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T-697-97

Des personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Untel et de Mme Unetelle (requérants)

c.

Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (intimé)

Répertorié: Personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Untel et de Mme  Unetellec. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada)(1re  inst.)

Section de première instance, juge Reed"Toronto, 29 septembre et 4 novembre 1997.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Décision du commissaire de la GRC refusant l'admission au Programme de protection des témoinsAllégation de partialité et que le commissaire était plus préoccupé par l'effet de sa décision sur l'action pendante devant la Cour de l'Ontario (Division générale) que par le droitL'avocat qui défendait l'action en Ontario agissait aussi comme conseiller juridique du commissaire au moment où ce dernier a pris la décision contestéeAllégation que l'avocat a rédigé la décision du commissaireLes avis juridiques fournis à un tribunal d'arbitrage ne sont pas toujours privilégiésLes requérants étaient-ils dans l'impossibilité de déterminer la portée du rôle de l'avocat dans la décision du commissaire en raison du privilège des communications entre avocat et client?Il n'est plus inacceptable que les motifs d'un tribunal quasi judiciaire ou administratif soient rédigés par une autre personne que le décideurLa charge de travail du commissaire est telle qu'il a dû se faire seconder dans la rédaction des motifsLe commissaire doit rester maître du processus décisionnel, éviter de donner une impression de partialité et de manque d'indépendanceLe commissaire se fonde sur la jurisprudence statuant que les documents de travail et les opinions internes n'entrent pas en ligne de compte à l'égard d'une décision contestéeLes tribunaux administratifs comptent sur le secret du délibéréL'ampleur de la participation de l'avocat dans la rédaction des motifs et dans la formulation des recommandations est pertinente quant à l'allégation d'une crainte raisonnable de partialitéLes documents internes peuvent être produits s'ils se rapportent à un motif de la demandeLes requérants ont le droit de savoir quelle est l'étendue de la participation de l'avocatLes requérants auraient pu demander le dépôt des documents à la Cour à titrestrictement confidentiel— — Le commissaire doit réexaminer les documents pour s'assurer qu'ils sont effectivement privilégiés et produire tout document qui traite du bien-fondé de la décision et n'est pas un avis juridique.

GRC Les requérants ont fourni à la police locale des renseignements qui ont mené à une saisie de cocaïneLa police locale a demandé l'admission des requérants au Programme de protection des témoins de la GRCLa GRC a refusé de payer les frais de cette protection vu qu'elle n'avait joué aucun rôle dans l'enquêteLes requérants ont intenté une action en Cour de justice de l'Ontario contre la police locale et le procureur général du Canada pour obtenir dommages-intérêts et protectionLa Cour de justice de l'Ontario était-elle habilitée à contrôler les décisions du commissaire?Les requérants ont demandé le contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédéraleAllégation que la décision du commissaire ait été viciée fondée sur le fait que l'avocat qui défendait la GRC devant la Cour de justice de l'Ontario agissait en même temps comme conseiller juridique auprès du commissaire pour la rédaction de la décision refusant l'accès au ProgrammeLe commissaire peut se faire seconder dans cette rédaction si sa charge de travail est trop grandeIl doit rester maître du processus décisionnel et ne pas susciter une impression de partialitéLe commissaire doit réexaminer les documents à l'égard desquels un privilège est allégué et produire tout document qui traite du bien-fondé de la décision et n'est pas un avis juridique.

Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Requête en application des Règles 1612 et 1614 des Règles de la Cour fédérale en vue d'obliger la production de documents qui ont été pris en compte dans la décision de refuser l'admission des requérants au Programme de protection des témoins de la GRCLe conseiller juridique du commissaire défendait aussi la GRC contre une action connexe intentée en cour provincialeDemande de contrôle judiciaire au motif que le refus est entaché de partialitéLes requérants ont allégué que le commissaire était plus préoccupé par l'effet de sa décision sur l'action pendante devant la cour provinciale que par le droitLes requérants ont allégué aussi que l'avocat avait rédigé la décisionLes documents ayant trait aux motifs d'un contrôle judiciaire devraient être produits en application de la Règle 1612L'ampleur de la participation de l'avocat dans la rédaction des motifs et dans la formulation des recommandations est pertinente quant à l'allégation de partialitéLes requérants ont le droit de savoir dans quelle mesure l'avocat a participé à la formation et à la rédaction de la décision relative au bien-fondé de la cause.

Pratique Communications privilégiées Requête en application des Règles 1612 et 1614 des Règles de la Cour fédérale en vue d'obliger la production de documents qui ont été pris en compte dans la décision de refuser l'admission des requérants au Programme de protection des témoins de la GRCLe conseiller juridique du commissaire défendait aussi la GRC contre une action connexe intentée en cour provincialeDemande de contrôle judiciaire du refus et allégation que le commissaire était plus préoccupé par l'effet de sa décision sur l'action pendante devant la cour provinciale que par le droitIl a aussi été allégué que l'avocat a rédigé la décisionLes requérants ont le droit de savoir dans quelle mesure l'avocat a participé à la formation et à la rédaction de la décision relative au bien-fondé de la causeTout ce qu'écrit un avocat n'est pas automatiquement protégé du fait de sa professionTout document ou partie de document qui traite du bien-fondé de la décision, sauf un avis juridique, et qui se rapporte à la participation de l'avocat au processus décisionnel doit être produit.

Il s'agit d'une requête déposée en application des Règles 1612 et 1614 des Règles de la Cour fédérale en vue d'obtenir la production de toute opinion juridique ou lettre fournie au commissaire qui a été prise en compte dans la décision de refuser aux requérants l'admission au Programme de protection des témoins de la GRC. Les requérants ont fourni à la police locale des renseignements qui ont mené à la saisie de cocaïne. La police locale a demandé que les requérants soient admis au Programme de protection des témoins de la GRC, mais la GRC a refusé toute responsabilité touchant la protection des témoins vu qu'elle n'avait joué aucun rôle dans l'enquête qui les avait conduits à divulguer les renseignements en question. Les requérants ont intenté une action en dommages-intérêts en cour provinciale contre la police locale et le procureur général du Canada et sollicité une injonction visant à obtenir d'être protégés. La demande d'admission au programme a subséquemment été présentée et une réponse négative " la décision sous contrôle " a été donnée. Les requérants allèguent que la communication de ces documents appuiera leur prétention que la décision du commissaire a été entachée de partialité du fait que son avocat-conseil défendait également la GRC contre l'action intentée en cour provinciale. Les requérants ont allégué que ces documents révéleraient que le commissaire a surtout tenu compte de l'effet que sa décision aurait sur l'action pendante en cour provinciale, plutôt que sur le bon droit des requérants. Ils ont aussi allégué que ce même avocat a rédigé la décision.

Le commissaire a déclaré que toute la documentation qu'il détenait a été produite à l'exception des avis juridiques rédigés par l'avocat et auxquels s'applique le secret professionnel de l'avocat. Les requérants allèguent que l'utilisation du privilège de confidentialité procureur-client les empêche de déterminer la portée du rôle que l'avocat a joué dans la décision du commissaire.

Jugement: la requête est accueillie en partie, la Cour accordant "tout autre redressement" qu'elle "juge équitable".

Les avis juridiques que reçoit un tribunal d'arbitrage ne sont peut-être pas privilégiés dans tous les cas. Mais le commissaire a le droit de demander des avis juridiques quant à la portée de sa compétence pour décider d'admettre ou non certaines personnes au Programme de protection des témoins, et de se prévaloir du privilège de confidentialité procureur-client.

Ce n'est plus nécessairement le cas que des motifs de décision rédigés par quelqu'un d'autre que le décideur soient l'indication d'une délégation de l'autorité décisionnelle. La charge de travail du commissaire est telle qu'il doit nécessairement se faire seconder dans la rédaction des motifs. Il ressort clairement de la jurisprudence qu'un décideur, comme le commissaire, peut employer quelqu'un pour rédiger les motifs d'une décision pourvu qu'il reste maître du processus décisionnel et qu'une telle décision rédigée par un tiers "ne . . . suscite pas une impression de partialité ou de manque d'indépendance". Le commissaire s'est appuyé sur la jurisprudence statuant que les documents de travail et les opinions internes n'entrent pas en ligne de compte à l'égard d'une décision contestée et a noté que les tribunaux administratifs peuvent compter sur le secret du délibéré.

Des documents ayant trait aux motifs invoqués par un requérant dans le cadre d'un contrôle judiciaire, en l'occurrence, une crainte raisonnable de parti pris, devraient être produits en application de la Règle 1612. L'ampleur de la participation de l'avocat dans la rédaction des motifs touchant le bien-fondé de la cause et les recommandations formulées à ce sujet sont pertinentes quant à la crainte raisonnable de partialité alléguée. L'avocat a participé dès le début à la défense dans l'action intentée en cour provinciale. Il aurait dit à l'avocat des requérants qu'il ne recommanderait pas l'admission des requérants au programme s'ils ne se désistaient pas de leur action en justice. La rédaction des motifs d'une décision par une autre personne que le décideur est subordonnée à l'exigence qu'elle ne porte pas atteinte à l'équité des procédures. Les documents internes peuvent être produits s'ils se rapportent à un motif invoqué par les requérants à l'appui de leur demande. Ceux-ci ont le droit de savoir dans quelle mesure l'avocat a participé à la formation et à la rédaction de la décision relative au bien-fondé de la cause. S'il a joué deux rôles, c'est-à-dire celui de conseiller juridique et celui de délégué à la rédaction de la décision quant au bien-fondé, les requérants ont le droit de le savoir. Tout ce qu'écrit un avocat n'est pas automatiquement protégé du fait de sa profession.

L'intimé n'a pas été requis de déposer les documents à la Cour à titre "strictement confidentiel". Mais la requête demandait effectivement "tout autre redressement" que la "Cour juge équitable". La Cour a donc ordonné au commissaire de réexaminer une nouvelle fois les documents qu'on a dit être privilégiés pour s'assurer qu'il en est bien ainsi. La Cour a ordonné la production de tout document ou partie de document qui traite du bien-fondé de la décision, sauf un avis juridique, et qui se rapporte à la participation de l'avocat au processus décisionnel. La question de savoir si la participation de l'avocat à l'examen du bien-fondé de la décision a eu pour conséquence de faire naître une crainte raisonnable de partialité ne pourra être appréciée qu'après que sera connu le degré de cette participation.

lois et règlements

Loi sur le programme de protection des témoins, L.C. 1996, ch. 15, art. 5.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1612 (édictée par DORS/92-43, art. 19), 1613 (édictée, idem), 1614 (édictée, idem).

jurisprudence

décisions appliquées:

Khan v. College of Physicians and Surgeons of Ontario (1992), 9 O.R. (3d) 641; 94 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (2d) 147; 76 C.C.C. (3d) 10; 57 O.A.C. 115 (C.A.); Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 C.F. 356; (1994), 73 F.T.R. 81 (1re inst.).

décisions examinées:

Trans Quebec & Maritimes Pipeline Inc. c. Office national de l'énergie, [1984] 2 C.F. 432; (1984), 8 Admin. L.R. 177; 54 N.R. 303 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang) (1996), 37 Admin. L.R. (2d) 241 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Melanson v. Workers' Compensation Board (N.B.) (1994), 146 N.B.R. (2d) 294; 114 D.L.R. (4th) 75; 374 A.P.R. 294; 25 Admin. L.R. (2d) 219 (C.A.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455; (1995), 180 N.R. 152 (C.A.); Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952; (1992), 90 D.L.R. (4th) 609; 3 Admin. L.R. (2d) 173; 136 N.R. 5; 147 Q.A.C. 169.

DEMANDE d'une ordonnance enjoignant à la production de toute opinion ou lettre qui a été prise en compte dans la décision de refuser l'admission des requérants au Programme de protection des témoins de la GRC. En vertu de l'ordonnance décernée, le commissaire doit réexaminer une nouvelle fois les documents à l'égard desquels il invoque le privilège et produire tout document ou partie de document qui traite du bien fondé de sa décision, sauf un avis juridique.

avocats:

Marshall A. Swadron et S. Flam pour les requérants.

James W. Leising et Jordon Solway pour l'intimé.

procureurs:

Swadron Associates, Toronto, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Reed: L'avocat des requérants dépose une requête en application des Règles 1612 [édictée par DORS/92-43, art. 19] et 1614 [édictée, idem] des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] en vue d'obtenir une ordonnance obligeant [traduction] "l'intimé à produire toute opinion juridique ou lettre fournie au commissaire" qui [traduction ] "a été prise en compte dans la décision objet de contrôle". Par cette décision, datée du 23 mai 1997, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), par l'entremise de son délégué, le commissaire adjoint Ryan, a refusé d'admettre les requérants au programme de protection des témoins de la GRC1 . Pour les besoins du présent exposé, il sera question du commissaire, même si c'est le commissaire adjoint Ryan qui était en cause en l'espèce.

Les faits qui ont servi de toile de fond à la présente requête sont les suivants. En mars 1996, les requérants, après s'être entendus avec la police régionale de Waterloo et peut-être aussi avec la police provinciale de l'Ontario, ont fourni des renseignements qui ont mené à une saisie de cocaïne cachée dans des vadrouilles entreposées dans un local d'affaires à Cambridge (Ontario). La police régionale de Waterloo a, par la suite, demandé par écrit à la GRC d'offrir aux requérants la protection prévue dans son programme de protection des témoins. La GRC a initialement répondu que la demande méritait d'être étudiée. Elle a écrit à la police régionale de Waterloo lui proposant son aide moyennant recouvrement des frais. La police régionale n'a pas donné suite à cette offre, mais a proposé aux requérants d'autres arrangements qu'ils n'ont pas acceptés. Elle a rejeté la proposition de prendre en charge les frais d'utilisation du programme de protection des témoins. La GRC a décliné toute imputation de responsabilité touchant la protection des requérants vu qu'elle n'avait joué aucun rôle dans l'enquête qui les a conduits à divulguer les renseignements en question, pas plus qu'elle ne s'était engagée de quelque façon à les protéger. Elle a, par la suite, proposé le partage des frais, ce que la police régionale de Waterloo a aussi refusé.

Le 10 février 1997, les requérants ont intenté une action devant la Division générale de la Cour de justice de l'Ontario contre la police régionale de Waterloo, le procureur général du Canada et deux individus dont l'un est membre de la PPO et l'autre, de la Commission de la police régionale de Waterloo. La mise en cause du procureur général du Canada a trait, bien sûr, aux agissements de la GRC qui, par souci de commodité, sera dénommée ci-après la défenderesse. Les requérants réclament 4 500 000 $ à titre de dommages ainsi qu'une injonction visant à leur obtenir la protection dont on les avait assurés. La requête en injonction contre la GRC a été rejetée, le 31 juillet 1997, par la Division générale de la Cour de l'Ontario laquelle a sursis, ce jour-là, à la question des dommages réclamés à la Gendarmerie royale, en attendant que la Cour fédérale statue sur la demande que les requérants avaient présentée entre-temps pour faire annuler le refus du commissaire de les admettre au programme.

J'en arrive maintenant à l'instance devant la Cour fédérale. L'avocat des requérants a appris, au plus tard le 24 mars 1997, que la GRC partait du principe que la Division générale de la Cour de l'Ontario n'était pas habilitée à contrôler les décisions du commissaire de la GRC prises en application de la Loi sur le programme de protection des témoins. C'est alors que cet avocat a engagé l'actuelle procédure devant la Cour. Le 21 avril 1997, le juge McKeown a accueilli la requête des intéressés visant à leur permettre de présenter une demande de contrôle judiciaire sous les pseudonymes figurant dans l'intitulé de la présente cause. Une ordonnance enjoignant à l'intimé de produire le dossier de la décision objet de la demande de contrôle n'a pas été octroyée du fait qu'à cette date-là, le commissaire non seulement n'avait pas pris une décision, mais que les requérants ne lui avaient fait aucune demande de protection en vertu du programme de protection des témoins.

Une demande d'admission au programme a été présentée le 1er mai 1997 à laquelle il a été répondu le 23 mai 1997. C'est cette décision qui fait aujourd'hui l'objet de contrôle et c'est à cet égard que l'on cherche à obtenir [traduction] "toute opinion juridique ou lettre fournie au commissaire". Celui-ci affirme que toute la documentation qu'il détenait a été produite à l'exception des avis juridiques rédigés par l'avocat et auxquels s'applique le secret professionnel de l'avocat. L'avocat des requérants ne m'a pas demandé de vérifier si les documents visés par ce privilège tombent dans cette catégorie.

Il réclame la communication de ces documents qui l'aideront, à son avis, à contester la décision du 23 mai 1997. Il estime qu'ils appuieront sa prétention voulant que la décision du commissaire fût entachée de partialité du fait que son avocat-conseil, Me Leising, défendait également la GRC dans l'action intentée devant la Division générale de la Cour de l'Ontario. Il pense que la production de ces documents montrera que Me Leising a rédigé une grande partie de la décision du commissaire datée du 23 mai 1997 et que ce dernier s'est considérablement appuyé sur l'avis de l'avocat pour former sa décision. Il croit que les documents en question révéleront que le commissaire a surtout tenu compte de l'effet qu'une décision favorable à ses clients aurait sur l'action pendante devant la Division générale de la Cour de l'Ontario, plutôt que sur le bon droit des requérants.

Comme on l'a vu, l'assertion voulant que la décision du commissaire ait été biaisée ou viciée se fonde sur le fait que Me Leising défendait la GRC devant la Division générale de la Cour de l'Ontario en même temps qu'il agissait comme conseiller juridique auprès du commissaire au moment où celui-ci formait sa décision en application de l'article 5 de la Loi sur le programme de protection des témoins. Il est allégué que ces deux rôles ensemble vicient la susdite décision, mais qu'en l'absence des documents requis, les requérants ne peuvent déterminer dans quelle mesure Me Leising a participé à l'élaboration de la décision prise en vertu de l'article 5.

L'avocat des requérants soutient que Me Leising a non seulement joué le rôle de conseiller juridique auprès du commissaire lorsque celui-ci formait sa décision en application de l'article 5, mais qu'il a rédigé cette décision sinon toute, du moins en grande partie. D'après l'avocat des requérants, c'est Me Leising qui a rédigé les motifs de la décision parce que (1) celui-ci l'a informé que le commissaire avait demandé un avis juridique que Me Leising s'employait à préparer; (2) que les motifs de la décision sont rédigés à la première personne alors que l'avocat des requérants n'a eu aucun contact avec le commissaire, mais seulement avec Me Leising; (3) que lesdits motifs renferment le passage suivant:

[traduction] . . . les requérants ont choisi de se lancer dans une campagne de relations publiques en exagérant leur situation et, à tout le moins, en aggravant leur potentiel de risque lorsqu'ils ont clamé tout haut leur qualité d'informateurs. Tout cela laisse croire que leur plan n'a rien à voir avec l'obtention de services de protection raisonnables et appropriés. Ce comportement me semble indiquer un manque de maturité et une absence totale de jugement qui me poussent à conclure qu'il n'existe aucun programme de protection raisonnable auquel ils pourraient s'adapter.

Le dossier renferme des copies de deux articles tirés de la revue Macleans Magazine alléguant que la GRC ne protégeait pas convenablement ses informateurs. Un de ces articles reposait sur une entrevue faite par un journaliste avec le requérant sous le pseudonyme de M. Untel. Il s'accompagne d'une grande photo montrant l'avocat des requérants accompagnée de cette légende: [traduction] "L'avocat torontois Swadron: Les forces de police "se chamaillent pour savoir qui paiera la note"". Après la parution de cet article, Me  Leising a, dans une lettre du 29 avril 1997 à Me Swadron, écrit ce qui suit:

[traduction] Je ne peux m'empêcher de penser que vos efforts constituent jusqu'ici le pire moyen possible d'obtenir des services de protection à vos clients. En supposant qu'un certain niveau de protection soit légitimement nécessaire et que vos démarches tendent effectivement à l'obtenir et non à faire mousser votre image médiatique, puis-je respectueusement vous suggérer de chercher une autre voie. Vous pourriez, plus précisément, consacrer vos efforts et les fonds publics à négocier une issue à ce conflit avec le concours d'un médiateur professionnel. Mes clients sont tout disposés à participer à une autre forme de règlement de litige si les autres parties et vous-même l'êtes aussi.

L'avocat soutient, du fait que les motifs du commissaire font état d'une campagne de relations publiques, reflétant ainsi les sentiments exprimés par Me Leising dans sa lettre du 29 avril 1997, que ce dernier a rédigé lesdits motifs ou bien qu'il a influé sur le commissaire pour qu'il interprète ce qui s'était passé comme il l'a fait et qu'il en tienne compte dans sa décision. La référence du commissaire à la campagne de publicité qu'avaient appuyée le requérant M. Untel et l'avocat, ne suffit pas pour conclure que Me Leising a joué le rôle que l'avocat suppose. Les articles de magazine faisaient partie du dossier et l'avocat des requérants avait encouragé le commissaire à tenir compte de ce que rapportaient les médias. C'est aussi un défi au bon sens de penser que le commissaire n'aurait pas eu connaissance de ces articles si Me Leising ne les avait pas portés à son attention ou que, sans l'encouragement de celui-ci, il n'aurait pas conclu au manque de maturité et à l'absence de jugement chez des personnes qui, cherchant à obtenir la protection des témoins, se laissent interviewer par les médias.

Quant à se fonder sur le fait que Me Leising a dit à l'avocat des requérants qu'on lui avait demandé un avis juridique et qu'il le préparait, cela ne prouve pas qu'il ait rédigé l'ensemble des motifs du commissaire lesquels comprennent deux sections distinctes. La première énonce que le commissaire n'a pas compétence pour admettre les requérants au programme parce qu'ils n'étaient pas partie à une enquête de la GRC et qu'aucune entente en vigueur ne s'appliquait à eux. La deuxième section consiste en une évaluation du bien-fondé de leur réclamation, évaluation faite, comme on le souligne, pour l'éventualité ou la position légale du commissaire au regard de la question de compétence se révèle inexacte. La décision du commissaire au sujet du bien-fondé commente abondamment l'inaptitude des requérants à se prévaloir du programme en raison de leur manque de jugement et d'autres caractéristiques personnelles.

La position fondée sur le droit que le commissaire a adoptée, vraisemblablement sur le conseil de Me Leising, sera évaluée par la Cour au moment où elle étudiera la demande quant au fond. Que Me Leising ou quelqu'un d'autre ait fourni ce conseil n'a rien à y voir. Au bout du compte, c'est la Cour qui en déterminera l'exactitude.

Je conviens que les avis juridiques que reçoit un tribunal d'arbitrage ne sont peut-être pas privilégiés dans tous les cas2, mais je ne suis pas persuadée que les avis de cet ordre donnés au commissaire concernant l'étendue de sa compétence pour décider d'admettre ou non certaines personnes au programme de protection des témoins, tombent dans cette catégorie. Le commissaire (en tant que client) a certainement le droit de s'entourer de conseils juridiques en pareille matière et de se prévaloir, à cet égard, du privilège de confidentialité procureur-client. De plus, comme on l'a dit plus tôt, la teneur d'une telle opinion n'entre pas en jeu puisque la Cour tranchera en définitive cette question de droit.

J'en viens maintenant à l'argument avancé par l'avocat des requérants disant qu'en raison du privilège des communications entre avocat et client, les intéressés se trouvent dans l'impossibilité de déterminer la portée du rôle de Me Leising au regard de la décision prise en application de l'article 5. L'avocat affirme que Me Leising a non seulement donné au commissaire un avis juridique, mais qu'il a également joué un rôle prépondérant auprès de lui soit en rédigeant les motifs, soit en le conseillant au sujet du bien-fondé de la demande des requérants. Je déduis de la réponse qu'a faite l'intimé, que ce rôle, quelle qu'en soit la portée, est étranger à la cause.

On a cru un moment, qu'au palier judiciaire, à tout le moins, la rédaction des motifs d'une décision par les soins d'une autre personne que le décideur pouvait s'interpréter comme une preuve de délégation de l'autorité décisionnelle. Ma perception de ce point me fait dire qu'il n'en va plus nécessairement ainsi. On accepte de plus en plus, aujourd'hui, que les motifs d'une décision soient rédigés par quelqu'un d'autre que le décideur. Si le procédé est acceptable au niveau judiciaire, il le serait a fortiori plus encore au palier quasi judiciaire ou administratif.

Dans l'affaire Khan v. College of Physicians and Surgeons of Ontario (1992), 9 O.R. (3d) 641 (C.A.), à la page 672, il a été déterminé qu'un organisme décisionnel composé de plusieurs membres, un comité par exemple, pouvait faire appel à un avocat durant le processus rédactionnel. Je citerai, ci-après, les extraits particulièrement pertinents de cette décision. La partie du texte dont ils sont tirés est entièrement reproduite à l'annexe jointe aux présents motifs. Voici les passages en question:

[traduction] La responsabilité ultime du comité au regard de la rédaction des motifs n'exclut pas qu'il puisse recourir aux services d'un conseiller juridique durant le processus rédactionnel.

. . .

Le débat doit porter, non pas sur le droit du comité à se faire assister dans la rédaction des motifs, mais sur les limites raisonnables de cette assistance.

La démarcation entre l'assistance acceptable et celle qui ne l'est pas doit être établie eu égard à la participation du conseiller juridique au processus rédactionnel, à l'impartialité des procédures et à l'intégrité du processus . . . dans son ensemble.

L'analyse faite dans l'affaire Khan a été adoptée dans la cause Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 C.F. 356 (1re inst.), à la page 381 et suivantes. Elle s'est appliquée à la décision prise par une seule personne, nommément le commissaire de la Gendarmerie royale. Son recours à des tiers pour rédiger ses motifs se justifiait par le fait qu'en sa qualité de décideur, il n'avait pas à entendre des témoins ni à trancher des questions de crédibilité après une audition en personne; le commissaire faisait office de cour d'appel; il avait différentes fonctions à remplir dont une seule consistait à rendre la décision en question; l'individu qui a rédigé le dispositif de la décision n'avait pas participé à l'instruction de l'affaire par le commissaire dont la charge de travail est telle qu'il a dû nécessairement se faire seconder dans cette rédaction.

Il ressort donc clairement de la jurisprudence qu'un décideur, comme le commissaire, peut employer quelqu'un pour rédiger le dispositif d'une décision pourvu qu'il reste maître du processus décisionnel et qu'un tel dispositif rédigé par un tiers [traduction] "ne . . . suscite pas une impression de partialité ou de manque d'indépendance"3.

L'avocat de l'intimé qui allègue, entre autres, que les documents requis par les requérants ne peuvent être produits, se fonde sur la jurisprudence statuant que les documents de travail et les opinions internes n'entrent pas en ligne de compte à l'égard d'une décision contestée. Dans l'affaire Trans Quebec & Maritimes Pipeline Inc. c. Office national de l'énergie, [1984] 2 C.F. 432 (C.A.), il a été décidé que les rapports internes destinés à l'Office national de l'énergie pour l'aider à rendre une décision ne faisaient pas partie du dossier de la décision objet de contrôle; que de tels documents n'étaient pas pertinents et qu'il n'était pas nécessaire de les produire en application de l'ancien paragraphe 1402(3) des Règles de la Cour fédérale. Le sommaire dit en partie ce qui suit [aux pages 433 et 434]:

Toutefois, lorsqu'il est possible de démontrer que la décision d'un tribunal repose sur des rapports internes, il se peut fort bien qu'on soit bien fondé à exiger leur inclusion.

. . . les preuves produites en cette Cour ne permettent pas de conclure que les documents demandés se rapportent aux moyens d'appel qu'a proposés la requérante.

Le dispositif de la décision dit entre autres ce qui suit [à la page 443]:

. . . j'estime qu'il faut se garder de conclure de l'ordonnance en question à l'existence d'un principe général selon lequel des rapports internes destinés à aider les membres d'un tribunal, soit au cours d'une procédure, soit au stade du délibéré, doivent faire partie des documents sur lesquels sera fondé l'examen d'une décision de ce tribunal. À ce qu'il me semble, lorsqu'il est possible de démontrer que la décision d'un tribunal repose sur des rapports internes que les parties n'ont pu consulter et qui contiennent des éléments de preuve auxquels les parties n'ont pas eu la possibilité de répondre, il se peut fort bien qu'on soit bien fondé à exiger leur inclusion dans le dossier aux fins de l'examen. De plus, j'estime qu'en pareil cas le caractère confidentiel des rapports ne leur ferait pas bénéficier d'une exemption de communication. Toutefois, on n'a pas établi que telle est la situation en l'espèce.

Il ressort du mémoire de la requérante que, si elle cherche à obtenir l'inclusion des notes de service internes dans le dossier, c'est surtout pour essayer d'établir les motifs de la décision de l'Office. Or, l'analyse et les opinions contenues dans des notes de service internes n'aident aucunement à déterminer les motifs de la décision de l'Office parce qu'on ne peut à bon droit présumer qu'il les a reprises dans ses motifs. Les motifs de la décision de l'Office sont ceux qu'il juge opportun d'exprimer ou qui, d'après ce qui se dégage de ses propres mots ou actes, constituent manifestement ses motifs.

Dans la cause Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang) (1996), 37 Admin. L.R. (2d) 241 (C.F. 1re inst.), une ordonnance portant production de documents a été refusée. On a estimé que l'analyse et les opinions figurant dans les notes internes étaient hors de cause au regard des motifs de la décision du tribunal puisqu'on ne pouvait les tenir pour adoptées. Pour qu'elles fussent pertinentes, a dit la Cour, il aurait fallu démontrer qu'elles constituaient un élément de preuve supplémentaire. L'avocat de l'intimé note également que les tribunaux administratifs peuvent compter sur le secret du délibéré; voir Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, à la page 965.

D'autre part, des documents ayant trait aux motifs invoqués par un requérant dans le cadre d'un contrôle judiciaire (en l'occurrence, une crainte raisonnable de parti pris) devraient être produits en application de la Règle 1612:

Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produit par l'intimé4.

L'ampleur de la participation de Me Leising dans la rédaction des motifs touchant le bien-fondé de la cause et les recommandations formulées à ce sujet, intéressent l'avocat des requérants au regard de la crainte raisonnable de partialité qu'il allègue. Me Leising a participé dès le début à la défense dans l'action intentée par les requérants à la Cour de l'Ontario. Il aurait dit à l'avocat de ces derniers, au mois de mars 1997, qu'il ne recommanderait pas l'admission de ces clients au programme s'ils ne se désistent pas de leur action en justice. La jurisprudence citée ci-dessus indique que la rédaction des motifs d'une décision par une autre personne que le décideur est subordonnée à l'exigence qu'elle ne porte pas atteinte à l'équité des procédures. La même jurisprudence énonce également qu'il est possible de demander la production de documents internes s'ils se rapportent à un motif invoqué par les requérants à l'appui de leur demande. Ceux-ci ont le droit de savoir dans quelle mesure Me Leising a participé à la formation et à la rédaction de la décision relative au bien-fondé de la cause. S'il a joué deux rôles, c'est-à-dire celui de conseiller juridique et celui de délégué à la rédaction de la décision quant au bien-fondé, les requérants ont le droit de le savoir. Tout ce qu'écrit un avocat n'est pas automatiquement protégé du fait de sa profession.

Les Règles 1612 et 1613 [édictée par DORS/92-43, art. 19] ne prévoient aucune procédure relative aux demandes de production de documents en la possession d'un tribunal qui refuse de les communiquer. La Règle 1612 précise qu'il faut une "demande écrite", alors que le paragraphe 1613(2) dit que l'opposition doit être faite "par écrit". Le paragraphe 1613(3) prévoit qu'un juge peut donner des directives sur la façon de présenter des observations au sujet de l'opposition. Comme on l'a signalé plus tôt, les requérants n'ont demandé aucune directive en application de cette disposition. L'intimé n'a pas été requis de déposer les documents à la Cour à titre "strictement confidentiel", comme cela aurait pu être le cas. Lorsqu'une partie invoque le privilège des communications entre avocat et client dans le cadre d'une action et que la partie adverse s'y oppose, il est normal que la Cour examine les documents pour évaluer cet argument.

Le commissaire a déclaré que les documents non produits sont tous visés par le privilège des communications entre avocat et client. La demande que les requérants ont soumise à la Cour semble accepter cette proposition tout en affirmant que ces pièces devraient néanmoins être communiquées. Pourtant, les arguments avancés par l'avocat à l'audition de la requête ont soulevé le point de savoir si tous les documents bénéficiaient du privilège en question. C'est cette divergence entre le texte de la requête et la teneur des arguments qui n'a pas permis d'en arriver plus rapidement à une décision. Quoi qu'il en soit, les requérants veulent effectivement obtenir [traduction] "tout autre redressement" que la [traduction ] "Cour juge équitable". J'ai décidé, dans les circonstances, qu'il y aurait lieu de demander au commissaire, par voie d'ordonnance, de réexaminer une nouvelle fois les documents qu'on dit être privilégiés, avec l'aide de l'avocat, pour s'assurer qu'il en va bien ainsi. Tout document ou partie de document qui traite du bien-fondé de la décision, sauf un avis juridique, et qui se rapporte à la participation de Me Leising au processus décisionnel, doit être produit. Si l'avocat a agi à deux titres, c'est-à-dire en tant que conseiller juridique et de rédacteur ou principal instigateur de la décision sur le bien-fondé, les requérants ont le droit de le savoir.

J'insiste pour dire que les susdits motifs ne portent pas à conclure que la participation de Me Leising, s'il en est, à l'examen du bien-fondé de la décision a nécessairement pour conséquence de la vicier (crainte raisonnable de partialité). Voilà une évaluation qui ne peut être faite qu'au moment où l'on connaîtra le degré de cette participation. La présente décision exige la production de documents rien que pour permettre un examen franc et équitable de la position que l'avocat des requérants essaie de faire valoir auprès de la Cour.

1 Loi sur le programme de protection des témoins, L.C. 1996, ch. 15.

2 Melanson v. Workers' Compensation Board (N.B.) (1994), 146 N.B.R. (2d) 294 (C.A.).

3 Khan, à la p. 674.

4 ;Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.), à la p. 460.

ANNEXE

[Khan v. College of Physicians and Surgeons of Ontario (1992), 9 O.R. (3d) 641 (C.A.), aux pages 672 et 673]

[traduction] La responsabilité ultime du comité au regard de la rédaction des motifs n'exclut pas qu'il puisse recourir aux services d'un conseiller juridique durant le processus rédactionnel. Il est bien établi qu'un tribunal tel que le comité peut s'adresser à des sources étrangères pour l'assister dans la préparation de ses motifs; Spring v. Law Society of Upper Canada (1988), 64 O.R. (2d) 719, 50 D.L.R. (4th) 523 (C. div.); Macaulay, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (1988), aux p. 22-10 à 22-10.21. Cette aide devrait être déconseillée ou désapprouvée. Dans l'affaire SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, 38 O.A.C. 321, à la p. 327 R.C.S., p. 347 O.A.C., le juge Gonthier, au nom de la majorité, a noté que les tribunaux doivent concilier leur recours à l'aide "extérieure" avec l'équité de la procédure.

Les règles de justice naturelle ne devraient pas dissuader les organismes administratifs de tirer profit de l'expérience acquise par leurs membres. Au contraire, les règles de justice naturelle devraient, par leur application, concilier les caractéristiques et les exigences du processus décisionnel des tribunaux spécialisés avec les droits des parties en matière de procédure.

Cette même concordance doit entourer la rédaction des motifs. Le but ultime de la démarche rédactionnelle consiste à élaborer une série de motifs reflétant pleinement et fidèlement le cheminement de la pensée du comité. Dans la mesure où la consultation d'un conseiller favorise cet objectif, il faut l'appuyer. Le débat doit porter, non pas sur le droit du comité à se faire assister dans la rédaction des motifs, mais sur les limites raisonnables de cette assistance.

La démarcation entre l'assistance acceptable et celle qui ne l'est pas doit être établie eu égard à la participation du conseiller juridique au processus rédactionnel, à l'impartialité des procédures et à l'intégrité de l'ensemble du processus. Sans vouloir donner une définition exhaustive de ces notions, celle d'équité porte sur des considérations touchant la partialité réelle ou appréhendée, l'indépendance et le droit de chaque partie de connaître ce qu'on lui impute et d'y rétorquer. La notion d'intégrité s'étend à tous les points énoncés ci-dessus auxquels s'ajoute le besoin plus large de s'assurer que l'organe de décision ne se prononce qu'après avoir dûment examiné le bien-fondé de son jugement. Les motifs de la décision qui ne sont pas ou ne semblent pas être ceux du décideur, suscitent de véritables inquiétudes quant à la validité de la décision et à l'authenticité de l'enquête tout entière.

Il n'existe aucune formule ou procédure régissant le processus de rédaction qui puisse s'appliquer uniformément à l'éventail très vaste des prises de décision, pour déterminer si la participation d'un non-décideur à la rédaction inclut les éléments d'équité des procédures et d'intégrité du processus. La nature de l'instruction, les questions qui y sont soulevées, la composition du tribunal, les termes de la loi habilitante, la structure administrative offerte au tribunal, la charge de travail de celui-ci et d'autres facteurs se répercuteront sur l'évaluation de la régularité des moyens mis en œuvre pour la rédaction des motifs. Bien sûr, les règles de rédaction judiciaire ne peuvent être imposées à tous les offices et tribunaux: SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., supra, aux p. 323 et 324 R.C.S., aux p. 342 et 343 O.A.C.

Il faut reconnaître aussi que, de nos jours, le volume et la complexité des prises de décision exigent absolument le recours à des sources "extérieures" pendant les travaux de rédaction. Celle-ci est en grande partie, aujourd'hui une démarche de consultation où le rédacteur (la rédactrice) puise à de nombreuses sources pour formuler ses motifs, y compris auprès de personnes qui ne sont pas chargées de trancher la question. L'auteur des motifs sera inévitablement influencé par certaines de ces sources. Prétendre que toute influence "extérieure" entache la validité des procédures ou de la décision rendue équivaut à insister sur un degré d'isolement qui est non seulement tout à fait irréaliste, mais également destructeur au regard d'une rédaction efficace des motifs.

En voulant déterminer si la participation d'un conseiller juridique à la rédaction des motifs a réellement ou apparemment joué injustement contre le Dr Khan, je cite, comme point de départ approprié, les propos du juge Gonthier dans l'arrêt du 16 avril 1992 (maintenant publié à [1992] 1 R.C.S. 952, 90 D.L.R. (4th) 609) de la Cour suprême relatif à l'affaire Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), (aux p. 18 et 19 du jugement; p. 971 R.C.S., p. 623 D.L.R.):

Le processus de consultation par réunion plénière visant à favoriser la cohérence de la jurisprudence pourrait donc s'avérer acceptable et même désirable pour un organisme comme la Commission, à condition que ce processus ne constitue pas une entrave à la liberté des décideurs de trancher selon leurs conscience et opinions. Il ne faut pas non plus que ce processus, même s'il n'entrave pas la liberté réelle des décideurs, soit conçu de façon telle qu'il suscite une apparence de partialité ou de manque d'indépendance. (Italique ajouté dans le texte.)

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