubriques générales.

Norme de contrôle

[25]     En application de l’alinéa 74d) de la Loi, la certification d’une « question de portée générale » a entraîné le présent appel. Cependant, l’objet de l’appel est bien le jugement lui-même, c’est-à-dire la décision d’un juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire et à qui s’applique le principe énoncé dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. En conséquence, le choix de la norme de contrôle appropriée par le juge de première instance est une question de droit; elle est susceptible de contrôle et commande l’application de la norme de la décision correcte.

[26]     En la présente espèce, le juge de première instance n’a pas précisé quelle norme de contrôle il appliquait lors du contrôle de la décision défavorable de l’agente.

[27]     Toutefois, il ressort clairement de ses motifs qu’il a concentré son attention uniquement sur la compétence de l’agente et sur son refus de « trancher des questions de droit international et des questions constitution-nelles » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 2) sans soumettre les conclusions de fait de l’agente au contrôle judiciaire.

[28]     Je partage donc l’avis de l’appelant selon lequel, en l’espèce, aucune retenue ne devrait être appliquée aux conclusions de fait du juge de première instance.

[29]     Bien que le paragraphe 25(1) de la Loi accorde au ministre un large pouvoir discrétionnaire, la question de savoir si le représentant du ministre a compétence pour trancher des questions de droit international et de droit constitutionnel en vertu de cette disposition est une question de droit. La conclusion du juge de première instance sur cette question est donc susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, au paragraphe 8.

[30]     La question de savoir si l’agente a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 51.

[31]     Enfin, il est bien établi que les tribunaux définissent la nature de l’obligation d’équité procédurale selon les circonstances d’une affaire donnée. En conséquence, quant à la question de savoir si l’intimé a eu droit à une audience équitable, notre Cour :

[traduction] [. . .] ne peut intervenir que si elle est convaincue que le juge saisi du contrôle a commis une erreur manifeste et dominante lors de l’application de l’obligation d’équité procédurale à des faits précis. (John M. Evans, « The Role of Appellate Courts in Administrative Law » (2007), 20 Can. J. Admin. L. & Prac. 1, à la page 25.)

[32]     Ceci étant dit, nous examinerons maintenant l’alinéa 3(3)f) de la Loi.

Analyse

1) L’alinéa 3(3)f) de la Loi

[33]     L’alinéa 3(3)f) se trouve sous la rubrique Objet de la loi et voici ce qu’il prévoit :

    3. (1) [. . .]

    (3) L’interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[. . .]

    f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

[34]     La portée de cet alinéa a été examinée dans l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] 1 R.C.S. vii (de Guzman), cité par le juge de première instance, au paragraphe 11 de ses motifs. Dans de Guzman, l’une des questions en litige dont notre Cour était saisie était de savoir si l’alinéa 117(9)d) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227], qui refusait à l’appelante le parrainage de ses fils en tant que membres de la catégorie du regroupement familial parce qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle à des fins d’immigration lorsque l’appelante avait présenté sa demande de résidence permanente au Canada, était incompatible avec les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » visés à l’alinéa 3(3)f) qui protège l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit des familles de vivre ensemble. Bien que l’arrêt de Guzman se penche plutôt sur le respect des instruments internationaux par une disposition législative que sur la compétence de l’agent pour examiner de tels instruments, les propositions suivantes sont utiles en l’espèce.

[35]     S’exprimant au nom de la Cour, voici ce que mon collègue, le juge Evans, a dit, au paragraphe 87 :

    L’alinéa 3(3)f) devrait être interprété à la lumière de l’utilisation moderne par les cours du droit international en matière de droits de la personne comme instrument d’interprétation. Ainsi, à l’instar des autres lois, la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière conforme « aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » et qui sont contraignants parce qu’il n’est pas nécessaire que le Canada les ratifie ou parce que le Canada les a signés et ratifiés. Ces instruments comprennent les deux instruments dont Mme de Guzman a fait grand cas dans le présent appel, soit le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention relative aux droits de l’enfant. Ainsi, un instrument international portant sur les droits de l’homme qui est juridiquement contraignant et dont le Canada est signataire est déterminant quant à la façon d’interpréter et de mettre en œuvre la LIRP [la Loi], en l’absence d’une intention législative contraire.

[36]     Le juge Evans a exprimé l’avis que l’alinéa 3(3)f) s’applique également aux instruments qui ne sont pas juridiquement contraignants dont le Canada est signataire (au paragraphe 88). Toutefois, comme dans de Guzman, il n’est pas nécessaire d’analyser les effets de l’alinéa 3(3)f) sur les instruments en matière des droits de l’homme qui ne sont pas contraignants étant donné que l’intimé invoque le PIRDCP, un instrument international qui est juridiquement contraignant pour le Canada.

[37]     Enfin, dans de Guzman, le juge Evans a souscrit aux motifs du juge de Montigny dans la décision Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664 (C.F.) selon lesquels « l’alinéa 3(3)f) n’a pas pour effet d’intégrer dans le droit canadien les “instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire”, mais énonce simplement que la LIRP [la Loi] doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible avec ceux-ci » (de Guzman, au paragraphe 73) (non souligné dans l’original).

[38]     Dans le présent contexte, je conclus que ce principe suffit à bien intégrer le PIRDCP dans la demande dont était saisie l’agente en vertu de l’article 25. Toutefois, avant de passer à la prochaine rubrique, je dois traiter brièvement d’un point particulier que le juge de première instance, au paragraphe 12, a soulevé de son propre chef, lequel point, estime-t-il, « devrai[t] être examin[é] avec soin par une instance supérieure » :

    Quelles sont [. . .] les incidences de l’arrêt récemment rendu par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292 [. . .]

[39]     Il semble que le juge de première instance était préoccupé par le fait que l’arrêt de principe Baker rendu par la Cour suprême et notre décision dans de Guzman doivent être réexaminés compte tenu de l’arrêt Hape dans lequel M. le juge LeBel « recourt à la méthode de l’adoption pour la réception du droit international coutumier, par laquelle [au paragraphe 36] “[l]es règles prohibitives du droit international coutumier [sont] incorporées directement au droit interne en application de la common law, sans que le législateur n’ait à intervenir” » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 12).

[40]     Aux fins du présent appel, il n’est pas nécessaire d’examiner l’arrêt Hape et de se lancer dans une longue analyse de cette décision, par ailleurs importante.

[41]     Il suffit de dire que Hape traite d’un sujet différent qui est l’interprétation de l’article 32 de la Charte et de son application aux fouilles, perquisitions et saisies effectuées à l’étranger par des policiers canadiens dans un contexte lié à la criminalité. Je remarque cependant que M. le juge LeBel, s’exprimant pour les juges majoritaires, alors qu’il examinait la relation entre le droit interne et le droit international, nous a rappelé que « [s]elon un principe d’interprétation législative bien établi, une loi est réputée conforme au droit international » (Hape, au paragraphe 53).

[42]     L’examen plus à fond de Hape n’est d’aucune utilité dans le cadre du présent appel. Je passe donc à la deuxième question en litige.

2) Rôle et obligations de l’agente tenue d’évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[43]     En première instance et dans leur mémoire respectif, les parties ont débattu à fond la question de savoir si l’agente avait compétence pour trancher des questions de droit international. Elles ont parfois utilisé les verbes « examiner », « traiter », « interpréter » ou « décider », comme si ces termes étaient interchangeables.

[44]     Cet exposé a conduit à un débat sur l’applicabilité du raisonnement suivi dans Covarrubias, selon lequel notre Cour a conclu que l’agente d’ERAR n’avait pas la compétence implicite pour examiner des questions de droit constitutionnel : aux paragraphes 47 à 57.

[45]     Bien que le juge de première instance ait conclu que l’affaire Covarrubias était « nettement différente de l’espèce » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 18) en raison du fait que l’agent en cette affaire effectuait un examen des risques avant renvoi, l’appelant soutient qu’elle s’applique [traduction] « avec la même force et a fortiori en l’espèce » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 52).

[46]     Les considérations d’ordre pratique en cause sont différentes en l’espèce de celles soulevées dans le cadre d’un ERAR. Alors que les agents procédant à l’analyse d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et d’une demande d’ERAR ne possèdent généralement pas d’expertise juridique et qu’ils n’ont aucun pouvoir de « connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence », ainsi que le prévoit le paragraphe 162(1) de la Loi, les agents chargés de l’examen des motifs d’ordre humanitaire sont tenus, de façon routinière, de prendre en compte dans le cadre de leur analyse l’intérêt supérieur des enfants, principe qui se trouve dans un certain nombre d’instruments internationaux. Par ailleurs, l’agent d’ERAR « n’est pas tenu de prendre en considération, dans le cadre de l’ERAR, l’intérêt d’un enfant né au Canada lorsqu’il évalue les risques auxquels serait exposé au moins l’un des parents de cet enfant » : Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 3 (C.A.F.), au paragraphe 20.

[47]     L’intimé avance que la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale rendent obligatoire l’acceptation des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire [traduction] « en l’absence de facteurs défavorables d’envergure » (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 15).

[48]     Dans Baker, la Cour suprême a affirmé l’importance de prendre en compte les intérêts relatifs à la famille dans les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, l’arrêt Baker ne crée pas de présomption prima facie selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant devrait avoir préséance (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), au paragraphe 13) et l’emporter sur d’autres considérations « [ou] qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants »  (Baker, au paragraphe 75).

[49]     Les agents chargés de l’examen de motifs d’ordre humanitaire doivent, pour respecter les objectifs de la Loi dans l’exécution de leurs fonctions, garder à l’esprit les [traduction] « valeurs humanitaires fondamentales » consacrées par la Charte et le PIRDCP. Les principes de non-immixtion dans la vie de famille prévus à l’article 17, l’importance de la famille et la protection que doivent lui porter la société et l’État suivant l’article 23, et le « droit[de tout enfant], de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur » prévu à l’article 24 du PIRDCP constituent tous des intérêts relatifs à la famille que l’agent doit garder à l’esprit lors du traitement d’une demande fondée sur l’article 25.

[50]     Dans le contexte des tâches incombant à l’agent chargé de l’examen de motifs d’ordre humanitaire, les arrêts de Guzman, Baker et Legault, indiquent, selon moi, que celui-ci doit tenir compte de ces valeurs dans sa décision. Cependant, « l’alinéa 3(3)f) de la LIRP [la Loi] n’exige pas qu’un agent, lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 25 de la LIRP [la Loi], mentionne expressément les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et en fasse l’analyse. Il suffit que l’agent traite de la teneur de ces instruments » (Thiara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 151, au paragraphe 9).

[51]     Ces éléments m’amènent à la troisième rubrique, en l’occurrence la décision défavorable de l’agente.

3) La décision défavorable de l’agente

[52]     Le juge de première instance a accordé beaucoup d’importance aux propos qu’a tenus l’agente relative-ment à sa compétence; or il ne s’est pas livré à un examen minutieux de sa décision en soi. Dans l’examen de la décision de l’agent, la teneur de la décision devrait l’emporter sur la forme comme il est dit dans la décision Thiara.

[53]     L’examen très approfondi de sa décision me convainc que l’agente a reconnu l’existence de motifs d’ordre humanitaire et d’intérêt public avancés par l’intimé. Dans sa décision, elle a pris en compte les droits fondamentaux énoncés dans le PIRDCP sur lesquels l’intimé fonde sa demande de résidence permanente. Si le juge de première instance avait examiné de près la décision de l’agente, il en serait inévitablement venu à la même conclusion.

[54]     Plus précisément, voici ce que l’agente a dit (dossier d’appel, vol. 2, aux pages 222 et 223) :

[traduction] Conformément à la loi, Baker, Legault et Hawthorne, l’intérêt des enfants doit être bien cerné et identifié. Le fondement de ce principe, dont l’ébauche se trouve dans Baker, découle de l’Article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important auquel une attention considérable doit être accordée. Cependant, cela ne signifie pas que cet intérêt l’emporte sur tous les autres facteurs. Il s’agit d’un des nombreux facteurs à examiner lorsqu’on détermine si les motifs d’ordre humanitaire dans les circonstances invoquées par le demandeur de résidence permanente sont suffisants pour justifier une dispense de l’obligation de faire une demande de visa depuis l’étranger.

Dans ses observations déposées le 13 décembre 2006, le demandeur renvoie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Déclaration Interaméricaine, et il soutient que selon le droit international, la famille doit pouvoir offrir une protection spéciale à l’enfant et que, si le demandeur devait faire l’objet d’un renvoi, il n’y aurait plus de famille pour assurer sa protection. En ce qui concerne les questions de droit international, l’agent n’a pas compétence pour trancher des questions de droit international, et la demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent n’est pas le recours qui convient pour résoudre de telles questions complexes. En conséquence, la question de savoir si son renvoi constitue un manquement au droit international ne sera pas traitée dans la présente décision.

Le demandeur soutient que la mère de l’enfant est en dépression et que s’il quittait elle ne serait plus capable de prendre soin de son poupon. Selon la preuve présentée, après la naissance de leur enfant en octobre 2005, la conjointe du demandeur a souffert d’un « épisode de dépression majeure/dépression post-partum », mais aucun élément de preuve n’étaye que cet état se poursuit, ni que la mère ne serait pas en mesure de prendre soin de l’enfant et de l’élever dans un milieu à la fois sécuritaire et sain. La conjointe du demandeur est agée de 38 ans. Elle a vécu aux État-Unis plus de 10 ans et y a travaillé comme infirmière autorisée avant de venir au Canada. Elle est familière avec le style de vie et le monde du travail nord-américains. Les éléments de preuve soumis n’étayent pas que la conjointe du demandeur sera incapable d’assurer son existence ou de prendre soin de sa personne ou de son enfant d’un point de vue financier ou autrement au Canada. Si le demandeur introduit sa demande de résidence permanent de l’extérieur, l’enfant peut demeurer au Canada avec sa mère. Elle est infirmière et aucune preuve n’indique qu’elle sera dans l’incapacité d’en prendre soin. Le demandeur déclare qu’il n’y aurait plus de famille pour protéger l’enfant; toutefois, il ne présente aucune preuve en ce sens. L’enfant pourra demeurer avec sa mère au Canada.

Le demandeur soutient qu’il serait séparé de sa conjointe et de son enfant pour une période indéterminée car sa conjointe ne peut retourner au Nigeria. Cependant, selon une lettre reçue de l’avocat du demandeur, datée du 16 janvier 2007, la conjointe du demandeur, Madame Nwogu, est retournée au Nigeria pour assister aux funérailles de son beau-père, puisque le demandeur ne le pouvait pas, et elle devait y retourner à la fin janvier ou au début février 2007. Aucun élément de preuve n’étaye que le demandeur ne sera pas en mesure de voir son enfant après son renvoi du Canada, celui-ci pouvant maintenir une relation avec son fils. Il ne sera pas le seul père séparé de son enfant en raison du déroulement de la procédure d’immigration. Le demandeur et sa conjointe se sont soumis à des traitements de fertilité en sachant que le demandeur n’avait aucun statut juridique au Canada et ils pouvaient prévoir qu’il serait possiblement contraint de quitter le Canada, ce qui obligerait sa conjointe et son enfant à composer avec son absence. Si le demandeur retourne dans son pays d’origine, sa conjointe peut demeurer au Canada avec son enfant, car elle est une résidente permanente. La séparation familiale est la conséquence normale d’un renvoi du Canada. Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant soit un facteur important, j’estime que le demandeur n’a pas démontré qu’il rencontrerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[55]     L’agente a pris en compte tous les facteurs pertinents dans son analyse portant sur les motifs d’ordre humanitaire. Elle a examiné la situation actuelle de la conjointe du demandeur au Canada, l’intérêt de son enfant né au Canada, son degré d’établissement au Canada, les divers facteurs de risques auxquels serait exposé l’intimé s’il devait retourner au Nigeria, ainsi que d’autres facteurs tels que sa déclaration de culpabilité suivie de l’exécution de service communautaire. Après avoir pris en compte ces facteurs, l’agente a conclu que l’intimé n’avait pas démontré que lui ou sa famille rencontrerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en raison de son départ du Canada pour déposer du Nigeria une demande de visa de résident permanent.

[56]     L’agente a été attentive et sensible à la situation familiale de l’intimé, y compris aux intérêts de son enfant né au Canada. Ceux-ci ont été « bien identifié[s] et défini[s] » (Legault, au paragraphe 12) et « examin[és] avec beaucoup d’attention » (au paragraphe 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hawthorne, [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), au paragraphe 32).

[57]     Cependant, l’agente a constaté que les éléments de preuve présentés ne permettaient pas de conclure que les problèmes de santé de la conjointe de l’intimé ont continué, ou qu’elle serait incapable de prendre soin de sa personne ou de son enfant en raison du départ de l’intimé du Canada.

[58]     De plus, en raison de l’insuffisance de la preuve versée au dossier dont elle était saisie, l’agente n’a pu arriver à une conclusion relativement à l’établissement de l’intimé en tant qu’homme d’affaires au Canada, ni sur les conséquences économiques de son retour au Nigeria.

[59]     L’agente a aussi examiné divers facteurs de risques auxquels l’intimé serait exposé s’il retournait dans son pays d’origine, y compris des aspects de sa situation personnelle ainsi que les conditions générales du pays qui se sont améliorées au cours des dernières années. Elle a de plus remarqué qu’en septembre 2006 l’intimé avait présenté une demande de permis de séjour temporaire pour lui permettre de quitter le Canada de façon à assister aux funérailles de son père.

[60]     Bien que l’agente ait affirmé [traduction] « ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international » (dossier d’appel, à la page 222), il est évident qu’elle s’est penchée attentivement sur les intérêts divers et importants en cause, en accordant de façon prudente du poids aux intérêts de l’enfant et à l’importance de la famille. En conséquence, l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée et il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’intimé a été privé d’une audience équitable.

[61]     Je dois maintenant aborder la question certifiée.

La question certifiée

[62]     Pour plus de commodité, je reprends de nouveau la question certifiée :

Est-ce qu’un agent d’immigration chargé de l’évaluation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (pour une exemption de l’obligation de présenter une demande de visa d’immigrant de l’extérieur du Canada) a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, plus particulièrement à ses articles 17, 23 et 24?

[63]     Je conviens avec l’appelant que le juge de première instance a commis une erreur en laissant entendre que l’agente aurait dû se demander « si le fait de renvoyer M. Okoloubu serait contraire au droit canadien » (motifs de l’ordonnance, au paragraphe 19). En vertu de l’article 25 de la Loi, la compétence de l’agente se limite à déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient que l’intimé soit dispensé de l’application rigoureuse des exigences d’une demande de résidence permanente, et non de statuer sur la validité d’une mesure de renvoi délivrée contre l’intimé.

[64]     La formulation de la question certifiée reproduit cette erreur. L’issue de la demande de contrôle judiciaire ne dépendait pas de la réponse à la question qu’avait certifiée le juge de première instance.

[65]     La question certifiée n’étant pas pertinente et ne permettant pas de régler le présent appel (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11), il n’est pas nécessaire d’y répondre.

Conclusion

[66]     Pour les motifs susmentionnés, je propose d’accueillir l’appel, d’annuler la décison de la Cour fédérale, et rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’intimé.

    Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.

    Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

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