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T-938-95

La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (requérante)

c.

Johann Dueck (intimé)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)c. Dueck(1re   inst.)

Section de première instance, juge Noël"Toronto, 11 et 12 décembre; Ottawa, 23 décembre 1997.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens Renvoi formé en vertu des art. 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté pour décider si l'intimé avait acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation de faits essentielsCette procédure constituerait une poursuite pour crimes de guerre sous le couvert d'un renvoi en matière de citoyennetéUn renvoi formé en vertu de la Loi sur la citoyenneté est de nature civile et n'entraîne aucune conséquence pénaleUne décision rendue en application de l'art. 18 porte sur les faits et n'est nullement un jugement définitif sur des droits juridiquesLa perte par confiscation des fruits de la fraude n'est pas une punition en soiIl n'y a aucune sanction en jeuLa Loi sur la citoyenneté impose aux candidats à la citoyenneté l'obligation de dire la vérité.

Droit constitutionnel Charte des droits L'intimé dans un renvoi formé en vertu des art. 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté réclame la protection de la Charte en tant qu'accusé de crimes de guerre etinculpéau sens de l'art. 11 de la CharteLa liberté de ne pas être déplacé contre son gré serait unelibertéau sens de l'art. 7 de la CharteLe renvoi n'est ni une poursuite pénale ni une poursuite quasi pénaleLe retrait d'un privilège acquis par fraude ne constitue pas une punitionUne poursuite qui vise à obtenir l'expulsion d'une personne non admissible ne tombe pas sous le coup de l'art. 11 de la Charte.

Droit administratif Renvois Le ministre demandait des directives sur la procédure à suivre dans le cadre d'un renvoi en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la citoyennetéLa partie visée par une procédure administrative n'est pas soustraite à l'obligation de divulgation avant le procèsIl n'y a aucune lacune dans les règles prévues pour l'audition des renvois faits sous le régime de l'art. 18L'application des règles de pratique pertinentes ne diminue en rien le droit de l'intimé d'être traité avec équité et dans l'observation stricte des règles de justice naturelleLa procédure à suivre est fixée par analogie avec les règles de pratique régissant les actions.

Il s'agissait d'une requête en directives sur la procédure à suivre dans le cadre d'un renvoi fait en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. En janvier 1995, le greffier de la citoyenneté canadienne a envoyé un avis de révocation à l'intimé, l'informant que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration se proposait de soumettre un rapport pour recommander au gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté de l'intimé. La ministre a alors déposé auprès de la Cour un avis de renvoi tendant à faire déclarer que l'intimé avait acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels. L'intimé a fait observer que l'affaire en instance reposait sur des allégations de crimes de guerre et qu'il était poursuivi pour crimes de guerre sous le couvert d'un renvoi en matière de citoyenneté. Il en concluait qu'il était accusé de crimes de guerre et qu'il devait bénéficier de la protection des règles de procédure, des règles de preuve ainsi que de la Charte, normalement réservée aux matières pénales. De plus, l'intimé a soutenu que, dans le contexte de l'affaire en instance, il était un "inculpé" au sens de l'alinéa 11c ) de la Charte et, subsidiairement, que cette procédure portait atteinte à sa "liberté" que lui garantit l'article 7 de la Charte. Avant de traiter la requête en directives présentée par la requérante, la Cour devait se prononcer sur les arguments de l'intimé.

Jugement: la procédure à suivre en l'espèce doit être fixée par analogie avec les règles de pratique régissant les actions.

Les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté investissent la Cour d'une fonction très précise en la matière. Dans la mesure où la Cour s'en tiendrait aux paramètres de cette fonction, ni les mobiles de la requérante, ni la nature de ce qui sous-tend l'accusation de fraude ne sauraient influer sur la nature de la procédure. Que la supposée fraude se rapportât à des crimes de guerre ou à quelque autre mobile, le seul point sur lequel la Cour pouvait se prononcer demeurait exactement le même, savoir si l'intéressé a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Un renvoi formé en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté est de nature civile et on doit lui appliquer la norme de la preuve en matière civile. La décision rendue sur renvoi fait en application de l'article 18 ne porte que sur les faits et n'est nullement un jugement définitif sur des droits juridiques. Un renvoi fait sous le régime de l'article 18 n'est ni une poursuite pénale ni une poursuite quasi pénale et, en soi, n'entraîne aucune conséquence pénale. La perte par confiscation des fruits de la fraude n'est pas une punition en soi. La restitution de quelque chose qui a été acquis par fraude ou escroquerie est une opération neutre. Est de nature civile la procédure qui a pour seul but de remettre un individu dans la situation où il se serait trouvé si aucune fraude n'avait été commise; il n'y a aucune sanction en jeu. Quiconque a acquis la citoyenneté canadienne par fraude sait ou devrait savoir que son statut de citoyen canadien est précaire. La Loi sur la citoyenneté impose aux candidats à la citoyenneté l'obligation de dire la vérité et prévoit pour l'État le droit d'obtenir la révocation s'il est prouvé que cette obligation n'a pas été respectée. L'article 11 de la Charte ne s'appliquerait pas même si la révocation de la citoyenneté devait nécessairement résulter d'un verdict positif dans ce renvoi. L'expulsion n'est pas une punition.

L'intimé a soutenu que l'alinéa 11c) de la Charte fait que la requérante n'est pas recevable à demander qu'il y ait échange des plaidoiries, production de documents et interrogatoire préalable avant le procès. Il n'y a aucune jurisprudence posant que la partie visée par une procédure administrative peut être effectivement soustraite à l'obligation de divulgation avant le procès. La Règle 920 des Règles de la Cour fédérale est la seule qui prévoit expressément la procédure à suivre en cas de renvoi fait sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. La Règle 919 incorpore la Règle 5 (la règle des lacunes), laquelle prescrit à la Cour d'adopter une procédure par analogie "avec les autres dispositions des présentes Règles". Il n'y a aucune lacune dans les règles prévues pour l'audition des renvois faits sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté . L'application des règles de pratique pertinentes ne diminue en rien le droit de l'intimé d'être traité avec équité et dans l'observation stricte des règles de justice naturelle. Ces règles lui donnent le moyen d'obtenir la divulgation intégrale des éléments de preuve de la requérante, ainsi que de tous les documents et renseignements nécessaires. Cependant, les principes de justice naturelle n'ont pas pour effet de le soustraire à l'obligation de témoigner dans la procédure en instance.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7, 11.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 7(3.71) (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, s. 1), (3.72) (édicté, idem), (3.73) (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 1, art. 58), (3.74) (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1), (3.75) (édicté, idem), (3.76) (édicté, idem), (3.77) (édicté, idem), 446(2).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, art. 21.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1, 2 (mod. par DORS/90-846, art. 1; 92-43, art. 1), 3 (mod. par DORS/94-41, art. 1), 4, 5, 408, 409b), 413, 448 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 452 (mod., idem), 919, 920.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 118 C.C.C. (3d) 443; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; Canada (Secrétaire d'État) c. Delezos, [1989] 1 C.F. 297; (1988), 22 F.T.R. 135; 6 Imm. L.R. (2d) 12 (1re inst.); R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; (1987), 45 D.L.R. (4th) 235; [1988] 1 W.W.R. 193; 61 Sask. R. 105; 28 Admin. L.R. 294; 37 C.C.C. (3d) 385; 60 C.R. (3d) 193; 81 N.R. 161; Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81; Rudolph c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 653; (1992), 91 D.L.R. (4th) 686; 73 C.C.C. (3d) 442; 14 C.R. (4th) 169; 142 N.R. 62 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.); Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149; 142 N.R. 173 (C.A.F.).

distinction faite avec:

Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; (1992), 96 D.L.R. (4th) 376; 76 C.C.C. (3d) 289; 141 N.R. 281.

décisions examinées:

Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696; (1993), 100 D.L.R. (4th) 151; 14 C.R.R. (2d) 146; 18 Imm. L.R. (2d) 165; 151 N.R. 69 (C.A.); R. c. Amway du Canada Ltée, [1987] 1 C.F. 3; (1986), 21 C.R.R. 238; 18 C.P.C. (2d) 226; [1986] 2 C.T.C. 148; 3 F.T.R. 248 (1re inst.).

décisions citées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 1 C.F. 828; (1997), 142 D.L.R. (4th) 270; 208 N.R. 21 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1996] 2 C.F. 729; (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 272; 116 F.T.R. 69 (1re inst.); Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594; (1988), 90 N.R. 31 (C.A.); R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985; (1988), 14 C.A.Q. 161; 41 C.C.C. (3d) 523; 64 C.R. (3d) 82; 84 N.R. 296; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; (1995), 121 D.L.R. (4th) 589; 96 C.C.C. (3d) 1; 36 C.R. (4th) 1; 26 C.R.R. (2d) 1; 177 N.R. 81; 78 O.A.C. 161; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [1997] F.C.J. no 1828 (1re inst.) (QL); Reference as to the effect of the Exercise by His Excellency the Governor General of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269; [1933] 2 D.L.R. 348; (1933), 59 C.C.C. 301; R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754; (1995), 162 A.R. 269; 96 C.C.C. (3d) 318; 38 C.R. (4th) 42; 178 N.R. 157; 83 W.A.C. 269; R. c. A, [1990] 1 R.C.S. 995; (1990), 55 C.C.C. (3d) 562; 77 C.R. (3d) 219; 47 C.R.R. 225; 36 Q.A.C. 144; Tyler c. M.R.N., [1991] 2 C.F. 68; (1990), 4 C.R.R. (2d) 348; [1991] 1 C.T.C. 13; 91 DTC 5022; 120 N.R. 140 (C.A.); Quebec Association of Protestant School Boards et al. c. Procureur général du Québec et al. (1983), 140 D.L.R. (3d) 33; 3 C.R.R. 114 (C.S. Qué.); conf. pour d'autres motifs par (1983), 1 D.L.R. (4th) 573; 7 C.R.R. 139 (C.A. Qué.); conf. par [1984] 2 R.C.S. 66; (1984), 10 D.L.R. (4th) 321; 9 C.R.R. 133; 54 N.R. 196; Canada c. Amway of Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 131; (1986), 34 D.L.R. (4th) 190; 13 C.E.R. 138; 27 C.R.R. 305; [1987] 1 C.T.C. 97; 72 N.R. 211 (C.A.).

REQUÊTE en directives sur la procédure à suivre dans le cadre d'un renvoi fait en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Procédure à suivre fixée par analogie avec les règles de pratique régissant les actions.

avocats:

Donald A. MacIntosh et Cheryl D. E. Mitchell pour la requérante.

Donald B. Bayne et Michael Code pour l'intimé.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.

Bayne, Sellar, Boxall, Ottawa, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Noël: Il y a requête introduite par la requérante en directives sur la procédure à suivre dans le cadre de ce renvoi. Avant d'examiner cette requête en détail, je ferai brièvement l'historique de cette affaire afin de placer les points soulevés en contexte.

En janvier 1995, le greffier de la citoyenneté canadienne a envoyé un avis de révocation à l'intimé. Cet avis servait à informer celui-ci que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (la requérante) se proposait de soumettre un rapport pour recommander au gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté de l'intimé. Cet avis l'informait également qu'il avait le droit de demander le renvoi de l'affaire devant la Cour fédérale, Section de première instance.

À la demande de l'intimé, la requérante a alors déposé auprès de la Cour un avis de renvoi tendant à faire déclarer que celui-ci avait acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels. Peu après, en mai 1995, la requérante a déposé un avis de requête en directives sur la procédure à suivre.

La requête en directives de la requérante s'est trouvée bientôt noyée dans des querelles de procédure qui, pour diverses raisons, ont duré près d'un an. Par suite d'incidents qui n'avaient aucun rapport avec la requête en instance, les procédures ont été suspendues dans ce dossier [[1996] 2 C.F. 729 (1re inst.)]. Cette suspension a été infirmée par la suite par la Cour d'appel fédérale [[1997] 1 C.F. 828], dont la décision a été confirmée le 25 septembre 1997 par la Cour suprême du Canada1.

Un mois environ après la levée par la Cour suprême de la suspension en l'espèce, la requérante s'est désistée de la requête initiale en directives et a déposé la requête modifiée en directives actuellement en instance2. La requérante demande de nouveau des directives sur la procédure à suivre dans ce renvoi. Elle conclut en particulier à ordonnance:

[traduction]

 (1) à l'intimé de signifier et de déposer le résumé des faits et de la preuve sur lesquels il se propose de s'appuyer à l'audition de l'affaire;

(2) à chaque partie de produire une liste de documents, où figurent:

a) une description suffisamment claire de tous documents se rapportant à l'un quelconque des points litigieux et:

(i) qui se trouvent en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et à l'égard desquels elle ne revendique pas le secret;

(ii) qui se trouvent en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et à l'égard desquels elle revendique le secret;

b) son affirmation qu'elle ne connaît aucun autre document pertinent à part les documents portés sur la liste;

 (3) à la partie qui se rend compte que la liste de documents qu'elle a signifiée et déposée est inexacte ou défectueuse, de signifier et de déposer sans tarder une liste supplémentaire propre à redresser l'inexactitude ou la défectuosité;

 (4) à chaque partie de permettre à l'autre d'examiner tous les documents mentionnés dans la liste de documents, sauf ceux à l'égard desquels le secret est revendiqué, et d'en tirer des copies aux frais de cette dernière, à un moment convenu durant les heures d'ouverture, à l'expiration des quinze jours qui suivent la signification de la liste;

 (5) portant que chaque partie peut procéder à l'interrogatoire préalable de vive voix de l'autre, et que la requérante désignera la personne qui répondra à sa place;

 (6) portant que chaque partie peut, par avis (Formule 23, Règles de la Cour fédérale), demander à l'autre d'admettre la véracité de tout document; que, si dans les vingt jours qui suivent la signification de l'avis ou dans tout délai supplémentaire que peut accorder soit la Cour soit la partie qui l'a signifié, l'autre partie ne signifie pas à cette dernière un avis pour nier que le document en question est authentique ou pour motiver son refus d'en admettre l'authenticité, elle est réputée en avoir reconnu l'authenticité;

 (7) portant que trente jours au moins avant l'ouverture du procès, chaque partie peut, par avis (Formule 24, Règles de la Cour fédérale), demander à l'autre d'admettre la véracité de faits spécifiques mentionnés dans cet avis, et ce, uniquement aux fins de l'audition de cette affaire;

 (8) portant que la partie qui se propose de produire des témoignages d'expert à l'audition de l'affaire, signifiera et déposera un affidavit sur la teneur du témoignage prévu de chaque expert, et ce, trente jours au moins avant l'ouverture de l'audition de l'affaire;

 (9) portant fixation des délais de réalisation des actes de procédure visés aux paragraphes (1), (2) et (5) ci-dessus;

(10) portant fixation de la date de l'audition de l'affaire.

L'intimé conteste la requête de la requérante concernant la communication préalable des pièces qui se fait normalement dans les actions civiles. En particulier, il s'oppose à la demande de la requérante visant l'échange des plaidoiries, la production de documents et l'interrogatoire préalable avant le procès, telle qu'elle figure aux paragraphes 1 à 5 de la requête. Par ailleurs, il soutient que les pièces que la requérante est disposée à lui communiquer ne sont pas suffisantes.

À l'appui, l'intimé a proposé une argumentation considérable que je résumerai dans les paragraphes qui suivent. Cette tâche est d'autant plus difficile qu'en sus de sa propre argumentation, il a fait siens les arguments, tout aussi étendus mais non tout à fait complémentaires, qu'a proposés l'intimé dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [1997] F.C.J. no 1828 (1re inst.) (QL). C'est dans ce contexte qu'on peut dégager les points saillants de l'argumentation de l'intimé comme suit.

L'intimé fait assez longuement l'historique de l'adoption du paragraphe 7(3.71) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1)]3, lequel paragraphe représente, dit-il, la "promesse" du Parlement de "s'occuper des supposés criminels de guerre" par voie de poursuite pénale. L'intimé fait observer que l'affaire en instance repose sur des allégations de crimes de guerre et en infère qu'il est poursuivi pour crimes de guerre sous le couvert d'un renvoi en matière de citoyenneté. À son avis, ce que cherche à faire valoir la requérante au fond, c'est la preuve de la criminalité, et non de la fraude, de la fausse déclaration ou de la dissimulation de faits essentiels, que visent les dispositions applicables de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29]. Il en conclut qu'il comparaît devant la Cour en qualité d'inculpé de crimes de guerre et que, tout au moins en ce qui concerne la question des crimes de guerre dans l'instance4, il doit bénéficier de la protection des règles de procédure, des règles de preuve ainsi que de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], normalement réservée aux matières pénales.

Bien qu'il s'agisse à son avis d'une poursuite pénale sous le couvert d'un renvoi en matière de citoyenneté, l'intimé voit cependant dans l'instance une mesure prise par l'État pour le dépouiller de sa citoyenneté canadienne. À ce titre, il s'oppose à la requête de la requérante par les quatre moyens généraux suivants:

1. La procédure engagée par la requérante va à l'encontre de l'alinéa 11c) de la Charte.

2. Elle va à l'encontre de l'article 7 de la Charte.

3. Elle va à l'encontre de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III].

4. Elle va à l'encontre des règles de justice naturelle et d'équité.

Du fait qu'à ses yeux, l'affaire en instance est une mesure visant à le dénaturaliser et subséquemment à l'expulser, l'intimé tient qu'il est un "inculpé" au sens de l'article 11 de la Charte, et que l'alinéa 11c ) fait que la requérante n'est pas recevable à demander qu'il soit contraint à témoigner et à communiquer ses moyens avant le procès.

Il cite à cet effet une observation incidente faite par Mme le juge Wilson dans R. c. Wigglesworth5, savoir que la protection de l'article 11 s'étend au-delà des matières strictement pénales. Dans sa décision, Mme le juge Wilson a formulé deux critères différents qui permettent de savoir si une instance met en jeu cet article 11.

Le premier critère qu'elle définit est celui de la "nature même". Une affaire tombe sous le coup de l'article 11 par application de ce critère si elle vise à assurer l'ordre public dans une sphère d'activité publique. Selon l'intimé, l'affaire en instance satisfait au critère de la "nature même" qu'a défini Mme le juge Wilson, en ce qu'elle est de nature publique et vise à redresser un tort causé à la société dans son sens large.

Le second critère formulé par Mme le juge Wilson est celui de la "véritable conséquence pénale". On dit qu'une procédure entraîne des conséquences pénales si la gravité de la sanction est telle qu'on peut conclure que cette sanction a pour objet de redresser un tort fait à la société. L'intimé soutient que l'affaire en instance satisfait au second critère aussi, étant donné que l'objet en est la "perte par confiscation" de sa citoyenneté pour cause de fraude au détriment du public, et son expulsion du pays.

Au cas où il serait jugé que l'alinéa 11c) ne s'applique pas en l'espèce, l'intimé fait savoir qu'il pourra quand même contester les paragraphes en question de la requête de la requérante en invoquant l'article 7 de la Charte. À son avis, l'échange des plaidoiries, la production des documents et l'interrogatoire préalable avant le procès portent atteinte, dans ce contexte, à la "protection résiduelle" contre l'auto-incrimination qu'assure l'article 7.

À l'appui de l'applicabilité de l'article 7, l'intimé cite la jurisprudence qui pose que la protection assurée à l'individu par l'élément "liberté" de l'article 7 signifie non seulement la protection contre la contrainte physique, mais aussi la liberté de circulation. À son avis, le concept de liberté de circulation s'entend aussi de la protection contre le déplacement forcé. Il note que l'article 7 doit être interprété par référence aux autres dispositions de la Charte, dont le paragraphe 6(1) qui garantit au citoyen canadien le droit "de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir". Il en conclut que le droit du citoyen de demeurer dans le pays ou d'en sortir est une composante du droit à la "liberté" visé à l'article 7, et que le paragraphe 6(1) de la Charte est la confirmation que la protection contre le déplacement forcé constitue une "liberté" au sens de l'article 7.

À son avis, un examen du processus de dénaturalisation révèle deux menaces contre ce droit, largement défini, à la "liberté", lesquelles menaces sont de nature à mettre en jeu l'article 7 en l'espèce. En premier lieu, la décision de révoquer la citoyenneté se traduit par la privation du droit, reconnu au paragraphe 6(1), de demeurer au Canada ou d'en sortir, ce qui se traduit à son tour par une privation de "liberté" telle qu'elle est définie ci-dessus. En second lieu, la possibilité d'expulsion faisant suite à la décision de révoquer la citoyenneté constitue une possibilité d'atteinte à son droit de ne pas être déplacé contre son gré, laquelle atteinte se traduit elle aussi par une privation de "liberté".

L'intimé insiste pour dire que la "liberté" qu'il tient de l'article 7 est en jeu en l'espèce bien que la Cour ne se prononce pas au fond sur la question de savoir s'il faut révoquer sa citoyenneté ou l'expulser du Canada. À son avis, l'applicabilité de l'article 7 en l'espèce doit être considérée à la lumière de certains énoncés de politique du gouvernement, selon lesquelles les décisions portant dénaturalisation et expulsion feront naturellement suite à un verdict positif de la Cour.

L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits prévoit que toute procédure touchant à la définition des "droits et obligations" d'une personne doit respecter les principes de justice fondamentale. Tout en reconnaissant que les principes de justice fondamentale visés à l'alinéa 2e ) de la Déclaration des droits sont limités aux considérations de procédure, l'intimé soutient que les impératifs de procédure qui découlent des principes de justice fondamentale prescrits par l'article 7 de la Charte, savoir le principe de la protection contre l'auto-incrimination, s'appliquent également aux principes de justice fondamentale visés à l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits. À son avis, le renvoi en l'espèce définira les droits et obligations qu'il tient de la Loi sur la citoyenneté, et l'analyse des effets de l'article 7 sur la requête de la requérante s'applique tout aussi bien au regard de l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.

Enfin, l'intimé estime que faute d'une disposition de la Loi sur la citoyenneté ou des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] qui prévoit expressément l'obligation de témoigner avant l'audition du renvoi en matière de citoyenneté, il y a lieu pour la Cour de façonner, dans ce contexte de droit administratif, une procédure qui soit en harmonie avec les principes de justice fondamentale. À cet égard, il soutient qu'à la lumière de l'arrêt de principe R. c. Stinchcombe6, la règle moderne régissant la communication des pièces ne repose pas sur les normes civiles, mais sur les normes de procédure pénale.

Décision

J'examinerai en premier lieu les conclusions de l'intimé quant à la nature de l'affaire en instance. À son avis, le renvoi fait par la requérante à la Cour est un moyen détourné de le poursuivre pour crimes de guerre. Cette opinion est fondée en grande partie sur l'interprétation par l'intimé des raisons qui motivent l'effort fait par la requérante pour révoquer sa citoyenneté. Selon l'intimé, cette dernière n'est pas motivée par l'observation de la Loi sur la citoyenneté, mais par la conviction que l'intimé a pris part à des crimes de guerre7. La poursuite pour crimes de guerre devient ainsi le point focal ou le "fond" véritable de l'instance, et la question de savoir si l'intimé a acquis la citoyenneté par fausse déclaration sert juste de décor. De l'avis de l'intimé, l'affaire en instance revêt un caractère pénal, ce qui le soustrait aux prétentions contestées de la requête de la requérante.

Il y a lieu d'examiner à ce propos les dispositions légales sur lesquelles repose l'affaire en instance, savoir les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté. Ces articles portent que:

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

. . .

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

Les articles 10 et 18 investissent donc la Cour d'une fonction très précise en la matière. Elle doit juger si l'intéressé a acquis, conservé ou répudié la citoyenneté, ou a été réintégré dans la nationalité canadienne, par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Dans la mesure où elle s'en tient aux paramètres de cette fonction, il est clair que ni les mobiles de la requérante, ni la nature de ce qui sous-tend l'accusation de fraude ne sauraient influer sur la nature de la procédure. Les articles 10 et 18 n'investissent pas la Cour d'une compétence indéterminée qui puisse changer et s'adapter selon la nature et la gravité des circonstances qui sont à l'origine de l'affaire dont elle est saisie. Que la supposée fraude se rapporte à des crimes de guerre ou à quelque chose de bénin comme l'état matrimonial, le seul point sur lequel la Cour puisse se prononcer demeure exactement le même, savoir si l'intéressé a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

Je note que l'interprétation faite par l'intimé de la nature de l'affaire en instance est aussi fondée sur une observation faite dans Tobiass par la Cour suprême, qui a qualifié les actes que, d'après la requérante, l'intimé a dissimulés lors de sa demande de naturalisation "d'activités criminelles les plus iniques . . . parmi les plus haineu[ses] de l'histoire"8. Il s'agit certainement là d'une constatation accablante. Je pense cependant qu'il est important de l'examiner dans le contexte dans lequel elle a été faite.

Dans Tobiass, la Cour suprême était appelée à juger si une suspension des procédures était justifiée. En mettant dans la balance les valeurs contradictoires en jeu, elle a pris en compte l'intérêt que représente pour la société la garantie que des mesures seront prises à l'égard des personnes soupçonnées d'avoir pris part à des crimes de guerre. C'est cette considération qui l'a amenée à faire les observations suivantes: "l'intérêt du Canada à ne pas donner refuge à ceux qui ont dissimulé leur participation en temps de guerre à des atrocités l'emporte sur tout préjudice prévisible que la poursuite des procédures pourrait causer aux appelants", et "Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c'est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale"9.

C'est dans ce contexte que la Cour suprême commentait la nature des agissements que, d'après la requérante, l'intimé avait dissimulés. Elle n'a posé nulle part que la nature de l'instance varie selon la nature des agissements qui seraient à l'origine de la supposée fraude, ni n'a prescrit à notre Cour, saisie d'un renvoi fait en application de l'article 18, d'examiner des questions autres que celles sur lesquelles la loi l'habilite à se prononcer. Dans cette perspective, la gravité des crimes supposés est un facteur mais dans la mesure seulement où elle sert à prouver la fraude reprochée.

Prises dans ce contexte, les observations précitées de la Cour suprême permettent cependant de dire que la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] sont complémentaires de par leur nature et sont les composantes d'un régime plus général. Ainsi que l'a fait observer Mme le juge McGillis dans Copeland10:

En examinant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté, on constate que les règles de droit concernant l'immigration et la citoyenneté sont de nature complémentaire et qu'elles établissent, ensemble, le régime législatif qui permet à un immigrant d'entrer et de demeurer au Canada et d'acquérir la citoyenneté. À cet égard, la Loi sur l'immigration régit l'admission, l'exclusion et le renvoi des non-citoyens, alors que la Loi sur la citoyenneté réglemente notamment les situations dans lesquelles un immigrant peut obtenir le droit d'acquérir la citoyenneté. En ce sens, la Loi sur la citoyenneté contrôle la phase finale de l'immigration d'une personne au pays. La nature complémentaire de ces deux lois apparaît très clairement dans les cas où la perte de la citoyenneté par application de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté prend effet à l'égard d'une personne. Dans ce cas, le statut de cette personne au Canada et la question de son renvoi éventuel du pays sont régis par les dispositions de la Loi sur l'immigration. Il est également utile de souligner que la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté prévoient toutes les deux une procédure de renvoi, notamment aux articles 40.1 et 18, respectivement, dans le cadre de laquelle un juge de la Cour doit tirer des conclusions de fait pour aider le ministre et le gouverneur en conseil à s'acquitter de leurs responsabilités légales concernant la question de savoir si certaines personnes devraient être autorisées à demeurer au Canada, en qualité de citoyens ou autrement.

En l'espèce, je suis convaincue que les principes d'interprétation fondamentaux énoncés dans la décision Ahani c. Canada, précitée, s'appliquent en matière de citoyenneté. J'ai donc conclu que la portée de la procédure prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté doit être analysée dans le contexte des principes et des politiques qui sous-tendent les règles de droit relatives à l'immigration et à la citoyenneté, et non dans le contexte du droit criminel. En fait, comme je l'ai déjà mentionné, le juge qui préside un renvoi en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté tire uniquement une conclusion de fait concernant les circonstances dans lesquelles une personne a acquis la citoyenneté canadienne. Pour paraphraser mes propos dans la décision Ahani c. Canada, précitée, cette conclusion de fait est purement et simplement une question d'immigration. En l'espèce, je souscris à l'opinion exprimée par le juge Collier dans la décision Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, précitée, selon laquelle un renvoi formé en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté est de nature civile et on doit lui appliquer la norme de la preuve en matière civile.

Je partage l'interprétation faite par Mme le juge McGillis du cadre administratif dans lequel s'effectue le renvoi en matière de citoyenneté, ainsi que sa conclusion qu'il s'agit d'une procédure de nature civile. L'argument proposé par l'intimé qu'eu égard à la nature de cette procédure, il a le droit de contester certaines prétentions de la requête de la requérante, n'est donc pas fondé.

Comme noté ci-dessus, l'intimé conteste aussi la requête de la requérante par ce motif qu'elle va à l'encontre de la protection contre l'auto-incrimination, qu'assurent les articles 7 et 11 de la Charte. Plus spécifiquement, il soutient que dans le contexte de l'affaire en instance, il est un "inculpé" au sens de l'alinéa 11c ) et, subsidiairement, que cette procédure porte atteinte à sa "liberté" que lui garantit l'article 7.

Dans Canada (Secrétaire d'État) c. Delezos11, le juge Muldoon était appelé à se prononcer, dans le cadre d'un renvoi fait en application de l'article 18 [auparavant l'article 17], sur l'argument que l'intimé était assimilable à un inculpé et que, ayant été déjà reconnu coupable d'usage de faux documents pour acquérir la citoyenneté canadienne, il ne pouvait pas passer en jugement une seconde fois pour la même infraction, cette fois-ci dans le cadre du renvoi. La disposition invoquée à cet effet était l'alinéa 11h) de la Charte.

Après avoir noté que l'intimé n'était en proie à aucune conséquence pénale dans le cadre du renvoi, le juge Muldoon a conclu que l'affaire était de nature entièrement civile. Sa décision devait être citée subséquemment avec approbation par la Cour d'appel dans Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)12.

Qu'un renvoi fait sous le régime de l'article 18 ne produise aucune conséquence pénale a été réaffirmé par la Cour d'appel dans Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État)13. Dans cette affaire, le juge Linden, J.C.A., prononçant les motifs du jugement de la Cour, fait observer que la décision rendue sur renvoi fait en application de l'article 18 ne porte que sur les faits et n'est nullement un jugement définitif sur des droits juridiques. Et de conclure14:

Même si la décision faisait suite à une audience au cours de laquelle de nombreux éléments de preuve ont été produits, il s'agissait simplement d'une conclusion de fait de la part de la Cour, qui devait constituer le fondement d'un rapport du ministre et, à terme, d'une décision du gouverneur en conseil, comme le décrivent l'article 10 et le paragraphe 18(1). La décision n'a déterminé en fin de compte aucun droit juridique.

Ce passage a été cité avec approbation dans Tobiass par la Cour suprême du Canada, qui voit dans cette conclusion une référence au "genre de décision que la Cour est appelée à rendre sous le régime du paragraphe 18(1)" de la Loi sur la citoyenneté par contraste avec les décisions qui prononcent de façon définitive sur des droits et obligations et qui sont susceptibles d'appel15.

Toujours dans Luitjens, le juge Linden, s'appuyant sur la logique qui sous-tend le passage cité ci-dessus, explique pourquoi l'absence de droit d'appel contre la décision rendue sur renvoi ne va pas à l'encontre de l'article 7 de la Charte16:

Je considère que l'art. 7 ne supprime pas la force exécutoire de l'art. 18(3). Tout d'abord, au moment où la Cour a rendu sa décision, au moins, l'art. 7 n'était pas en cause parce que l'on n'avait pas encore porté atteinte au droit de M. Luitjens "à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne". Le juge de première instance a simplement statué que M. Luitjens avait obtenu la citoyenneté canadienne par fausse déclaration. Cette conclusion pourrait peut-être bien servir de fondement aux décisions d'autres tribunaux, qui pourraient porter atteinte ultérieurement à ce droit, mais cela n'est pas le cas de la décision dont il est question en l'espèce. Il ne s'agit donc que d'une étape d'une action qui peut aboutir ou non à la révocation définitive de la citoyenneté et à l'expulsion ou l'extradition de l'intéressé. Il peut y avoir un droit de révision ou d'appel à une étape ultérieure, et cela est habituellement le cas . . . [Italiques dans l'original]17.

L'avocat de l'intimé soutient que le passage ci-dessus, dans la mesure où il se réfère à l'article 7 de la Charte, est une opinion incidente et n'est pas conforme à la jurisprudence "établie" de la Cour suprême18 . Je rejette l'un et l'autre arguments. En premier lieu, cette affirmation fait clairement partie de la ratio decidendi du jugement puisqu'elle tranche le point litigieux même sur lequel la Cour d'appel était appelée à se prononcer. En second lieu, je ne pense pas que les décisions citées par l'intimé19 représentent la jurisprudence "établie" au regard de laquelle le raisonnement tenu par le juge Linden de la Cour d'appel est erroné. Au contraire, le récent arrêt Tobiass de la Cour suprême confirme que les décisions rendues sous le régime de l'article 18 ne portent jugement définitif sur aucun droit juridique, ce qui va dans le sens de la conclusion tirée par le juge Linden quant à l'article 7 de la Charte.

Par ailleurs, je ne pense pas que la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)20 dévie de la ligne tracée par l'arrêt Luitjens. Dans l'affaire Nguyen, le requérant avait déjà été déclaré danger public par le ministre, et la contestation fondée sur l'article 7 était dirigée contre le régime prévu par la Loi sur l'immigration à l'égard des gens de cette catégorie. C'est dans ce contexte que le juge Marceau, J.C.A., a tiré la conclusion suivante dans les motifs de jugement prononcés au nom de la Cour d'appel21:

Une mesure législative peut être contestée même si ses parties sont en elles-mêmes acceptables. En effet, l'action réciproque de ses parties peut créer un contexte complètement nouveau et imposer une approche différente. C'est là, je crois, l'attitude qu'a adoptée la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli, précité.

En l'espèce, l'intimé ne conteste par le régime législatif pris dans son ensemble. Tout ce qu'il dit, c'est que l'article 7 de la Charte est en jeu lorsque l'avis de révocation parvient au stade du renvoi devant la Cour. L'arrêt Luitjens décide dans l'autre sens et, à mon avis, vide l'argument fondé sur l'article 722.

Pour en revenir à l'alinéa 11c) de la Charte, il ressort de la jurisprudence citée ci-dessus que l'affaire en instance ne satisfait ni au critère "de la nature même" ni au critère de la "conséquence pénale", tels qu'ils ont été énoncés par Mme le juge Wilson dans Wigglesworth, précité. Un renvoi fait sous le régime de l'article 18 n'est ni une poursuite pénale ni une poursuite quasi pénale et, en soi, n'entraîne aucune conséquence pénale.

Quand bien même j'irais au-delà des limites de l'affaire en instance et présumerais, comme le fait l'intimé, que la révocation de la citoyenneté résulterait inéluctablement d'un verdict positif de la Cour, je ne pense pas qu'on puisse dire que l'article 11 s'applique.

La perte par confiscation des fruits de la fraude n'est pas une punition en soi. Prise isolément, la restitution de quelque chose qui a été acquis par fraude ou escroquerie est une opération éminemment neutre23. Est de nature civile la procédure qui a pour seul but de remettre un individu dans la situation où il se serait trouvé si aucune fraude n'avait été commise; il n'y a aucune sanction en jeu.

La décision R. c. Amway du Canada Ltée24, que cite abondamment l'intimé à l'appui de son argument que la perte de sa citoyenneté est une conséquence pénale, pose en fait le contraire. Tout en concluant que la confiscation d'une somme d'argent représentait une punition, Mme le juge Reed a souligné qu'elle ne représentait pas la perception des droits et taxes fraudés, mais portait sur des sommes importantes dépassant de loin le montant des droits et taxes exigibles. Cette conclusion sur les faits était au cœur du raisonnement qui l'a amenée à conclure qu'il y avait punition. Sa conclusion aurait été nécessairement différente si tout ce qui était recherché, c'était le paiement des droits et taxes fraudés. La Cour d'appel est parvenue à la même conclusion par référence au même raisonnement25.

L'arrêt Vidéotron Ltée26 de la Cour suprême, que l'intimé cite aussi abondamment, n'est non plus d'aucun secours puisque la sanction potentielle d'un an d'emprisonnement dans cette affaire était clairement punitive.

Il y a également lieu de noter que dans Benner c. Canada (Secrétaire d'État), la Cour suprême voyait dans la citoyenneté canadienne un "précieux privilège"27. Quiconque a acquis la citoyenneté canadienne par fraude sait ou devrait savoir que son statut de citoyen canadien est précaire. Notre Loi sur la citoyenneté a toujours imposé aux candidats à la citoyenneté l'obligation de répondre honnêtement aux questions et, depuis 194628 au moins, elle prévoit qu'au cas où le ministre de la Citoyenneté conclut que la citoyenneté a été acquise par fraude, elle sera révoquée. Elle impose donc aux candidats à la citoyenneté l'obligation de dire la vérité et prévoit pour l'État le droit d'obtenir la révocation s'il est prouvé que cette obligation n'a pas été respectée. Il s'agit là d'un élément du contrat social qui engage quiconque choisit de devenir citoyen canadien.

La révocation par l'État d'un privilège pour le motif que celui-ci a été acquis à l'origine par fraude, laquelle révocation est fondée sur une mesure de redressement prévue par la loi exclusivement à cette fin, n'est pas une punition. Le remède n'est pas plus punitif que ne le serait, par exemple, la mesure adoptée par une compagnie d'assurances qui poursuit en justice un assuré en vue de l'annulation du contrat pour le motif que celui-ci a été obtenu à l'origine par fraude, fausse déclaration ou dissimulation volontaire de faits essentiels. Dans l'un et l'autre cas, la mesure de redressement se limite à la révocation de quelque chose auquel l'intéressé n'a jamais eu droit.

Même par-delà la révocation possible de la citoyenneté de l'intimé et à supposer, aux fins d'analyse, qu'il sera inéluctablement expulsé du Canada par suite d'un verdict positif dans ce renvoi, je ne suis toujours pas convaincu que pareil résultat soit une conséquence pénale au regard de l'article 11.

La question de savoir si le renvoi hors du Canada d'une personne non admissible en application de la Loi sur l'immigration constitue une forme de punition ou si la procédure tendant au renvoi de cette personne tombe sous le coup de l'article 11 de la Charte, a été définitivement tranchée par la jurisprudence en la matière.

Dans Rudolph c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), le juge Hugessen, J.C.A., a fait cette observation dans les motifs prononcés au nom de la Cour d'appel29:

. . . le requérant ne comparaît pas devant la Cour en qualité d'"inculpé".

Dans Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), le juge MacGuigan, J.C.A., prononçant les motifs au nom d'une autre formation de juges de la Cour d'appel fédérale, est parvenu à la même conclusion essentiellement par les mêmes motifs30.

Enfin, dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), le juge Sopinka a exprimé l'avis de la Cour suprême que l'expulsion n'est pas une punition31.

L'intimé conteste aussi la requête de la requérante par ce motif que la procédure envisagée va à l'encontre des principes de justice naturelle et d'équité, tels qu'ils s'appliquent aux procédures administratives situées au sommet de l'échelle des procédures judiciaires. Il soutient que les principes modernes de droit administratif requièrent la pleine divulgation de la part de la requérante et, en même temps, le soustraient pratiquement de l'obligation de témoigner et de communiquer les pièces avant le procès.

À ma connaissance, il n'y a aucune jurisprudence posant que la partie visée par une procédure administrative peut être effectivement soustraite à l'obligation de divulgation avant le procès. Quoi qu'il en soit, l'argument de l'intimé est basé sur ce qu'il pense être un vide dans les règles régissant la conduite de ce renvoi. C'est en raison de ce vide qu'il demande à la Cour de façonner une procédure complète basée sur les principes modernes de droit administratif, sans avoir égard aux règles de pratique existantes. Il est donc nécessaire d'examiner les règles qui présentent un rapport avec l'instance.

La Règle 920 des Règles de la Cour fédérale est la seule qui prévoit expressément la procédure à suivre en cas de renvoi fait sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Elle porte que:

Règle 920. Les dispositions suivantes s'appliquent à l'audition d'une affaire (article 18 de la Loi):

a) sur réception d'une demande voulant que l'affaire soit renvoyée devant la Cour, présentée par une personne (ci-après appelée la "personne") à l'égard de laquelle le Ministre a l'intention de faire un rapport conformément à l'article 10 de la Loi, le Ministre, s'il décide de renvoyer l'affaire devant la Cour, doit faire parvenir au greffe une copie de la demande et de son renvoi devant la Cour;

b) le Ministre doit, dans les 14 jours qui suivent, déposer au greffe et signifier à la personne,

(i) la demande présentée par cette personne conformément au paragraphe 14(1) de la Loi,

(ii) la décision du juge de la citoyenneté sur cette demande,

(iii) un résumé des faits et de la preuve sur lesquels le Ministre a l'intention de s'appuyer à l'audition de l'affaire, et

(iv) une liste des noms et adresses de tous les témoins qu'il a l'intention d'assigner à l'audition de l'affaire et de tous documents qu'il a l'intention de présenter en preuve;

c) les dispositions des règles 906, 907, 908, 909, 910, 915, 916, 917 et 919 doivent également recevoir application en autant qu'elles sont applicables.

Parmi les règles applicables aux renvois par l'effet de l'alinéa c) de la Règle 920 ci-dessus, seule la Règle 919 a un rapport avec l'affaire en instance. Elle porte que:

Règle 919. Les dispositions pertinentes de la Partie I s'appliquent à un appel entendu en vertu du présent chapitre; et lorsque, dans un appel de ce genre, surgit une question qui n'est pas autrement prévue par la Loi, ou par le présent chapitre, elle doit être traitée de la façon prescrite par la Cour.

La Partie I des Règles, qui comprend les Règles 1 à 5 [Règle 2 (mod. par DORS/90-846, art. 1; 92-43, art. 1); Règle 3 (mod. par DORS/94-41, art. 1)], porte sur diverses matières comme les définitions et le calcul des délais. Celle qui nous intéresse tout particulièrement en l'espèce est la Règle 5, communément connue comme la règle des lacunes:

Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie

a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou

b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures,

selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.

La Règle 919 incorpore donc la Règle 5, laquelle prescrit à la Cour d'adopter une procédure par analogie "avec les autres dispositions des présentes Règles". Il s'ensuit qu'il n'y a aucune lacune dans les règles prévues pour l'audition des renvois faits sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté . Les règles de pratique s'appliquent pleinement avec les adaptations nécessaires aux particularismes de la voie de droit prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté.

L'application des règles de pratique pertinentes ne diminue en rien le droit de l'intimé d'être traité avec équité et dans l'observation stricte des règles de justice naturelle. Pour ce qui est de sa préoccupation au sujet du défaut par la requérante de divulguer les documents et renseignements nécessaires, les règles de pratique lui donnent le moyen d'obtenir la divulgation intégrale des éléments de preuve de la requérante, ainsi que de tous les documents et renseignements nécessaires.

Les règles de pratique ont été justement conçues pour faciliter le règlement équitable des points litigieux soumis à la Cour, et je suis d'avis de les adopter par analogie en vue du jugement équitable de ce renvoi. Je ne peux cependant faire droit à la prétention de l'intimé que, à l'intérieur ou à l'extérieur du cadre procédural institué par les Règles, les principes de justice naturelle ont pour effet de le soustraire à l'obligation de témoigner dans la procédure en instance.

La Cour rendra donc une ordonnance pour fixer la procédure à suivre en l'espèce, par analogie avec les règles de pratique régissant les actions. En ce qui concerne les conclusions spécifiques de la requête en directives de la requérante, la Cour fera droit aux demandes figurant aux paragraphes 3, 4, 6, 7 et 8, essentiellement telles quelles.

En ce qui concerne la demande que l'intimé signifie et dépose un résumé des faits et de la preuve32, la forme et le contenu de ce document doivent être fixés par référence aux principes régissant les plaidoiries, ce qui permettra de dégager avec plus de clarté le litige entre les parties et facilitera la résolution des différends qui pourront se faire jour lors de l'interrogatoire préalable et de la communication des pièces. L'intimé sera donc tenu de déposer un énoncé de la position qu'il entend prendre en l'espèce. Dans ce document, il reconnaîtra les faits articulés dans le sommaire des faits de la requérante et dont il admet la véracité, niera ceux qu'il entend contester, indiquera son ignorance quant aux allégations dont il ne sait pas si elles sont véridiques, et fera savoir s'il les reconnaît ou non33. L'énoncé articulera également et avec précision les faits essentiels que l'intimé entend invoquer34, et pour plus de certitude, fera valoir tout ce qui, faute d'être spécifiquement plaidé, pourrait prendre la requérante par surprise35.

En ce qui concerne les documents36, la Cour ordonnera à l'une et l'autre parties de déposer et de signifier un affidavit portant énumération des documents, conformément à la Règle 448 [mod. par DORS/90-846, art. 15], ainsi qu'un avis informant l'autre partie qu'elle peut les examiner, conformément à la Règle 452 [mod., idem]. L'interrogatoire préalable37 se fera de vive voix. La requérante désignera la personne qui répondra à sa place à l'interrogatoire préalable.

En ce qui a trait à la fixation des dates38, la Cour est en mesure de fixer les dates pour le dépôt du mémoire de l'intimé, pour l'échange des affidavits portant énumération de documents, pour l'examen de ces documents et pour les interrogatoires préalables. L'ordonnance portera dépôt du mémoire de l'intimé dans les 30 jours qui suivent le 1er janvier, dépôt mutuel des affidavits portant énumération de documents et des avis d'examen de ces derniers, dans les 60 jours, et clôture des interrogatoires préalables, dans les 120 jours.

L'échéancier ci-dessus fait que la Cour aurait été en mesure d'inscrire l'affaire au rôle pour audition avant les vacances d'été. Cependant, l'avocat de la requérante a fait savoir à l'audience qu'il compte demander une commission rogatoire pour entendre des témoins à l'étranger. Il a également fait savoir qu'il n'est pas en mesure d'introduire une requête à cet effet pour le moment. Il appert que les témoins prévus, bien qu'ils aient été identifiés, n'ont pas encore été contactés et que les dispositions nécessaires pour la commission rogatoire ne sont pas encore en place. La requérante a indiqué que sa requête serait introduite dans les 60 jours.

J'ai fait savoir à son avocat à l'audience publique que je trouvais ce fait nouveau pour le moins déconcertant. Ce renvoi est pendant depuis 1995. Dans son avis initial de requête en directives, la requérante a demandé une commission rogatoire pour entendre des témoins à l'étranger. En octobre 1997, après que la Cour suprême eut levé la suspension des procédures, et que les parties eurent été informées que toutes les requêtes préliminaires encore pendantes seraient tranchées, la requérante a retiré sa requête initiale en directives pour déposer une requête modifiée, dans laquelle elle ne concluait plus à commission rogatoire. L'audience de décembre était destinée à la résolution de toutes les requêtes pendantes afin que le renvoi fait sous le régime de l'article 18 pût être entendu sans délai.

C'est dans ce contexte que l'avocat de la requérante a fait savoir en passant, au cours de l'audience, qu'il souhaitait demander de nouveau une ordonnance pour l'audition de témoins à l'étranger, mais qu'il n'était pas en mesure de le faire puisque les investigations nécessaires n'étaient pas encore entreprises. Vu que la requérante a officiellement affirmé devant les deux sections de notre Cour ainsi que devant la Cour suprême que l'affaire était des plus urgentes précisément parce que les témoins étaient âgés et pouvaient mourir à tout moment, l'annonce désinvolte qu'elle entend réintroduire la requête retirée en octobre défie toute explication39.

Toute question relative à l'audition de témoins à l'étranger aurait dû être déjà soumise à la Cour. Cependant, trois mois après que la Cour suprême eut levé la suspension des procédures, la Cour doit attendre une requête qui ne sera peut-être pas déposée pendant un certain temps et qui, si elle est accueillie, influera certainement sur le délai dans lequel le renvoi pourra être entendu. Bien que dans sa requête même, la requérante demande à la Cour de fixer une date pour l'audition du renvoi, son comportement empêche justement la Cour de le faire.

La Cour rendra dès aujourd'hui une ordonnance en conformité avec les présents motifs.

1 ;Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391.

2 La seule différence notable entre cette requête et la requête initialement déposée en mai 1995 consiste en le retrait de la demande de commission rogatoire pour l'audition de témoins à l'étranger, et l'addition de la demande que l'interrogatoire préalable de part et d'autre se fasse de vive voix.

3 Les art. 7(3.71) à 7(3.77) constituent le cadre légal institué par le législateur pour la poursuite pénale rétroactive de personnes accusées d'avoir commis à l'étranger des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

4 C'est-à-dire la question de savoir si pareils crimes ont été commis.

5 [1987] 2 R.C.S. 541.

6 [1995] 1 R.C.S. 754.

7 Les conclusions de l'intimé quant aux mobiles de la requérante découlent surtout de deux sources: un communiqué de presse du gouvernement du Canada en date du 31 janvier 1995 ("Le gouvernement du Canada annonce sa stratégie relative aux criminels de guerre") et le résumé des faits et de la preuve de la requérante, en date du 16 mai 1996.

8 Tobiass, supra, aux p. 435 et 436.

9 Tobiass, supra, aux p. 429 et 435.

10 ;Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst. ), aux p. 509 et 510.

11 [1989] 1 C.F. 297 (1re inst.).

12 [1989] 2 C.F. 594 (C.A.), à la p. 605.

13 (1992), 9 C.R.R. (2d) 149 (C.A.F.), demande d'autorisation de pourvoi en Cour suprême rejetée [[1992] 2 R.C.S. viii].

14 Luitjens, supra, à la p. 152.

15 Tobiass, supra, à la p. 413.

16 Luitjens, supra, à la p. 152.

17 Cf. The Effect of the Exercise by the Governor General of the Prerogative of Mercy on Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, à la p. 278, motifs prononcés par le juge Rand et cités par le juge MacGuigan de la Cour d'appel dans Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), supra, à la p. 606.

18 Par. 41 de l'exposé des faits et du droit de l'intimé Oberlander.

19 ;R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985, à la p. 992; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 485; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, à la p. 479; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux p. 206 et 208 (motifs prononcés par Mme le juge Wilson); R. c. A, [1990] 1 R.C.S. 995; Tyler c. M.R.N., [1991] 2 C.F. 68 (C.A.); Québec Association des conseils scolaires protestants et al. c. Procureur général du Québec et al. (1983), 140 D.L.R. (3d) 33 (C.S. Qué.); conf. pour d'autres motifs par (1983), 1 D.L.R. (4th) 573 (C.A. Qué.); conf. par [1984] 2 R.C.S. 66.

20 [1993] 1 C.F. 696 (C.A.).

21 Nguyen, supra, à la p. 705.

22 Il résulte aussi logiquement de l'arrêt Luitjens que, s'il y avait un droit résiduel à la protection contre l'auto-incrimination qui, selon l'intimé, s'incarne dans l'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits, pareil droit serait inopérant au stade du renvoi.

23 Ce cas est différent de celui où la perte par confiscation des produits du crime est un élément accessoire du verdict de culpabilité, auquel cas elle constitue, du point de vue de la procédure, un élément de la sanction prévue par la loi pour l'infraction. Voir par exemple l'art. 446(2) du Code criminel.

24 [1987] 1 C.F. 3 (1re inst.).

25 "Il est vrai que . . . il est allégué que les défendeurs doivent à Sa Majesté des droits additionnels de 1 299 119,31 $ . . . La présente action ne sollicite toutefois pas de la Cour qu'elle statue sur cette dette alléguée . . . Le redressement recherché . . . est limité à une confiscation de marchandises d'une valeur de 9 415 706,66 $ . . . Je souscris à la conclusion du juge de première instance que les dispositions applicables . . . de la Loi sur les douanes . . . prévoient le recouvrement d'une amende dans le cadre d'une instance civile instruite devant cette Cour et, en conséquence, que l'action en l'espèce est de nature pénale"; Canada c. Amway of Canada Ltd. , [1987] 2 C.F. 131 (C.A.), aux p. 133 et 134, motifs prononcés par le juge Mahoney au nom de la Cour d'appel.

26 ;Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065.

27 [1997] 1 R.C.S. 358, à la p. 395. Il est significatif que la Cour suprême a employé cette qualification dans Tobiass, supra, à la p. 435, en pesant les intérêts en jeu du point de vue de l'intimé, pour examiner s'il y avait lieu d'accorder la suspension des procédures.

28 Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, art. 21.

29 [1992] 2 C.F. 653 (C.A.), à la p. 657.

30 Supra, aux p. 605 et 606.

31 [1992] 1 R.C.S. 711, à la p. 735.

32 Par. 1 de l'avis de requête modifié.

33 Règle 413 appliquée par analogie.

34 Règle 408 appliquée par analogie.

35 Règle 409b) appliquée par analogie.

36 Par. 2 de l'avis de requête modifié.

37 Par. 5 de l'avis de requête modifié.

38 Par. 9 et 10 de l'avis de requête modifié.

39 L'affirmation faite par l'avocat de la requérante (à la p. 171 de la transcription de l'audience) qu'il s'est désisté de la requête en commission rogatoire en octobre parce qu'il aurait été "trop compliqué" d'y donner suite étant donné le "très grand nombre de questions très complexes" en jeu, n'est nullement, dans les circonstances de la cause, une explication légitime.

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